Béchala'h- Courtoisie et mitsvote

Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

 

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Bechalah – La courtoisie, plus importante que les Mitzvot ?

 

Quel juif pratiquant n’a jamais entendu cette tirade : « c’est bien beau de respecter les Mitzvot, de mettre les Téfilines, de respecter Chabbat, etc…, mais si c’est pour avoir un comportement humain détestable, ça sert à quoi d’être religieux franchement ? »

L’argumentaire sous-jacent de cette attaque est plutôt simple à identifier. Un des objectifs du judaïsme serait de faire de la vie des êtres humains une vie constructive, apaisée avec ses semblables, créant un environnement pouvant contribuer à rendre l’homme meilleur, en partie en lui inculquant les règles élémentaires de civilité autorisant une vie en commun possible.

Comme ce ne sont pas les injonctions pratiques qui manquent dans la Thora, il suffirait d’intégrer des règles spécifiques rendant l’homme plus éduqué dans ses relations humaines, au-delà des comportements purement contractuels et au-delà du respect des injonctions « religieuses ».

Réponse classique : « Mais c’est le cas ! Regardez, la Thora interdit le Lachon Hara (la médisance), elle considère sévèrement toute volonté de créer une scission au sein du peuple, de créer des clans ou même d’humilier son prochain. C’est donc bien dans le projet de la Thora ! »

Il existe deux objections à cette réponse convenue (mais néanmoins exacte) : d’abord l’expérience montre que certains Juifs très attachés aux Mitzvot dites « Ben Adam Lamakom », qui régissent la relation entre l’homme et Dieu, sont parfois moins regardants sur les Mitzvot « Ben Adam Lahavero », entre un homme et son prochain, sans que cela n’attire de désapprobation spécifique.

Ensuite, chose étrange, si la Thora prévoit bien des punitions sévères pour les idolâtres, les meurtriers ou les transgresseurs du Chabbat, elle ne prévoit aucune punition formelle pour les auteurs de Lachon Ara, de colporteurs de rumeurs ou même de vol. Pas de coups de bâton, ni mise à mort, rien de spécial si ce n’est une vague amende dans le cas du vol.

C’est de ce dernier constat que part le Mechekh Hokhma pour introduire un commentaire qui n’a a priori rien à voir avec la Paracha.

Il n’explique pas cette différence de traitement entre certaines fautes « théologiques » et celles qui impliquent une déficience en matière de qualités morales, de civilités ou même de courtoisie[i]. Mais il tient absolument à nous faire voir, dans son développement, que l’absence de punition individuelle pour des actions de ce type ne saurait équivaloir à une infériorité qualitative de ces commandements, et donc à contrer le reproche si ancien que le judaïsme subit depuis des siècles : appelez-le pharisaïsme, absence d’empathie pour les autres, pointillisme législatif faisant oublier l’importance du vivre ensemble, etc, etc…

L’axe de réponse du Mechekh Hokhma est le suivant : il n’y a en effet pas de punition prévue pour l’individu passible de contrevenir à ces règles de civilités élémentaires, mais lorsque c’est la collectivité qui est prise en défaut sur ces qualités, la gravité de la situation ne suscite presque aucun espoir quant à la survie du groupe en question, ou en tous cas quant à la possibilité d’échapper à une perception incroyablement négative par Dieu.

Rav Meïr Simha Hacohen de Dvinsk multiplie les exemples pour soutenir sa démonstration :

