Parasha

  • Faut-il faire attention au regard des autres ?

    Faire attention au regard des autres ?

    Homerer regard

    En arrivant près du Jourdain, juste avant de rentrer en terre d’Israël, les hommes des tribus de Gad et de Réouven interpellent Moïse : « Si nous avons trouvé grâce à tes yeux, que ce pays soit donné en propriété à tes serviteurs ; ne nous fais pas passer le Jourdain » (Nb. 32, 5). Dans un premier temps, leur demande n’est pas motivée. Aussi Moïse se met-il en colère, les suspectant d’avoir peur de la guerre qui les attend.

    C’est alors que ces derniers se justifient : « Nous voulons construire ici des parcs à brebis pour notre bétail (…). Et nous, nous irons en armes devant les bné-Israël, jusqu’à ce que nous les ayons amenés à leur destination (…) » (Nb. 32, 16-17). En entendant ce discours, la colère de Moïse s’atténue, et il les enjoint de faire suivre leurs paroles par des actes concrets, afin d’être « quittes envers D.ieu et envers Israël » (Nb. 32, 22).

    Cette recommandation a une portée pratique dans la Halakha. Par exemple, les responsables communautaires chargés de ramasser la tsédaka ne doivent pas laisser peser de suspicion sur eux (Yoré Déa 257, 1). Ou encore, si le Dayan (juge rabbinique) constate que l’une des parties d’un procès le soupçonne d’avoir favorisé injustement l’autre partie, il doit aller vers lui pour expliquer les motivations de sa décision (‘Hochen Michpat 14, 4).

    D’une manière générale, il existe une obligation pour chacun de ne pas laisser germer dans les esprits l’idée d’un comportement incorrect (Chékalim 3, 2). C’est là une spécificité de la Torah qui étonne ceux qui la découvrent : L’avis des autres est important. On aurait pu penser qu’il suffit d’être honnête avec D.ieu et avec soi-même… Mais non : le respect de la Torah ne s’envisage qu’en société. Or, pour le bon fonctionnement du groupe, il importe d’écarter les images négatives projetées sur les uns ou les autres.

    Toutefois, on constate que Moïse, demandant ici aux tribus de Gad et de Réouven d’agir afin ôter toute suspicion pesant sur eux, est lui-même la cible d’accusations diverses. En effet, il est suspecté d’avoir des relations interdites avec des femmes mariées ; ou encore, de tirer profit de sa position pour s’enrichir (cf. Sanhédrin 110a ; Shémote Rabba 51, 6).

    Est-ce à dire que Moïse lui-même n’aurait pas fait attention à son comportement, provoquant ainsi cette suspicion ? La réponse se trouve dans l’appellation de ceux qui le critiquent : « les railleurs de la génération ». Même en faisant attention au regard des autres, il y a toujours certaines personnes qui sont là uniquement pour critiquer. Or, en agissant de la sorte, ils sèment la zizanie dans le groupe, et s’en excluent de facto.

    Ainsi, l’opinion de ceux qui sont constamment dans la critique importe peu. L’obligation d’avoir une attitude sans ambigüité concerne exclusivement le rapport entretenu vis-à-vis des gens de bonne volonté.


    Yona GHERTMAN

  • La louange de la bouche fermée (Chémini)

    La louange de la bouche fermée

    (paracha chemini)

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    Nous sommes le huitième jour de l’inauguration du Michkan (Tabernacle). La joie est au rendez-vous, matérialisant l’apogée de la relation entre D.ieu et son peuple. C’est ce jour qu’Aharon haCohen et ses fils commencent leurs fonctions sacerdotales. Il faut que tous les anciens d’Israël soient présents, pour qu’il n’y ait aucun doute sur la légitimité d’Aharon en tant que grand prêtre. Aussi tous sont-ils convoqués avant de commencer les festivités, se manifestant surtout par des offrandes grandioses apportées en l’honneur de D.ieu (cf. Rachi sur 9, 1).

    Un feu s’élance de devant D.ieu et consume le sacrifice (9, 24), marquant l’apogée de ces festivités. Alors, « à cette vue, tout le peuple poussa un cri de joie, et ils tombèrent sur leurs faces » (Ibid.). On retrouve dans ce dernier verset deux éléments devant être en symbiose : l’extase (« cri de joie ») et la crainte de D.ieu (« ils tombèrent sur leurs faces »).

    Malheureusement, c’est l’aspect de rigueur qui prévaut par la suite, puisque les fils d’Aharon, Nadav et Avihou, meurent en apportant leur offrande. Plusieurs raisons sont proposées par nos maîtres, alors que le texte témoigne simplement qu’ils apportent « un feu étranger qu’Hachem n’avait pas exigé » (10, 1). C’est que la pratique de la Torah doit se faire dans la joie, mais elle doit être cadrée et s’inscrire pleinement dans le respect des injonctions divines. Malgré la terrible perte de ses fils, Aharon reste digne et ne dit rien. Il importe désormais d’avancer, même si la douleur reste vivace, et d’apprendre les règles relatives au culte des Cohanim (les prêtres). Un débat se fait d’ailleurs entendre entre Moïse et ces derniers. Fait marquant, bien que Moïse soit incontestablement l’autorité spirituelle supérieure, le texte témoigne : « Moïse entendit » (10, 20). Et Rachi de préciser : « Il reconnut (son erreur) et n’eut pas honte de dire : Je ne l’avais pas entendu ».

    Après cet épisode, le texte stipule : « L’Eternel parla à Moïse et à Aharon, en leur disant : ‘Parlez ainsi aux enfants d’Israël : Voici les animaux que vous pouvez manger’ » (11, 1-2). Il s’agit de la première occurrence des lois concernant l’alimentation : la cacheroute. Rachi note que l’expression « en leur disant » fait référence aux fils d’Aharon restés en vie après l’inauguration du huitième jour, El’azar et Ithamar : « L’Eternel fit d’eux tous également ses messagers pour transmettre cette parole, parce qu’ils avaient gardé le silence, et accueilli avec amour le décret divin lors de la mort de Nadav et Avihou ». Le point commun entre ce passage et ce qui précède n’est autre que ‘la bouche’. La grandeur est de savoir la garder fermée, aussi bien par le silence, qu’en s’abstenant des aliments interdits.

     

    Yona GHERTMAN

  • La louange de la bouche fermée (Chémini)

    La louange de la bouche fermée

    (paracha chemini)

     

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    Nous sommes le huitième jour de l’inauguration du Michkan (Tabernacle). La joie est au rendez-vous, matérialisant l’apogée de la relation entre D.ieu et son peuple. C’est ce jour qu’Aharon haCohen et ses fils commencent leurs fonctions sacerdotales. Il faut que tous les anciens d’Israël soient présents, pour qu’il n’y ait aucun doute sur la légitimité d’Aharon en tant que grand prêtre. Aussi tous sont-ils convoqués avant de commencer les festivités, se manifestant surtout par des offrandes grandioses apportées en l’honneur de D.ieu (cf. Rachi sur 9, 1).

    Un feu s’élance de devant D.ieu et consume le sacrifice (9, 24), marquant l’apogée de ces festivités. Alors, « à cette vue, tout le peuple poussa un cri de joie, et ils tombèrent sur leurs faces » (Ibid.). On retrouve dans ce dernier verset deux éléments devant être en symbiose : l’extase (« cri de joie ») et la crainte de D.ieu (« ils tombèrent sur leurs faces »).

    Malheureusement, c’est l’aspect de rigueur qui prévaut par la suite, puisque les fils d’Aharon, Nadav et Avihou, meurent en apportant leur offrande. Plusieurs raisons sont proposées par nos maîtres, alors que le texte témoigne simplement qu’ils apportent « un feu étranger qu’Hachem n’avait pas exigé » (10, 1). C’est que la pratique de la Torah doit se faire dans la joie, mais elle doit être cadrée et s’inscrire pleinement dans le respect des injonctions divines. Malgré la terrible perte de ses fils, Aharon reste digne et ne dit rien. Il importe désormais d’avancer, même si la douleur reste vivace, et d’apprendre les règles relatives au culte des Cohanim (les prêtres). Un débat se fait d’ailleurs entendre entre Moïse et ces derniers. Fait marquant, bien que Moïse soit incontestablement l’autorité spirituelle supérieure, le texte témoigne : « Moïse entendit » (10, 20). Et Rachi de préciser : « Il reconnut (son erreur) et n’eut pas honte de dire : Je ne l’avais pas entendu ».

    Après cet épisode, le texte stipule : « L’Eternel parla à Moïse et à Aharon, en leur disant : ‘Parlez ainsi aux enfants d’Israël : Voici les animaux que vous pouvez manger’ » (11, 1-2). Il s’agit de la première occurrence des lois concernant l’alimentation : la cacheroute. Rachi note que l’expression « en leur disant » fait référence aux fils d’Aharon restés en vie après l’inauguration du huitième jour, El’azar et Ithamar : « L’Eternel fit d’eux tous également ses messagers pour transmettre cette parole, parce qu’ils avaient gardé le silence, et accueilli avec amour le décret divin lors de la mort de Nadav et Avihou ». Le point commun entre ce passage et ce qui précède n’est autre que ‘la bouche’. La grandeur est de savoir la garder fermée, aussi bien par le silence, qu’en s’abstenant des aliments interdits.

    Yona GHERTMAN

  • La lumière et les ondes positives (Tetsavé)

    Les ondes positives transmises par la lumière

    (Tetsavé)

    Fe0029 hanouka fiole

    « Et toi, ordonne aux bné-Israël, et qu’ils prennent pour toi de l’huile d’olive pure concassée pour le luminaire, afin de faire monter en permanence la flamme » (Ex. 27, 20)

    L’utilisation de l’huile d’olive pure concassée pour la Ménorah (candélabre) permet d’assurer la meilleure lumière possible. On retrouve une idée similaire, liée à l’olivier, lors de la sortie de l’arche de Noé : « Et la colombe revint vers lui le soir, avec une branche d’olivier arrachée dans son bec » (Gen. 8, 11).

    Le Kéli Yakar (R. Salomon Ephraim de Luntschitz, 1550-1619 Europe de l’Est) s’interroge : Pourquoi préciser que la colombe est revenue le soir ? Il répond que la branche d’olivier rapportée a un autre objectif que de montrer la diminution des eaux. Il s’agit de la plante permettant de produire la meilleure lumière grâce à son huile. La colombe permet donc d’amener la lumière à la sortie de l’arche, alors que Noa’h, sa famille et les autres animaux étaient dans le noir. Le Midrash appuie cette explication : « De même que la colombe a apporté la lumière sur le monde, vous aussi vous apporterez de l’huile d’olive et vous allumerez devant moi… ».

    Par ailleurs, il est enseigné dans le Talmud : « Entre les bougies de ‘Hanoukah et celles du Shabbat, il est évident que celles du Shabbat ont priorité en raison du Shalom-baït (paix familiale) » (Shabbat 23b).  Dans un premier commentaire sur ce passage, Rachi explique qu’il est question d’un pauvre n’ayant pas assez d’argent pour acheter les bougies de Shabbat et celles de ‘Hanoukah. S’il est obligé de choisir entre les deux, il doit privilégier celles de Shabbat. Dans le commentaire suivant, Rachi explicite l’idée de fond : [« En raison du Shalom-baït »] : « (…) car les gens de la maison souffrent de devoir s’asseoir dans le noir ». Il explicite son propos par ailleurs : «Lorsqu’il n’y a pas de bougie, il n’y a pas de paix, car il ne cesse de trébucher lorsqu’il marche dans l’obscurité » (commentaire sur Shabbat 25b).

    Ainsi, la lumière est associée à la paix. Pour être en paix, il faut être capable de bien voir. Une maison bien éclairée apporte des ondes positives. A l’inverse, l’obscurité augmente les tensions. Si l’on mange dans le noir le repas de Shabbat, et que l’on ne voit rien au moment de ranger la table, cela risque de mal se passer. Si l’on n’est pas éclairé dans le salon afin de lire tranquillement une fois le repas terminé, cela va diminuer le plaisir du Shabbat, et risquer encore de provoquer des disputes inutiles.

    L’obscurité empêche de voir ce qui nous attend, augmentant le stress, et risquant de provoquer de la tension. A l’inverse, la lumière permet de voir clairement les choses. Or, une perception juste de ce que l’on voit permet d’avancer dans la sérénité.

    Yona GHERTMAN

  • La libération d'Egypte : un enjeu universel

    La libération d’Egypte : Un enjeu universel

    Paracha Bo

    Sortie d egypte

     

    Alors que les plaies ont commencé à s’abattre sur l’Egypte, Moché continue à visiter le Pharaon pour lui demander de laisser partir son peuple. La nouvelle menace est celle des sauterelles.  Elles s’attaquent à toute la verdure épargnée par la plaie de la grêle.  Une nouvelle fois, le Pharaon supplie Moché et Aharon afin qu’ils intercèdent en sa faveur, promettant qu’il ne recommencera pas. Selon le Midrash, le roi Salomon met en garde contre ce type de personnalité changeante, lorsqu’il parle des hommes « aux paroles inversées » (Michelé 2, 12 ; Yalkoute Shimoni). En effet, dès la plaie écartée, il change d’avis et ne renvoie pas les Bné-Israël. Certes, le texte témoigne à plusieurs reprises que D.ieu « endurcit son cœur ». Néanmoins, comme l’enseignent nos maîtres, D.ieu emmène l’homme là où il veut aller (Makote 10b).

    La plaie suivante est celle des ténèbres. Elle marque le point de non-retour entre le Pharaon et les Hébreux. Alors que le chef de l’Egypte renvoie Moché avec colère, le menaçant de mort, celui-ci lui répond avec un ton aussi glacial que prémonitoire : « C’est comme tu l’as dit, je ne reverrai plus ta face » (10, 29). C’est ainsi que nous arrivons vers le dénouement de l’esclavage en Egypte, avec l’annonce de la plaie des premiers-nés. Un regard précis sur le texte nous montre que l’enjeu des plaies est de démontrer la puissance d’Hachem, et prouver ainsi qu’un homme, aussi puissant soit-il, ne peut agir à sa guise envers ses prochains. En effet, D.ieu annonce que les Hébreux partiront avec des richesses, car le peuple égyptien respecte le combat de Moché. Par ailleurs, les midrashim font état de révoltes des Egyptiens contre le Pharaon lors de l’annonce de cette dernière et terrible plaie.

    Il  y a donc dans cette paracha le passage entre un enjeu universel (le refus catégorique de la tyrannie) et un enjeu particulier (la formation du peuple juif se libérant de l’esclavage). D.ieu demande aux bné-Israël de sacrifier l’agneau pascal, et de quitter l’Egypte sans laisser le temps au pain de lever. Ces gestes ne sont pas ponctuels, ils doivent se perpétuer à chaque génération. La nuit de la sortie d’Egypte se répète chaque année, avec des gestes précis inscrits dans le Shoul’han ‘Aroukh, le code de loi du judaïsme. Au-delà de l’histoire juive, la libération vient donc se graver dans la loi. Notre paracha  se conclue par la mitsva de consacrer à D.ieu tout premier-né (car ces derniers ont été épargnés en Egypte) ; et par une première présentation de la mitsva des téfilines. Chaque jour profane, les hommes juifs attachent ces lanières de cuir autour de leur bras et sur leur tête. Ils rappellent ainsi l’attachement profond entre D.ieu et son peuple, tel qu’Il l’a prouvé par la libération d’Egypte. 

    Yona GHERTMAN

  • Le conflit des générations (Vayé'hi)

    Le conflit des générations

    Vayé’hi

    Conflit des generations

     

    « Israël vit les fils de Yossef, et il dit : Qui sont-ils ? » (Béréchit 48, 8)

    A la fin de sa vie, le patriarche Ya’akov s’apprête à bénir sa famille, en commençant par ses petits-enfants, Ephraïm et Ménashé. Lorsqu’il voit ces derniers, il interroge leur père sur leur identité. Les commentateurs remarquent une contradiction : S’il les voit, pourquoi demander qui sont-ils ? En effet, cette scène se déroule la dernière année de la vie de Ya’akov, dix-sept ans après son arrivée en Egypte (47, 28). N’a-t-il pas eu le temps de connaître ses petits-enfants ? De plus, même si sa vue s’affaiblit (verset 10), n’est-il pas évident qui sont les deux jeunes gens qui accompagnent Yossef, alors qu’il vient voir son père dans ses derniers instants de vie ? Enfin, selon le midrash enseignant qu’Ephraïm étudiait constamment la Torah auprès de son grand-père[1], il est inconcevable qu’il ne le reconnaisse pas.

    Parmi les réponses proposées, examinons celle du Malbim :

    « Les habits des hébreux étaient différents des habits égyptiens. Or, Yossef, qui était proche de la royauté, ainsi que ses enfants, portaient des habits de princes ; ainsi qu’il est écrit à propos [des gens] de la maison de Rabban Gamliel qui s’habillaient différemment [des autres juifs], car ils étaient proches du pouvoir. Et c’est à ce sujet que Ya’akov s’étonne en disant : ‘Qui sont ceux-là ?’. Alors Yossef lui répond : ‘Ce sont mes fils, ils sont des justes et des craignant Dieu ; et si tu les vois habillés avec des habits différents [de ceux des hébreux] c’est car Hachem m’a mis ici. Ils sont nés dans cet endroit, aussi le contexte dans lequel ils évoluent impose cette manière de s’habiller’ ».

    Avant de réfléchir sur le fond de cette réponse, posons une question évidente : Si le patriarche avait l’habitude de voir ses petits-fils durant ces dix-sept années passées en Egypte, pourquoi ne remarque-t-il que maintenant cette manière de se vêtir ?

    On peut expliquer que Ya’akov avait déjà remarqué ces tenues vestimentaires peu à son goût, mais qu’il attendait le moment opportun pour le souligner. En effet, il procède de la sorte avec Réouven, Shimon et Lévy, attendant d’être sur son lit de mort pour les bénir. Or, cette « bénédiction » se confond pour beaucoup avec une réprimande liée aux épisodes du passé (cf. 49, 3-7)[2].

    Une fois cette précision apportée, revenons sur le commentaire du Malbim : Le Grand-père a toujours éduqué ses enfants avec une certaine spécificité liée à leur identité. On apprend depuis l’époque d’Abraham qu’il y a des unions interdites et une certaine conduite à tenir pour les membres de cette famille si spéciale. Ya’akov a quitté Lavan, puis ‘Essav afin de suivre son propre chemin. Il n’est plus Ya’akov désormais, mais « Israël ». C’est d’ailleurs ainsi qu’il est nommé dans notre verset, alors qu’il remarque une anomalie chez ses petits-enfants. C’est qu’un membre des « Bné-Israël » doit se caractériser comme tel. Bien que proches du vice-roi d’Egypte, ils se séparent des Egyptiens, en choisissant de vivre dans une province séparée, à Goshen[6].

    Et voilà que le Patriarche voit ses petits-enfants habillés à la mode égyptienne ! Pour l’ancien de la famille, attaché à ses traditions spécifiques, une telle chose n’est pas tolérable. Aussi avant de les bénir, se permet-il de lancer une réprimande à l’égard de son fils : « La tradition doit être respectée, cette manière de se vêtir comme des Egyptiens est incorrecte ! ». Yossef lui répond alors qu’il y a une raison particulière à cela : Ils vivent au contact des membres du palais. Socialement parlant, eu égard à leur statut, ils doivent s’habiller comme les nobles. Ce n’est pas un manquement à la tradition, mais une nécessité contextuelle.

    Au-delà de la question du rapport avec le pouvoir, on peut lire à travers ces lignes une description du conflit générationnel qui transcende toutes les époques. Les Grands-parents viennent d’Afrique-du-Nord, ou d’Europe de l’Est. Pour ceux qui ont gardé leurs coutumes et ne se sont pas assimilés en arrivant en France, l’habit est important. Il en va de même en ce qui concerne la cuisine traditionnelle, la manière d’étudier, les chants accompagnant la Téfilah, etc. 

    Cependant, les jeunes générations arrivent avec d’autres habitudes, et avec une apparence souvent contraire à ce que les Grands-parents ont connu ! Lorsque le Papy de Bné-Brak arrive à Nice, et qu’il voit son petit-fils avec un jean et des baskets, il peut être profondément choqué, se retourner vers le père du jeune-homme et le réprimander pour cela. Mais Nice n’est pas Bné-Brak, et les générations changent. Baroukh Hachem, on voit aujourd’hui des jeunes hommes qui s’habillent « à la française », mais qui passent leur temps libre au Beth hamidrash, à étudier la Torah. L’enjeu n’est pas ici de savoir s’il faut s’habiller avec une tenue spécifique « d’homme d’étude » ou non[7] ; mais de concevoir le choc générationnel et de comprendre les deux parties.

    Les Grands-parents et les parents réfléchissent et voient le monde en fonction de ce qu’ils ont connu dans leur jeunesse. Les codes sont différents d’une génération à l’autre. Le contexte est primordial. Ce qui se faisait il y a 20 ans peut paraître étonnant de nos jours. Des pratiques habituelles dans telle contrée peuvent surprendre par ailleurs. L’identité juive s’adapte en fonction des lieux et des époques, et l’idée que l’on s’en fait s’ancre tellement en nous, qu’elle rend difficile de concevoir d’autres manières d’agir.

    Pour revenir à notre paracha, on a donc ici une confrontation entre Ya’akov et Yossef. Le premier parle avec ses codes, ses valeurs, et l’expérience du contexte dans lequel il a évolué. Près d’Essav, il avait besoin de se montrer différent et d’exprimer sa spécificité. Il en est de même chez Lavan, puis par la suite lorsqu’il s’installe en terre de Canaan avec sa famille. Sa séparation de l’entourage environnant constituait sa bulle de survie. Tout différent est le parcours de Yossef. C’est précisément son intégration dans la société Egyptienne qui va provoquer son ascension, et son rapprochement avec sa famille. De son point de vue, et de celui de ses fils, l’intégration n’est pas synonyme d’assimilation, elle se conjugue parfaitement avec le respect des traditions paternelles.

    En suivant cette lecture de ce dialogue entre Ya’akov et son fils, il est remarquable que Ya’akov accepte finalement le discours de Yossef. Plus encore, il va finalement bénir Ephraïm et Ménashé en les considérants comme les représentants de tous les futurs enfants juifs[8]. N’est-ce pas un formidable message à l’adresse des Grands-parents et des parents, les incitants à chercher l’essentiel pour leurs enfants : Qu’ils arrivent à rester profondément respectueux de la Torah et les mitsvote, tout en sachant s’adapter au contexte dans lequel ils évoluent ?[9]

     

    Yona GHERTMAN

     

    [1] Midrash Tan’houma, rapporté par Rachi sur 48, 1.

    [2] De même Moshé Rabbénou lors des bénédictions qu’il adresse aux tribus à la fin de sa vie. Cf. le Sifré cité par le Rav Elie Munk z’’l dans La Voix de la Torah sur Devarim 33, 1, p.359 : « C’est la dernière journée de Moïse. Devant le grand vieillard défilent toutes les tribus de ce peuple auquel il a consacré sa vie. Aux chefs des tribus rassemblés autour de lui, Moïse adresse des paroles où, à l’instar de Jacob, il mêle des avertissements aux bénédictions (…). C’est en vertu de quatre raisons que le père doit laisser ses avertissements jusque peu avant sa mort. Ces quatre raisons sont : 1°) de ne pas être obligé de recommencer à réprimander une seconde fois ; 2°) de ne pas livrer celui qui a reçu la réprimande à l’humiliation publique devant les autres ; 3°) de ne pas semer la rancune contre lui ; enfin 4°) de ne pas risquer de le voir abandonné au point de se rendre chez un autre maître (…) ».

    [6] Béréchit 46, 28 à 47, 6.

    [8] Cf. Béréchit 48, 20 et Rachi.

    [9] Cf. ce qu’écrit le Rav Elie Munk z’’l à ce propos, dans La Voix de la Torah, op. cit., pp.495-496

  • Les conséquences des non-dits

    Les conséquences des non-dits dans une discussion

    Mikets

    Communication

     

    « Réouven dit à son père : ‘Fais mourir mes deux fils si je ne te le ramène ! Confie-le à mes mains, et je le ramènerai près de toi’ » (Béréchit 42, 37)

    Alors que la famine sévit en terre de Kénaan, Ya’akov envoie ses fils chercher du blé en Egypte. Ils se trouvent alors confrontés à Yossef, devenu vice-roi du pays, mais ils ne le reconnaissent pas.  En revanche, ce dernier les reconnaît, et décide pour l’instant de ne pas dévoiler sa véritable identité. Il profite alors de sa position pour les accuser d’être des espions, et pour recevoir des informations sur son père et son frère cadet (Binyamin). En effet, Ya’akov ayant déjà perdu Yossef (puisqu’il le croyait mort), il ne voulait pas envoyer Binyamin (son autre fils né de Ra’hel) avec ses frères.

    Cependant, Yossef se montre catégorique : La seule manière pour ses frères de prouver leur honnêteté est de retourner en terre de Kénaan, et de ramener Binyamin auprès de lui. Profondément attristés par cette demande, et par le fait que Shim’on (l’un des frères) soit gardé en otage pendant ce temps, les frères retournent donc auprès de Ya’akov pour lui expliquer la situation. Dans un premier temps, le patriarche refuse qu’ils amènent Binyamin avec eux. C’est alors que Réouven prend la parole en faisant cette proposition à priori étonnante : « Fais mourir mes deux fils si je ne te le ramène ! ».

    Ya’akov refuse cette proposition, et Rachi se fait écho de la raison de ce refus : «Il n’a pas accepté les paroles de Réouven. Il a dit : ‘Quel premier-né idiot ! Il parle de faire périr ses fils, mais ne sont-ils que ses fils et pas les miens ?’ »[1].

    Les fils de Réouven sont les petits-fils de Ya’akov. Or, dans la Torah, les termes de « fils », de « petits-fils » ou de « descendants » se rattachent souvent au seul mot « ben ». Ya’akov est appelé également « Israël », et tous ses enfants, petits-enfants et descendants sont donc les « bné-Israël ». Au-delà de cette subtilité de langage, l’idée mise en avant est assez évidente : Ayant déjà perdu un fils de Ra’hel (Yossef) et risquant désormais d’en perdre un second (Binyamin), comment imaginer que la disparition de ses petits-enfants pourrait le réconforter dans une telle éventualité tragique ?!

    Le Rav Baroukh Epstein explique l’intention de Réouven. Se fondant sur un texte talmudique traitant du partage de la terre d’Israël[2], dans lequel le terme « vivre » signifie « acquérir une part de la terre ». Il explique qu’il en va de même à contrario : « Mourir » signifie « perdre son droit sur la terre ».

    Tel était donc le propos de Réouven : « Je m’engage à perdre mon héritage sur la terre si je ne ramène pas Binyamin. Le cas échéant, la part de mes deux fils reviendra aux autres tribus ».

    Présenté de la sorte, le discours de Réouven a donc une logique plus compréhensible. Certes, on peut encore discuter de sa proposition : Un père est-il prêt à déshériter un de ses fils tout en sachant que ses propres petits-fils seront les victimes collatérales de cette action ? L’histoire du droit a bien montré que la question du déshéritement d’un enfant s’est toujours posée. Cela peut nous apparaître choquant aujourd’hui ; mais ce fut jadis admis, et ce l’est encore dans certaines sociétés.

    Cependant, ce n’est pas le débat qui se joue alors. Ya’akov comprend que son fils fait une toute autre proposition, parfaitement illogique : Que ses enfants meurent s’il n’accomplit pas correctement sa mission ! Il réagit donc à ce qu’il croit avoir compris des propos de son fils, mais non à son discours réel.

    Dès lors, pourquoi Réouven ne lui explique-t-il pas le fond de sa pensée ? Pourquoi laisser son père croire qu’il est face à un idiot ?

    Pour répondre, reprenons le commentaire de Rachi : «Il n’a pas accepté les paroles de Réouven. Il a dit : ‘Quel premier-né idiot ! Il parle de faire périr ses fils, mais ne sont-ils que ses fils et pas les miens ?’ ».

    A qui Ya’akov parle-t-il ici ?

    C’est là tout le drame de cette historie : Réouven ne sait pas que Ya’akov a mal compris ses propos, car son père ne parle pas à voix haute. Il ne parle à personne, mais uniquement en son for intérieur[3]. Aussi Réouven pense-t-il que son père a parfaitement saisi l’enjeu mis en avant : l’héritage. Dès lors, il n’est plus nécessaire d’argumenter une fois sa proposition avancée, puis refusée.

    Or, si Ya’akov avait parlé à son fils… S’il avait mentionné à voix haute son opinion quant à ce qu’il imaginait être la proposition de Réouven ; il est fort probable que ce dernier l’aurait alors repris : « Papa, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je ne parlais pas de la mort de mes enfants au sens propre, ‘has véShalom ! Mais de l’éventualité que je sois déshérité – et eux aussi par la même occasion – si je ne ramène pas Binyamin vivant ».

    Dans une discussion, un non-dit peut changer énormément de choses. A partir de cet instant, Yéhouda prend complètement le relais, et s’impose désormais comme le représentant de tous les frères face à Yossef. Mais plus encore, les fils de Yossef, Ephraïm et Ménashé, récupèrent finalement la double part du droit d’aînesse sensée échoir à Réouven…

     

    Le non-dit peut avoir des conséquences immenses. Du jour au lendemain, on découvre qu’une de nos connaissances ne nous dit plus bonjour. On ne comprend pas pourquoi, puis on apprend dix ans plus tard qu’on est une fois passé près de lui sans le voir, et que cela a été perçu comme un snobisme volontaire.

     Ou encore : On appelle sans cesse une personne et on tombe constamment sur son répondeur. On se dit que c’est quelqu’un de très occupé qui ne sait pas bien gérer son temps car il oublie toujours de rappeler. Puis on se rend compte au bout de plusieurs mois que le numéro de téléphone n’est pas le bon… Les exemples ne manquent pas, et illustrent tous la même idée : Il faut parler en face à face.

    C’est d’ailleurs une leçon que j’ai apprise du Grand Rabbin de France ‘Haïm Korsia : Lorsque la situation est tendue, on n’envoie pas un sms, encore moins un e-mail, et encore moins une lettre recommandée avec accusé de réception. Si la personne est à l’autre bout du monde, alors on l’appelle au téléphone ou on organise une visioconférence. Mais si la personne n’habite pas au bout du monde, alors on s’organise dans notre emploi du temps pour aller lui parler en face, et surtout, on dit tout ce qu’on a à dire.

    En effet, la lecture de la discussion, et de ses non-dits entre Ya’akov et Réouven, montre que l’absence de communication existe même dans un échange de visu. On entend une remarque, on ne réagit pas, puis tout se dit dans la tête. Or, si on fait part à notre interlocuteur du dérangement causé par sa parole, on peut éventuellement s'appercevoir que ses remarques sont mal comprises… Ce qui peut alors changer notre appréciation de l'autre.

     

    Yona GHERTMAN

     

    [1] Commentaire sur le verset 38.

    [2] Baba Bathra 118b

    [3] Lorsque Réouven parle à son père, le verset montre qu’il s’adresse précisément à lui : « Et Réouven dit vers son père (…) » (43, 37). Cependant au verset suivant, Ya’akov ne répond pas à son fils : « Et il dit : Mon fils n’ira pas avec vous » (au lieu de « Et il lui dit : Mon fils n’ira pas avec vous »). Cette dissymétrie dans le dialogue nous laisse penser que Ya’akov ne s’adresse pas directement à Réouven, ce qui explique pourquoi ce dernier ne l’entend pas. De même dans les mots de Rachi : « Il n’a pas accepté les paroles de Réouven. Il a dit (…) » au lieu de : « Il n’a pas accepté les paroles de Réouven. Il lui a dit (…) ».

  • A propos de l'éducation des jeunes-filles...

    Les jeunes-filles doivent-elles sortir

    ou bien rester cloîtrées à la maison ?

    Paracha Vaychla’h

    Coffre

     

    « Or, Dina, la fille que Léa avait enfantée à Ya’akov, sortit pour faire connaissance avec les filles du pays » (Béréchit 34, 1)

    Après avoir affronté « l’ange d’Essav », Ya’akov s’installe à Shékhem avec sa famille. A peine arrivés, sa fille (Dina) sort et se fait remarquer par Shékhem, le fils du gouverneur du pays, qui la kidnappe et la viole. Rachi commente : « [Elle est appelée à ce moment] ‘la fille de Léa’, et non ‘la fille de Ya’akov’, car elle est ‘sortie’ ; ainsi qu’il est dit : ‘Et Léa sortit à sa rencontre’[1] ; et à ce propos existe un proverbe : ‘telle mère, telle fille’ ».

    Ce commentaire est étonnant à plus d’un titre[2]. Premièrement, dans le cas de Léa, l’initiative de sortir était dans un objectif noble : Elle allait à la rencontre de son mari, dans l’optique de s’unir à lui afin de pouvoir avoir un autre enfant. Rachi lui-même loue sur place la démarche de Léa : « Le Saint, béni soit-Il l’aida, car Issakhar fut conçu là-bas ». Or, dans le cas de Dina, l’objectif de la sortie est complètement différent. Elle sort simplement « pour faire connaissance avec les filles du pays ».

    De plus, la manière dont Rachi amène son propos laisse entendre que sa sortie fut la cause de ce qui lui arriva. Une telle compréhension des évènements semble exagérée : Certes, Dina ne sortait pas nécessairement pour accomplir une mitsva, mais elle ne sortait pas non plus pour accomplir une action négative !

     Si le verset avait mentionné qu’elle était sortie pour rencontrer « les hommes du pays », on aurait pu comprendre ce ton accusateur transparent dans le commentaire de Rachi. Or, c’est naturellement vers « les filles du pays » qu’elle se tourne, ce qui est parfaitement compréhensible : Dina est la seule jeune fille de la fratrie, elle ressent naturellement le besoin de rencontrer d’autres jeunes filles, plutôt que de ne rester qu’avec ses frères[3].

    Mais surtout, si Rachi nous laisse ici avec l’impression que Dina a été kidnappée car elle n’aurait pas dû sortir, il donne par ailleurs une autre raison. En effet, lors de la rencontre entre Essav et Ya’akov, le texte stipule : « Il se leva, quant à lui, pendant la nuit ; il prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants et passa le gué de Jacob » (32, 23). Et le maître champenois de commenter alors : « Et Dina, où était-elle ? Ya‘akov l’avait enfermée dans une caisse verrouillée pour que ‘Essav ne puisse porter ses regards sur elle. Et il a été puni pour l’avoir ainsi refusée à son frère. Peut-être l’aurait-elle ramené vers le bien ! On sait qu’elle est tombée par la suite entre les mains de Chekhem».

    En synthétisant, on remarque que Rachi donne deux raisons totalement opposées expliquant le sort malheureux de Dina :

    1/ Elle n’aurait pas dû sortir

    2. Elle n’aurait pas du être enfermée

    En réalité, il y a également une troisième raison qui ne nous intéresse pas dans le cadre de notre sujet[4]. Les commentateurs de Rachi expliquent simplement qu’il arrive que plusieurs causes complémentaires soient avancées pour expliquer un évènement[5]

    Mais est-ce vraiment possible d’adopter cette méthodologie aux deux premières raisons mentionnées ?

    Evidemment, derrière cette question quelque peu « technique », une problématique sociétale de fond est soulevée : Comment les pères doivent-ils se comporter concernant l’éducation de leurs filles ? Doivent-ils les préserver totalement du monde extérieur ; ou bien doivent-ils les laisser découvrir ce qui existe en dehors de leur maison ?

    Dans le Talmud[6], on retrouve un débat faisant écho à notre sujet, concernant l’attitude du mari envers son épouse. Trois comportements différents sont énoncés :

    1/ Celui qui enferme son épouse chez lui avant de sortir

    2/ Celui qui laisse son épouse avoir une vie sociale avec ses proches

    3/ Celui qui voit sa femme sortir habillée d’une manière indécente et ne lui dit rien

    Alors que le second comportement mentionné est considéré comme sain, les deux autres sont fermement critiqués. Si le silence du mari devant le comportement indécent de son épouse laisse présager un adultère, c’est également le cas de celui qui se conduit en geôlier avec elle. En effet, à force d’être privée de toute vie sociale, cette dernière va fomenter de la haine contre son mari, et risquera ainsi de le tromper si elle rencontre un jour un homme aimable et avenant[7].

    Tel est l’esprit général de la Torah : Eviter les excès et s’orienter vers la voie du milieu[8]. C’est pourquoi le Talmud préconise au mari de laisser son épouse avoir une vie sociale et fréquenter ses proches, tant que cela se déroule avec décence.

    Il en va de même en ce qui concerne l’éducation d’une jeune-fille. Il est périlleux de la laisser sortir constamment, sans avoir de regard sur ce qu’elle fait. Les hommes de la rue sont souvent sans scrupules et sans respect pour la gente féminine. Certes, Dina voulait aller voir d’autres filles. Mais dans la rue il y a des hommes, et ces derniers peuvent être mal intentionnés.

    D’un autre côté, tenter de la garder constamment à la maison va créer chez elle une grande frustration. Sa frustration va grandir au fur et à mesure, jusqu’au jour où elle risque de partir pour de bon et se retrouver livrée au monde extérieur, hostile envers celles qui n’y sont pas préparées. C’est malheureusement ainsi que naît l’idée de fuguer chez les adolescentes concernées. Elles souffrent d’être constamment prises pour des petites filles à qui on refuse toute autonomie, jusqu’au jour où elles vont vouloir devenir libres contre l’avis de leurs parents. Hachem ishmor.

    Il est une nouvelle fois remarquable que la Torah, à travers les commentaires de nos maîtres, se confronte à des enjeux modernes et y apporte une réponse pleine de bon sens. Lorsqu’on est parent, il est très dur d’éduquer nos enfants, car le curseur du juste-milieu est difficile à atteindre. Si l’on se montre trop strict en les restreignant dans leur autonomie, on risque d’aller à l’encontre de drames familiaux. Cependant, si l’on se montre un tant soi peu trop ouvert en leur accordant un peu trop de liberté, le risque est identique.

     Lorsque cela concerne l’éducation des jeunes filles, il y a en plus le risque de les laisser confrontées aux « prédateurs humains » qui sévissent dans la rue. Combien de femmes ressentent un sentiment d’insécurité lorsqu’elles marchent dans une rue peu fréquentée en soirée ? Il s’agit d’un réel problème. Il n’est pas du tout évident pour des parents d’expliquer cela à leurs filles, passées depuis peu de l’enfance à l’adolescence. Ces dernières voient encore le monde avec des yeux d’enfants, alors que les prédateurs humains les voient elles-mêmes comme des femmes…

    Rigidité et permissivité sont donc deux attitudes à bannir, car nocives pour l’éducation des jeunes filles[9]. Les parents doivent leur permettre d’avoir une vie sociale en restant dans la décence, sans excès, et sans se sentir brimées. Encore une fois, il s’agit d’une recommandation plus facile à écrire qu’à mettre en œuvre…

     

    [1] Béréchit 30, 16. Ra’hel et Léa se disputaient alors leur mari ; et Léa prit l’initiative d’aller à sa rencontre car elle avait obtenu de sa sœur la permission de prendre son tour dans la tente de leur mari.

    [2] Les deux premières remarques qui suivent sont inspirées du commentaire d’Abrabanel sur ce passage (réponse à sa question n°4).

    [4] Ya’akov aurait dû retourner tout de suite à Beth-El après la rencontre avec ‘Essav, plutôt que de s’attarder en chemin à Shékhem (cf. Rachi sur Béréchit 35, 1).

    [5] Cf. Gour Arié et R. ‘Ovadiah mi Barténoura sur les versets cités.

    [6] Guittin 90 a-b

    [7] D’après le commentaire de Rachi sur Ibid., s. v. « Papus ben Yéhouda ».

    [8]Cf. Rambam, Hilkhote Déote, chapitre 1.

    [9] Et aussi des jeunes hommes, bien que l’enjeu ne soit pas le même, notre propos partant d’une réflexion sur Dina, et plus généralement sur l’éducation des jeunes filles.

  • Les conséquences de la cupidité (vayétsé)

       Les conséquences de la cupidité

    sur la confiance des enfants envers les parents

    Paracha Vayétsé

     

    Cupidite

    « Ra’hel et Léa répondirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas considérées comme des étrangères à ses yeux ? Car il nous a vendues et il a consumé notre patrimoine» (Béréchit 31, 14-15)

    Contraint d’habiter chez son oncle Lavan (le frère de Rivka), Ya’akov s’aperçoit vite de la fourberie de ce dernier. Alors qu’il consent à lui accorder sa fille cadette (Ra’hel) comme épouse, en échange d’un travail gratuit durant sept années, il met en place un stratagème pour que Ya’akov épouse finalement l’aînée (Léa). Ya’akov doit donc travailler sept années supplémentaires pour se marier avec l’élue de son cœur. Après avoir épousé les deux sœurs au terme de quatorze années de labeur, Lavan fait tout pour que Ya’akov, ses filles, ses servantes et les enfants nés entre temps, restent habiter chez lui. Son patrimoine ne fait qu’augmenter grâce à la bénédiction divine reposant sur son neveu et gendre. Lorsque Ya’akov comprend définitivement que le temps de partir et de donner sa propre direction à son foyer est arrivé, il s’adresse alors à Ra’hel et Léa en leur expliquant que ce départ de chez leur père - nécessairement créateur de conflits - est pour lui la seule alternative.

    Ces dernières écoutent son argumentaire, et prennent clairement position pour leur mari, et donc contre leur père : « Ra’hel et Léa répondirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas considérées comme des étrangères à ses yeux ? Car il nous a vendues et il a consumé notre patrimoine».

    Comment une relation entre père et filles peut-elle atteindre un tel point de non-retour ? N’est-ce pas dramatique et glaçant d’imaginer des filles percevoir ainsi leur père ? Il est d’ailleurs particulièrement frappant que Lavan lui-même semble garder une forte affection pour ses filles. En effet, après avoir poursuivi Ya’akov, et avoir aperçu Hachem le mettant en garde de ne pas l’attaquer, Lavan concède de le laisser partir et conclut un pacte avec lui. Quelle est alors sa condition exigée de son côté ? Le texte répond explicitement : « Que Dieu regarde entre toi et moi, alors que nous serons cachés l’un à l’autre. Si tu humiliais mes filles ; si tu associais d’autres épouses à mes filles… nul n’est avec nous ; mais vois ! Dieu est témoin entre toi et moi ! » (31, 49-50). On s’interroge à la lecture de ces versets : Et si la cupidité n’était pas la seule raison de Lavan dans son refus de laisser partir Ya’akov ?

     Allons un peu plus loin, en revenant vers la première rencontre entre Ra’hel et Ya’akov. Après avoir parlé avec son cousin tout récemment rencontré, Ra’hel court avertir son père à propos de cette rencontre (29, 12). Rachi sur place explique : « Etant donné que sa mère était morte, elle ne pouvait le dire qu’à lui ». Habituellement, une fille est proche de sa mère. Cependant, lorsque celle-ci n’est plus là, c’est au père d’assumer désormais ce rôle. Indubitablement, un père élevant seul ses enfants va se rapprocher d’eux. En effet, plus on s’investit pour quelqu’un, plus on l’affectionne. Ainsi, contraint d’assurer son rôle et celui de la mère de ses filles, Lavan a dû nécessairement s’investir plus que la normale. Il est donc profondément attaché à ses filles, il se préoccupe de leur devenir.

    En retournant de nouveau lors de l’épisode relatant la fuite de Ya’akov, on constate que cette préoccupation pour l’autre n’est pas qu’à sens unique. En effet, on apprend dans le texte que  Ra’hel a volé des « idoles» dans la maison de son père (31, 19). Les commentateurs s’interrogent évidemment sur un tel acte de la part d’une femme ayant épousé la vocation monothéiste des patriarches. La réponse apportée par Rachi attire une nouvelle fois notre attention : « Elle avait l’intention d’éloigner son père de l’idolâtrie ». Remarquable ! Bien qu’ayant décidé de choisir son mari plutôt que son père, Ra’hel continue à se préoccuper de ce dernier ! Elle veut qu’il fasse téchouva ; en d’autres termes, elle désire encore son bien.

    D’après ce que nous avons vu précédemment, tout cela semble parfaitement logique : Il y a dans cette famille uni-parentale une affection mutuelle entre le père et ses filles. Lavan veut le meilleur pour elles, et elles aussi, désirent le meilleur pour leur père.

    Dès lors, la question de départ nous interpelle encore davantage : Comment les filles ont-elles pu finalement couper les liens avec leur père ? C’est lui qui s’est occupé d’elles, il y a un amour mutuel entre elles et lui… Comment la famille est-elle arrivée à un tel point de non-retour ?!

    C’est que Ra’hel n’est pas la seule à « courir ». On voit également Lavan courir, mais pour des raisons différentes. Une première fois, alors que Rivka était encore jeune-fille, et qu’Eli’ézer (le serviteur d’Abraham) était allé chercher une femme pour Itz’hak, il lui avait donné des bijoux de la part de son maître. Apprenant l’arrivée d’Eli’ézer, Lavan court alors à sa rencontre. Rachi commente sur place : « Pourquoi court-t-il et à quel propos court-t-il ? Ce fut, lorsqu’il vit la boucle de nez, il dit [en lui-même] : Cet homme est riche. Aussi tourna-t-il ses yeux vers l’argent ». Puis, quelques années plus tard, alors que Ya’akov arrive chez lui, Lavan court à sa rencontre (29, 13). Rachi commente alors dans le même ordre d’idées : « [Lavan] pensait qu’il portait de l’argent, car le serviteur de la maison vint ici avec dix chameaux bien chargés [d’argent et de bijoux] ».

    Lavan ne change pas avec l’âge. Le trait le caractérisant est la cupidité. Il aime l’argent. Il court après l’argent. Toute sa manière de vivre est guidée par un seul but directeur : Gagner plus, et toujours plus. C’est pour cela qu’il essaye de faire travailler Ya’akov gratuitement le plus longtemps possible, et qu’il ne veut pas le laisser partir.

    Néanmoins, nous l’avons montré : Si Lavan est un homme qui aime l’argent, il est aussi un père qui aime ses filles. Dans ce cas, pourquoi jouer avec leurs sentiments en échangeant Ra’hel avec Léa lors des premières noces ?

    C’est que Lavan aime mal ses filles. Il est tellement obsédé par sa course vers l’argent qu’il ne se rend même pas compte du mal qu’il leur fait. Il tient à elles et il veut leur bonheur, comme le démontre son pacte final avec Ya’akov. Un drame se joue ici : Malgré l’amour réciproque entre Lavan et ses filles, son obsession pour l’argent l’aveugle tellement, qu’il adopte un comportement indigne, provoquant l’éloignement définitif de ses filles.

    C’est un mal intemporel que souligne la Torah en filagramme : Les parents peuvent « tuer » leurs enfants à cause de leur obsession pour l’argent. Ils sont tellement obsédés par le profit – notamment car la société pousse dans ce sens – qu’ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à leur progéniture. Cela ne signifie pas que ces parents n’aiment pas leurs enfants, mais qu’ils les aiment mal. Or, la conséquence de mal aimer son enfant peut être terrible. L’enfant ressent lorsque ses parents font passer leur intérêt personnel avant le sien. A long terme, une déception grandit en lui et l’éloigne peu à peu. Dans les cas extrêmes, la suite sera la coupure des relations de la part des enfants. Le pire est que beaucoup de parents vont justifier leur course effrénée en se disant qu’ils font cela « pour la famille ». Alors que de leur côté, les enfants ressentent l’absence du père, toujours occupé à ses affaires, comme une plaie ne cessant de s’agrandir.

    Ainsi, Lavan apparaît précisément comme l’exemple à ne pas suivre pour les parents. Il ne suffit pas d’aimer ses enfants, il faut aussi bien les aimer, ce qui est tout un programme…

     

    Yona GHERTMAN

  • La cause du déluge : la corruption des élites

    La corruption des élites, cause profonde du déluge

     

     

    Maboul

    La description des fautes qui ont entraîné le déluge s'étale sur trois versets :

    בראשית פרשת נח פרק ו פסוק יא - יג

    (יא) וַתִּשָּׁחֵ֥ת הָאָ֖רֶץ לִפְנֵ֣י הָֽאֱלֹהִ֑ים וַתִּמָּלֵ֥א הָאָ֖רֶץ חָמָֽס:

    La terre s'est détruite devant "le elohim" et la terre s'est remplie d’iniquité / « hamas »

    (יב) וַיַּ֧רְא אֱלֹהִ֛ים אֶת־הָאָ֖רֶץ וְהִנֵּ֣ה נִשְׁחָ֑תָה כִּֽי־הִשְׁחִ֧ית כָּל־בָּשָׂ֛ר אֶת־דַּרְכּ֖וֹ עַל־הָאָֽרֶץ: ס

    Elokim a vu la terre, qu'elle s'était détruite, car toute chair avait détruit sa voie sur la terre

    (יג) וַיֹּ֨אמֶר אֱלֹהִ֜ים לְנֹ֗חַ קֵ֤ץ כָּל־בָּשָׂר֙ בָּ֣א לְפָנַ֔י כִּֽי־מָלְאָ֥ה הָאָ֛רֶץ חָמָ֖ס מִפְּנֵיהֶ֑ם וְהִנְנִ֥י מַשְׁחִיתָ֖ם אֶת־הָאָֽרֶץ:

    Elokim dit à Noa'h : La fin de toute chair est venue devant moi, car la terre s'est remplie d'iniquité / « ‘hamas » à cause d'eux, et voici Je vais les détruire avec la terre

    I/ Analyse du texte et questions

    On remarque tout d’abord le nombre de récurrences du mot "la terre" : Il se retrouve à deux reprises par verset, soit six fois dans ces trois versets. Cette répétition provoque une redondance évidente, et laisse penser à une insistance volontaire sur le rôle de "la terre" dans les causes du déluge.

    Une seconde remarque concerne la différence dans la présentation de "Elohim" entre le verset 11 et les deux versets suivants. Dans le premier verset, le mot est précédé d'un article défini, alors que cet article est omis dans les deux suivants.

    Une autre répétition à priori superflue intervient entre le verset 11 et le verset 12. S'il est dit dans le premier que toute la terre s'est détruite "devant le Elohim", n'est-ce pas évident que "Elokim" le voit ? Dans ce cas pourquoi préciser au début du verset suivant : "Elokim a vu la terre, qu'elle s'était détruite".

    De plus, la part entre le "'hamas" (iniquité) et la "destruction de la terre" n'est pas claire. On a l'impression dans le premier verset que "la terre s'est détruite" concerne un comportement spécifique, alors que la "la terre s'est remplie de 'hamas" en concerne un autre. Cependant, au verset suivant, Hachem voit que "la terre s'est détruite", et que toute chair "a détruit sa voie sur terre", mais il n'est plus question de "'hamas". Puis, lorsqu'Hachem parle à Noa'h dans le dernier verset afin de lui expliquer l'imminente destruction du genre humain, il ne met l'accent que sur le 'hamas (iniquité).

    C'est ce qui fera dire à Rachi : "Leur décret n'a été scellé que par le vol". Auparavant, Rachi expliquait sur le verset 11 que l'autre catégorie de crimes commis incluait idolâtrie et relations interdites. Or, la Guemara écrit que le meurtre, l'idolâtrie et les relations interdites sont les "fautes capitales", responsables notamment de la destruction du premier Temple de Jérusalem[1]. Dans ce cas, en quoi le "vol", même s'il est accompagné de violence (car c'est semble-t-il la délimitation du "hamas") prendrait-il le pas face aux deux fautes gravissimes de guilouï arayote (débauche) et 'avoda zara (idolâtrie) ?

    II/ Proposition de lecture cohérente

    Nous proposons d’expliquer tout d’abord que le premier « HaElohim » dont il est question dans le verset 11 n’est pas Hachem, mais la caste des juges et seigneurs dirigeant sur la terre[2].

    L’insistance sur « la terre » rappelle par ailleurs le concept de « derekh-erets », qui au sens large traduit la manière de vivre dans le monde. On constate d’ailleurs qu’au verset 12, les hommes sont accusés d’avoir trahi leur « chemin sur la terre ».

    Ces deux préalables posés, il est alors possible de proposer une lecture cohérente répondant à toutes les questions posées précédemment :

    Pour que la vie sur terre remplisse son objectif, elle doit obéir à deux conditions fondamentales : Le respect de Dieu et de ses règles, ainsi que l’harmonie entre les hommes et les femmes. Mais voilà qu’avec la bénédiction des puissants de ce monde, la débauche et l’idolâtrie ont commencé à devenir légion. Le libertinage étant le réveil des instincts les plus primaires du monde, il prend rapidement une connotation égoïste. Le libertin veut « prendre », et même s’il se donne, c’est en raison de la satisfaction (donc du « prendre ») que cela lui apporte. Le libertinage poussé à son paroxysme aboutit à de la violence, car il faut prendre par la violence celui ou celle qui ne veut pas être pris. Ce système de vie est totalement contradictoire avec le principe de la famille prôné dès la Genèse, mais qu’importe, c’est là qu’intervient l’insertion de l’idolâtrie, dont le seul objectif réel est d’apporter une License à la débauche[3].

    Relisons le verset 11 à la lumière de ces quelques idées :

    Le libertinage a commencé à devenir la norme parmi les hommes avec la bénédiction des juges et des hommes politiques, se cachant derrière les idoles qu’ils s’étaient fabriqués pour asseoir leur pouvoir (= La terre s'est détruite devant "les elohim"). Par conséquent, les rapts avec violence se sont multipliés, toujours sous leurs auspices, car il fallait bien prendre de force les hommes et femmes qui refusaient de se plier à ce système dégénéré (= et la terre s'est remplie d’iniquité/’hamas).

    Le constat d’Hachem concerne donc la cause du mal, c’est-à-dire la volonté de quitter le chemin classique tracé pour les humains évoluant sur la terre, excluant libertinage et idolâtrie, au profit de la famille. C’est la première partie du verset 12 : « Elohim a vu la terre, qu'elle s'était détruite ». Puis, la seconde partie du verset revient sur la systématisation du libertinage, s’étendant à tous les êtres humains, et plus seulement aux puissants de ce monde. Les juges et hommes politiques ont finalement réussi à influencer toute l’humanité (ou du moins ceux qui ont la force d’être parmi ceux qui prennent ou se font prendre par choix) : « car toute chair avait détruit sa voie sur la terre ».

    Cependant, lorsqu’Il va s’adresser à Noa’h, Hachem va mettre l’accent sur les moyens employés qui sont intolérables, car aboutissant à un stade de négation de l’humain incompatible avec le chemin des hommes sur terre. Lisons ainsi le verset 13 « Elohim dit à Noa'h : La fin de toute chair est venue devant moi, car la terre s'est remplie d'iniquité à cause d'eux » 

    = Lorsque les puissants de ce monde usent de violence pour prendre tout ce qu’ils désirent, qu’ils considèrent les hommes et les femmes comme de simples acquisitions leur permettant d’assouvir leurs pulsions sexuelles, alors le chemin de la vie sur terre se trouve bloqué, et eux (les juges et les hommes politiques) en sont la cause.

    D’où la conclusion sans appel qui conclue le verset 13 et notre passage : « et voici Je vais les détruire avec la terre »

    = Le chemin correct pour vivre en harmonie sur terre n’est plus du tout empruntable. Il convient de tout recommencer. Bien que la violence ne soit qu’une conséquence du libertinage cautionné par l’idolâtrie, il s’agissait d’une conséquence inévitable, en raison du travers des puissants qui ont usé de leur ascendance sur le monde pour soumettre la terre et ses habitants à leurs plus bas instincts.

     

     

    Yona GHERTMAN


    [1] Yoma 9a

    [2] Telle est notamment l’explication du Kéli Yakar.

    [3] Cf. Sanhédrin 63a.

  • Le bon fonctionnement d'une entreprise

    Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

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    Le bon fonctionnement d’une entreprise

     

    Dans l’épisode des dix plaies, Moshé et Aharon se retrouvent plusieurs fois devant le Pharaon, en tant que porteurs de la parole de Dieu. Par la suite, après la sortie d’Egypte, leurs rôles se distinguent davantage. Moshé devient celui qui transmet la Torah, alors que les prérogatives de la prêtrise (Kéhouna) reviennent à Aharon. Or, pour l’heure, les deux frères semblent avoir un rôle similaire :

     « Ce sont Aharon et Moshé, à qui Dieu dit: "Faites sortir les enfants d'Israël du pays d'Égypte, selon leurs légions." Ce sont eux qui parlèrent à Pharaon, roi d'Égypte, à l'effet de conduire hors d'Égypte les enfants d'Israël; ce sont Moshé et Aharon (Vaéra 6, 26-27)

    Rachi rapporte une Tossefta : « Parfois Aharon est mentionné avant Moshé, d’autres fois Moshé est mentionné avant Aharon. C’est pour te dire qu’ils étaient équivalents ». 

    Cependant, il est étonnant que les deux frères soient placés sur un pied d’égalité, car d’autres versets de la Torah présentent explicitement Moshé comme ayant un niveau supérieur. En effet, comme le rappelle l’auteur du Torah-Temima, c’est lui qui monte chercher la Torah au mont Sinaï, la recevant directement de Dieu. De plus, l’écriture témoigne qu’aucun homme ne l’égale quant à son humilité (Bamidbar 12, 3), et à son degré de prophétie (Devarim 34, 10).

    Dès lors, pourquoi parler d’équivalence entre les deux frères ?

    Pour le Rav Baroukh Epstein, il est évident que Moshé a un niveau inégalé. Cette sentence de la Tossefta (citée par Rachi) cible un moment bien précis : celui de la sortie d’Egypte. Moshé en était l’acteur principal, alors qu’Aharon lui était accessoire. Cependant, en ce qui concerne le dialogue avec le Pharaon et les magiciens, Aharon semble être celui qui se met le plus en avant, Moshé apparaissant sur ce point comme son second.

    Il aurait été possible de voir ainsi une complémentarité entre les deux hommes : En ce qui concerne l’action, Moshé est supérieur, mais en ce qui concerne la parole, c’est Aharon qui est plus important. Cependant, Rav Epstein repousse cette hypothèse en se fondant sur notre passage. En effet, il est écrit au verset 6 : « Ce sont Aharon et Moshé, à qui Dieu dit: "Faites sortir les enfants d'Israël du pays d'Égypte ». On voit qu’il est question ici de l’action (la sortie d’Egypte), or c’est Aharon qui est mentionné en premier. Puis au verset 7, le sujet change et l’ordre s’inverse : « Ce sont eux qui parlèrent à Pharaon, roi d'Égypte, à l'effet de conduire hors d'Égypte les enfants d'Israël; ce sont Moshé et Aharon ». Il est désormais question de la parole, mais Moshé est cité avant son frère.

    Selon l’auteur du Torah-Temima, c’est précisément dans cette organisation des deux versets que se trouve la clef de l’idée d’une équivalence entre Moshé et Aharon. En réalité, les deux frères sont aussi compétents l’un que l’autre, pour agir comme pour parler. Néanmoins, Hachem a décidé d’un ordre. Il a demandé que Aharon soit la « voix » principale, et Moshé l’acteur de la sortie d’Egypte, davantage sur le devant de la scène.

    En termes contemporains, on pourrait dire que le bon fonctionnement d’une bonne entreprise dépend davantage de la répartition des tâches en amont, que des qualités personnelles des acteurs.

     

    Yona GHERTMAN

     

    תורה תמימה הערות שמות פרק ו הערה יט
    יט) במשנה כריתות ח' א' חשיב כמה דברים ששקולים הם ולא חשיב הא דאהרן ומשה וצריך באור למה, וי"ל דשם חשיב רק הדברים הנוגעים לדינא, וגם י"ל משום דבאמת לא יתכן לומר ששקולים הם ממש, שהרי באמת מצינו במשה ענינים נעלים שאין כמוהו בזולתו, כמו עלותו אל האלהים והיותו שם ארבעים יום וארבעים לילה וכו', וכן במדות מפורש אומר הכתוב והאיש משה ענו מאד מכל האדם אשר על פני האדמה דבכלל אלה גם אהרן, וכן אומר הכתוב ולא קם נביא עוד בישראל כמשה, וגם איתא בתוספתא מגילה פ"ג הקטן מתרגם ע"י גדול אבל אין כבוד שיתרגם גדול על ידי קטן שנאמר ואהרן אחיך יהיה נביאך, הרי דקרא למשה גדול לגבי אהרן, ולכן לא חשבה המשנה זה בין שאר הדברים שחשבה לשקולים ממש. ומה שאמרה התוספתא שקולים הם נראה לבאר הכונה בשנדקדק לשון הפסוק הזה הוא אהרן ומשה אשר אמר ה' להם הוציאו את בני ישראל מארץ מצרים, ובפסוק הבא הם המדברים אל פרעה מלך מצרים וגו' הוא משה ואהרן, והנה ידוע הוא דעיקר מתעסק בענין יציאת מצרים ע"י הקדוש ברוך הוא היה משה, ואהרן היה טפל לו, כמבואר בהמשך הפרשיות, וכנגד זה עיקר המתעסק בדבור פה עם פרעה ועם שריו וחרטומיו היה אהרן, כמפורש בפסוק ואהרן אחיך יהיה נביאך, ואהרן אחיך ידבר אל פרעה, ובפרט זה של הדבור היה משה טפל לו, ולפי"ז היה מהראוי שבענין תוצאת כללות הענין יוקדם משה לאהרן כעיקר לפני הטפל, ובענין פרט הדבור יוקדם אהרן למשה ג"כ כעיקר לפני הטפל. אבל באמת כתוב מפורש להיפך, ובוא וראה שבפסוק שלפנינו שבו איירי מעיקר המעשה בפועל כמ"ש אשר אמר ה' להם הוציאו את בני ישראל הקדים אהרן למשה, ובפסוק הבא דאיירי בענין הדבור אל פרעה שבזה היה אהרן עיקר הקדים משה לאהרן, וזה פלא, וזו היא הכונה ששקולים הם, כלומר שהיו ראויים שניהם להיות עקרים בשני המעשים, אלא שכך סידר הקדוש ברוך הוא, לזה המעשה ולזה הדבור: 

     

     

  • La famille en politique (Chemote)

            Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

     

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              Chemote : La famille en politique

     

     

    « Yossef, tous ses frères et toutes cette génération mourut» Chémot 1, 6

     

    Le Talmud ‘explique’ : « Pourquoi Yossef est-il mort avant ses frères ? Parce qu’il s’est comporté avec supériorité » (Brahot 55a).

    Pour qui est habitué aux textes de la tradition, le renvoie est immédiat « les postes de pouvoir enterrent ceux qui les possèdent, et raccourcissent l’existence ». (Youma 86b)

    S’agit-il de cela concernant Yossef ? Le Midrash (ChémotRabba sur ce verset) explique pourtant le contraire. Glosant le verset « Yossef était en Egypte » (Chémot 1.5), le Midrash explique que son mode d’être n’a pas varié au cours de son séjour égyptien « sa vie durant il est resté identique à ce qu’il était au départ : un simple esclave ». Il semble donc ne pas avoir abusé de sa position de pouvoir. Comment concilier ces deux textes ?

    Une autre question plus contextuelle se pose : comment voir dans la narration de la mort de Yossef et ses frères une allusion à ce comportement de supériorité ?

    Le Torah Tmima met ce texte en rapport avec un autre Midrash (Pirkei de Rabbi Eliézer § 29)

    « A dix reprises, les frères de Yossef ont dit ‘notre père, ton serviteur’, sans que Yossef ne leur rétorque rien ». Dans le §44 de Béréchit, dans la longue diatribe finale de Yéhouda avant le dévoilement de Yossef, les frères témoignent du respect à Yossef en lui affirmant qu’eux même, et leur père sont ses serviteurs. Yossef alaissé les frères dire que leur père Yaakov était son serviteur. Voilà la supériorité qu’il a montrée. Il ne s’agit ni de dédain, ni même d’abus de pouvoir, mais une absence de protestation. Le comportement de Yossef en Egypte n’a donc pas varié au cours des années, il a su rester simple ; mais pour avoir laissé dire par dix fois la sujétion du père à son pouvoir, sa vie a été raccourcie de dix ans.

