Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ?
- Par yona-ghertman
- Le 15/11/2016
- Dans Parasha
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*Cycle : la Parasha selon le Nétisv
המכסה אני מאברהם אשר אני עושה
"Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ?"
. Les responsabilités du Père des Nations
Dans la lecture de cette semaine, nous trouvons une « réflexion » de D.ieu : « Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ? »[1]. D.ieu prend la décision d’annoncer à Abraham ses projets de destruction de Sodome. Rachi nous explique qu’il y a deux raisons à cela. D’une part, Abraham a reçu en promesse cette terre. En détruisant Sodome et ses cinq villes avoisinantes, D.ieu détruit donc des terres fertiles[2] qui ne lui « appartiennent » pas. D’autre part, D.ieu a rajouté à Abram la lettre Heh, [3]transformant son nom en Abraham, Av Hamon Goyim Père d’une multitude de nations. Les habitants de Sodome et ses contrées, bien que provoquant le courroux de D.ieu par leur comportement, n’en demeurent pas moins les « fils » d’Abraham. Il convient d’annoncer à leur « père », aimé de D.ieu, la décision prise d’effacer de la surface de la terre ces personnes.
Ces deux raisons avancées par Rachi[4] prennent en compte le bien d’Abraham, le respect de ses (futures) possessions. Les raisons derrière cette nécessité qu’a D.ieu d’annoncer ses projets à Abraham, selon le Netsiv, est différente.
Pour commencer, ainsi que nous l’avons vu, Abraham va être le Père d’une multitude de nations. Dans le futur, les Peuples se référeront aux prophètes du Peuple d’Israël plutôt qu’a-leur propre modes de divination afin de savoir comment agir. Abraham étant la source de cette grande Nation parmi les autres que sera Israël, se doit de savoir ce qui concerne ces autres peuples, qui sont ses contemporains, et ce dès maintenant[5].
Ensuite, en tant que Père de ce qui sera le Peuple d’Israël, il a aussi le devoir de faire passer les fondations de ce peuple. Celles-ci se divisent en deux : le savoir que l’on acquiert à force d’étude et le moussar, les valeurs que l’on ne peut acquérir par l’étude mais par la transmission[6].
Enfin, Abraham est Av Hamon Goyim, le Père d’une multitude de nations. Il est donc important de lui annoncer les projets divins non pas parce qu’il est en « droit » de savoir ce qui va arriver à ses fils, comme l’énonce Rachi, mais parce que Abraham a une responsabilité envers ces « fils ». Entendant la décision de D.ieu d’effacer Sodome et ses contrées, Abraham doit se sentir directement concerné et prier afin que sa requête d’épargner Sodome soit peut être acceptée[7].
Ce dernier point rejoint ce que nous voyons après la faute du veau d’or. D.ieu dit à Moïse « hanikha li » - cesse (de me solliciter) - afin que Je puisse effacer tout ce peuple et le reconstruire à partir de toi, qui m’est resté fidèle. Rachi, que la Netsiv rapporte, avance le midrach et explique : nous ne voyons pas que Moïse ait déjà commencé à prier pour le peuple, donc que veut dire D.ieu en lui ordonnant de cesser ? Nous apprenons de là qu’Il lui a montré une ouverture, une faille dans le verdict énoncé : tout dépend de toi, si tu pries pour eux il est possible que Je ne mette pas en œuvre ma décision.
Moïse, berger du Peuple d’Israël, a la même responsabilité qu’Abraham, Père des Nations envers le ou les peuple(s) qui dépend(ent) d’eux. Ainsi, non seulement ils ne peuvent rester indifférent face à un malheur qui est censé arriver, mais D.ieu lui-même les met au courant afin qu’ils puissent réagir.