  • La génération de David était composée de Justes, mais puisqu’il y avait en son sein des délateurs, elle se faisait battre lors de ses campagnes militaires.[ii] A l’inverse, la génération d’Akhav était pleine d’idolâtres et de gens de débauches, mais puisqu’ils étaient irréprochables du point de vue de l’unité du peuple, de l’absence de médisance entre eux ou de discorde, la Thora dit même que la Shekhina résidait parmi eux ![iii]
  • Le 1er Temple a été détruit à cause des crimes de meurtre, d’idolâtrie et de débauche sexuelle[iv], mais….il a finalement été reconstruit, alors que le 2ème Temple, détruit à cause de la Haine gratuite entre Juifs n’a toujours pas été reconstruit. Ce qui montre bien, dit le Mechekh Hokhma, qu’ « Il est plus grave pour une collectivité de faillir en matière de qualités morales, que de transgresser les Mitzvot »
  • Dieu a pardonné la faute du faute du Veau d’Or, assimilable à de l’idolâtrie. Mais il n’a pas pardonné la faute des Explorateurs, dont la médisance était le cœur de la transgression, preuve encore qu’une faute collective portant sur l’éthique du peuple est plus impardonnable que servir un autre Dieu

La charge est violente, mais quel rapport avec la Paracha ?

Il se trouve qu’un Midrach[v] fait référence aux réticences qu’avaient les Anges et la mer à effectuer autant de miracles pour les enfants d’Israël en Egypte et lors de leur sortie. Pourquoi, dit Samaël, faire des miracles pour les enfants d’Israël alors qu’ils étaient idolâtres et donc fautifs ?

Le Mechekh Hokhma donne une raison extraordinaire et relit le midrach de façon très personnelle. « Si j’ai fait tout cela pour les enfants d’Israël, aurait répondu Dieu, c’est parce que c’était un peuple uni, d’où la discorde était absente. Si j’ai choisi de faire en sorte que la mer s’ouvre et crée des murs de part et d’autre de leur avancée (« VeHamaim lahem Homa »), c’est bien parce que j’ai confiance dans les qualités morales de ce peuple. »

Mais il y a un problème : l’expression « VeHamaim lahem Homa » (« Et les eaux se dressèrent en muraille ») est dite à deux reprises dans la Paracha[vi], la deuxième fois après que les Egyptiens furent engloutis par la mer. Et le mot Homa n’est pas orthographié de la même façon que la première fois qu’il apparaît. Il l’est de façon défectueuse, avec un Vav manquant, ce qui ne se lit plus « Muraille », mais « Fureur, Colère ».

Pourquoi la mer serait en colère ? Parce qu’à ce moment-là, ce qui justifiait l’apparition des miracles pour les enfants d’Israël, c’était leur unité collective. Or un épisode fameux, se tenant juste avant l’ouverture de la mer, a fait s’effondrer ces qualités. C’est la complainte des Hébreux lorsqu’ils se rendent compte que la mer est devant eux, que les Egyptiens sont sur le point de les rattraper et qu’ils se trouvent dans une sorte d’impasse existentielle.

A ce moment-là, dit un autre Midrach, le peuple s’est scindé en 4 groupes concurrents, chacun essayant de proposer une solution différente : retourner en Egypte, se suicider, se battre contre les Egyptiens ou prier. Aucune de ces solutions (y compris la prière !) ne trouve grâce aux yeux de Dieu.[vii] On comprend maintenant pourquoi : ce qui avait fait la force des enfants d’Israël jusqu’à présent s’évanouit du fait de cette dissension fatale. Fatale, finalement pas, probablement pour des raisons supérieures, mais le texte devait en garder la trace, d’où l’absence de ce Vav, d’où la mention de cette colère envers un peuple qui ne méritait plus finalement d’être traité différemment des Egyptiens qui eux, ont été engloutis.

Cette relecture audacieuse du Midrach par le Mechekh Hokhma nous laisse avec de nouvelles questions : les enfants d’Israël s’en sont finalement sortis malgré la déliquescence de leur civilité et de leur concorde. Est-ce que la punition était censée venir plus tard ? Dans le cadre de l’épisode des explorateurs ?

Quoiqu’il en soit, le plaidoyer incroyablement puissant du Mechekh Hokhma en faveur d’une société apaisée, sachant cohabiter en harmonie, respectueuse des positions parfois opposées de chacun, même lorsque des situations de transgression flagrante des Mitzvot se font jour, est une position originale pour un sage lituanien du 19ème siècle, mais qui sonne de façon étrangement familière aux oreilles d’un Juif du XXIème siècle.