    Imaginons la scène : les frères doivent du respect au ministre, ils le lui montrent. Que se serait-il passé si Yossef s’était dévoilé sans avoir entendu le discours de Yéhouda ? Rien. Son dévoilement a été motivé par son incapacité à contrôler ses émotions (Béréchit 45.1). Ce que le Midrash reproche à Yossef ce n’est pas sa stratégie, mais le fait qu’il renverse la véritable hiérarchie au profit d’une hiérarchie toute politique, en se prenant au jeu du pouvoir, mentalement. L’inversion de rapport du supérieur à l’inférieur aurait dû être à lui seul la jauge du dévoilement de Yossef.

     

    Franck Benhamou

     

     

     

    יוסף וכל אחיו

    א"ר חמא ב"ר חנינא, מפני מה מת יוסף קודם לאחיו מפני שהנהיג עצמו ברבנות אפירש"י שמת יוסף קודם לאחיו דכתיב וימת יוסף וכל אחיו, עכ"ל. ונראה דאע"פ די"ל דהפסוק מספר סתם שמת יוסף וכל אחיו ולא בכונה שמת קודם להם, אך הענין הוא דאם לא אשמעינן הכתוב כונה מיוחדת בלשון זה ל"ל לאשמעינן כאן דמת יוסף הא כבר כתיב לעיל ס"פ ויחי וימת יוסף, וה"ל למימר וימותו [המה] וכל הדור ההוא, ודרשו שמת קודם לאחיו, דהוא חי מאה ועשר שנים, [כמבואר ס"פ ויחי] ואחיו ק"כ שנה [לא נתבאר המקור לזה] ונענש בזה מפני שהנהיג עצמו ברבנות, ולא נתבאר איפוא רמוזה הנהגתו זאת, אבל בפרקי דר"א פ' כ"ט מבואר דלכן נענש בהתקצרות החיים עשר שנים מפני ששמע מאחיו עשר פעמים שאמרו לו על יעקב עבדך אבינו ולא אמר להם מידי, ואע"פ שבתורה מבואר רק חמש פעמים מאמר זה (פעם א' בס"פ מקץ וד' טעמים בר"פ ויגש), אך הוא שמע ה' פעמים מהם וה' פעמים מהמליץ שבינותם.
    וצ"ל דהוכרח הפדר"א לפרש דענין הנהגתו ברבנות היה רק דבר זה ולא הנהגה בכלל ברבנות ונענש בזה עפ"י מאמר חז"ל דהרבנות מקברת בעליה ומקצרת ימיו, יען שדרשו במ"ר ר"פ זו עה"פ ויוסף היה במצרים, ללמדך שאע"פ שזכה יוסף למלכות בכ"ז לא נתגאה על אחיו ועל בית אביו, וכשם שהיה קטן בעיניו מתחלה כשהיה עבד במצרים כך היה קטן בעיניו אחר שהיה מלך, ע"כ. הרי מבואר ההפך שלא נהג עצמו ברבנות כלל, ולכן ההכרח לפרש שחטא רק בזה ששמע מאחיו שאמרו על יעקב עבדך אבינו ולא אמר להם מידי, ותו לא, ודו"ק

  • L'erreur de l'homme brouille son chemin

    Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

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    L’erreur de l’homme brouille son chemin, et c’est contre Dieu qu’il s’emporte

    Ce verset des Proverbes (19.3) semble remuer le fond de culpabilité qui git au cœur des hommes. Lorsqu’une personne faute, elle préfère s’en prendre à Dieu plutôt que de reconnaitre sa culpabilité. Leçon précieuse, leçon aussi qui montre bien le peu d’estime dans lequel l’auteur des proverbes tient les  humains, mais aussi le deal qu’ils entretiennent avec Dieu : Dieu n’est toléré dans la vie des hommes que pour peu qu’Il ne révèle pas les erreurs que l’on fait.

    «  RabbiYohanan demanda au petit enfant de Rech Lakich, le contenu de ce verset ne se trouverait-il que dans les Proverbes ? Y aurait-il des sentences qui ne seraient pas allusionnées dans la Torah ? Et l’enfant de rétorquer : n’est-il pas écrit -lorsque les frères de Yossef découvrent au fond de leur sac que l’intégralité du prix de la marchandise achetée en Egypte a été reversée : « le frère qui trouva l’argent dans l’auberge (à leur retour d’Egypte) s’exclama ‘qu’est-ce que Dieu nous a fait ?’ (en reversant cette somme dans une de nos sacoches). » (Taanit 9a)

    Tous les commentateurs pointent l’erreur fatale des frères qui les amène à s’emporter contre Dieu : la vente de leur frère, Yossef. C’est par exemple ce que dira le Maharcha (commentaire sur Taanit9a) sur le Midrash ici rapporté.

    Pourtant quelques versets plus hauts les frères ont unanimement reconnu leur responsabilité quant à la vente de leur frère : « et nous voici coupables de n’avoir pas écouter la souffrance de notre frère alors qu’il nous suppliait » disaient-t-ils (42.21). Comment alors comprendre ce que dit le Midrsah : puisqu’il n’y a plus de culpabilité quant à cette vente, pourquoi ce verset illustre-t-il l’adage des proverbes ‘une erreur de l’homme brouille son chemin, et il s’en prend à Dieu » ?

    Le Torah Tmima répond très simplement à cette question : l’erreur dont il est question ici, n’est pas liée à la vente de Yossef, le solde de leur action a déjà été liquidé.

    C’est que, pour notre auteur, l’erreur des frères n’a pas à voir avec la grande tragédie de la culpabilité finie ou infinie de l’homme. Ce dont il s’agit c’est une erreur beaucoup plus prosaïque : les frères n’ont pas vérifié leurs sacs !

    Ce qu’enseigne le Torah Tmima c’est qu’une toute petite erreur aussi engendre un raz de marée contre Dieu ! Plus, cette erreur n’a aucun rapport avec les exigences de la religion, mais tout à faire avec un manque de prudence.

    Inutile donc d’attendre les grands monuments tragiques pour comprendre la culpabilité : dès qu’un homme sent -très lointainement- qu’il n’a pas fait ce qu’il devait faire, il est prêt à s’emporter contre Dieu.

    A plusieurs reprises dans Béréchit, on peut assister à une critique en bonne et due forme du langage religieux. Dans cette même voie : un simple manque de prudence et c’est Dieu tout entier qui est critiqué ! Pour dire cela il faut être capable de dire que l’évocation du nom de Dieu, cache quelque chose. Mais pas la culpabilité plus ou moins ordinaire de la gente humaine. Ce qui est caché c’est la responsabilité que j’ai dans mes actes, dans les actes les plus banales de la vie quotidienne : dès lors que je ne fais pas preuve de prudence c’est Dieu qui est incriminé.

    Comment comprendre le sens de cette remarque ? Pourquoi Dieu serait-il le grand criminel ? C’est  Dieu qui est la source de l’intelligibilité du monde. De ne pas être prudent, on brouille son chemin, et même pour une broutille (ivélét) sans même qu’il soit question de culpabilité. Car au fond la prudence est commandée par Dieu, à chaque instant :  il faut maintenir l’intelligibilité de son propre chemin en faisant preuve de prudence.

    Comment l’enfanta-t-il pu être sensible à cela dans le verset ? Il me semble que tout se joue dans l’évocation du Nom de Dieu.  Or ici l’audace qui consiste à évoquer Dieu, éveille l’oreille des Sages.  On n’invoque pas le Nom de Dieu sans raison précise. Et c’est pour nous une leçon, une leçon d’écoute autant qu’une leçon de vie.

     

    Franck Benhamou

     

    תורה תמימה הערות בראשית פרק מב הערה ו
    ו) עיין בחא"ג שפירש שענין האולת הוא המעשה בכלל ממכירת יוסף אשר על כן נענשו, ותמה על זה, הלא מפורש איתא בענין הפרשה שאמרו אבל אשמים אנחנו על אחינו וגו', הרי שתלו האשמה בהם, וכן מורה מאמרם ליוסף, האלהים מצא את עון עבדיך, ועיי"ש שטרח מאד ליישב הענין, ואין הדברים מרוחים כלל כפי שיתבאר למעיין. והנה אמנם גם מרש"י כאן מבואר שהאולת הוא ענין מכירת יוסף, וכ"ד כל המפרשים, אבל לפי"ז יקשה עוד ששמשו לזה הלשון אולת, דיותר הי' נאות לזה הלשון חטאת אדם. ועוד יש להעיר הרבה בפי' זה כפי שימצא המעיין. אבל לדעתי הפירוש האמת והברור הוא כמ"ש במדרש לקח טוב המכונה פסיקתא זוטרתא בפרשה זו, וז"ל, מה זאת עשה אלהים לנו, זהו שאמר הכתוב אולת אדם תסלף דרכו ועל ה' יזעף לבו, שהי' להם לראות שקיהם קודם שיצאו משם אם חטים נתנו להם או שעורים, עכ"ל, ור"ל שאם היו רואים מה נתנו להם היו רואים את הכסף שבפי השקים והיו משיבים תיכף ונצולים מן הצער, ובזה הכל מבואר, ולמותר האריכות. וראה איך יתיישב לפי"ז בישוב טוב ונכון דקדוק נמרץ בפרשה, שהרי מבואר כי כולם מצאו כספם כבואם לביתם, כמש"כ ויבאו אל יעקב אביהם וגו' ויהי הם מריקים שקיהם והנה איש צרור כספו בשקו ויראו וגו' המה ואביהם וייראו, ובספרם אח"כ ענין מציאה זו לפני האיש אשר על בית יוסף אמרו ויהי כי באנו אל המלון ונפתחה את אמתחותינו והנה כסף איש בפי אמתחתו, ואינו מבואר לכאורה לאיזו כונה שינו לספר שמצאו הכסף בהיותם במלון ולא בבואם לביתם כאשר כן הי' באמת, אך לפי מש"כ הענין מבואר מאד, יען כי בושו לומר שנואלו להמתין בבדיקת השקים עד בואם לביתם, אשר כן לא יעשה, ולא יכלו לומר כי עודם במצרים בדקו, יען כי אז הי' קשה למה לא השיבו תיכף, לכן הגידו שבמלון הראשון בדקו ומצאו, ודו"ק
    : 

  • Favoriser un enfant par rapport à un autre ?

    Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

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    Favoriser un enfant par rapport à l’autre ?

    Or Israël préférait Joseph à ses autres enfants parce qu'il était le fils de sa vieillesse ; et il lui avait fait une tunique à rayures.  Ses frères, voyant que leur père l'aimait de préférence à eux tous, le prirent en haine et ne purent se résoudre à lui parler amicalement.

    (Béréchit 37, 3-4)

    L’épisode de la vente de Yossef interpelle. Comment les fils de Ya’akov, les ancêtres des dix tribus, ont-ils pu s’en prendre à leur frère ? Nos maîtres présentent plusieurs clefs pour résoudre cette énigme. Arrêtons-nous sur l’une d’entre-elle rapportée dans le Talmud :

    « On ne doit pas accorder de préférence à un enfant par rapport aux autres. En effet, à cause d’un tissu de laine d’un poids de deux séla que confectionna Ya’akov pour Yossef, et non pour ses autres fils, ses frères le prirent en haine, ce qui entraîna la descente de nos ancêtres en Egypte » (Shabbat 10b).

    Dans un premier temps, le Rav Baroukh Epstein rapporte la question de Tossfot : L’exil en Egypte n’avait-il pas déjà été prévu lors de l’alliance entre Hachem et Abraham ? Notre auteur propose alors deux réponses[1]   :

     
    1. La descente en Egypte aurait pu se dérouler d’une autre manière, sans être liée à notre patriarche, Ya’akov
    2. Lors de l’alliance, il avait été décrété que les descendants d’Abraham seraient asservis par une grande nation. C’est uniquement maintenant, en raison de la jalousie provoquée par le don de la fameuse tunique, que la destination de l’exil se précise : Ce sera en Egypte.

    Ce premier point met donc l’accent sur la problématique du rapport entre la providence divine et les actions humaines. Certes, le plan divin est nécessairement prévu. Cependant, les modalités de son exécution dépendent de nos comportements.

    Dans un second temps, l’auteur du Torah-Temima rapporte les propos du Rambam : « Nos maîtres ont ordonné de ne pas faire de préférence - même minime - entre ses enfants, de son vivant, afin qu’ils n’en viennent pas à se disputer et se jalouser, comme les frères de Yossef vis-à-vis de lui » (Hilkhote Na’halote 6, 13).

    Le Rav Baroukh Epstein remarque que le Rambam précise bien : « de son vivant ». Cette précision implique qu’une préférence accordée dans le partage de l’héritage pourrait être licite. Aussi explique-t-il que les enfants n’oseraient pas entrer en rivalité dans un tel cas, car leur préoccupation première serait d’accomplir la volonté de leur père disparu.

    Cependant, cette différence entre une préférence accordée du vivant des parents, ou prévue après leur disparition, n’est pas mentionnée par le Tour (‘Hochen Michpat 282). Il semble donc que pour lui, toute marque de préférence est interdite dans l’absolu.

    [Cet article n’a pas vocation à donner la halakha pratique sur le sujet. Aussi la remarque à suivre ne concerne que le plan des idées : La manière dont le Torah-Temima comprend le Rambam est magnifique. Cependant, dans la réalité, on constate que les choses se passent autrement. Les disputes au sein d’une même famille au moment du partage de l’héritage sont fréquentes. Aussi la position du Tour nous semble-t-il plus conforme à la vie concrète : La volonté de respecter les propos du parent décédé n’exclue pas la montée d’un ressentiment vis-à-vis des membres de la fratrie qui ont été favorisés…]

    Enfin, l’auteur du Torah-Temima conclue en s’étonnant que cette sentence des Sages du Talmud n’est pas codifiée par l’auteur du Shoul’han ‘Aroukh

    [Qu’il nous soit permis de supposer que Rabbi Yossef Karo a davantage perçu ce passage talmudique comme une Aggada indiquant un comportement général à suivre. Or, de multiples situations spécifiques et complexes peuvent exister et délimiter les relations entre membres d’une même famille. Il existe indubitablement des domaines dans lesquels la Halakha ne peut pas intervenir en raison. C’est alors à la Aggada de proposer des principes moraux, et au bon sens de déterminer si ceux-ci sont applicables en l’espèce.]

                                                                                                                                                                                                                                                                                   

    Yona GHERTMAN

     

     

     

    תורה תמימה הערות בראשית פרק לז הערה יא
    ר"ל שע"י הכתונת נתעוררה הקנאה ונתגלגלה סבת מכירת יוסף ויתר המאורעות עד בואם למצרים. ובתוס' הקשו, דהא שעבוד מצרים נגזר מכבר בברית בין הבתרים (פ' לך), וי"ל הכונה שבשביל הכתונת נתגלגל הדבר ע"י יעקב ולא בדרך אחרת, דבברית בין הבתרים לא נפרטה שם המדינה שאליה ישתעבדו, וכאן נתגלגלו למצרים. - וע' ברמב"ם פ"ו הי"ג מנחלות כתב ע"פ דרשא זו, וז"ל, צוו חכמים שלא ישנה אדם בנו בין הבנים בחייו אפילו דבר מועט שלא יבאו לידי תחרות וקנאה כאחי יוסף עם יוסף, עכ"ל, ומה שהוסיף שלא ישנה בחייו, נראה פשוט משום דבמותו נתנה תורה רשות להרבות לאחד מבניו ולהמעיט לזולתו, והא דלא חיישינן בזה משום קנאה, י"ל הטעם דכיון דמצוה לקיים דברי המת, ואם יתקנאו ויתחרו עבור זה, אין זה קיום אמתי. כך צריך בהכרח ליישב דעת הרמב"ם. אבל הטור חו"מ סי' רפ"ב לא הוסיף התנאי בחייו, ונראה מדבריו שם דאפילו לפני מותו אסור לעשות כן, ולפלא על בעלי השו"ע שהשמיטו כל דין דרשא זו, וצ"ע: 

     

    [1] Ces deux réponses lui sont personnelles. Il rapporte uniquement la question de Tossfot, mais non sa réponse, selon laquelle la souffrance de l’exil fut augmentée à partir de ce moment.

  • Il suffira d'un signe... ('Hayé Sarah - Torah Temima)

    Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

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    Paracha ‘Hayé Sarah : Il suffira d'un signe...

     

    Et il dit: "Seigneur, Dieu de mon maître Abraham! Daigne me procurer aujourd'hui une rencontre et sois favorable à mon maître Abraham. Voici, je me trouve au bord de la fontaine et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l'eau. Eh bien! La jeune fille à qui je dirai: ‘Veuille pencher ta cruche, que je boive’ et qui répondra: ‘Bois, puis je ferai boire aussi tes chameaux’, puisses-tu l'avoir destinée à ton serviteur Isaac et puissé-je reconnaître par elle que tu t'es montré favorable à mon maître!"

    (Béréchit 24, 12-14)

    « Toute divination (ni’houch) qui n’est pas comme [celle d’] Eliézer le serviteur d’Abraham n’est pas de la divination »

     (‘Houline 95b)

     

    Les commentateurs de la Torah et du Talmud sont en désaccord sur le sens de cette affirmation talmudique. La question de fond est la suivante : Est-il permis de « demander un signe » avant d’entreprendre une action ; ou bien cela s’apparente-t-il à une superstition interdite, car à la limite de la croyance en des forces obscures ?

    Selon le Rav Baroukh Epstein, cette polémique n’a pas lieu d’être. Le problème n’est pas de « demander un signe », mais à quel interlocuteur s’adresser pour cela. S’il est évident que l’on s’adresse à Dieu, il n’y a là aucun interdit. C’est d’ailleurs tout le problème de la sorcellerie (kichouf) : Nier l’impact de la providence divine sur les évènements du quotidien (cf. ‘Houline 7b).

    Au contraire, Eliézer agit en s’adressant à Hachem. Il place sa confiance en Lui et il se met dans la position  - humble – de celui qui prie. Selon l’auteur du Torah-Temima – habitué aux digressions halakhiques dans son commentaire - il est permis à tous d’agir de la sorte, à priori.

    Cependant, la question demeure quant au sens du passage talmudique mis en avant. Selon le Rav Epstein, il s’agit d’une stigmatisation de celui qui demanderait un signe dans des conditions semblables à celles d’Eliézer, mais sans associer Hachem à sa requête. Un tel comportement est formellement interdit.

    La démarche est la même en ce qui concerne le signe demandé par Yonathan, le fils du roi Shaoul, afin de savoir s’il doit attaquer ou non l’ennemi (Shmouel, ch. 14). Ici encore, loin des longs commentaires développés sur le sujet par les commentateurs du Talmud et de la Bible, notre auteur conclut le débat rapidement, mais sûrement : Yonathan a également demandé un signe en s’adressant à Dieu. Cette stratégie était donc évidemment permise.

    Ce commentaire du Torah-Temima est pertinent à double titre :

    • Sur la forme, il apporte une position claire, simple, mais percutante dans un débat ayant pourtant déjà fait couler beaucoup d’encre.
    • Sur le fond, il rappelle avec brio que demander un signe est une attitude saine du point de vue de la Torah, tant que l’on garde conscience qu’il proviendra exclusivement d’Hachem.

     

    Yona GHERTMAN

     

    תורה תמימה הערות בראשית פרק כד הערה יז
    יז) ר"ל כל נחוש שאינו סומך עליו ממש לעשות מעשה על פיו כמו שעשה אליעזר עבד אברהם כמבואר בפרשה אין בזה משום איסור לא תנחשו. והתוס' הקשו איך עשה כן אליעזר למ"ד דבן נח מצווה על הכישוף, ותרצו דההוא תנא סבר שלא נתן לה הצמידים עד שהגידה לו בת מי היא, ואף על פי דכתיב ויקח האיש נזם זהב ויתן ואח"כ ויאמר בת מי את - אין מוקדם ומאוחר בתורה, וכן משמע כשסיפר, דכתיב ואשאל אותה ואומר בת מי את וגו', עכ"ל, והדוחק מבואר, ועיין בבאורי הגר"א ליו"ד סי' קע"ט ס"ק י"א, והרבה מפרשים עמלו בישוב כל ענין זה. אבל מה שנראה ברור בכלל ענין זה, כי באמת אינו אסור רק נחוש כזה שמנחש על המקרה עצמו מבלי להזכיר שם ה' ומבלי בקש ממנו סיעתו לסבוב מקרה זה, משום דאז יש בזה ענין כשוף, כמ"ש בחולין ז' ב' למה נקרא שמן כשפים שמכחישין פמליא של מעלה, והיינו שמסירים כביכול את השגחת ה' ומאמתים מעשיהם הם, משא"כ אליעזר שאמר כאן ה' אלהי אדוני אברהם הקרה נא לפני היום וגו', והיה הנערה אשר תאמר וגו' אותה הוכחת לעבדך, הרי שעשה הכל בדרך אמונה ותפילה, שביקש מהקב"ה שיסבב לו סימן זה למען יהי' בטוח במעשיו, אין בזה אף ריח נחוש וכשוף ונדנוד איסור, ומותר לכל אדם לעשות כן לכתחלה. ומה שאמרו בגמרא כל נחוש שאינו כאליעזר עבד אברהם אינו נחוש - הכונה אם עשה סימן כזה בדרך נחוש מבלי הזכיר שם ה'. ועם באור זה יתיישב הכל, וגם יתיישב ע"פ דרך זה מה שהקשו התוס' בסמוך מיונתן בן שאול האיך ניחש - יען כי גם הוא זכר שם ה', כמבואר בקרא, ודו"ק: 

  • La Théodicée du Covid en question

    Cycle : La paracha selon le Torah-Temima 

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    La Théodicée du Covid en question

     

     

    La fameuse négociation d’Avraham avec Dieu à propos des villes de Sodome et Gomorrhe se trouve dans notre Paracha.

    Coupables de comportements moralement détestables, les habitants de la ville de Sodome vont bientôt voir s’abattre le feu et le souffre qui mèneront à la destruction totale des villes.

    Avraham essaie d’empêcher ce destin funeste en arguant auprès de Dieu qu’il ne peut raisonnablement détruire une ville entière dans laquelle se trouvent des Justes. Parti de 50, la négociation aboutit à un chiffre de 10 justes au-delà duquel Dieu accepte de ne pas déclencher son courroux.

    L’argument massue d’Avraham touche à une question fondamentale qui doit agiter l’esprit de tout croyant, celui de la théodicée. Ou, en termes talmudiques : « Le Méchant vit des choses positives tandis que le Juste est affligé » (Racha veTovlo, TzadikveRalo).

    Avraham le formule ainsi au Chapitre XVIII, verset 25 : חָלִ֨לָה לְּךָ֜ מֵעֲשֹׂ֣ת ׀ כַּדָּבָ֣ר הַזֶּ֗ה לְהָמִ֤ית צַדִּיק֙ עִם־רָשָׁ֔ע וְהָיָ֥ה כַצַּדִּ֖יק כָּרָשָׁ֑ע חָלִ֣לָה לָּ֔ךְ הֲשֹׁפֵט֙ כָּל־הָאָ֔רֶץ לֹ֥א יַעֲשֶׂ֖ה מִשְׁפָּֽט׃

    « Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable, les traitant tous deux de même façon! Loin de toi! Celui qui juge toute la terre serait-il un juge inique?"

    Avraham ici fait appel à la dimension de justice divine intrinsèque au Maître du monde. D’après le Talmud Avoda Zara 4a, que le Torah Temima rapporte dans son commentaire, le fait de faire mourir le Juste en même temps que le Méchant est une profanation de l’idée même de justice divine.

    Mais évidemment, si ici Dieu accepte de surseoir à la destruction de Sodome si 10 Justes s’y trouvent, ce n’est pas l’expérience que chacun vit au quotidien.  Et notamment pendant cette période difficile de pandémie de Covid, où on a le sentiment que celui-ci frappe de façon aveugle, indépendamment des mérites de chacun.

    Comment concevoir ce décalage entre l’absolue nécessité de croire en une justice divine et la réalité du monde dans lequel nous vivons, qui nous fait ressentir une forme d’indifférenciation dans les malheurs qui s’abattent sur les hommes ?
    C’est une immense question, peut-être la plus troublante qui est posée à un Juif et de nombreux géants de la tradition juive s’y sont attaqués avec courage. Le plus notable d’entre eux étant probablement Maïmonide.

    Ce n’est donc pas ici que nous la résoudrons, mais il est intéressant de noter le passage talmudique que le Torah Temima rapporte dans son commentaire sur ce verset. Il s’agit du traité Baba Kama, p. 60b.

    Où nous retrouvons un des passages d’une actualité troublante puisqu’on y traite, entre autres, de l’attitude à adopter en cas de pandémie (Dever). Les Sages indiquent qu’en cas de pandémie dans une ville, il ne faut surtout pas rester à l’endroit où la majorité de la foule se trouve (« au milieu des chemins »), mais s’isoler pour ne pas « entrer en contact avec l’Ange de la Mort. Texte frappant alors que nous sommes nous-mêmes actuellement en confinement et dissuadés de nous retrouver dans les grands lieux de rassemblement.

    Quel rapport avec la Théodicée ? Car, si Dieu sauve les Justes, pourquoi ne pas imaginer que cette consigne d’isolement ne s’applique pas à eux ?

    Non, répond implicitement la Guemara, car à partir du moment où Dieu a donné l’autorisation à l’Ange de la Mort de frapper, il faut tout faire pour éviter de se retrouver en sa présence car il a la possibilité de tuer indistinctement.

    Résumons : oui, Dieu peut éviter de frapper les Justes, comme il le promet à Avraham. Mais il ne le fera pas de façon magique : les Justes doivent prendre en compte le fait que l’Ange de la mort (ou la Nature, ou le Virus, appelez-le comme vous voulez) peut frapper comme il l’entend à partir du moment où il en a reçu l’autorisation.

    Chacun d’entre nous a la responsabilité matérielle d’éviter de se retrouver dans une situation périlleuse et de ne pas « tenter le diable ». La preuve de cela ? Lorsque Dieu envoie la 10ème plaie d’Egypte, la mort des premiers-nés, il demande au peuple de marquer leur maison et de ne surtout pas en sortir. Car si c’était le cas, il ne pourrait pas éviter leur mort. De même, si Lot est finalement sauvé de Sodome, c’est parce qu’on vient le chercher et qu’il accepte, à contre-cœur de quitter la ville. S’il y était resté, tout Juste qu’il fut, il aurait été détruit avec le reste de la ville.

    Le Torah Temima, en mettant en regard ces passages talmudiques apparemment contradictoires, semble faire résonner les innovations maïmonidiennes en matière de providence divine dans son Guide des Egarés. Ce commentaire prend aussi une signification particulière lorsqu’on sait que son auteur, après avoir émigré aux Etats-Unis en 1923, est revenu en Europe de l’Est en 1926 à Pinsk où il mourut de l’incendie de l’hôpital où il avait été admis, perpétré par les Nazis en 1941.

     

    FRISON

  • Les scénarios d'autodestruction et les valeurs

    Cycle : la Parasha selon le Torah-Temima

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    Les scénarios d’auto-destruction et les valeurs

     

     

    « Le monde était perverti aux yeux de Dieu, rempli d’iniquités ». (Béréchit 6.11)

    Comment un être se donne une représentation de ce qui le conduit à sa propre perte ? Que ce soit un homme ou une civilisation, une telle représentation est une jauge de ses valeurs. On s’attendrait de la part d’un texte religieux à ce que les fautes ‘religieuses’ soient fatales. En l’espèce, pour la Torah elles sont connues : idolâtries, incestes ; la lecture que propose les Sages du verset qui signe la destruction de l’humanité par le déluge est emblématique : c’est donc sans surprise ‘la perversion aux yeux de Dieu’ est interprété comme signifiant ces fautes capitales ;  mais comment comprendre les termes ‘rempli d’iniquité’ de la fin du verset ? Une simple redite, une généralisation ?

    Le Talmud s’empare de cette redite : « Observe la force de l’iniquité (‘hamas), parce que le sort de la génération du déluge n’a été scellé que [parce qu’ils] volaient ». Comment comprendre le terme de ‘hamas, rendu assez traditionnellement par ‘iniquité’, ‘violence’ ? Question de vocabulaire qui laisse de côté l’essentiel : sur quoi se joue notre propre perte ?

    « D’un homme qui sortait avec un sac de fruits, les gens grapillaient de petites quantités, non condamnables juridiquement ». Selon le Talmud de Jérusalem, les petits larcins, de valeur insignifiante, sont la cause du Déluge. Pourquoi pas ? Nous avons bien assisté à la destruction de l’industrie du disque par le téléchargement ! Rien que de très banal.

    Le Torah Tmima met cette affirmation en regard d’une autre maxime du Talmud : une personne qui  ne tient pas parole  [par exemple en s’engageant verbalement à acquérir un objet, mais finalement ne l’achète pas]  n’est pas juridiquement coupable. Le Talmud fait tout même planer sur lui un avertissement « Celui qui a fait payer la génération du déluge et de la tour de Babel [i-e Dieu]  se fera payé de celui qui ne tient parole ». Le ‘hamas qui déstabilise une société ce n’est pas l’accumulation des petits larcins. Mais un rapport léger à la parole engageante. Comment comprendre cela ?

    Un petit détour par l’emploi dans la Bible du terme ‘hamas permet d’y voir plus clair. Un témoin mensonger est appelé èd ‘hamas. Lorsque Sara ‘critique’ Abraham de ne pas lui avoir donné d’enfants (!), elle lui dit « ‘hamasialé’ha’ », ma faute provient de toi[1]

    Les petits vols du quotidien ne sont pas pénalisables : qui pourrait réclamer quelques centimes ? Ces vols restent sous les radars de la justice de la même manière que ne pas tenir parole. Se tenir en dessous des filets de la justice, n’est pas une cause de destruction du monde ; en revanche, ils traduisent une volonté profonde de l’homme d’être hors du champ de la justice. Les transgressions massives (incestes ou idolâtries) ne remettent en avant ce désir d’être hors-justice. Par contre celui-ci se montre à travers des actes insignifiants, furtifs, qui témoignent d’une lame de fond de l’être humain.

     

     

    Franck Benhamou

     

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    כי מלאה וגו'.תניא, מה היו חומסין, בר נש הוי נפיק וטעין קופה מלאה תורמסין, והיו מתכוונין וגומלין פחות פחות משוה פרוטה, דבר שאינו יוצא בדיינים כתורמסין הוא מין קטניות, והמפרשים טרחו לפרש כונת שאלת הירושלמי ותירוצו ופרשו בדרך רחוקה, אבל האמת הוא, כי באה דרשא זו כאן בירושלמי קצרה וחסרה, וצ"ל כמו שהיא לפנינו במ"ר כאן בזה"ל, כי מלאה הארץ חמס, איזהו חמס ואיזהו גזל, א"ר חנינא, חמס אינו שוה פרוטה וגזל שוה פרוטה, וכך היו אנשי דור המבול עושים, היה [ר"ל כשהיה] אחד מהם מוציא קופתו מלאה תורמסין והי' זה בא ונוטל פחות משו"פ וזה בא ונוטל פחות משו"פ עד מקום שאינו יכול להוציאו בדין, ע"כ, והיא היא אגדת הירושלמי שלפנינו. וטעם הדבר בפחות משו"פ אינו יוצא בדיינים, משום דבהשבת גזל כתיב (ס"פ ויקרא) והשיב, ואין השבה חשיבה בפחות משו"פ, ועיי"ש לפנינו. –
    וטעם הדבר שנענשו על פחות משו"פ י"ל ע"פ מה דקיי"ל דב"נ נהרג על פחות משו"פ כמבואר בעירובין ס"ב א' ובכ"מ, וא"כ לדידי' חשיבא פחות משו"פ כמו שו"פ לישראל [ואע"פ שאינו יוצא בדיינים משום לא פלוג]. ובזה ניחא בב"ק ס"ב א' שחקרו מה בין גזלן לחמסן ולא אמרו החלוק המפורש כאן בירושלמי ומ"ר, חמס אינו שו"פ וגזל שו"פ, יען דבגמרא חקרו בדינים הנוגעים לישראל אשר אצלו פחות משו"פ אינו חשוב, וכאן איירי בב"נ. –
    ודע דע"פ דרשת הירושלמי שלפנינו יתבאר היטב מ"ש בב"מ מ"ח א' בעונש מי שאינו עומד בדבורו, מי שפרע מאנשי דור המבול הוא יפרע ממי שאינו עומד בדבורו, ולא נתבאר שייכות הענינים זל"ז, אך הנה אמרו בגמרא שם דמדינא חייב אדם לעמוד בדבורו משום הן שלך צדק, אך מפני שאין בזה רק בטחון דברים לכן אין התביעה יוצאת בדיינים, ולפי המבואר דבדור המבול גזלו דבר שאין יוצא בדיינים ונפרע הקב"ה מהם, לכן אומרים לזה שאינו עומד בדבורו מי שפרע מאנשי דור המבול אע"פ שעברו על דבר שאינו יוצא בדיינים הוא יפרע ממי שאינו עומד בדבורו שאף הוא עובר על דבר שאינו יוצא בדיינים, ודו"ק. ומה שאמרו עוד ומי שפרע מאנשי דור הפלגה ומאנשי סדום יש על זה טעמים מיוחדים. .
    (ירושלמי ב"מ פ"דה"ב)

    כי מלאה וגו'.א"ר יוחנן, בוא וראה כמה גדול כחה של חמס, שהרי דור המבול עברו על הכל ולא נחתם עליהם גזר דינם עד שפשטו ידיהם בגזל, שנאמר כי מלאה הארץ חמס מפניהם והנני משחיתם את הארץ יטלא נתבאר למה באמת גדול כל כך כחה של חמס מכחה של עריות, והלא עון עריות הוא אחד מהדברים שיהרג ואל יעבור עליהם. ואפשר לומר ע"פ מ"ד במ"ר פרשה זו (פ' ל"ח) ובמס' ד"א זוטא פ"ט, גדול השלום שאפי' ישראל עובדים ע"ז ושלום ביניהם, אומר הקב"ה, כביכול אין אני יכול לשלוט בהם, שנאמר (הושע ד׳:י״ז) חבור עצבים אפרים הנח לו, אבל משנחלקו מה הוא אומר (שם) חלק לבם עתה יאשמו, ע"כ. ולפי"ז כל זמן שלא גזלו וחמסו והי' שלום ביניהם לכן לא נענשו. אבל מכיון שפשטו ידיהם בגזל, שזה גורם למחלוקת ושנאה אז נאשמו ונענשו על כל עבירות שהיו בידם מקודם. וע"ע מש"כ בענין דרשא זו בר"פ תצא בפסוק כי יהי' לאיש בן סורר ומורה, בדרשא בן ולא בת. –

     

    [1] Le Midrash expliquera que lorsque Dieu promit un héritier à Abraham, ce dernier cherche à savoir comment Dieu va-t-il s’y prendre. Sara, reproche à Abraham, de ne pas l’avoir désignée comme condition nécessaire de cet héritage auprès de Dieu, laissant ainsi la possibilité à la servante Hagar d’être la mère de la nation abrahamique. Faute légère, mettant en avant une forme de négligence de son épouse devant son destin personnel. 

  • Du fondement de la Torah selon le Talmud

    Cycle : la Paracha selon le Torah-Temima

     

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    Du fondement de la Torah selon le Talmud. Commentaire sur Béréchit.

     

    Le livre Torah Tmima de Rav Barouh Halévy Epstein (1860-1942) n’est pas un commentateur de la Torah. Il vise à élucider le sens des passages talmudiques qui s’appuient sur les versets de la Torah. Ce travail est novateur parce que systématique. Il ne réconcilie pas le texte biblique avec le dit talmudique. Le geste d’écriture consiste à comprendre comment les rabbins ont pu, grâceà l’opacité du texte, forger leur propre parole : ce qui nécessite une relecture attentive et méticuleuse. L’apport du Talmud sera toujours une attention infinie à la lettre, mais aussi une confiance illimitée en la parole en ce qu’elle est structurée par la logique. Voilà pour la méthode.

    Le verset énonce (Béréchit 5.1)

    « Ceci est l'histoire des générations de l'humanité. Lorsque Dieu créa l'être humain, il le fit à sa propre ressemblance. »

    Phrase anodine, d’introduction à une généalogie, pourtant sa construction n’est pas banale. Le Talmud rapporte ce verset :

    « Rabbi Akiva dit : ‘tu aimeras ton prochain comme toi-même’ est un grand principe de la Torah, Ben Azay dit ‘Ceci est l'histoire des générations de l'humanité’ est un principe plus fondamental. » (Talmud de Jérusalem, Nédarim, 9.4)

    Texte énigmatique : comment comprendre qu’on évoque ce verset pour le mettre en rapport avec l’amour du prochain qui serait moins fondamental ? Et en quoi y aurait-il un principe plus fondamental que l’amour du prochain ? On se rappelle ce célèbre texte talmudique (Chabbat 31 a) où Hillel importuné par un idolâtre qui voulait apprendre toute la Torah sur un pied, répond « aime ton prochain comme toi-même, le reste n’est que commentaire ». L’amour du prochain serait-il fondateur de la Torah ? Pourtant aucun des théologiens ne l’a comptabilisé ne serait-ce que comme ‘principe’.

    Rav Epstein s’appuie sur ce texte du traité Chabbat : il fait remarquer que Rabbi Akiva possède un autre principe « ta vie précède celle de l’autre[1] ! » (Baba Métsia 62 a). Peut-on imaginer une morale plus éloignée de celle qui ferait de l’amour du prochain un principe fondamental ?

    On se rappelle l’anecdote d’Hillel mais on oublie la maxime qu’en retire le Talmud : ne fait pas à ton prochain ce que tu détestes qu’on te fasse. Version négative de l’amour du prochain ; l’amour du prochain n’est pas compris comme un élan du cœur, on sait que le Talmud n’aime pas ces phrases pleines de bonnes intentions, mais totalement déconnectées de la réalité humaine ; en donnant une version négative, on possède un critère de réalisation qui permet de rendre effectif cet amour. Le Rav Epstein dira ceci en quelques mots « à première vue, il n’est pas possible d’aimer son prochain autant que soi-même », or c’est l’exact énoncé du verset (Vayikra 19.18). 

    On comprend alors que Rabbi Akiva qui affirme que « ta vie précède celle de l’autre » dira que le contenu de l’amour du prochain consistera à « ne pas faire contre la volonté de l’autre », contre ce qu’il déteste. Certes tout le monde déteste s’entendre dire « ma vie précède la tienne » ; mais ce principe ne dit pas que ma vie au nom d’une quelconque idéologie aurait supériorité en rang ou en dignité à celle d’un autre, mais le principe consiste à affirmer qu’il ne faut pas aller contre la volonté de l’autre, contre ce qu’il déteste. Or dans le cas de deux personnes dans un désert, vivre ou mourir n’est pas une affaire de gout !

    Ben Azay voudrait apprendre un principe plus fondamental, qui s’énonce sous la forme d’un verset ‘Ceci est l'histoire des générations de l'humanité. Lorsque Dieu créa l'être humain, il le fit à sa propre ressemblance. » On voit clairement qu’il s’agit de rappeler que l’homme est à l’image de Dieu.  "Si quelqu’un ne se respecte pas soi-même » faudrait-il le respecter ?" la morale de Rabbi Akiva répond par la négative à cette question : sa volonté n’exprimant pas le désir d’être respecté, nul n’est tenu de le respecter plus qu’il ne l’attend. C’est la morale négative de l’amour du prochain. Mais Ben Zay convoque Dieu : l’homme est à l’image de Dieu, et si un homme ne se respecte pas lui-même, il faudra le respecter au nom de cette image divine.

    La discussion prend alors une tournure plus radicale : au nom de quoi faudrait-il respecter son prochain ? On sait que le civisme impose de le faire pour assurer la stabilité de la société. Mais la Torah ne s’intéresse pas à ces questions politiques. Ici le respect dû à l’autre se trouve soit fondé sur l’égalité entre hommes (Rabbi Aquiva) soit sur la dimension divine qui git ‘sur le visage de l’autre’ (Ben Azay).

    Mais la discussion prend une seconde dimension plus religieuse, si l’on se rappelle que « l’autre » peut être aussi Dieu, comme le précise Rachi dans son commentaire sur Chabbat : selon Rabbi Aquiva ce que l’on trouve dans la Torah c’est la volonté divine, ce qu’Il hait et ce qu’Il aime. Selon Ben Azay c’est le visage de Dieu qui est scruté à travers la connaissance et la pratique de la Torah : voir le visage de Dieu là où l’homme lui-même s’est oublié.

    Franck Benhamou

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    זה ספר וגו'.

    תניא, רבי עקיבא אומר, ואהבת לרעך כמוך (פ' קדושים) כלל גדול בתורה, בן עזאי אומר, זה ספר תולדות אדם – כלל גדול מזה בר"ע רומז למ"ש באגדה דשבת ל"א א' בההוא עובד אלילים שבא לפני הלל שילמדנו כל התורה כשהוא עומד על רגל אחת, אמר לו, מה דעלך סני לחברך לא תעביד, זו היא כל התורה ואידך פירושא היא וכו', והכונה דכמו שעליך שנוא זה שיעבור על דבריך כך לא תעבור אתה על מצות ה' שבאת ללמוד תורתו, וזה הוא יסוד התורה, ואידך פירושא דמילתא לדעת איזה דבר שנוא לפני הקב"ה זיל גמור, וזו היא כונת ר"ע כאן ע"ד הדרש וצחות הלשון. ומה שנראה לו להסמיך זה הדרש על זה הלשון הוא משום דבפשיטות קשה הענין לצוות על אדם שיאהב את חבירו כמו שאוהב את עצמו, מפני שזה דבר הנמנע מצד הטבע, וגם ר"ע בעצמו ס"ל (ב"מ ס"ב א ) חייך קודמין לחיי חברך, ולכן דריש שאהבה זו פירושה העדר השנאה והיינו שלא יעשה כנגד רצונו, ואם לאדם כן, מכש"כ להקב"ה.
    ובן עזאי מוסיף, דמדברי ר"ע שמעינן רק מה דעלך סני לחברך לא תעביד, וא"כ משמע דמי שאינו חושש לכבוד עצמו אינו דרוש לחוש גם על כבוד אחרים, על זה אומר, זה ספר תולדות אדם בדמות

     

    [1] Le cas illustrant ce principe : deux personnes dans le désert, une gourde d’eau ! Dois-je céder ma gourde ?

  • Yossef le juste - Ramban Mikets

       PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    'Yossef le juste' - paracha Mikets

      

    ‘’Yossef le juste’’. Telle est l’appellation la plus commune de ce fils de Yaacov. Mais est-elle juste ?

     

    La famine fait rage dans toute la région. Yaacov, entendant que l’Égypte possède encore du blé, y envoie ses fils en chercher.

    Or, le gouverneur en charge de distribuer le blé à tout le paysn’est autre que Yossef. Celui-ci, dès l’arrivée de ses frères, leur parle sèchement et fait mine de ne pas les reconnaître.Il les accuse même d’être des espions,venus chercher les faiblesses de l’Égypte.En effet, il lui avait été rapporté que dix princes arrivés par des portes différentes, s’étaient ensuite rassemblés à sa porte pour réclamer de la nourriture.

    Cette accusation n’est pas dénuée de tout sens, étant donné que Yaacov avait enjoint ses fils à entrer chacun par unedifférente porte.En réalité, il ne s’agissait pas d’espionnage mais plutôt d’une protection mutuelle si un ennemi venait à les attaquer.

    Lors de cette rencontre , Yossef se remémore ses rêves[1]de jeunesse (Bereshit 42 :9)

    וַיִּזְכֹּריוֹסֵף--אֵתהַחֲלֹמוֹת, אֲשֶׁרחָלַםלָהֶם; וַיֹּאמֶראֲלֵהֶםמְרַגְּלִיםאַתֶּם, לִרְאוֹתאֶת-עֶרְוַתהָאָרֶץבָּאתֶם

    Joseph se souvint alors des songes qu'il avait eus à leur sujet. II leur dit: "Vous êtes des espions! C'est pour découvrir le côté faible du pays que vous êtes venus!".

     

    À propos de ce verset,les exégètes Rashi et Ramban sont en désaccord.

    D’après Rashi[2], c’est en voyant ses frères se prosterner devant lui que son rêve devient réalité.Cependant, il est difficile de comprendre comment Yossef continue de faire souffrir son père et le laisse prolonger son deuil si son rêve s’est réalisé.

    Selon Ramban[3], uniquement le songe des gerbes s’est déroulé. Le songe des étoiles spécifie la présence de onze étoiles1, or lors de cette première rencontre ils ne sont que dix frères. Ledeuxième rêve ne s’étant pas réalisé, Yossef ne peut pas encorefaire tomber son masque.

     

    Une lecture attentive nous permet de remarquer une absence totale de D.ieu dans cette parasha et même auparavant, depuis la disparition de Yossef dans la parasha précédente.

    Alors que Yossef interprétait les rêves des maîtres panetier et échansons puis de Pharaon, il ne se cachait pas n’être qu’à l’ombre de D.ieu. Seul D.ieu est maître de l’explication des rêves.

    Plus encore,dans le verset מב,כה, Yossef dit à Pharaon :(Bereshit 41 :25)

    אֵתאֲשֶׁרהָאֱלֹהִיםעֹשֶׂה, הִגִּידלְפַרְעֹה.

    ce que Dieu prépare, il l'a annoncé à Pharaon.

    Lorsque Yossef voit ses frères pour la première fois,le souvenir de ses rêves lui est revenu. Il se rend compte qu’il ne s’agit en aucun cas de ses propres rêves, mais plutôt du projet deD.ieu.

    Ilest à présent en charge d’accomplir ce projet, acteur du film se déroulant sous ses yeux.

    Tenu d’y prendre part et de tout faire pour le réaliser intégralement.

    Mais telque nous l’avons souligné plus haut, Ramban le remarque, le deuxième rêve ne s’est pas réalisé.

    Uneseconde rencontre s’impose, permettant à la fratrie toute entière de se remettre en questions et de se repentir, notamment sur la vente de Yossef. Rencontre où seront présents l’ensemble de la fratrie ainsi que Yaacov. Rencontre permettant à tous les enfants de Yaacov de se lier au projet divin, afin de faire une entrée en Égypte en tant que famille soudée et unie prête à affronter les difficultés de l’esclavage.

     

     

    Koren ASSOULINE


    [1]Rappelons brièvement les rêves de Yossef. Au début de la parashatVayeshev, Yossef fit deux rêves :

    1. Bereshit 37 :7 Nous composions des gerbes dans le champ, soudain ma gerbe se dressa ; elle resta debout et les vôtre se rangèrent à l’entour et s’inclinèrent devant la mienne.
    2. Bereshit 37 :9 J’ai fait encore un songe où j’ai vu le soleil, la lune et onze étoiles se prosterner devant moi.

    Ces rêves ne firent que décupler la haine que ces frères lui vouaient.

     

    [2]רש״י בראשית מב,ט 

    [3]רמב״ן בראשית מב ט

  • Vayéchev avec le Ramban

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    Jacob était un migrant comme son père en terre de Canaan

    Ramban sur Vayéchev

     

    Jacob demeura dans le pays des pérégrinations de son père, dans le pays de Canaan (Béréchit 37.1)

    Quel est l’intérêt de ce verset ? Le verset suivant indique très classiquement « voici les engendrements », pourquoi les introduire par un verset superflu ?

    Ce verset renvoie au verset précédent où était écrit « tels sont les chefs d’Edom (Esav) selon leur résidence selon le pays qu’ils occupaient  : tel fut Esav le père d’Edom » (36.43). Il y a donc matière à comparaison. Quelle est sa nature ? Rachi répondait :

    Jacob demeura Après t’avoir énuméré sommairement les séjours d’Esav et de ses descendants – ni leur distinction ni leur importance ne justifiant un récit détaillé de leurs installations ni des guerres par lesquelles ils ont chassé les ‘Hori – le texte va s’arrêter longuement, et en en retraçant l’enchaînement des circonstances, sur les séjours de Jacob et de ses descendants. L’importance qu’ils revêtent devant Hachem vaut que l’on s’y attarde(…) On peut comparer la chose à une pierre précieuse qui serait tombée dans le sable. On fouille dans le sable, on le passe au tamis jusqu’à ce qu’on retrouve la perle. Une fois qu’elle a été trouvée, on jette le sable et on conserve la perle. Autre explication : « Jacob demeura ». C’est comme un marchand de lin dont les chameaux arrivent chargés de balles de cette marchandise. Survient le forgeron qui se demande avec étonnement où l’on va pouvoir loger tout ce lin. Un homme astucieux lui répond : « Une étincelle sortira de ta forge et fera tout flamber ! » De même (…) Une étincelle sortira de Yossef, qui les consumera tous.

    (Rachi)

    Pour Rachi Esav est négligeable devant Jacob, voire voué à la destruction. On peut alors demander au commentateur champenois pourquoi consacrer à la généalogie d’Esav un chapitre entier ? Rachi dans son commentaire du chapitre précédent a montré que la descendance d’Esav était de mauvaise mœurs. Ramban taxe d’interprétations exagérées tous les midrashim accusant Esav. En effet la lecture du chapitre 36 n’est pas aussi explicite. La redondance des noms qui y figure n’est pas nécessairement le signe d’incestes.

    Ibn Ezra répond de façon un peu neutre que contrairement à Esav « Jacob choisit de résider dans la terre d’élection ». Certes le commentaire compare la différence de choix des deux frères, mais pourquoi alors ne pas simplement parler de la terre de Canaan, pourquoi ajouter « la terre des pérégrinations de son père » ?

    Le commentaire de Ramban est un entrelacs : par quelques mots il nous renvoie à son paysage de réflexion et de commentaires.

    Pour lui Esav n’est pas décrit comme un impie patenté, mais comme un homme qui a choisit d’habiter une autre terre que Canaan. Pourquoi un tel choix ? Ramban explique que l’habitation en Canaan est conditionnée à la nécessité de passer par l’exil pour prétendre à la terre d’Israël. Esav habite dans la terre qu’il a conquis, il ‘occupait la terre ‘, pour employer le terme du verset, terme qui indique aussi une notion d’héritage, c’est dire l’implantation d’Esav en terre d’Edom : il ne veut pas être un migrant.

    L’exil est sensé durer 400 ans, c’est-à-dire dès la naissance d’Isaac, ce qui implique qu’il faut habiter la terre de Canaan comme des migrants (gèr). Pour reprendre les termes d’Ibn Ezra, la terre de Canaan est la terre choisie, mais il faut y séjourner comme des migrants. C’est ce difficile héritage paternel qu’a choisi Jacob. L’intérêt de ce premier verset est alors simple : les engendrements de Jacob ne sont pas à lire comme autant d’implantations en Canaan ; pire, le 37.2 met en avant Joseph comme descendant de Jacob : l’homme qui fut le vecteur de la migration en Egypte de l’ensemble des gens de Jacob. Le verset oppose donc bien les choix d’Esav et de Jacob ainsi que les conséquences : fin de l’histoire de Jacob frère d’Esav, et début de l’histoire du peuple juif, comme migrant.

     

     

    Franck Benhamou

    רמב"ן בראשית פרק לז

    (א) טעם וישב יעקב בארץ מגורי אביו - כי אמר שאלופי עשו ישבו בארץ אחוזתם, כלומר הארץ שלקחו להם לאחוזת עולם, אבל יעקב ישב גר כאביו בארץ לא להם אלא לכנען. והכונה להגיד כי הם בוחרים לגור בארץ הנבחרת, ושנתקיים בהם כי גר יהיה זרעך בארץ לא להם (לעיל טו יג), ולא בעשו, כי ביעקב לבדו יקרא להם זרע

  • D'un destin qui ne serait que du semblant

        PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    D’un destin qui ne serait pas que du semblant. Toldot.

     

    Parfois le commentateur jette l’éponge. C’est sans doute le signe d’un certain recul sur sa capacité d’interprétation. Et ici, Ramban le fait très clairement :

    רמב"ן בראשית פרק כו

    יספר הכתוב ויאריך בענין הבארות, ואין בפשוטי הספור תועלת ולא כבוד גדול ליצחק, והוא ואביו עשו אותם בשוה, אבל יש בדבר ענין נסתר בתוכו, כי בא להודיע דבר עתיד

    Le verset s’étend au sujet des puits creusés par Isaac, il n’y a pas d’intérêt dans la littéralité des versets, ni rien de très glorieux concernant Isaac, lui et son père ont fait la même chose, mais il y a un thème cryptique, annonciateur.

    Le commentateur s’embarque alors dans une lecture symbolique du récit des puits. Ce que je voudrais ici, c’est de montrer une faille dans l’interprétation du Ramban qui l’oblige à botter en touche vers une lecture symbolique.

    Le thème dont il traite est ennuyant au possible : la Torah s’allonge sur une trentaine de versets sur des histoires de puits volés. On retrouve un protagoniste d’Abraham (Aviméléh) roi de Gérar. Le problème est que ce chapitre est le seul où Isaac agit véritablement en son nom propre. En qualifiant comme  le fait Nahmanidece chapitre, c’est presque la vie entière d’Isaac qui est disqualifiée. Mais la question de fond est posée : pourquoi Isaac ? En quoi est-il une figure importante en tant que patriarche. Nous l’avons vu dans l’épisode de sa ligature, est-il quelqu’un d’autre que cet enfant sacrifié/non-sacrifié pour la Cause ?

    Résumons l’histoire : C’est la famine. Dieu demande à Isaac de rester sur cette terre (Gérar terre des Philistins), « je bénirai ta descendance parce qu’Abraham a conservé mes lois » ; il y demeure, sème, et devient riche. Trop riche au gout des habitants de l’endroit qui lui demandent de partir. Mais auparavant le verset précise « et tous les puis qu’avait creusé Abraham son père avaient été bouchés par les Philistins ». Isaac migre dans la vallée de Gérar, réouvre les puits de son père, les appelant des noms qui leur avaient été donnés par Abraham. A deux reprises les bergers de Gérar s’en prennent à Isaac qui leur donne un nom en rapport avec l’évènement : ‘Dispute’ et ‘Accusation’. Puis, après s’être déplacé, il ouvre un troisième puits, qui n’est pas l’objet de dispute, il le nomme « élargissements », car « maintenant Dieu nous a élargi, et nous nous multiplions dans la terre »[1]. Dieu se révèle à nouveau, l’assurant de sa bénédiction « à cause d’Abraham, Mon serviteur ». Isaac fait un autel, creuse un puits. Aviméléh vient vers lui arguant « nous avons vu que Dieu (le tétragramme) était avec toi, conclus une alliance avec nous ». Alliance conclue, les servants d’Isaac viennent annoncer que de l’eau a jailli du puits.

    Ramban lit l’ensemble de l’histoire à l’aune de la vie d’Abraham : Isaac fait la même chose que son père. Et, mêmes’il « appelle » l’endroit du nom de Béer Chava, en réalité Abraham avait déjà appelé cet endroit de ce même nom, pour une alliance qui avait également été scellée avec Aviméléh .

    L’ensemble du commentaire tourne autour des similarités avec la vie d’Abraham, ce qui fait dire à notre commentateur que ce chapitre n’apporte pas grand-chose, du point de vue littéral. Tout au plus si l’on veut moderniser la lecture, il s’agit ici, du problème d’Isaac avec son père : comment assurer la transmission d’un héritage si lourd ? Et tant qu’Isaac imite son père, il ne génère que disputes et convoitises. Dès lors qu’il fait autre chose, il est déclaré « élu de Dieu ». Mais il s’avère que « l’autre chose » en question est exactement ce qu’a fait son père. La leçon serait alors : la répétition des gestes est exactement ce qu’il ne faut pas faire pour assumer une tradition, mais faire comme si c’était la première fois. Ramban ne veut pas de cet enseignement : le texte n’en dit pas assez pour cela, et surtout, l’intégralité de ce chapitre est placé sous l’égide d’Abraham, jusqu’à la dernière bénédiction divine « je t’ai béni grâce à ton père ».  D’où sa lecture symbolique.

    Il me semble pourtant qu’on pouvait interpréter différemment ce texte, et le placer dans une toute autre perspective : en effet, pour Ramban les deux puits (‘Dispute’ et ‘Accusation’) sont exactement les puits creusés par son père. Mais le texte ne l’y oblige pas : on pouvait très bien lire, qu’au contraire les puits (évoqués au verset 18) étaient ceux d’Abraham, c’est pourquoi les Philistins les laissent dans les mains d’Isaac ; mais dès qu’il commence à creuser ses propres puits, ils sont contestés. La question serait alors comment Isaac parvient à se faire reconnaitre par les gens de Gérar ? Ils avaient reconnu la grandeur d’Abraham, mais Isaac, n’est à leur yeux qu’un « héritier ». Dès lors qu’il fait un pas de côté, ils le contestent.

    Du point de vue littérale, l’affaire rebondit avec le puits de ‘l’élargissement’ ; celui-ci est introduit par « il s’est déplacé » : comme si le déplacement serait gage d’une certaine volonté salutaire d’Isaac, au-delà des frontières de son père. Mais le texte nous dira que ce puits ne fait jaillir de l’eau qu’une fois l’alliance scellée avec les Philistins. Comment donc les philistins ont-ils compris que Isaac était béni ? La seule solution qui reste : la construction de l’autel. C’est à ce moment que les Philistins comprennent qu’ils ont effectivement à faire à un homme héritier, au sens plein, de son père. Ils évoquent même le Tétragramme, ce qu’ils n’avaient pas fait à l’époque d’Abraham. A aucun moment n’apparaissent les problèmes psychologiques d’Isaac, sa « tension » avec son destin imposé par sa famille. Ce ne sont pas des enjeux pour la Bible.

    On peut alors se poser la question des puits : pourquoi toutes ces questions tournent autour des puits ?  Abraham et Isaac savent qu’ils n’ont que la promesse comme héritage, promesse de peuple nombreux, promesse de la terre. Or cet héritage ils ne peuvent le prendre. Le puits est une façon de valoriser la terre[2], d’y laisser leur trace, d’où les nominations. Ce qu’ils ont de cette terre, c’est l’agriculture, et c’est sur cette note que s’ouvre le chapitre : non pas des commerçants ou des bergers. Les puits sont autant de points d’ancrage à une terre qui n’est qu’une promesse.

    Franck Benhamou.

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן בראשית פרק כו

    אבל הם אחרים במקום אחר, כי נחל גרר שם מקום, או שהנחל נמשך מגרר אל ארץ אחרת. וכאשר קנאו בו פלשתים, הם השרים אשר בגרר מדינת המלך, סתמו הבארות אשר לו מירושת אביו בגבול עיר גרר, והמלך שלחו מעיר מושב כסאו והלך לו לעיר אחרת, ואולי איננה ממלכותו אף על פי שהיא בארץ פלשתים, ושם בארות אחרים שחפר אברהם שגר במקום ההוא ימים רבים. ופלשתים יושבי הארץ כאשר מת אברהם, ויצחק לא ישב שם, סתמום, ולא לשנאתו, רק בימי אברהם לא רצו לסתמם מפני כבודו, כי אמרו אולי ישוב לשבת בארץ, ולכן שב יצחק ויחפור אותם בנחל, ורועי נחל גרר רבו עמו לאמר לנו המים:

    והטעם "לאמר", הנה הבאר בנחל ומימי הנחל הם אשר ימצו שם, ומתמציתם ימלא הבור, והנחל יתמעט בהם, והנה הם שלנו. ועל כן הזכיר הכתוב וימצאו שם באר "מים חיים", לאמר כי היה מקור נובע מים חיים, אין מימיו מן הנחל, כאשר אמרו מריביו:

    רמב"ן בראשית פרק כו

    (לב) ויבואו עבדי יצחק ויגידו לו על אודות הבאר אשר חפרו - הוא האמור בו למעלה (בפסוק כה) ויכרו שם עבדי יצחק באר, כי החלו לחפור אותו, ובא אבימלך אליו בימים ההם, וביום הברית בלכתם ממנו בשרוהו כי מצאו מים:

    וקרוב לי שהוא הבאר שכרה אברהם ונתן לו שבע כבשות לעדה (לעיל כא ל), כי סתמוהו פלשתים עם האחרים, וישב יצחק ויחפור אותו ויקרא לו גם הוא שם כשם אשר קרא לו אביו, ועל כן שם העיר באר שבע על שם הבאר אשר קראוהו כן האב והבן, כי שם נשבעו שניהם. והבאר הזאת להם תרמז על משכן שילה. ופלשתים סתמוהו בהלקח הארון (ש"א ד יא), וחזר וחפרו בו, כי כן השיבו הארון עם הדורון לאלהים (שם ו יא)

     

    [1] Voir le commentaire du EmekDavar sur ce verset.

    [2] Je dois ce terme à un ami.

  • Deux types de révélations

          PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    Deux types de révélations 

     

    Le premier verset de notre paracha a posé problème à de nombreux commentateurs (Béréchit 18:1) :

    וַיֵּרָא אֵלָיו ה׳, בְּאֵלֹנֵי מַמְרֵא; וְהוּא יֹשֵׁב פֶּתַח-הָאֹהֶל, כְּחֹם הַיּוֹם

    L’Eternel se révéla à lui dans les plaines de Mamré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour.

    D.ieu apparaît à Avraham et que se passe-t-il juste après ? On s’attendrait à ce que D.ieu parle à Avraham, qu’il le bénisse ou bien qu’il lui donne un ordre ou une promesse. Mais là, rien de tout cela. Le verset suivant relate l’épisode des trois anges qui rendent visite à Avraham.

    Une question évidente se pose : D.ieu est venu voir Avraham pour quoi ? Il lui est apparu et a disparu juste après ? Dans quel objectif ?

    C’est la raison certains commentateurs médiévaux comme le Rashbam ou le Rambam ont expliqué qu’il faut lire ce premier verset comme un titre du passage[1]. Ce passage traite de l’apparition de D.ieu à Avraham, et comment lui est-il apparu ? Il lui est apparu à travers les anges qui viennent lui rendre visite. Ainsi, Rambam écrit :

    Après avoir dit sommairement que Dieu lui apparut, on commence par expliquer sous quelle forme eut lieu cette apparition, et on dit qu’il vit d’abord trois hommes, qu’il courut [au-devant d’eux], qu’ils parlèrent et qu’il leur fut parlé. (Guide des égarés II-42, trad. S. Munk)

    Cette interprétation présente une difficulté : c’est que D.ieu apparait ou parle à Avraham que les anges soient présents ou pas. En effet, dans la suite du récit et alors que les anges sont partis, le texte précise qu’Avraham se trouve encore devant D.ieu (Béréchit 18:22) ; si l’on comprend que la vision d’Avraham passait par les anges, comment comprendre qu’il se trouve devant D.ieu alors que les anges ne sont plus là. De même, alors que les anges sont encore chez Avraham, D.ieu lui demande pourquoi Sarah a ri en apprenant la nouvelle de sa future grossesse (Béréchit 18:13). Si D.ieu lui était réellement apparu à travers les anges, pourquoi maintenant parler de D.ieu ?

    Je vous invite à lire les commentaires de Rashbam sur ces versets difficiles, ou encore de lire la suite du passage du Guide des égarés cité plus haut.

    Rachi et Ramban ont – peut-être à cause de ces difficultés[2] – choisi une autre manière d’interpréter cette révélation. Rachi commente :

    D.ieu lui est apparu : Pour rendre visite au malade. [En effet,] Ainsi a dit R. 'Hama bar 'Hanina : "c’était le troisième jour après sa circoncision et D.ieu vint pour prendre de ses nouvelles". (Rachi sur Béréchit 18:1)

    Selon Rachi, donc, il ne faut pas lier le premier verset avec la suite du récit. D.ieu est apparu à Avraham pour lui rendre visite, sans autre objectif. Cela reste obscur malgré tout : que signifie avoir la visite de D.ieu et puis pourquoi lier cette apparition divine à la circoncision ?

    C’est là que Ramban nous aide :

    וזה גילוי השכינה אליו למעלה וכבוד לו, כענין שבא במשכן ויצאו ויברכו את העם וירא כבוד ה' אל כל העם (ויקרא ט כג), כי מפני השתדלותם במצות המשכן זכו לראיית השכינה. ואין גלוי השכינה כאן וכאן לצוות להם מצווה או לדבור כלל, אלא גמול המצווה הנעשית כבר, ולהודיע כי רצה האלוהים את מעשיהם, כענין שנאמר (תהלים יז טו): אני בצדק אחזה פניך אשבעה בהקיץ תמונתך. וכן ביעקב אמר (להלן לב ב): ויפגעו בו מלאכי אלוהים, ואין שם דבור ולא שחדשו בו דבר, רק שזכה לראיית מלאכי עליון, וידע כי מעשיו רצויים.