Lorsque D.ieu dis « Tairai-je à Abraham ce que je veux faire », il n’est donc pas uniquement question de politesse envers une personne dont les biens vont être détruits. Les trois raisons avancées par le Netsiv ne sont pas les droits qu’Abraham aurait, mais ses devoirs. En passant d’Abram l’hébreu qui a découvert le Maître du Monde et partage cette connaissance avec ses contemporains, à Abraham le Père d’une multitude de nations, en étant le Père de notre Peuple, ses obligations se multiplient et non ses droits.
Un chef, un dirigeant, se doit de savoir ce qui se passe non seulement parmi les siens mais aussi chez ceux qui les entourent. Il ne peut se dissocier du monde.
Il est responsable de faire en sorte que les valeurs passent. Qu’il soit question de celles de la famille, du groupe ou du peuple, il y a des messages qui doivent être transmis, des valeurs qui, si nous nous limitons à la connaissance seule, risquent d’être perdues.
Et enfin, il doit faire preuve de sensibilité, se soucier du bien-être des autres, que ce soit ceux directement sous sa tutelle ou ses contemporains. Il n’est donc pas suffisant d’être au courant de ce qui se passe autour de lui, il lui faut aussi agir en fonction.
En dévoilant à Abraham Ses projets, au-delà de ceux lui ayant trait directement, D.ieu montre à Abraham sa nouvelle place dans le monde. S’il restait la moindre possibilité qu’Abraham puisse rester dans la sphère privée, elle est effacée par cette phrase : « tairai-je à Abraham ce que je veux faire ».
* R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)
[1] Genèse XVIII, 17
[2] Genèse XIII,10
[3] Genèse XVII, 5
[4] Rachi Genèse XVIII, 17
(יז) המכסה אני - בתמיה:
אשר אני עושה - בסדום, לא יפה לי לעשות דבר זה שלא מדעתו, אני נתתי לו את הארץ הזאת, וחמשה כרכין הללו שלו הן, שנאמר (י יט) גבול הכנעני מצידון וגו' בואכה סדומה ועמורה וגו'. קראתי אותו אברהם, אב המון גוים, ואשמיד את הבנים ולא אודיע לאב שהוא אוהבי:
[5].Haemek Davar, Genèse XVIII, 18
.. וא"כ יהיו נברכים אוה"ע בו לדעת מה פעל אל, ומשום זה מהראוי שגם אברהם שורש אומה זו ידע ג"כ מה שיגיע לגוי הארץ בזמנו
[6] Haemek Davar, Genèse XVIII, 19
מש"ה כתיב ידעתיו שיהיה נכלל שתי כונת (...) באשר הוא יודע הרבה בעמלו כדי שימצא במה ללמד את בניו ואת ביתו, על כן ראוי לגלות לו ענין שיצא ממנו דבר מוסר מה שלא יוכל להגיע לידיעה זו ע"י עמל ויגיעה
[7] Haemek Davar, Genèse XVIII, 19
שיהיה אב המון גוים וראוי לאב לחוש לקיומם, ואולי יועיל בתפליתו עבורם.
En contraste, Noah lui n’a pas prié pour ses contemporains et s’est suffi du fait que lui et sa famille seraient sauvés. Il est intéressant de noter que le Netsiv dans le Har’hev davar explique le qualificatif « tamim » complet associé au tsadik qui décrit Noah. Le terme « complet » indique que la personne ne fait pas seulement le bien envers D.ieu mais aussi envers les autres. Au moment de lui ordonner de rentrer dans l’arche, D.ieu dit à Noah l’avoir vu comme étant juste, tsadik, parmi sa génération. Le terme « tamim » n’est plus présent. Rachi note que c’est dû au fait qu’on n’énonce pas toutes ses louanges devant une personne. Une autre explication allant dans la direction donnée par le Netsiv pourrait être que Noah savait que D.ieu avait prévu de faire venir le déluge, a préparé l’Arche selon Ses ordres, mais n’a pas prié pour essayer de sauver ses contemporains. En se dissociant du malheur sur le point d’arriver aux autres, même s’ils le méritent, Noah a « perdu » le côté « tamim », complet qu’il avait précédemment.
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