 

FRISON

 

*Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

*Texte original :

משך חכמה שמות פרק יד
(כט) והמים להם חומה מימינם ומשמאלם. בהתבונן בדרכי התורה נראה כי במצוות שמעיות כמו עבודה זרה ועריות יש כרת וסקילה ושאר מיתות ומלקות. לא כן בנימסיות ומידות כמו מחלוקת לשון הרע, רכילות, גזל, אין בו מלקות, דהוי לאו הניתן לתשלומין או דהוי לאו שאין בו מעשה (ספרי לדברים כה, ב). אולם זה דוקא ביחיד העושה, אבל אם הצבור נשחתין, בזה מצאנו להיפך בירושלמי דפאה (פרק א משנה א): דורו של דוד כולם צדיקים היו, ועל ידי שהיו בהם דלטורין היו נופלים במלחמה וכו', אבל דורו של אחאב, עובדי עבודה זרה היו, ועל ידי שלא היו בהם דילטורין היו יורדים למלחמה ומנצחים. שאם הצבור נשחתין בעבודה זרה ועריות על זה נאמר (ויקרא טז, טז) "השוכן אתם בתוך טומאתם". אבל בנימוסיות ומידות לשון הרע ומחלוקת, על זה כתוב (תהלים נז, ז) "רומה על השמים" וכו', כביכול סלק שכינתך מהם. וגדולה מזו אמרו (יומא ט, א) שבמקדש ראשון היו עובדי עבודה זרה עריות (ושפיכות דמים) ובמקדש שני היו עוסקים בתורה ובמצוות (וגמילות חסדים, ומפני מה חרב?) מפני שנאת חנם, (ללמדך ששקולה שנאת חנם כנגד שלוש עבירות: - ע"ז גילוי עריות ושפיכות דמים). ושם שאלו, מה הם גדולים? - תנו עיניכם בבירה שחזרה לראשונים (ולא חזרה לאחרונים). הרי דאם הצבור נשחתים במידות, גרוע יותר מאם נשחתין במצוות. ולכן אמר רבי יוחנן (פרק) חלק (סנהדרין) דף קח, א: בא וראה כמה גדול כוחו של חמס, שהרי דור המבול עברו על הכל ולא נחתם גזר דינם אלא על שפשטו ידיהם בגזל, דכתיב (בראשית ו, יג) "הנני משחיתם... כי מלאה הארץ חמס". שעל עריות דין צבור יש להם והיה מרחם עליהם, אבל על נימוסיות לא יתכן - ולכן על חילול שבת בעונותינו הרבים שנתפשט, יאחר להם כי הם צבור. ואף בעבודה זרה אמרו בספרי "והנפש ונכרתה", שאין הצבור נכרתים - אבל כיון שפרצו בנימוסיות, הולכים בחרבות וחצים לחמוס ולגזול, ונשחתו במידות כי המה כחייתו טרף, אז נקום ינקם ה' ולא יאחר. כי איך נחשוב להם? אם כיחידים, הלא על מצוות הן נכרתין; ואם כצבור, הלא על נימוסיות הן יתמו! וכן בדור המבול: - על גזל לבד היה דנן כיחידים, אבל כיון ש"השחית כל בשר את דרכו" (בראשית ו, יב), אם היה דן אותו כל יחיד לעצמו היה נכרת, ועל כרחך דדן אותן בהצטרף כצבור, והיו נכרתין עבור הגזל.
ולכן מצאנו שעל העגל שהיה החטא בעבודה זרה, מחל הקדוש ברוך הוא להם ונתרצה להם (שמות לב, יד), אבל על מרגלים שהיה לשון הרע וכפיות טובה לא מחל להם, ונגזר "במדבר הזה יתמו" וכו' (במדבר יד, כט - לה). ומזה אתי שפיר המדרש (מכילתא מדרש אבכיר) שהובא בילקוט (רלד) "והמים להם חומה" (שמות יד, כט) - מלמד שעמד סמאל ואמר: רבש"ע לא עבדו עבודה זרה ישראל במצרים ואתה עושה להם נסים?! (והיה משמיע קולו לשר של ים), נתמלא עליהם חמה וביקש לטובעם [לכן כתוב "חמה" - חסר