    ואל תחוש להפסק הפרשה, כי הענין מחובר, ולכן אמר וירא אליו ולא אמר וירא ה' אל אברהם

     אבל בפרשה רצה לסדר כבוד הנעשה לו בעת שעשה המילה, ואמר כי נגלית עליו השכינה ושלח אליו מלאכיו לבשר את אשתו וגם להציל לוט אחיו בעבורו, כי אברהם נתבשר בבן מפי השכינה כבר, ושרה מפי המלאך שדבר עם אברהם כדי שתשמע שרה, כמו שאמר ושרה שומעת. וזו כוונתם שאמרו (סוטה יד א): לבקר את החולה, שלא היה לדבור אלא לכבוד לו.

    C’est-à-dire que cette révélation ne ressemble pas aux autres révélations dans la Torah. Celles-ci sont en général des moyens pour arriver à un objectif : donner un ordre, faire une promesse, demander, bénir etc.. Tandis que cette révélation est là pour elle-même, elle n’est pas un moyen pour autre chose. Un peu comme quand on rend visite au malade. Nul besoin de parler, de raconter ou d’y aller pour un autre but. La simple présence auprès du malade est l’objectif de la visite. Et d’ailleurs, souligne le Ramban, il y a une preuve que cette révélation est liée à la circoncision d’Avraham. En effet le verset dit : « D.ieu lui est apparu » sans préciser de qui il s’agit. Ce verset est donc forcément la suite d’une histoire qui a démarré plus tôt. Or l’épisode qui précède directement la révélation relate la circoncision d’Avraham et de sa maison !

     

    Naty RIAHI

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf. notes 


    [1] Ou encore, plus proche de nous dans le temps et dans l’espace (Paris, 1860), le Rabbin Lazare Wogue commente : « L’Eternel se révéla à lui » : « A Abraham, par des intermédiaires ou anges, comme il va être raconté. (Tel paraît être, du moins, le sens le plus naturel.) »

    [2] Ramban attaque clairement cette lecture du Rambam car elle impliquerait que toute cette histoire d’ange ne sait pas réellement passée puisqu’il s’agit d’une révélation. Dans ce cas, où s’arrête le rêve et où commence la réalité ; il est trop dangereux selon le Ramban de s’aventurer dans ce genre d’interprétation.

    והנה לדבריו לא לשה שרה עוגות, ולא עשה אברהם בן בקר, וגם לא צחקה שרה, רק הכל מראה, ואם כן בא החלום הזה ברוב ענין כחלומות השקר, כי מה תועלת להראות לו כל זה

     

     

     

  • La émouna ou le bon sens ?

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    Avoir la emouna ou faire preuve de bon sens ?

     

    Lorsque la famine frappe la terre de Canaan dans laquelle Avraham s’est installé sur l’ordre d’Hachem, ce dernier part vers l’Egypte. Craignant pour sa vie, il fait passer sa femme Sarah pour sa sœur, ce qui provoque indirectement son enlèvement dans le palais du Pharaon, et oblige Hachem à intervenir pour les sauver.

    Dans ‘La voix de la Torah’, le rabbin Elie Munk propose un condensé de plusieurs commentaires expliquant la démarche d’Avraham. Il explique alors que l’attitude du Patriarche est dictée par le bon sens mis en avant dans le Talmud :

    • Lorsqu’une famine sévit, émigre vers un autre lieu, même lorsque celui-ci n’est pas sans danger [Baba Kama 60a]
    • On ne doit jamais se fier à un miracle [Pessa’him 64b]

    Il n’y aurait donc ni lâcheté ni manque de émouna (foi) de sa part, mais un comportement raisonnable et souhaitable.

    Telle n’est pas la position du Ramban. Selon lui, le fait de quitter la terre d’Israël à cause de la famine constitue un manque de confiance en D.ieu. Quant à sa stratégie de faire passer Sarah pour sa sœur, il s’agit d’un second manque de confiance, « car Elokim a la force d’aider et de sauver ».

    Cette position trouve sa source dans l’interprétation d’un midrash soulignant les similitudes entre la descente d’Avraham en Egypte et celle de ses descendants (Yaakov et ses fils) ayant précédé l’esclavage des Hébreux. Selon lui ce parallèle n’est pas anodin, il signifie que ce sont les fautes d’Avraham à ce moment qui ont provoqué la décision de D.ieu de mettre ses descendants en esclavage.

    Que fait le Ramban des textes talmudiques cités plus haut et rapportés par les autres commentateurs de ce passage ? Sûrement pense-t-il que ces règles de bon sens constituent l’attitude préconisée habituellement. Avraham, par sa proximité avec D.ieu, aurait dû comprendre qu’il fait partie de l’exception qui confirme la règle et agir en conséquence. Là où le bon sens exige dans certains contextes de savoir prendre sur soi, d’autres contextes exigent de faire fi de toutes les considérations raisonnables.

    N’est-ce pas là une problématique existentielle du juif évoluant dans la Torah : distinguer quand agir avec bon sens et quand se fier uniquement à sa émouna ?

     

    Yona Ghertman

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

    רמב"ן בראשית פרק יב פסוק י

    (י) ויהי רעב בארץ - הנה אברהם ירד למצרים מפני הרעב לגור שם להחיות נפשו בימי הבצורת, והמצרים עשקו אותו חנם לקחת את אשתו, והקב"ה נקם נקמתם בנגעים גדולים, והוציאו משם במקנה בכסף ובזהב, וגם צוה עליו פרעה אנשים לשלחם:

    ורמז אליו כי בניו ירדו מצרים מפני הרעב לגור שם בארץ, והמצרים ירעו להם ויקחו מהם הנשים כאשר אמר (שמות א כב) וכל הבת תחיון, והקב"ה ינקום נקמתם בנגעים גדולים עד שיוציאם בכסף וזהב וצאן ובקר מקנה כבד מאד, והחזיקו בהם לשלחם מן הארץ. לא נפל דבר מכל מאורע האב שלא יהיה בבנים. והענין הזה פרשוהו בבראשית רבה (מ ו) רבי פנחס בשם רבי אושעיא אמר, אמר הקדוש ברוך הוא לאברהם צא וכבוש את הדרך לפני בניך, ואתה מוצא כל מה שכתוב באברהם כתוב בבניו, באברהם כתוב ויהי רעב בארץ, בישראל כתיב (להלן מה ו) כי זה שנתים הרעב בקרב הארץ:

    ודע כי אברהם אבינו חטא חטא גדול בשגגה שהביא אשתו הצדקת במכשול עון מפני פחדו פן יהרגוהו, והיה לו לבטוח בשם שיציל אותו ואת אשתו ואת כל אשר לו, כי יש באלהים כח לעזור ולהציל. גם יציאתו מן הארץ, שנצטווה עליה בתחילה, מפני הרעב, עון אשר חטא, כי האלהים ברעב יפדנו ממות. ועל המעשה הזה נגזר על זרעו הגלות בארץ מצרים ביד פרעה. במקום המשפט שמה הרשע והחטא

  • Noah - préserver l'ordre de la nature

         PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    Ramban – parashat noa’h. Préserver l’ordre de la nature.

     

     

    La parasha que nous lisons cette semaine s’étend sur les dimensions gigantesques de l’arche que construisit Noah’. Elle s’attarde de plus à détailler les matériaux -résistants a l’eau! – nécessaires.

    Le Ramban met en opposition ce souci du détail, du réalisme du projet avec un autre constat : l’immensité du nombre d’animaux que l’arche est censée contenir : 7 couples pour chaque animal “pur” , un couple pour les animaux impurs. Ajoutons a cela la nourriture pour plusieurs mois, nous dit le Ramban, et nous arrivons à un projet … irréalisable!

    Cette lecture ne se fait pas de cadeaux; elle ne cherche pas a re-interpréter les versets au delà de leur sens littéral : si il s’agit de prendre tous les animaux, il s’agit de tous les animaux; si le déluge détruit la terre, il détruit toute la terre (et non pas une région réduite, comme celle du croissant fertile, comme certains l’ont proposé )…

     

    Comment concilier des lors ces deux constats ? La réponse proposée par le Ramban est simple : il s’agit d’un … miracle.
     

    Mais des lors, une autre question surgit : pourquoi ce souci de réalisme dans le projet de construction ? Pourquoi utiliser tel ou tel matériau ? Pourquoi maintenir des dimensions immenses ? Si de toute façon il ne peut que s’agit que d’un projet miraculeux, un simple radeau aurait suffit !

    Le Ramban traite de cette question dans son commentaire sur notre parasha. Il y répond de manière succincte :

    « Il faut limiter la portée des miracles. C’est là un principe dans l’ensemble de la Torah et des prophètes : à l’homme de faire ce qui est de son ressort, et Dieu participe par des miracles a la réussite du projet »

     

    Cette idée voyant dans le miracle quelque chose a limiter, et dans l’ordre de la nature quelque chose a préserver, est a mettre en echo avec un autre passage du Ramban que nous avons étudie lors de la parashat Bo.

    « Et les miracles patents permettent à l’homme de prendre conscience des miracles cachés ; cette conscience est un des piliers de la foi au point où l’on peut dire qu’une personne n’ayant pas foi que notre vie entière n’est que miracle, hors de toute causalité naturelle ne peut être considérée comme appartenant à l’alliance de Moïse »

     

    Nous nous étions alors étendus pour comprendre la portée de cette phrase. Le passage que nous lisons cette semaine, nous conforte dans la lecture limitée que nous avons fait de ce passage : les miracles constants dont parle Nahmanide ne sont apparemment qu’une autre manière de parler d’une extrême providence, et non d’une violation constante des lois naturelles.

     

    Benjamin Sznajder

  • Une version de la nature à travers Béréchit

          PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    Une version de la nature à travers Béréchit.

     

    Dieu dit: "Que la lumière soit!" Et la lumière fut. Dieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, un jour. (Béréchit 3-5)

    Rachi commente  :

    Ici aussi, nous devons nous référer à la hagada. Il vit que les scélérats ne mériteraient pas de profiter de la lumière, de sorte qu’Il la mit en réserve à l’usage des justes pour les temps à venir (‘Haguiga 12a). Quant au sens littéral, le voici : Il vit qu’elle était bonne et qu’il ne convenait pas que la lumière et les ténèbres assurent leur service dans la confusion. Aussi fixa-t-Il à l’une pour domaine le jour, et aux autres pour domaine la nuit (Beréchith raba 3, 7).

    Le problème rencontré par Rachi doit être assez important pour faire appel à « la hagada ». Quel est-il ? Dieu constate que la « lumière est bonne ». Pourquoi donc établir une distinction entre jour et nuit ? Ne faudrait-il pas vivre en pleine lumière ? A cette question, la première interprétation de Rachi répond : les scélérats ne le méritent pas. Il faut donc lire les versets ainsi : « Dieu considéra que la lumière était [trop] bonne [pour les scélérats], Il différencia la lumière de l’obscurité [puisque la lumière ne servira que dans les temps à venir].

    Dieu changerait-il d’avis ? Fallait-il qu’il « voit » la lumière pour s’apercevoir de la méprise ? A cette question Ramban va répondre mais en changeant la signification du terme « voir ».

    Reprenons. Dans Béréchit Dieu parle. Que signifie parler alors qu’il n’y a personne à qui parler ? Du Zohar[i] à Nahmanide en passant par Maïmonide[ii], tous s’accordent pour dire que cette parole est une volonté, un désir. Que signifie alors « que Dieu vit » ? Nahmanide rapporte quelques preuves pour montrer que cela signifie « qu’il accompli ». Et de préciser « si son désir se sépare ne serait-ce qu’une seule seconde de sa création, celle-ci retomberait dans le néant ». Il y a deux temps : le temps de la création, c’est-à-dire la sortie du néant et celui de la stabilisation. C’est ainsi qu’à chaque fois que les versets concluent par « Dieu vit que c’était bien », Nahmanide explique « il a accompli »[iii] c’est à dire de donner une pérennité à ce désir initial.  « Dieu vit que cela était bon » signifie qu’Il accorde à sa création un excédent d’existence qui le fait durer[iv]

    Il semble dans un premier temps que Nahmanide rejette l’interprétation midrashique de Rachi. Il n’en n’est rien puisque lui-même parlera de cette lumière primordiale qui a été réservée[v]. De plus réserver cette lumière pour les temps à venir est précisément une façon de la pérenniser. Le problème de Nahmanide  se porte en réalité sur un point très limité et qu’il annonce dès sa question : que signifie l’expression ‘Dieu a vu que c’était bien’, sans pour autant que cette expression ne témoigne d’un revirement. Et il ne s’agit pas d’invalider la démarche de Rachi, ni même de la préciser ; mais de traduire une expression qui peut porter à confusion. Pourquoi est-ce si important ? 

    Pour le comprendre, il faut s’étonner : Pourquoi, selon Rachi, il va de soi que ce que Dieu crée n’a pas besoin d’être affermi ?[vi] 

    C’est que le commentateur champenois fonctionne avec un implicite : décréter l’existence implique ipso facto la pérennité de ce qui est créé.  La question se pose alors sur Ramban :  dans quelle posture de réflexion faut-il être pour ne pas voir ce qui parait être tellement évident ?

    Il me semble que ce qui tourmente Nahmanide c’est la facilité avec laquelle nous admettons que le réel est stable. Pour nous la nature est ferme, c’est une donnée immédiate, impliquée par le simple fait de vivre . Si nous sommes si sûrs que ce qui nous entoure est stable, c’est que nous n’avons jamais essayé de nous questionner sur cette stabilité. Or pour Ramban, cette stabilité est voulue. La stabilité des êtres n’est pas un effet de leur nature :  l’existence n’est pas une conséquence de l’essence, mais un trait supplémentaire qui est allouée à chaque être. Rappelons le Midrash affirmant que Dieu avant de créer le monde que nous connaissons, s’est essayé à d’autres mondes. Ce qui signifie que d’autres mondes sont possibles et stables.   Cette thèse est cohérente avec une autre thèse célèbre de notre auteur : la nature est un ‘miracle cachée’[vii]. Rien n’assure que notre monde soit stable si ce n’est le désir de Dieu à le pérenniser. C’est avant tout une thèse sur la nature, mais c’est aussi un trait de caractère du Ramban  qui traduit une grande ouverture aux « autres possibles » qu’ils soient hommes[viii]  ou mondes.

    Franck Benhamou.

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת הָאוֹר כִּי טוֹב כתב רבינו שלמה: אף בזה אנו צריכין לדברי אגדה: ראה שאינו ראוי להשתמש בו רשעים, והבדילו לצדיקים לעתיד לבוא. ולפי פשוטו כך פרשהו: ראהו כִּי טוֹב, ואין נאה לו ולחשך להשתמש בערבוביא, וקבע לזה תחומו ביום ולזה תחומו בלילה. ורבי אברהם אמר: וַיַּרְא – כמו "וְרָאִיתִי אָנִי" (קהלת ב יג), והיא במחשבת הלב. וטעם וַיַּבְדֵּל – בקריאת השמות. ואין דברי שניהם נכונים: שאם כן, ייראה כענין הַמְלָכָה ועצה חדשה, שיאמר, כי אחרי שאמר אלהים: "יְהִי אוֹר", והיה אור, ראה אותו כי טוב הוא, ולכן הבדיל בינו ובין החשך, כעניין באדם שלא ידע טיבו של דבר עד היותו. אבל הסדר במעשה בראשית, כי הוצאת הדברים אל הפועל יקרא "אמירה": "וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים יְהִי אוֹר" (כאן); "וַיֹּאמֶר... יְהִי רָקִיעַ" (פסוק ו); "וַיֹּאמֶר... תַּדְשֵׁא הָאָרֶץ" (פסוק יא).. וקיומם יקרא "ראיה", כעניין "וְרָאִיתִי אָנִי" דקהלת (ב יג); וכן "וַתֵּרֶא הָאִשָּׁה כִּי טוֹב הָעֵץ לְמַאֲכָל" (להלן ג ו). והוא כעניין שאמרו (כתובות קט א): "רואה אני את דברי אדמון", וכמוהו (שמואל ב טו כז): "וַיֹּאמֶר הַמֶּלֶךְ אֶל צָדוֹק הַכֹּהֵן הֲרוֹאֶה אַתָּה שֻׁבָה הָעִיר בְּשָׁלוֹם". והעניין, להורות כי עמידתם בחפצו, ואם החפץ יתפרד רגע מהם – יהיו לאין. וכאשר אמר בכל מעשה יום ויום: "וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי טוֹב", ובשישי כאשר נשלם הכל: "וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת כָּל אֲשֶׁר עָשָׂה וְהִנֵּה טוֹב מְאֹד" (פסוק לא), כן אמר ביום הראשון בהיות האור: וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי טוֹב, שרצה בקיומו לעד. והוסיף בכאן אֶת הָאוֹר. שאילו אמר סתם: וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי טוֹב, היה חוזר על בריאת השמים והארץ; ולא גזר בהן עדיין הקיום, כי לא עמדו ככה, אבל מן החומר הנברא בראשון – נעשה בשני רקיע, ובשלישי נפרדו הַמַּיִם והעפר ונעשית הַיַּבָּשָׁה שקראה "אֶרֶץ", ואז גזר בהם הקיום ואמר בהם

     

    [i] Vayikra 17 b.

    [ii] Guide des égarés I §65.

    [iii] Commentaire sur Béréchit 1.8, 1.12 et 1.31.

    [iv] On se rappelle que selon un Midrash très connu, Dieu bâti plusieurs mondes avant celui que nous connaissons, mais qu’ils ne trouvèrent grâce à ses yeux. Béréchit Rabba 3.7./

    [v] Commentaire sur 1.14.

    [vi] Le Mizrahi (commentateur de Rachi) essaie de répondre à cette question, mais en proposant une réponse fausse selon moi : il suggère que Dieu peut changer d’avis. Il est possible que certains penseurs l’affirme, mais cette thèse est trop singulière pour ne pas être soulignée par Rachi dans son commentaire.

    [vii] Voir commentaire sur Chémot 13.16.

    [viii] Voir son introduction au commentaire du Talmud (‘Il ne saurait exister de preuve décisive dans la dialectique talmudique’).

  • Le récit secret de l'histoire universelle

        PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

     

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    Le récit secret de l’histoire universelle

     

    La parasha de Haazinou a un statut tout particulier dans la Tora. En effet, dans la parasha précédente, celle de Vayelekh, Dieu ordonne aux enfants d’Israël : « Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique, qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël et qu’on le mette dans leur bouche, afin que ce cantique me serve de témoignage à l’encontre des enfants d’Israël » (Devarim 31:19). Et Rashi de commenter sur place : « “Ce cantique-ci” : depuis “Tendez l’oreille, les cieux…” (id. 32:1) jusqu’à : “… Il pardonnera à Sa terre, à Son peuple” (ibid. 32:42). » En d’autres mots, d’après Rashi, la mitsva dont nous parle la parasha de Vayelekh consiste à écrire la parasha de Haazinou elle-même.

    Dans son Sefer ha-Mitsvot (mitsva positive 18), Maïmonide indique que nous apprenons de ce verset l’obligation qui incombe à chaque juif d’écrire, non pas le seul cantique de Haazinou, mais un Sefer Tora entier « qui inclut ce cantique ». Et dans son Code il tranche la loi : « C’est un commandement positif incombant à tout homme juif que d’écrire pour soi un rouleau de la Tora, comme il est dit : “Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique”, c’est-à-dire écrivez pour vous la Tora qui renferme ce cantique, puisqu’on ne doit pas écrire de la Tora de passages isolés » (Hilkhot Sefer Tora, VII:1).

    Mais la parasha de Haazinou également une signification toute particulière concernant le Ramban. Dans son Sefer ha-Qabala, l’auteur italien Gedalia Ibn Ye’hia (1526-1587) rapporte l’histoire suivante à propos d’un élève du Ramban dénommé Avner et ayant apostasié[1] :

    « J’ai reçu une tradition selon laquelle le Ramban avait un certain disciple, dénommé Rav Avner, qui était devenu apostat, et avait grandi en puissance au point que sa terreur s’était répandue dans tout le pays. Un Yom Kippour, il envoya chercher son maître, le Ramban, et en sa présence, sacrifia un cochon, le découpa, le cuit et en mangea. Après l’avoir mangé, il demanda à son maître combien de transgressions sanctionnées par la peine de karet il avait commis. Son maître lui répondit quatre et lui affirma au contraire que c’était cinq. Il aurait bien débattu avec son maître, mais le Ramban le regarda avec tant de colère qu’Avner resta silencieux, encore imprégné qu’il était de la crainte de son maître. Finalement le Ramban lui demanda ce qui l’avait conduit à l’apostasie. Avner lui répondit qu’il avait déjà entendu dire que le Ramban avait commenté la parasha de Haazinou en affirmant que cette section incluait toutes les mitsvot ainsi que tout ce qui pouvait exister dans le monde. Etant donné qu’il avait considéré cela comme impossible, Avner était devenu apostat. Le Ramban lui répondit en disant : “Je m’en tiens à ce que j’ai dit, demande ce que tu veux et je te montrerai que c’est inscrit dans Haazinou”. Au comble de la perplexité, Avner lui dit : “Si c’est le cas, montre-moi que mon nom y est inscrit”. Et le Ramban dit : “Tu as bien parlé” et se rendit aussitôt dans un coin de la pièce pour prier. Il revint alors vers lui avec le verset : « אָמַרְתִּי אַפְאֵיהֶם אַשְׁבִּיתָה מֵאֱנוֹשׁ זִכְרָם » – « J’aurais résolu de les réduire à néant, d’effacer leur souvenir de l’humanité » (Devarim 32:26). “Si tu prends, lui dit le Ramban, la 3e lettre de chaque mot de ce verset, tu trouveras ton nom, Avner”. En entendant cela, le visage d’Avner se décomposa et il demanda à son maître s’il y avait encore un remède au mal qu’il avait commis. Le maître lui dit : “Tu as entendu les paroles du verset”. Le Ramban s’en alla, et aussitôt Avner s’embarqua sur un navire sans équipage ni rame, se laissant dériver où le vent l’emmènerait. Depuis ce jour, personne n’eut plus jamais de nouvelles de lui. »

    Revenons maintenant à la réalité et au commentaire du Ramban qui a inspiré cet épisode ou – à tout le moins – son récit :

    « Et de même a-t-on rappelé dans le Sifré (Haazinou § 333) : grand est ce cantique car il renferme aussi bien le présent, le passé et le futur que le monde à venir. Et c’est à cela que le texte fait allusion lorsqu’il dit : « Moïse vint faire entendre au peuple toutes les paroles de ce cantique » (Devarim 27:44) ; il a utilisé le terme « toutes » (כָּל) pour indiquer que ce cantique inclut tous les événements à venir, même si c’est de façon condensée, car il explique de nombreuses choses. Et même si ce cantique était l’œuvre d’un diseur d’avenir tirant son inspiration des astres, il faudrait tout aussi bien lui accorder foi car toutes ses paroles se sont réalisées à ce jour, sans aucune exception. Et plus encore alors que nous accordons notre foi et que nous attendons de tout cœur [la réalisation] des paroles de Dieu, [telles qu’exprimées] par la bouche du serviteur le plus fidèle de sa maison (Moshé Rabbénou), [un prophète] tel qu’il n’y en a jamais eu de semblable et tel qu’il n’y en aura jamais plus, que la Paix soit sur lui. »

    Emmanuel Ifrah – 10/2019

     

    [1] S’il s’agit du célèbre apostat Alfonso de Valladolid (à l’origine Avner de Burgos, 1270-1348), l’histoire est évidemment apocryphe puisque le Ramban a disparu en 1270 précisément, année de la naissance de l’apostat en question. A ce sujet, Rav Binyamin Wattenberg rapporte l’opinion selon laquelle l’histoire n’est pas apocryphe mais qu’elle concerne un autre apostat du nom d’Avner (d’après Rav Reuven Margoliot, Vikua’h ha-Ramban ve-Toldot Ramban, p. 16, note 1). Cette hypothèse est en soit étonnante, le prénom d’Avner n’étant pas si courant – mais que peut-on opposer à l’érudition de Rav Margoliot !

     

  • D'un discours qui ne serait pas de l'athéisme

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    D’un discours qui ne serait pas de l’athéisme.

    Commentaire sur Vayélé’h.

     

    Le Seigneur dit à Moïse: "Tandis que tu reposeras avec tes pères, ce peuple se laissera débaucher par les divinités du pays barbare où il va pénétrer; et il m'abandonnera, et il brisera l'alliance que j'ai conclue avec lui. 17 Ce jour-là, ma colère s'enflammera contre lui, je les abandonnerai, je leur déroberai ma face, et il deviendra la pâture de chacun, et nombre de maux et d'angoisses viendront l'assaillir. Alors il se dira: "En vérité, c'est parce que mon Dieu n'est plus au milieu de moi que je suis en butte à ces malheurs." 18 Mais alors même, je persisterai, moi, à dérober ma face, à cause du grave méfait qu'il aura commis en se tournant vers des dieux étrangers. 

     

    Essayons de comprendre l’architecture de ce texte :

    • Les hébreux pratiquent l’idolâtrie.
    • Dieu se détourne d’eux.
    • Ils se disent « ce qui nous arrivent c’est parce que Dieu est absent ».
    • Dieu persiste à se détourner.

     

    Reconnaitre que « Dieu est absent » alors qu’on sort de l’idolâtrie n’est-il pas une forme de reconnaissance ? Ne sous-entend-il pas le rôle central de Dieu ? N’annonce-t-il pas un mouvement de retour ? Nostalgie du vrai Dieu masqué par des générations de juifs idolâtres ?

    Pourtant Dieu persiste à se détourner. Où est sa pitié ? Où est sa générosité, Lui si prompte à tendre la main à celui qui fait retour (tchouva) ?

    Ces quelques versets ont donné naissance à des réflexions sur le prétendu ‘Dieu caché’.

    Mais une lecture attentive et responsable repousse ces facilités.

    Reprenons. La persistance de Dieu à ‘se cacher’ est redoublée malgré le murmure de repentance (« Dieu est absent »). Le texte répond à ‘la constatation de l’absence de Dieu’ par un redoublement dans l’absence. Qu’est-ce qu’une absence qui se redouble demande à juste titre le logicien ?

    C’est que la langue de l’objectivité n’a aucune pertinence quand on parle de Dieu. « Constater que Dieu est absent » c’est le prendre pour une chose qui peut être ici ou ailleurs. Pour les auditeurs conséquents comme Nahmanide, dire « Dieu est absent » signifie « ignorer sa propre responsabilité » dans la langue des hommes. Lacan le rappelait « seuls les théologiens sont capables d’athéisme ». Cette langue est un mouvement de retour vers Dieu qui s’échoue sur son propre roc. Nahmanide reconnait dans ce mouvement un double récif : on parle de Dieu mais de façon telle que l’homme s’y drape. Faisant de Dieu l’étendard d’un royaume disparu, jetant à terre toute la puissance d’un mot  qui aurait pu arraisonner l’homme.

    Franck Benhamou

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

     

     

    וטעם ואמר ביום ההוא הלא על כי אין אלהי בקרבי איננו וידוי גמור כענין והתודו את עונם אבל הוא הרהור וחרטה שיתחרטו על מעלם ויכירו כי אשמים הם וטעם ואנכי הסתר אסתיר פני פעם אחרת כי בעבור שהרהרו ישראל בלבם כי חטאו לאלהים ועל כי אין אלהיהם בקרבם מצאום הרעות האלה היה ראוי לרוב חסדי השם שיעזרם ויצילם שכבר כפרו בע"ז וכענין שאמר (ירמיהו ב לה) הנני נשפט אותך על אמרך לא חטאתי ולכך אמר כי על כל הרעה הגדולה שעשו לבטוח בע"ז יסתיר עוד פנים מהם לא כמסתר פנים הראשון שהסתיר פני רחמיו ומצאום רעות רבות וצרות רק שיהיו בהסתר פני הגאולה ויעמדו בהבטחת פני רחמיו (ויקרא כו מד) ואף גם זאת בהיותם בארץ אויביהם לא מאסתים ולא געלתים וגו' עד שיוסיפו על החרטה הנזכרת וידוי גמור ותשובה שלימה כמו שנזכר למעלה (ל ב) ושבת עד ה' אלהיך וגו'

  • Ki-Tetsé selon le Ramban

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    Ki-tetse – Ne chassez pas la mere pour prendre les oisillons !

     

     

    Nous lisons dans la parasha de ki-tetse, le fameux commandement de shilouah-haken – l’obligation de chasser la mere de son nid avant de prendre les œufs ou les oisillons.

    Une Mishna dans le traite de Brah’ot interpelle :

    “On doit faire taire une personne qui, dans sa prière,  ferait appel a la miséricorde divine “tout comme Dieu a eu de la pitié envers les oiseaux”
     

    Le Talmud explique cette mishna : on fait taire une telle personne car ce commandement n’est pas mue par une  quelconque pitié divine envers les oiseaux!

    Ce passage a été longuement commente par Maimonide dans son Guide des égares. Et le Ramban sur notre parasha s’y réfère aussi:

    La mitsva n’est pas mue par une pitié envers le règne animal, nous explique-t-il. Si c’était le cas, nous n’aurions pas le droit de faire la sh’hita et de consommer de la viande. La mitsva est donnée pour inculquer chez les hommes la pitié et la miséricorde: en nous obligeant a éloigner la mère des oisillons avant de se servir dans le nid, elle apprend aux hommes la retenue…

    Beaucoup s’étonnent quant au caractère « violent » de cette mitsva venant inculquer la pitie chez les hommes ; mais la, n’est pas notre propos.

    Ce commentaire du Ramban est cite dans un responsa du XIX siècle. A quelqu’un demandant si l’on pouvait faire la mitsva de shilouah’-haken un jour de Shabbat, le h’atam sofer ­[1]- commence par poser une question introductive : a t on le droit de chasser la mere-oiseau si l’on ne compte pas manger les œufs ou les oisillons. Se basant sur le Ramban que nous avons cite, le H’atam Sofer tranche que cela est … interdit ! En effet, déduit-il: il n’est permis de chasser la mère pour prendre ses petits, uniquement lorsqu’il s’agit d’un besoin humain. Il ne viendrait a personne l’idée de faire la sh’hita  a la chaine d’un troupeau entier alors qu’il n’a pas besoin de manger ! Or, la sh’hita est, elle aussi, une mitsva…
    Si l’homme n’a pas besoin des œufs ou des oisillons, la mitsva se réduit a une pure cruauté, selon notre auteur …

    Le h’atam-sofer nuance son propos en citant que selon le zohar, la mitsva existe quoiqu’il en soit ; mais cette nuance ne remet pas en question sa conclusion finale selon le principe qu’il énonce « l’explication kabbalistique ne saurait contredire l’explication talmudique »

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן דברים פרק כב פסוק ו
    (ו) כי יקרא קן צפור לפניך - גם זו מצוה מבוארת מן אותו ואת בנו לא תשחטו ביום אחד (ויקרא כב כח). כי הטעם בשניהם לבלתי היות לנו לב אכזרי ולא נרחם, או שלא יתיר הכתוב לעשות השחתה לעקור המין אף על פי שהתיר השחיטה במין ההוא, והנה ההורג האם והבנים ביום אחד או לוקח אותם בהיות להם דרור לעוף כאלו יכרית המין ההוא:
    וכתב הרב במורה הנבוכים (ג מח) כי טעם שלוח הקן וטעם אותו ואת בנו לא תשחטו ביום אחד, כדי להזהיר שלא ישחוט הבן בעיני האם כי יש לבהמות דאגה גדולה בזה, ואין הפרש בין דאגת האדם לדאגת הבהמות על בניהם, כי אהבת האם וחנותה לבני בטנה איננו נמשך אחרי השכל והדבור אבל הוא מפעולת כח המחשבה המצויה בבהמות כאשר היא מצויה באדם. ואם כן, אין עיקר האיסור באותו ואת בנו רק בבנו ואותו, אבל הכל הרחקה. ויותר נכון, בעבור שלא נתאכזר. ואמר הרב ואל תשיב עלי ממאמר החכמים (ברכות לג ב) האומר על קן צפור יגיעו רחמיך, כי זו אחת משתי סברות, סברת מי שיראה כי אין טעם למצות אלא חפץ הבורא, ואנחנו מחזיקים בסברא השניה שיהיה בכל המצות טעם. והוקשה עליו עוד מה שמצא בב"ר (מד א) וכי מה איכפת לו להקב"ה בין שוחט מן הצואר לשוחט מן העורף, הא לא נתנו המצות אלא לצרף בהם את הבריות שנאמר (משלי ל ה) כל אמרת אלוה צרופה:
    וזה הענין שגזר הרב במצות שיש להם טעם, מבואר הוא מאד כי בכל אחד טעם ותועלת ותקון לאדם, מלבד שכרן מאת המצוה בהן יתברך. וכבר ארז"ל (סנהדרין כא ב) מפני מה לא נתגלו טעמי תורה וכו', ודרשו (פסחים קיט א) ולמכסה עתיק, זה המגלה דברים שכסה עתיק יומין ומאי ניהו טעמי תורה. וכבר דרשו בפרה אדומה (במדב"ר יט ג ד), שאמר שלמה על הכל עמדתי, ופרשה של פרה אדומה חקרתי ושאלתי ופשפשתי, אמרתי אחכמה והיא רחוקה ממני (קהלת ז כג), ואמר ר' יוסי בר' חנינא אמר לו הקדוש ברוך הוא למשה לך אני מגלה טעם פרה אדומה אבל לאחרים חקה, דכתיב (זכריה יד ו) והיה ביום ההוא לא יהיה אור יקרות וקפאון, יקפאון כתיב, דברים המכוסים מכם בעולם הזה עתידין להיות צפויים לעולם הבא, כהדין סמיא דצפי, דכתיב (ישעיה מב טז) והולכתי עורים בדרך לא ידעו, וכתיב (שם) אלה הדברים עשיתים ולא עזבתים, שכבר עשיתים לר' עקיבא. הנה בארו שאין מניעות טעמי תורה ממנו אלא עורון בשכלנו, ושכבר נתגלה טעם החמורה שבהם לחכמי ישראל, וכאלה רבות בדבריהם, ובתורה ובמקרא דברים רבים מודיעין כן, והרב הזכיר מהן:
    אבל אלו ההגדות אשר נתקשו על הרב, כפי דעתי ענין אחר להם, שרצו לומר שאין התועלת במצות להקב"ה בעצמו יתעלה, אבל התועלת באדם עצמו למנוע ממנו נזק או אמונה רעה או מדה מגונה, או לזכור הנסים ונפלאות הבורא יתברך ולדעת את השם. וזהו "לצרף בהן", שיהיו ככסף צרוף, כי הצורף הכסף אין מעשהו בלא טעם, אבל להוציא ממנו כל סיג, וכן המצות להוציא מלבנו כל אמונה רעה ולהודיענו האמת ולזוכרו תמיד:
    ולשון זו האגדה עצמה הוזכרה בילמדנו (תנחומא שמיני ח) בפרשת זאת החיה, וכי מה איכפת לו להקב"ה בין שוחט בהמה ואוכל או נוחר ואוכל כלום אתה מועילו או כלום אתה מזיקו, או מה איכפת לו בין אוכל טהורות או אוכל טמאות, אם חכמת חכמת לך (משלי ט יב), הא לא נתנו המצות אלא לצרף את הבריות, שנאמר (תהלים יב ז) אמרות ה' אמרות טהורות, ונאמר כל אמרת אלוה צרופה, למה, שיהא מגין עליך. הנה מפורש בכאן שלא באו לומר אלא שאין התועלת אליו יתעלה שיצטרך לאורה כמחושב מן המנורה, ושיצטרך למאכל הקרבנות וריח הקטרת, כנראה מפשוטיהם. ואפילו הזכר לנפלאותיו שעשה שצוה לעשות לזכר ליציאת מצרים ומעשה בראשית, אין התועלת לו, רק שנדע אנחנו האמת ונזכה בו עד שנהיה ראויים להיות מגן עלינו, כי כבודנו וספרנו בנפלאותיו מאפס ותוהו נחשבו לו:
    והביא ראיה מן השוחט מן הצואר והעורף לומר שכולם לנו ולא להקב"ה, לפי שלא יתכן לומר בשחיטה שיהא בה תועלת וכבוד לבורא יתברך בצואר יותר מהעורף או הניחור, אלא לנו הם להדריכנו בנתיבות הרחמים גם בעת השחיטה. והביאו ראיה אחרת, או מה איכפת לו בין אוכל טהורות והם המאכלים המותרים, לאוכל טמאות והם המאכלים האסורים, שאמרה בהם התורה (ויקרא יא כח) טמאים המה לכם, ורמז שהוא להיותנו נקיי הנפש חכמים משכילי האמת. ואמרם אם חכמת חכמת לך, הזכירו כי המצות המעשיות כגון שחיטת הצואר ללמדנו המדות הטובות, והמצות הגדורות במינין לזקק את נפשותינו, כמו שאמרה תורה (שם כ כה) ולא תשקצו את נפשותיכם בבהמה ובעוף ובכל אשר תרמוש האדמה אשר הבדלתי לכם לטמא, א"כ כלם לתועלתנו בלבד. וזה כמו שאמר אליהוא (איוב לה ו) אם חטאת מה תפעל בו ורבו פשעיך מה תעשה לו, ואמר (שם פסוק ז) או מה מידך יקח. וזה דבר מוסכם בכל דברי רבותינו:
    ושאלו בירושלמי בנדרים (פ"ט ה"א) אם פותחין לאדם בכבוד המקום בדברים שבינו לבין המקום, והשיבו על השאלה הזאת, אי זהו כבוד המקום כגון סוכה שאיני עושה לולב שאיני נוטל תפילין שאיני מניח, והיינו כבוד המקום, משמע דלנפשיה הוא דמהני, כהדא אם צדקת מה תתן לו או מה מידך יקח, אם חטאת מה תפעל בו ורבו פשעיך מה תעשה לו. הנה בארו שאפילו הלולב והסוכה והתפילין שצוה בהן שיהו לאות על ידך ולזכרון בין עיניך כי ביד חזקה הוציאך ה' ממצרים, אינן לכבוד ה' יתברך, אבל לרחם על נפשותינו. וכבר סדרו לנו בתפלת יום הכפורים, אתה הבדלת אנוש מראש ותכירהו לעמוד לפניך כי מי יאמר לך מה תעשה ואם יצדק מה יתן לך. וכן אמר בתורה (לעיל י יג) לטוב לך, כאשר פירשתי (שם פסוק יב), וכן ויצונו ה' לעשות את כל החקים האלה ליראה את ה' אלהינו לטוב לנו כל הימים (לעיל ו כד). והכוונה בכלם לטוב לנו, ולא לו יתברך ויתעלה, אבל כל מה שנצטוינו שיהיו בריותיו צרופות ומזוקקות בלא סיגי מחשבות רעות ומדות מגונות:
    וכן מה שאמרו (ברכות לג ב) לפי שעושה מדותיו של הקדוש ברוך הוא רחמים ואינן אלא גזרות, לומר שלא חס האל על קן צפור ולא הגיעו רחמיו על אותו ואת בנו, שאין רחמיו מגיעין בבעלי הנפש הבהמית למנוע אותנו מלעשות בהם צרכנו, שאם כן היה אוסר השחיטה, אבל טעם המניעה ללמד אותנו מדת הרחמנות ושלא נתאכזר. כי האכזריות תתפשט בנפש האדם, כידוע בטבחים שוחטי השורים הגדולים והחמורים שהם אנשי דמים זובחי אדם אכזרים מאד, ומפני זה אמרו (קידושין פב א) טוב שבטבחים שותפו של עמלק. והנה המצות האלה בבהמה ובעוף אינן רחמנות עליהם, אלא גזירות בנו להדריכנו וללמד אותנו המדות הטובות. וכן יקראו הם כל המצות שבתורה עשה ולא תעשה גזירות, כמו שאמרו (מכילתא בחדש ו) במשל המלך שנכנס למדינה אמרו לו עבדיו גזור עליהם גזירות, אמר להם כשיקבלו מלכותי אגזור עליהם גזירות, כך אמר הקדוש ברוך הוא קבלתם מלכותי אנכי ה' אלהיך (שמות כ ב), קבלו גזירותי לא יהיה לך וכו' (שם פסוק ג):
    אבל במדרשו של רבי נחוניא בן הקנה בשלוח הקן מדרש שיש במצוה סוד, אמר רבי רחמאי מאי דכתיב שלח תשלח את האם ולא אמר את האב, אלא שלח תשלח את האם בכבוד אותה בינה שנקראת אם העולם דכתיב (משלי ב ג) כי אם לבינה תקרא. מאי ואת הבנים תקח לך, אמר רבי רחמאי אותם בנים שגדלה ומאי ניהו שבעת ימי הסוכה ודיני שבעת ימי השבוע וכו'. והנה המצוה הזאת רומזת לענין גדול, ולכך שכרה מרובה למען ייטב לך והארכת ימים: 


    [1] Siman 100 du volume orah’-hayim  - https://hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=794&pgnum=75

  • Chofetim : aux frontières de l'être

       PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA    

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    Choftim : Aux frontières de l’être

     

     

     

    Quiconque est persuadé que sa vie n’est pas celle qu’elle devrait être, que son potentiel ne s’est pas réalisé comme il aurait pu ou dû l’être, peut soutenir que son quotidien médiocre et son existence boiteuse ne relèvent pas de son propre fait, mais que son lot et son origine en sont la cause. En d’autres termes, il n’est pas rare que l’amertume rejette la faute entière sur le déterminisme et refoule toute idée de liberté et de responsabilité personnelle.

    À l’opposé, et souvent pour redresser sa vie, il n’est également pas rare de prétendre s’abstraire de tout déterminisme et de s’imaginer n’avancer que loti de sa seule liberté. « L’Homme naît de se faire », aiment à dire les Existentialistes.

    Encore que l’on puisse comprendre – car on a de l’empathie – les deux positions, voilà que Choftim vient les récuser toutes deux par le verset : « Tu ne reculeras pas la frontière de ton prochain, que les Premiers ont fixée, dans ta possession que tu posséderas, sur la terre que l’Éternel ton dieu te donne en héritage.[1] » Il s’agit ici des terres partagées au tirage au sort entre les tribus lors de l’entrée en terre de Canaan.

    Tout Choftim pourrait même être résumé dans cet interdit, dans la mesure où il vient hanter l’ensemble de ses versets emblématiques. En effet, la portée juridique de cet interdit est aussi bien foncière, que politique et pénale. La portée foncière, on la devine aisément. La portée politique, voire géopolitique, on pourrait la voir dans la relation aux lois de la guerre de conquête. La portée pénale, on la rattacherait volontiers à la nécessité de mesurer convenablement les distances entre les frontières de deux villes lorsqu’un cadavre est retrouvé entre les deux cités, dans ce qu’on appellerait sans risque un No man’s land.

    Or, le commentaire de Ramban sur ce verset dépasse les seules considérations légales pour analyser les motivations qui pourraient pousser à transgresser cet interdit[2]. La motivation essentielle serait pour lui la croyance que le partage des terres par les Premiers – donc le partage originel – aurait été inégal, parce que les Premiers se seraient soit trompés involontairement dans les mesures, soit, au contraire, parce qu’ils se seraient trompés volontairement au détriment de certaines tribus et au bénéfice d’autres.

    Dans le premier cas, transgresser l’interdit réparerait une erreur ; dans le second, elle réparerait une injustice. En somme : le Droit établi ne serait pas remis en cause, ce serait son application imparfaite qui serait à redresser. Et l’on sait à quel point Choftim invite à faire preuve de justice ; son troisième verset ne crie-t-il pas « Justice, justice ! Poursuis-la afin que tu vives et hérites de la terre que l’Éternel ton dieu te donne[3] » ?  Notons que ce verset subordonne l’héritage de la terre à la redondance du mot « Justice ». Or, c’est bien de cela dont il est question dans la volonté de reculer la frontière de son voisin : justice pour réparer une erreur, justice pour dissiper l’injustice ! De ce fait, le transgresseur de frontière serait dans les deux cas dans son bon droit.

    Pour en revenir à la question du déterminisme et de la liberté, cela revient à dire que son lot est mauvais précisément parce qu’il l’a reçu ! Sa naissance était d’ores et déjà alourdie d’un manque. Il était donc indispensable de convoiter un autre lot et d’agir pour l’obtenir !

    Bien sûr, Ramban ne soutient ni la suspicion ni la transgression. Mais voilà, nous sommes humains, alors que faire face au sentiment d’un réel qui nous lèse, face à la certitude que notre vie est défaillante par le simple fait d’être mal né ? Comme le Figaro de Beaumarchais, nous sommes tentés de dire « Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus[4] ».

    Or, à la différence de Figaro, Ramban explique que ce verset ne doit pas se comprendre de la sorte parce que les deux suspicions, erreur et injustice, sont, par essence, infondées. Infondées car les Premiers à avoir partagé la terre sont Yeochoua bin Noun et les princes des tribus. Nulle erreur de l’histoire, nulle injustice de la vie. Yeochoua bin Noun le prophète prémunit de l’erreur et l’unité et l’affection que se portent les princes des tribus rendent irréaliste toute crainte de lésion.

    Au-delà de l’aspect apologétique, c’est le sens symbolique revêtu par Yeochoua bin Noun et les princes des Tribus qui importe. Il faut ici entendre que les principes ayant présidé à notre situation sont exempts par essence d’erreur et d’injustice : on ne choisit pas de naître où l’on naît ; on se contente de naître, sans en avoir le choix. Il n’y a pas de meilleurs mondes possibles, il n’y a que celui-ci !  

    C’est pourquoi, plutôt que de se plaindre de son lot et de rêver d’en changer, il faut avant toute chose embrasser ce lot jusqu’à s’y consumer et revenir à ce qui nous a donné la vie. Car si l’Homme naît peut-être de se faire ; ce qui fait l’Homme, c’est sa naissance à l’Être.

     

    Jonathan Aleksandrowicz

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf.notes


    [1] Deutéronome, chapitre 19, verset 14.

    [2] אזהרה שלא ישנה תחום החלוקה שחלקו הנשיאים את הארץ לשבטים או ליחיד מהם ועל כן אמר אשר גבלו ראשונים הם אלעזר הכהן ויהושע בן נון ונשיאי המטות ולכך הזכיר בנחלתך אשר תנחל וגו' וטעם המצוה הזאת שלא יחשוב אדם לומר אין חלקי אשר נתנו לי שוה כמו חלק חברי כי טעו החולקים או שיוציא בלבו לעז על הגורלות ולא יהיה זה בעיניו גזל כלל על כן צוה בכאן שלא יחלוק אדם על החלוקה ההיא ולא ישנה הגבולין כלל לא בסתר ולא בגלוי וזו מצוה מבוארת ממה שצוה על פי הגורל תחלק נחלתו בין רב למעט ואמר אלה שמות האנשים אשר ינחלו לכם וגו' ועל דעת רבותינו שהוא אזהרה לעוקר תחומו של חבירו בארץ שעובר בשני לאוין יהיה טעם

    [3] Deutéronome, chapitre 16, verset 19.

    [4] Beaumarchais, Le mariage de Figaro, Acte V, scène 3

     

  • Projet Ramban - Réeh

           PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA    

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    De l’efficacité des divinations autour du sang (Ramban/Rambam)

     

    « Seulement sois fort pour ne pas manger le sang, car le sang c’est la vie, et tu ne mangeras pas la vie avec la chair » (Devarim 12, 23)

     

    Après un long développement sur l’interdit de consommer du sang, répété plusieurs fois dans la Torah, le Ramban aborde une question classique chez les commentateurs : Pourquoi la Torah estime-t-elle que le respect de cet interdit nécessite une si grande force morale ? Fidèle à sa démarche, le maître explicite le questionnement en s’appuyant sur une analyse globale du texte : « Nous trouvons cette expression de ‘force’ dans les mtisvote lorsque Dieu a dit à Yeochoua : ‘Seulement sois très fort et courageux pour garder et accomplir toute la Torah que J’ai ordonnée à Moshé mon serviteur’ (Yeochoua 1, 7) ; et de même Yeochoua s’est-il exprimé envers Israël (…). Toutefois dans le cadre d’une mitsva, on ne trouve pas une telle formulation [sauf en l’espèce] (…) ».

    Dans un premier temps, c’est la thèse du Rambam dans le Guide des Egarés (3, 46) qui est citée et suivie : La consommation du sang des animaux offerts aux démons était une pratique si courante en Egypte que les Hébreux l’avaient complètement intégrée[1]. Il fallait donc une insistance toute particulière pour que cette pratique cesse.  

    Cependant cette raison n’est pas suffisante selon le Ramban. Il rappelle tout d’abord que la suite du verset apporte une justification à la mitsva : « car le sang c’est la vie ». Puis il explique que l’association aux démons par la consommation du sang avait un objectif précis : ce procédé permettait de dévoiler l’avenir. Là était le risque et la motivation de l’insistance : que les spectateurs de la réalisation d’une prédiction annoncée ‘autour du sang’ n’en viennent pas à en faire de même puis à délaisser Dieu. Au contraire, il convient de marcher toujours avec Dieu sans écouter les diseurs de bonne aventure et autres faux prophètes… même si les ‘prophéties’ et autres divinations peuvent se réaliser.

    Bien que le Ramban incite finalement à ne pas suivre ces pratiques « qui ne sont que vanité et illusions », il laisse pourtant entendre que leur efficacité peut être réelle. Une telle ambigüité se retrouve également chez le Rambam. Dans le passage du Guide précité, il rappelle que la croyance dans le pouvoir de la divination autour du sang était très répandue, mais il ne la réfute pas explicitement. Il laisse d’ailleurs entendre le contraire dans les Hilkhote issodé haTorah (10, 3) : « Certaines prophéties prononcées par des devins, sorciers ou autres se matérialisent, d’autres non (…) ». Or dans les Hilkhote ‘avoda zara (11, 16), le discours est tout autre : « Quiconque croit aux [arts occultes] de cette nature et pense qu’ils sont vrais (…) est sot et faible d’esprit ».

    Certes, on oppose habituellement les deux maîtres sur la question de l’efficacité réelle des ‘forces impures’ attribuées aux procédés de sorcellerie[2]. A la lecture des sources citées, on peut toutefois s’interroger sur la légitimité d’une telle catégorisation…

     

    Yona GHERTMAN

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

    רמב"ן דברים פרק יב פסוק כב
    מה חוזק ואומץ יש בהזהר מן הדם, והראוי שיאמר לחומרו "השמר לך לבלתי אכול הדם". ומצינו לשון חוזק במצות, שאמר הקדוש ברוך הוא ליהושע (יהושע א ז) רק חזק ואמץ מאד לשמור לעשות ככל התורה אשר צוך משה עבדי, וכן אמר יהושע לישראל (שם כג ו) וחזקתם מאד לשמור ולעשות את כל הכתוב בספר תורת משה, וזה במצות כולן, "ולשמור" ירמוז ללא תעשה "ולעשות" ירמוז למצות עשה, אבל במצוה אחת לא נמצא כן, ומה צורך לחיזוק בשב ואל תעשה ממצות לא תעשה אחת:
    אבל נראה לי כי הזכיר בה חיזוק מפני הענין אשר ממנו דבקו בדם במצרים, כי היו זובחים את זבחיהם לשעירים תמיד כמו שכתוב (ויקרא יז ז) ולא יזבחו עוד את זבחיהם לשעירים אשר הם זונים אחריהם, וכתיב (להלן לב יז) יזבחו לשדים לא אלוה, והיתה העבודה ההיא באכילה מן הדם, כי היו מקבצים הדם לשדים והם אוכלים עליו וממנו, כאלו הם קרואים לשדים לאכול על שולחן השדים ההם ומתחברים עמהם, וכבר הוזכר זה בספר מורה הנבוכים (ג מו). ולא שיהיה זה עיקר טעם איסור הדם, כי הכתוב מפרש טעמו כי הדם הוא הנפש - כאשר בסדר אחרי מות (ויקרא יז יא), אבל מזה היו שטופים בו ורודפין אחריו מאד. והנה היו מתנבאים בו ומגידים עתידות. ולכך בא הכתוב והזהיר שאם ישמע מאוכלי הדם דבר עתיד ובא האות והמופת אל יפתה לבבו, אבל יחזיק בתומתו ובאמונת ה' ואל יאכל מן הדם בשום ענין, ואל יכסה המעשה ההוא, מדבריהם לא יירא ומפניהם לא יחת כי הבל המה מעשה תעתועים. הזהיר בכאן כענין המוזהר בנביא השקר מפני הטעותיו: 


    [1] Dans le Guide, le Rambam distingue entre deux cultes proches : ceux qui mangeaient le sang pour s’allier aux démons ; et ceux qui ne supportaient pas la consommation du sang et se contentaient de manger la chair de l’animal sacrifié auprès de son sang (Ibid.).

    [2] La thèse du Rambam rapportée à cet effet est notamment celle citée dans les Hilkhote ‘Avoda Zara. Quant au Ramban, il développe explicitement dans son commentaire sur Devarim 18, 9-12 une argumentation destinée à prouver la réelle efficacité des arts occultes.

  • Projet Ramban "Ekev"

         PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA    

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    Ekev, un mot polyglotte

     

    « Si (ékèv ) vous écoutez ces lois (michpatim) , que vous les gardez et les réalisez, Dieu gardera l’alliance bienveillante qu’il a juré à vos pères ». (Dt, 7.12)

    Verset anodin qui pourtant a retenu l’attention de Rachi : en effet le ‘ékev’ (si) n’est pas la forme courant pour introduire une condition. Rachi fait dériver ce terme du ‘talon’ (ékev) et explique « si vous écoutez les lois qui sont d’ordinaire foulées au talon ». Certes, le terme ékev n’est pas courant, mais il est attesté. Pourquoi chercher une explication si alambiquée ?

    Le commentaire de Ramban sur ce verset est assez énigmatique dans sa construction.

    Il commence par citer un sens possible du terme ékev ­: afin. Fondamentalement le sens de la phrase est peu affecté : respectez mes lois afin que je respecte mon alliance. Puis il cite Rachi, et fait remarquer que le verset ne parle que d’un type de loi (michpatim) alors qu’il existe d’autres types de loi (‘houkim). Pourquoi donc le respect de l’alliance par Dieu ne serait fondé que sur l’observation de ces lois particulières, et par de l’intégralité de la Torah ? Ramban recolle les morceaux du commentaire de Rachi, ce qui donnerait « sans doute s’agit-il des lois financières qui sont facilement foulées ». Constatation indubitable ! mais elle n’éclaire pas la question que nous posions (sur l’intégralité de l’observation des lois de la Torah). Le Ramban ne le dit pas, mais il semble que l’interprétation de Rachi ne l’a pas convaincue.

    Notre auteur rapporte Ibn Ezra, sans le nommer, qui voit dans le terme ékev, l’idée d’un salaire, d’une récompense. Ibn Ezra est fidèle à l’option de traduction de ce mot qu’il a pris ailleurs[1]. Ramban est séduit[2] par cette option qui oppose le ‘talon’ à ‘la tête’, le talon indiquant la fin et la tête le début. Il garde donc l’idée du talon de Rachi, qu’il conjugue dans une autre interprétation. L’usage du mot ékev n’apporte pas grand-chose, si ce n’est qu’il est en phase avec le sens général du verset : il s’agit de mettre en avant l’idée d’une récompense si l’on garde les lois. La difficulté sur l’explication de Rachi est résolue pleinement, puisque maintenant, il s’agit de l’intégralité de la Torah qui est sous-entendue. Mais pourquoi utiliser le terme michpatim, qui ne renvoie pas à l’intégralité de la Torah, mais à une partie des commandements ?

    Ramban cite enfin un troisième commentaire : Onkelos, qui se contente de traduire ékev par ‘en contrepartie’. Là encore, le sens du verset n’est pas altéré, et l’emploi de ce terme en lieu et place du ‘si’ ne semble pas nous mener bien loin. Ramban ne l’entend pas ainsi : il entend un virage dans la compréhension ; pour lui ce terme suggère qu’Onkelos n’a pas fait dériver le mot ékev du terme talon, mais du terme intermédiaire, arrondi, contourné (ékev s’oppose à michor, droit, recte). Très enthousiaste, il montre de nombreux exemples à l’appui de ce sens ; cela va lui permettre de répondre à sa question sur le fait que le terme de michpatim n’indique pas l’intégralité de la Torah, mais seulement une classe de commandements. En combinant sa question avec la nouvelle signification qu’il aperçoit chez Onkelos, il conclut : « il n’est pas possible qu’un peuple entier suive l’intégralité des lois, qu’il n’en transgresse aucune ; c’est uniquement par les jugements (michpatim) que  la Torah peut être établie fermement ». Il comprend le terme michpatim une classe de commandements, mais pas selon la partition usuelle (michpatim :des commandements compréhensibles, ‘houkim : commandements peu évident à comprendre) ; michpatim ce sont les commandements relatifs au tribunal ; il explique « parfois on aura pitié d’appliquer un châtiment, c’est pourquoi il est dit ‘tu n’auras pas pitié’ ; [un juge] pourrait avoir peur des puissants, c’est pourquoi il est dit ‘ne craignez quiconque, car la justice appartient à Dieu’ ; de même concernant quiconque  inciterait à l’idolâtrie, ‘tu ne recouvriras pas sa faute’ ». Ainsi l’application par un tribunal des lois forme un cadre solide à partir duquel c’est toute la société qui ‘garde l’alliance’, malgré les inévitables dérives individuelles.

    Ce commentaire du Ramban est particulièrement bienvenu dans ce contexte, puisque justement le verset d’avant (Dt, 7.11) [3] parle de la distinction classique « michpatim, ‘houkim » ! Et il semble que ce soit cette difficulté qui a été le véritable moteur de l’étonnement des commentateurs ; l’emploi du mot ékev n’étant en lui-même pas trop problématique ; il s’avère pourtant que c’est une réflexion sur ce terme qui permet de trouver le sens du verset.

    Le Ramban fait prendre conscience que le tribunal n’est pas seulement un lieu de justice mais c’est aussi un lieu politique, une instance de gouvernement.

     

     

    Franck BENHAMOU

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf.notes. 

     

    רמב"ן דברים פרק ז פסוק יב

    (יב) טעם עקב - כמו בעבור, וכן עקב אשר שמע אברהם בקולי (בראשית כו ה). וכתב רש"י אם המצות הקלות שאדם דש בעקביו תשמעון, ישמור לך השם הבטחתו. והזכיר הכתוב המשפטים, אולי יזהיר במשפטים הקלים כדיני ממונות שלא יבזו אותם. והמפרשים אמרו כי טעם "עקב" שכר באחרית, וכן בשמרם עקב רב (תהלים יט יב), יאמר והיה אחרית תשמעון המשפטים ותשמרו אותם שישמר השם לך את הברית והחסד ואהבך. ונכון הוא, כי יקראו בלשון הקדש תחלת כל דבר בלשון "ראש", כענין ראש דברך אמת (שם קיט קס), וכן גדול הדור, ראש העם (במדבר כה ד) והמשובח, ראש בשמים (שה"ש ד יד), וכן יקראו אחרית כל דבר "עקב", כי הלשון יתפוס דמיונו באדם והראש תחלה והעקב בו אחרית וסוף. וכן יאמר הכתוב (להלן כח יג מד) לראש ולזנב, לדמיון גוף בהמה:

    ואונקלוס תרגם חלף, כמו חלף עבודתכם (במדבר יח לא), עשאו לשון סבוב, נגזר מן והיה העקוב למישור (ישעיה מ ד) הדרך המעוקל ההולך סביב סביב, וכן עקובה מדם (הושע ו ח) מסובבת ומוקפת. יאמר, והיה סבת שמעכם המשפטים ועשותכם אותם שישמור השם לכם בריתו, ויפה פירש. ודומה לזה, בגלל הדבר הזה (להלן טו י) בסבתו, מלשון וגללו את האבן (בראשית כט ג):

    וכן על דעתי, כל לשון עקיבה גלגול וסבוב, עקוב הלב (ירמיה יז ט), ויעקבני זה פעמים (בראשית כז לו), ויהוא עשה בעקבה (מ"ב י יט), ענין גלגולין וסבות. ולכן יקראו יעקב "ישורון", כי היפך העקוב מישור. וכן אחורי הרגל שנקרא עקב, וידו אוחזת בעקב עשו (בראשית כה כו), יקראנו כן בעבור היותו מעוגל, כאשר יקרא הלשון אמצע היד והרגל "כפות" בעבור היותם כמו כפות הזהב. ומורגל הוא בלשון, כמו שאמרו בספרי (ברכה ב), מימינו אש דת למו (להלן לג ב), כשהיה יוצא הדבור מפי הקדוש ברוך הוא היה יוצא דרך ימינו של קדש לשמאלן של ישראל, ועוקב את מחנה ישראל שנים עשר מיל על שנים עשר מיל, כלומר מקיף. וכן לשונם (ב"ק קיג א) באים עליו בעקיפין, בסבות וגלגולין, כמו עקיבין, ששתי האותיות האלה שוות להן כאשר פרשתי כבר (ויקרא יט כ):

    והזכיר את המשפטים האלה - להזהיר מאד במשפטים, כי לא יהיה עם רב כלו נזהר במצות כלן שלא יחטאו בהן כלל, רק במשפטים יעמידו התורה, כמו שנאמר בהן (להלן כא כא) וכל ישראל ישמעו ויראו. ועוד כי רבים ירחמו מלסקול האיש ולשרוף אותו אחרי שנעשת העבירה, כמו שנאמר (להלן יט יג) לא תחוס עינך. ועוד שייראו מן התקיפים ומן המטעים, כמו שאמר (לעיל א יז) לא תגורו מפני איש כי המשפט לאלהים הוא, ואמר בנביא השקר (להלן יח כב) לא תגור ממנו. והזכיר כל אלה במסית (להלן יג ט), לא תאבה לו ולא תשמע אליו ולא תחוס עינך עליו ולא תחמול ולא תכסה עליו. ויזהיר, לא תשמע אליו, מפני הטעאתו, ולא תחוס עינך, מפני הרחמנות שירחמו רכי הלבב על הנידונים, ולא תכסה, שלא תשתוק בעבור תקפו ויראת בני משפחתו

     

    [1] Voir son commentaire sur Gn 22.18.

    [2] Il dit que cette explication est ‘exacte’. 

    [3] Mais qui se soucie du dernier verset de la sidra précédente ?

  • Dévarim : répéter, transmettre, expliquer

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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        Devarim : répéter, transmettre, expliquer

     

    Le livre de Devarim est particulier par rapport aux autres livres de la Torah.

    De quoi s’agit-il ? demanderait-on à des élèves : d’une répétition de la Torah répondraient ils.

    Hazal l’appellent bien Mishne Torah (expression venant du verset Devarim 17, 18).

     

    Mais de fait toute la Torah et toutes les lois ne sont pas répétées.

    C’est ce que Ramban explique longuement dans son introduction au livre, ainsi que dans le commentaire du premier verset[1].

    Dans Devarim, Moïse s’adresse au peuple sur le point d’entrer en Israël. C’est-à-dire, à la génération qui n’était pas présente au Sinaï. Et il leur répète les lois.

    Dans son discours, il ne reprend toutefois pas les lois concernant les Kohanim car, explique Ramban, toutes ces lois ont déjà été expliquées et les Kohanim sont assidus (. והכהנים זריזים הם), « de bons élèves » et n’ont pas besoin d’une répétition.

    Cependant, pour les autres, une nouvelle répétition est nécessaire.

    Ramban distingue alors deux cas :

    1) les lois qui n’ont pas, déjà, été transmises aux enfants d’Israël

    2) celles qui l’ont déjà été.

    Ramban précise que les termes pour les introduire ne sont pas les mêmes.

     

    Ainsi, on trouve au verset 3 du premier chapitre de Devarim :

    וַיְהִי֙ בְּאַרְבָּעִ֣ים שָׁנָ֔ה בְּעַשְׁתֵּֽי־עָשָׂ֥ר חֹ֖דֶשׁ בְּאֶחָ֣ד לַחֹ֑דֶשׁ דִּבֶּ֤ר מֹשֶׁה֙ אֶל־בְּנֵ֣י יִשְׂרָאֵ֔ל כְּ֠כֹל אֲשֶׁ֨ר צִוָּ֧ה יְהוָ֛ה אֹת֖וֹ אֲלֵהֶֽם׃

    « C’était dans la 40e année, le 7e mois, le premier du mois, que Moise s’adressa (דִּבֶּ֤ר) aux enfants d’Israël selon tout ce que Dieu lui avait commandé ».

