Juifs, encore un petit effort !
- Par yona-ghertman
- Le 01/06/2016
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"Juifs, encore un effort !"
Qu’est-ce que la Torah ? Rachi, dès le premier verset nous l’affirme : un ensemble de commandements[1]. Il est donc étonnant de lire sous la plume de ce même auteur qu’il faut « faire des efforts » pour étudier la Torah[2]. Sans doute pour accomplir les commandements il faut les connaitre, mais ne suffirait-il pas d’accomplir ? Dieu réclamerait-il Son quota d’efforts, de temps passé, ou de sueur ? Toute idéologie doit être ingurgitée à haute dose pour qu’elle se maintienne, en est-il pareil pour la Torah ? L’effort est-il le dernier tour le Moïse pour s’assurer de la pérennité de sa loi ?
Une autre question peut-être demandée : n’est-t-il pas écrit que la « Torah est proche de toi »[3] ? Quel est le sens de ces efforts[4] puisque la Torah est si proche ?
L’effort physique ou intellectuel est requis dès lors qu’une résistance apparaît. Avant même d’enjoindre à pratiquer les commandements, un effort est demandé : celui de surmonter le texte ; face à la spontanéité du « nous allons faire puis nous comprendrons », clamé par les juifs au pied du Sinaï, Dieu répond : faite des efforts pour comprendre !
Ainsi le lecteur est invité à substituer le douillet rapport d’allégeance à la Loi –imposé par la sémantique du devoir- par un rapport d’élaboration de la loi, jusqu’à ce qu’elle lui devienne proche. Cheminer avec la Loi, c’est être auprès d’elle, et de converser avec elle, le modèle n’est donc pas celui de la règle bien comprise parce que bien admise, mais celui de la lettre qui se dérobe. Le modèle n’est pas celui d’une compréhension immédiate qui ne serait qu’obtempération aux ordres, mais d’une incompréhension d’un sujet vivant et mesurant la gravité loi.
Les Sages n’accordent que peu de crédit à celui qui dit « je fais puis je comprendrai », comme l’Histoire enseigne à se méfier du soldat docile : taxant la fière proclamation nos pères au pied du mont Sinaï, comme la pire des formes de dérobade, celle qui consiste à se jouer de Dieu[5].
On est alors à peine étonné de lire[6] que Rav Cahana ayant fini d’étudier l’ensemble du Talmud, s’exclame « jusqu’à ce jour je ne savais pas que le texte biblique n’échappait pas à son sens littéral ». Encore fallait-il finir l’ensemble de toutes les gloses imaginables pour s’apercevoir que le sens littéral était là n’attendant qu’à être déterré. Sans doute qu’il fallait beaucoup étudier pour lire à travers l’expression simple qui caractérise la Torah.
Ainsi le talmudiste ne peut qu’être étonné devant l’inutilité de toutes les histoires qui conduisent de la création du monde pour enfin arriver à la révélation des commandements : ils semblent ne porter qu’un sens littéral. Rachi affirme donc qu’il est avant tout destiné –dans un souci d’universalisme (sic)- aux Nations qui semblent y trouver leurs réponses : le texte de la Genèse ne résiste pas assez pour piquer la curiosité.
Que peut-on alors souhaiter de mieux que d’organiser la résistance ? L’homme est né pour l’effort, pour se dépasser –nous dit le Talmud[7]-, encore a-t-il le choix entre le travail physique et l’effort psychique, « heureux celui qui parvient à s’illustrer sur ce dernier »[8]. Tout ce que l’on peut lui souhaiter c’est d’étudier la Torah jour et nuit, tel est le sens de l’invective adressée à Josué alors qu’il prend sur lui l’immense tache qui consiste à conquérir la Terre d’Israël au nom de Dieu : étudier la Torah jour et nuit est à comprendre comme une bénédiction, car la tache religieuse menace à chaque instant d’engloutir l’homme dans sa besogne, fut-elle réclamée par Dieu.
Pour revenir aux questions initiales, les efforts n’ont pas pour but de faire rentrer dans la boite crânienne le petit rouleau blanc, mais plutôt de mettre en crise les mots de la Torah, comme le Maharal le fait remarquer[9], la Torah n’est pas appelée ‘commandement’, mais enseignement ; indiquant le sens d’une trajectoire qui va de l’abstrait au concret, de l’acquiescement béat au cheminement. Peut-être est-ce la seule stratégie pour assurer effectivement la pérennité de la Torah ?
Franck BENHAMOU
[1] Il suit en cela le Talmud qui précise que’ horaa’, signifie « il vous est permis de faire cette chose ». montrant que la Torah vise principalement à instaurer des actions. TB, Horayot 2a.
[2] Rachi sur le début de la paracha de Béhar, Vayikra 26.3.
[3] Dvarim 30.14.
[4] Mise à part la paresse intellectuelle qui consisterait à répondre que le plus proche est le plus loin et vice versa !
[5] מכילתא דרבי ישמעאל משפטים - מסכתא דנזיקין פרשה יג
וכן מצינו באבותינו כשעמדו על הר סיני בקשו לגנוב דעת העליונה, שנאמר +שמות כד ז+ כל אשר דבר יי נעשה ונשמע, כביכול, ונגנב לב בית דין בידן, שנאמר +דברים ה כו+ מי יתן והיה לבבם זה להם; ואם תאמר שאין הכל גלוי וידוע לפניו, תלמוד לומר +תה' /תהלים/ עח לו - לח+ ויפתוהו בפיהם - ולבם לא נכון עמו ואף על פי כן והוא רחום יכפר עון, ואומר +משלי כו כג+ כסף סיגים מצופה על חרש שפתים דולקים ולב רע;
[6] תלמוד בבלי מסכת שבת דף סג עמוד א
אמר רב כהנא כד הוינא בר תמני סרי שנין והוה גמירנא ליה לכוליה תלמודא, ולא הוה ידענא דאין מקרא יוצא מידי פשוטו עד השתא מאי קא משמע לן - דליגמר איניש, והדר ליסבר. Aussi curieux que cela puisse parraître à un pédagogue, la méthode consistait alors à cultiver un rapport au texte comme sans raison.
[7] Sanhédrine 99a.
[8] On remarquera « manger à la sueur de son front » n’est qu’une difficulté à surmonter, et non pas une malédiction ou un destin. Je le disais la Genèse ne les interpelle que pour être dépassée.
[9] Drouch al Hatorah.
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