La Parasha d'après le Netsiv - Matot-Maassé
- Par yona-ghertman
- Le 03/08/2016
- Dans Parasha
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*Cycle : la Parasha selon le Nétisv
La loi des interférences
A la fin de son commentaire sur Bamidbar, le Natsiv fait une remarque qui laisserait sans voix de nombreux commentateurs : il constate que le dernier verset de Bamidbar finit presque de la même façon que celui de Vayikra . « Voici les commandements que Dieu a ordonné à Moïse aux enfants d'Israël sur le mont Sinaï »[1] clôt le livre de Vayikra. A la fin de Bamidbar, le peuple a migré et se trouve sur les plaines de Moav, le verset dit alors « voici les commandements et les lois que Dieu a ordonné par la main de Moïse aux enfants d'Israël dans les plaines de Moav, sur le Jourdain »[2]. Les différences sont minces, et le lecteur pressé se dit qu'il faut bien conclure. C'est très mal connaître le Netsiv qui va tirer partie des deux différences qu'il a exhibées pour les éclairer mutuellement.
Le terme employé en plus dans Bamidbar est le terme de michpatim (lois). « Mais le livre de Vayikra n'est-il lui même pas rempli de lois ? » questionne l'auteur. Pour comprendre la question à un second degré, il faut se rappeler que traditionnellement les lois (michpatim) s'opposent à décrets ('houkim) : ces derniers visant plutôt les lois qui semblent étrangères à l'entendement, telles que la purification des gens en contact avec les morts, ou les mélanges interdits de laine et de lin, les michpatim visant les interdits de vol, de meurtre, ou généralement tout interdit avec lequel l'intelligence se trouve en terrain conquis. Or, fait remarquer notre auteur, il existe aussi des michpatim dans Vayikra ! Comment justifier alors ce mot en plus, laissant penser qu'il n'y a de michpatim que dans le livre de Bamidbar ?
Le deuxième terme employé en plus c'est la mention de Moïse comme médiateur, en l'usage du mot « par la main de Moïse ». On aimerait retrouver chez les modernes un tel souci du détail interprétatif, mais c'est en vain qu'on essaierait : on préfère interpréter le texte à la lueur de son idée centrale, c'est la moindre des choses pour les textes non révélés. Pour un texte donné par Dieu, toutes les ruses interprétatives sont possibles et même requises. Comme on va le voir.
En effet, le Netsiv va mettre ces deux remarques en rapport avec un texte talmudique très énigmatique[3] : « La Torah n'a été donnée qu'à Moïse et sa descendance, mais celui-ci s'est comporté avec générosité, et la céda à l'ensemble d'Israël ». Le talmud s'étonne, pose des questions et conclut : « en réalité ce qu'il céda à Israël c'est la faculté de raisonner pour produire les lois de la Torah ». De quoi s'agit-il ? La Torah pourrait très bien être un recueil de lois, fini, dont rien ne pourrait s'échapper, nous serions alors contraints devant toutes les questions qui se posent soit à demander au prophète, soit rester dans l'inconnu. C'est la Torah du mont Sinaï. Elle n'est pas exactement celle qui fut donné à Moïse et ses descendants : eux ont eu, en plus de la Torah telle qu'elle est écrite, la capacité de raisonner à partir d'elle et d'utiliser des règles herméneutiques[4]. Lorsqu'une question nouvelle se présente au Sanhédrine, celui-ci a la latitude de les utiliser pour déduire des nouvelles lois de la Torah, ou plutôt de répondre aux nouvelles questions qui ne manquent pas de surgir à chaque génération.
L'audace du Netsiv est d'appeler l'ensemble de ces nouvelles possibilités ouvertes par le nom de michpatim. Ainsi la transition du mont Sinaï aux plaines de Moav est une véritable révolution herméneutique : celle de faire comprendre à un peuple que la Torah est à élaborer à chaque génération[5]. Quarante ans se sont écoulés entre le début de Bamidbar et la fin : quarante pour le comprendre[6].
Si l'on peut parler d'audace herméneutique de la part du Netsiv, c'est qu'il utilise un terme des plus courants pour en redessiner sereinement le contour : ce qui différencie un commandement d'un michpat, ce n'est pas que l'entendement se sente plus à l'aise avec certaines lois qui lui paraissent plus « logiques ». Il n'existe pas de loi logique, et les systèmes de lois essayés par les hommes montrent bien qu'il existe de nombreuses possibilités. Mais plutôt quand on met en tension, qu'on fait interférer et qu'on confronte des lois et des versets, on découvre que chacun éclaire et s'éclaire là où au départ il n'y avait qu'obscurité sur obscurité. C'est un peu ce que fait ici le Netsiv.
* R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)
* Texte :
העמק דבר במדבר פרק לו פסוק יג
יג) והמשפטים. בסוף ספר ויקרא לא כתיב אלא אלה המצות, ולא כתיב והמשפטים, אף על גב שגם בספר ויקרא כתיב הרבה דיני ממונות, אלא משפטים משמע כאן חקירות היוצא מי"ג מדות כדאיתא בסנהדרין דף פ"ז בבאור הכתוב כי יפלא ממך דבר למשפט, ובהר סיני עוד לא ניתן דרך החקירות אלא למשה ולזרעו כדאיתא בנדרים דף ל"ח, ורק בערבות מואב הואיל משה באר התורה כולה על פי דרך הפלפול והחקירות כאשר יבואר ריש ספר דברים, משום הכי כאן שנאמרו בערבות מואב כתיב והמשפטים, דכבר צוה ה' גם על המצות וגם על המשפטים, והיינו דכתיב כאן ביד משה אל בני ישראל. דלשון ביד משה משמעו דברי קבלה שלא נדבר עמו פא"פ אלא בשפע סיעתא דשמיא, כמש"כ כמה פעמים, וע"ע מש"כ בספר ויקרא סוף התוכחה אלה החקים והמשפטים וגו' ביד משה:
[1]Vayikra 27.34.
[2]Bamidbar 36.13.
[3]Nédarim 38. Citation partielle, comme l'usage talmudique le veut, de nombreux versets sont cités pour être interrogés, mais ce n'est pas le propos ici.
[4]Elles sont au nombre de treize, codifiées par Hillel.
[5]Entendons-nous par les maîtres de chaque génération, et non quelques rabbins en manque d'audience.
[6]Certains y mettraient plusieurs vies.
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