    Il s’agit, dit Ramban, des commandements qui n’avait pas encore été transmis aux enfants d’Israël, mais que Moïse avait déjà reçus. C’est pourquoi il est écrit « ce que Dieu lui avait commandé ».

    Mais, comment comprendre que des lois aient pu ne pas être transmises ?   Pourquoi apparaissent-elles maintenant ? C’est le cas par exemple de la loi du Lévirat.

    Ramban précise, alors, qu’elles ont toutes été dites au mont Sinaï ou dans l’année qui a suivi (jusqu’à la fautes des espions) mais n’ont pas encore été transmises.  (C’est pourquoi lorsque ces lois sont rappelées elles ne sont pas précédées par « Dieu dit à Moïse », car elles ont déjà été dites).  Mais, elles n’avaient pas encore été transmises car elles ne s’appliquaient pas à la période du désert et n’avait de sens qu’une fois entré en Israël.

     

    Au verset 5 du premier chapitre, on trouve :

    בְּעֵ֥בֶר הַיַּרְדֵּ֖ן בְּאֶ֣רֶץ מוֹאָ֑ב הוֹאִ֣יל מֹשֶׁ֔ה בֵּאֵ֛ר אֶת־הַתּוֹרָ֥ה הַזֹּ֖את לֵאמֹֽר׃

    « De l’autre côté du Jourdain, en terre de Moab, moise désira (הוֹאִ֣יל) expliquer la Torah en disant… ».

    הוֹאִ֣יל a plusieurs sens et en particulier « désirer ».

    Rachi, en référence à un verset de Beréchit, le traduit par commencer. (« Moïse commença à expliquer »).

    Ramban rejette cette traduction, car de fait, c’est plus tard, que Moise commence réellement à expliquer.

    הוֹאִ֣יל  veut dire, pour lui, « désirer »  c’est-à-dire que Moïse désira expliquer la Torah. De lui-même, et non sur l’ordre de Dieu.

    Il s’agit, alors, de donner de nouvelles explications aux commandements déjà énoncés et d’introduire de nouvelles choses[2].

     

    Plus que tout, cette introduction nous place au cœur du lien qui unit Moïse aux enfants d’Israël.

    Il ne se contente pas de répéter ce que Dieu lui dit.

    Pendant un temps, il retient les commandements, ne les transmettant que lorsqu’ils prendront sens.

    Dans d’autres cas, il prend sur lui d’ajouter de nouvelles explications, pour rendre plus clair les commandements.

    Et, c’est au moment où il sait qu’il va quitter ce peuple, qu’il fait une dernière fois œuvre de pédagogie dans la transmission, donnant aux enfants d’Israël toutes les connaissances leur permettant d’aborder ce monde nouveau qui les attend une fois le Jourdain franchi.

     

    Noémi Leben

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf.notes. 


    [1] הספר הזה ענינו ידוע שהוא משנה תורה יבאר בו משה רבנו לדור הנכנס בארץ רוב מצות התורה הצריכות לישראל ולא יזכיר בו דבר בתורת כהנים ולא במעשה הקרבנות ולא בטהרת כהנים ובמעשי ה' שכבר ביאר אותם להם. והכהנים זריזים הם לא יצטרכו לאזהרה אחר אזהרה אבל בישראל יחזיר המצות הנוהגות בהם פעם להוסיף בהם ביאור ופעם שלא יחזיר אותם רק להזהיר את ישראל ברוב אזהרות כמו שיבאו בספר הזה בעניני עבודת גלולים אזהרות מרובות זו אחר זו בתוכחות וקול פחדים אשר יפחיד אותם בכל ענשי העבירות. ועוד יוסיף בספר הזה כמה מצות שלא נזכרו כלל כגון היבום ודין המוציא שם רע והגרושין באשה ועדים זוממין וזולתו. וכבר נאמרו לו כולן בסיני או באוהל מועד בשנה הראשונה קודם המרגלים כי בערבות מואב לא נתחדשו לו אלא דברי הברית כאשר נתפרש בו. ועל כן לא נאמר בספר הזה וידבר ה' אל משה לאמר צו את בני ישראל או דבר אל בני ישראל ואמרת אליהם מצוה פלונית. אבל לא נכתבו המצות בספרים הראשונים שידבר עם יוצאי מצרים כי אולי לא נהגו באותן המצות רק בארץ אע"פ שהן חובת הגוף. כאשר בא בענין הנסכים או מפני שאינן תדירות לא הזכיר רק בבנים נוחלי הארץ. וטרם שיתחיל בביאור התורה התחיל להוכיחם ולהזכיר להם עונותיהם כמה ימרוהו במדבר וכמה שהתנהג עמהם הקב"ה במדת רחמים וזה להודיע חסדיו עמהם. ועוד שיוכחו בדבריו שלא יחזירו לקלקולם פן יספו בכל חטאתם ולחזק לבם בהודיעו אותם כי במדת רחמים יתנהג עמהם לעולם. שלא יאמר אדם לא נוכל לרשת את הארץ כי אין אדם אשר לא יחטא ומיד תהיה מדת הדין מתוחה כנגדנו ונאבד ולכן הודיעם משה רבנו כי הקב"ה רחמן מלא רחמים כי הסליחה והמחילה ממנו יתברך סיוע ועזר לבני אדם בעבודתו. וכענין שאמר הכתוב כי עמך הסליחה למען תורא.

    [2] והנה הזכיר בכאן שני דברים אמר שדבר משה אל בני ישראל ככל אשר צוה ה' אותו אליהם וזה רמז אל המצות שיאמר להם בספר הזה שלא נזכרו עד הנה בתורה ואמר שהם ככל אשר צוה אותו השם לא הוסיף ולא גרע על מה שנצטווה והזכיר זה בעבור שלא אמר בהם וידבר ה' אל משה ולכן כלל אותם עתה שהם כולם ככל אשר נצטווה מפי הקב"ה ואמר עוד כי הואיל משה באר את התורה וזה רמז במצות שנאמרו כבר שיחזור אותם לבאר אותם ולחדש בהם דברים וטעם הואיל משה שרצה לבאר להם את התורה והזכיר כן להודיע כי מעצמו ראה לעשות כן ולא צוהו השם בזה מלשון הואל נא ולין (שופטים יט ו) ולו הואלנו ונשב (יהושע ז ז) וכן רבים:

  • Projet Ramban "Matot-Maassé"

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Les complications d'un héritage par les femmes

     

    La tribu de Menashe réclame une solution pour ne pas perdre la terre promise aux filles de Tselofhad au profit d’une autre tribu. En effet, si l’une d’entre elle épousait un homme d’une autre tribu, l’héritage reviendrait de droit au mari et la terre serait irrécupérable pour la tribu d’origine.

    De ce cas découle une règle pour préserver les territoires: une femme n’ayant pas de frères a l’obligation d’épouser un homme provenant de sa tribu. Ce qui limite l’ensemble des possibilités de mariage et réduit la panoplie de mariages potentiels.

    Mais une femme ayant des frères peut se marier avec un homme d’une autre tribu. Dans ce cas, qu’en serait-il de l’héritage si tous ses frères venaient à disparaître sans avoir d’enfants ? L’héritage du père serait-il encore une fois perdu par la tribu au profit de celle du mari ?

    D’où la seconde restriction prévue par la Tora, l’héritage restera dans la tribu d’origine et la femme sera privée des terres de ses pères.

    Ramban[1] soulève le problème suivant : est-il possible d’ôter l’héritage revenant à toute une descendance ? Hazal[2] nous enseignent que ces restrictions n’ont existé que dans la génération conquérante. Dès le moment où le peuple s’est établi de façon durable en terre d’Israël, la répartition  des terres fût remaniée naturellement, par les mariages entre les tribus.

    Une question subsiste : si l’on souhaitait préserver la carte géographique que D. donna à Moshe, pourquoi ces restrictions n’ont pas été maintenues ?

    D’après Ramban1, les restrictions ont été mises en place afin de créer un lien fort entre chaque tribu et son territoire. Pour donner de l’importance à ce lien, les tribus ne devaient pas se séparer de leur terre, que ce soit activement (par un mariage avec une autre tribu) ou de manière passive (une femme perdant ses frères). Ce lien se crée instantanément, il n’a pas besoin de perdurer.  Hazal nous enseignent que la date où le lien serait acquit n’étant pas définissable, les restrictions furent maintenues pour toute la génération.

    Cet ensemble de limitations maritales créèrent un certain poids sur la société. Le 15 Av[3] est selon Rav Yehouda la date où ces restrictions furent abolies. La joie du peuple à cette date paraît à présent plus évidente.

     

    Koren ASSOULINE

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf.notes. 


    [1] רמב״ן במדבר לו ז "ולא תסב נחלה לבני ישראל ממטה אל מטה" - לא חשש הכתוב אלא לתקן העת ההיא, כי אם היו בישראל נשים נשואות לשבט אחר, והן יורשות נחלה היום, או שתירשנה מיום זה ואילך שימות אביהן או אחיהן בלא בנים, על כורחנו תיסוב נחלתן ממטה אל מטה, ומי יוכל לתקן בזמן את אשר עוותו. כי לא רצתה התורה לצוות שלא יירשו אותן הבן והבעל, שלא ראתה לעקור משפט הירושה. וכן לא יחוש הכתוב למקרים העתידים לבא, כי הבנות שאינן יורשות נחלה יכולות להינשא לכל השבטים, ואפשר שתהיינה יורשות נחלה בזמן הבא כי ימותו אחיהן בחיי האב ותעבור נחלת אביהן או קרוביהן להן: ועל דעת רבותינו (בבא בתרא קכ א) שדרשו: דבר זה לא יהא נוהג אלא בדור זה בלבד. יתכן שלא היו בכל הדור ההוא הבא בארץ בנות יורשות נחלה זולתי בנות צלפחד, כי על כן לא דברו. וציוה הכתוב, שאם ימות אדם מן היום ההוא עד שתחלק הארץ לשבטיהם ותהיה בתו יורשת אותו, לא תינשא לשבט אחר שלא יבא האיש ההוא בעת חלוק הארץ לקחת לו נחלה בתוך מטה אחר, כי הקפדה להם תהיה יותר גדולה בעת החלוק שלא יתערבו השבטים זה עם זה בנחלה, כי אחרי כן כבר נודעה נחלתן ולא יקפידו כל כך, ובעבור שלא נודע זמן החלוק הזהיר בכל הדור. והשם אשר בידו נפש כל חי אין לו לחוש מכאן ואילך: ונכון הוא על דרך הפשט, שאין "ולא תיסוב נחלה" טעם, כדי שלא תיסוב הנחלה, אבל הן שתי מצוות ציווה ביורשות נחלה, שלא תינשאנה רק למטה אביהן, וציוה בנשואות כבר ואשר תבוא אליהן נחלה אחרי היותן לאיש שלא תיסוב הנחלה ממטה למטה אחר, אבל יירשו אותן אחיהן וקרוביהן לא בניהן ולא בעליהן. והזהיר מתחלה בבנות צלפחד, ואחרי כן בכל בת יורשת נחלה. ואמר בכל ישראל שלא תיסוב נחלה ממטה אל מטה, שאף הנשואות, או המוזהרות אם יעברו על המצווה, יירשו אותן אנשי המטה, שיהיו דבוקים וקשורים בנחלת מטה אבותם לא תיפרד נחלתם מהם והם לא ייפרדו מנחלת אבותם. ולא נהג כל זה רק בדור הנוחל את הארץ בעת החלוקה. והנה נתן להם עצה בפנויות אשר שאלו, ותקן גם בנשואות.

    [2] בבא בתרא קכ א :דבר זה לא יהא נוהג אלא בדור זה בלבד.

     [3] תענית ל ב: ט"ו באב מאי היא אמר רב יהודה אמר שמואל יום שהותרו שבטים לבוא זה בזה מאי דרוש (במדבר לו, ו) זה הדבר אשר צוה ה' לבנות צלפחד וגו' דבר זה לא יהא נוהג אלא בדור זה

  • Comprendre les signes de l’Éternel

     

    בס״ד

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Projet Ramban – Parachat Balak

     

    La parachat Balak relate l’une des histoires les plus étonnantes de la Torah. Une fois n’est pas coutume, le peuple d’Israël ne sera pas le principal protagoniste du récit, mais Balak roi de Moab et surtout Bilam sorcier et prophète des Nations qui tenteront vainement de maudire le peuple élu ! Parmi les multiples rebondissements de cette histoire, l’épisode de l’ânesse de Bilam demeure certainement le plus fameux exemple de l’impuissance des ennemis d’Israël à mettre en œuvre leurs sinistres desseins.           

    Alors que l’Eternel avait avertit Bilam par deux fois par le biais de songes prophétiques de ne pas accepter les offres alléchantes de Balak pour aller « bénir » le peuple hébreu, ce dernier cède aux tentations  et part rejoindre le roi de Moab afin de lui offrir ses services de puissant sorcier. Mais voilà que sur le chemin, un ange armé d’un glaive leur barre la route ; la bête est saisie de terreur alors que Bilam ne voit rien avec ses yeux de chair et de sang.

     

    וַיִּחַר-אַף אֱלֹהִים, כִּי-הוֹלֵךְ הוּא, וַיִּתְיַצֵּב מַלְאַךְ יְהוָה בַּדֶּרֶךְ, לְשָׂטָן לוֹ; וְהוּא רֹכֵב עַל-אֲתֹנוֹ, וּשְׁנֵי נְעָרָיו עִמּוֹ

    וַתֵּרֶא הָאָתוֹן אֶת-מַלְאַךְ יְהוָה, וַתִּלָּחֵץ אֶל-הַקִּיר, וַתִּלְחַץ אֶת-רֶגֶל בִּלְעָם, אֶל-הַקִּיר 

    וַתֹּאמֶר הָאָתוֹן אֶל-בִּלְעָם, הֲלוֹא אָנֹכִי אֲתֹנְךָ אֲשֶׁר-רָכַבְתָּ עָלַי מֵעוֹדְךָ עַד-הַיּוֹם הַזֶּה--הַהַסְכֵּן הִסְכַּנְתִּי, לַעֲשׂוֹת לְךָ כֹּה; וַיֹּאמֶר, לֹא 

    וַיְגַל יְהוָה, אֶת-עֵינֵי בִלְעָם, וַיַּרְא אֶת-מַלְאַךְ יְהוָה נִצָּב בַּדֶּרֶךְ, וְחַרְבּוֹ שְׁלֻפָה בְּיָדוֹ; וַיִּקֹּד וַיִּשְׁתַּחוּ, לְאַפָּיו..

     

    Mais Dieu étant irrité de ce qu'il partait, un ange du Seigneur se mit sur son chemin pour lui faire obstacle. Or, il était monté sur son ânesse, et ses deux jeunes esclaves l'accompagnaient…

    L'ânesse, voyant l'ange du Seigneur, se serra contre le mur, et froissa contre le mur le pied de Balaam, qui la frappa de nouveau…

     Et l'ânesse dit à Balaam: "Ne suis-je pas ton ânesse, que tu as toujours montée jusqu'à ce jour? Avais-je accoutumé d'agir ainsi avec toi?" Et il répondit: "Non.

    Soudain, le Seigneur ouvrit les yeux de Balaam, et il vit l'ange du Seigneur debout sur la route; l'épée nue à la main; il s'inclina et se prosterna sur sa face…(Bamidbar chap. 22 ; V. 22, 25,30 ;31)

     

    Le Ramban dans son commentaire sur la paracha, s’interroge sur la nature de la vision de l’ânesse de Bilam. En effet, les anges n’ont point de corps physique et seuls les êtres ayant atteints le niveau de la prophétie tel que Daniel ou un niveau proche de ce dernier sont capables de les voir ou de sentir leur présence. Il faut donc expliquer selon le Ramban, que l’ânesse de Bilam n’a point vu l’ange mais seulement senti un danger imminent ou une présence menaçante l’empêchant de continuer son chemin.

    Cependant, Rabbi Moché Ben Nahmanide soulève l’hypothèse que l’Eternel a pu aussi ajouté au miracle de la parole de l’ânesse un deuxième miracle à savoir une capacité à pouvoir voir de ses yeux des êtres de cette nature.

    Toujours est-il que cet épisode aurait du faire rebrousser chemin à Bilam. En effet, le Ramban explique qu’il y avait dans la nature de cet épisode et du miracle accompli à son ânesse, un message clair pour le sorcier :

    Si l’Eternel a le pouvoir de faire parler une simple bête, il lui sera d’autant plus aisé de maîtriser la parole d’un humain. Bilam aurait du donc comprendre dès cet instant que sa bouche ne pourrait jamais sortir des paroles hostiles à l’encontre d’Israël.

    Dans la suite de ses explications, le Ramban démontre que Bilam n’a jamais été un vrai prophète ; en effet, c’est D.ieu qui lui ouvre les yeux pour qu’il puisse voir l’ange qui se tient devant lui. De même, si Bilam avait vraiment acquis le niveau de la prophétie, il n’aurait point été tué par le glaive comme cela se produira par la suite ; il est même défini dans le livre de Josué (Josué 13,22) comme « Bilam fils de Béor, le sorcier » et non « le prophète ». Il faut donc conclure que les seules paroles prophétiques qui sortiront de sa bouche à la fin de notre paracha, ne lui seront délivrées qu’en l’honneur et pour la gloire d’Israël, le reste de ses prodiges n’étant le fruit que de ses sorcelleries.

    Les deux explications du Ramban, concernant l’incapacité de comprendre les signes de D.ieu et le niveau de prophétie de Bilam, sont en réalité intrinsèquement liés. En effet la sagesse du prophète consiste aussi à donner la juste interprétation aux évènements qui l’entourent et à la parole de D.ieu. Sans cela, il ne peut devenir le réceptacle de la parole divine.

    Bilam ne saisit pas le sous-entendu de la parole miraculeuse et soudaine de son ânesse.

    Le prophète Yona (Jonas) dans une autre mesure et un autre contexte, se plaint à l’Eternel que ce dernier veuille épargner la ville de Ninive et ses idôlatres, et ce malgré leur téchouva (repentir) de façade. Voila que l’Eternel lui donne une leçon en desséchant un arbre qui avait poussé miraculeusement et qui l’abritait jusque là des fortes chaleurs ambiantes :

    L'Eternel répliqua: "Quoi! tu as souci de ce ricin qui ne t'a coûté aucune peine, que tu n'as point fait pousser, qu'une nuit a vu naître, qu'une nuit a vu périr et moi je n'épargnerais pas Ninive, cette grande ville, qui renferme plus de douze myriades d'êtres humains, incapables de distinguer leur main droite de leur main gauche, et un bétail considérable!

     Par ce message, l’Eternel éclaire Yona sur sa conduite dans ce monde ! Le prophète regrette « la trop grande » miséricorde du Créateur qui ne devrait pas s’étendre aux idolâtres. L’Eternel lui répond alors que sa miséricorde s’étend  même sur le bétail des gens de Ninive et à plus forte raison sur des être humains. Mais la leçon va plus loin encore :

    Hachem  démontre à Yona que  lui-même s’apitoie sur un arbre pour lequel il n’a fourni aucun labeur. Le Kykayon, le ricin, qui le protégeait du soleil avait poussé miraculeusement. Pourquoi Yona  se lamentait maintenant sur un végétal qui n’était que l’expression de la Miséricorde « décriée » de D.ieu ?

    La parole de l’Eternel dans ces deux épisodes se véhicule à la fois par des songes ou des visions prophétiques, ou bien par la nature d’un miracle vécu qui doit amener le témoin de ce dernier à une réflexion profonde. Le manque flagrant de sagesse du sorcier, qui désobéit à la fois à la parole divine et qui ne saisit rien aux évènements extraordinaires qui le frappent, nous conduit aussi à conclure qu’il n’a en réalité jamais été un prophète.

    Le Rambam dans son commentaire sur le traité des Perkei Avot (Maxime des Pères), définit la sagesse comme condition obligatoire pour recevoir la prophétie au même titre que la richesse (qui peut s’exprimer par la suffisance de ce que nous possédons) et la vaillance (à maîtriser ses pulsions).Si la prophétie a de nos jours disparue, la sagesse, elle nous est toujours accessible et notamment pour nous aider à interpréter les évènements que nous traversons dans nos vies. Bilam est devenu le symbole de l’inutilité des miracles s’ils ne sont pas vécus et interprétés par des cœurs ouverts à la sagesse de D.ieu.

     

    Shmouel CHOUCROUN

     

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : 

     

    רמב"ן במדבר פרק כב פסוק כג
    (כג) ותרא האתון את מלאך ה' - מלאכי השם השכלים הנבדלים לא יראו לחוש העינים, כי אינם גוף נתפש במראה, וכאשר יראו לנביאים או לאנשי הרוח הקודש כדניאל ישיגו אותם במראות הנפש המשכלת כאשר תגיע למעלת הנבואה או למדרגה שתחתיה, אבל שיושגו לעיני הבהמה אי אפשר. על כן תוכל לפרש "ותרא האתון", כי הרגישה בדבר מפחיד אותה מלעבור והוא המלאך אשר יצא לשטן, כענין ולבי ראה הרבה חכמה ודעת (קהלת א טז), שיאמר על ההשגה לא על הראות. וכאשר אירע בה הנס ושם לה הבורא הדבור, אמרה לבלעם (פסוק ל) ההסכן הסכנתי לעשות לך כה, אבל לא ידעה למה עשתה עתה כן כי לאונסה נעשה בה כך, ולפיכך לא אמרה לו "הנה מלאך השם עומד לנגדי וחרבו שלופה בידו" כי לא עלתה השגתה לדעת זה כלל:
    ואמר ותרא את מלאך ה' וחרבו שלופה בידו, לא שתראה חרב אף כי מלאך, אבל ירמוז הכתוב כי מפני היות המלאך נכון להכות בה חרדה חרדה גדולה נדמה לה כאלו באים לשחוט אותה. ואם נאמר כי המלאכים הנראים בדמות אנשים, כאשר הזכרתי בפרשת וירא (בראשית יח ב), יושגו אף לעיני הבהמות, אם כן איך לא יראנו בלעם, ולא הוכה בסנורים. אבל יתכן, שהוסיף בהשגת עיניה מי שהוסיף בה הדבור וראתה כאדם, ולא הזכיר בה הכתוב "ויגל השם עיני האתון" כאשר הזכיר באדוניה (פסוק לא), כי הענין כולו באתון נס גדול כבריאה חדשה בנבראים בין השמשות ואינו נקרא גלוי עינים בלבד. אבל רבותינו (אבות פ"ה מ"ו) לא יזכירו בנסים רק פתיחת פיה:
    וטעם הנס הזה, להראות לבלעם מי שם פה לאדם או מי ישום אלם, להודיעו כי השם פותח פי הנאלמים, וכל שכן שיאלם ברצונו פי המדברים, גם ישים בפיהם דברים לדבר כרצונו כי הכל בידו, ולהזהירו שלא ילך אחר נחש וקסם ויקללם בהם, כי מנחש וקוסם היה: 

    רמב"ן במדבר פרק כב פסוק לא
    (לא) ויגל ה' את עיני בלעם - מזה הכתוב נלמד כי בלעם לא היה נביא, אלו היה נביא איך יצטרך לגלוי העינים בראיית המלאך כאשר יאמר הכתוב במי שלא הגיע לנבואה כנער אלישע (מ"ב ו יז) והגר המצרית (בראשית כא יט), ולא יאמר כן בנביאים, וכך קראו הכתוב (יהושע יג כב) בלעם בן בעור הקוסם. ומה שאמר הוא (פסוק ח) כאשר ידבר ה' אלי, יקרא ידיעתו העתידות בקסמיו "דבר ה'". אבל לכבוד ישראל בא אליו השם בלילה ההוא, ואחרי כן זכה לגלוי עינים בראיית המלאך ודבר עמו, ובסוף עלה למעלת מחזה שדי (להלן כד ד טז), והכל בעבור ישראל ולכבודם. ואחרי ששב לארצו היה קוסם, כי כן יקראנו הכתוב במיתתו (יהושע יג כב) ואת בלעם בן בעור הקוסם הרגו בחרב, וחלילה שישלחו יד בנביא השם. וכך אמרו במדרש במדבר סיני רבה (כ יט), בלעם נזקק לרוח הקדש, וכשנזדווג לבלק נסתלקה ממנו רוח הקדש וחזר להיות קוסם כבתחלה, לפיכך צווח רם הייתי והורידני בלק:

     

  • Houkat : Ce qui unit une communauté

        PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    חקת : Ce qui unit une communauté

     

     

    Le verset במדבר כ,א commence ainsi :

    וַיָּבֹ֣אוּ בְנֵֽי־יִ֠שְׂרָאֵל כָּל־הָ֨עֵדָ֤ה מִדְבַּר־צִן֙ בַּחֹ֣דֶשׁ הָֽרִאשׁ֔וֹן וַיֵּ֥שֶׁב הָעָ֖ם בְּקָדֵ֑שׁ וַתָּ֤מָת שָׁם֙ מִרְיָ֔ם וַתִּקָּבֵ֖ר שָֽׁם

    Les enfants d'Israël, toute la communauté, arrivèrent au désert de Cîn, dans le premier mois, et le peuple s'arrêta à Kadêch. Miryam mourut en ce lieu et y fut ensevelie.

    Les commentateurs s’attachent au début de la phrase qui semble redondant : « les enfants d’Israël, toute la communauté ».

    Quel sens apporter à cette répétition ?

    Pour Rachi [1]כָּל-הָעֵדָה, עֵדָה הַשְּׁלֵמָה, שֶׁכְּבָר מֵתוּ מֵתֵי מִדְבָּר וְאֵלּוּ פָּרְשׁוּ לְחַיִּים. Toute la communauté désigne la communauté dans son intégrité, car la « génération du désert » avait totalement disparu et ceux-là étaient destinés à vivre.

    Le complément « toute la communauté » précise ainsi que la totalité des enfants d’Israël forme un groupe solidaire qui entrera plus tard en Israël puisque ceux destinés à mourir dans le désert le sont déjà. Il s’agit donc d’une communauté de destin et c’est ce qui les soude.

    Comme à son habitude, Ramban commence par citer l’opinion de Rachi pour ensuite la réfuter. Selon lui cette répétition est là pour introduire un contexte de querelle. Querelle qui va effectivement survenir puisque, Myriam étant morte, l’eau va manquer. Toutes les fois, explique-t-il, que l’expression « כָּל-הָעֵדָה » est utilisée associée à « בְנֵֽי־יִ֠שְׂרָאֵל ּ» c’est dans un contexte de querelle. Il cite pour cela 4 versets (deux dans שמותet deux dans במדבר ) qui tous décrivent une situation dans laquelle les enfants d’Israël se querellent avec Moïse ou Dieu[2].

    Là encore les enfants d’Israël forment un tout cohérent, uni. Celui du groupe qui s’oppose, qui réclame. A sa manière c’est aussi une communauté de destin puisque c’est face à ce groupe uni que Moise va avoir ce geste qui va sceller son devenir, celui de frapper le rocher. Mais si l’expression est positive chez Rachi, elle l’est nettement moins chez Ramban.

    Dans son commentaire, cinq siècles plus tard, le Or Hachaïm explique qu’on peut trouver trois types d’explications à l’expression  כל העדה mais que dans tous les cas ce la désigne une  עדה שלמה« une communauté parfaite ».

    On retiendra ainsi le raisonnement : « nous savons que nous lirons, peu après, l’incident avec les eaux du conflit qui,  selon Devarim Rabba était la raison du châtiment de Moïse. (…) Il s’adressait aux Israélites en disant : « Ecoutez peuple rebelle ». Il était important pour la Torah de déclarer, qu’à cette époque, les Israélites étaient tous une sainte congrégation. Si cela n’avait pas été le cas, la Torah n’aurait pas pu reprocher à Moise de s’adresser aux Israélites comme des rebelles ».

     

    Il y a sans doute matière à réflexion pour nos propres communautés. Qu’est ce qui les unit ? Qu’esth ce qui en fait le ciment ?

    Est-ce un destin ? Une histoire ? Le fait de se projeter ensemble vers un but commun ?

    On ne peut que souhaiter que nos communautés soient unies afin de former une עדה שלמה et non une communauté querelleuse tel qu’elle apparait, pour Ramban dans ce verset במדבר כ,א.

     

     

    Noémi LEBEN

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes.

     

    [1] רש״י, במדבר כ,א

    [2]  רמב״ן, במדבר, כ, א ׃ בני ישראל כל העדה מדבר צן העדה עדה שלמה שכבר מתו מתי מדבר ואלו פרשו לחיים לשון רש"י וכן דעת ר"א ואם כן מה צורך להזכיר כן בבואם אחרי כן אל הר ההר (פסוק כב) ור"א אמר כי הזכיר זה בעבור כי יצא אדום להלחם בם הזכיר הכתוב שלא נפקד מהם איש בבואם מעיר אדום ואינו נכון כי ישראל נטו מעליו ולא נלחם בם כלל והנכון בעיני כי מנהג הכתוב להזכיר כן במקום התלונות ויבאו כל עדת בני ישראל אל מדבר סין אשר בין אלים ובין סיני (שמות טז א) ויסעו כל עדת בני ישראל למסעיהם ויחנו ברפידים (שם יז א) יודיענו הכתוב כי היו כלם בתלונה וכן ותשא כל העדה ויתנו את קולם (לעיל יד א) וילונו כל עדת בני ישראל ממחרת (שם יז ו) ואמר כן בבואם אל הר ההר להודיע שהיו כלם בהספדו של אהרן קדוש ה' כמו שאמר ויבכו את אהרן כל בית ישראל וגו' (פסוק כט) ואמר לעיני כל העדה (פסוק כז) ובמדבר סיני רבה (יט ט) ראיתי שהזכיר הלשון הזה עדה שלימה וכו' בכתוב השני בהר ההר בלבד כי הראשון מפני התלונה נאמר כאשר פירשתי וטעם וישב העם בקדש לומר כי כאשר נכנסו במדבר צין עד קדש מתה מרים וטעה ר"א שאמר בעבור שישבו שם ימים רבים כי כן כתוב כי קדש אשר כתוב בו (דברים א מו) ותשבו בקדש ימים רבים כימים אשר ישבתם הוא קדש ברנע והוא במדבר פארן ומשם נשתלחו המרגלים בשנה השניה ושם חזרו אבל קדש זה הוא במדבר צין ובאו שם בשנת הארבעים ושם מתה מרים ומקראות מפורשים הם:

     

  • La révolution au bon moment

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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         Attendre le bon moment pour la révolution

     

    Le premier commentaire du Ramban sur la paracha Kora’h est vaste et profond. Comme à son habitude, le maître de l’Espagne médiévale commence par rapporter les propos de Rachi et y réagir.

    Selon ce dernier, citant le Midrash Tan’houma, il faut comprendre que Kora’h « s’est pris lui-même », c’est-à-dire qu’il s’est mis de côté, opérant une scission dans l’assemblée. Preuves à l’appui, le Ramban explique qu’il y a plutôt une « prise de position » : « Il a pris conseil en son cœur pour faire ce qui va être raconté ».

    Nul besoin non plus de lire avec Ibn Ezra le verset comme comportant un complément d’objet implicite : « Kora’h a pris des hommes [avec lui] ». En effet, une fois la motivation présente et la flamme de la scission brûlante, les partisans viennent d’eux-mêmes. La prise de position ferme et convaincue du trublion possède une force d’attraction indéniable.

    La lecture du Ibn Ezra s’explique cependant par sa grille de lecture de la Torah : Le principe « ein moukdam oumou’har baTorah / Il n’y a pas d’ordre chronologique dans la Torah » peut s’appliquer partout dans le texte. Selon lui, l’épisode de Kora’h a donc lieu lorsque les premiers-nés vont laisser leur place aux Léviim en ce qui concerne le service divin.

    Or, nous sommes ici dans le désert du Sinaï, après la faute du veau d’or, à un moment où Moshé Rabbénou est encore porté en estime par le peuple. Aussi l’issue de la scission n’est-elle pas évidente du tout, et la simple conviction d’un esprit fort insuffisante pour attirer à lui un si beau parti. Le Ramban ne le dit pas explicitement, mais c’est peut-être cette chronologie d’Ibn Ezra qui le pousse à expliquer que Kora’h a dû en amont préparer un recrutement actif pour fomenter sa révolte.

     

    Toute différente est donc sa perspective. Selon lui, le principe « ein moukdam oumou’har baTorah / Il n’y a pas d’ordre chronologique dans la Torah » est très réglementé, n’intervenant qu’en cas d’exigences conceptuelles interférant avec la succession du texte littéral[1]. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Nous sommes juste après l’épisode des explorateurs, et donc dans le désert de Paran. Beaucoup sont déjà morts par le feu de Tav’éra et à Kivrote haTaava. Le traumatisme de la sanction successive à l’envoi des explorateurs est dans tous les esprits. A ce moment, Moshé Rabbénou n’est plus en odeur de sainteté.

    C’est donc dans ce contexte que la conviction du tribun peut attirer des esprits initialement frustrés. Kora’h a longuement attendu, il a pris sur lui et « supporté » de voir Aharon à une place qu’il estimait lui revenir. Croyant enfin voir la roue tourner, il prend finalement conseil « en son cœur » pour -enfin- révéler ses ambitions.

     

    Yona GHERTMAN

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : 

    רמב"ן פרשת קרח
    ויקח קרח - פרשה זו יפה נדרשת במדרש רבי תנחומא (קרח ב). ויקח קרח, לקח עצמו לצד אחד להיות נחלק מתוך העדה לעורר על הכהונה, וזהו שתרגם אונקלוס ואתפלג, נחלק מתוך העדה להחזיק במחלוקת, וכן מה יקחך לבך (איוב טו יב), לוקח אותך להפליגך משאר בני אדם, לשון רש"י. ודעת המדרש אינו כפירוש הרב. אבל אמרו שם אין ויקח אלא לשון פליגה שלבו לקחו כענין שנאמר מה יקחך לבך. ואינו רוצה לומר שלקח עצמו לצד אחד, וכן מה יקחך לבך, אינו שיקח אותך לצד אחד להפליג עצמך משאר בני אדם, אבל כונת המדרש בויקח קרח, שלקח עצה בלבו לעשות מה שיספר, כי הלקיחה תאמר על העצה והמחשבה. וכן מה יקחך לבך, מה מחשבה יקח לך לבך שתחשוב בסתר לית דין ולית דיין ולא תגלה אותה, או מה ירמזון עיניך, שמתוך רמיזותיך נכר שאתה כופר במשפט האלהים, ולא תפרש זה אבל תקרא תגר כמסתיר עצמו. ואליפז אמר זה לאיוב קודם שגילה איוב מחשבתו במאמר ברור שאין לבורא השגחה בפרטי הנבראים השפלים, ולכך אמר לו (שם כב יג) ואמרת מה ידע אל הבעד ערפל ישפוט, והוא ענין המענה ההוא למתבונן בו. וכן לשון לקיחה במחשבה, קחו מוסרי (משלי ח י), ולבלתי קחת מוסר (ירמיה יז כג):
    אמרו עוד במדרש (רבה יח טז) ויחלוק וידבר ויצו קרח אינו נאמר אלא ויקח, מה לקח, לא לקח כלום אלא לבו נטלו, אמר הכתוב מה יקחך לבך, והוא כמה שפירשתי. ואונקלוס שתרגם ואתפלג, פתר הענין לא הלשון כמנהגו במקומות רבים, וכן תרגם על דבר קרח (להלן יז יד) על פלוגתא דקרח, ותרגם בדבר בלעם (להלן לא טז) בעצת בלעם, כי הוא מזכיר הענין בתרגומו. ור"א אמר ויקח קרח, אנשים, דרך קצרה, כמו חמור לחם (ש"א טז כ). ואחרים אמרו כי "ודתן" כמו ואלה בני צבעון ואיה וענה (בראשית לו כד), ותקונו ויקח קרח דתן ואבירם. ולפי דעתי אין צורך, כי הגון הוא בלשון שיאמר ויקח קרח ודתן ויקומו ויקהלו על משה ועל אהרן, כי בכל תחילת מעשה תבא לקיחה והוא לשון התעוררות במעשה ההוא, וכן ואבשלום לקח ויצב לו בחייו את מצבת (ש"ב יח יח). ואם תחפוץ לפרש כי הלקיחה על הדבר אשר יזכיר אחרי כן ויקח אבשלום את המצבת ויצב לו בחייו, כך תפרש ויקח קרח את האנשים מבני ישראל חמשים ומאתים ויקומו לפני משה ויקהלו על משה ועל אהרן:
    ואמר רבי אברהם כי זה הדבר היה במדבר סיני כאשר נחלפו הבכורים ונבדלו הלוים, כי חשבו ישראל שאדונינו משה עשה זה מדעתו לתת גדולה לאחיו, גם לבני קהת שהם קרובים אליו ולכל בני לוי שהם ממשפחתו, והלוים קשרו עליו בעבור היותם נתונים לאהרן ולבניו, וקשר דתן ואבירם בעבור שהסיר הבכורה מראובן אביהם, גם קרח בכור היה. וזה מדעתו של רבי אברהם שהוא אומר במקומות רבים אין מוקדם ומאוחר בתורה לרצונו. וכבר כתבתי (לעיל ט א) כי על דעתי כל התורה כסדר זולתי במקום אשר יפרש הכתוב ההקדמה והאחור, וגם שם לצורך ענין ולטעם נכון, אבל היה הדבר הזה במדבר פארן בקדש ברנע אחר מעשה המרגלים:
    והנכון בדרש, שכעס קרח על נשיאות אלצפן כמאמר רבותינו (תנחומא קרח א), וקנא גם באהרן כמו שנאמר ובקשתם גם כהונה (פסוק י). ונמשכו דתן ואבירם עמו, ולא על הבכורה, כי יעקב אביהם הוא אשר נטלה מראובן ונתנה ליוסף, אבל גם הם אמרו טענתם, להמיתנו במדבר (פסוק יג), ולא אל ארץ זבת חלב ודבש הביאתנו (פסוק יד). והנה ישראל בהיותם במדבר סיני לא אירע להם שום רעה, כי גם בדבר העגל שהיה החטא גדול ומפורסם היו המתים מועטים, ונצלו בתפלתו של משה שהתנפל עליהם ארבעים יום וארבעים לילה. והנה היו אוהבים אותו כנפשם ושומעים אליו, ואלו היה אדם מורד על משה בזמן ההוא היה העם סוקלים אותו, ולכן סבל קרח גדולת אהרן וסבלו הבכורים מעלת הלוים וכל מעשיו של משה. אבל בבואם אל מדבר פארן ונשרפו באש תבערה ומתו בקברות התאוה רבים, וכאשר חטאו במרגלים לא התפלל משה עליהם ולא בטלה הגזרה מהם, ומתו נשיאי כל השבטים במגפה לפני ה', ונגזר על כל העם שיתמו במדבר ושם ימותו, אז היתה נפש כל העם מרה והיו אומרים בלבם כי יבואו להם בדברי משה תקלות, ואז מצא קרח מקום לחלוק על מעשיו וחשב כי ישמעו אליו העם. וזה טעם "להמיתנו במדבר", אמרו הנה הבאת אותנו אל המקום הזה ולא קיימת בנו מה שנדרת לתת לנו ארץ זבת חלב ודבש כי לא נתת לנו נחלה כלל, אבל נמות במדבר ונהיה כלים שם, כי גם זרענו לא יצאו מן המדבר לעולם, ויבטל מן הבנים מה שנדרת להם כאשר נתבטל מן האבות. וזה טעם תלונתם הנה במקום הזה אחר גזרת המרגלים מיד. והקרוב, כי היו אלה הנקהלים כולם בכורות כי על כן חרה להם על הכהונה, ולכך אמר להם משה שיקחו מחתות כמנהגם הראשון ויתגלה הדבר אם יבחר השם בהם או בכהנים: 


    [1] Sur la position du Ramban quant au principe « ein moukdam oumou’har baTorah / Il n’y a pas d’ordre chronologique dans la Torah » : http://www.lesitedesetudesjuives.fr/blog/parasha/la-torah-suit-l-ordre-chronologique.html.

  • Les vacances

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Les vacances

     

    Les versets de Bamidbar 10.35 et 10.36, sont encadrés de deux signes, des noun renversés. Ce détail graphique n’a pas manqué d’intriguer le Talmud (Chabbat 116 a) :

    « Ces versets, Dieu les encadra de signes pour indiquer qu’ils ne sont pas à leur place ; ils ont été déplacés à cet endroit, pour faire interruption entre deux crises. La seconde c’est lorsque Dieu sévit parmi le peuple à cause de leurs plaintes (11.1-2). La première est signifiée par le verset 10.33 « et ils quittèrent le mont divin » : en effet Rav Hama y voit que les enfants d’Israël se détournèrent de Dieu ».  

    Texte déplacé pour indiquer la mise en mouvement du camp ! Mais aussi pour interrompre, pour créer un trou dans le flot de l’histoire. De nombreuses questions se posent sur ce texte. Explicitons-les.

    1. Le verset indiquant que les enfants d’Israël quittèrent le mont Sinaï n’indique aucune crise, il est purement factuel, comme on aime à le dire aujourd’hui. Comment comprendre que Rav Hama y décèle une faute du peuple ?

     Rachi commentant ce texte explique que les plaintes ont commencé moins de trois jours après leur départ du mont Sinaï, c’est pourquoi il doit être considéré comme une fuite de devant Dieu. Le deuxième moment de crise (les plaintes) ne serait donc que le dévoilement d’un problème déjà en germe au pied du mont Sinaï. Dans un premier temps Ramban essaye de comprendre Rachi : peut-être que dès leur départ du mont Sinaï les enfants d’Israël avaient l’intention de se plaindre. Mais notre auteur qualifie cette tentative « d’insipide et inodore ». Il rapporte alors un Midrash « les hébreux étaient contents de leur départ du mont Sinaï, comme un enfant qui se sauve de l’école, ils se disaient ‘quittons cet endroit, Dieu pourrait encore ajouter des commandements, ils quittèrent le mont de Dieu, signifie qu’ils le quittèrent parce que c’était le mont de Dieu. C’est donc l’emploi explicite du terme mont de Dieu en lieu et place de son appellation courante de mont Sinaï qui ouvre la voie.

    1. Dans le même chapitre 11 de Bamidbar, il est question de deux crises successives. Pourquoi fallait-il interrompre seulement celles qui sont ici désignées (la fuite du mont divin et les plaintes) ?  Ramban répond qu’il n’existe pas trois crises qui se suivent ; l’existence d’un groupe de trois crises indiquerait une dynamique prégnante, comme si la crise était la norme, comme si le mode de fonctionnement des hébreux était la rébellion. C’est donc pour casser une telle description que le verset s’ingénie à déplacer ces deux versets.

     

    1. La troisième question est l’usage dans ce texte talmudique du terme pouranout traduit jusqu’ici par ‘crise’ ; mais usuellement celui-ci est traduit par ‘punition’, or la fuite du mont divin, ne s’est accompagné d’aucune punition. C’est pourquoi Ramban propose une idée qui n’apparait ni dans le texte talmudique, ni dans le texte midrashique : la punition de cette fuite consista à ne pas rentrer immédiatement en terre sainte, retard qui rendit possible la faute de explorateurs.

    Cette interprétation du texte talmudique est à la rencontre de deux thèmes chers à Ramban : le texte biblique garde une forme chronologique, il ne faut pas chercher la faute dans un texte postérieur ; d’autre part, y est évoqué la centralité de la terre d’Israël ; centralité exigeante puisqu’il faut avoir quitté l’enfance pour pouvoir y séjourner : d’avoir entendu les commandements comme un fardeau dont il faut se délester, nécessite un séjour plus long dans le désert.

    Ce qui est reproché ici au peuple n’est pas tant leur manque d’étude que la façon d’accueillir ses devoirs. Attitude incompatible avec l’habitation en Israël. Les Sages prendront le contrepied de cette attitude « Dieu a multiplié les commandements adressés aux juifs afin qu’ils en bénéficient » (Michna Makot 3.16)

    Reste encore une question formelle sur le Ramban : c’est que le texte talmudique indique la nécessité de séparer entre la première crise et la seconde, sans faire mention d’une prétendue troisième crise. Il semble donc bien que le texte talmudique n’ait pas encore livré tous ses secrets…

    Franck Benhamou.

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : 

     

    קודש (שבת קט"ז א'), לשון רש"י. ולא פירש לנו הרב מה הפורענות הזו שהוצרך להפסיק בה, כי לא נזכר כאן בכתוב פורענות קודם "ויהי בנסוע הארון". ולשון הגמרא שם, פורענות שנייה "ויהי העם כמתאוננים" (להלן י"א א'), פורענות ראשונה דכתיב "ויסעו מהר ה'" (פסוק ל"ג), ואמר רבי חנינא: מלמד שסרו מאחרי ה'. וכתב הרב בפירושיו שם, בתוך שלושת ימים למסעם התאוו תאוה האספסוף להתרעם על הבשר כדי למרוד בה'. ואלו דברי תימה, שהרי פורענות "ויהי העם כמתאוננים" כתובה ראשונה ושל תאוה - שניה, ושתיהן סמוכות. אולי סבר הרב שנכתבו שלא כסדרן, רמז על הראשונה באמרו "מהר ה'", כי שמא מעת נסעם חשבו לעשות כן, והפסיק וכתב את השניה, ואחר כך חזר לראשונה. ואין בזה טעם או ריח. אבל עניין המדרש הזה מצאו אותו באגדה, שנסעו מהר סיני בשמחה כתינוק הבורח מבית הספר, אמרו שמא ירבה ויתן לנו מצות, וזהו "ויסעו מהר ה'", שהיה מחשבתם להסיע עצמן משם, מפני שהוא הר ה', וזהו פורענות ראשונה. והפסיק, שלא יהיו שלוש פורעניות סמוכות זו לזו, ונמצאו מוחזקים בפורענות. וקרא החטא פורענות, אף על פי שלא אירע להם ממנו פורענות. ושמא אלמלא חטאם זה היה מכניסם לארץ מיד.

     

  • La mesure de l'homme. Bamidbar

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    La mesure de l’homme. Bamidbar

     

    Pourquoi tous ces comptes ? Pourquoi ces détails insignifiants à langueur de page ? La lecture de la paracha de Bamidbar est aride, et l’on peine à trouver un oasis.

    Deux attitudes sont alors possibles : soit l’on scrute le texte à la recherche de détails intemporels, d’une leçon cachée et d’autant plus précieuse ; soit l’on affronte de façon brutale notre dépit devant le livre aussi saint que muet.

    Abravanel introduira le livre de Bamidbar en y décelant des leçons de politique, ouvrant ainsi la voie à Spinoza. Nahmanide va assumer une position contraire : le livre de Bamidbar est un livre transitoire, dans tous les sens du terme. « Ce livre est essentiellement dédié à des commandements ponctuels, liés au désert, ainsi qu’aux miracles en faveur [de cette génération] afin de raconter les actes stupéfiants de Dieu, comment il leur livra leurs ennemis, et comment la terre devra être partagée. Dans ce livre, pas de commandement destinés aux générations futures, si ce n’est quelques compléments sur les sacrifices ».

    Ces phrases sont pour nous une énigme. Nahmanide ne se contente pas de dire qu’il ne comprend pas pourquoi tous ces comptes et ces décomptes, pourquoi tous ces noms oubliés par l’histoire, ces généalogies infinies. Il s’affirme ne pas être le destinataire de ce livre. N’y aurait-il que quelques commandements qui touchent le juif moderne, s’il y est inclut, c’est de façon oblique.

    Quel est l’objectif de ce livre pour la génération du désert ?

    C’est de maintenir le chemin ouvert par la voie du Sinaï ; voie puissante parce que fragile, expérience d’autant plus éphémère qu’elle se fonde sur l’extraordinaire. Il faut donc craindre que la voix s’oublie. Tous ces commandements transitoires n’ont qu’un seul but : structurer la vie juive sur le modèle du Sinaï. Lorsque la terre sera conquise, il sera facile de reproduire la structure concentrique de la révélation. Mais entre temps ? « Le Temple sera ceinturé comme le fut le mont Sinaï lorsque la Gloire y séjourna ». Le Temple ne risque-t-il pas de perdre toute son aura lorsqu’on le rangera sous ses tentures ? « Il ne faudra pas y porter le regard lorsqu’on le remettra dans sa caisse ». Le saint risque de tomber à chaque instant dans la matérialité la plus triviale, celle du voyage. La mise en ordre des tribus ne vient pas tant créer un ordre militaire qu’un ordre concentrique autour du Tabernacle ».

    Pourquoi tous ces recensements alors qu’on sait le profond mépris qu’a la Torah pour le dénombrement des vivants : comme si tous pouvaient être jugés identiquement, comme s’ils n’étaient qu’un vote ? Le Ramban y insiste longuement : le peuple a été décimé à l’époque de David pour avoir été compté. C’est qu’ici le compte se double d’une nécessité impérieuse. Pour la comprendre il faut revenir à la façon dont il se produisait selon notre auteur.

    Chacun venait en amenant un demi-shekel : comme s’il fallait racheter sa vie ? Car d’être compté est une forme de mort qu’il faut maintenir à distance. Mais ce compte donnait lieu à une rencontre avec Moïse : « car de venir chez le prophète leur procurait du mérite, et de la vie. (…) il ne fallait pas que Moïse demande ‘combien de personne dans ta famille ?’, mais chacun devait passer devant lui avec crainte ».

    Etre dénombré c’est assumer d’avoir une place, d’exister, et irrésistiblement être questionné sur sa légitimité dans sa personne, son ascendance. Serais-je à la hauteur de l’étendard symbolisant mon ancêtre ?  

     

    Franck Benhamou

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : 

     

     

    אחר שביאר תורת הקרבנות בספר השלישי, התחיל עתה לסדר בספר הזה המצוות שנצטוו בענין אוהל מועד.

    וכבר הזהיר על טומאת מקדש וקדשיו לדורות, ועתה יגביל את המשכן בהיותו במדבר, כאשר הגביל הר סיני בהיות הכבוד שם.

    • צוה: "והזר הקרב יומת" (במדבר א נא), כאשר אמר: "כי סקול יסקל" (שמות יט יג).
    • וצוה: "ולא יבאו לראות כבלע את הקדש ומתו" (במדבר ד כ), כאשר הזהיר שם: "פן יהרסו אל ה' לראות" וגו' (שמות יט כא).
    • וצוה: "ושמרתם את משמרת הקדש, ואת משמרת המזבח" (במדבר יח ה), כאשר אמר שם: "וגם הכהנים הנגשים אל ה' יתקדשו" וגו' (שמות יט כב), "והכהנים והעם" וגו' (שמות יט כד).

    והנה צוה איך תהיה משמרת המשכן וכליו, ואיך יחנו סביב: "ויעמוד העם מרחוק". והכהנים הנגשים אל ה' – איך יתנהגו בו בחנותו, ובשאת אותו, ומה יעשו במשמרתו.

    והכל מעלה למקדש וכבוד לו, כמו שאמרו: אינו דומה פלטרין של מלך שיש לו שומרין, לפלטרין שאין לו שומרין.

    והספר הזה כולו במצוות שעה שנצטוו בהם בעמדם במדבר, ובניסים הנעשים להם, לספר כל מעשה ה' אשר עשה עמהם להפליא. וסיפר כי החל לתת אויביהם לפניהם לחרב, וצוה איך תחלק הארץ להם.

    ואין בספר הזה מצוות נוהגות לדורות, זולתי קצת מצוות בעניני הקרבנות שהתחיל בהן בספר הכהנים, ולא נשלם שם, והשלימן בספר הזה.

    A propos de l’épreuve d’être dénombré :

    כאן נתן רמז למשה " שאו את ראש " שאם יזכו יעלו לגדולה כמה דכתיב ישא פרעה את ראשך והשיבך על כנך ואם לא יזכו ימותו כלם כמה דכתיב (בראשית מ יט) ישא פרעה את ראשך מעליך ותלה אותך על עץ 

    Un décompte ne se fait que s’il est nécessaire (Rachi semble s’opposer à cela)

     וראיתי במדבר סיני רבה (ב יז) ר' אליעזר בשם ר' יוסי בן זמרא אמר כל זמן שנמנו ישראל לצורך לא חסרו שלא לצורך חסרו איזה זמן נמנו לצורך בימי משה ובדגלים ובחלוק הארץ שלא לצורך בימי דוד 

    Sur la façon dont le décompte se faisait :

    והנה הביאו כל העדה איש שקלו ואמרו לפני משה והנשיאים אני פלוני נולדתי לפלוני ממשפחת פלוני שהוא לשבט ראובן וזולתו ומשה נותן שקלי כל שבט ושבט במקום מיוחד וידע מספר הפרט והכלל 

    ועוד כי הבא לפני אב הנביאים ואחיו קדוש ה' והוא נודע אליהם בשמו יהיה לו בדבר הזה זכות וחיים כי בא בסוד העם ובכתב בני ישראל וזכות הרבים במספרם וכן לכולם זכות במספר שימנו לפני משה ואהרן כי ישימו עליהם עינם לטובה יבקשו עליהם רחמים ה' אלהי אבותיכם יוסף עליכם ככם אלף פעמים ולא ימעיט מספרכם והשקלים כופר על נפשותיכם ובמדבר סיני רבה ראיתי כך במספר שמות לגולגלותם אמר לו הקב"ה למנותם בכבוד ובגדולה לכל אחד ואחד לא תהיה אומר לראש המשפחה "כמה במשפחתך" "כמה בנים יש לך" אלא כולהון יהון עוברים לפניך באימה ובכבוד ואתה מונה אותם הדא הוא דכתיב (פסוק יח) במספר שמות מבן עשרים שנה ומעלה לגולגלותם

  • Va, je ne te hais point

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Parashat Behoukotay – « Va, je ne te hais point »

     

     

    Le début de notre parasha présente bénédictions et malédictions à qui accomplit ou transgresse les commandements de la Torah.

    Le verset 11, alors qu’il est encore dans       le passage des bénédictions, présente une promesse quelque peu étrange :

    “Ma présence sera parmi vous et je ne vous rejetterai point”

    Le terme hébreu employé est לא תגעל נפשי אתכם, et présente quelque difficulté à être traduit. Rashi, sensible au problème explique :

    “Je ne me lasserai pas de vous – la racine גע״ל voulant dire rejeter, extraire”

    Le Ramban ne se contente pas de cette explication de Rashi. La Torah serait-elle devenue maître dans l’art de la litote ? « Va, je ne te hais point », semble dire le verset. Pourquoi parler par périphrases ! Mais, plus encore, demande le Ramban - les malédictions dans notre propre parasha (verset 44) comportent la même promesse ! Au sein même de la faute et de sa punition, Dieu nous promet de ne pas nous abandonner ou nous rejeter – « לא מאסתים ולא געלתים” 

    Quelle serait donc cette promesse faite ici ? Ramban ne fait qu’évoquer la réponse, comme à son habitude :

    אמר שיתן משכנו בתוכנו והנפש אשר ממנה יבא המשכן לא תגעל אותנו ככלי שמגעילין אותו ברותחין,

    Dieu nous promet Sa présence parmi nous dans la première moitié du verset. Une présence patente et constante ne comporte-t-elle pas quelque risque ? Cette crainte est mitigée par la seconde moitié du verset “Je ne vous rejetterai pas”. Ma présence sera parmi vous, promet Dieu, sans qu’elle ne vous détruise, ne vous “éjecte”, ou vous « ébouillante » pour reprendre les termes employés par le Ramban. Quels risques représente présence divine ? Le Ramban ne l’explique pas – s’agit-il d’un feu dévorant comme celui qui détruisit Nadav et Avihou, ou encore une annihilation totale de l’effort humain. Nous laissons chacun “décliner” cette idée selon ses propres sensibilités…

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    (יא): ונתתי משכני בתוככם -

    זה בית המקדש. "ולא תגעל נפשי אתכם", אין רוחי קצה בכם. כל געילה לשון פליטת דבר הבלוע בדבר, כגון כי שם נגעל מגן גיבורים (ש"ב א כא), לא קבל המשיחה שמושחין מגן של עור מבושל כדי להחליק מעליו מכות חץ או חנית שלא יקוב העור, לשון רש"י.


    ולא ידעתי מה הטעם בזה שיאמר הקב"ה כי בשמרנו כל המצוות ועשותנו רצונו לא ימאס אותנו בגעול נפשו, וכן בעברנו על בריתו ועשותנו נאצות גדולות אמר (להלן פסוק מד): לא מאסתים ולא געלתים, ואמר הנביא בשעת הקללה (ירמיה יד יט): המאוס מאסת את יהודה אם בציון געלה נפשך.

    אבל העניין סוד מסתרי התורה, אמר שיתן משכנו בתוכנו והנפש אשר ממנה יבא המשכן לא תגעל אותנו ככלי שמגעילין אותו ברותחין, אבל בכל עת יהיו בגדינו לבנים וחדשים, כי הגעילה פליטה כדברי רש"י, מלשון שורו עבר ולא יגעיל תפלט פרתו ולא תשכל (איוב כא י). ואמר "נפשי", כדרך נשבע ה' אלוהים בנפשו (עמוס ו ח). והנביא אמר בתמיה אם בציון עצמה געלה נפשך, שהיא עיר ואם בישראל והשלכת אותה מלפניך להיות כל בניה לבושים בגדים צואים נגאלים.

  • Behar - propriétaire ou illusion

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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     Propriétaire ou illusion

    •  

      Lorsque D. ordonna à Moshe d’effectuer la division de la Terre d’Israel entre les tribus, chaque famille reçut son lopin de terre sur lequel elle allait vivre, travailler, faire paître son bétail.

      Avec le temps et les aléas financiers, une famille pouvait être amenée à vendre son terrain.  Face à cette éventualité, le commerce immobilier est prévu et régulé par la Tora.

      L’homme peut avoir le sentiment qu’il est  l’éternel propriétaire de cette terre, or le verset est très clair, D. nous dit « la terre m’appartient[1] ».

      La terre ne doit donc pas être vendue pour une durée indéfinie.

       

      Rambam[2] tranche la Halacha en disant que la terre revient au propriétaire originel lors du Yovel si la durée de vente est perpétuelle ou non spécifiée.

      Ce retour au propriétaire peut être extrêmement difficile à vivre pour « les locataires ».

      En effet, ceux-ci ont pu exploiter cette terre pendant 50 ans, quasiment 2 générations complètes! Quelle serait la réaction d’un homme pensant posséder une terre, si celle-ci lui était retirée par de parfaits étrangers ?

      Il se peut que le terrain ait changé maintes fois de propriétaire depuis le précédent Yovel.

      D’après le verset « vous êtes des étrangers […] avec moi », on pourrait croire que la Tora veut instaurer un sentiment d’instabilité sans possibilité de s’établir de manière permanente.

      Mais en réalité la notion de Yovel est connue et attendue de tout habitant d’Israel. Il s’agit d’une fin de bail d’habitation pour tous, prévue par la Tora. C’est au contraire une opportunité pour l’homme après 50 ans d’anticiper et de prévoir ce déménagement.

      Ramban[3] dans son exégèse met en relief ce point, la vente[4] ne doit pas être permanente et ceci doit être spécifié et clair pour le propriétaire et le locataire. Dans le cas contraire ,l’effet que cela produirait sur la famille devant se séparer de ce bien serait dévastatrice.

      De cette manière le sentiment que la terre n’appartient pas à l’homme mais à D. est préservé, tout en effectuant un transfert fluide bien que délicat de toutes les propriétés foncières ayant changées de propriétaire.

       

      Une question persiste : Comment pouvons nous entretenir ce sentiment que la terre appartient à D. de nos jours alors que les conditions du Yovel ne sont pas réunies ?

      Koren ASSOULINE

       

       

      * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

      Texte original : Cf. notes


      [1] ויקרא כה,כג וְהָאָרֶץ, לֹא תִמָּכֵר לִצְמִתֻת--כִּי-לִי, הָאָרֶץ:  כִּי-גֵרִים וְתוֹשָׁבִים אַתֶּם, עִמָּדִי

      [2] משנה תורה, הלכות שמיטה יובל, פרק יא הלכה א, ב

      [3] רמב״ן ויקרא כה כג ״והארץ לא תמכר לצמיתות" - ליתן לאו על חזרת שדות לבעלים ביובל שלא יהא לוקח כובשה לשון רש"י ואם כן למה יזהיר במכירה והראוי "לא תקנה לצמיתות" ואולי יאמר לא תמכר לכם לצמיתות וכן לא ימכרו ממכרת עבד (להלן פסוק מב) אזהרה בלוקח שיוציאנו ביובל כפי פשוטו ויתכן שיהיה "לא תמכר לצמיתות" לאו במוכר שלא ימכרנה לחלוטין לומר הריני מוכרה לך לעולמים גם אחרי היובל ואע"פ שהיובל מפקיעה הזהיר הכתוב למוכר או לשניהם שלא יעשו ממכרם לצמיתות ואם אמרו כן יעברו בלאו הזה ולא יועיל להם כי תחזור ביובל וכך פירשו הרב רבי משה (הל' שמיטה ויובל פי"א ה"א) והטעם בזה כי בידוע בדעות בני אדם שאם יעשו ממכרם מתחילה כמספר שנים עד היובל יקל בעיניהם הענין ואם יקנה לחלוטין תקשה בעיניו החזרה מאד ויהיה כענין שאמרו (תמורה ד) מאי דאמר רחמנא לא תעביד אי עבד לא מהני ולקי משום דעבר אהורמנא דמלכא והנכון בעיני שאין זה לאו ללקות עליו אבל הוא טעם יאמר הנהיגו ביניכם היובל ואל יקשה בעיניכם "כי לי הארץ" ואיני רוצה שתמכר לצמיתות כשאר הממכרים וזו היא כונתם בתורת כהנים (פרק ד ח) לצמיתות לחלוטין כי לי הארץ אל תרע עינך בה כי גרים ותושבים אתם אל תעשו עצמכם עיקר אתם עמדי דיו לעבד שיהא כרבו כשהיא שלי הרי היא שלכם וטעם "כי לי הארץ" על דרך האמת כמו ויקחו לי תרומה (שמות כה ב) וזהו שרמזו כאן דיו לעבד שיהא כרבו כי יהיה היובל נוהג בעולם והמשכיל יבין

      [4]ויקרא כה,כג - ראה 1

  • Projet Ramban Emor

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

     

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    Parachat Emor ou quand la Torah écrite et orale ne font  plus qu’une parole

     

     

    La parachat Emor comporte deux sujets majeurs :

     

    • les lois concernant les Cohanim et notamment celles traitant de leur sainteté particulière
    • les lois concernant les différentes  fêtes du calendrier hébraïque

     

    Nous nous pencherons dans cette étude sur ce deuxième aspect de la paracha et plus particulièrement sur la mitsva du korban Omer.

     

    Voici ce que le texte énonce à ce sujet :

    דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם, כִּי-תָבֹאוּ אֶל-הָאָרֶץ אֲשֶׁר אֲנִי נֹתֵן לָכֶם, וּקְצַרְתֶּם אֶת-קְצִירָהּ--וַהֲבֵאתֶם אֶת-עֹמֶר רֵאשִׁית קְצִירְכֶם, אֶל-הַכֹּהֵ

    וְהֵנִיף אֶת-הָעֹמֶר לִפְנֵי יְהוָה לִרְצֹנְכֶם; מִמָּחֳרַת הַשַּׁבָּת יְנִיפֶנּוּ, הַכֹּהֵ

     

    Parle aux enfants d'Israël et dis-leur: quand vous serez arrivés dans le pays que je vous accorde, et que vous y ferez la moisson, vous apporterez un ômer des prémices de votre moisson au pontife,

     Lequel balancera cet ômer devant le Seigneur, pour vous le rendre propice; c'est le lendemain du chabbat que le prêtre (cohen) le balancera. (Vayikrâ chap.23, vers. 10&11)

     

    Voilà que la Torah nous invite à offrir un sacrifice, le ômer, composé des prémices de la moisson ;  nous savons que cette offrande sera apportée le lendemain du shabbat tel que le texte nous indique.

    La question qui s’ensuit alors est de quel shabbat parle-t-on ? Ce jour saint revient chaque semaine durant l’année, l’indication temporelle de cette offrande demeure donc imprécise selon l’écrit de la Torah. Ou alors peut on justement déduire faute de précision supplémentaire que tous les lendemains de shabbat  sont propices, valides pour cette offrande et ce sans exception?

