Dieu a-t-Il une place dans la société civile ?
- Par yona-ghertman
- Le 18/06/2015
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Dieu a-t-Il une place dans la société civile ?
par Franck BENHAMOU
Il faut être religieux pour affirmer que Dieu a une place quelconque dans la société civile, religieux encore pour assumer de porter l’étendard du Saint là où tout n’est que cupidité, intérêt vers soi. La mythologie inculquée à l’école fixe même une date pour la séparation en droit du civil et du religieux, le roman national est écrit dans tous les cerveaux : cet acquis de droit est à chercher dans la période des « Lumières ». Et, pour mieux maintenir à distance la religion qui ne cesse de rentrer par la fenêtre, on se paye de quelques messes nationales pour réaffirmer cet acquis de la république.
Ce court billet, a pour but de montrer que la réflexion politique sur la séparation du civil et du religieux est au cœur de la réflexion biblique. Sans doute serait-il loisible de montrer comment les maîtres de la Torah orale ont si bien intégré cette leçon, qu’ils la passent sous silence.
Rappelons que Bamidbar –livre des pérégrinations des enfants d’Israël dans le désert- fait suite au « Lévitique » -où l’on explique à longueur de pages comment le Dieu d’Israël veut qu’on Le serve dans son Temple-. Ce dernier livre porte à juste titre le nom de « Torah des prêtres », car il s’adresse presque exclusivement aux clercs. Pourtant, certains éléments du service divin ont été inscrits dans le livre de Bamidbar, comme par exemple les sacrifices amenés par les chefs de tribus. Quelle est la raison de ce déplacement ? D’autant que le texte affirme clairement que cet évènement n’est pas à sa place du point de vue chronologique, ayant eu lieu avant le début des pérégrinations des hébreu dans le Sinaï.
C’est que l’on se trompe en pensant que le thème de ce quatrième livre est celui des errements des juifs dans le désert, tout comme on se trompe lorsqu’on pense que l’ordre d’exposition de la Bible est chronologique ou analogique. Alors que le Lévitique s’intéressait au rapport entre l’homme et le sacré, le livre du Désert, cherche à encourager la réflexion autour de l’intégration de Dieu dans la société. Si par exemple les sacrifices des chefs de tribus ont été déportés vers le quatrième livre de la Torah, c’est qu’ils montrent une forme de respect de la société civile envers le sacré. Pour autant la totalité de camp est ordonné autour du Temple, pourrait-on rétorquer. Mais le centre du cercle n’est pas sur le cercle, il en est même exclu par construction ; de même, c’est la distance à son centre qui marque l’organisation du camp hébreu. Ce qui est préconisé, c’est le maintien à distance, à bonne distance, du sacré. Il ne faut pas toucher le saint, autant de longs chapitres où sont exposés comment les juifs sont mis à l’abri des ustensiles réservés au Sacré.
La fonction même du Temple vise à recueillir la totalité de l’expérience religieuse du peuple : aucun sacrifice n’est autorisé ailleurs qu’en son sein. A l’époque pas de prières quotidiennes, mais des sacrifices réalisés au nom du peuple, par le Grand prêtre, à l’abri des regards, caché derrière les longues tentures.
Pourtant Dieu n’est pas exclu du camp des hébreux, puisque ceux-ci sont encouragés à vivre sous le régime des commandements. Il faut lire le livre de Bamidbar comme le livre d’une rencontre qui n’a pas eu lieu, celle qui aurait permit de métaboliser le sacré, de le faire pénétrer dans le camp. En effet, ce livre montre une hésitation, une oscillation entre deux pôles : d’un côté une demande d’absolu, « toute l’assemblée est sainte » dira Kora’h, et d’un autre côté un refus de Dieu. C’est entre ces deux pôles, comme deux destins, que l’engeance humaine oscille quant à son rapport à Dieu : entre excès et défaut.
C’est ainsi qu’il faut relire l’ensemble des histoires de ce livre par exemple c’est la crainte devant l’ « Etat de Dieu » qui guide les hébreux dans un refus d’aller en terre sacrée. Mais comme par un étrange retour de balancier, lorsque ce refus est acté par Dieu, les juifs veulent percer l’écran divin et conquérir la terre, mais c’est précisément parce que Dieu leur a affirmé que Dieu ne les aidera pas dans leur conquête, qu’ils tentent l’aventure, une aventure sans Dieu.
Le bilan de ce livre est net : c’est la mort. Le livre entier est jonché de ces morts qui pour certains ont voulu trop de Dieu et pour d’autres en ont voulu moins.
C’est entre « trop de Dieu » et « moins de Dieu » que les peuples s’ordonnent, jusqu’à aujourd’hui, dans toutes les questions de politique internationale. Cette oscillation peut se résoudre à l’échelle individuelle, même s’il faut du temps pour que chaque individu arrive à un équilibre en matière de religion. D’autres préféreront le déséquilibre.
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