Deux arbres, la vie, la mort, le bien, le mal...
- Par yona-ghertman
- Le 23/10/2016
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*Cycle : la Parasha selon le Nétisv
Deux arbres, la vie, la mort, le bien, le mal...
La section de Béréchit est pour tout commentateur une gageure : l'histoire qui est racontée est connue de tous, mais elle ne parle plus. On parle d'un Eden disparu, mais à quoi sert-il de disserter sur ce qui n'existe plus ? Le commentaire du Nétsiv sur cette paracha est flamboyant, déployant toutes les ressources de la langue hébraïque ainsi que la richesse de la littérature talmudique, il renouvelle l'interprétation du texte, et n'hésite pas à se mettre en porte à faux avec les commentateurs 'autorisés' ou le Midrash. Ne montrons qu'un fil de ce commentaire.
Le texte parle de deux arbres plantés dans l'Eden : « l'arbre du bien et du mal » ainsi que « l'arbre de la vie ». Il était interdit de manger ou toucheri au premier, alors que du second il n'est dit que peu de choses. Eve consomme de l'arbre sur les conseils du 'serpent' et Adam suit son épouse. A la fin, on retrouve subrepticement le second arbre : l'homme est chassé de l'Eden de « peur qu'il ne porte sa main aussi sur l'arbre de la vie ». On peut poser de nombreuses questions : d'où viendrait une telle crainte ? Si celle-ci est si importante, pourquoi n'était-il pas interdit dès le début d'en prendre ?... Plutôt que de répondre ponctuellement, il vaut mieux raconter l'histoire telle que l'a comprise le Nétsiv, en filigrane, c'est une réflexion sur la notion de vie, sur le sens de l'existence.
Adam, création de Dieu, possède une « âme vivante »ii : ce qui signifie " qu'il est en possession de toutes les capacités possibles pour ce type de créatureiii." Cette plénitude consiste à avoir de l'affection pour son Créateur, jouissant de Sa Présence. C'est l'homme d'avant la faute. Cet homme devient un idéal à atteindre, et certains individusiv sont parvenus à cet état : le gan Eden est donc encore possible. Pour un tel homme, l'arbre de vie n'est pas nécessaire : nourri par 'la lumière de la face divine', comme Moïse sur le mont Sinaï, il vit éternellementv, sans soucivi. L'homme n'est évidemment pas privé de son libre arbitre dans un tel état. S'il mange de l'arbre de 'la connaissance du bien et du mal', il change de régime : il accède à un entendement humain et immanent, comprenant et ressentant ce qui est bon ou mauvais pour lui, mais aussi ce qu'il encourt en transgressantvii. Par cela son action est centrée autour de la crainte de Dieu, l'homme craint pour lui-même. « En cela, il ne jouit pas de Dieu, et ne reçoit pas son salaire de son vivant » ; c'est pour cet homme que Dieu a prévu « l'arbre de la vie et de la mort », sa consommation vient combler une forme de ratage dans le service divin. L'homme devient fini par la conscience de soi, il se détache d'un rapport à Dieu trop évident, trop direct, et c'est par le cheminement long et laborieux qu'il pourra à nouveau y accéder. Une question se pose alors : lorsque Dieu ordonna de ne pas consommer de l'arbre du bien et du mal, n'avait-il pas précisé « car le jour où tu en mangeras, tu mourras »viii, comment alors comprendre qu'Adam n'est pas mort, mais a simplement été chassé de l'Eden ? Le Nétsiv montre que la faute d'Adam n'était pas volontaire, en effet le texteix précise qu'il a été puni d'avoir écouté la parole de sa femme, et n'a pas dit 'car tu as mangé du fruit défendu'. Misogynie ? Notre auteur expliquex que son épouse l'a séduit, car après lorsqu'elle consomma le fruit « elle comprit qu'il serait bon qu'Adam soit aussi [dans l'aventure] du savoir humain, et non qu'il ne soit trop accroché à son Dieu, c'est pourquoi elle le séduisit » ! Le régime de l'amour de Dieu est fragile. Entrant dans une démarche plus laborieuse d'approche du divin, Dieu a souci de sa créaturexi, en le chassant, il le contraint à travailler la terre, le régime de la Crainte du Ciel doit être soutenu par le travail, en effet, comme le dit la Michnaxii ' le travail en complément de l'étude fait oublier de fauter'.
La structure globale de cette histoire est complexe, et fait écho à la difficulté de ce qu'écrit le texte biblique. Pour ne retenir qu'un point : on comprend que notre auteur loin de voir une malédiction de l'espèce humaine dans la faute d'Adam, y voit au contraire la volonté d'accéder à un statut spécifiquement humain de compréhension, voie sans doute lente, mais qui donne sens à l'aventure humaine ainsi qu'à la nécessité du travail dans le sens le plus simple du terme.
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iVoir Emek davar en 2.17 et 3.3 , contre le Midrash rapporté par Rachi en 3.3.
iiBéréchit 2.7.
iiiLe Nétsiv fait remarquer que le mot mort peut s'entendre dans deux sens : soit il s'oppose à mort, soit il s'oppose à 'triste' ce qui signifie un état en dessous des capacités d'une créature. Il s'oppose en cela à l'interprétation d'Onkelos qui traduit -de façon un peu arbitraire- 'vivant' par parlant, ce qui brouille les cartes. Le Nétsiv rapporte un exemple de cet usage du mot 'vivant', mais il existe une pléthore de preuves qui limitent en ce second sens.
ivComme 'Hano'h ou Eliaou selon la tradition.
vCette assertion peut faire sourire : mais ce n'est pas le lieu de la discuter ici. Pour les sceptiques, rappelons que cela fait fond sur une réflexion ancienne et bien ancrée en philosophie, Spinoza écrira la même chose dans le chapitre 5 de son Ethique (scolie 36).
viCommentaire sur 2.7.
viiLe Nétsiv propose plusieurs formulations pour dire cela , notamment certaines particulièrement éclairantes : il parle d'une connaissance immanente ou naturelle (commentaire en 3.6).
viii 2.16.
ix3.17. ainsi que son commentaire ad loc.
xHar'hev Davar sur 3.8.
xiLe Nétsiv fait remarqué que la terre a été « maudite 'en faveur de l'homme' », le terme baavouré'ha étant exclusivement employé dans un sens positif.
xiiAvot 2.2.
* R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)
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