    Voyons tout d’abord l’explication de Rachi sur ce même verset :

    מִמָּחֳרַת יוֹם טוֹב הָרִאשׁוֹן שֶׁל פֶּסַח שֶׁאִם אַתָּה אוֹמֵר שַׁבַּת בְּרֵאשִׁית אִי אַתָּה יוֹדֵעַ אֵיזֶהוּ

    Dès le lendemain du premier jour de fête de Pessa‘h. Car si tu disais qu’il s’agit du lendemain du shabbat de la création (hebdomadaire), tu ne saurais pas duquel (Mena‘hoth 66a)

    Rachi ramène pour nous éclairer la conclusion d’une discussion du Talmud dans laquelle les sages démontrent preuves à l’appui que le shabbat auquel nous faisons ici allusion est le lendemain du premier jour de fête de Pessa’h et non le shabbat hebdomadaire.

     

    Le Ramban va (cette fois-ci) appuyer et développer le commentaire de Rachi.

    Et il va démontrer que cette explication des sages est la seule  qui puisse donner un sens aux textes ;

    • sans elle, nous ne saurions absolument pas à quel instant précis de l’année offrir le sacrifice du ômer.
    • Nous ne connaîtrions pas non plus la date exacte de la fête de chavouot ! en effet la Torah emploie la même expression plus loin verset 15 :

    « Puis vous compterez  chacun depuis le lendemain du shabbat depuis le jour où vous aurez offert le ômer du balancement sept semaines qui seront entières »

    Ce verset qui fixe le compte du ômer et donc la fête de chavouot qui se place à son terme, comporte la même imprécision puisqu’il définit le début des sept semaines après le shabbat du ômer…

    Il faut donc reconnaître que la Torah écrite fait ici corps complètement avec la tradition orale, et sans elle, nous ne saurions comprendre ce passage.

     

    Le Even Ezra (Rabbi Abraham ben Rabbi Mehir ben Ezra) fait remarquer dans son commentaire que la fête de chavouot est donc la seule fête qui n’a pas son jour indiquée de manière précise par la Torah. C’est pourtant un jour central du calendrier juif qui célèbre le don de la Torah au mont Sinaï. Afin de connaître sa date nous sommes donc tenus chaque année de compter le ômer durant sept semaines entières, et ce même compte s’appuie sur la lecture et les indications de la tradition orale comme nous l’avons expliqué et démontré précédemment.

    Il y a donc là aussi un enseignement essentiel pour tout juif :

    L’acceptation du don de la Torah ne peut se faire sans avoir reçu préalablement nos maîtres comme guides et enseignants afin de pouvoir percevoir le sens de la parole du Créateur

    « Moïse reçut la Torah au Sinaï et la transmit à Josué ; Josué la transmit aux Anciens, les Anciens aux Prophètes et les Prophètes la transmirent aux Hommes de la Grande Assemblée. » ( perkei avot Chap I, michna I)

     

     Shmouel Philippe Choucroun

     

      

  • l'art de transgresser en toute impunité

    Parashat Kedoshim – l’art de transgresser en toute impunité

     

    L’injonction qui entame la parashat kedoshim a occupé tous les exégètes. « Soyez saints » nous ordonne le verset ; mais la question immédiate est « en quoi cela consiste-t-il ? »

    La position de Nachmanide sur le sujet fait partie des morceaux d’anthologie de son commentaire sur la Torah.

     

    Si les lois permettent un cadre, nous explique-t-il, elles ne peuvent sauver personne d’être perverti ou immoral dans le cadre même de la loi. Les exemples donnés pour étayer son propos sont nombreux : si la kashrout limite les écarts elle ne vaccine personne contre les excès… Si les lois maritales ou de pureté familiale limitent des débordements, rien n’empêche réellement un homme de vivre dans l’excès et la luxure tout en restant dans les cadres que la alah’a permet…

    La Torah serait-elle impuissante face au problème évoqué ? Les perversions décrites par Nachmanide seraient elles donc autant de failles dans un système qui se veut garant de la moralité ? La Torah proposerait elle un code dans lequel il est facile d’être נבל ברשות התורה, « pervers dans cadre de la loi » ?

     

    Là, nous dit Nachmanide, intervient l’injonction « soyez saints ». Effectivement, nous dit-il, 613 mitsvot ne peuvent garantir de manière absolue une vie saine (ou sainte ?). 613 mitsvot sont presque autant de lois qu’une personne le souhaitant, peut transgresser en toute impunité. Rien de plus simple que de garder la lettre et transgresser l’esprit ! Une mitsva par contre, nous dit Nachmanide, ne peut être transgressée de manière perverse. Celle d’être saint… Y trouver la faille serait de facto sa transgression – point de lettre sans esprit dans cette injonction…

     

    Avant de continuer, nous devons quelque peu « cadrer » ce commentaire. Nachmanide ne parle aucunement ici de problème pénal. Que des gens malhonnêtes deviennent maitres dans l’art de voler ou truander sans risquer de punition est une faille de tous les systèmes. Le Ran dans une de ses celebres drashot a déjà évoqué ce problème en expliquant que le din-meleh’ – la loi du Roi – permettait au Roi ou à l’instance judiciaire de punir « au-delà » de la stricte loi Toranique pour combler ce manque.

    Le sujet du commentaire de Nah’manide est autre – il se situe au niveau de la morale. La Torah définit un système qui semble, de prime abord, ne pas réussir à encadrer de manière parfaite la moralité des mœurs … Cette absence de cadre est en fait, selon Nahmanide, renvoyée à l’homme meme à travers l’injonction de kedoshim-tiyou  - soyez saints-

     

    Il est intéressant de citer à ce propos l’opinion de Maimonide. Dans le Sefer Hamitsvot[1], Maimonide commente le verset de notre parasha. Pour ce dernier, il n’existe aucun commandement spécifique d’être saint ! L’injonction « soyez saints » n’est autre qu’une invitation à … accomplir les 613 mitsvot ! En effet, selon Maimonide, les mitsvot sont en soi un système équilibrant de manière parfaite l’homme. Qu’en est-il des écarts craints par Nahmanide ? Selon le Rambam, ils n’existent pas – il ne peut y avoir d’excès lorsque l’on accomplit à la lettre les commandements ; et la juste mesure que recherche tant Nachmanide n’est autre que la mesure obtenue par l’accomplissement méticuleux des commandements… Cette opinion est largement développée dans le quatrième chapitre de son Shmona-prakim…

     

    Le risque décrit par Nachmanide est patent. Le système tel que décrit par Maimonide est quant à lui, tentant! L’homme n’y risque des excès d’ascèse tant condamnés par Maimonide…

     

    En tout état de cause, une telle mah’loket entre deux « grands parmi les grands » nous force à nous poser à nous même la question : la lettre des mitsvot suffit elle à définir de manière parfaite l’esprit de ces mitsvot, ou l’homme doit il inférer cet esprit et … en prendre acte…

     

     

    Benjamin Sznajder

     

    [1] Hashoresh Harevi’i

  • Aharé Mot : le bouc et le deuil

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    A'haré Mot : Le bouc et le deuil 

     

    Comment comprendre le rituel du bouc-émissaire énoncé au début de Aharé-Mot ?

    C’est-à-dire comment le lire en l’inscrivant au cœur même du texte de la paracha ?

    La lecture de Rambam évoque bien le sens du rituel, mais détaché des versets : le texte y est pré-texte à un hors-texte. Pour lui, « tous ces actes ne sont que des symboles destinés à faire impression sur l’âme, afin que cette impression mène à la pénitence ; on veut dire : nous sommes débarrassés du fardeau de toutes nos actions précédentes, que nous avons jetées derrière nous et lancées à une grande distance.[1] »

    Or, un verset du rituel ne manque pas d’interroger : « Et Aaron jettera les sorts sur les deux boucs : un sort pour Dieu et un sort pour Azazel.[2] » La glose de Rachi n’arrange rien. Reprenant le traité Yoma[3], elle indique qu’Aaron plaçait un bouc à sa droite et un autre à sa gauche. Il mettait ensuite ses deux mains dans une urne dans laquelle se trouvaient deux éléments : sur l’un était écrit « Pour Dieu », sur l’autre, « Pour Azazel ». Le bouc que le sort avait désigné « Pour Dieu » était sacrifié en expiatoire, tandis que celui « Pour Azazel » était envoyé dans le désert. A suivre Rachi, seul le sort a départagé ce qui échoit à Dieu et ce qui est pour Azazel. La part de l’un aurait pu revenir à l’autre, et réciproquement ! 

    Dans le dispositif du verset et de la glose de Rachi, il y a donc une structure qui risque d’identifier la valeur de Dieu à celle d’Azazel : il y a des choses « pour » Dieu – des choses pour son culte – et d’autres choses « pour » Azazel, comme si Azazel recevait un culte à l’égal de Dieu[4].

    Bien que complexe et touffu, le commentaire de Ramban ne fuit pas le problème et décrit le bouc-émissaire d’Azazel sous quatre aspects : l’être d’Azazel, la substance du rituel, la raison d’être du rituel, le milieu d’Azazel.

    Azazel était une falaise escarpée dans une région désolée[5], du haut de laquelle le bouc était précipité. Quand bien même le bouc envoyé à Azazel avait-il été désigné par le sort « pour Azazel », il demeurait néanmoins fondamentalement « pour » Dieu[6].  Dieu ordonnant ce rituel, il n’y a pas de mise en balance possible entre Lui et Azazel : Azazel n’est pas l’autre de Dieu. Non ! Pour Ramban, Azazel est l’autre de l’humain, la force accusatrice qui lui rappelle les fautes commises et que le rituel du bouc-émissaire vient « abuser »[7]. Ces fautes ont façonné un paysage très imagé, explicitement lié par Ramban à la symbolique astronomique de la planète Mars : épée, sang, querelle, plaie, coups, séparation[8] – mots qui disent la mort.

    C’est ce paysage qui rapproche ce rituel du contexte de notre paracha. Aharé mot chené bené Aaron : après la mort des deux fils d’Aaron…

    Pour ceux qui marchent encore parmi les vivants, il faut bien se résoudre à continuer de vivre, quand bien même la perte d’un proche scinde l’histoire personnelle en deux, au point qu’il y aura désormais un avant et un après. Et pour Aaaron, qui vient de perdre ses fils Nadav et Avihou, morts de s’être approchés trop près de Dieu, nous en sommes à l’après… « Aharé Mot Chné Bené Aaron ».

    On répète aux endeuillés que leur consolation ne proviendra que de Dieu. Mais nul n’oserait parler de consolation ou de Dieu à un affligé, c’est-à-dire lorsque son mort est encore devant lui, pas encore enterré. Car, comme le rappelle Ramban dans son commentaire du premier verset de la paracha, nulle inspiration divine n’est possible au sein de la tristesse[9].

    Mais là, les deux fils d’Aaron ont été enterrés. Nous sommes après leur mort et Aaron peut commencer à faire son deuil. La question qui lui est posée est terrible de simplicité : y aura-t-il une vie après cette mort ? Un enfant assure la continuité de l’espèce après la mort de ses parents. Mais lorsqu’e l’enfant meurt avant sans parents et que l’hiver vient, les parents vivent dans un paysage désolé, desséché, comme Azazel. La fosse qui accueilli le corps de son enfant est précipice, comme Azazel, et la mauvaise conscience ronge, comme Samael à Yom Kippour. Une part d’Aaron est ce bouc pour Azazel : il ne peut être sacrifié, mais il doit mourir. En d’autres termes, le deuil a renvoyé Aaron à sa nudité, sa vie nue[10].

    Ainsi, en ordonnant à Aaron d’exécuter ce rituel, Dieu préside à sa consolation. Car ce rituel est la mise en scène de son deuil, sa performance cathartique dans la sainteté. C’est pourquoi le bouc d’Azazel n’est pas égorgé par Aaron mais envoyé loin de lui : pour le renvoyer à son impuissance face à son deuil. Par la chute du bouc, Aaron pourra se relever.

    Ainsi en est-il de tout deuil. La mauvaise conscience est traversée, l’humeur noire dissipée, à condition d’accepter de chuter. C’est pourquoi aussitôt le rituel du bouc-émissaire accompli, il est enfin enjoint à Aaron de se purifier.  

    Jonathan Aleksandrowicz

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf. notes

     

    [1] Maïmonide, Guide des égarés, IIIe partie, chapitre 46, traduction Salomon Munk

    [2] Lévitique, chapitre 16, verset 8.

    [3] מַעֲמִיד אֶחָד לְיָמִין וְאֶחָד לִשְׂמֹאל, וְנוֹתֵן שְׁתֵּי יָדָיו בַּקַּלְפִּי, וְנוֹטֵל גּוֹרָל בְּיָמִין וַחֲבֵרוֹ בִּשְׂמֹאל וְנוֹתֵן עֲלֵיהֶם, אֶת שֶׁכָּתוּב בּוֹ "לַשֵּׁם" הוּא לַשֵּׁם, וְאֶת שֶׁכָּתוּב בּוֹ "לַעֲזָאזֵל" מִשְׁתַּלֵּחַ לַעֲזָאזֵל

    [4] Cette structure ressemble à s’y méprendre à celle du désir mimétique théorisé par René Girard dans La violence et le sacré.

    [5] הר גבוה צוק קשה 

    [6] ור"א כתב אמר רב שמואל אע"פ שכתוב בשעיר החטאת שהוא לשם גם השעיר המשתלח הוא לשם

    [7] Dans le commentaire, Azazel est rapproché de Samael, ange-accusateur d’Israël à Yom Kippour. Porteur des fautes d’Israël, le bouc-émissaire permet d’expier celles-ci, servant littéralement de pot-de-vin pour infléchir l’accusateur : לפיכך היו נותנין לו לסמאל שוחד ביום הכפורים שלא לבטל את קרבנם שנאמר גורל אחד לה' וגורל אחד לעזאזל גורלו של הקב"ה לקרבן עולה וגורלו של עזאזל שעיר החטאת וכל עונותיהם של ישראל 

    [8] כי הוא העילה לכוכבי החרב והדמים והמלחמות והמריבות והפצעים והמכות והפירוד והחרבן והכלל נפש לגלגל מאדים וחלקו מן האומות הוא עשו שהוא עם היורש החרב והמלחמות ומן הבהמות השעירים והעזים ובחלקו עוד השדים הנקראים מזיקין

    [9] כי בו ביום אונן היה ואין רוח הקודש שורה מתוך עצבות

    [10] Sans doute y aurait-il profit à rapprocher le bouc pour Azazel de la théorie de l’Homo sacer développée par Giorgio Agamben.

  • Projet Ramban - Metsora

                    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

                       Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

                    Metsora : une leçon d’ornithologie

     

    La paracha Metsora commence par évoquer la lèpre qui touche les personnes qui ont pratiqué la médisance.

    Le verset 14, 4 décrit le processus de purification de la personne touchée :

    וְצִוָּה֙ הַכֹּהֵ֔ן וְלָקַ֧ח לַמִּטַּהֵ֛ר שְׁתֵּֽי־צִפֳּרִ֥ים חַיּ֖וֹת טְהֹר֑וֹת וְעֵ֣ץ אֶ֔רֶז וּשְׁנִ֥י תוֹלַ֖עַת וְאֵזֹֽב

    "Et sur l'ordre du prêtre, on apportera pour l'homme à purifier, deux oiseaux vivants, purs".

     

    A première lecture, le verset ne semble pas présenter de difficulté.

    Et pourtant, le mot ציפור que l’on traduit par oiseau, même en hébreu moderne, pose un problème.

    Ramban le dit lui-même, il y a une מחלוקת.

    Dans la Torah, on trouve deux mots pour désigner les oiseaux :

    עוף (34 fois dans la Torah) qui désigne, de manière non spécifique, tous les oiseaux, qu’ils soient cacher ou non.

    Et ציפור, (14 fois dans la Torah) qui pour les uns (comme Hizkouni) désigne spécifiquement les oiseaux cacher et, pour les autres, désignent les oiseaux en général (comme Ibn Ezra).

    De quel oiseau s’agit-il donc ici ?

    Rachi explique qu’il s’agit d’un « oiseau pur qui babille ».

    Il cite pour cela une source midrachique :

    « [Le mot "pur" dans le verset signifie] : à l'exclusion d'un oiseau impur. Dans la mesure où les affections proviennent de la médisance, qui constitue du bavardage, [la Torah] exige pour la purification [de la personne atteinte par le lèpre] des oiseaux qui passent leur temps à caqueter en babillant (ציפצוף ) »[1].

     

    L’utilisation de la référence midrachique est expliquée de la manière suivante par le Dr A. Bonchek[2] :

    Pour Rachi, ציפור est forcément un oiseau cacher. Alors, pourquoi préciser que c’est un oiseau (ציפור) pur (cacher), il y a redondance. C’est pourquoi l’introduction de l’explication lié au babillement vient justifier la redondante. Il devrait y avoir écrit עוף suivi de טהור. Mais ici le mot עוף est remplacé par ציפור pour signifier que par son babillement, il rachète un faute liée à la parole.

     

    Curieusement Ramban ne lit pas l’explication de Rachi de la même manière que Dr A. Bonchek. Selon lui, Rachi comprends ציפור comme un mot non spécifique.

    A quoi correspond alors cette idée de babillage se demande-t-il ?

    Dans le mesure où il [Rachi] dit : « [Le mot "pur" dans le verset signifie] : à l'exclusion d'un oiseau impur », cela nous apprend que le terme « oiseau » ne désigne pas une espèce [nécessairement] pure, mais qu'il s'agit plutôt d'un terme général qui inclut tous les oiseaux.

    Si cela est le cas, quelle est la signification du « babillement » auquel il est fait référence ? De fait, il existe de nombreux oiseaux dont « le bec ne s'ouvre pas, ni ne jacassent ». (…)[3]

     

    Selon moi [continue Ramban], [l'interprétation] correcte est celle selon laquelle le terme « ציפור» est un terme générique pour les volatiles de petite taille qui se réveillent tôt le matin afin de piailler et de jacasser. Il est dérivé [du terme] araméen « tsafra ». Ainsi, [l'expression] : « qu'il rebrousse chemin » (Juges 7:3) signifie « qu'il se lève tôt le matin ».

    [L'expression] : « l'oiseau (ציפור) du ciel » (Psaumes 8:9) fait référence [à ces oiseaux] car le plus souvent, ils volent dans les airs à une altitude élevée. (…)[4]

     

    Et le fait de pouvoir voler est important car sur les deux oiseaux un seul est sacrifié et le second est renvoyé au loin.

    Mais alors doit il babiller ? « Oui, dit Ramban, car tous les petits oiseaux qui volent librement babillent ».

     

    Derrière cette discussion « ornithologique » on retiendra la symbolique exprimée aussi bien par Rachi que par Ramban.

    Les oiseaux sont choisis parce qu’ils rappellent exactement la faute qui a été commise.

    Les oiseaux « babillent » rappelant cette parole incessante et médisante

    Les oiseaux « s’envolent » comme la parole médisante qui est colportée. Et, à ce titre, on renvoie l’oiseau au loin dans un geste similaire au bouc expiatoire envoyé à Azazel (Ramban lui-même fait le rapprochement).

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן ויקרא פרק יד פסוק ד
    (ד) חיות - פרט לטרפות. טהורות - פרט לעוף טמא. לפי שהנגעים באים על לשון הרע שהוא מעשה פטיט לפיכך הוצרכו בטהרתו צפרים שמפטפטין תמיד בצפצוף קול, לשון רש"י. ומפני שאמר "טהורות, פרט לעוף טמא", נלמד שאין הצפרים מין טהור ידוע אבל הוא שם כולל כל העופות, אם כן מהו הפטפוט הזה שמצאו להם, כי עופות רבים אין בהם פוצה פה ומצפצף. ועוד כי מדרש "חיות, פרט לטרפות", יבא במחלוקת, ולמאן דאמר טרפה חיה אינו כן. ובתורת כהנים (פרשה א יב) חיות, לא שחוטות, טהורות, לא טמאות, טהורות, לא טרפות:
    ובעלי הפשט אומרים כי כל עוף יקרא צפור, ממה שאמר צפור שמים ודגי הים (תהלים ח ט), כל צפור כל כנף (בראשית ז יד), בן אדם אמור לצפור כל כנף (יחזקאל לט יז), וכן ואת הצפור לא בתר (בראשית טו י) על תורים ובני יונה:
    והנכון בעיני, ששם צפור כלל לעופות הקטנים המשכימים בבקר לצפצף ולשורר, מלשון ארמית צפרא, וכן ישוב ויצפור (שופטים ז ג), ישכים בבקר. אמר "צפור שמים" עליהם, כי הם לרובם יגביהו לעוף בשמים "וכל צפור כל כנף", שני מינין, כל הקטנים וכל הגדולים. כי יקרא קן צפור לפניך (דברים כב ו), הם הקטנים שהן רבים, שאפילו בקטניהם יחוס. וכן אשר שם צפרים יקננו (תהלים קד יז), כי הם השוכנים בענפי ארזי הלבנון. אמור לצפור כל כנף, שיתאספו אפילו הקטנים עליהם, כי הטורפים יבאו מעצמם. וכן התשחק בו כצפור ותקשרנו לנערותיך (איוב מ כט), כי דרך הנערים לשחק בעוף הקטן. ולשון חכמים כך הוא, כל שיש בידו מקל או צפור (עבודה זרה מ ב), האורג משער הנזיר כמלא הסיט בבגד בצפרתא (תמורה לד א), ואמרו צפורת כרמים (שבת צ ב), ואמרו בשר צפרים מחזירין החולה לחליו (ברכות נז ב):
    ואמר בכתוב (דברים יד יא) כל צפור טהורה תאכלו, על המינין הרבים ההם, ונתרבה של מצורע "מכל", ואמר (שם פסוק יב) וזה אשר לא תאכלו מהם, כאומר ואלה אשר לא תאכלו מבשרם. ולכך דרשו "טהורות, לא טמאות". ומכל מקום כלם בעלי פטפוט הם. וכן גם כן גם צפור מצאה בית ודרור קן לה (תהלים פד ד), כך נראה, שאינו שם כולל העופות כולם. וכן אשר שם צפרים יקננו חסידה ברושים ביתה:
    והנראה מדברי רבותינו, שכל עופות טהורים נקראים צפור, אבל מצותו של מצורע בצפרי דרור, דתניא בת"כ (פרק ח יד) ושלח את הצפור החיה אל מחוץ לעיר אל פני השדה (להלן פסוק נג), רבי יוסי הגלילי אומר צפור שחיה חוץ לכל עיר, ואי זו זה דרור. ומן המדרש הזה הזכירו הפטפוט. ויתכן שאינו אלא למצוה, ודיעבד כלם כשרין בו, ולפיכך הוצרכו בת"כ למעט טמאות. וכן שנינו במשנה מסכת נגעים (פי"ד מ"א) ומביא שתי צפרים דרור. ושנו עוד שם (משנה ה) שתי צפרים מצותן שיהיו שוות במראה בקומה ובדמים ולקיחתן כאחת, אף על פי שאינן שוות כשרות, שחט אחת מהן ונמצאת שלא דרור יקח זוג לשניה. והטעם בזה, שאף על פי שבדיעבד כלן כשרות, כשהן שני מינים פסולות:
    ובפרק אלו טרפות (חולין סב א) אמרו עוף המסרט כשר לטהר בו את המצורע, וזו היא סנונית לבנה שנחלקו בה רבי אליעזר וחכמים. ומכאן שאין צפרי המצורע מין אחד בלבד, ושאין מטהרין בכל עוף טהור, אבל מצותו בכל עוף דרור, כלומר שדרה בבית כבשדה, ולפיכך אמרו בסנונית דכיון שהיא טהורה לדעת חכמים כשרה לטהר בה שהיא בכלל דרור. ומכל מקום כל הטהורין כשרים בדיעבד, שכלן בכלל שתי צפרים טהורות:
    ושנו בסיפרי (ראה קג) אמר רבי יאשיה כל מקום שנאמר צפור בטהורה הכתוב מדבר, ואמר רבי יצחק עוף טהור נקרא עוף ונקרא צפור, וטמא לא נקרא אלא עוף, וכך הזכירו בגמרא בפרק שלוח הקן (חולין קלט ב). ושם העלו, כי "חיות" שחיין ראשי אברים שלהם, למעוטי מחוסרות אבר, וכן הטרפות פסולות בהן, ודרשו "טהורות" למעט אסורות, כגון צפרי עיר הנדחת ועוף שהרג את הנפש, והחליפן בע"ז. ומדרשם זה שם מן הלשון עצמו שאין צפור אלא עוף טהור, ומשמע מכאן שכל עוף טהור בכלל צפור:
    וראיתי עוד בירושלמי במסכת נזיר (פ"א ה"א) שאמרו וכי נזיר טמא צפרים הוא מביא תורים ובני יונה הוא מביא, אית תניי תני כל עוף טהור קרוי צפרים, אית תניי תני כל העופות בין טמא ובין טהור קרוי צפרים. והנה נשאר בידינו ממנו מחלוקת. ומכל מקום יתכן שיהיה השם בקטנים בלבד, ובגמרא כך הוא נראה, ממה שאמרו במסכת סוטה (טז ב) הבא מים שדם צפור נכר בהם וכמה הם רביעית, ושאלו, גדולה שדוחה את המים קטנה ונדחת מפני המים מהו, ופירשו, כל שיעורי חכמים כך הם, בצפור דרור שערו חכמים אין לך גדולה שדוחה את המים ואין לך קטנה שנדחית מפני המים. ואלו היה כל עוף טהור כשר בו, היה מהם מי שדמו דוחה כמה לוגין. ואולי אמרו כן בצפור דרור שהוא מצוה לכתחלה ממדרשו של ר' יוסי הגלילי. וכבר הזכירו בגמרא (שבועות כט א), ודילמא צפורא רבא חזא ואסיק שמיה גמל:
    והנכון שיעלה מכל זה הוא, שנאמר שכל צפור שאינו דרור פסול אפילו בדיעבד מן המדרש הזה, שלא שנו במשנתנו מצותן שיהו דרור אף על פי שאינן דרור כשרות, כמו ששנינו בשוות. וכל הדרורים בעלי פטפוט הם. ומה שאמרו בת"כ "לא טמאות", מפני שיש אף בטמאין מינין שהם דרור כגון הסנונית לרבי אליעזר. או יהיה פירושו, למעט טמאות לך, שהן האסורות והטרפות כמו שהעלו בגמרא בפרק שלוח הקן (חולין קמ א), וזהו ההגון בעיני:
    ובהגדה דרבה (ויקרא רבה טז ז) אמר רבי יהודה ברבי סימון אילין צפריא קולנין, זה האומר לשון הרע, אמר הקדוש ברוך הוא יבא קול ויכפר על קול. ור' יהושע בן לוי אמר, צפרים צפרי דרור שאכלה מפתו ושתת מן מימיו, והלא דברים קל וחומר וכו':

     


    [1]טהורות – פרט לעוף טמא, לפי שהנגעים באים על לשון הרע, שהוא מעשה פטיט, פיטפוטי דברים, לפיכך הוזקקו לצפרים לטהרתו, צפרים שמפטפטין תמיד בציפצוף קול.

    [2] DR. A. Bonchek, Ce qui dérange Rachi, édition Gallia, p. 149-152

    [3] ומפני שאמר: טהורות – פרט לעוף טמא, נלמד שאין הצפרים מין טהור ידוע, אבל הוא שם כולל כל העופות. אם כן, מהו הפטפוט הזה שמצאו להם, כי עופות רבים אין בהם פוצה פה ומצפצף. ועוד כי מדרש: חיות – פרט לטרפות, יבא במחלוקת, ולמאן דאמר טרפה חיה אינו כן.

    ובתורת כהנים (ספרא ויקרא י"ד:ד'): חיות – לא שחוטות, טהורות – לא טמאות, טהורות – לא טרפות.

    [4] והנכון בעיני: ששם צפור כלל לעופות הקטנים המשכימים בבקר לצפצף ולשורר, מלשון ארמית: צפרא. וכן: ישוב ויצפור (שופטים ז':ג') – ישכים בבקר. אמר: צפור שמים (תהלים ח':ט') עליהם כי הם לרובם יגביהו לעוף בשמים.

  • Projet Ramban : Tazria

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Ramban continuateur de Rabbi Yéhouda Halévy.

    Sur la tsaraat.

     

    Quant à la nature des plaies –tsaraat­- dont il est question dans la Torah, deux écoles d’interprétation s’affrontent : ces plaies sont-elles ‘naturelles’[i] ou ‘miraculeuses’[ii] ? Les deux écoles semblent admettre que toute maladie est liée à une faute. C’est pourquoi la disparition de ces plaies donne lieu à des sacrifices. Comment alors comprendre ce débat ?

    Comme personne ne sait tout à fait identifier ce que sont ces plaies, la voie interprétative est libre : selon son idéologie on pourra prendre telle option. Ramban[iii] opte pour un caractère miraculeux de ces plaies. Pour cela il se fait l’élève de Rabbi Yéhouda Halévy dont il reprend –presque mot à mot[iv] le commentaire, mais sans le citer-. Il affirme que les plaies sont liées à un retrait[v] de la présence divine. Ce retrait laisse une trace sous forme de tache. Indiquant à la personne qui s’estimerait innocente, la nécessité de faire un bilan personnel.

     Pourtant Ramban va apporter une nuance à cette démarche : en tant qu’au prise avec le texte et s’adressant des lettrés juifs, il ne peut se contenter de généralité sur « la religion méprisée ».  Les ‘plaies des maisons’ sont introduites ainsi : ‘et Je mettrai une plaie dans la terre de votre héritage’[vi] ; le Ramban y voit que les plaies sont dirigées par Quelqu’un pour quelqu’un ; il s’agit donc d’un message adressé. Or c’est seulement en Israël qu’une telle modalité est possible : c’est seulement en Terre sainte que le manque de moralité se traduit par un effet concret. Dans d’autres territoires, une telle plaie n’existe tout simplement pas.  Dans les autres pays, Dieu n’est pas assez présent pour que son absence soit signée d’une marque. Comme le dit le Kouzari les plaies sur « les vêtements et les maisons sont une des manifestations de la présence divine ». Et pour le Ramban, cette manifestation ne peut se produire que dans la terre élue : Rabbi Yéhouda Halévy ne récuserait pas cette interprétation. Ainsi lorsqu’un texte[vii] indique que « les plaies des maisons ne peuvent être considérées comme source d’impureté si elles se produisent durant la phase de conquête de la terre », il ne s’agit pas d’une loi, mais bien d’un fait : « il n’est pas possible que des plaies surgissent à ce moment, car l’esprit des hommes n’est pas disponible au divin pour permettre sa Présence ». Cette langue n’est pas courante, la plupart du temps, les versets sont interprétés d’une façon juridique et non factuelle.

    Fort de cette remarque, Ramban est prêt à dire (malgré l’absence de preuve textuelle directe) qu’il faut étendre cette réflexion aux plaies des vêtements comme l’affirmait le Kouzari. En effet, nul verset ne permet d’affirmer que les plaies des vêtements ne se sont jamais produites qu’en terre d’Israël ; mais le simple fait de passer sous silence la localisation géographique des plaies des vêtements suffit à notre auteur pour prétendre qu’elles n’eurent effectivement lieu qu’en terre sainte ; la langue du verset est factuelle, or le fait est que jamais il ne s’est présenté de plaie des vêtements hors d’Israël, donc pas besoin d’en parler. Pourtant le verset insiste pour les plaies des maisons sur le fait qu’elle ne peut se produire que dans la ‘terre de votre héritage’, alors pourquoi ne pas user du même procédé pour les plaies des vêtements ? Notre auteur remarque une insistance dans la description des plaies des vêtements : « le vêtement, ou la peau qui aurait dans sa trame ou sa chaine une plaie »[viii] est répétée plusieurs fois, comme s’il fallait insister pour bien marquer les esprits d’une telle possibilité. Ainsi le géronais va prêter main forte à Rabbi Yéhouda Halévy avec toutes les ressources possibles du texte.

    La connaissance des lois des plaies s’identifie ainsi à distinguer ce qui relève de la maladie et ce qui relève d’un message adressé. Diagnostiquer une « plaie », c’est renvoyer l’homme à son for intérieur, sans échappatoire. Si l’on suit l’opinion que les plaies peuvent aussi exister en tant que simples maladies, une échappatoire est laissée à l’homme qui peut se dire « ce n’est rien », maintenant ainsi toujours ouvert le choix de ne pas écouter le message. Par contre, si comme Ramban, on admet qu’il s’agit d’un miracle, cela suppose un interventionnisme explicite du divin dans le monde des hommes. Et devant cette conséquence, le géronais ne reculera pas : il dira la même chose concernant la femme ‘sota’. Pour autant cette immixtion du divin dans le monde humain, compris comme un privilège, ne sera pas perçue comme une violation du territoire humain que si l’homme est prédisposé à une telle grandeur : en Israël, une fois réglée la question territoriale.

     

     

    Franck Benhamou

     

    [i] Ibn Ezra, Guersonide, Abravanel.

    [ii] Maïmonide, Rabbi Yéhouda Halévy, et plus tard Sforno.

    [iii] Voir commentaire sur Vayikra 13.47 et 13.52. Nous commentons surtout le premier passage.

    [iv] Voir Le Kuzari 2.62, mais aussi 2.58, p.75 de l’édition Verdier.

    [v] Il emploie le mot ‘contraction’ de la présence, mot qui n’est pas rapporté par Ramban.

    [vi] Vayikra 14.34.

    [vii] Torat Cohanim Métsora 5.3.

    [viii] 13.47 ; 13.51 ;13.53 ; 13.56 et 13.58.

     

    רמב"ן ויקרא פרק יג (מז)

    והבגד כי יהיה בו נגע צרעת - זה איננו בטבע כלל ולא הווה בעולם, וכן נגעי הבתים, אבל בהיות ישראל שלמים לה' יהיה רוח השם עליהם תמיד להעמיד גופם ובגדיהם ובתיהם במראה טוב, וכאשר יקרה באחד מהם חטא ועון יתהוה כיעור בבשרו או בבגדו או בביתו, להראות כי השם סר מעליו. ולכך אמר הכתוב (להלן יד לד) ונתתי נגע צרעת בבית ארץ אחוזתכם, כי היא מכת השם בבית ההוא. והנה איננו נוהג אלא בארץ שהיא נחלת ה', כמו שאמר (שם) כי תבאו אל ארץ כנען אשר אני נותן לכם לאחוזה, ואין הדבר מפני היותו חובת קרקע, אבל מפני שלא יבא הענין ההוא אלא בארץ הנבחרת אשר השם הנכבד שוכן בתוכה:

     

    ובתורת כהנים (מצורע פרשה ה ג) דרשו עוד, שאין הבית מטמא אלא אחר כבוש וחלוק, ושיהא כל אחד ואחד מכיר את שלו. והטעם, כי אז נתישבה דעתם עליהם לדעת את ה' ותשרה שכינה בתוכם. וכן אני חושב בנגעי הבגדים שלא ינהגו אלא בארץ, ולא הוצרך למעט מהן חוצה לארץ כי לא יארעו שם לעולם. ומפני זה עוד אינם נוהגים אלא בבגדים לבנים לא בצבועים, כי אולי הצבע הוציא הכיעור ההוא במקום ההוא כטבעו ולא אצבע אלהים היא, ולפיכך הצבועים בידי שמים מטמאין כדברי רבי שמעון (נגעים פי"א מ"ג):

     

    ועל דרך הפשט, מפני זה יחזירו הכתוב בכל פסוק ופסוק "הבגד או העור או השתי והערב", כי הדבר נס. ולרבותינו בהם מדרשים וכולם בתורת כהנים:

     

    רמב"ן ויקרא פרק יד (לד) אמר הכתוב בנגעי הבתים ונתתי נגע צרעת - לרמוז כי יד ה' תעשה זאת, לא טבע כלל, כמו שפירשתי (לעיל יג מז):

     

  • Tsav : du discret au continu

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

    Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

    Tsav, du discret et du continu.

     

    Nul ne se rappelle le contenu de la Paracha de Tsav. Engloutie dans le flot continu des lois relatives aux sacrifices qui agite le livre de Vayikra.

    Certes on se rappelle du premier Rachi : « Le mot tsav (« ordonne ») implique toujours une idée de zèle, pour maintenant et pour les générations à venir. Rabi Chim‘on a enseigné : Le texte incite à d’autant plus de zèle qu’il y a risque de perte d’argent ». Au moment où le texte y est dit à Moïse, le Temple n’est pas encore érigé : le mot maintenant tombe à plat !  Pourquoi ne pas avoir utilisé ce terme dès le début du livre de Vayikra puisque l’on y parle d’animaux qu’on apporte sur ses propres deniers ? Rachi s’est contenté de recopier un commentaire antérieur sans y ajouter plus de précision.

    Ramban commence son commentaire par une remarque. L’ordre inaugurant le texte est adressé aux cohanim : « Ordonne à Aaron et à ses fils ce qui suit : Ceci est la règle de l'holocauste. C'est le sacrifice qui se consume sur le brasier de l'autel, toute la nuit jusqu'au matin ; le feu de l'autel y doit brûler de même. » Alors que la paracha précédente était un ordre adressé aux enfants d’Israël. Il explique « car on va parler ici des gestes sacrificiels, et ceux sont les cohanim qui devront les exécuter ». Cette lecture oriente ainsi toute la paracha : alors que la section précédente consistait à insister sur la dimension volontaire et généreuse des sacrifices, marqués par des formules décrivant la générosité (« un homme qui apportera… »), ici on va parler technique. Pourtant on y trouve aussi des sacrifices obligatoires comme ceux qui viennent suite à un manquement, qui ne relèvent donc pas de la générosité. De même que dans Vayikra aussi on parle de gestes précis Il faut donc aller plus loin pour distinguer les objectifs de la paracha de Vayikra et de celle de Tsav.

    Et c’est précisément l’objet de la suite du commentaire du Ramban qui questionne l’explication donné par Rachi du terme ‘Tsav’.

    Fort de sa remarque (on s’adresse aux cohanim), il questionne Rachi : puisque le verset s’adresse au cohanim, comment se pourrait-il qu’il y ait un risque de perte d’argent, alors que ceux-ci ne sont que de simples exécutants des sacrifices appartenant aux enfants d’Israël ? Selon lui le texte apporté par Rachi ne vient pas donner une clé de lecture mais des possibilités de lecture : le terme ‘ordre’ est employé soit pour indiquer une injonction immédiate, soit pour indiquer que l’injonction est permanente, soit pour encourager dès lors qu’il y a des dépenses à faire pour l’accomplissement.

    Le Ramban laisse au lecteur le soin de continuer le commentaire en choisissant lui-même la case qui convient. Le commandement en question n’étant pas immédiat, et précisant dans sa question que les cohanim n’ont pas de perte d’argent, ne reste que la troisième option : le commandement est perpétuel. Cette remarque éclaire l’ensemble de la paracha. En effet, si celle-ci s’oppose à celle de Vayikra ce n’est parce que la première serait placée sous le sceau du volontarisme –nous avons vu que c’était faux- mais parce que la paracha de Tsav vise une dimension de continuité du service divin. En effet, que ce soit des sacrifices volontaires ou liés à une faute, ceux-ci restent ponctuels, liés à tel ou tel évènement de la vie. Dans la paracha de Tsav, ce qui est en jeu c’est une présence perpétuelle au Temple. Or c’est exactement le thème du début du texte : un feu doit y demeurer perpétuellement.  Les images se bousculent : que serait-une maison où le feu s’éteindrait la nuit venue ? Que serait un Temple qui ne vivrait qu’au grès des passages aléatoires des fidèles ? Ainsi, les prêtres ont une obligation de mettre suffisamment de bois pour que ce feu soit constamment allumé. L’évacuation des cendres n’est pas –comme le voudrait Rachi- une simple nécessité technique, elle doit se faire dans les habits officiels de prêtrise : c’est que ce travail montre que le Temple fonctionne, qu’une présence y est assurée, on ne le laisse pas à l’abandon. On trouvera de nombreuses autres explications de notre auteur qui roulent sur ce thème. Mais c’est la structure même de la paracha qui y invite, puisque s’y intercale les sacrifices d’intronisation des prêtres qui sont le symbole même de cette présence perpétuelle. Son ordre même participe de ce principe.

    Qu’on me permette ici un écart. Pour nous modernes, pas de sacrifices ou de feu qui brûle constamment. Mais il me semble que l’opposition pointée par Ramban trouve un écho assez simple dans nos vies : on distingue deux types de croyants ceux qui entrent dans la routine de la pratique et ceux qui préfèrent se réserver aux ‘grands moments’. Ces deux façons de vie religieuse sont en principe tout à fait compatibles, mais l’on se rend compte qu’en pratique les deux types de personnes décrites sont souvent différents. Les unes se méfiant des ‘grands moments’ et les autres se méfiant de la routine. Le texte de la Torah me semble-t-il reconnait cette différence, et confie la ‘avoda’ (le service) à une caste, de tel sorte que le Temple semble étranger à celui qui apporte un sacrifice ponctuellement. Mais simultanément, le ‘grand moment’ ne se perdrait-il pas dans une gestuelle sacrificatoire ?

     

    Franck Benhamou.  

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

     

    רמב"ן ויקרא פרק ו

    (ב) אמר הכתוב בפרשת ויקרא (לעיל א ב) דבר אל בני ישראל, כי שם יצוה בהבאת הקרבנות, וישראל מביאים אותם, וכאן אמר "צו את אהרן", כי ידבר במעשה הקרבנות, והכהנים יעשו אותם:

    וכתב רש"י אין צו אלא זרוז מיד ולדורות. אמר רבי שמעון ביותר היה צריך הכתוב לזרז במקום שיש בו חסרון כיס. ומדרשו של רבי שמעון (תורת כהנים ריש הפרשה) אינו על זו הצואה, כי כאן אין בו חסרון כיס לבני אהרן המצווים בה, אבל יש להם ריוח ושכר בכל הקרבנות, גם בעולה. אבל אמר תנא קמא אין צו אלא זירוז מיד ולדורות, לומר שהפרשיות שירצה הכתוב לזרז בהם ולומר שיעשה מיד וינהג הדבר לדורות יאמר בהן צו, ובשאר הפרשיות יאמר דבר אל בני ישראל או אמור להם, ובא רבי שמעון לחלוק ולומר שפעמים יבא הלשון הזה בדבר שאינו מיד ולדורות בעבור שיש בו חסרון כיס, כגון הצואה האמורה בשמן המאור (להלן כד ב), וכגון שאמר הכתוב (במדבר לה ב) צו את בני ישראל ונתנו ללוים ערים לשבת. ויתכן שנאמר שיש בצו זה חסרון כיס לכהנים בעבור "זה קרבן אהרן ובניו" (פסוק יג) הנמשך בצואה זו. אבל בתחלת ספרי (נשא א) בענין מחלוקת היא שנויה שם:

    רמב"ן ויקרא פרק ו

    ואש המזבח תוקד בו - יאמר שתוקד במזבח כל הלילה, כי מצוה שישימו ביום עצים הרבה כדי שלא יתאכלו לגמרי ויכבה האש ממנו. ולפי דעתי, מה שאמר (פסוק ו) אש תמיד תוקד על המזבח לא תכבה, מצוה לכהנים בקיום האש, כמו שאמר (פסוק ה) ובער עליה הכהן עצים, וצוה שיזהרו בזה ויערכו אש ועצים הרבה שתוקד האש תמיד כל היום וכל הלילה, והזהיר בלאו שלא תכבה לעולם. והנה אם נתעצלו הכהנים וכבתה האש עברו בלאו, ומפני זה אמרו רבותינו (יומא מה ב) שהיתה מערכה שניה לקיום האש

    רמב"ן ויקרא פרק ו

    (ג) ולבש הכהן מדו בד - היא הכתונת, ומה תלמוד לומר מדו, שתהא כמדתו. "על בשרו", שלא יהא דבר חוצץ בינתיים. לשון רש"י:

    והנה תרומת הדשן צריכה בגדי כהונה, ואין עבודה בשני הבגדים מהם. אבל הזכיר אלה השנים לדבר שנתחדש בהם כאן. לומר שתהא הכתונת כמדתו, והענין לומר שאם היו מסולקין [או] קצרים ואינן מגיעין עד רגליו, ועבד בהן עבודתו פסולה. ולמד שלא יהא בינו ולא בין המכנסים לבשרו כלום. והוא הדין שצריכה כל בגדי כהונה, כי כיון שהזכיר הכתוב שהיא צריכה בגדים למדנו שהיא צריכה ארבעה להדיוט ושמנה לכהן גדול

  • Pékoudei - projet Ramban

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    Paracha Pékoudei : Respect et distance

     

       Le Ramban nous spécifie que Moshe ne pouvait accéder au Mishkan. En effet, « l’honneur de D… remplissait tout l’espace du Mishkan, car l’honneur est dans la nuée qui se trouve dans le Mishkan ». De quel honneur parle-t’on et comment une notion peut-elle combler un espace ?

    Le Rambam dans le Guide des égarés chapitre 47, développe la notion suivante : lorsqu’un homme côtoie fréquemment un objet respectable, l’effet produit sur lui se réduit et l’impression reçue perd de sa valeur au fil du temps.

    Il lie cette idée avec le fait qu’il était extrêmement difficile pour un homme de se rendre au Bet Hamikdash. Et pour cause, en tenant compte de la multitude d’impuretés pouvant toucher un homme, et du long processus de purification à effectuer, tous ces éléments permettaient de mettre une importante distance entre les hommes et le Bet Hamikdash. D’y accéder pouvait même relever du défi de toutes une vie.

    D’après le Ramban il est nécessaire d’introduire la notion de respect pour atteindre l’essence d’un lieu tel que le Mishkan. Ce respect ne peut être atteint qu’en imposant des mesures de distances extrêmes. L’accès au Mishkan se fit graduellement : inaccessible à tout homme, puis Moshé uniquement sous réserve d’y être appelé, enfin Aharon et les Cohanim eurent l’autorisation d’entamer la Avoda. Pour conserver le respect de ce lieu, il est nécessaire d’établir un équilibre entre distance et éventuelle proximité. L’érection du Mishkan fut le moment le plus sensible de l’Histoire pour sceller la relation qu’entretiendra le peuple envers le Mishkan, puis plus tard envers le Bet Hamikdash, il était donc indispensable d’y imposer une conduite à tenir.

     

    Koren Assouline

     

     

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes

     

    רמב״ן – פרק מ פסוק לד "ויכס הענן את אהל מועד" -

    אמר כי הענן יכסה את האהל מכל צד והוא מכוסה וטמון בו וכבוד ה' מלא את המשכן כי תוכו מלא הכבוד כי הכבוד שוכן בתוך הענן תוך המשכן כענין שנאמר בהר סיני (לעיל כ כא) אל הערפל אשר שם האלהים ואמר כי לא יכול משה לבא אל אהל מועד (פסוק הבא) אפילו אל הפתח מפני שהיה הענן מכסה אותו ולא היה רשאי לבא בתוך הענן ועוד כי המשכן מלא כבוד ה' ואיך יכנס בו והטעם שלא יבא שם בלא רשות אבל יקרא אותו ויבא בתוך הענן כאשר עשה בהר סיני ויקרא אל משה ביום השביעי מתוך הענן (לעיל כד טז) ואמר ויבא משה בתוך הענן (שם יח) ועל דרך הפשט בעבור שנאמר וידבר ה' אליו מאהל מועד (ויקרא א א) לא נכנס משה למשכן אבל קרא אותו מאהל מועד ועמד פתח אהל מועד וידבר אליו ורבותינו אמרו (ת"כ פתיחתא ח) כתוב אחד אומר ולא יכול משה לבא אל אהל מועד וכתוב אחר אומר ובבוא משה אל אהל מועד (במדבר ז פט) הכריע כי שכן עליו הענן כי לדעתם ובבא משה אל אהל מועד שיבא שם בלא קריאה מדעתו או מפני שאמר שם וישמע את הקול מדבר אליו מעל הכפורת נראה להם שהיה משה עומד בתוך האהל לפני הכפרת וכל עת היות כבוד השם מלא את המשכן לא נכנס משה בתוכו ולכך יאמרו שהיה זה לאחר שנסתלק הענן כלומר שנסתלק מלכסות כל האהל ואין הכבוד מלא את המשכן כי לא היה זה רק ביום השמיני ברדת שם הכבוד והקריאה שאמר ויקרא אל משה וידבר ה' אליו מאהל מועד (ויקרא א א) על דעתם קודם לכן היתה כאשר פירשתי למעלה (בפסוק ב) ויתכן שהכתוב שיאמר פעם אחרת וכבוד ה' מלא את המשכן ירמוז אל הכבוד השוכן בקרבו.

  • La Torah suit l'ordre chronologique

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

       Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900         

     La Torah suit -presque toujours- l’ordre chronologique

     

    Dans la paracha ‘Terouma’, la Torah commence à décrire -avec moult détails- l’édification du michkan (tabernacle). La paracha ‘Tetsavé’ continue dans cette lancée en se focalisant sur la conception des vêtements portés par les Cohanim. Les deux premiers chapitres de la paracha ‘Ki-Tissa’ (30 et 31) traitent encore de ce sujet.

    Toutefois, les chapitres 32 et 33 de cette même section passent à une thématique autre : la faute du veau d’or. Le dernier chapitre de ‘Ki-Tissa’ (34) se conclut avec l’alliance et l’énoncé de lois suivant le pardon accordé par HaChem, sur l’insistance de Moshé Rabbénou.

    Une fois la ‘parenthèse’ du veau d’or énoncée, nous arrivons à la paracha ‘Vayakhel’, qui revient complètement sur la construction du michkan,..

    Cette interruption dans le récit de la construction du saint édifice interpelle les commentateurs de la Torah, notamment quant au déroulement exact des évènements. Avant de nous pencher sur l’explication du Ramban, attardons-nous brièvement sur l’interprétation classique de Rachi :

    Selon lui, la faute du veau d’or a précédé totalement l’édification du michkan. Les deux sont d’ailleurs intrinsèquement liés : le michkan, façonné d’or et autres matériaux précieux, constitue une expiation rendue nécessaire après la transgression des bné-Israël[1]

    …Dans ce cas, pourquoi la Torah ne raconte-t-elle pas les évènements dans l’ordre ? Pour Rachi, une telle question n’a pas lieu d’être, car telle est la règle concernant la chronologie des faits dans la Torah : « La Torah ne suit pas l’ordre chronologique »[2].

    La lecture du Ramban est fondamentalement différente. Selon sa vision, il y a eu tout d’abord les premières instructions quant à la construction du michkan, telles qu’énoncées dans les sections ‘Terouma’ et ‘Tetsavé’, ainsi qu’au début de ‘Ki-Tissa’. La faute du veau d’or a provoqué l’interruption de ce projet magnifique consistant à faire résider la présence divine au sein des bné-Israël. Ce n’est qu’avec le pardon finalement accordé (fin de ‘Ki-Tissa’), qu’Hachem a finalement décidé de revenir au plan originel et terminer l’édification du michkan[3].

    Ce débat entre les deux maîtres a deux incidences majeures :

    1/ Sur la conception de l’essence du michkan.

    Rachi a une conception utilitaire de l’édifice : expier la faute du veau d’or. La création du michkan est selon lui une décision à posteriori. Au contraire, le Ramban y voit un absolu faisant partie intégrante du plan divin depuis la Création, au même titre que le don de la Torah ou l’entrée en terre d’Israël[4] : sa création obéit à priori à la volonté d’Hachem[5].

    2/ Sur la portée du principe «la Torah ne suit pas l’ordre chronologique »

    Le Ramban ne s’oppose pas à Rachi quant au principe lui-même, mais uniquement quant à sa portée. Il explique par ailleurs[6] que la Torah suit généralement l’ordre des évènements. Ce n’est qu’en cas de besoin spécifique, et exceptionnellement, que le récit peut s’en éloigner, afin de mettre en avant un rapprochement d’idées ou de concepts. Or tel n’est pas le cas en l’espèce, la Torah n’a aucune raison de modifier l’agencement des évènements.

     

    Certes, la piste suivie par le Ramban est claire, avec l’avantage de présenter une lecture fluide et linéaire des sections de la Torah entre ‘Terouma’ et ‘Vayakhel’. Une question sur sa démarche subsiste néanmoins :

    Alors qu’il annonce explicitement dans son introduction à la Torah qu’il s’opposera aux commentaires de ses prédécesseurs, dont Rachi en premier lieu, il ne fait ici aucunement mention de leur divergence de point de vue dans ces deux concepts : la perception de l’essence du michkan et la portée du principe «la Torah ne suit pas l’ordre chronologique »[7].

    Pourquoi ne s’oppose-t-il pas ici explicitement au maître champenois ? La question reste ouverte.  

     

    Yona GHERTMAN

     

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes


    [1] Commentaires sur Shemote 29, 1 et 31, 18 :

    פר אחד - לכפר על מעשה העגלמ שהוא פר:

    ויתן אל משה וגו' - אין מוקדם ומאוחר בתורה. מעשה העגל קודם לצווי מלאכת המשכןל ימים רבים היה, שהרי בשבעה עשר בתמוז נשתברו הלוחות, וביום הכפורים נתרצה הקדוש ברוך הוא לישראל, ולמחרת התחילו בנדבת המשכן והוקם באחד בניסן:

    [2] Rachi, Ibid. ; cf ; TB Pessa’him 6b.

    [3] רמב"ן שמות פרק לה פסוק א

    (א) ויקהל משה את כל עדת בני ישראל - יכלול "כל עדת בני ישראל" האנשים והנשים, כי כלם התנדבו במלאכת המשכן. והנה משה אחר שצוה לאהרן והנשיאים וכל בני ישראל האנשים כל אשר דבר ה' אתו בהר סיני אחרי שבור הלוחות, ונתן על פניו המסוה, חזר וצוה והקהילו אליו כל העדה אנשים ונשים. ויתכן שהיה זה ביום מחרת רדתו. ואמר לכולם ענין המשכן אשר נצטוה בו מתחלה קודם שבור הלוחות, כי כיון שנתרצה להם הקדוש ברוך הוא ונתן לו הלוחות שניות וכרת עמו ברית חדשה שילך השם בקרבם, הנה חזרו לקדמותם ולאהבת כלולותם, ובידוע שתהיה שכינתו בתוכם כענין שצוהו תחלה, כמו שאמר (לעיל כה ח) ועשו לי מקדש ושכנתי בתוכם, ולכן צוה אותם משה עתה בכל מה שנצטוה מתחלה:

    [4] Ce qui ressort également de son introduction au livre de Shemote :

    רמב"ן שמות הקדמה

     והנה הגלות איננו נשלם עד יום שובם אל מקומם ואל מעלת אבותם ישובו. וכשיצאו ממצרים אף על פי שיצאו מבית עבדים עדיין יחשבו גולים כי היו בארץ לא להם נבוכים במדבר וכשבאו אל הר סיני ועשו המשכן ושב הקדוש ברוך הוא והשרה שכינתו ביניהם אז שבו אל מעלות אבותם שהיה סוד אלוה עלי אהליהם והם הם המרכבה ואז נחשבו גאולים ולכן נשלם הספר הזה בהשלימו ענין המשכן ובהיות כבוד ה' מלא אותו תמיד:

    [5] Le Rav Elie Munk z’l suppose que le point de vue de Rachi se rattache au midrash, alors que celui du Ramban -reconnu pour son mysticisme- se rapproche davantage des vues du Zohar (cf. La Voix de la Torah, l’Exode, pp.305-306).

    [6] Commentaire sur Bamidbar 16, 1. Il s’oppose en l’espèce à Ibn ‘Ezra qui prête une portée beaucoup plus générale au principe :

    רמב"ן במדבר פרק טז פסוק א

    ואמר רבי אברהם כי זה הדבר היה במדבר סיני כאשר נחלפו הבכורים ונבדלו הלוים, כי חשבו ישראל שאדונינו משה עשה זה מדעתו לתת גדולה לאחיו, גם לבני קהת שהם קרובים אליו ולכל בני לוי שהם ממשפחתו, והלוים קשרו עליו בעבור היותם נתונים לאהרן ולבניו, וקשר דתן ואבירם בעבור שהסיר הבכורה מראובן אביהם, גם קרח בכור היה. וזה מדעתו של רבי אברהם שהוא אומר במקומות רבים אין מוקדם ומאוחר בתורה לרצונו. וכבר כתבתי (לעיל ט א) כי על דעתי כל התורה כסדר זולתי במקום אשר יפרש הכתוב ההקדמה והאחור, וגם שם לצורך ענין ולטעם נכון, אבל היה הדבר הזה במדבר פארן בקדש ברנע אחר מעשה המרגלים:

    [7] Alors que sur ce dernier point, il marque ouvertement sa divergence avec le Ibn ‘Ezra (cf. supra).

  • Projet Ramban : Ki-Tissa

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Paracha Ki-Tissa : la langue 'sainte'

     

    Le comptage des bné Israël se fait par l'énumération de demi mesures. Demi mesure de poids d'argent, d'une valeur étalon, nommée le "pesant saint".

    En quoi ce shekel peut-il être Saint? Que signifie qu'un poids ou qu'une monnaie est sainte?

    Traduisons mieux, d'emblée. Qu'est-ce donc que cette sainteté ? Plus précisément cette "distinction", cette "particularité"?

    Le Ramban pose la question au passouk יג du perek ל.

    Il répond que si ce shekel est kodesh, c'est qu'il a affaire avec le domaine "saint". De fait, chez les bné Israël, le domaine clérical brasse de l'argent et beaucoup de mitsvot génèrent un transfert de valeur du privé au clérical, qui servira à l'érection du mishkan, et aux korbanot. La monnaie étalon mesure la valeur de ces transferts, et mesure donc du sacré. Donc toute la monnaie devient liée au sacré. Son usage fait qu'une valeur peut devenir sacrée, et cela impacte la nution même de valeur monétaire, la monnaie courante elle-même.

    Étonnant. Rien d'intrinsequement sacré dans la valeur de ce poids d'argent, qui d'ailleurs ne doit pas être utilisé directement mais uniquement par sa moitié, pour une raison qui ne nous intéressera pas ici. Rien d'intrinsequement sacré donc, sinon par l'usage qu'on peut en faire...

    Et le ramban de surenchérir : il fait le parallèle avec la langue de la Torah, le lashon hakodesh. La langue "distincte". Mais attention, pas "distinguée". Distincte car c'est celle qui, par son histoire, est différente, elle a servie à dieu pour créer le monde, énoncer la Torah, échanger entre dieu ses prophètes, nommer dieu lui-même, nommer des choses distinctes, des mal'ah'im. Son histoire et ce qu'elle nomme fait de cette langue une langue "sacrée".

    Rien d'ésotérique ne la distinguerait. Aucune valeur intrinsèque sinon comment, par qui et pour quoi elle a été utilisée.

     

    Et le Ramban s'oppose ici au Rambam dans le Moré.

    Pour celui-ci, la sainteté de cette langue est dûe à sa caractéristique intrinsèque : elle assume le trou. L'indicible. Ne pas chercher à nommer ce qui ne peut l'être, ou ne doit pas l'être, est ce qui rend une langue sainte. La langue des H'ah'amim est particulière car elle ne nomme ni le rapport sexuel, ni les sexes, ni les excréments. Seuls des allusions seront utilisées.

    Pour le Ramban, ce qui est pointé ici ne caractérise pas une langue mais son usage. Un langage. Qui, du reste, est déjà caractérise ainsi de par ailleurs : on appelle ça un langage châtié, lashon nekia. C'est une façon de parler empreinte de retenue. Mais non une caractéristique de la langue elle-même.

    Essayons de mieux comprendre la thèse du Rambam.

    Ce n'est pas l'usage qu'on en fait, qui la rend particulière. Le langage châtié s'y astreint et tout langage puritain n'est pas kodesh. C'est bien le fait de cette langue de se refuser à avoir des mots pour nommer ce qui pourrait l'être. Accepter des trous du langage, c'est assumer justement de l'indicible, que la langue ne peut pas tout dire, justement comme on ne nomme pas dieu, qu'il y a des choses sans mots, que l'on ne peut "objectivement" pas dire, pas nommer sans les falsifier, les fausser, là se joue la caractéristique de la langue kdosha.

    Le nom de Dieu est un immense sujet pour le Reste et là n'est pas le lieu pour s'y étendre. Car il a malgré tout un nom dans les Textes, même s'il ne se dit pas. Par contre le rapport sexuel n'est pas. Ou ne peut avoir de nom, pas seulement qui ne puisse être exprimé. Il ne peut y avoir de mot qui ne soit autre chose qu'allusion, signe qui pointe, ou plutôt non, il n'y a pas de tel signifiant, rien à pointer vers un trou, vers un non-être. Car c'est bien de cela qu'on s'approche. Non pas qu'il n'y ait pas de rapport sexuel, mais que ce n'est pas quelque chose qui peut être signifié.

    Oui, les mots me manquent. Il faudrait aller beaucoup plus loin pour rendre compte de la kdousha d'une langue.

    Mais le Ramban n'accepte pas cela.

    Pas parce qu'il soutiendrait que cette langue serait magique, plus juste, mieux ou que sais-je encore. Non.

    C'est la langue utilisée par la Torah pour parler de kdousha. Qui nous emmène donc de fait vers la kdousha par son usage et ses usages passés.

    Tout comme la monnaie qui mesure ce qui peut devenir kadosh par une parole ou un acte.

    Nathan Grandjean

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :


    Commentaire du Ramban sur Exode 30, 13


    וכן הטעם אצלי במה שרבותינו קוראין לשון התורה "לשון הקודש", שהוא מפני שדברי התורה והנבואות וכל דברי קדושה כולם בלשון ההוא נאמרו. והנה הוא הלשון שהקב"ה יתעלה שמו מדבר בו עם נביאיו ועם עדתו, אנכי ולא יהיה לך ושאר דברות התורה והנבואה, ובו נקרא בשמותיו הקדושים אל, אלוהים, צבאות, ושדי, ויו"ד ה"א, והשם הגדול המיוחד, ובו ברא עולמו, וקרא שמות שמים וארץ וכל אשר בם, ומלאכיו וכל צבאיו לכולם בשם יקרא מיכאל וגבריאל בלשון ההוא, ובו קרא שמות לקדושים אשר בארץ אברהם יצחק ויעקב ושלמה וזולתם:
    והרב אמר במורה הנבוכים ג ח
    אל תחשוב שנקרא לשוננו לשון הקדש לגאוותינו או לטעותינו, אבל הוא בדין, כי זה הלשון קדוש לא ימצאו בו שמות לאבר הבעילה בזכר או בנקבה, ולא לטפה ולשתן ולצואה רק בכינוי. ואל יטעה אותך "שגל" (תהלים מה י), כי הוא שם אשה המזומנת למשכב, ואמר ישגלה (דברים כח ל): על פי מה שנכתב עליו, ופירושו יקח אשה לפילגש:
    והנה אין צורך לטעם הזה, כי הדבר ברור שהלשון קדש קדשים הוא כמו שפירשתי. 
    והטעם שהזכיר על דעתי איננו אמת, כי מה שיכנו ישגלנה, ישכבנה, יורה כי משגל שם עצם לבעילה, וכן יכנו לאכול את חוריהם (מ"ב יח כז), כי הוא שם מגונה. ואם מפני טעמו של הרב, היו קורים לו "לשון נקיה", כעניין ששנינו (סנהדרין סח ב): עד שיקיף זקן התחתון ולא העליון אלא שדברו חכמים בלשון נקיה, ואמרו כי אם הלחם אשר הוא אוכל לשון נקי (ב"ר פו ז), וכן במקומות רבים:

     

      

  • Projet-Ramban : Tetsavé

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Parashat Tetsave – Commentaire du Ramban

     

    Notre parasha continue les mitsvot relatives au Tabernacle et décrit les habits que devront vêtir le Cohen et le Cohen Gadol.

    La signification de ces habits est évidemment source d’exégèses à toute époque. Le commentaire que nous allons voir cette semaine se caractérise par sa double référence – il s’inscrit dans la lignée des commentaires du pshat pour continuer dans celle des commentaires du sod.

     

    Le verset qui sert de “support” au commentaire est le verset XXVIII,2 :

    “Tu feras à Aaron, ton frère, des vêtements sacrés, pour marquer sa dignité et pour lui servir de parure.” – En Hébreu, « לכבוד ולתפארת »

     

    Ces deux derniers mots permettent de prime abord au Ramban de définir ces vêtements comme étant des vêtements royaux. Et pour étayer son argument, le Ramban va utiliser de manière transversale toute la Bible !