ויו]. היינו דעל הנסים שעשה להם בהוציאם ממצרים לא טען, משום דהגם דהיו נשחתין כמו שעבדו עבודה זרה והפרו ברית מילה, אבל מאושרין היו במידות שלא היה בהן לשון הרע, והיו אוהבין זה את זה, יעויין מכילתא בא פרשה ה, ולכן בצבור הקדוש ברוך הוא עושה להם נסים. אבל במים, כשנחלקו לארבע כתות, ויש שאמרו נשוב מצרימה, הלשין שצריך לדון אותם כיחידים, והן נכרתין על עבודה זרה, ואיך אתה עושה להן נסים?! ודו"ק.
אמנם המסתכל יראה דבקרא קמא (פסוק כב) כתוב "והמים להם חומה" בוי"ו, רק בכתוב השני (פסוק כט) כתוב בלא וי"ו, ועל זה דרש המדרש שנתמלא חימה. והוא, דבאמת אמר להם 'משכו מעבודה זרה והדבקו במצוות', והם עשו תשובה על עבודה זרה, שהאמינו בה', וכן מלו עצמם ובשר בניהם ועבדיהם (שמות יב, מב - מו). ולכן לא היה לצעוק על שהשם יתברך עשה להם נסים במצרים בהוציאם ביד רמה בעמוד אש וענן. רק כאן שאמרו מצרים (פסוק כה) "אנוסה מפני ישראל כי ה' נלחם להם במצרים", הלא הודו כי ה' נלחם, וחזרו בהם לנוס מפניהם, אם כן גם הם עשו תשובה! [ומפני זה זכו לקבורה - רשב"ם דף קיח], על זה צעק הלא גם ישראל עבדו עבודה זרה במצרים ונמחל להם, אם כן מפני מה הללו ניצולים והללו יהיו נטבעים! על זה השיב הקדוש ברוך הוא (מכילתא שם): שוטה (שבעולם) וכי מפני ישוב עבדוה, הלא לא עבדו אלא מתוך שעבוד ומתוך טרוף הדעת?! אבל התשובה שפירשו מעבודה זרה ושחטו תועבת מצרים לעיניהם היו מתוך יישוב ומתוך ההרווחה, דששה חדשים בטל השעבוד מהם כיון שהחלו המכות. אבל המצרים הוא להיפך, דעבדו עבודה זרה מתוך ההרווחה והשלוה, והתשובה היתה מתוך הטרוף שנהממו בים, ולכן הם נטבעים וישראל עושה להם נסים. יתן השי"ת שבני ישראל ישובו לה' מתוך הרווחה, אמן!


[i] Le Mechekh Hokhma emploie le mot « Nimousiot » qui signifie en hébreu moderne Politesse, courtoisie, bonnes manières

[ii] Yerouchalmi Pea, Chapitre 1, Michna 1

[iii] Yoma 52b

[iv] Yoma 9a

[v] Mekhilta, Midrach Avkir, Yalkout Chimoni 234

[vi] Chemot 24 :22 et Chemot 24 :29

[vii] J’avais produit un commentaire inspiré du Rabbi de Loubavicth sur ce passage : http://lemondejuif.blogspot.de/2007/01/bechalah-quand-la-route-se.html

 

 

Commentaires

  • claude heymann
    • 1. claude heymann Le 10/02/2017
    Bonjour,

    Petite précision historique, qui ne remet pas en cause
    l'interet de ce commentaire bien écrit, R.M.Sim'ha est né certes au XIXème siècle mais il a vécu dans le premier tiers du siècle suivant.
    Gut chabess
    Claude Heymann
  • Julien Bensusan
    • 2. Julien Bensusan Le 09/02/2017
    Merci Frison pour ce rappel à la courtoisie, la politesse et le savoir-vivre, qui facilitent grandement la vie en commun.

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