    La Koutonet – la tunique du Cohen -  c’est un vêtement d’apparat, nous dit le Ramban. Preuve en est le cadeau que Yaakov fit à Yossef : (Bereshit XXVII,3) : « Israël aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu'il l'avait eu dans sa vieillesse ; et il lui fit une tunique – koutonet- de plusieurs couleurs. ». Plus encore, c’est un vêtement royal – lors du tragique épisode de Amnon et Tamar, le verset nous précise (Samuel II, XIII,18) : « Elle – Tamar - avait une tunique - Koutonet- de plusieurs couleurs ; car c'était le vêtement que portaient les filles du roi, aussi longtemps qu'elles étaient vierges ».

    La Mitsnefet – le couvre-chef du Cohen : le Ramban nous prouve ici aussi que c’est un habit royal. Ainsi, lorsque le prophète met en garde le Roi d’Israël que son royaume va prendre fin, il lui dit « Ainsi parle Hashem : La tiare – mitsnefet- sera ôtée, le diadème sera enlevé. Les choses vont changer. Ce qui est abaissé sera élevé, et ce qui est élevé sera abaissé. » (Ézéchiel XXI,31). A l’inverse lorsque Ishaya prédit le retour, il s’exprime : « Tu seras une couronne éclatante dans la main de l'Éternel, un turban – tsnif- royal dans la main de ton Dieu » (Isaïe, LXII,3)

    Le Tzitz  est aussi un diadème royal. Le verset des Psaumes sert au Ramban de preuve : « Je revêtirai de honte ses ennemis, et sur lui brillera – yatsits- sa couronne. » (Psaumes CXXXII, 18)

    Le Efod et le Hoshen – le pectoral. Un verset de Daniel sert au Ramban de preuve « J'ai appris que tu peux donner des explications et résoudre des questions difficiles ; maintenant, si tu peux lire cette écriture et m'en donner l'explication, tu seras revêtu de pourpre, tu porteras un collier d'or à ton cou, et tu auras la troisième place dans le gouvernement du royaume. » (Daniel V, 16). Il est notable que le Ramban agit ainsi comme un véritable pashtan. Il superpose aisément le Efod et le Hoshen avec un « collier », bien que la racine du mot employé dans Daniel ne l’indique pas clairement.

    Une deuxième remarque peut être faite ici : voir dans le Efod un habit royal et non pas un habit strictement réservé au Cohen permet peut-être de résoudre un problème d’exégèse du livre de Shmouel. En plusieurs endroits on voit des personnes n’étant pas Cohen ou Cohen Gadol en fonction porter un Efod. Par exemple, Samuel lui-meme porte un Efod au verset II, 18 de Samuel I. Ou encore dans XXII, 18, on nous parle de 85 ( !) hommes portant l’Efod ! Suivant l’explication du Ramban, il est aisé d’expliquer que ce ne sont pas des habits spécifiquement réservés au Cohen, mais au contraire, leur caractère royal a fait que la Torah les a attribués au Cohen…

    Enfin, au-delà des vêtements, les couleurs même que la Torah a exigées sont des couleurs royales : or, pourpre et bleu azur – teh’elet- . Le Ramban cite comme preuves divers versets tirés des Psaumes, de Daniel ou encore du livre d’Esther.

     

    Jusqu’ici, le Ramban s’est placé dans la lignée des commentateurs pashtan. Les vêtements pontificaux ont été définis car ils évoquent de manière claire l’apparat et la noblesse.

    Mais le Ramban ne s’arrête pas là et entame un second paragraphe avec son expression caractéristique « ועל דרך האמת » - “Et selon la vraie explication » introduisant toujours l’exégèse kabbalistique. S’en suit alors une série d’explications allusives et concises que les commentateurs du Ramban décryptent, quand de toute évidence, le mot principal qui tisse le commentaire est « תפארת »   mot du verset qui renvoie, selon le Ramban, à la sefira de Tiferet…

    Nous ne développerons pas cette partie du commentaire, en étant bien incapables…

    Nous nous contenterons d’une remarque. Le Ramban finit ce passage en expliquant que les vêtements devaient être faits par des gens comprenant tous les « secrets » qui les habitent. Et, il cite en preuve, un passage du traité Yoma « son image me guidait lors de mes batailles ».

    Ce passage relate la rencontre extraordinaire entre Shimon Hatsaddik, alors Kohen Gadol, et Alexandre le Grand. Ce dernier, alors qu’il s’approchait de Judée vit Shimon Hatsaddik sortant à sa rencontre. A la vue du Kohen Gadol, Alexandre le Grand descendit de sa monture pour se prosterner. A ses troupes étonnées, il expliqua « lorsque je partais en guerre, son image me guidait lors de mes batailles » 

    La lecture habituelle de ce passage est que le visage de Shimon Hatsaddik apparaissait à Alexandre ; et que lorsque ce dernier reconnut ses traits, il se prosterna. Mais, si le Ramban cite ce passage pour étayer son commentaire sur les vêtements pontificaux, c’est que selon lui, ça n’est pas tant le visage du Cohen qu’Alexandre voyait, mais l’habit du Kohen Gadol. Ainsi, l’habit lui-même était assez évocateur et empreint de mystères pour que celui qui le voyait sentait une inspiration digne d’être suivie…

     

    Ce relativement long commentaire nous a semblé intéressant à partager. Il nous semble caractéristique du Ramban : une école clairement kabbalistique, mais qui sait exceller autant que d’autres dans l’exercice du pshat

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כח פסוק ב
    (ב) לכבוד ולתפארת - שיהיה נכבד ומפואר במלבושים נכבדים ומפוארים, כמו שאמר הכתוב כחתן יכהן פאר (ישעיה סא י), כי אלה הבגדים לבושי מלכות הן, כדמותן ילבשו המלכים בזמן התורה, כמו שמצינו בכתנת ועשה לו כתנת פסים (בראשית לז ג), שפירושו מרוקמת כדמות פסים, והיא כתונת תשבץ כמו שפירשתי, והלבישו כבן מלכי קדם. וכן הדרך במעיל וכתנת, וכתוב ועליה כתנת פסים כי כן תלבשנה בנות המלך הבתולות מעילים (ש"ב יג יח), ופירושו כי עליה כתנת פסים נראית ונגלית, כי המנהג ללבוש בנות המלך הבתולות מעילים שתתעלפנה בהן, ונמצא שכתנת הפסים עליה מלבוש עליון, ולכן אמר וכתנת הפסים אשר עליה קרעה:
    והמצנפת ידועה גם היום למלכים ולשרים הגדולים, ולכן אמר הכתוב בנפול המלכות הסר המצנפת והרם העטרה (יחזקאל כא לא), וכן כתוב וצניף מלוכה (ישעיה סב ג), וכך יקראם הכתוב פארי המגבעות (להלן לט כח), וכתיב פארי פשתים יהיו על ראשם (יחזקאל מד יח), שהם פאר ושבח למכתירים בהם. והאפוד והחשן לבוש מלכות, כענין שכתוב והמניכא די דהבא על צוארך (דניאל ה טז). והציץ נזר המלכים הוא, וכתיב (תהלים קלב יח) יציץ נזרו. והם זהב וארגמן ותכלת, וכתיב (שם מה יד) כל כבודה בת מלך פנימה ממשבצות זהב לבושה, וכתיב (דניאל ה טז) ארגוונא תלבש והמניכא די דהבא על צוארך. והתכלת גם היום לא ירים איש את ידו ללבוש חוץ ממלך גוים, וכתיב (אסתר ח טו) ומרדכי יצא מלפני המלך בלבוש מלכות תכלת וחור ועטרת זהב גדולה ותכריך בוץ וארגמן, והתכריך הוא המעיל שיעטף בו:
    ועל דרך האמת, לכבוד ולתפארת, יאמר שיעשו בגדי קדש לאהרן לשרת בהם לכבוד השם השוכן בתוכם ולתפארת עזם, כדכתיב (תהלים פט יח) כי תפארת עזמו אתה. וכתיב (ישעיה סד י) בית קדשנו ותפארתנו אשר הללוך אבותינו, וקדשנו הוא הכבוד ותפארתנו תפארת ישראל, ועוד נאמר (תהלים צו ו) עוז ותפארת במקדשו, וכן לפאר מקום מקדשי ומקום רגלי אכבד (ישעיה ס יג), שיהיה מקום המקדש מפואר בתפארת, ומקום רגליו, שהוא מקום בית המקדש, מכובד בכבוד השם. וכן ובישראל יתפאר (שם מד כג), שיהיה מראה ומיחד בהם תפארתו, וכן אמר למטה גם בבגדי הבנים כלם לכבוד ולתפארת (להלן פסוק מ), ואמר בקרבנות יעלו על רצון מזבחי ובית תפארתי אפאר (ישעיה ס ז). והנה המזבח רצונו, והכבוד בית תפארתו. והיו הבגדים צריכין עשייה לשמן, ויתכן שיהיו צריכין כוונה, ולכן אמר ואתה תדבר אל כל חכמי לב אשר מלאתיו רוח חכמה, שיבינו מה שיעשו. וכבר אמרו (יומא סט א) דמות דיוקנו מנצח לפני בבית מלחמתי: 

  • Un sanctuaire pour quoi faire ?

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Un sanctuaire pour quoi faire ?

     

    Lorsque Maïmonide parle du michkane, le temple portatif du désert, il le décrit comme un lieu de culte[i]. Il défendra que la fabrication du michkane n’a pour but que de détourner les yeux des anciens esclaves égyptiens de leurs idoles. Pour Nahmanide l’érection du temple renvoie à de toutes autres préoccupations : il s’agit de faire perpétuer la gloire qui apparut sur le mont Sinaï. Nulle concession au paganisme, mais la nécessité de continuer la promulgation de la loi.

    Seuls quelques principes de lois ont été donnés sur le mont Sinaï. Après la grande pompe du Sinaï, il faut passer à la présence discrète, démontrant en cela le lien tissé avec le « Dieu d’Israël ». Nahmanide voit dans cette expression le fil qui conduit du Sinaï, au temple portatif, puis au temple de Jérusalem. Voilà le rôle essentiel du michkane, sans doute pourrait-il servir de lieu de culte, mais secondairement. La « gloire » qui résida sur le mont Sinaï se retrouve dans le michkan : l’essentiel de l’accent est mis sur Dieu, et non pas sur l’homme en son rapport à Dieu. La voix qui s’exprima sur le Sinaï au vu et au su de tous, extérieure à tous, presque objective, continuera à s’exprimer mais à partir de l’espace vide situé entre les chérubins placés sur l’arche sainte. La voix divine chemine du Ciel, comme un scintillement, puis vient s’exprimer à partir du lieu vide situé entre les chérubins.

    Mais pourquoi insister sur le trajet de la voix divine ? Si l’on comprend que celle-ci s’exprime à partir d’un mi-lieu qui est vide, pourquoi rappeler que cette voix ‘vient du Ciel’ ? C’est que le vide en question n’est pas un néant, mais vient désigner ce qui transcende toute représentation. C’est une gageure que de donner un lieu au Dieu invisible. Comment maintenir sa transcendance au milieu de l’or et de l’argent ? C’est précisément dans ce renvoi à l’origine céleste de la voix que se rejoue discrètement la scène du Sinaï. Les chérubins abritent le vide - le silencieux secret du monothéisme-, mais un vide fort de tous les potentiels de la loi qui se déploie à partir des principes énoncés sur le Sinaï.

     

    Franck Benhamou

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כה

    וסוד המשכן הוא, שיהיה הכבוד אשר שכן על הר סיני שוכן עליו בנסתר. וכמו שנאמר שם (לעיל כד טז) וישכן כבוד ה' על הר סיני, וכתיב (דברים ה כא) הן הראנו ה' אלהינו את כבודו ואת גדלו, כן כתוב במשכן וכבוד ה' מלא את המשכן (להלן מ לד). והזכיר במשכן שני פעמים וכבוד ה' מלא את המשכן, כנגד "את כבודו ואת גדלו". והיה במשכן תמיד עם ישראל הכבוד שנראה להם בהר סיני. ובבא משה היה אליו הדבור אשר נדבר לו בהר סיני. וכמו שאמר במתן תורה (דברים ד לו) מן השמים השמיעך את קולו ליסרך ועל הארץ הראך את אשו הגדולה, כך במשכן כתיב (במדבר ז פט) וישמע את הקול מדבר אליו מעל הכפרת מבין שני הכרובים וידבר אליו. ונכפל "וידבר אליו" להגיד מה שאמרו בקבלה שהיה הקול בא מן השמים אל משה מעל הכפרת ומשם מדבר עמו, כי כל דבור עם משה היה מן השמים ביום ונשמע מבין שני הכרובים, כדרך ודבריו שמעת מתוך האש (דברים ד לו), ועל כן היו שניהם זהב. וכן אמר הכתוב (להלן כט מב מג) אשר אועד לכם שמה לדבר אליך שם ונקדש בכבודי, כי שם יהיה בית מועד לדבור ונקדש בכבודי:

    והמסתכל יפה בכתובים הנאמרים במתן תורה ומבין מה שכתבנו בהם (עי' להלן פסוק כא) יבין סוד המשכן ובית המקדש, ויוכל להתבונן בו ממה שאמר שלמה בחכמתו בתפלתו בבית המקדש ה' אלהי ישראל (מ"א ח כג), כמו שאמר בהר סיני ויראו את אלהי ישראל (לעיל כד י), והוסיף שם לפרש "ה'" לענין שרמזנו שם למעלה כי אלהי ישראל יושב הכרובים, כמו שאמר וכבוד אלהי ישראל עליהם מלמעלה היא החיה אשר ראיתי תחת אלהי ישראל בנהר כבר ואדע כי כרובים המה (יחזקאל י יט כ). ואמר דוד ולתבנית המרכבה הכרובים זהב לפורשים וסוככים על ארון ברית ה' (דהי"א כח יח), וכן יזכיר תמיד בבית המקדש לשם ה' (מ"א ה יט), לשמך (שם ח מד), ויאמר בכל פעם ופעם ואתה תשמע השמים (שם ח לו), במדת רחמים, וכתיב (שם ח מד מה) והתפללו אל ה' דרך העיר אשר בחרת בה והבית אשר בניתי לשמך ושמעת השמים, ובביאור אמר כי האמנם ישב אלהים את האדם על הארץ הנה שמים ושמי השמים לא יכלכלוך (דהי"ב ו יח). וכתיב על הארון להעלות משם את ארון האלהים אשר נקרא שם שם ה' צבאות יושב הכרובים עליו (ש"ב ו ב). ובדברי הימים (א יג ו) להעלות משם את ארון האלהים ה' יושב הכרובים אשר נקרא שם, כי השם יושב הכרובים:

     

    [i] Voir Séfer Hamitsvot. Commandement positif n°20.

     

  • Michpatim- projet Ramban

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Parachat Michpatim :

    Comment le Ramban nous dévoile la force cachée des faibles et la faiblesse des forts 

     

    La parachat Michpatim fournit essentiellement, comme l’indique son nom, une liste non négligeable de loi et ce, juste après le récit du don de la Torah au mont Sinaï, lu la semaine dernière dans la section de Yitro.

    Parmi les lois énoncées, l’une concerne l’interdit d’oppresser l’étranger vivant parmi nous.

    Ainsi la Torah écrit dans le chapitre 22, verset 21 :

    וְגֵר לֹא-תוֹנֶה וְלֹא תִלְחָצֶנּוּ: כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם

    Tu n’oppresseras pas l’étranger, et tu ne feras point pression sur lui ; car étrangers vous étiez en terre d’Egypte

     

    Puis la Torah précise dans un autre verset plus loin  (23) :

    אִם-עַנֵּה תְעַנֶּה אֹתוֹ--כִּי אִם-צָעֹק יִצְעַק אֵלַי שָׁמֹעַ אֶשְׁמַע צַעֲקָתוֹ

    Et si affliger, tu l’affligeras, alors si crier il criera vers moi, et écouter j’écouterai sa plainte

     

    Ce dernier verset semble intriguant ; en effet que vient-il ajouter à l’injonction de ne pas oppresser l’étranger ? En quoi cela nous intéresse-t-il  de savoir si l’Eternel écoute ou non les prières de l’étranger ?

    Rachi semble soulever cette difficulté dans son commentaire :

    Le texte s’exprime de manière elliptique : il profère une menace sans spécifier la punition encourue par celui qui passera outre comme dans : « c’est pourquoi quiconque tuera Caïn sera puni au septuple ! » (Béréchit4,15) où il menace sans spécifier la punition. De même ici « si affliger, tu l’affligeras » est une simple menace ; tu finiras par recevoir ce qui te revient. Pourquoi. « car si crier il criera vers moi »

    Rachi analyse ce verset comme un texte elliptique, en d’autres termes ces paroles expriment avant tout une menace envers celui qui transgresserait l’injonction de l’Eternel ; cependant l’Ecrit oublie de nous préciser la nature du châtiment du fauteur tout en soulignant que la punition viendra en réponse aux prières de l’Etranger.

     

    Cependant le Ramban va s’opposer farouchement à cette explication de Rachi et nous proposer une lecture différente du texte !

    En effet, le Ramban refuse l’idée qu’il faille comprendre comme Rachi le mot אם qui signifie en hébreu      «  si » (le conditionnel) dans son sens littéral ; ce terme serait dans le contexte du verset selon le Ramban l’équivalent d’un רק c'est-à-dire « seulement » une condition sine qua non et exclusive au châtiment divin qui n’a besoin d’être énoncé par ailleurs !

    Nous pourrions expliquer les deux avis de ces deux grands maîtres de la manière suivante :

     

    - Selon Rachi la Torah vient exprimer avant tout dans ce verset une menace (non explicitée) et ce en réponse aux prières de l’Etranger.

     

    • Selon le Ramban la Torah vient dévoiler un mécanisme, une approche dans la compréhension de la providence divine à savoir que les intentions de l’oppresseur seront celles qui le conduiront à sa perte ! en effet, il nous faut lire le texte de la manière suivante selon Nahmanide :

     

    - « si affliger tu affligeras » pourquoi affliger l’étranger ? Car tu penses en ton fort intérieur qu’il n’a point d’appuis puissants dans la société, point de connaissance parmi les gens influant et hauts placés qui pourront le protéger

     - « alors seulement et seulement si crier il criera vers moi » mais toi tu n’as point penser que dans sa faiblesse et son isolement, il pourrait justement s’appuyer et implorer véritablement l’unique aide et  protection pouvant venir à son secours à savoir celle de l’Eternel et « ce seulement s’il la réclame » *

    - « alors écouter j’écouterai sa plainte ».. Car finalement ce qui te semblait être sa faiblesse se révèlera être sa force principale et redoutable ! Quant aux forts, lorsqu’ils seront à leur tour inquiétés, ils préfèreront se tourner vers leurs connaissances et conseillers plutôt que de se tourner vers le créateur !

     

    Le Ramban révèle que ce principe se retrouve à plusieurs endroits dans les écrits comme dans le livre des Proverbes (chap22, verset 22-23) :

    אַל-תִּגְזָל-דָּל כִּי דַל-הוּא וְאַל-תְּדַכֵּא עָנִי בַשָּׁעַר כִּי-יְהוָה, יָרִיב רִיבָם;

     « Ne profite pas du faible car il est faible; et n’écrase pas le pauvre au tribunal, car l’Eternel plaidera sa cause »

    Nous remarquons une nouvelle fois que le faible, le démuni n’ont justement que l’Eternel pour protecteur, et c’est cela précisément qui devrait nous inspirer la crainte, bien plus que le châtiment divin (non dévoilé là encore..)

     

    En conclusion le Ramban nous révèle ici en travaillant le texte un secret formidable et fondamental dans notre compréhension de la Torah et de la vie en général :

     

    Nous connaissons tous l’adage « Forts avec les faibles et faibles avec les forts » - l’homme à l’instar d’un prédateur, pourrait lui aussi chercher les proies faibles de la société pour pouvoir les oppresser et les exploiter sans être inquiété par d’éventuelles représailles !

    La Torah inverse ce regard sur la société pour nous dévoiler que de la faiblesse présumée de ses victimes peut naître une force insoupçonnée et redoutable : la Téfilah, la prière qui prononcée depuis les abîmes de l’âme peut agir dans le ciel  avec force !

     

    Shmouel Choucroun

             

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כב פסוק כב


    (כב) אם ענה תענה אותו - הרי זה מקרא קצר, גיזם ולא פירש ענשו, כמו לכן כל הורג קין (בראשית ד טו), ולא פירש העונש. אף כאן, אם ענה תענה אותו, לשון גיזום, סופך ליטול את שלך, למה, כי יצעק אלי אשמענו ואנקמנו. לשון רש"י. ואיננו נכון, וגם העד שהביא לא העיד כן, אבל יתכן שיהיה "כי" במקום הזה כמו "אם", שהוא אחד משמושין שלו, יאמר, אם יצעק אלי שמוע אשמע צעקתו, והכפל לנחוץ הענין וחזוקו, כדרך המבלי אין קברים (לעיל יד יא), הרק אך במשה (במדבר יב ב):
    והנכון בעיני כי יאמר אם ענה תענה אותו רק צעוק יצעק אלי בלבד מיד אשמע צעקתו, איננו צריך לדבר אחר כלל, כי אני אושיענו ואנקום אותו ממך. והטעם, כי אתה לוחץ אותו מפני שאין לו מושיע מידך, והנה הוא נעזר יותר מכל אדם, כי שאר האנשים יטרחו אחרי מושיעים שיושיעום ואחרי עוזרים לנקום נקמתם, ואולי לא יועילו והצל לא יצילו, וזה בצעקתו בלבד נושע בה' וינקם ממך, כי נוקם ה' ובעל חמה (נחום א ב):
    ויבא כענין הזה בכתובים רבים, כגון מה שאמר (משלי כב כב - כג) אל תגזל דל כי דל הוא ואל תדכא עני בשער כי ה' יריב ריבם, יאמר אל תגזול דל בעבור שהוא דל ואין לו עוזרים ואל תדכא העני אשר בשעריך כי ה' יריב בעבורם, וכן אמר (שם כג י - יא) ובשדה יתומים אל תבוא כי גואלם חזק ה' צבאות שמו, שיש להם גואל חזק וקרוב יותר מכל אדם. אף כאן אמר כי בצעקתו בלבד יושע. וכמוהו כי כאשר ירד הגשם והשלג מן השמים ושמה לא ישוב כי אם הרוה את הארץ והולידה והצמיחה ונתן זרע לזורע ולחם לאוכל כן יהיה דברי אשר יצא מפי לא ישוב אלי ריקם כי אם עשה את אשר חפצתי (ישעיה נה י יא), בשניהם יאמר שלא יעשו דבר אחר, כי אם שירוה את הארץ מיד, וכן כי אם שיעשה מה שחפצתי, והנה הוא כטעם אלא, וכן כי אם אל ארצי ואל מולדתי אלך (במדבר י ל): 

       

  • The day after tomorrow

       PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    The day after tomorrow (Paracha Yitro)

     

    Le jeune peuple d’Israël, tout juste sorti d’Egypte a reçu un la visite d’un singulier personnage : Yitro, présenté comme étant le prêtre de Midian et beau père de Moshé et qui aurait décidé de voir ce peuple dont les prodiges accomplis par Dieu en font tant parler.

    Par la suite, la Torah nous ramène le précieux conseil dont Yitro va gratifier son gendre, celui de placer des juges selon leur degré de compétence afin de décharger Moshé des questions dont le peuple lui fait part constamment.

    Le Ramban* sur place pose la question du moment de ce prodigieux conseil, était-ce avant ou bien après le don de la Torah ?

    Cette question est amplifiée plus loin : « Ce fut, le lendemain », le lendemain d’un jour durant lequel Moshé s’assit et jugea le peuple (Chemot 18,13), sans aucune autre précision sur l’évènement en question de la veille.

    Rachi explique qu’il s’agit du lendemain de Yom Kippour. En effet, au verset 16 il va déclarer à Yitro qu’il fait savoir au peuple les lois de Dieu et ses enseignements et de plus, il était matériellement impossible qu’il s’affaire à juger le peuple vu qu’il était descendu le 17 tamouz et a brisé les premières Tables, puis est remonté dès le lendemain tôt durant 80 jours et ce, jusqu’au 10 Tichri, le jour de Yom Kippour. Peu importe si le Don des 10 commandements nous est narré par la suite dans notre Sidra, la Torah se faisant fi de l’ordre chronologique des évènements (אין מוקדם ומאוחר בתורה).

    Ramban ramène la même source Midrachique que Rachi, pointant également que ce jour saint ne peut être précisé clairement, étant donné que la Torah n’a pas encore introduit ce jour.

    Toutefois, il émet une hypothèse différente de celle de Rachi : Il ne peut pas s’agir stricto sensu du lendemain de Kippour, du 11 Tichri. En effet, le 10 Tichri suivant la sortie d’Egypte, ils n’avaient pas encore reçu le commandement et les lois régissant ce jour puisque Moshé est redescendu ce jour ci. Et en supposant que ce fut le cas, le verset précédent nous indique qu’ils ont mangé du pain la veille.

    En outre, le verset (Chemot 34,32) nous indique que le lendemain de sa redescente Moshé s’est adressé au peuple et lui a « ordonné tout ce dont Dieu lui avait dit sur le Mont Sinaï ». Il n’a donc pas pu s’assoir et juger le peuple debout devant lui du matin au soir.

    Enfin, il n’est également pas possible que le texte parle du lendemain de Kippour de l’année suivante car Yitro est reparti « dans son pays vers son lieu natal » lors du voyage des drapeaux des camps et c fut le 20 Iyar (Bamidbar 10,30).

    De ce fait, la date indiquée, à savoir le lendemain de Kippour, n’est qu’un moyen de nous apprendre que ces évènements se sont déroulés par la suite, et non précédemment, car entre le moment où les Enfants d’Israël est arrivé au Mont Sinaï et jusqu’au Yom Kippour de la première année, ils furent tellement occupés qu’ils n’ont pas eu ne serait ce qu’un seul jour vacant pour s’occuper de leurs jugements.

    Pour conclure, la différence d’appréciation entre Ramban et Rachi dans l’interprétation à la lettre de notre Baraytha. Comme tout matériel Midrachique, n’est pas forcément à prendre au pied de la lettre, mais peut parfois l’être par les commentateurs. En voici un exemple concret.

     

    Elie DAYAN

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

    כבר נחלקו רבותינו (מכילתא דרבי ישמעאל שמות י״ח:א׳, בבלי זבחים קט״ז.) בפרשה הזאת. יש מהם אומרים כי קודם מתן תורה בא יתרו כסדר הפרשיות, ויש מהן שאמרו שאחר מתן תורה בא.

    ויהי ממחרת – ממחרת היום שעשו זה שנזכר, ישב משה לשפוט את העם. ואמרו במכילתא: ממחרת יום הכפורים (מכילתא דרבי ישמעאל שמות י״ח:י״ג). ואין דעתם לומר שיהיה ממחרת רמז ליום הכפורים, כי יום הכפורים לא נזכר בכתוב שיאמר עליו ממחרת. וגם כן אין הכונה שיהיה ממחרתו ממש, כי לא אכלו ביום הכפורים, אם היה להם יום הכפורים בשנה ראשונה קודם שנצטוו בו. ועוד, כי בו ביום הכפורים נתנו לוחות אחרונות וממחרתו ירד משה ודבר עם בני ישראל ויצום את כל אשר דבר השם אתו בהר סיני (שמות ל״ד:ל״ב), ואיננו יום המשפט שיעמוד העם עליו מן הבקר עד ערב. וגם כן אי אפשר שיהיה בשנה שניה ביום הכפורים, כי בנסוע הדגלים אמר: כי אם אל ארצי ואל מולדתי אלך (במדבר י׳:ל׳). אבל הכוונה לברייתא הזו לומר שהיה זה אחר יום הכפורים, כי אין להם יום פנוי למשפט מיום בואם להר סיני עד אחר יום הכפורים של שנה ראשונה הזאת.

     

  • Bechalah : un territoire trop proche

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

    Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

    Bechala’h : un territoire trop proche

     

    150 ans séparent les commentaires de Rachi et de Ramban. Ils ne vivent ni au même endroit, ni dans le même contexte.

    Ils ont chacun leur style de commentaire, ceux de Rachi sont plus courts et concis que ceux de Ramban.

    Et pourtant Ramban se réfère très souvent à Rachi (plus de 150 fois), comme s’il écrivait un commentaire sur le commentaire de Rachi (cf son introduction déjà citée dans billet sur Chemot).  

     

    Le 1e verset de notre Paracha illustre parfaitement cette situation :

    וַיְהִ֗י בְּשַׁלַּ֣ח פַּרְעֹה֮ אֶת־הָעָם֒ וְלֹא־נָחָ֣ם אֱלֹהִ֗ים דֶּ֚רֶךְ אֶ֣רֶץ פְּלִשְׁתִּ֔ים כִּ֥י קָר֖וֹב ה֑וּא כִּ֣י ׀ אָמַ֣ר אֱלֹהִ֗ים פֶּֽן־יִנָּחֵ֥ם הָעָ֛ם בִּרְאֹתָ֥ם מִלְחָמָ֖ה וְשָׁ֥בוּ מִצְרָֽיְמָה׃

    Or lorsque Pharaon eut laissé partir le peuple, Dieu ne les dirigea point par le pays des Philistins, qui est proche parce que Dieu disait : « Le peuple pourrait se raviser à la vue de la guerre et retourner en Egypte ». (Chemot 13, 17).

     

    Avant de donner son commentaire, Ramban cite d’abord ceux de Rachi et d’Ibn Ezra[1].

    Il nous faut donc d’abord regarder ceux de Rachi et d’Ibn Ezra.

     

    Pour Rachi, le territoire que les enfants d’Israël devaient naturellement traverser étaient trop près de l’Egypte. A tel point qu’à la moindre difficulté rencontrée (et en particulier une guerre), ils rebrousseraient chemin. Car rebrousser chemin est plus facile quand la route à parcourir est courte.

    Quelle guerre pourraient-ils rencontrer ? Pour Rachi, celle menée par Amalek[2].

    Ibn Ezra reprend les mêmes arguments[3].

    L’op

    position de Ramban est d’abord syntaxique. Si la raison de ne pas emprunter le chemin par le territoire philistin est qu’il est trop proche de l’Egypte, il aurait fallu inverser l’ordre des propositions :

    « D’après moi, si leur explication était juste, l’expression « car Dieu dit » aurait été mentionnée en premier dans le verset, auquel cas le verset serait formulé ainsi : « et Dieu ne les mena pas par la Terre des Philistins car Dieu dit : parce qu’il est proche, de peur que le peuple ne change d’avis »[4].

    Mais, puisque « trop près » est placé avant ce que Dieu dit, cela ne peut être la cause de la décision (et le mot ִ כִּ֣י ne peut être traduit par « car »).

    Le deuxième argument concerne le risque de rencontrer une guerre. Selon Rachi, il s’agit de la guerre menée par Amalek. Or, dit Ramban, la guerre menée par Amalek n’est pas liée au territoire traversé puisqu’Amalek s’est porté au-devant des enfants d’Israël[5].

    Donc, le risque de guerre est lié au territoire traversé. Ce qui fait dire à Ramban que ce sont les Philistins eux-mêmes qui ne laisseraient pas les enfants d’Israël traverser en paix.

    « Et le sens de « voir la guerre » est qu’ils auraient dû passer par la Terre des Philistins et que ces derniers ne leur auraient pas permis de traverser leur territoire en paix ; ils allaient en conséquence retourner en Egypte. D’un autre côté, en empruntant le chemin du désert, ils ne rencontreraient pas la guerre avant d’avoir atteint leur propre pays, le pays de Si’hon et Og, les rois d’Emor, qui leur sera accordé et à ce moment-là, ils seront éloignés de l’Egypte [avec peu de chance d’y retourner] »[6].

     

    En résumé, Rachi et Ramban s’accordent sur le fait que le territoire initial à traverser est proche de l’Egypte, que les enfants d’Israël risquent de rencontrer la guerre et qu’ils risquent donc de faire marche arrière.

    Pour Rachi, l’accent est mis sur le fait que le territoire est trop proche de l’Egypte et que donc le risque de faire marche arrière est trop grand, car très facile.

    Pour Ramban, l’accent est mis sur le fait que la probabilité de rencontrer la guerre est trop forte, ce qui accentue le risque de rebrousser chemin (d’autant plus facile que le territoire est proche de l’Egypte).

     

    Au final, cela change peu de choses. La conséquence est que les enfants d’Israël ont pris le chemin le plus long évitant ainsi la guerre (au moins au début).

    Ce qui fait conclure le Dr. Bonchek de la manière suivante :

    « Nous voyons à partir de cet exemple que le Ramban sentit la nécessité de réfuter Rachi lorsqu’il pensa que son interprétation du verset n’était pas juste, même s’il se peut qu’il n’y ait pas de différence pratique ou significative entre les deux interprétations. Connaître le sens précis des termes de la torah est une raison suffisante pour clarifier le p’chat »[7].

     

    Noémie LEBEN

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes 

     


    [1] כי קרוב הוא – ונח לשוב באותו הדרך למצרים. ומדרשי אגדה יש הרבה. לשון רש״י.

    וגם הוא דעת ר״א, כי טעם ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים בעבור כי קרוב הוא וינחמו וישובו אל מצרים מיד.

     

    [2] כי קרוב הוא – ונוח לשוב באותו הדרך למצרים. ומדרשי אגדה הרבה יש.

    בראותם – מלחמת וירד העמלקי והכנעני וגו׳ (במדבר י״ד:מ״ה), אם הלכו דרך ישר היו חוזרין. אם כשהקיפו דרך מעוקם, אמרו: נתנה ראש ונשובה מצרימה (במדבר י״ד:ד׳), אם הוליכן בפשוטה, על אחת כמה וכמה.

    פן ינחם – יחשבו מחשבה על שיצאו ויתנו לב לשוב.

     

    [3] וטעם כי קרוב הוא – כי בין ארץ מצרים על הדרך הישרה ובין ארץ כנען עשרה ימים. והנה לא ראו מלחמה, והיו עבדים תחת יד אחרים, והנה כאשר יצא פרעה אחריהם, אין בהם מרים יד. גם עמלק יצא על ישראל במתי מעט, וזינב אחריו, והיה נחלש מפניו לולי משה בחירו.

     

    [4] ועל דעתי: אם היה כדבריהם, היה כי אמר אלהים מוקדם, ויאמר הכתוב: ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים כי אמר אלהים כי קרוב הוא פן ינחם העם.

     

    [5] ולשון רש״י: בראותם מלחמה – כגון מלחמת הכנעני והעמלקי. אם הלכו בדרך ישרה היו חוזרין, מה אם כשהקיפם דרך מעוקם אמרו: נתנה ראש ונשובה מצרימה (במדבר י״ד:ד׳), אם הוליכן בפשוטה על אחת כמה וכמה. מכילתא.

    והענין הזה שאמר ולא נחם אלהים, ויסב אלהים את העם דרך המדבר – כי בנסעם מסכות החל עמוד הענן ללכת לפניהם ולא הלך דרך ארץ פלשתים, אבל הלך דרך מדבר איתם וישראל הלכו אחריו, וישכון הענן באיתם ויחנו שם והוא בקצה המדבר.

     

    [6] אבל הנכון שיאמר ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים – אשר הוא קרוב וטוב לנחותם בדרך ההוא, כי אמר אלהים פן ינחם העם בראותם מלחמה ושבו מצרימה. וטעם המלחמה, שיהיה להם לעבור דרך ארץ פלשתים, ופלשתים לא יתנום לעבור בשלום וישובו למצרים. אבל בדרך המדבר לא יראו מלחמה עד היותם בארצם, בארץ סיחון ועוג מלכי האמורי שהיא נתונה להם ורחוקים הם ממצרים בעת ההיא. ומלחמת עמלק ברפידים לא היתה ראויה לשוב בעבורה, כי הם לא יעברו עליהם, והוא שבא מארצו ונלחם בהם לשנאתו אותם, ואם יתנו ראש לשוב למצרים לא יועיל כי ילחם בהם בדרך, וגם רחוקים היו ממצרים בדרך העקום אשר הלכו בה ולא ידעו דרך אחרת.

     

    [7] “Ce qui dérange Rachi - Chemot” Dr. Avigdor Bonchek, P. 137

  • De la nature des miracles chez Na'hmanide

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

           Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

    De la nature des miracles – ou les miracles du naturel

    Ramba”n sur la Parashat Bo

     

    La parashat bo se finit sur un des passages peut-être les plus connus[1] de Nachmanide.

     

    Au détour d’un commentaire sur les tefilin, Nachmanide s’étend sur une considération générale quant à raison d’être des différentes mitsvot. Son exposé pourrait se résumer à :

     

    • Considération sur les deux formes principales d’hérésie qui se perpétuent dans l’humanité : olam-kadmon, éternité du monde – refus de l’idée de création divine et, négation de la providence – foi en un monde laissé à lui-même sans intervention divine.
    • Face à ces deux formes d’hérésie, les miracles prennent une place de première importance : ils prouvent l’existence d’un Dieu créateur qui dépasse les lois naturelles, et prouvent l’intervention – et donc la providence- divine au-delà du moment T de la création[2]
    • Si les miracles sont perpétrés ou annoncés par un prophète, ils revêtent une importance supplémentaire, prouvant l’existence de la prophétie[3]
    • Les mitsvot perpétuent la conscience et la mémoire des miracles passés ; et ainsi, nous permettent de nous conforter dans les croyances précédemment citées.

     

    Ce premier exposé mériterait un développement en soi, mais nous nous concentrerons sur la dernière partie du commentaire.

    Dans sa dernière partie, Nahmanide effectue un glissement supplémentaire : si les miracles sont primordiaux, nous faisant prendre conscience de l’existence d’un Dieu créateur et de la Providence, ils nous permettent de plus, de prendre conscience de l’omniprésence des miracles dans notre quotidien :  - Le langage employé est extrême, et en fait une des citations les plus connues :

    « Et les miracles connus permettent à l’homme de prendre conscience des miracles cachés ; cette conscience est un des piliers de la foi au point où l’on peut dire qu’une personne n’ayant pas foi que notre vie entière n’est que miracle, loin d’une causalité naturelle ne peut être considérée comme appartenant à l’alliance de Moïse »

     

    L’affirmation de Nahmanide est ici extrême. Ainsi, tout n’est que miracle, et les évènements naturels ne sont qu’illusion car tous dirigés par Dieu.

    Cette affirmation est reprise dans d’autres écrits comme la Drasha Torat Hashem Temima[4].

               

    Ce court passage pose bien évidemment le problème de nature vs. miracle. Voyons succinctement les principales opinions sur ce sujet[5].

    L’opinion d’Aristote, telle que citée par Maimonide, refuse la possibilité des miracles. On pourrait par exemple citer :

    « Aristote pretend que cet univers entier, tel qu’il est a toujours été et sera toujours ainsi ; que la chose stable n’est point sujette à la naissance et à la corruption, c’est-à-dire que le ciel ne cesse jamais d’être tel qu’il est ; que le temps et les mouvements sont éternels et permanents »[6]

     

    A l’extrême opposé de cette opinion, se trouve celle des Metoukalamin– elle aussi repoussée par Maimonide. Pour ces derniers, il ne saurait exister de lois naturelles et tout n’est que volonté divine :

    « … Selon cette opinion, ils ont été obligés d’admettre que tout mouvement et repos des animaux est prédestiné, et que l’homme n’a absolument aucun pouvoir de faire ou de ne pas faire une chose … »[7]

     

    Où se trouve l’opinion de Nahmanide entre ces deux opinions ? Il semble que ni dans l’une ni dans l’autre. Si Maimonide repousse l’opinion d’Aristote, c’est qu’elle ne pas de place à la Providence, et si il repousse celle des Metoukalamin, c’est qu’elle ne laisse pas de place au libre-arbitre. Ces deux « écueils » ne se retrouvent pas dans l’opinion de Nahmanide.

     

    Qu’en est-il de Maimonide lui-même ? Notons tout d’abord que Nahmanide s’y oppose nommément. Ainsi, dans Drashat Torat Hashem Temima, on peut lire :

    « On ne pourra que s’étonner de l’opinion de Maimonide qui réduit à leur strict minimum les miracles et fait prévaloir la nature. »

    En effet, en plusieurs endroits, on peut voir que Maimonide cherche au maximum à prévaloir le maintien des lois naturelles, cherchant dès qu’il en possible à donner une explication naturelle aux faits relatés. Cette démarche est par exemple, explicitement écrite dans l’epitre sur la résurrection : « Tant que nous pouvons expliquer un fait sans avoir recours au miracle, nous le ferons » [8].

     

    Mais recentrons le sujet. Si le Rambam réduit au maximum les miracles, il ne parle que de ceux qui transcendent les lois de la nature. De plus, à aucun moment, il ne nie la possibilité de miracles. Mieux encore, il en fait lui aussi un fondement de la foi[9].

     

    Le sujet qui nous préoccupe et à partir duquel nous avons commencé est celui des « miracles cachés », ceux qui ne rompent pas les lois de la nature -ceux-là même que Nahmanide voit « partout ». S’il n’y a pas de rupture réelle avec le cheminement naturel, Maimonide s’opposerait il aussi ? Nachmanide met en avant une Providence a l’extrême, et Maimonide combat les opposants à l’idée de Providence. Qu’en est-il ? Où est le point de divergence -s’il y en a un, entre les deux grands maîtres ?

    Divergence, il semble clairement qu’il y en ait :

    • Nachmanide prend une position encore plus extrême dans un autre texte[10] : si la nature est, en quelque sorte, un leurre, alors les maladies ne sont jamais que le fruit des fautes de l’homme. Dès lors, selon ce maitre, il ne fait pas moins sens face à une maladie de se repentir et s’en remettre à Dieu que de consulter un médecin[11].
      Cette opinion semble difficilement acceptable selon Maimonide.
    • Limiter la nature à une succession infinie d’interventions divines en fonction des actions des hommes – comme le fait Nahmanide- revient à prôner une extrême Providence envers tous les hommes. Or, Maimonide réduit cette extrême Providence a une élite, laissant d’ailleurs le reste de l’humanité aux proies des … lois naturelles.

     

    Si l’opinion de Nahmanide semblait difficile acceptable de prime abord, elle apparait après réflexion comme étant plus simple : la nature ne fait que masquer une Providence extrême et systématique. Les miracles tout comme la nature ne sont que l’expression constante du jugement de Dieu.

    Maimonide, par contre, décrit un schéma plus complexe – schéma dans lequel la nature et le maintien de sa régularité sont primordiaux mais qui peuvent être perturbés par des miracles. Schéma dans lequel la Providence peut s’exprimer à travers des miracles comme à travers la nature, mais une Providence qui laisse parfois les hommes aux proies de la loi naturelle.

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק יג
    ועתה אומר לך כלל בטעם מצות רבות. הנה מעת היות ע"ג בעולם מימי אנוש החלו הדעות להשתבש באמונה, מהם כופרים בעיקר ואומרים כי העולם קדמון, כחשו בה' ויאמרו לא הוא, ומהם מכחישים בידיעתו הפרטית ואמרו איכה ידע אל ויש דעה בעליון (תהלים עג יא), ומהם שיודו בידיעה ומכחישים בהשגחה ויעשו אדם כדגי הים שלא ישגיח האל בהם ואין עמהם עונש או שכר, יאמרו עזב ה' את הארץ. וכאשר ירצה האלהים בעדה או ביחיד ויעשה עמהם מופת בשנוי מנהגו של עולם וטבעו, יתברר לכל בטול הדעות האלה כלם, כי המופת הנפלא מורה שיש לעולם אלוה מחדשו, ויודע ומשגיח ויכול. וכאשר יהיה המופת ההוא נגזר תחלה מפי נביא יתברר ממנו עוד אמתת הנבואה, כי ידבר האלהים את האדם ויגלה סודו אל עבדיו הנביאים, ותתקיים עם זה התורה כלה:
    ולכן יאמר הכתוב במופתים למען תדע כי אני ה' בקרב הארץ (לעיל ח יח), להורות על ההשגחה, כי לא עזב אותה למקרים כדעתם. ואמר (שם ט כט) למען תדע כי לה' הארץ, להורות על החידוש, כי הם שלו שבראם מאין ואמר (שם ט יד) בעבור תדע כי אין כמוני בכל הארץ. להורות על היכולת, שהוא שליט בכל, אין מעכב בידו, כי בכל זה היו המצריים מכחישים או מסתפקים. אם כן האותות והמופתים הגדולים עדים נאמנים באמונת הבורא ובתורה כלה:
    ובעבור כי הקדוש ברוך הוא לא יעשה אות ומופת בכל דור לעיני כל רשע או כופר, יצוה אותנו שנעשה תמיד זכרון ואות לאשר ראו עינינו, ונעתיק הדבר אל בנינו, ובניהם לבניהם, ובניהם לדור אחרון. והחמיר מאד בענין הזה כמו שחייב כרת באכילת חמץ (לעיל יב טו) ובעזיבת הפסח (במדבר ט יג), והצריך שנכתוב כל מה שנראה אלינו באותות ובמופתים על ידינו ועל בין עינינו, ולכתוב אותו עוד על פתחי הבתים במזוזות, ושנזכיר זה בפינו בבקר ובערב, כמו שאמרו (ברכות כא א) אמת ויציב דאורייתא, ממה שכתוב (דברים טז ג) למען תזכור את יום צאתך מארץ מצרים כל ימי חייך, ושנעשה סכה בכל שנה:
    וכן כל כיוצא בהן מצות רבות זכר ליציאת מצרים. והכל להיות לנו בכל הדורות עדות במופתים שלא ישתכחו, ולא יהיה פתחון פה לכופר להכחיש אמונת האלהים. כי הקונה מזוזה בזוז אחד וקבעה בפתחו ונתכוון בענינה כבר הודה בחדוש העולם ובידיעת הבורא והשגחתו, וגם בנבואה, והאמין בכל פנות התורה, מלבד שהודה שחסד הבורא גדול מאד על עושי רצונו, שהוציאנו מאותו עבדות לחירות וכבוד גדול לזכות אבותיהם החפצים ביראת שמו:
    ולפיכך אמרו (אבות פ"ב מ"א) הוי זהיר במצוה קלה כבחמורה שכולן חמודות וחביבות מאד, שבכל שעה אדם מודה בהן לאלהיו, וכוונת כל המצות שנאמין באלהינו ונודה אליו שהוא בראנו, והיא כוונת היצירה, שאין לנו טעם אחר ביצירה הראשונה, ואין אל עליון חפץ בתחתונים מלבד שידע האדם ויודה לאלהיו שבראו, וכוונת רוממות הקול בתפלות וכוונת בתי הכנסיות וזכות תפלת הרבים, זהו שיהיה לבני אדם מקום יתקבצו ויודו לאל שבראם והמציאם ויפרסמו זה ויאמרו לפניו בריותיך אנחנו, וזו כוונתם במה שאמרו ז"ל (ירושלמי תענית פ"ב ה"א) ויקראו אל אלהים בחזקה (יונה ג ח), מכאן אתה למד שתפלה צריכה קול, חציפא נצח לבישה (עי' ערוך ערך חצף):
    ומן הנסים הגדולים המפורסמים אדם מודה בנסים הנסתרים שהם יסוד התורה כלה, שאין לאדם חלק בתורת משה רבינו עד שנאמין בכל דברינו ומקרינו שכלם נסים אין בהם טבע ומנהגו של עולם, בין ברבים בין ביחיד, אלא אם יעשה המצות יצליחנו שכרו, ואם יעבור עליהם יכריתנו ענשו, הכל בגזרת עליון כאשר הזכרתי כבר (בראשית יז א, ולעיל ו ב). ויתפרסמו הנסים הנסתרים בענין הרבים כאשר יבא ביעודי התורה בענין הברכות והקללות, כמו שאמר הכתוב (דברים כט כג כד) ואמרו כל הגוים על מה עשה ה' ככה לארץ הזאת, ואמרו על אשר עזבו את ברית ה' אלהי אבותם, שיתפרסם הדבר לכל האומות שהוא מאת ה' בעונשם. ואמר בקיום וראו כל עמי הארץ כי שם ה' נקרא עליך ויראו ממך. ועוד אפרש זה בעזרת השם (ויקרא כו יא):
     


    [1] Au point d’etre devenu un chant h’assidique… https://www.youtube.com/watch?v=Gu3fF7ROUyU

    [2] Nous noterons que Maimonide ne fait pas des miracles une preuve que le monde est créé mais prend -étonnamment ! – le raisonnement àl’envers : si le monde n’était pas créé, les miracles seraient dès lors impossibles (voir Guide des Egares II,25)

    [3] Nous noterons ici aussi les nuances avec la pensee de Maimonide dans Ilh’ot Yessodey Hatora VIII,1

    [4] Kitvey Haramban I, pages 150 et suivantes

    [5] Les differentes opinions ont ete tres clairement resumees dans l’article d’Alex Klein http://www.daat.ac.il/he-il/mahshevet-israel/dat-umada/ness.htm

    [6] Guide des Egares, II, 13

    [7] Guide des Egares, III, 17

    [8] Page 361 dans l’edition du Rav Shilat

    [9] Voir note 1

    [10] Commentaire sur Vayikra, XXVI,11

    [11] Cet avis est d’ailleurs, repris par le H’azon Ish dans Emouna-Ou-Bitah’on V,5

  • Le danger du Hamets

    Paracha BO

     

    par David SCETBON 

    david-s-photo.jpg

       

    LES DANGERS DU HAMETZ

    Ces quelques lignes se veulent juste une présentation d’un texte qui nous a marqué. La Torah nous dit « car par une main forte Hachem vous a sortis et il ne sera pas mangé de hametz. A lire ce verset on perçoit bien que la Torah pose un lien de causalité entre les deux membres de la phrase. Autrement dit, l’interdiction de hametz est une résultante directe du geste divin. En quoi ?

    Rabenou Behayé répond ainsi : « la Torah vient nous apprendre que le hametz fait allusion à l’[attribut  divin de] rigueur et du fait que les enfants d’Israël ont perçu la Grande main qui est l’attribut de rigueur, c’est la raison pour laquelle Il leur a interdit et a éloigné d’eux le hametz, pour leur faire allusion au fait qu’il doivent s’éloigner de croire en le seul attribut de rigueur pour qu’il ne coupent pas les plantations et ne croient que l’attribut de rigueur seul a fait [tout] cela […] C’est ce qu’il y a écrit dans la création du monde : « Au commencement, Elokim [attribut de rigueur] créa, et ensuite « au jour où l’Eternel  [Tétragramme, attribut de miséricorde] Elokim fit […] »

    C’est la raison pour laquelle la Torah nous dit « car par une main forte Hachem vous a sortis et il ne sera pas mangé de hametz » car c’est l’attribut de miséricorde qui les a sortis, et non la seule main [l’attribut de rigueur]. Et telle est la raison de l’interdiction du hametz selon la voie kabbalistique, et c’est la raison pour laquelle la Torah a sanctionné celui qui consomme du hametz à Pessah, par la peine de retranchement, mesure pour mesure, car quiconque mange du hametz à Pessah coupe les plantations et il est donc retranché ».

    Deux points nécessitent d’être précisés. Tout d’abord, l’expression « couper les plantations » : il s’agit là de la manière du Talmud pour exprimer une hérésie. Rabenou Behayé place donc l’enjeu de cet interdit à un niveau fondamental, consommer le hametz à Pessah c’est se méprendre sur D.ieu lui-même, sur son rapport au monde. Cela explique d’après lui, que la sanction en soit le retranchement.

    Le second point est l’assimilation opérée entre hametz et attribut de rigueur. Si Rabenou behayé n’en dit pas plus, ce point est précisé par le Nahmanide dans son commentaire sur Vayikra 23/17. Le hametz est un processus de dégradation, de dévoiement d’un équilibre. Nahmanide souligne que le terme hametz présente une racine commune avec le vocable de la colère.

     Ces textes parlent d’eux-mêmes et ne nécessitent pas vraiment de commentaires. Contentons-nous juste de quelques explicitations. Il faut d’abord les prendre avec une certaine prudence, du fait des allusions kabbalistiques auxquelles ils font référence, et qui ne sont tout simplement pas à notre portée.

    Ce qui nous est dit ici, c’est que le déchainement des plaies, qui donne lieu à la libération du Peuple d’Israël ne va pas sans une certaine fascination. Or cette fascination est source d’erreur, pousse à ne plus voir tout cela que comme un déchainement brutal de la puissance divine. Cette erreur est tellement grave qu’elle est qualifiée par l’auteur d’hérésie (c’est le sens de l’expression consacrée « couper les plantations »), ne plus pouvoir voir que l’expression de la rigueur. Or comme on le sait, la finalité de la sortie d’Egypte réside dans la manifestation la plus haute de la gloire divine, qui commencera à la traversée de la Mer rouge, pour se finir au Sinaï.

    C’est pour éviter ce dangereux écueil que la Torah nous enjoint de cesser la consommation de hametz, ne pas ingérer, se pénétrer, s’alimenter, pas même posséder ce qui est le symbole de cet attribut de rigueur. Rompre avec cette fascination. Sans cela, on est habité par une erreur qui nous rend indisponible à l’objectif même de cette sortie.

  • De la dureté du cœur

          PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

       Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900    

    De la dureté du cœur.

    Lecture d’un commentaire du Ramban sur Vaéra.

     

    Le sujet que nous voulons aborder est nourri d’une littérature abondante. Il s’agit du thème de l’endurcissement du cœur de Pharaon lors des dix plaies. La plupart des commentateurs y ont vu une injure à la justice divine. En effet, comment comprendre que Dieu demande à Pharaon de renvoyer le peuple élu, alors que dans le même mouvement il l’en empêche en durcissant son cœur. Le problème est d’autant plus crucial que le thème est annoncé dès le début de la mission de Moïse, comme si celui-ci était un passage obligé de la sortie d’Egypte. Ramban hérite de cette très abondante littérature, et va montrer que les versets supportent deux lectures parallèles qui soulèvent chacune d’elles des problématiques différentes. Ce qui nous permettra de voir en quoi une question qui semble de prime abord théologique vise chaque homme dans son rapport éphémère à Dieu.

    Voici le texte traduit, et découpé pour faciliter les repérages par la suite.

    Et moi j’endurcirai le cœur de Pharaon (Chémot 7.3, lorsque Dieu ordonne à Moïse de parler à Pharaon pour annoncer les premières plaies).

    A] Ils ont dit dans le Midrash Rabba (sur Chémot 5.6, lorsque Dieu missionne Moïse pour la première fois) : Dieu dévoile à Moïse qu’il va endurcir le cœur de Pharaon afin qu’il le juge pour avoir asservit excessivement les hébreux.

    B] Un autre Midrash (sur 13.4) explique le verset ‘et moi je vais alourdir son cœur’ : 1) « Rabbi Yohanan affirme qu’il y a là une ouverture pour les renégats pour affirmer que Dieu a empêché Pharaon de revenir sur ses erreurs. 2) Rabbi Chimone dit ‘ que la bouche des renégats soit bouchée, car Dieu « se moque des moqueurs » ; il prévient la personne trois fois, s’il ne se corrige pas, c’est alors seulement qu’il fermer la porte du retour, et lui fait payer ses fautes. C’est ce qui se passa pour Pharaon, puisqu’à cinq reprises Dieu l’avertit, sans qu’il n’y prête attention, Dieu lui dit ‘tu as endurcis ta nuque, tu as alourdi ton cœur, je vais ajouter de l’erreur à ton erreur. ».

    Le Midrash se préoccupe de la question posée par tous : si Dieu a endurcit son cœur, quelle est sa faute ? Il y a deux réponses, également vraies.

    C] La première c’est que Pharaon, par la méchanceté gratuite envers Israël, a limité par lui-même sa capacité à se repentir. Ce phénomène est attesté par de nombreux versets. Et c’est pour ses premières actions (asservir les hébreux) qu’il a été puni.

    D] 1) La seconde raison, c’est que la moitié des plaies étaient dues à son comportement, car pour les [cinq première plaies] il est dit que Pharaon endurcit lui-même son cœur (Chémot 7.13, 7.22, 7.8, 7.15, 8.28 et 9.7). Il n’a pas voulu renvoyer le peuple et respecter Dieu ; mais lorsque les plaies sont devenues trop puissantes et qu’il ne put les supporter, il s’est amollit, et voulu les renvoyer pour arrêter sa souffrance, et non pour accomplir la volonté de son créateur. 2) A ce moment, Dieu endurcit son cœur afin qu’on raconte Son Nom, comme le dit un verset ‘Je grandirai, identifié, et reconnu parmi les nations’.

    3) Quant à ce qui est écrit avant même les plaies (Chémot 4.21) « et moi j’endurcirai son cœur et il n’enverra pas le peuple », il s’agissait de faire savoir à Moïse ce qui se produira lors des [cinq] dernières plaies ;  comme il avait déjà été annoncé (3.19), « et Moi je sais que le roi égyptien ne vous permettra pas de sortir ;  c’est la raison pour laquelle j’endurcirai le cœur de Pharaon, multipliant mes prodiges », c’est-à-dire dans le but de multiplier mes miracles au cœur de l’Egypte. 4) Dans les cinq dernières plaies ainsi que dans l’engloutissement par la mer, il est dit que « Dieu endurcira son cœur » (14.8), car « le cœur du roi est dans la main de Dieu, et il l’incline partout où il veut » (Proverbes 21.1)

    רמב"ן שמות פרק ז פסוק ג

     

    (ג) ואני אקשה את לב פרעה - אמרו במדרש רבה (שמו"ר ה ו) גילה לו שהוא עתיד לחזק את לבו בעבור לעשות בו הדין, תחת שהעבידם בעבודה קשה. ועוד שם (יג ד) כי אני הכבדתי את לבו (להלן י א), אמר רבי יוחנן מכאן פתחון פה למינין לומר לא היתה ממנו שיעשה תשובה. אמר רבי שמעון בן לקיש יסתם פיהם של מינין, אלא אם ללצים הוא יליץ (משלי ג לד), מתרה בו פעם ראשונה ושניה ושלישית ואינו חוזר בו והוא נועל בו דלת מן התשובה כדי לפרוע ממנו מה שחטא. כך פרעה הרשע, כיון ששגר הקדוש ברוך הוא אצלו חמש פעמים ולא השגיח על דבריו, אמר לו הקדוש ברוך הוא אתה הקשית את ערפך והכבדת את לבך, הריני מוסיף לך טומאה על טומאתך:

    והנה פירשו בשאלה אשר ישאלו הכל, אם השם הקשה את לבו מה פשעו, ויש בו שני טעמים ושניהם אמת. האחד, כי פרעה ברשעו אשר עשה לישראל רעות גדולות חנם, נתחייב למנוע ממנו דרכי תשובה, כאשר באו בזה פסוקים רבים בתורה ובכתובים, ולפי מעשיו הראשונים נדון. והטעם השני, כי היו חצי המכות עליו בפשעו, כי לא נאמר בהן רק ויחזק לב פרעה (להלן פסוק יג, כב, ח טו), ויכבד פרעה את לבו (להלן ח כח, ט ז). הנה לא רצה לשלחם לכבוד השם, אבל כאשר גברו המכות עליו ונלאה לסבול אותם, רך לבו והיה נמלך לשלחם מכובד המכות, לא לעשות רצון בוראו. ואז הקשה השם את רוחו ואמץ את לבבו למען ספר שמו, כענין שכתוב והתגדלתי והתקדשתי ונודעתי לעיני גוים רבים וגו' (יחזקאל לח כג):

    ואשר אמר קודם המכות (לעיל ד כא) ואני אחזק את לבו ולא ישלח את העם, יודיע למשה העתיד לעשות בו במכות האחרונות, כענין שאמר (לעיל ג יט) ואני ידעתי כי לא יתן אתכם מלך מצרים להלוך. וזה טעם ואני אקשה את לב פרעה והרבתי את אותותי, כלומר שאקשה לבו למען רבות מופתי בארץ מצרים. כי בחמש מכות האחרונות גם בטביעת הים נאמר ויחזק ה' (להלן יד ח), כי לב מלך ביד ה' על כל אשר יחפוץ יטנו (משלי כא א):

     

    La première réponse (C]) donnée par le Midrash (A]) consiste à dire que Pharaon s’est fermé lui-même les portes de la repentance en assujettissant durement le peuple. Lorsque Dieu frappé par les cris des hébreux s’adresse à Moïse, le sort de l’Egypte et de son roi sont scellés. Ils ne pourront y échapper quitte à endurcir le cœur de Pharaon, afin d’établir la justice. Le texte de la Torah n’est pas explicite, ne justifie pas explicitement l’attitude divine ; c’est la position de Rabbi Yohanan citée dans le second MIdrash (B] 1)) qui assume que le texte puisse laisser penser à des esprits mal intentionnés que Dieu est inique.

    Rabbi Chimone (B]1)  fait remarquer que Dieu n’a endurci le cœur de Pharaon qu’au cours des cinq dernières plaies.  Rabbi Chimone[1] ne fait appel –comme le Midrash A]- à la dureté de l’esclavage imposée par Pharaon ; pour lui ce qui justifie que Dieu empêcha la repentance de Pharaon est la dynamique négative dans laquelle lui-même s’est enfermé. Il n’y a pas véritablement de faute, uniquement une dynamique amplifiée par Dieu. Le Ramban ne s’attarde pas sur cette lecture. Il laisse le lecteur du Midrash faire son travail. De ce Midrash, il retient tout de même une remarque formelle importante : Dieu n’endurcit explicitement le cœur de Pharaon qu’au cours des cinq dernières plaies.

    Ramban va s’emparer de cette remarque pour proposer sa propre réponse. Celle-ci vise à rendre compte de la fin du verset qu’il commente (7.3) : ‘et je multiplierai mes prodiges au sein de la terre [d’Egypte]’. Le commentateur y décèle un message destiné au peuple égyptien à travers l’endurcissement du cœur de son chef. Le schéma est le suivant : Dieu veut que Pharaon libère le peuple non pas pour s’épargner les plaies, mais pour qu’il Le reconnaisse, lui ainsi que son peuple. Si Pharaon n’avait pas endurci son cœur au départ, il aurait libérer le peuple, cette libération témoignerait d’une réelle prise de conscience libre, même si elle a été suscitée par les cinq premières plaies. Or Pharaon n’a pas libéré le peuple ; Dieu poursuit son but par les moyens qu’il possède : il veut une reconnaissance de la part de l’Egypte et de son roi. Il continue à envoyer des plaies, mais donne la force de les supporter, il donne la force à Pharaon de ne pas céder, il contraint Pharaon et le peuple à se maintenir ferme dans leur décision initiale, il maintient –malgré eux – leur libre arbitre[2]. Dieu se montre à travers les plaies qu’il inflige à l’Egypte, mais il se montre en maintenant la force d’opposition du peuple égyptien. Dieu sait dès le départ que le peuple égyptien ne veut pas se séparer du peuple hébreu[3]. C’est pourquoi, de façon nécessaire, Dieu sera amené à endurcir le cœur de Pharaon, pour qu’il puisse se maintenir fermement dans décision initiale. Il ne s’agit pas de torturer les égyptiens mais de les amener à comprendre ma puissance.

    Lorsque Pharaon renvoie le peuple, après la mort des premiers nés, il demande au peuple « de le bénir ». Le Ramban (sur Chémot 14.4) voit un aveu dans cette demande : la reconnaissance des hébreux en tant que peuple ayant une préséance auprès de Dieu.

    Le problème c’est que Ramban finit ce commentaire par une allusion à un dernier endurcissement : celui qui consista à poursuivre les hébreux jusque la mer rouge, après les avoir renvoyé. Ramban lisant l’endurcissement du cœur comme la possibilité offerte aux hommes d’aller à la pointe la plus extrême de leur décision, même si les éléments se déchainent contre une telle possibilité, explique alors cet épisode : Dieu endurcit le cœur de Pharaon jusqu’à l’absurdité qui consiste à entrer dans une mer qui s’ouvre devant les hébreux, la traversant à pied secs, ‘comment se peut-il qu’ils soient arrivés à une telle folie ? si ce n’est que Dieu endurcit leur cœur’.

    Tous les commentateurs voient dans l’endurcissement du cœur de Pharaon une contradiction ou une limite au le libre arbitre qui fonde la responsabilité des hommes vis-à-vis de leur fautes ; Ramban y voit au contraire une possibilité offerte par Dieu à s’affranchir des fausses raisons de la repentance, des demi-mesures qui nous font revenir parce qu’on craint pour soi, parce qu’on n’ose pas aller trop loin. Pour une fois dans l’histoire des hommes, Dieu donne carte blanche à l’homme pour aller au bout de son désir sans s’encombrer des fausses raisons qui le limite. C’est alors seulement que l’homme, arrivé au terme de son désir, à l’extrême pointe de sa liberté, rencontre fugacement Dieu. Sentiment hautement éphémère, puisqu’il ne se maintient que les quelques jours qui permettent au peuple de s’enfuir.

    A plusieurs reprises Ramban[4] fait remarquer que Pharaon avait connaissance du nom de Dieu Elokim, lui faisait défaut la connaissance du tétragramme. Cette connaissance ne peut se faire qu’en dehors du cadre des limites imposées par l’existence, la ‘nature des choses’, qui sont dites dans la Torah à travers le nom Elokim. L’histoire de la rencontre de Pharaon et des égyptiens avec Dieu-tétragramme ne se produit qu’une fois éliminées les couardises et les faux-fuyants de l’existence. L’audace nécessaire à cette rencontre a été prêtée par Dieu lui-même. Cette rencontre s’est traduite par le renvoie des hébreux mais –dans le langage du Ramban- par cette demande de bénédiction.

    Ramban (sur 12.32) commente cette demande ainsi : « lorsque vous sacrifierez à Dieu ainsi que vous l’avez demandé, et que vous prierez pour vous, afin que ne vous atteigne ni la peste ni le glaive, mentionnez-moi aussi ». Le glaive dont il s’agit ici, est celui qui est en jeu dans la hagada : c’est le glaive suspendu sur Jérusalem, c’est le lieu où la puissance divine s’arrête, octroie un sursis ; le lieu entre la vie et la mort, et où finalement on choisit la vie ; dans la langue du Ramban (sur chémot 5.3) : « c’est le secret des sacrifices, qui protègent de l’atteinte ».

    Le moment de la rencontre entre Dieu et Pharaon, est ce moment où il est à découvert, reconnaissant son besoin de protection contre les éléments qui menacent, c’est ce moment qui réclame l’audace d’exister à ce point ultime de fragilité, le plus loin possible de la solidité et de la dureté dont a témoigné Pharaon envers le peuple de migrants qu’il accueilli. C’est ce qu’il est crucial de montrer aussi bien aux égyptiens qu’aux hébreux qui s’apprêtent à recevoir la Torah, par-delà les dessins de l’Histoire.

     

    Franck Benhamou

     

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

     

     


    [1] Rabbi Chimone cherche à purger le texte des traces d’iniquités qui pourraient s’y lire. Voir Yoma 38b.

    [2] C’est ainsi que Ramban contourne la très célèbre question par Maïmonide dans ses huit chapitres : Dieu peut-il enlever le libre arbitre aux hommes ?

    [3] Voir commentaire du Ramban sur Chémot 1.10, qui s’oppose à Rachi.

    [4] Voir commentaire sur 5.3.

  • La bénédiction de Yossef

                                        Cycle : la Paracha selon le SFORNO*                                                                         

     

                                               Sforno 1                                        

    Parashat Vayeh’i – La bénédiction de Yossef

     

     

    Notre parasha contient de nombreux (et beaux !) versets relatant les bénédictions que Ya’akov accorde à ses enfants avant de mourir.

    L’interprétation de ces versets est sujet à discussions chez nos commentateurs. Nous nous attacherons à l’explication du Sforno sur la bénédiction accordée à Yossef.

     

    ״בן פורת יוסף – בן פורת עלי עין – בנות צעדה עלי שור״

     

    Le sens -même littéral ! - de ce verset ne fait pas l’unanimité. Il serait trop long de faire l’exposé des différents avis…

    Le Sforno, suivant l’avis d’autres pashtanim – tel que Hizkouni – explique le terme ״בן״ comme désignant une branche.

    Le verset se lirait donc : « Telle une branche, est Yossef, telle une branche au bord d’une source d’eau. Les branches en sortant longent de la muraille »

    On imagine aisément les branches de roseau poussant au bord du ruisseau, faisant d’autres multiples petites branches qui finissent, à terme, à dépasser même le muret de pierres jouxtant la source.


    Sforno ne s’arrête pas à expliquer le sens des mots. Il continue en renvoyant ce verset à la vie de Yossef ; et en cela, il innove par rapport aux autres pashtanim.

    Le roseau est ignoré des hommes vivant de l’autre côté de la muraille. Et, un jour, il dépasse de sa hauteur le mur et on découvre son existence. Pour Sforno, voilà résumée la vie de Yossef et son père Yaakov. Ce dernier ignorait tout de la vie que Yossef menait « caché par la muraille ». Et, un jour, une branche apparait en haut de la muraille ; il y a une végétation cachée, il y a un Yossef en vie…

    Sforno apparait ici encore comme un maître du pshat – s’attachant au sens premier des mots, il arrive à faire vibrer le verset dans son sens simple mais limpide…

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : 

    ספורנו בראשית פרק מט
    (כב) בן פורת יוסף. הנה יוסף הוא בן גפן פורת ענף של גפן פוריה העושה צל לרבים כדרך הגפן כאמרו כסו הרים צלה (תהלים ה, יא) וזה כי בצלו חי יעקב ובניו במצרים:
    בן פרת עלי עין בנות. וענינו היה כענין ענף של גפן פוריה סמוך למעין שהיא פורת ומגדלת בנות שהן ענפים:
    צעדה עלי שור. באופן שאותה הגפן צעדה על החומה או הגדר אשר לפני העין באופן שקודם לכן לא היתה נראית מצד השני לחומה והיתה בלתי נודעת לגמרי ליושבים שם ואחר שצעדה על החומה נודעה היא ובנותיה. וכן קרה ליעקב בענין יוסף ובניו שלא היה יודע מציאות יוסף וכמו רגע נגלו אליו הוא ובניו כענין ראה פניך לא פללתי וכו':

     

  • Un gouvernement national ou universel ?

    בס״ד

     

    Un gouvernement national ou universel ?

    Ou comment Joseph et Yehouda ont débattu de la mondialisation de la Torah..

     

    par Shmouel Choucroun*

     

                                              Schoucroun

    La Parachat Vayeh’i  qui clôt le livre de Bérechit a pour thème central les derniers instants de vie du patriarche Jacob. La famille étant à nouveau réunie et soudée en Egypte, Jacob à l’instar de son père va à priori se livrer au même exercice que ce dernier, à savoir délivrer des bénédictions avant de quitter ce monde.

    Au début de notre paracha, il bénit les deux fils de Joseph, Ephraïm et Ménassé, et va même élever ces derniers au rang de tribu d’Israël.

    Puis vient le tour de ses 12 fils, réunis autour de son lit et suspendus aux lèvres de leur père…

    Pourtant le passage décrivant cette scène et que nous nommons plus communément « les bénédictions des 12 tribus » ne correspond pas tout à  fait à cette appellation là.

    Le Rav Itshak Don Abravanel zatsal, sage espagnol du moyen âge, dans son commentaire sur la torah, nous fait remarquer que Jacob semble à priori se donner à un autre exercice que celui de bénir sa progéniture.

    En effet, si nous examinons le texte de plus près nous nous apercevons que les trois premiers fils de Jacob sont réprimandés et non pas bénis.

    Ainsi, il s’adresse en ces mots à Reouben :

    פּחז כּמים אל תותר כּי עליתה משׁכּבי אביך , אז חללת יצועי עלה

    « Impétueux comme l’eau tu ne prendras pas davantage ; parce que tu es monté sur la couche de ton père alors tu as profané ce qui est monté sur la couche. »

    L’aîné est ainsi sévèrement réprimandé ; impétueux voir irrespectueux envers son père lorsqu’il décida de déplacer la couche de ce dernier dans la tente de sa mère Léa épouse principale de Jacob.

    La sentence tombe : tu ne prendras pas l’avantage, ton droit d’aînesse ne te permettra pas de devenir le chef d’Israël

     

    Les deux frères suivant dans l’ordre d’âge Chimon et Lévi  n’échappent non plus au courroux du père :

     אָרוּר אַפָּם כִּי עָז, וְעֶבְרָתָם כִּי קָשָׁתָה; אֲחַלְּקֵם בְּיַעֲקֹב, וַאֲפִיצֵם בְּיִשְׂרָאֵל

    « Maudite soit leur colère car elle fût violente, leur fureur était dur ; je les diviserai parmi les miens, je les disperserai dans Israël » s’exclame Jacob

    Chimon et Lévi paient ici prix du  massacre des habitants de Schem qui fût perpétré pour venger le déshonneur de leur sœur Dîna.

    Encore une fois, Jacob ne procède absolument pas à des bénédictions. Au contraire nous constatons que les trois premiers fils subissent le courroux de leur père.

    Vient le tour de Yehouda. Il est certainement le fils qui doit le plus redouter la parole de son père, n’a-t-il pas été à l’initiative de  la vente de Joseph son frère ? N’est-il pas celui qui a causé une peine terrible à son père suite à cet épisode ?

    Pourtant, Jacob délivre un tout autre verdict..

    יְהוּדָה, אַתָּה יוֹדוּךָ אַחֶיךָ--יָדְךָ, בְּעֹרֶף אֹיְבֶיךָ; יִשְׁתַּחֲווּ לְךָ, בְּנֵי אָבִיך

    « Yehouda tes frères te reconnaîtront, ta main est sur la nuque de ton ennemi ; se prosterneront devant toi les fils de ton père ».

    Pour résumer : Yehouda mon fils ce sera toi le chef d’Israël.

    Et Jacob surenchérit :

    לֹא-יָסוּר שֵׁבֶט מִיהוּדָה, וּמְחֹקֵק מִבֵּין רַגְלָיו, עַד כִּי-יָבֹא שִׁילֹה, וְלוֹ יִקְּהַת עַמִּים

    ָ « Le sceptre n’échappera pas à Yehouda, ni l’autorité à sa descendance.. »

    Le compte est bon, Jacob vient de nommer le vainqueur par k-o de toutes les disputes fraternelles, Yehouda sera le chef d’Israël car ses frères le reconnaissent comme  le leader de la famille.

    Après cet éclaircissement Jacob se livrera  à une série de bénédiction ou prédiction envers les fils suivant hormis Joseph, dont nous évoquerons le cas par la suite.

    Nous comprenons maintenant la construction de l’élocution de Jacob :

    Il doit nommer un chef de clan. Le prétendant naturel est évidemment l’aîné Reouven. Mais ses actes et son caractère ne plaident pas pour lui.

    Puis vient le tour du deuxième et troisième frère, mais là encore leur colère et fureur ne seraient pas des atouts pour un prétendant au trône qui doit gérer et gouverner avec patience et compassion.

    Yehouda semble avoir les qualités requises et ce, malgré son implication dans la vente de Joseph, ou encore l’épisode douteux avec Tamar sa bru.

    Mais pourquoi un tel choix de Jacob ? Et surtout cela ne vient-il pas contredire les rêves de Joseph ? Ces mêmes rêves qui avaient prédit que toute la famille se prosternerait devant le fils prodigue de Jacob ? Ces mêmes rêves qui avaient conduit Yehouda à envoyer son jeune frère en esclavage en Egypte et qui des années plus tard avaient conduit toute la fratrie à se prosterner devant Joseph devenu principal ministre de Pharaon entre temps ?

    Alors pourquoi se détourner du rêve prophétique de Joseph ? Ne serait-ce pas dans une certaine mesure une rébellion contre la volonté de D.ieu ? Qui a mis tous les éléments en place pour que Joseph accède un jour aux plus hautes fonctions ? Des rêves de pharaon aux camarades de cellule de Joseph ?

    D.ieu a disposé tous les pions de l’échiquier  afin que les prédilections de Joseph se réalisent ! Alors pourquoi Jacob dans ses derniers instants de vie se détourne de ces évidences pour choisir un autre chef, en l’occurrence Yehouda et non son fils prodigue Joseph ?

    Pour répondre à ces questions, revenons sur l’essence même de Joseph, principal prétendant  à priori pour l’attribution de la dynastie royale avec Yehouda.

    Rachi dans son fameux commentaire sur la torah commente dans la parachat Vayetsé et ce sur les versets traitant de la naissance de Joseph la chose suivante :

    משנולד שטנו של עשו דהיינו יוסף (עובדיה א.יח) והיה בית יעקב אש ובית יוסף להבה ובית עשו לקש כו'

    « Lorsque est né celui qui fera chuté Esaü à savoir Joseph, tel qu’il est dit ; « et la maison de Jacob sera semblable au feu, et la demeure de Joseph à la flamme, et la maison d’Esaü semblable à la paille »

    Rachi semble expliquer qu’avec la naissance de Joseph, Jacob possède l’arme absolu contre Esaü, il tient là un être qui réduira en cendre la demeure de son terrible frère jumeau.

    Pourtant si nous examinons les sources midrashiques, nous attribuons la mort d’Esaü soit à Housh le fils de Dan soit selon d’autres sources, à Yehouda en personne. A priori nous avons là une flagrante contradiction entre les sources midrashiques et un mystère à éclaircir !

    Le Maharal de Prague explique dans son commentaire Gour Arié sur la Torah, que Jacob et Esaü étaient deux parties d’une seule entité. A ce titre, Jacob n’étant que l’autre partie d’Esaü, il ne pouvait lutter et vaincre totalement son frère jumeau. Ce n’est que Joseph, qui incarne l’essence profonde de Jacob et qui n’est pas relié à Esaü qui pouvait  anéantir ce dernier.

    Si nous devions vulgariser le concept du Maharal de Prague, nous dirions que Jacob n’avait pas dans son essence les capacités à repousser les arguments de son frère. Esaü pouvait se justifiait de sa mauvaise conduite en arguant: « si je ne suis pas un juste comme toi Jacob, c’est parce que je suis occupé à m’occuper de la construction du monde ; toi tu es tsadik, juste et pieux,  car tu ne vis qu’entre les murs du Beth Hamidrash, la maison d’étude sans les tentations du monde extérieur »

     

    Puis arrive Joseph. Le fils de Jacob va sauver l’économie du pays le plus puissant de son époque l’Egypte, permettre à des dizaines de milliers d’êtres de survivre en période de famine. Mais cela n’est pas le plus remarquable chez ce personnage. La torah vante avant tout ses qualités d’intégrité et  morales. Seul dans un pays aux mœurs déviantes, trahis par ses propres frères, éloignés de son père et de ses enseignements, accusés à tord d’actes qu’il n’a pas commis, soumis aux multiples avances de l’épouse de son maître Potiphar, Joseph reste intègre et ne faute pas.

    Cette foi et conduite exceptionnelle de Joseph feront de lui le seul personnage de la torah à hériter du titre de Tsadik, juste !

    Nous pouvons maintenant saisir la dimension de Joseph : un être face à qui toutes les accusations contre Israël n’auraient pas d’emprise.

    Pourtant ses propres frères se méfiaient de lui, voir même le méprisaient !

    C’est donc là tout le malentendu qui oppose la fratrie !

     

    Le Maharal de Prague explique que Yehouda éprouvait de la haine envers Joseph car il voyait en lui un rival pour son autorité de chef. Hors en réalité, Joseph voulait délivrer un  message et uniquement un message :

    Quel doit être la place de la Torah dans ce monde ?

    Nous juifs, pensons à tord ou à raison pour la plupart d’entre nous que la beauté de la torah ne peut se vivre et se ressentir qu’à travers l’étude des textes sacrés, ou l’ambiance du chabbat et des jours de fête. En d’autres termes, cette beauté là ne s’adresse qu’aux gens qui vivent la torah au quotidien à savoir les juifs eux-mêmes.

    Joseph vient dévoiler une autre dimension dans la torah : sa sagesse, sa grandeur est aussi palpable pour les nations mais à condition que nous sachions l’expliquer dans le langage du monde ! La torah doit être belle, les synagogues splendides, les juifs doivent pouvoir répondre à tout le savoir scientifique et culturel de leur temps pour rester crédibles et inattaquables face aux courants de pensée de l’histoire. Si ces conditions sont remplies alors, et seulement alors, les nations reconnaîtront à travers Israël le D.ieu qui les a fait sorti d’Egypte et qui a partagé de sa sagesse au mont Sinaï.

     

    Joseph s’approche finalement dans une certaine mesure de la culture grecque.. Construire et faire avancer le monde, le souci de l’esthétique, l’attrait pour la politique.

    Mais en réalité, tous ces artifices, ne sont pour Joseph que des outils pour servir la gloire de D.ieu dans ce monde.

    Le beau et l’esthétique ne sont  pas synonymes de vérité mais des canaux pour s’approcher de cette dernière.

     Les frères voyaient en Joseph un rebelle, un égaré qui allait emprunter une voie dangereuse. Lorsqu’ils se prosterneront devant lui en Egypte des années plus tard, ils ne reconnaîtront pas sa domination politique ou patriarcale mais uniquement la véracité de sa torah.

    Joseph a dévoilé au final (et cela n’était que son unique intention) que toutes les sciences et connaissances de ce monde pouvaient aussi conduire vers la gloire de D.ieu et ce à condition que l’on ne s’égare pas en chemin.

    Churchill écrivait dans la langue de Shakespeare les mots suivants :

     “The Greeks rival the Jews in being the most politically minded race in the world … No other two races have set such a mark upon the world … They have survived, in spite of all that the world could do against them … No two cities have counted more with mankind than Athens and Jerusalem..”

     Le premier ministre  de sa majesté ne voyait pas d’autres villes plus influentes dans l’histoire de l’humanité qu’Athènes et Jérusalem.

    Joseph n’a pas réconcilié les deux cités, les grecs et les maccabi, mais il simplement dévoilé que Jérusalem portait en elle une richesse qui, enveloppée dans les codes de la culture de ce monde, pouvaient se dévoiler aux yeux de l’humanité.

    Quant à Yehouda, son charisme auprès de ses frères, sa capacité à être un leader en temps de crise, sa force intérieur qui lui permette de reconnaître ses erreurs, en font de lui le candidat désigné pour être un chef.

     

    Nous avons donc dans notre paracha les deux piliers du projet politique d’Israël :

    • la définition des qualités de tout candidat à la souveraineté
    • l’aspiration et l’espérance du projet que doit porter justement le politique. Une aspiration forte et profonde, juste et noble, un projet universel dans sa finalité sont tant d’horizon qui doivent élever le politique et ne pas le laisser seulement face à des problèmes de gestion et d’économie.
    •  

    Ezechiel (chap37) prophétise dans son livre que les temps messianiques se traduiront par l’union et la fusion de Yehouda et Joseph, en d’autres termes la fin de cette distorsion inhérente à la piété profonde qui nous attache à la Torah et  qui tend à éloigner depuis toujours Israël de son destin universel.

     

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    Shmouel Philippe Choucroun, originaire de Marseille il passe son Bac au début des années 90 et décide de faire son Alyah. Il étudie par la suite au Machon Lev où il obtient un diplôme de Marketing et comptabilté. Il entame après cela des études rabbiniques dans différents collelim de Jerusalem où il passera des smih’ot. Il revient en France en 2005 où il travaille tout d’abord dans un programme de diffusion de la Torah dans la cité phocéenne.Il passe en parallèle des équivalences au Séminaire rabbinique de Paris et occupe depuis 2012 un poste de direction dans l’aumônerie des armées et des prisons. Auditeur de l’IHEDN et IHEMR, il  participe à de nombreux programmes de dialogue interreligieux et de lutte contre la radicalisation. S’étant approché de rabbanim en erets proches de l’école de Brisk, mais aussi de la Hassidout Breslev  et d’autres mouvances, il essaie de concilier et synthétiser  des pensées à priori contraire ou éloignées.

  • les Noms d'une lutte d'ange à homme

    Cycle : la Paracha selon le SFORNO*

    Sforno 1

    Vayichla’h, les noms d’une lutte d’homme à ange

     

    Événement marquant mais obscur de Vayichla’h, que la lutte entre Yaacov et l’ange. On sait qu’au terme du combat, l’ange change le nom du patriarche, de Yaacov en Israël, car dit-il, « tu as lutté avec Dieu et des hommes et tu as pu (vaincre) »[1]. On aime à se dire que ce changement de nom doit être lu comme une sorte de récompense : il a combattu, il a vaincu, voici le butin. Pourtant, cette rapide interprétation ne tient guère sitôt que l’on rappelle que Yaacov-Israël demande ensuite le nom de l’ange, que ce dernier s’étonne de cette question, et n’y répondra pas[2].

    Ce passage ne laisse pas d’étonner. Comment comprendre le lien entre le changement de nom et le combat qui a eu lieu ? Pourquoi Yaacov demande-t-il le nom de l’ange ? Pourquoi l’ange ne répond-il pas mais vient à interroger la possibilité-même de questionner son nom ? Le commentaire de Sforno va éclairer ces trois impensés : la possibilité de changement du nom de l’homme, la possibilité de connaître le nom de l’ange, et la relation entre ces deux possibilités. Son commentaire précise d’abord qu’Israël sera désormais le nom exclusif de Yaacov, car le patriarche a d’ores et déjà affronté Dieu et les hommes[3]. Il explique ensuite que l’interrogation de Yaacov-Israël sur le nom de l’ange doit permettre au patriarche de prendre connaissance de la faute qu’il aurait commise et qui aurait entraîné son agression par l’ange[4]. Enfin, il montre que l’impossibilité de connaître le nom de l’ange relève de la nature humaine et de la nature angélique[5].

    Remarquons déjà que le changement de nom de Yaacov en Israël est un cas unique de toute la Torah. En effet, les changements de prénoms ne concernent d’ordinaire que quelques lettres, ajoutées ou substituées, comme si le changement de signifié induit par le changement de signifiant ne venait corriger qu’une erreur de phonation et/ou révéler quelque chose qui était latent mais prévisible ou devinable. Là, concernant le passage de Yaacov à Israël, la transformation est imprévisible/non-devinable au niveau du signifiant : elle est littéralement radicale. Le changement de nom est une coupure avec les racines de la naissance.

    Habituellement, les noms donnés aux enfants dérivent de la condition émotionnelle ou intellectuelle des parents qu’ils projettent sur l’enfant venant de naître. En d’autres termes, le nom, quand bien même serait-il un projet d’avenir pour l’enfant, est toujours une modalité extérieure à son identité et à son individualité. Il est certes un individu distinct des autres, puisqu’ayant une matière qui lui est propre, il possède également une identité propre puisque se construisant, mais il y a loin entre la singularité et son nom. Sa singularité ne dépend aucunement de son nom : l’être humain a beau porter un nom, il n’est pas son nom, il est séparé de son nom. En un mot : ontologiquement, le nom est un accident[6].

    Bien sûr, on aime à dire que les prénoms donnés dans la Torah à la naissance de l’enfant indiquent quelque chose de son être, mais il est difficile de ne pas limiter ce quelque chose à un projet à remplir ou non, une visée à atteindre ou non. L’impossibilité de réaliser le projet est inclus dans la nomination. Au fond, on ne sait pas ce qui singularise précisément un être d’un autre ; on ne sait pas comment qualifier la ceciité (en anglais on dit, Thisness) d’un être.

    Là, dans la nomination de Yaacov par l’ange, il y a rupture profonde avec le nom comme accident, puisque Sforno précise qu’Israël comme nom vient entériner les actes accomplis par l’homme qui sera désormais connu sous cette appellation. C’est-à-dire qu’Israël est autant un nom qu’un surnom. Dans cette appellation, il y a identité entre la singularité de l’homme et le nom qui le désigne. On a un déplacement de l’être par accident vers le faire, puis du faire vers l’être. La situation peut être résumée comme suit : Yaacov n’a pas poursuivi le nom qui lui a été donné à sa naissance ; sa singularisation prend vie par ses actes qui deviennent son nom mais surtout sa singularité. Qui est cet homme ? C’est celui qui a combattu Dieu et les hommes. Le mot Israël est ainsi le nom d’un processus existentiel réalisé, c’est, si l’on peut dire, un acte-nom, une vérité irréfragable !

    Toutefois, au terme du verset, ce processus n’est pas totalement achevé, voire achevable, car, même après avoir affronté Dieu et les hommes, il reste du possible en Yaacov-Israël. C’est ce que le mot ותוכל à la fin du verset sur le changement de nom vient nous apprendre. Bien que Yaacov se soit singularisé en Israël, il demeure encore en lui du pouvoir de transformation, de lutte. C’est-à-dire que Yaacov-Israël est un homme qui s’est fait et se fait encore[7].

    Si l’on peut envisager cette puissance comme positive, on peut la considérer également comme négative, comme quelque chose résistant à l’acte-nom Israël. Peut-être même est-ce une faute qui refuse de se réaliser dans la singularité de Yaacov-Israël ! Cette possibilité suit à la lettre le commentaire de Sforno selon lequel la demande du nom de l’ange par Yaacov vise à prendre connaissance d’une défaillance qui demeurerait en Yaacov-Israël, une faute commise. En relisant ce commentaire à l’aune des analyses précédentes, la lutte avec l’ange serait en fait le symbole de ce qui résiste en Yaacov au processus Israël. On peut dès lors comprendre l’insistance du patriarche pour connaître le nom de l’ange : le nom de l’ange est le nom de ce qui est encore en porte-à-faux en lui, à savoir ce qui n’est déjà plus Yaacov mais n’est pas encore devenu Israël.

    L’enjeu de la connaissance du nom de l’ange intéresse ainsi sa singularité, ce quoi le distingue d’un autre ange[8]. L’homme s’individue par la matière et se singularise dans le même temps. Mais l’ange n’est pas matière ! Autant dire que la question de Yaacov-Israël vise à saisir la possibilité de singularité d’un ange alors même que rien ne permet de l’individuer ! Le problème n’est pas vain ou limité à l’intérêt restreint de spécialistes en angéologie, car la demande du nom de l’ange par Yaacov sous-entend bien que c’est le nom d’un ange qui singularise un ange ! Toutefois, puisque la demande du nom ne concerne pas l’ange en tant que tel mais la faute du patriarche (c’est-à-dire que le nom de l’ange dans la question n’a de sens que du point de vue de Yaacov, pas de celui de l’ange), force est de construire un parallèle : il y va de cet ange comme de Yaacov-Israël et de cette faut qui résiste en Yaacov au processus Israël.

    Or, si Israël est une singularité essentielle, du domaine du vrai, sa faute (ou ce qui résiste à ce processus) possède-t-elle elle aussi cette singularité ? Autant dire que si cette faute est du domaine du vrai, c’est-à-dire chevillée à Yaacov, alors elle demeurera de toute éternité tout comme Yaacov-Israël demeurera de toute éternité. Cette angoisse rappelle un peu le rêve de l’échelle fait par Yaacov et l’interprétation midrachique de l’ange tutélaire d’Essav montant jusqu’au ciel. La lutte contre l’ange n’aura-t-elle jamais de fin ? La question est d’autant plus grave que l’ange ne répond pas à la question de Yaacov sur son nom, sinon en questionnant sa question.

    Mais voilà que le commentaire de Sforno vient dissiper cette crainte. Il rappelle d’abord que la nature angélique n’est pas à la portée de l’intellection verbale humaine, qu’elle ne se dit pas en mots car l’ange est en premier et dernier ressort une opération divine. Émanation opératoire de la volonté divine, il indique que tout nom d’un ange est purement formel, corrélé à l’acte à accomplir ou accompli par ce messager. Tout comme Israël, le nom d’un ange est un acte-nom. En suivant l’idée que la structure de l’acte-nom Israël est analogue à l’acte-nom d’un ange, nous pouvons conclure que l’acte-nom Israël est lui aussi une émanation opératoire de la volonté divine. De là, on peut dire que la lutte de notre patriarche avec l’ange s’apparente à une lutte contre la faute.

    Est donc Israël toute personne qui lutte contre la faute comme Yaacov-Israël a lutté avec l’ange, c’est-à-dire qui parvient à la dépasser ; est donc Israël toute personne dont les actes nomment sur terre la volonté divine.

     

    à la mémoire de Aziza bat Louna

     

    Jonathan Aleksandrowicz

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : Cf.notes.  


    [1] Genèse, chap. 32, v. 29 : וַיֹּ֗אמֶר לֹ֤א יַעֲקֹב֙ יֵאָמֵ֥ר עוֹד֙ שִׁמְךָ֔ כִּ֖י אִם־יִשְׂרָאֵ֑ל כִּֽי־שָׂרִ֧יתָ עִם־אֱלֹהִ֛ים וְעִם־אֲנָשִׁ֖ים וַתּוּכָֽל

    [2] Ibid., v. 30 : וַיִּשְׁאַ֣ל יַעֲקֹ֗ב וַיֹּ֙אמֶר֙ הַגִּֽידָה־נָּ֣א שְׁמֶ֔ךָ וַיֹּ֕אמֶר לָ֥מָּה זֶּ֖ה תִּשְׁאַ֣ל לִשְׁמִ֑י וַיְבָ֥רֶךְ אֹת֖וֹ שָֽׁם

    [3] כי אם ישראל כי שרית אבל יקראו לך בשם ישראל בלבד להורות שאז כבר שרית עם אלהים כו' כענין יפקוד ה' על צבא המרום במרום

    [4] הגידה נא שמך המורה על צורתך ועל הפעל הנמשך ממנו כדי שאתבונן על מה קמת לשטן ואשוב בתשובה ואתפלל

    [5] למה זה תשאל לשמי כי הצורה האשיית לנו היא מדרגת השכלתנו אשר לא תבואר בשום דבור כאמרו והוא פלא והפעל שלה הוא כפי הרצון האלהי

    [6] Voir Aristote, Métaphysique V, 30, 1025 a 14 : « Accident se dit de ce qui appartient à un être et peut en être affirmé avec vérité, mais n’est pourtant ni nécessaire ni a lieu la plupart du temps ».

    [7] Par boutade, on pourrait presque dire que la proposition « Israël vivra, Israël vaincra » est la conséquence de cette ontologie. Ramenée à sa dimension politique, à sa dimension de slogan, elle perd sa portée existentielle pour se limiter à une persévérance dans l’être qui est commune à tout être vivant, de la bête sauvage à l’homme le plus civilisé.

    [8] À ce sujet, voir Le principe d’individuation de Jean Duns Scot qui s’intéresse spécifiquement à ce qui permet de distinguer les anges entre eux. Il appelle cela eccéité.

  • Le sens de la bénédiction

                         Cycle : la Paracha selon le SFORNO  

                      Sforno 1

                      Les Sens de la bénédiction

     

     

    La Sidra de Toledot traite d’un épisode qui va voir la destinée de deux frères se séparant à jamais, lors de la bénédiction que Its’hak dont voulait faire hériter son fils ainé Essav’.

    Le chapitre 27 nous présente un Its’hak à l’acuité visuelle abaissée lors de sa volonté de bénir Essav’.

    Le Sforno* fait un parallèle avec ‘Eli le grand prêtre qui n’a pas protesté contre la mauvaise conduite de ses fils et dont les yeux « étaient immobiles et il ne pouvait plus voir ». Phénomène qui n’a atteint ni Avraham ni Yaakov dans leurs vieux jours. Sa vue lui a donc fait défaut lors de son contact avec Essav’ l’impie, comme le souligne le Talmud (Meguila 28b) et l’a amené à vouloir confier la bénédiction à ce dernier.

    Plus loin, au 4ème verset, Its’hak demande à son fils de lui préparer un savoureux mets afin qu’il puisse le bénir après sa consommation. Le Sforno relève que cette demande devait servir à lui conférer un mérite considérable ; le goût d’un plat délicieux devait être le vecteur de sa destinée, par l’accomplissement du commandement de Kibbud Av, le respect du au père la bénédiction se serait pleinement déployée autour de Essav’.

    A ce moment, Rivka décide de passer à l’action et pousse Yaakov à se présenter avant son frère devant Its’hak. Pour cela il a disposé des peaux de chevreaux afin d’imiter la pilosité de Essav’. Comme l’a remarqué le Sforno, la villosité de peaux de bêtes n’a rien de comparable avec une pilosité humaine, et même si un soin particulier de disposition a été appliqué par Rivka afin de ressembler le plus possible aux avant-bras de Essav’, il est probable que son toucher ait été atteint, lui aussi par l’âge.

    Afin d’étayer cette dernière hypothèse, le Sforno cite un verset (Samuel II, 19,36) mettant en relief l’âge avancé de Barzilay et la diminution de la clairvoyance des 5 sens. Il est donc possible que Its’hak aurait été dupé par son vieil âge et allait donc commettre une erreur en confiant son héritage et celui de Avraham à Essav’.

    La suite, lors de la confrontation de Yaakov’ avec son père va apparemment dans ce sens. Il est perturbé par la pilosité et par la voix de la personne qui se trouve devant lui « la voix est celle de Yaakov et les mains sont celles de Essav’ ». Son ouïe le perturbe. Qui donc a-t-il face à lui ? Serait-il encore trahi par sa vieillesse ?

    Et pourtant, le Sforno nous révèle que le salut de Yaakov’ est venu de l’odeur de ses habits, en relevant un enseignement du Talmud (Berahot 43b) apprenant que l’âme tire profit de l’odeur, contrairement au corps qui n’en jouit aucunement.

    L’âme de Yaakov’ l’intègre ne saurait mentir ; une délicieuse odeur, comme celle d’un champ dont la fragrance est bénéfique pour l’esprit et pour l’âme comme le souligne le Sforno.

     

    Même si Its’hak a pu être perturbé par Essav’ l’impie et la sénescence de ses sens, l’odeur émanant de son fils a revivifié son âme, réveillé ses sens engourdis et suscité l’inspiration prophétique, telle la musique chez le prophète Elisha (Melahim II, 3,15).

    C’est cette révélation qui a coupé court aux doutes d’Its’hak sur l’identité de la personne devant lui, l’odeur de paradisiaque du véritable héritier de la bénédiction, Yaakov’, qui a pu braver les brumes de l’âge et du turbulent Essav’.

     

    Elie DAYAN

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

     

    Texte original :

     

    וַתִּכְהֶיןָ עֵינָיו כְּמוֹ שֶׁקָּרָה לְעֵלִי שֶׁלֹּא מִחָה בְּבָנָיו, כְּאָמְרוֹ ״וְלֹא כִהָה בָּם(שמואל א ג׳:י״ג), וְנֶאֱמַר בּוֹ ״וְעֵינָיו קָמָה וְלֹא יָכוֹל לִרְאוֹת״ (שם ד׳:ט״ו). וְלֹא קָרָה זֶה לְאַבְרָהָם וּלְיַעֲקֹב שֶׁהָיוּ יוֹתֵר זְקֵנִים מִמַּה שֶּׁהָיָה יִצְחָק אָז וּמִמַּה שֶּׁהָיָה עֵלִי. בְּאַבְרָהָם כְּתִיב ״וַיּסֶף אַבְרָהָם וַיִּקַּח אִשָּׁה״ (בראשית כ״ה:א׳), וּבְיַעֲקֹב עִם כָּל צָרוֹתָיו וְדִמְעוֹת עֵינָיו כְּתִיב ״וַיַּרְא יִשְׂרָאֵל אֶת בְּנֵי יוֹסֵף״ (בראשית מ״ח:ח׳), אַף עַל פִּי שֶׁהָיָה רוֹאֶה בְּכֹבֶד, כְּאָמְרוֹ ״וְעֵינֵי יִשְׂרָאֵל כָּבְדוּ מִזֹּקֶן״ (בראשית מ״ח:י׳), בְּאֹפֶן שֶׁלֹּא הִכִּיר הַתְּמוּנָה הַפְּרָטִית.

    וַעֲשֵׂה לִי מַטְעַמִּים רָצָה בְּמַטְעַמִּים כְּדֵי שֶׁיִּתְעַסֵּק בְּכִבּוּד אָב, וּבָזֶה תָּחוּל עָלָיו הַבְּרָכָה. כִּי גַּם שֶׁלֹּא הִכִּיר בְּגֹדֶל רִשְׁעוֹ שֶׁל עֵשָׂו, מִכָּל מָקוֹם לֹא חָשַׁב אוֹתוֹ לְרָאוּי שֶׁתָּחוּל עָלָיו אוֹתָהּ הַבְּרָכָה שֶׁהָיָה בְּלִבּוֹ לְבָרְכוֹ. וְלָכֵן כְּשֶׁבֵּרֵךְ יַעֲקֹב אַחַר כָּךְ, שֶׁיָּדַע בּוֹ שֶׁהָיָה רָאוּי לַבְּרָכָה, לֹא שָׁאַל מַטְעַמִּים וְלֹא בִּקֵּשׁ דָּבָר וּבֵרְכוֹ תֵּכֶף, בְּאָמְרוֹ ״וְאֵל שַׁדַּי יְבָרֵךְ אתְךָ״ (להלן כ״ח:ג׳).

    וְהַיָּדַיִם יְדֵי עֵשָׂו אֵין סָפֵק שֶׁהָיוּ הָעוֹרוֹת מְתֻקָּנִים בְּאֹפֶן שֶׁיִהְיֶה שְׂעָרָם דּוֹמֶה לִשְׂעַר הָאָדָם, כִּי אָמְנָם רַב הַהֶבְדֵּל בֵּין שְׂעַר הָאָדָם לִשְׂעַר הַגְּדִי אִם לֹא יְתֻקַּן הַרְבֵּה בִּמְלָאכָה. וְהִנֵּה הֵעֵיד כִּי הָיוּ ״יָדָיו כִּידֵי עֵשָׂו אָחִיו שְׂעִירוֹת״, וְעִם זֶה אוּלַי נֶחֱלַשׁ בּוֹ גַּם חוּשׁ הַמִּשּׁוּשׁ, כְּעִנְיַן ״אִם יִטְעַם עַבְדְּךָ אֶת אֲשֶׁר אכַל״ (שמואל ב י״ט:ל״ו).

    וַיָּרַח אֶת רֵיחַ בְּגָדָיו לְהַרְחִיב אֶת נַפְשׁוֹ בְּתַעֲנוּג הָרֵיחַ, כְּאָמְרָם זִכְרוֹנָם לִבְרָכָה: אֵיזֶהוּ דָּבָר שֶׁהַנְּשָׁמָה נֶהֱנֵית מִמֶּנּוּ, וְאֵין הַגּוּף נֶהֱנֶה מִמֶּנּוּ, הֱוֵי אוֹמֵר זֶה הָרֵיחַ (ברכות מ״ג:).

    וַיְבָרֲכֵהוּ כְּעִנְיַן ״וְהָיָה כְּנַגֵּן הַמְּנַגֵּן וַתְּהִי עָלָיו יַד ה׳⁠ ⁠״ (מלכים ב ג׳:ט״ו).

    רְאֵה רֵיחַ בְּנִי אַתָּה ״בְּנִי״, ״רְאֵה״ וְהִתְבּוֹנֵן שֶׁזֶּה הָרֵיחַ הוּא כְּרֵיחַ שָׂדֶה שֶׁמִּלְבַד הַמְּצִיאוּת הַמַּסְפִּיק לוֹ לִהְיוֹתוֹ מָזוֹן לְאֵיזֶה בַּעַל חַיִּים, הוֹסִיף עָלָיו טוֹבַת הָרֵיחַ הַמְּהַנֶּה וּמוֹעִיל לָרוּחַ הַחִיּוּנִי וְהַנַּפְשִׁי, וְזֶה מִדַּרְכֵי טוּבוֹאֲשֶׁר בֵּרֲכוֹ ה׳.

  • 'Hayé Sarah

      Cycle : la Paracha selon le SFORNO   

       Sforno 1

    Parashat Haye Sarah 

     

    L’étude du livre des Chroniques est peu répandue. Surtout ses premiers chapitres qui ne semblent n’être qu’une succession de noms n’ont jamais eu “bonne presse” dans les yeshivot. Pourtant…

    Pourtant, une lecture attentive de ces généalogies d’apparence anodine, révèle parfois des subtilités…

    Au premier chapitre des Chroniques, deux versets peuvent sembler problématiques:

    Verset 28: “Les deux enfants d’Avraham sont Itsh’ak et Yishmael”

    Verset 32: “Et les enfants de Ketoura, la concubine d’Avraham, sont Zimran, Yokshan, Medan, Midian, etc…”

    Pourquoi les enfants du verset 32 sont-ils mis à part des enfants cités dans le verset 28? Est ce parce ce que ce sont les enfants d’une concubine? Dans ce cas, cela nous force à dire que Hagar, la mère de Yishmael cité dans le verset 28 était une épouse à part entière – cette éventualité est tout à fait probable.

    Cette explication, par contre, est mise à mal par le midrash cité par Rashi, identifiant Ketoura à Hagar elle-même… Selon cette lecture, pourquoi le fils de Hagar et Avraham – Yishmael- est cité dans le verset 28 alors que les fils de Ketoura/Hagar et Avraham sont cités dans le verset 32…

    Le Sforno effleure cette question à travers son commentaire sur les versets de la fin de notre parasha :

    « Et Avraham prit une femme du nom de Ketoura. Elle enfanta Zimran, Yokshan, Meda, Midian, Yishbak et Shouak »

    Tout d’abord, le Sforno refuse de citer le midrash comme Rashi : Ketoura n’est pas Hagar, mais bien une troisième femme suivant Sarah et Hagar.

    Mais, là où son commentaire va encore plus innover, est dans la lecture du verbe « enfanta » - pour le Sforno, c’est un passé antérieur ! Ketoura a enfanté les fils cités, mais dans le passé avant de devenir la femme d’Avraham ! Ces enfants ont grandi dans la maison d’Avraham , devenant en quelque sorte des fils adoptifs, mais ce ne sont pas des enfants d’Avraham à proprement parler.

    Cette lecture permet de mieux comprendre les deux versets des Chroniques : le verset 28 énumère les enfants d’Avraham ; et ils ne sont effectivement que deux. Le verset 32 énumère les enfants de Ketoura, concubine d’Avraham, mais ces enfants ne sont pas ceux d’Avraham. Ce sont , tout au plus, des enfants adoptifs, qui ayant grandi  dans la maison d’Avraham ont acquis une certaine proximité avant l’héritage abrahamique, mais ne sauraient en aucun cas, aspirer à un quelconque héritage avec Itsh’ak et Yishmael, enfants véritables d’Avraham…

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו בראשית פרק כה
    (ב) ותלד לו את זמרן. גדלה אותם בביתו. על דרך חמשת בני מיכל אשר ילדה לעדריאל (ש"ב כא, ח) שגדלה אותם שלא היו בניה כלל כי אמנם אברהם לא הוליד כי אם יצחק וישמעאל כמבואר בדברי הימים א':

     

       

  • Le potentiel d'Abraham

    Cycle : la Paracha selon le SFORNO      

              Sforno 1              

    Le potentiel d’Avraham et l’erreur d’Isaac

     

    L’épisode de la ligature d’Isaac est évidemment un des morceaux de bravoure de cette Paracha.

    Abondamment commenté depuis les sages de la tradition jusqu’aux philosophes modernes (Kierkegaard, Derrida,…), cet événement radical ne cesse d’interroger les lecteurs de la Bible. Preuve de la nécessité d’une obéissance absolue au Dieu tout puissant pour certains, cet événement peut aussi se lire comme un éloge de la nuance : la véritable épreuve serait pour Abraham de ne pas se laisser porter par des pulsions radicales et de rester capable d’écouter le mince filet de voix qui le pousserait certes à faire monter son fils sur le Mont Moriah mais également à l’en faire redescendre aussitôt (cf. Rachi). [1]

    Le Sforno tente une approche originale. Si l’on suit le commentaire développé lors de cet épisode[2], il s’agit de savoir si Abraham est capable de développer son potentiel et de le rendre effectif. De la même façon que Dieu a été capable de rendre effectif la bonté qu’il a déversé sur le monde, Abraham doit démontrer qu’il a été créé « à l’image de Dieu » et donc en mesure d’aimer Dieu et de craindre Dieu, non pas seulement à travers de belles déclarations, mais à travers un acte et une épreuve, quel que soit son contenu exact.

    Ce commentaire du Sforno vient implicitement nous dire une chose : l’homme est à l’image de Dieu, ce qui signifie en creux qu’il n’est pas à l’image des anges, qui eux, ne connaissent pas cette notion de « potentiel à développer ». Ce sont des créatures célestes certes, très élevés spirituellement, mais qui connaissent une stabilité permanente. Ils ne peuvent ni chuter, ni s’élever. L’homme lui, dispose de ce trésor, de cette bénédiction qui l’autorise à fluctuer, mais qui surtout lui demande un travail permanent.

    Sforno persiste dans cette idée, lorsque justement, un ange descend pour arrêter Abraham en train de sacrifier son fils. La phrase de la Thora est la suivante :

    « Mais un envoyé du Seigneur l'appela du haut du ciel, en disant: "Abraham! . Abraham!"  II répondit: "Me voici." II reprit: "Ne porte pas la main sur ce jeune homme, ne lui fais aucun mal! Car, désormais, j'ai constaté que tu honores Dieu, toi qui ne m'as pas refusé ton fils, ton fils unique!" [3]

    Il y a un problème de syntaxe dans cette phrase. Et la question saute aux yeux : qui parle ? Est-ce l’ange ? Mais alors pourquoi la phrase glisse-t-elle à la fin vers une sorte d’exclamation de Dieu « Toi qui ne m’a pas refusé ton fils ! »

    Est-ce Dieu ? Mais alors, pourquoi dit-il « J’ai constaté que tu honores Dieu » comme si Dieu se prenait pour Alain Delon en parlant de lui-même à la 3ème personne ?

    Le Sforno apporte une réponse originale : c’est bien l’ange qui parle du début à la fin. Lorsque celui-ci dit « Désormais j’ai constaté (ou j’ai compris) que tu honores Dieu », cela signifie en réalité : j’ai compris pourquoi Dieu porte une telle attention aux hommes et les a d’une certaine façon placés au-dessus de nous les anges. Il y a une grandeur divine dans cette capacité à accomplir vos qualités en puissance.

    Mais alors, comment lire « toi qui ne m’as pas refusé ton fils » qi l’on admet que c’est l’ange qui s’exprime ?
    La réponse du Sforno est innovante. Il faut lire le mot « Mimeni » (de moi) comme s’il se rattachait au fait qu’Abraham honore Dieu et donc traduire la phrase ainsi : « Car, désormais j’ai constaté que tu honores Dieu plus que moi, vu que tu n’as pas refusé ton fils, ton fils unique ! ».

    L’ange admet encore ici sa défaite : cette capacité à sortir d’un déterminisme quel qu’il soit est une dimension de l’homme qui nous sera, à nous les anges, à jamais inaccessible.

    Cette question du potentiel n’est pas anodine, car elle sera à l’origine de problèmes ultérieurs. Un midrach[4] explique que les anges, voyant Abraham triompher de cette épreuve, ont pleuré. Et que les larmes des anges sont tombées dans les yeux d’Isaac qui est devenu aveugle (d’où son incapacité à reconnaître ses enfants par la suite).

    Comment interpréter ce Midrach étrange ? Peut-être de la façon suivante : logiquement, si Isaac devait retenir une leçon de tout cela, c’est que le potentiel de l’homme est une valeur absolue qui autorise toutes les tolérances puisqu’au bout du bout, l’homme aura toujours la capacité de se surpasser et de transformer son potentiel en accomplissement existentiel. Et que l’incroyable geste de son père réussissant à se transcender, à se sublimer, va l’aveugler pour le reste de ses jours.

    C’est en effet précisément cette radicalisation de la notion de potentiel qui va l’induire en erreur : son fils Esaü était probablement celui qui disposait du plus fort potentiel. Et Isaac va le « cajoler » jusqu’à la fin sans comprendre une chose fondamentale : certains hommes ont un potentiel qu’ils n’activeront jamais. Et que l’essentiel n’est pas dans la qualité du potentiel initiale, mais dans la capacité de l’homme à effectuer les efforts nécessaires pour mettre à profit ce qui lui sera offert à la naissance.

    Ca sera le mérite de Rébecca de l’avoir saisi.

     

    FRISON

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו בראשית פרק כב


    (א) נסה את אברהם כיון שיהיה בפעל אוהב וירא כמו שהיה בכח ובזה ידמה יותר לבוראו שהוא טוב לעולם בפועל כי אמנם הכונה במציאות האדם היתה שידמה לבוראו כפי האפשר כאשר העיד באמרו נעשה אדם בצלמנו כדמותנו:


    (יב) עתה ידעתי. ידעתי אני המלאך שבדין יגדילך האל על מלאכיו כאמרם ז"ל גדולים צדיקים יותר ממלאכי השרת (סנהדרין צג א):
    ממני. שאתה ירא אלהים יותר ממני שאני מלאך וראוי למעלה יותר ממני כאמרם ז"ל גדולים צדיקים וכו'. שאתה בפעל ירא אלהים כמו שהיה האל יודע קודם לכן שהיית ירא אלהים בכח ותפול ידיעתו הפועלת על הנמצא בפעל:

     

     

     


    [1] Cette dernière approche peut se lire dans Rachi, mais est également explicitement développée par le Rabbi de Kotzk et reprise par André Fraenkel dans le livre reprenant ses enseignements « L’écho de la Parole » aux éditions Lichma. C’est la lecture la plus convaincante que je connaisse. Elle a été soutenue également par le philosophe Dan Arbib dans un article de la revue Studia Phaenomenologica Vol XII 2012 intitulé « Donner la mort ? Phénoménologie et sacrifice : Note sur une interprétation de Derrida » où il remettait en question la lecture plus « classique » de Derrida sur ce passage biblique.

    [2] Commentaire du Sforno sur 22 :1

    [3] Genèse 22 : 11-12

    [4] Berechit Rabba 56

  • Comment reconnaître sa promise ?

      Cycle : la Paracha selon le SFORNO

       Sforno 1

    Comment reconnaître sa promise ?

     

    La parasha de Lekh Lekha s’ouvre sur les toutes premières paroles que Dieu adresse à Avram – le futur patriarche Avraham.

    Contrairement à Adam ou à Caïn, par exemple, auxquels il avait pris la peine d’adresser quelque question rhétorique afin d’entrer en matière, Dieu – sans autre forme de procès – déclare de but en blanc à Avram : « Quitte ton pays, ta patrie et la maison de ton père, en direction du pays que je te montrerai. Je ferai de toi un grand peuple et te bénirai, je grandirai ton nom et tu sois bénédiction… » (Gn. 12:1-2). Sans sourciller, sans poser aucune interrogation ou objection, Avram prend sa femme, son neveu, ses biens et ses adeptes et se dirige vers la terre de Canaan (v. 5).

    Étonnamment, Avram a pris la route comme s’il savait où aller, alors que Dieu lui avait annoncé qu’il lui « montrerait » l’endroit, ce qui laissait supposer un long voyage, puisque sans but défini, au cours duquel Dieu finirait par indiquer à Avram de s’arrêter étant arrivé à destination. Comment donc Avram a-t-il su où il devait s’arrêter ?

    Sforno répond à cette question en expliquant que pour Avram, aucune exploration ni de voyages à étapes n’était nécessaire, il n’avait qu’à aller droit devant lui : au moment où il aurait une révélation prophétique, c’est qu’il serait arrivé au lieu désiré par Dieu.

    Et c’est ce que nous constatons dans le texte puisque il ne fait que « passer dans le pays » (v. 6), sans s’arrêter jusqu’à ce que Dieu se révèle à lui (v. 7). A ce moment, « il planta sa tente » (v. 8).

    Mais la réponse est incomplète car comment Avram savait qu’il devait se diriger vers la terre de Canaan ? Dieu n’avait mentionné aucun pays dans son ordre initial !

    Réponse étonnante du Sforno : « car cette terre leur était connue comme une terre propice à la contemplation spirituelle et au service de Dieu béni soit-Il ».

    Toutefois, une deuxième anomalie textuelle apparaît peu après dans le verset : « Ils sortirent pour aller en terre de Canaan, et ils vinrent en terre de Canaan ». Pourquoi répéter deux fois « en terre de Canaan » ? Pourquoi préciser qu’ils sont sortis pour partir ? N’est pas évident ?

    En vérité, nous rappelle Sforno, la Tora nous a déjà parlé d’une personne qui est « sorti pour aller en terre de Canaan ». De qui s’agit-il ? De Tera’h bien sûr, le père d’Avraham ! Les mêmes mots très exactement sont énoncés à son propos : « ils sortirent… pour aller en terre de Canaan » (Gn. 11:31).

    Mais la différence essentielle est que Téra’h s’est arrêté à ‘Haran : « Ils arrivèrent jusqu’à ‘Haran et s’installèrent là-bas » tandis qu’Avram lui arriva véritablement en terre de Canaan.

    Oserions-nous lire entre les lignes et comprendre des paroles du Sforno que celui qui arrive vraiment en terre de Canaan est celui qui s’y rend pour sa dimension propice au service Divin ? Probablement.

     

    Emmanuel Ifrah – 10/2018

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו בראשית פרק יב


    (א) אל הארץ אשר אראך. אל המקום מהארץ אשר אראך אותה במראות אלהים, לפיכך עבר בארץ ולא נטע אהלו עד המקום שנראה אליו שם האל יתברך, כאמרו "ויעבור אברם בארץ עד מקום שכם... וירא ה' אל אברם, ויאמר. לזרעך נתתי את הארץ הזאת" (להלן פסוקים ו - ז):

    (ב) והיה ברכה. ברכת ה' היא שישמח ה' במעשיו, כמו שאמרו רז"ל "ישמעאל בני ברכני. אמרתי לו יהי רצון מלפניך... ויגלו רחמיך על מדותיך" (ברכות ז א). אמר אם כן היה לי ברכה במה שתתבונן ותקנה שלמות, ותלמֵד דעת את העם:

    (ה) ויצאו ללכת ארצה כנען. שהיתה מפורסמת אצלם לארץ מוכנת להתבוננות ולעבודת האל יתברך:
    ויבוא ארצה כנען. לא כענין יציאת תרח "ללכת ארצה כנען" (לעיל יא, לא), שלא בא אלא עד חרן:

    (ו) ויעבר אברם בארץ. לא התעכב במקום ממנה עד שנראה אליו האל יתברך כאשר יעדו באמרו "אל הארץ אשר אראך" (פסוק א):

    (ח) בית אל מים והעי מקדם. בין שתי עירות גדולות, למען ירבו הבאים לשמוע בקראו בשם ה':

  • Et D.ieu descendit voir...

    Cycle : la Paracha selon le SFORNO

    Sforno 1

    Et Dieu descendit voir …

     

    Depuis Maimonide, notre lecture est totalement automatisée dès qu’elle rencontre un anthropomorphisme.

    Si Maimonide a permis de désamorcer la bombe de l’anthropomorphisme, il en découle que notre lecture est parfois moins attentive sur l’emploi de tel ou tel mot. En d’autres termes, si la Torah a pris le risque d’employer un verbe à connotation humaine, que veut elle nous apprendre. Cette question est souvent ignorée et au-delà des règles de décodage énumérées dans la première partie du Guide des Égarés, rares sont les exégètes qui se sont adonnés à cet exercice.

    Le verset introduisant le récit de la tour de Babel commence par « Et Dieu descendit » . Pourquoi descendre ? La question a évidemment été traitee dans le Guide des Égarés, mais le Sforno nous propose une exégèse différente ouvrant une possibilité de lecture systématique de ce verbe.

    Pour Sforno, si Dieu descend pour châtier c’est que le châtiment attribué n’est pas encore pleinement justifié! Dieu punit en prévision d’une déchéance future. Le projet de la tour de Babel est difficilement répréhensible per se. Si Dieu intervient c’est pour mettre fin à un projet qui risque d’aboutir à un danger plus grand !

    Cette lecture nous éveille donc sur l’emploi d’un verbe qui ne va pas de soi, mais surtout nous éveille sur la nature d’un châtiment qui parait disproportionné.  

    Nous disions que le Sforno fait de cette grille de lecture une méthode systématique. En effet, il réitère cette explication autour de la destruction de Sodome. Là encore, le verbe employé est “descendre” (XVIII, 21). Pour le Sforno, c’est donc que la punition n’était pas encore pleinement méritée – Dieu est intervenu avant que la déchéance soit totale.

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו בראשית פרק יא פסוק ה
    (ה) וירד ה' לראות. הנה לשון הירידה לראות יאמר על האל יתברך כשאין הענין אז ראוי לעונש אלא מפני הקלקול הנמשך אליו בסוף הענין, כבן סורר ומורה שאמרו "ירדה תורה לסוף דעתו". וכן היה ענין סדום שכתב בו "ארדה נא ואראה" (להלן יח, כא), כי אמנם לא היה רשעם אז יותר משאר האומות כדי לענשם בעולם הזה, זולתי בענין האכזריות נגד עניי עם, שהיה נמשך ממנו קלקול גמור בסוף, כאמרו "הנה זה היה עון סדום אחותך... ויד עני ואביון לא החזיקה" (יחזקאל טז, מט). וכן היה עונש ישראל בהגלותם, כאמרו "אראה מה אחריתם" (דברים לב, כ):

     

  • Vayelekh : vérité et intégrité

         Cycle : la Paracha selon le SFORNO

    Sforno 1

    Vérité et intégrité

     

    La paracha de Vayélé’h oscille entre deux thèmes : la question de l’écriture de l’Alliance et l’annonce que les enfants d’Israël, arrivés en terre sainte, cèderont à l’idolâtrie. La structure courte de ce texte permet d’en donner les articulations…selon le Sforno.

    • Moïse console (par anticipation !) le peuple de sa propre mort. [i] (31.1 à 31.6)
    • Moïse encourage Josué son successeur, et consigne un enseignement (Torah) (31.7 à 31.8). Rachi et Nahmanide soutiennent qu’il s’agit de l’intégralité de la Torah. Ce qui est difficile puisqu’elle n’a pas encore été donnée dans son intégralité. Fort de cette remarque, le Sforno pense qu’il s’agit de l’écriture de la  section relative à l’érection des rois[ii]. Le contexte milite en faveur de cette thèse puisque…
    • Les versets 31.10 à 31.13 édictent l’obligation faite aux rois de réunir le peuple tous les sept ans pour procéder à la lecture d’une partie de la Torah.
    • Les versets 31.14 à 31.24 décrivent la passation de pouvoir entre Moïse et Josué. Elle s’accompagne à nouveau de l’annonce que le peuple pratiquera l’idolâtrie, ainsi que de l’écriture d’un « chant »de mise en garde (Haazinou). Poème qui clôture la Torah, Moïse écrivit donc la Torah « jusqu’à sa fin » (31.24).
    • Les derniers versets de la section décrivent comment une Torah (de référence) devait être cachée dans le saint des saints, car « je connais la dureté de ce peuple (…) et je sais qu’après ma mort il fautera ». (31.25 à 31.30).

    On comprend bien l’entrelacement du thème de l’écriture de l’alliance avec la certitude que le peuple fautera : il faut écrire l’alliance pour qu’au moment où le peuple paiera ses erreurs idolâtriques, il ne se mette pas à penser qu’il n’y a point de Dieu (31.17) ; mais qu’au contraire  c’est le peuple lui-même qui aura suscité cette réaction divine en délaissant son engagement. Mais la véritable innovation du commentaire de Sforno est la ‘découverte’ d’un livre spécifique où était écrite l’obligation de la nomination d’un roi[iii]. Il ne me semble pas que d’autres commentateurs mentionnent un tel livre.

    Il va se servir de cette remarque pour résoudre une énigme biblique.

    Le livre des Rois mentionne une très curieuse histoire : la redécouverte d’un livre par le prêtre Hilkiyahou qui suscita une vive émotion au sein du peuple[iv]. Rachi identifie ce livre comme le livre du Deutéronome. Cette lecture de Rachi pose question. Il est très étonnant que ce livre à lui seul ait été oublié contrairement aux quatre premiers livres de la Torah. L’émotion qu’il suscita est aussi très étonnante : comme si les autres livres de la Torah eux aussi ne mettaient pas en garde contre toutes sortes de transgression ! Selon le Sforno, le livre retrouvé serait précisément celui où était écrite spécifiquement l’obligation de nommer un roi.

    Or celui-ci est inclus lui-même dans le livre du Deutéronome. C’est à ne plus y rien comprendre, puisque selon le Sforno le livre du Deutéronome était en possession de tout Israël !

    Sauf que Sforno va relier l’ensemble de sa problématique à une autre alliance entre Israël et Dieu: celle qui fit Josué peu avant sa mort. Il est précisé dans le texte de Josué « écrit cette alliance dans la Torah de Dieu »[v].  Or nulle part il n’est fait mention d’un ajout dans la Torah de cette alliance, pour la simple raison que Moïse lui-même clôtura l’écriture de la Torah. Sauf à dire que c’est précisément ce texte supplémentaire où était écrit (comme tiré à part) l’obligation de nommer le roi. Si formellement tout est agencé restent de nombreuses questions de fond : pourquoi écrire ce texte à part ? Pourquoi Josué compléta-t-il ce texte ? Pourquoi un texte, connu de part ailleurs, suscita-t-il un tel émoi lorsqu’il était tiré à part ? Et enfin pourquoi Josué scella-t-il  une alliance supplémentaire à celles que fit Moïse ?

    Le Sforno fait une remarque fondamentale qui donne le contenu de l’ensemble de la réflexion. Il s’appuie sur un verset de l’alliance faite par Josué : servez Dieu « avec vérité et intégrité »[vi]. Cet élément n’était pas présent lors des alliances avec Moïse. Le Sforno commente ces mots « avec réflexion et action ». Il ne s’agit pas de servir Dieu mécaniquement mais avec réflexion. On imagine bien un serviteur zélé qui a accompli les commandements de Dieu en espérant accéder au monde futur où enfin l’ensemble d’une loi absurde trouverait son aboutissement qui tout d’un coup se trouve dans l’obligation de réfléchir ! C’est ce drame existentiel qui a amené à toute la relecture de la Torah à l’époque de Hilkiyahou. Le texte de la nomination du roi a été écrit à part pour être complété : la nomination d’un roi laisse penser que toute la Torah n’a comme enjeu qu’une politique[vii] nationale et identitaire. La politique est susceptible de subvertir la globalité du message de la Torah[viii].   C’est pourquoi dans son commentaire le Sforno a à cœur de préciser que jusqu’à l’époque de Samuel, il n’y avait pas de roi en Israël uniquement des ‘dirigeants’ (naguid)[ix].

    Ce que suggère le Sforno c’est que la question politique loin de permettre l’épanouissement d’un monde de Torah, vient le ternir, car il empêche que la Torah en acte ne germe à partir d’une réflexion puisque dans un monde politiquement organisé la Torah elle-même est prise en otage.

    Franck Benhamou

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו דברים פרק לא

    (כו) והיה שם בך לעד. יעיד שידעתי שתעזבו את תורת האל יתברך ושבשביל זה הוצרכתי לשים ספר תורה אחד במקום שלא יכנס שם אדם זולתי כ"ג אחת בשנה ויעיד זה הספר שכל מה שימצא כתוב בספר התורה שימצאו ביד צדיקי הדור הן הן הדברים שנאמר לו למשה מסיני בלי תוספת וחסרון ובזה לא יולד ספק לכם עליהם. אמנם הספר שמצא חלקיהו נראה שהיה הספר שנתן משה אל הכהנים נושאי ארון ברית ה' שהוזכר למעלה שהיה פרשת המלך בלבד ובו כתב יהושע הברית שחדש עם ישראל בשכר שקבלו עליהם בו לעבוד את האל יתעלה באמת ובתמים שהוא בעיון ובמעשה וכשקרא בו יאשיהו וראה שרחקו מכל זה חרד ודרש את ה' על זאת (מלכים - ב כב, יג

     


    [i] Interprétation selon le Sforno.

    [ii] Dvarim 17.14 à 17.20.

    [iii] Le texte de ce livre étant lui-même un morceau du Deutéronôme.

    [iv] Voir Rois II §22. Chronique II 34.15.

    [v] Josué 24.26.

    [vi] Traduction littérale qui ne veut pas dire grand-chose, puisque servir Dieu consiste à faire ce qu’il dit de faire.

    [vii] Le Sforno écrit dans son commentaire sur le verset « car je sais que la pulsion du peuple le conduira à fauter » (31.21) : les juifs n’escomptent pas entrer dans la terre sainte pour révérer Dieu, mais uniquement pour satisfaire leurs besoins, d’où leur inclination à l’idolâtrie ». L’idole est la puissance à laquelle on s’adresse pour se nourrir.

    [viii] Sans doute à ce compte Spinoza ne s’est pas trompé !

    [ix] Reste à comprendre ce qui a modifié ce régime, mais une lecture attentive des versets semble le confirmer.

  • L'injonction à la techouva- Nitsavim

      Cycle : la Paracha selon le SFORNO

    Sforno 1

      L’injonction à la Teshouva

     

    De manière opportune, la parasha de Nistavim contient un nombre important de versets ayant trait à la Teshouva – Moshé rabbénou mettant en garde le peuple d’Israël avant de s’en séparer. C’est l’occasion pour le Sforno d’expliciter sa vision de l’obligation de se repentir – « Mitsvat ha-Teshouva ».

    « Tu reviendras vers ton cœur » (30:1). Comme dans le texte du Shema, le mot cœur est écrit avec deux « Beth » faisant allusion à sa dualité, en tant que siège du bien et du mal. Et comme le souligne Sforno la Teshouva commence par un travail de séparation entre la vérité et mensonge, entre ce que demande vraiment la Tora et la manière erronée de se comporter qui est la nôtre.

    « Tu reviendras vers l’Eternel ton Dieu » (30:2). La seule motivation de la Teshouva doit être Dieu lui-même et l’accomplissement de sa volonté. Il n’est question ni d’amour, ni de crainte, mais uniquement de raison. De logique a-t-on même envie de dire. Mais c’est qu’« une telle Teshouva atteint le Trône céleste » ! Cet accomplissement ne peut donc pas être mécanique, contrairement à l’habitude installée. Dorénavant, tu accompliras les mitsvot de manière réfléchie, sans qu’aucun doute ne t’affaiblisse, sans qu’aucun désir matériel d’émousse ta volonté. Les choses seront intellectuellement si claires que même les enfants les plus jeunes connaîtront cette vérité.

    « Et l’Eternel ton Dieu circoncira ton cœur etc. » (30:6). Le prépuce est la membrane qui entrave, obscurcit. Le Sforno comprend ainsi la circoncision du cœur comme un dévoilement des yeux. Si jusqu’à maintenant tu étais éloigné de Dieu, c’était par « simple » erreur ! Nous avons ici affaire à une Téshouva rationaliste et ipso facto à une lecture de la faute tout aussi rationaliste : la faute c’est l’erreur et rien d’autre ! Tout simplement… Les catégories du Bien et du Mal semblent s’effacer devant celles du Vrai et du Faux. Car quand tu connaîtras la vérité, tu aimeras Dieu « nécessairement » -- adeptes du romantisme religieux, s’abstenir.

     

    Emmanuel Ifrah – 09/2018

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו דברים פרק ל פסוק א
    והשבות אל לבבך. התבונן בחלקי הסותר ותשיבם אל לבבך יחדיו להבחין האמת מן השקר ובזה תכיר כמה רחקת מן האל יתעלה בדעות ובמנהגים אשר לא כתורתו 

    ספורנו דברים פרק ל פסוק ב
    ושבת עד ה' אלהיך. תהיה תשובתך כדי לעשות רצון קונך בלבד. וזו היא התשובה שאמרו ז"ל (יומא פרק יום הכפורים) שמגעת עד כסא הכבוד (יומא פו, א):

    ספורנו דברים פרק ל פסוק ו
    (ו) ומל ה' אלהיך את לבבך ואת לבב זרעך לאהבה. יגלה עיניך לסור מכל טעות מערבב השכל מידיעת האמת כשתשתדל לדבקה בו באופן שתכיר טובו ותאהבהו בהכרח. וזה יעשה למען חייך לעולמי עד:

     

  • Du maintien sur la terre d'Israël

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

     

    Paracha ‘Ekev :

    Du maintien sur la terre d’Israël

     

    Comme à son habitude, le Sforno propose une lecture transversale de la paracha. Dans le commentaire de cette semaine, un regard d’ensemble montre ainsi qu’une ligne directrice se dégage à travers l’étude suivie des versets :

    L’accomplissement des commandements est lié au maintien du peuple sur la terre. « C’est la justice (michpat) qui fait tenir la terre » (Devarim 7, 12)[1]. Or la « bonté » (‘hessed) liée à l’alliance n’est autre que la promesse de cette terre à Abraham (ibid.)[2]. Mais pour que ses descendants bénéficient de la vie en Erets-Israël, une subsistance est indispensable. Telle est la bénédiction promise en contrepartie de « l’écoute » : des moyens matériels permettant de s’y maintenir (7, 13)[3].

    Cependant la réussite dans l’acquisition de la subsistance, et au-delà, de la richesse, peut avoir pour corolaire une croyance aux forces idolâtres, à l’instar des Cananéens bientôt dépossédés de cette même terre (7, 25)[4]. La conquête entraîne un enrichissement (8, 1)[5]. La terre d’Israël elle-même possède une richesse intrinsèque (cf. 8, 7-9). Aussi convient-il de bénir Dieu après avoir profité de ses fruits, afin de toujours se rappeler que l’abondance vient de Lui (8, 10)[6].

    Un autre danger guette les Bné-Israël. En plus du risque de rattacher la réussite aux icones de leurs prédécesseurs, ils risquent de la rattacher à eux-mêmes. Ne pas prononcer de bénédiction sur la nourriture, c’est en fait proclamer implicitement que tout vient de l’homme, que tout est acquis par sa force (8, 19)[7].

    Le risque est grand, car Israël est « un peuple à la nuque raide » (9, 6). C’est-à-dire qu’il suit ses propres idées, même quand le Maître a exprimé explicitement son désaccord pour ses dernières. Ceci, car sa raideur l’empêche de se tourner vers le Maître pour s’enquérir de son opinion[8]. L’opiniâtreté a causé de grands malheurs, se répétant régulièrement, et empêchant souvent la techouva (9, 8)[9].

    En associant sa réussite à sa force et en ne se fiant intellectuellement qu’à soi-même, on en vient aussi à l’ingratitude. Aveuglés par les belles terres bientôt possédées, les Bné-Israël en oublièrent ainsi de pleurer suffisamment sur la mort d’Aharon, et d’offrir la dignité méritée à son fils et successeur, El’azar (10, 6-7)[10]

    Devant ce noir tableau, comment réagir ? Crainte, juste marche et amour de Dieu sont les basiques pour procéder à une introspection indispensable (10,12)[11]. Circoncire le prépuce du cœur consiste à lutter contre les idées erronées [sur l’origine de la réussite notamment]. Et alors « vous ne raidirez plus votre nuque » (10, 16)[12].

    Ce n’est qu’après avoir exposé les risques inhérents à la terre, et l’introspection nécessaire pour ne pas s’y fourvoyer, que notre paracha se termine en répétant la leçon première supposée désormais véritablement intégrée : Seule l’observance des mitsvote permettra de profiter du don de la terre et la travailler sans souffrances (11, 13 et 23)[13]… Mais plus encore, et telle est la conclusion discrète et magistrale du Sforno : Le comportement adéquat sur la terre d’Israël inspirera une crainte référentielle au-delà même des frontières, « même en ‘houts laarets » (11, 25)[14]A contrario

     

     

     

    Yona GHERTMAN

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : cf. notes

     


    [1] ספורנו דברים פרק ז

    את המשפטים. כי במשפט יעמיד ארץ:

    [2] ספורנו דברים פרק ז

    ואת החסד. כאמרו אז ונתתי לך ולזרעך אחריך את ארץ מגריך (בראשית יז, ח).

    [3] ספורנו דברים פרק ז

    וברכך. בממון לחיי שעה ובזה ייטיב את החסד אשר נשבע שתהיו בארץ באופן מאושר:

    [4] ספורנו דברים פרק ז

    (כה) פן תוקש בו. שלפעמים יקרה שתצליח באותו כסף וזהב שעליהם ותחשוב שהיה זה בכח אותה העבודת גלולים שהיו עליה:

    [5]

    ובאתם וירשתם. ושתשיגו עושר וכבוד בירושת הארץ

    [6] ספורנו דברים פרק ח

    (י) וברכת את ה' אלהיך. למען תזכור כי מאתו היו אלה לך:

    [7] ספורנו דברים פרק ח

    (יט) והיה אם שכח תשכח. וזה יקרה כאשר תיחס הצלחתך אל כחך ולא תברכהו עליה:

    [8] ספורנו דברים פרק ט

    (ו) כי עם קשה עורף אתה. שאי אפשר שיהיה צדק ויושר לבב עם קשי העורף כי אמנם קשה העורף הוא ההולך אחרי שרירות לבו ומחשבתו אף על פי שיודיעהו איזה מורה צדק בראיה ברורה שמחשבתו הוא בלתי טובה ומביאה אל ההפסד וזה כי לא יפנה אל המורה כאלו ערפו קשה כגיד ברזל באופן שלא יוכל לפנות אנה ואנה אבל ילך אחרי שרירות לבו כמאז:

    [9] ספורנו דברים פרק ט

    (ח) ובחורב הקצפתם. ויעיד על רוע מדת קשי העורף כי אמנם כשהקצפתם את ה' בחורב לא היה אומר להשמידכם אלא בשביל שאתם עם קשה עורף כאמרו ית' ראיתי את העם הזה והנה עם קשה עורף הוא הרף ממני ואשמידם (להלן ט, יג יד) וזה כי אמנם קושי העורף מסיר את תקות התשובה:

    [10] ספורנו דברים פרק י

    (ו) ובני ישראל נסעו. אף על פי שראו שתפלת הצדיק מגינה על דורו ושראוי להתאונן על מיתתו הנה קצתם או רובם שהיו רועים במדבר נסעו למוסרה למצוא מים ומרעה לצאן ובעודם שם מת אהרן ויקבר ויכהן אלעזר ולא באו להתאונן על המיתה ולא להתאבל על הקבורה ולא חששו לכבד אלעזר שכהן תחתיו אבל משם נסעו הגדגדה לרעות צאן:

    (ז) ומן הגדגדה יטבתה ארץ נחלי מים. שכל אותם המקומות הנזכרים עתה היו ארץ נחלי' נכונים למרעה הצאן ולא שתו לבם להיזק שקרה במות הצדיק ולא לכבודו ולכבוד בנו:

    [11] ספורנו דברים פרק י

    (יב) ועתה ישראל. אם כן אתה ישראל השתדל עתה לתקן מעוותך מכאן והלאה והתבונן מה ה' אלהיך שואל מעמך שאינו שואל דבר לצרכו כי אם ליראה. וזה תעשה בהתבוננך באופן שתדע גדלו:

    [12] ספורנו דברים פרק י

    (טז) ומלתם את ערלת לבבכם. אם כן ראוי שתסירו את ערלת שכלכם והוא שתתבוננו להסיר כל טעות מוליד דעות כוזבות:

    וערפכם לא תקשו עוד. ובסור קשי העורף המונע מלפנות אל הראוי תפנו להכיר את בוראכם ותראו כי רע ומר לעזבו וזה שתתבוננו:

    [13] ספורנו דברים פרק יא

    (יג) אם שמוע תשמעו ונתתי מטר ארצכם בעתו. באופן שתתפרנסו שלא בצער ותוכלו לעבדו ואם לאו לא יתן מטר כלל ולא יהיה לכם מזון לחיות בה:

    ספורנו דברים פרק יא

    (כג) והוריש. יתן לכם מקום להתפרנס בו שלא בצער למען תוכלו לעשות רצונו:

    [14] ספורנו דברים פרק יא

    (כה) לא יתיצב איש בפניכם. אפילו בחוצה לארץ: חסלת פרשת עקב

  • Etre sage aux yeux des nations

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Vaet'hanan : Etre sage aux yeux des Nations

     

    « Observez-les [lois et les décrets de Dieu] et pratiquez-les ! Ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, car lorsqu’ils auront connaissance de toutes ces lois, ils diront : “Elle ne peut être que sage et intelligente, cette grande nation !” En effet, où est le peuple assez grand pour avoir des divinités accessibles, comme l’Éternel, notre Dieu, l’est pour nous toutes les fois que nous l’invoquons ? Et où est le peuple assez grand pour posséder des lois et des statuts aussi bien ordonnés que toute cette doctrine que je vous présente aujourd’hui ? » (Dévarim, 4:6-8).

    A lire ces quelques versets du début de Vaét’hanan, on se dit que la Tora répond par avance à l’obsession qui sera celle du peuple juif à bien des époques, celle de vouloir briller par son intelligence et se distinguer des autres peuples par sa sagesse. Mais nous sommes immédiatement détrompés : les Nations ne nous admireront ni pour nos Prix Nobel, ni pour nos hommes politiques, ni pour nos milliardaires, ni pour nos artistes.

    Le peuple juif brillera dans la mesure où il remplira sa fonction dans l’économie cosmique : combattre l’idolâtrie et proclamer la Royauté divine.

    La Tora est notre sagesse, certes. Mais pourquoi faire ? « Pour pouvoir rétorquer à l’hérétique à l’aide de preuves rationnelles » nous dit Sforno (4:6).

    Et pourquoi poursuivre cette sagesse ? De nombreux peuples possèdent des sciences diverses et variées, mais ils ne sont pas pour autant obsédés par leur diffusion généralisée en leur sein !

    Réponse paradoxale du Sforno : nous devons être vus comme sages [en Tora] par les Nations car nous sommes le peuple de Dieu. La preuve, Dieu nous répond à chaque fois que nous l’appelons. (C’est en tout cas ce qu’affirme le verset.) Et si nous ne possédons pas notre propre sagesse, nous causerons une profanation du Nom divin auquel nous sommes ainsi attachés. Les Nations diraient en quelque sorte que Dieu exauce un peuple qui ne le mérite pas.

    Connaître et mettre en application la Tora divine est donc la première qualité par laquelle nous devons nous distinguer, afin que le Nom de Dieu soit proclamé.

    Mais il y a une deuxième qualité qui vient ipso facto et qui est intrinsèque à la nature de la Tora, une qualité qui elle aussi est une proclamation de l’existence de Dieu.

    D’après le Sforno, la totalité des systèmes juridiques sont conçus pour servir l’intérêt du souverain ou de ceux qui exercent le pouvoir. Tel n’est pas le cas de la Tora : elle n’est conçue que pour établir la justice.

    On voit donc déjà inscrite en filigranes dans ces quelques versets, la vision que développeront avec tant de force et d’inspiration les grands prophètes d’Israël, celle du peuple juif appelé à accomplir son destin à travers la justice, justice qui doit être le ferment de la Délivrance : « Tsion sera sauvé par la justice[1] » (Isaïe 1:27).

     

    Emmanuel Ifrah – 07/2018

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו דברים פרק ד
    (ו) כי היא חכמתכם. בה תשיבו לאפיקורוס במופתים שכליים:

    (ז) כי מי גוי גדול אשר לו אלהים קרובים אליו. והטעם שראוי להקפיד שתהיו נחשבים חכמים ונבונים לעיני העמים הוא שהאל יתברך קרוב אלינו בכל קראנו אליו. וזה יורה שבחר בנו מכל העמים. ואם יחשבו אתכם העמים לסכלים יהיה חלול ה' באמור לכל עם ה' אלה:

    (ח) ומי גוי גדול אשר לו חקים וגו'. והטעם שתחשבו חכמים בעיני האומות בשמרכם את חקי האלהים ואת תורותיו הוא שאין שום גוי במציאות כזה שיהיו לו חקים מורים מציאות האל ודרכיו ומשפטים צדיקים שאין בם ענין לתועלת הדיין ולא לשכר חזניהם וסופריהם אבל כל ענינם משפט וצדק. כענין אמרם ז"ל (סנהדרין ו, ב) משפט לזה וצדקה לזה. משפט לזה שהחזיר לו את שלו. וצדקה לזה שהוציא גזלה מתחת ידו:


    [1] Verset par lequel se clôture la dernière Haftara « de punition » et s’ouvre la perspective vers la délivrance et la consolation.

  • SFORNO - DEVARIM

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Sforno – Parashat Devarim

     

    א אֵלֶּה הַדְּבָרִים, אֲשֶׁר דִּבֶּר מֹשֶׁה אֶל-כָּל-יִשְׂרָאֵל, בְּעֵבֶר, הַיַּרְדֵּן: בַּמִּדְבָּר בָּעֲרָבָה מוֹל סוּף בֵּין-פָּארָן וּבֵין-תֹּפֶל, וְלָבָן וַחֲצֵרֹת--וְדִי זָהָבב אַחַד עָשָׂר יוֹם מֵחֹרֵב, דֶּרֶךְ הַר-שֵׂעִיר, עַד, קָדֵשׁ בַּרְנֵעַג וַיְהִי בְּאַרְבָּעִים שָׁנָה, בְּעַשְׁתֵּי-עָשָׂר חֹדֶשׁ בְּאֶחָד לַחֹדֶשׁ; דִּבֶּר מֹשֶׁה, אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, כְּכֹל אֲשֶׁר צִוָּה יְהוָה אֹתוֹ, אֲלֵהֶםד אַחֲרֵי הַכֹּתוֹ, אֵת סִיחֹן מֶלֶךְ הָאֱמֹרִי, אֲשֶׁר יוֹשֵׁב, בְּחֶשְׁבּוֹן--וְאֵת, עוֹג מֶלֶךְ הַבָּשָׁן, אֲשֶׁר-יוֹשֵׁב בְּעַשְׁתָּרֹת, בְּאֶדְרֶעִיה בְּעֵבֶר הַיַּרְדֵּן, בְּאֶרֶץ מוֹאָב, הוֹאִיל מֹשֶׁה, בֵּאֵר אֶת-הַתּוֹרָה הַזֹּאת לֵאמֹר.

     

    1 Ce sont là les paroles que Moïse adressa à tout Israël en deçà du Jourdain, dans le désert, dans la plaine en face de Souf, entre Pharan et Tofel, Labân, Hacéroth et Di-Zahab. 2 Il y a onze journées depuis le Horeb, en passant par le mont Séir, jusqu'à Kadéch-Barnéa. 3 Or, ce fut dans la quarantième année, le onzième mois, le premier jour du mois, que Moïse redit aux enfants d'Israël tout ce que l'Éternel lui avait ordonné à leur égard. 4 Après avoir défait Sihon, roi des Amorréens, qui résidait à Hesbon, et Og, roi du Basan, qui résidait à Astaroth et à Edréi; 5 en deçà du Jourdain, dans le pays de Moab, Moïse se mit en devoir d'exposer cette doctrine, et il dit: 

     

    Ces premiers versets du livre de Dvarim ont partagé nos exégètes. Plus particulièrement le premier verset qui annonce des paroles dites par Moise mais n’en dit pas la teneur… Rashi, par exemple, relit les versets 3 à 5 de manière allégorique, y voyant donc le contenu des réprimandes émises par Moise. Ramban, quant à lui, ne décèle les paroles de Moise que dans la fin du verset 5, lorsque Moise « expose la doctrine de la Torah ».

    Sforno propose une lecture originale qui répond à cette question. Si le premier verset annonce une parole de Moise, son contenu se trouve dans le verset… deux ! « Il y a onze journées depuis le Horeb, en passant par le mont Séir, jusqu'à Kadéch-Barnéa. ». Quel est le sens d’une telle parole ? Sforno y voit une accusation répétée par Moise pendant les quarante ans du désert. A chaque étape énumérée dans le premier verset, si les Bne-Israel se plaignaient de ces pérégrinations sans but et répétitives, Moise leur repetait sa remontrance « Il y a onze journées depuis le Horeb, en passant par le mont Séir, jusqu'à Kadéch-Barnéa. » : si vous n’aviez fauté, nous aurions atteint la terre d’Israël en onze petites journées…

    Ce court commentaire nous démontre ici encore, la force de pshat qui habitait les Rishonim. Au-delà des considérations philosophiques, il y avait un souci permanent de donner une cohérence littérale au texte …

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו דברים פרק א
    (א) אלה הדברים אשר דבר משה אל כל ישראל וגו'. אמר שבכל אחד מהמקומות שהזכיר פה והם מקומות אשר עותו שם ארחות דרכם בגזרת האל יתעלה להניעם במדבר בעון המרגלים אמר משה לכל ישראל אלה הדברים שיזכיר. והם:

    (ב) אחד עשר יום מחורב כו'. וזה כי כל ל"ח שנה שהניעם במדבר אנה ואנה לא הלכו בדרך ישר מכוון אל מקום נודע וכשהיו מגיעים אל מקום אשר משם היו נעים וחוזרים לאחוריהם או לצדדין ולא בדרך ישר היה משה אומר להם ראו מה גרמתם שהרי מהלך אחד עשר יום יש מחורב עד קדש ברנע דרך הר שעיר שהוא הדרך היותר קצר אצל עוברי דרכים. והאל יתברך הוליך אתכם לקדש ברנע בשלשה ימים דרך המדבר הגדול והנורא ומפני עונכם אתם נעים כל זה הזמן. וכל זה היה אומר למען יזכרו וישובו אל ה':

     

  • L'adolescence : d'une parole en formation à une parole en conflit

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    L’adolescent : d’une parole en formation à une parole en conflit

     

    Le début de la section Matot parle d’un thème peu connu : de l’importance des engagements que prend une personne sur elle-même[1]. Soit une personne s’engageant par exemple à être végan ou embrassant une cause humanitaire. D’un premier abord, ceci a l’air bien inoffensif, et l’on serait enclin à penser que cela ne concerne que la personne elle-même. La Torah donner une portée immense à ces engagements. A tel point qu’une personne qui transgresserait son vœu « profane le nom de Dieu »[i]. « Vous ne jurerez pas en Mon Nom pour mentir, ce serait profaner le nom de Dieu », nous avait averti le livre de Vayikra[ii]. L’interdit en jeu dans le non-respect de ses engagements est le même selon le Sforno. Pourtant le verset stipule : « vous ne profanerez pas votre parole »[iii],  dans un engagement il ne s’agit que d’un rapport ‘entre soi et soi et même’, comme on se plait à le dire. L’étonnement est double : d’une part pourquoi introduire Dieu ? D’autre part pourquoi mettre le non-respect d’un engagement purement verbal en rapport avec du mensonge ? Il me semble que ces questions peuvent être résolues simultanément. La Torah exige de prendre au sérieux ce que l’on se dit avec autant de sérieux et de résolution que ce que l’on dit à Autrui.

    Une fois posé l’importance à accorder à sa propre parole, on peut entrer dans le vif du sujet. La Torah prend comme une évidence qu’un père peut intervenir dans les engagements de ses enfants, jusqu’à l’âge de l’adolescence[iv]. Naturellement se pose immédiatement la question de la double allégeance : allégeance aux parents mais aussi fidélité à sa propre parole. Comment concilier le rôle prépondérant accordé à la parole avec celui de sa négation possible ? Surtout lors de cette période charnière où la personnalité de forme et se fonde, surtout durant cette période si précieuse où l’on va s’engager pour ses idéaux.

    Lorsque le père désavoue son fils (ou sa fille) devant un engagement qu’il aurait pris, la Torah énonce un simple « et Dieu lui pardonnera », la réponse semble un peu courte !

    Reprenons le passage au ras du texte :

    Pour la femme, si elle fait un vœu au Seigneur ou s'impose une abstinence dans la maison de son père, pendant sa jeunesse, et que son père, ayant connaissance de son vœu ou de l'abstinence qu'elle s'est imposée, garde le silence vis-à-vis d'elle, ses vœux, quels qu'ils soient, seront valables; toute abstinence qu'elle a pu s'imposer sera maintenue.  Mais si son père la désavoue le jour où il en a eu connaissance, tous ses vœux et les interdictions qu'elle a pu s'imposer seront nuls. Le Seigneur lui pardonnera, son père l'ayant désavouée[v]

    Rachi –à la suite du Talmud- propose la lecture suivante : si un adolescent a transgressé son vœu alors que son père l’avait désavoué, sans qu’il ne le sache, il sera pardonné par Dieu. Il semble donc que la parole ait été littéralement annulée par le père, quand bien même le jeune n’en sait rien, cette parole n’existe plus ; le pardon divin, signifie que même si l’adolescent pense avoir fauté, son père a annulé sa faute par anticipation. Qu’en est-il de la parole de l’adolescent ? Par autorité ou par inquiétude n’annule-t-on pas toute parole responsable par anticipation ? Ne lui évite-t-on pas toute possibilité de fauter par amour de sa progéniture?

    Sforno propose une autre interprétation : pour lui le pardon divin, ne provient pas d’une décision arbitraire. « Dieu lui pardonnera parce que le jeune ne connaissait pas l’intention de son père au moment où son vœu a été dit ». C’est parce que le jeune ne comprend pas toujours les décisions parentales que le pardon est possible. Contrairement à Rachi qui n’expliquait pas l’arbitraire de ce pardon, laissant penser que tout pardon est arbitraire, pour le Sforno, le pardon est accordé parce que la parole à cet âge ne relève pas exclusivement de soi-même.

    On comprend alors qu’une fois que le père a entendu le vœu du jeune, et ne l’a pas désavoué le jour même, que la parole du jeune prend alors toute sa consistance : il devient responsable de cette parole et doit la porter.

    Mais si le parent, après avoir accepté sans broncher la parole du jeune dans un premier temps, se rebiffe « portera sa faute » affirme le verset. Lorsque le jeune finalement n’a pas porté son projet devant le refus parental, la parole reste mais sous forme de faute.  « Comme toute personne qui contraint une autre à fauter », commente Sforno : de n’avoir pas pris la mesure d’une parole encore fragile, de ne pas avoir saisi la place parentale jusque dans ses silences, c’est l’adulte qui sera responsable.

    Franck Benhamou.

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו במדבר פרק ל

    (ב) זה הדבר אשר צוה ה'. כשאמר בהר סיני ולא תשבעו בשמי לשקר וחללת (ויקרא יט, יב) היתה הכונה האיש הנודר או נשבע לא יחל דברו כי בחללו דברו הוא מחלל את ה' אבל האשה שאינה ברשות עצמה לא תהיה מחללת אם יפר המיפר:

    (ו) וה' יסלח לה. על שנדרה מה שאין בידה לקיים:

    כי הניא אביה אותה. והיא לא ידעה את דעת אביה כשנדרה והיה נדרה על דעת לקיים:

    (טו) ואם החרש יחריש. שהשתיקה במי שיש בידו למחות היא כמו הודאה שהשותק הוא כמסכים במה שנעשה:

     (טז) ואם הפר יפר אותם אחרי שמעו. אחרי יום שמעו שאינו יכול אז להתחרט ולהפר:

    ונשא את עונה. כמשפט כל מכריח את חבירו לעבור עבירה או מורה שקר ומתעה

     

    [1] On pourra consulter avec profit le Michné Torah pour des éléments supplémentaires. Lois sur les vœux chapitre 11.

     

    [i] Voir Sforno sur verset 2.

    [ii] Vayikra 19.12.

    [iii] Bamidbar 30.3.

    [iv] Maïmonide précisera « tant que l’enfant est à la table de ses parents », c’est-à-dire à leur charge.

    [v] Bamidbar 30.4 à 30.6.

  • Pin'has, ce pacifique zélateur

        Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Pinh’as, ce pacifique zélateur

     

    La Paracha de Pinh’as va clore l’épisode mouvementé amorcé la semaine dernière, saluant l’acte héroïque de Pinh’as qui a sauvé le Peuple en tuant aux yeux de tous Zimri fils de Salou le prince de la tribu de Chimon et sa concubine Midianite Kozbi fille de Tsour.

    Le Sforno* appuie sur l’éloge fait par D’ à propos de Pinh’as : ce dernier a vengé l’honneur de Dieu (בְּקַנְא֥וֹ אֶת־קִנְאָתִ֖י) ; il a agi de manière prompte aux yeux de tout le peuple et, développe le Sforno, puisqu’ils n’ont pas protesté en contemplant la mort de leur prince, Dieu leur a pardonné leur manque de protestation envers l’acte infamant de Zimri qui devait être absolument condamné.

    En agissant de la sorte, Pinh’as a réussi un sacré tour de force en apaisant le courroux divin (הֵשִׁ֤יב אֶת־חֲמָתִי) pesant sur les Béné Israël et qui devait les mener à leur annihilation totale. De ce fait, en rétablissant la paix entre Dieu et Son peuple, il a été digne d’un mérite particulier : une alliance de Paix (בְּרִיתִ֖י שָׁלֽוֹם).

    Selon le Sforno*, l’alliance de paix divine dont a été gratifié Pinh’as est avec l’ange de la Mort, ce dernier n’ayant à partir de ce moment plus d’autorité sur Pinh’as, qui a vécu beaucoup plus longtemps que ses contemporains, puisque c’est lui qui assurait le sacerdoce au Tabernacle situé dans la ville de Shiloh, bien après la mort de Josué.

    Et à plus forte raison, continue-t-il, s’il était encore en vie lors de l’épisode de Yifta’h et son serment délictueux de consacrer sa fille après sa victoire contre les ‘Ammonites ; épisode qui a eu cours plus de 300 ans après qu’Israël se soit établi dans Hechbon et ses dépendances et dans lequel Pinh’as n’a pas voulu se rendre auprès de Yifta’h afin de le délier de son serment.

    Et, termine le Sforno*, cette longévité apparait clairement selon l’opinion confondant Pinh’as à Eliahou le prophète, qui a quitté notre histoire sous les yeux de son disciple Elisha, mais qui demeure encore vivant et présent et confortant ainsi la théorie sur l’immortalité de Pinh’as.

    Il en ressort que Pinh’as le zélateur, a montré la voie en réconciliant Israël et son créateur dans un moment particulièrement critique. Il s’est enflammé pour venger l’honneur de Dieu à Sa place ; mais, c’est animé d’un amour incommensurable pour ses semblables, un amour de la paix entre les hommes et avec Leur créateur qu’il a agi exceptionnellement en zélateur.

    En réconciliant ainsi Dieu et Son peuple et en dissipant Sa colère, il va rapprocher deux contraires, l’homme et la mort, signe absolu de la colère divine envers ce dernier.

    Il a donc mérité une longévité exceptionnelle, qu’il a mis à contribution de son peuple en se consacrant pleinement à la recherche de la paix tel son grand-père Aharon et qu’il continuerait, sous l’identité du prophète Elie, à patronner chaque entrée dans l’Alliance de Avraham notre père à la recherche d’un successeur à même de pérenniser son combat pour la paix pour finalement assurer son rôle de précurseur de l’époque Messianique, en rapprochant les cœurs des enfants vers Leur père et ainsi, d’accompagner le Messie à nos portes.

     

    Elie DAYAN

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    בקנאו את קנאתי בתוכם שעשה נקמתי לעיני כולם כדי שבראותם זה ולא ימחו יכופר על אשר לא מיחו בפושעים ובזה השיב את חמתי מעליהם

    את בריתי שלום ממלאך המות כענין עושה שלום במרומיו כי אמנם ההפסד לא יקרה אלא בסבת התנגדות ההפכים וזה אמנם נתקיים בפינחס שהאריך ימים הרבה מאד מכל שאר אנשי דורו עד שהיה הוא משמש במשכן שילה בזמן פלגש בגבעה שהיה בלי ספק אחרי מות יהושע ושאר הזקנים אשר האריכו ימים אחרי יהושע וכל שכן אם היה בזמן יפתח שכתב למלך בני עמון בשבת בני ישראל בחשבון ובבנותיה כו » שלש מאות שנה וכבר ספרו ז''ל שפינחס לא רצה ללכת אז אל יפתח להתיר נדרו וכל שכן לדברי האומר אליהו זה פינחס והוא עדיין חי וקיים

  • Le libre arbitre de Bilaam

      Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Qui sont ces hommes ? Le libre arbitre de Bilaam

     

    Bilaam est sans doute le personnage principal de notre paracha. Prophète des nations, il est présenté, dans la littérature talmudique, de manière extrêmement négative. Il est ainsi écrit dans Pirkei Avot 5, 20 que « tous ceux qui ont un mauvais œil et un esprit orgueilleux sont les disciples de Bilaam le méchant ».

    Et pourtant, dans notre paracha, et tout particulièrement à travers le commentaire de Sforno, se dégage un aspect plus complexe de Bilaam et en particulier de sa relation à Dieu.

    La paracha commence lorsque Balak, roi de Moav, ayant entendu que Sihon roi des Emoréens a été battu par les Hébreux, et ne voulant pas combattre, fait appel à Bilaam pour qu’il maudisse les enfants d’Israel. Les Sages, et Sforno s’accordent pour dire que Bilaam n’a pas le pouvoir de bénir ou maudire mais de rappeler une faute ou de définir précisément le moment où Dieu se met en colère. [1]

       Bilaam demande à Dieu l’autorisation de maudire les enfants d’Israël et c’est le dialogue qui se noue qui va retenir notre attention.

    En ouverture de ce dialogue, Dieu demande à Bilaam, à propos des envoyés de Balak, « Qui sont ces hommes » ?

     

    Question étonnante. Dieu n’est Il pas omniscient ?

    Rachi et Sforno proposent deux explications différentes. Et pourtant, elles mettent toutes les deux en avant le libre arbitre de Bilaam.

    Selon Rachi, c’est pour l’induire en erreur. « C’est donc, a pensé Bilaam, qu’il Lui arrive de ne pas tout savoir et de n’avoir pas toujours parfaitement conscience de la réalité ! Je vais donc faire en sorte de trouver un moment approprié pour maudire sans qu’il s’en rende compte »[2].

    De fait, le but de cette question serait de restaurer le libre arbitre de Bilaam. En lui faisant croire que Dieu ne sait pas qui sont ces hommes, Il lui donne la possibilité de choisir librement, sans contraintes. Cette explication rappelle celle que donne Sforno à propos de l’endurcissement du cœur de Pharaon.  Si Dieu renforce le cœur de Pharaon, c’est pour l’aider à surmonter les impressions écrasantes liées aux plaies et à choisir sans être « impressionné ».

    L’explication de Sforno, à la question « Qui sont ces hommes ?», est différente et, pourtant, elle parle aussi de libre arbitre.

    « Qui sont ces hommes ? » demande Dieu. Pour Sforno, la question est : « Qui sont-ils pour toi (..) ? Les considères tu réellement comme ceux qui veulent connaitre l’avenir que tu cherches donc à connaitre afin de pouvoir le leur divulguer ? Ou les considères tu comme cherchant à atteindre un certain objectif par le biais de ta malédiction et ton intention maintenant est de demander ma permission pour satisfaire leur requête ? » [3]

    Tu n’iras pas avec eux, conclu-t-Il.

    A la demande de Balak, Bilaam demande une nouvelle fois la permission d’aller maudire les enfants d’Israël. Et Dieu lui répond ׃

    « Si ces hommes sont venus t’appeler lève-toi va avec eux (…) mais uniquement la chose que je te déclarerai celle-là tu feras ».

    On a là une réponse très « pédagogique », très expliquée.  Dieu n’a pas changé d’avis, Bilaam ne peut pas aller pour maudire. Par contre, il a la permission d’accompagner ces hommes pour leur donner conseil et les empêcher de maudire[4].

    On comprend mieux la suite. Bilaam part avec les deux envoyés et Dieu se met en colère. Car dit, Sforno, il allait de son propre chef comme quelqu’un un d’intéressé qui défie la volonté de Dieu.  L’explication repose sur le verbe aller. Dieu dit קום לך אתם : va avec eux, accompagne-les, suit les. Mais, ensuite le texte dit de Bilaam ; כי הולך הוא. Il allait de son propre chef animé d’une volonté propre, donc, de maudire. Bilaam n’a pas pris en compte la réponse pourtant très détaillée. Il ne pouvait partir que pour donner des conseils avisés et non maudire[5].

    Et lorsque l’ange l’arrête, c’est encore une fois pour l’empêcher de maudire mais non de faire de la divination. Et si pour l’interpeller, Dieu a recours à un signe extraordinaire : l’ânesse qui parle, tout cela, dit Sforno, c’est pour que Bilaam puisse se ressaisir pour se repentir.

     

    A ce stade, on ne peut être qu’étonné de tant de « prévenances ». On a là Bilaam Haracha. Celui qui ne veut pas entendre la parole divine, qui la déforme. Qui n’en fait « qu’à sa tête ». Dieu aurait tout simplement pu l’empêcher de partir. Or Il lui laisse constamment le choix, la possibilité de se ressaisir.

    La réponse de Sforno, toute en brièveté, donne une ampleur particulière au personnage. « et tout cela [est arrivé] pour qu'un homme [un prophète] comme lui ne disparaisse pas »[6].  Si Dieu a doté l’ânesse de la parole, Il peut la reprendre à sa guise. De même, Il pourrait priver Bilaam de parole (prophétique). 

    Il est bien écrit dans le Sifri [7]que Bilaam est, pour les nations, l’égal de Moche.  Et, explique Sforno, il est traité comme tel. On ne prive pas un tel homme de son libre arbitre. Jusqu’au bout Dieu donne la possibilité à Bilaam de choisir la bonne voie. Il l’avertit. Dieu fait preuve finalement d’une très grande patience.

    Et pourtant, malgré les différents avertissements, Bilaam choisit de maudire les enfants d’Israël. Et c’est alors que Dieu intervient et ne le laisse dire que des bénédictions. Non pas, disent les Sages, de peur que ces malédictions ne s’accomplissent. Mais de peur que, si certaines paroles se réalisaient, on puisse lui en attribuer la cause[8]. Car, encore une fois, Bilaam n’a pas le pouvoir de maudire mais de percevoir les moments où Dieu est en colère contre les enfants d’Israël.

    Bilaam est un personnage négatif. Prophète des nations, capable de percevoir les faiblesses des enfants d’Israël, c’est lui qui, finalement, conseille aux femmes de Moav de séduire les enfants d’Israël, chute dramatique qui clôt cette paracha. On retiendra, tout de même, de l’explication de Sforno, cette leçon : un tel homme a, comme tous, un libre arbitre. A chaque instant, Dieu lui offre la possibilité de choisir la bonne voie. De même que l’endurcissement du cœur de Pharaon ne le prive pas de son libre arbitre. De même, le dialogue entamé a pour but de permettre à Bilaam de prendre la bonne décision.

     

    Noémie LEBEN 

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    [1] (ספורנו במדבר פרק כב, פסוקו ) אשר תברך מבורך ׃ הבה כחו לא היה לברך אבל היה לקלל בהזכיר עון, או בכון שעה כדברי רבותינו ז״ל (ברכות ז,א).

     

    [2] (רש״י במדבר פרק כב֪פסוק ט) מי האנשים האלה עמך׃ להטעותו בא... אמר פעמים שאין הכל גלוי לפניו אין דעתו שוה עליו אף אני אראה עת שאוכל לקלל ולא יבין 

    [3] (ספורנו במדבר פרק כב֪פסוק ט) מי האנשים האלה עמך ׃ מי הם אצלך שהכינות עצמך לנבואה לדעת מה תעשה להם, האמנם הם אצלך כשואלי עתידות ותרצה לדעתא העתיד למען תגיד להם או הם אצלך כמבקשים להשיג איזה מכון בקללתך, ודעתך עתה לשאל רשות אם תעשה חפצם.                                        

    [4]אם לקרוא לך באו האנשים ׃ אם להועץ עמך בלבד((ספורנו במדבר פרק כב֪פסוק כ)

     קום לך אתם׃ להזהירם שלא יחטאו

    [5] (ספורנו במדבר פרק כב֪פסוק כב) כי הולך הוא ׃ שלא היה ענינו בדרך  כמי שיוליכוהו אחרים, כענין ײויקם אחריהײ, אבל היה ײהולך הואי כבעל דבר, וכמשתדל נגד רצון האל יתברך, כי לא באו לקרוא לו לעצה כלל.       

    [6] (ספורנו במדבר פרק כב֪פסוק כח) ויפתח ה׳ את פי האתון ׃ נתן בה כח לדבר, כענין ײה׳ שפתי תפתחײ (תהלים נא,יז), וכל זה היה כדי שיתעורר בלע לשוב בתשובה,בזכרו כי מה׳  מענה לשון גם לבלתי מוכן,כל שיוכל להסירו מן המוכן כרצונו,  וכל  זה כדי שלא יאבד איש כמוהו

    [7] ספרי זאת הברכה 16

    [8] Rabbénou Be’haye, Rav Chlomo Astruk

  • Un peuple uni dans le service de Dieu ?

      Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

      

    Un peuple uni dans le service de Dieu ?

     

    Le Sforno commence son commentaire sur la paracha Béa’alotékha par une explication sur la symbolique de la Ménorah :

     La septième branche du chandelier est la branche intermédiaire et la principale. Vers elle se tournent les six autres branches. Une fois que leurs flammes l’atteignent, alors la lumière peut se répandre sur tout Israël. Les branches de droite représentent les tenants d’une recherche de la vie éternelle. Celles de gauche représentent les partisans d’une vie ‘pour l’instant’. Ce n’est que lorsque ces caractères extrêmes parviennent à se rejoindre que l’harmonie, symbolisée par l’épanchement de la lumière, peut alors exister entre le peuple d’Israël et Dieu.

    Pour comprendre l’idée de cette nécessaire osmose entre les représentants de la vie éternelle et ceux de la vie pour l’instant, un passage du Talmud est cité : « S’il n’y avait les feuilles, les grappes ne tiendraient pas »[1]   Israël est comparé à la vigne. Les érudits en Torah sont comparés aux grappes, qui constituent l’essentiel de vigne ; et les ignorants aux feuilles. Or les feuilles permettent de protéger les grappes de la chaleur du soleil et des vents violents. Les grappes ne pourraient subsister sans elles. Ainsi les érudits en Torah qui s’investissent continuellement dans l’étude ne pourraient subsister sans les ignorants qui travaillent la terre et la font fructifier, permettant ainsi à tous d’en profiter. C’est pourquoi les érudits prient pour les ignorants. Les uns ont donc besoin des autres… bien qu’opposés.

    Certes, l’union est ici de nature utilitaire, pragmatique. Mais dans une société si sujette au renfermement sur soi, la conscience de la nécessité d’autrui n’est-elle pas un idéal à atteindre ? Tel était d’ailleurs l’engagement des Bné-Israël lors du don de la Torah : « Alors tout le peuple répondit : ce qu’Hachem a dit, nous le ferons » (Shémote 19, 8). L’emploi de la première personne du pluriel par tout le peuple indique selon le Sforno l’aveu que l’accomplissement de la volonté divine doit nécessairement passer par une union des forces contraires.

    Dans un second temps, notre auteur va travailler cette idée d’une union-nécessité à propos de la suite des versets, rappelant que la tribu de Lévy remplace désormais les premiers-nés dans le service du Temple. Si les premiers-nés étaient originairement choisis en raison de la place d’honneur dont ils jouissaient au sein du foyer paternel, les Léviim sont désormais privilégiés car ils ont montré leur investissement pour Hachem au moment de punir les auteurs du veau d’or (Shémote 32, 26). Cependant, ils ont été choisis « du sein des bné-Israël », ce qui signifie qu’il appartient au reste du peuple de subvenir à leurs besoins afin qu’ils puissent accomplir leur tâche sacrée.

    Or une fois encore, l’aide fournie à l’autre est de nature pragmatique : Le peuple subvient au besoin de ceux qui s’investissent dans le service de Dieu, car l’accomplissement de ce service divin permet de leur apporter l’expiation de la faute du veau d’or, ayant provoqué le renvoi des premiers-nés de leur tâche initiale. Ainsi chacun a besoin de l’autre.

    Pour résumer, dans ses commentaires sur les deux premiers sujets de notre paracha, le Sforno développe une seule et même idée avec deux exemples différents. Dans le premier exemple, ceux qui étudient la Torah (les tenants d’une recherche de la vie éternelle) sont obligés de composer avec ceux qui préfèrent voir la vie professionnelle comme une fin en soi (les tenants de la vie pour l’instant). Dans le second, les Léviim ont besoin de l’argent (maasser) du peuple pour vivre au service de Dieu, le dit-service consistant à prier pour ses derniers…

    Il est sûrement aussi dur pour l’érudit en Torah de concevoir que l’ignorant puisse avoir une utilité ; que pour le travailleur de concevoir l’intérêt d’un temps complet dans l’étude (koulo kodech)… Mais n’oublions pas que le Sforno décrit avant tout un idéal : celui d’une Ménorah allumée et déversant sa lumière sur tout Israël.

     

    Yona GHERTMAN

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : 

    ספורנו במדבר פרק ח

    אל מול פני המנורה. שהוא הקנה האמצעי וזה כשתפנה שלהבת כל אחד מהששה נרות אל הקנה האמצעי: אז יאירו שבעת הנרות. כל השבעה יאירו וישפיעו אור עליון לישראל שיורו היות אור הימנים ואור השמאלים מכוון ופונה אל אור הקנה האמצעי שהוא עיקר המנורה ושכן ראוי שכונת המימינים העוסקים בחיי עולם והמשמאלים העוסקים בחיי שעה העוזרים למימינים, כאמרם אלמלי עלייא לא מתקיימי אתכליא (חולין צב, א) תהיה להפיק רצון האל יתברך באופן שיושג מכוונו בין כולם וירוממו את שמו יחדו כמו שקבלו עליהם כאשר העיד באמרו ויענו כל העם יחדו ויאמרו כל אשר דבר ה' נעשה (שמות יט, ח) כלומר בין כולנו נשלים כונתו:

    (ד) וזה מעשה המנורה מקשה. וזה התכלית בעצמו המכוון בהדלקת הנרות אל מול פני המנורה הוא בעצמו מכוון בענין חיוב היות המנורה מקשה להורות האחדות המכוון לתכלית אחד בעצמו:

    (יד) והבדלת את הלוים. תבדיל בחנייתם את הלוים אשר הם חיים עדנה:

    והיו לי הלוים. הם וזרעם יהיו נכונים לעבודתי:

    (טו) ואחרי כן יבאו הלוים. ההוים עתה:

    (טז) כי נתונים נתונים המה לי. נתונים מעצמם שנתנו את עצמם לעבודתי כמו שהעיד באמרו מי לה' אלי ויאספו אליו כל בני לוי (שמות לב, כו). ונתונים גם כן:

    מתוך בני ישראל. שיתנו מחית הלוים במעשר ראשון חלף עבודתם למען תהיה עבודתי נעשית בין כולם:

    תחת פטרת כל רחם. שהיתה העבודה מוטלת עליהם:

    (יז) כי לי כל בכור. שהיתה מקדם העבודה בבכורות מפני היותם הנכבדים בביתם ולהם משפט העבודה:

    ביום הכותי כל בכור... הקדשתי. אבל מה שהצרכתי אותם לפדיון היה הטעם בשביל שביום הכותי הקדשתים לי שלא יתעסקו בעבודת הדיוט כלל כמו שאסרתי גיזה ועבודה בבכור בהמה וזה עשיתי כדי להצילם בתורת הקדש שלא היו ראויים להנצל מנגעי משלחת מלאכי רעים בהיות הם הנכבדים בעם וקולר כולם תלוי בהם ואמרתי שיפדו כדי שיצאו לחולין בזה שיהיו מותרים בעבודת הדיוט:

    (יח) ואקח את הלוים תחת כל בכור. באותו הדור בלבד כמבואר למעלה:

    (יט) ואתנה את הלוים. ומאחר שהם נתונים מעצמם לעבודתי נתתים לעבודתי לאהרן ולבניו:

    לעבוד את עבודת בני ישראל באהל מועד. לעבוד אותה העבודה שהיתה ראויה לבכוריהם:

    ולכפר על בני ישראל. בקבלם את המעשרות מישראל כדי שיוכלו לעבוד את האל יתברך יכפרו על ישראל שגרמו כולם בעגל שאמאס את בכוריהם:

    ולא יהיה בבני ישראל נגף. בלויים ובשאר ישראל:

    בגשת בני ישראל אל הקדש. שבזה יחטאו הזרים הנגשים והלוים שיניחו את הזרים לגשת ויתחייבו כולם כענין אמרו ולא ימותו גם הם גם אתם (להלן יח, ג):

     

    [1] TB ‘Houlin 92a. L’explication qui suit reprend essentiellement le texte de la Guemara avec le commentaire de Rachi.

  • La femme Sota, selon le Sforno

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Parashat Nasso – La femme Sota

     

    Le processus de la femme sota est largement et strictement codifié par nos Sages dans un traité entier du Talmud.

    De manière schématique, nos Sages ont énuméré trois étapes dans le processus :

    • Kinouy : le mari épris de jalousie, interdit à sa femme de s’isoler avec telle ou telle personne.
    • Stira : L’épouse ne tient pas compte de l’interdit de son mari et s’isole avec ladite personne.
    • Toum’at bi’a : le mari soupçonne sa femme d’avoir fauté avec ladite personne.

    Ces trois étapes passées, le mari emmene la femme au Temple afin de procéder au cérémonial de la Sota.

    Si ces trois étapes sont clairement établies dans le Talmud, les versets de notre parasha décrivant le déroulement des évènements ne semblent pas du tout décrire une telle chronologie.

     

    Chapitre V :

    12 "Parle aux enfants d'Israël et dis-leur: Si la femme de quelqu'un, déviant de ses devoirs, lui devient infidèle;

    13 si un homme a eu avec elle un commerce charnel à l'insu de son époux, et qu'elle ait été clandestinement déshonorée, nul cependant ne déposant contre elle, parce qu'elle n'a pas été surprise,

    14 mais qu'un esprit de jalousie se soit emparé de lui et qu'il soupçonne sa femme, effectivement déshonorée; ou qu'un esprit de jalousie se soit emparé de lui et qu'il soupçonne sa femme, bien qu'elle n'ait point subi le déshonneur,

    15 cet homme conduira sa femme devant le pontife, et présentera pour offrande, à cause d'elle, un dixième d'épha de farine d'orge; il n'y versera point d'huile et n'y mettra point d'encens, car c'est une oblation de jalousie, une oblation de ressouvenir, laquelle remémore l'offense.

     

    Commençons par le verset 13. Le verset dit clairement que la femme a trompé son mari ! Or, selon nos Sages, à aucune étape il n’y a eu faute avérée – la parasha de Sota ne parle que de soupçons ! De quelle « commerce charnel » parle le verset ? Rashi, sensible à ce problème, est « obligé » de repousser chronologiquement ces quelques mots : il s’agit selon lui de la troisième et dernière étape : le mari soupçonne sa femme d’avoir fauté lorsque celle-ci a enfreint son interdit de s’isoler avec telle ou telle personne.

    Ainsi Rashi introduit deux éléments : il s’agit de soupçons et ces soupçons sont chronologiquement après le verset 14.

    Sforno propose quant à lui une autre lecture de ces versets ! Cette lecture a en cela d’innovant qu’elle réussit à lier la tradition de nos Sages avec la chronologie apparente des versets.

    12 "Parle aux enfants d'Israël et dis-leur: Si la femme de quelqu'un, déviant de ses devoirs, lui devient infidèle

    Le Sforno explique ici « lui devient infidèle » - « Il ne s’agit pas d’adultère au sens strict du terme, mais caresses et baisers ». Non pas un amour platonique, mais sans sexualité au sens strict du terme non plus.

    La femme dont nous parle la parasha, commence donc, bel et bien à tromper son époux.

    13 si un homme a eu avec elle un commerce charnel à l'insu de son époux, et qu'elle ait été clandestinement déshonorée, nul cependant ne déposant contre elle, parce qu'elle n'a pas été surprise,

    Ce verset qui a posé problème à Rashi est expliqué autrement par le Sforno. Selon lui, il y a bel et bien eu adultère ! Le mari ne le sait pas ! Il soupçonne sa femme, lui interdit par la suite de s’isoler ; mais il ne sait pas qu’il y a déjà bel et bien eu adultère.

    Cela voudrait-il dire que la parasha de Sota ne concerne que des cas de tromperie avérée ? Cela, le Sforno ne peut le soutenir. C’est pour cela qu’au verset 14 :

    …ou qu'un esprit de jalousie se soit emparé de lui et qu'il soupçonne sa femme, bien qu'elle n'ait point subi le déshonneur,

    Il commente en expliquant que ce verset envisage la seconde possibilité : le mari est rongé par la jalousie, mais il n’y a pas eu d’adultère à proprement parler.

    Ce court commentaire du Sforno nous semble innovant à deux niveaux. Tout d’abord, le brio avec lequel le Sforno réussit à lier une lecture des versets avec la tradition orale relève ici de la prouesse !

    Mais surtout, il nous semble qu’il déplace le problème de la femme Sota. Le cas que la Torah decrit en premier lieu est bien un cas d’adultère . Adultère non prouvable mais adultère tout de même ! Nous ne sommes donc pas dans un premier lieu dans le cas d’un mari mangé par la jalousie et la paranoïa rendant la vie impossible à sa femme. Le cas des soupçons infondés est bien entendu envisagé par la Torah (et est aussi couvert par les lois de la Sota), mais il ne s’agit que d’un second scénario qui n’occupe que la moitié d’un troisième verset….

     

    Benjamin Sznajder

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : 


    {יב} כי תשטה אשתו. תסטה מדרכי צניעות: ומעלה בו מעל. חללה את קדש ה' אשר אהב בקדושי האישות כחבוק ונשוק זולת אישה ודומיהם
     

    {יג} ושכב איש אותה. שכן דרכו של יצר הרע לצאת מרעה אל רעה: ונעלם מעיני אישה. אף על פי שקדמו כל אלה יקרה שיהיה הדבר נעלם מעיני אישה כאילו תכהינה עיניו מראות שאם היה יודע ושותק לא היו המים בודקין את האשה כלל כמו שביארו ז''לונסתרה. אחר כל אלה ונודע זה לאישה
     

    {יד} ועבר עליו רוח קנאה. רוח טהרה להתרות בה מאחר שידע ששטתה מדרכי צניעותוקנא את אשתו. התרה בה ואמר אל תסתרי עם איש פלוניאו עבר עליו רוח קנאה. רוח שטות בלתי סבה ראויה שיקנאוהיא לא נטמאה. אבל אם עברה על התראתו ונסתרה אף על פי כן

  • Bamidbar, un abri au cœur du monde

       Cycle : la paracha selon le Sforno* 

            Sforno 1           

    Bamidbar, un abri au cœur du monde

     

    L’expérience de l’existence peut être vécue comme l’expérience première du jeté au monde. Perdus dans un monde hostile, nous sommes en recherche d’un refuge. Le livre de Bamidbar est traversé par cette problématique.

    En effet, dès son premier verset, le premier de la Paracha, on constate une rupture dans l’adresse de la parole divine. « L’Éternel parla à Moshé, dans le désert de Sinaï, dans la Tente d’assignation, le premier jour du deuxième mois de la deuxième année après leur sortie du pays d’Egypte ». Habituellement, nous avons le classique « Dieu parla à Moshé en disant » וידבר ה׳ אל משה לאמר où, entre la parole de Dieu et son dire, il n’y a qu’une circonstance humaine : un homme qui porte le nom qu’on lui a donné – Moshé. Cela indique que l’être humain est déterminé par un autre que lui : il est créature. Mais là, dans Bamidbar, voici qu’il faut ajouter deux circonstances spatiales et une circonstance temporelle. La circonstance temporelle est exclusivement due à l’action divine, puisque pour qu’il y ait un calendrier comptant les jours, les mois et les années après la sortie d’Egypte, il a fallu que Dieu libère d’Egypte les Enfants d’Israël. Autrement dit, le temps échappe intégralement à l’être humain et n’est conditionné et déterminé que par Dieu[1]. Pour ce qui est de la première circonstance spatiale, le désert, elle reçoit, tout comme les êtres humains, son nom d’un autre qu’elle (ce sont les humains qui donnent un nom au désert) et malgré des frontières définies, son territoire demeure inconnu[2]. D’une certaine manière, l’expérience de l’existence humaine est l’expérience du désert : tout lui semble hostile parce qu’inconnu et indéterminé. Il faut alors s’abriter dans une tente, qui est un objet créant au cœur du désert un espace en y découpant un lieu individuel. Ce qui nous amène à la seconde circonstance spatiale : la Tente d’assignation, lieu de rencontre entre Dieu et l’homme, désigné par Dieu et construit par l’homme. Une rencontre au cœur du désert pour échapper à son étrangeté. Littéralement, c’est l’expérience des Enfants d’Israël au début de Bamidbar. Et l’on sait que ce livre est le récit de leur errance tant géographique qu’existentielle. Car ils sont un peuple qui ne s’est pas autodéterminé[3]

    L’enjeu est donc tout autant individuel que collectif car il ne faut pas se perdre dans l’indétermination et devenir un peuple de sable. Sforno y fait allusion dans son commentaire sur le deuxième verset. Ce verset énonce l’injonction de recenser les Enfants d’Israël : « Faites le relevé de toute la communauté des Enfants d’Israël, selon leurs familles et leurs maisons paternelles, en comptant le nom de tous les mâles, par tête.[4] » Et Sforno de préciser que ce compte n’était pas pour préparer la guerre[5]. Ce point laisse entendre que si aucune guerre n’était prévue, il y avait sans doute l’apparence de ce qui serait un recensement pour la conscription. Il y a bien une mobilisation générale, mais la guerre est d’ores et déjà déclarée : le désert est hostile, le peuple ne doit pas s’effacer dans les sables mouvants de l’indétermination.

    À deux reprises, Sforno va montrer à quel point, il y a effort de détermination. D’abord, dans la suite de son commentaire sur ce verset, où il affirme que dans cette génération, les noms étaient corrélés avec le caractère propre de chaque individu, voire donnait à l’individu son caractère[6]. On peut entendre cette idée aussi bien positivement que négativement. Positivement, cela veut dire que l’être humain n’est pas indéterminé, il a un nom qui est une puissance d’exister. Négativement, cela enseigne que le caractère est reçu, subi, et qu’il ne dépendrait alors pas de nous. C’est pourquoi, au terme des versets du recensement, « Tel fut le dénombrement opéré par Moshé et Aharon conjointement […] »[7], il explique que Moshé et Aharon ont compté eux-mêmes chaque membre du peuple[8]. En un mot : chaque membre du peuple a été arraché à la multitude par le dépositaire de la parole divine et par celui qui est le plus proche de la sainteté. Il y a donc un enjeu de visibilité. Pour être vu de Moshé et Aharon, il faut être à portée de regard, à proximité d’eux. Ce sont les deux êtres humains qui ont le plus de rapports avec la Tente d’assignation. Toutefois, il ne s’agit pas de dire que, pour échapper à l’hostilité du monde, il faut se rapprocher des porteurs de lumière ou des individus remarquables, cela serait trop paresseux, et l’on associerait une double-impuissance : celle face à notre caractère et celle qui nous pousserait à déléguer le soin de notre destin à d’autres que nous-mêmes.

    Non, il convient de prendre exemple sur la tribu de Lévi, qui, campant au plus près du Mishkan, est, explique Sforno, séparée du recensement du peuple, parce que leurs fonctions au sanctuaire les mettent du côté du recensement du sacré[9]. En d’autres termes, la tribu de Lévi, n’est pas reconnue par son nom, c’est-à-dire par le caractère qu’elle reçoit d’un autre, mais par les actes qu’elle accomplit au quotidien. C’est précisément parce qu’ils se déterminent par leurs actes qu’ils se situent au plus près de la Tente d’assignation - lieu qui fait échapper à l’hostilité du monde parce qu’il associe Dieu à notre existence. Parce que le commandement divin nous ordonne de nous protéger du désert. De ce point de vue, en accomplissant le commandement divin, on se ménage un abri au cœur du monde.

     

    Jonathan Aleksandrowicz

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : Cf. notes. 


    [1] Le calendrier part également de la création du monde, acte divin. Encore une fois, Dieu est la condition du temps.

    [2] D’un point de vue positif, le rapport au désert peut aussi être cet état ressenti lors de la découverte d’un texte radicalement nouveau. Nous ne traiterons pas ce sujet ici.

    [3] Il faut entendre la référence au droit international.

    [4] שאו את־ראש כל־עדת בני־ישראל למשפחתם לבית אבתם במספר שמות כל־זכר לגלגלתם

    [5] לסדרם שיכנסו לארץ מיד איש על דגלו בלתי מלחמה שאו את ראש 

    [6] במספר שמות כי היה אז כל אחד מאותו הדור נחשב בשמו המורה על צורתו האשיית 

    [7] Chapitre 1, verset 44 : אלה הפקדים אשר פקד משה ואהרן ונשיאי ישראל שנים עשר איש איש־אחד לבית־אבתיו היו

    [8] אלה הפקודים כל אחד מאלו נמנה על ידי משה ואהרן וכו׳

    [9] ואתה הפקד שנית. יהיו נבדלים משאר העם בענין הפקידות כי להם בלבד תהיה פקודת הקודש

  • Et Je marcherai parmi vous

      Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

      

    « Et je marcherai parmi vous »

    « Si vous vous conduisez selon mes lois, si vous gardez mes préceptes et les exécutez,  je vous donnerai les pluies en leur saison, et la terre livrera son produit, et l'arbre du champ donnera son fruit. (…)Je fixerai ma résidence parmi vous, et mon esprit ne se lassera point d'être avec vous; et je marcherai parmi  vous, et je serai votre Divinité, et vous serez mon peuple. »[1]

    Sforno s’étonne de ces expressions ‘fixer ma résidence parmi vous’ et  ‘marcher parmi vous’ attribuées à Dieu, que peuvent-elles dire ?

    A la fin de la Révélation du mont Sinaï[2], Dieu disait « en quelque lieu que je fasse invoquer mon nom, je viendrai à toi pour te bénir.  Si toutefois tu m'ériges un autel de pierres, ne le construis pas en pierres de taille ». Quel est l’intérêt de cette phrase puisque de toute façon lorsque le Temple est érigé, il n’est pas question d’ériger d’autres autels[3] ? C’est que cette injonction avait sa place avant la faute du veau d’or. Le veau d’or signifiait l’atavisme juif pour l’idolâtrie : pour s’opposer à cette tendance, Dieu institutionnalise son culte, prévoit tous les détails en matière de service religieux, verrouillant au maximum les élans spontanés du cœur source des glissades polythéistes. Il ordonne la construction du temple du désert. En quelque sorte Dieu se lit à un lieu. C’est le sens du verset ‘ils feront un Temple afin que je puisse résider parmi eux’[4]. Insistance pour dire que la Parole ne s’adressera qu’en ce lieu : « c’est là-bas que je donnerai rendez-vous aux enfants d’Israël »[5]. ‘Marcher parmi’ signifie une proximité qui ne s’embarrasse pas des conventions ; or la Torah est formelle tant que le Temple est sur pied, il n’est pas question de permettre la présence d’autels particuliers. Comment résoudre ce problème ? Le Sforno ose une lecture : les versets qui indiquent une telle proximité n’ont pas pour objet le séjour régulier des juifs en Israël, ils parlent des temps messianiques !

     Sforno veut montrer qu’en ces temps bénis, plus besoin d’un Temple pour médiatiser la relation entre Dieu et les hommes. A ce moment-là Dieu sera une divinité pour son peuple. Cet état existait avant la rupture du veau d’or, c’est celui atteint par le peuple sur le mont Sinaï.

    A la fin du livre de Dévarim, Dieu établit aussi le peuple juif comme son peuple[6]. Cependant la visée n’y est pas du tout messianique : elle vient encourager l’adhésion du peuple juif aux commandements tels qu’ils s’énoncent dans la Torah après la faute du veau d’or. Régime d’existence du peuple juif avec son Temple, c’est-à-dire dans la langue du Sforno, dans des temps où la pulsion idolâtrique menace. Les lieux d’étude et les synagogues en exil occupent la même fonction, comme le montre le Sforno dans son commentaire[7] du dernier verset de la section de Béhar qui désigne ces lieux sous le nom de ‘petit temple’[8].

    Le Sforno n’attend pas des temps messianiques une suspension des sacrifices comme le voudrait Maïmonide dans son Guide des Egarés ; délivrés de la pulsion idolâtrique, les sacrifices acquièrent leur signification propre : un lien personnel avec le créateur, à l’abri des regards, humble autel fait de pierres ramassées.

    Le Sforno relève la stratégie de détournement de l’idolâtrie par l’institutionnalisation du culte sous forme de sacrifices ou de prières. Reste à comprendre le ressort de ce phénomène. Hasardons-nous à une explication : institutionnaliser le rapport de l’homme à son Dieu, c’est l’estimer trop peu mature pour en éviter les travers. Quels sont-ils ? Le contact avec le divin libère des puissances chez l’homme. Puissances trop fortes, puissances qui ne se domptent que par une forme d’humanisation que constitue l’institution[9].

    Franck Benhamou.

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

     

    ספורנו ויקרא פרק כו פסוק יא

    (יא) ונתתי משכני בתוככם. תשרה שכינתי בתוככם בכל מקום שתהיו כמו שיעד קודם העגל באמרו בכל המקום אשר אזכיר את שמי אבא אליך (שמות כ, כא):

    ספורנו ויקרא פרק כו פסוק יב        

    (יב) והתהלכתי בתוככם. ענין המתהלך הוא ההולך אנה ואנה לא אל מקום אחד בלבד. אמר