La tsaraat, coup ou caresse ?
- Par yona-ghertman
- Le 13/04/2016
- 0 commentaire
Cycle : La parasha d’après le Netsiv*
La tsara’at: coup ou caresse ?
Après avoir détaillé les critères d’impureté liés à la tsara’at, la parashat Metsora décrit les procédures de purification propres à deux types d’affection: corps et vêtements. Faisons un petit retour en arrière, dans Tazria. Les formules employées par le texte pour décrire la tsara’at du corps et de l’habit sont: “Lorsque un homme aura sur sa peau…” (Vayikra 13:2), “Lorsqu’un vêtement sera atteint de tsara’at” (ibid. 13:47). Pour la première fois, notre Parasha évoque la tsara’at de la maison: “Je donnerai une affection de tsara’at dans une maison du pays de votre héritage” (ibid. 14:34).
Le Netsiv s’interroge sur cette formulation selon laquelle D. Se présente comme Sujet explicite de l’affection: “Pourquoi ce même langage n’est-il pas aussi utilisé dans le cas du vêtement qui fait également figure de miracle incroyable ?” (1). En s’appuyant sur le Midrash (Torat Cohanim 5:4), Rashi écrit: “Ceci est une annonce… car durant les 40 ans que les Bnei Israël avaient passé dans le désert, les Émoréens enfouissaient de l’or dans les murs de leurs maisons. Or quand la tsara’at se déclarait, on allait détruire les maisons et découvrir ces trésors”. Autrement dit, la tsara’at de la maison est un cadeau, d’après Rashi. Le Netsiv cite le Zohar qui va aussi dans ce sens: Les Cananéens avaient des pensées idolâtres lorsqu’ils ont construit leurs maisons sur le territoire d’Israël. La tsara’at permettait de palier à cette faille et de reconstruire les maisons d’Israël sur de bonnes bases.
Cependant, cette interprétation positive présente un bémol. Le Netsiv note que plus tard, dans Be’houkotay, l’expression “Je donnerai” est aussi utilisée pour annoncer des malédictions qui atteindront Israël dans sa globalité (2) (alors qu’ici on parle d’une Providence individuelle – hashga’ha pratit). Le Netsiv de conclure: “Celui qui en arrive à cette affection de la maison est voué à la destruction [au même titre que l’on détruisait les pierres affectées]. Ce qui ne s’applique pas à celui atteint par les vêtements”. Ce qui est curieux dans cette interprétation du Netsiv, c’est que l’expression “Je donnerai” est aussi bien employée pour annoncer des bénédictions merveilleuses dans Be’houkotay. Pourquoi avoir opté pour la négative ? D’autant que Nahmanide précise dans son commentaire [Vayikra 13:47 et 26:11], que la tsara’at (et toute maladie) correspond à une époque où la perfection du peuple est telle que la maladie physique reflète l’interiorité, si bien que la personne atteinte consulte le prophète au lieu du médecin… Et Nahmanide d’ajouter que l’on parle ici du Olam Haba.
Une analogie assez naturelle découle de la tsara’at des maisons. D’après les Sages, la survenue de cette maladie (elle surnaturelle) était causée par le Lashon Hara (3). Traduisons Lashon hara dans son sens large: Une barrière à la relation humaine, ou un empiètement sur ce que pense, ressent ou véhicule mon prochain (4). Suite à l’affection d’une maison par la tsara’at, celle-ci devait être détruite. D’après le Netsiv, cette affection est de mauvaise augure. D’après le Zohar, elle permet de déraciner l’idolâtrie. Ceci fait penser à la destruction des Temples. La destruction du premier était causée par l’idolâtrie. Celle du second par la haine gratuite. Reste à découvrir les trésors que cache notre exil. Peut-être pourrions-nous dire que ces trésors représentent le dépassement et les forces insoupçonnées que nous déployons en milieu hostile. Au delà de l’actualité, notre vie, nos angoisses et nos doutes engagent des ressources que la facilité et la simplicité ne pourraient dévoiler. Ce sont ces pierres mal taillées qui recèlent des mines d’or. Notre perception n’en reste pas moins ambivalente, et il nous est difficile de penser les coups comme des caresses.
ESTHER
* R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)
(1) Vayikra 13 :47 : “Lorsqu’un vêtement sera atteint de tsara’at”. Ramban écrit sur place que la tsara’at des habits, tout comme celles des maisons, constituent un miracle explicite. Le Netsiv réagit à cette explication.
(2) Le Netsiv cite le Ramban pour établir le distinguo entre Providence globale et individuelle. C’est assez fabuleux de remarquer qu’il l’utilise comme preuve à son propos, alors que quelques lignes avant il marquait son désaccord avec Ramban !
(3) Talmud de Babylone, Traité Arachin 15b: “Ceci est la loi du metsora’: Ceci est la loi de celui qui sort un mauvais renom” [jeu de mot entre metsora’ et motsi chem ra qui signifie “sortir un mauvais renom”]. Cette expression n’introduisant que la purification de la tsara’at du corps et des vêtements, le Talmud précise un peu plus loin (16a) que la tsara’at des maisons venait en réponse à tsarat ‘ayin – un œil malveillant.
(4) Il existe deux épisodes dans la Torah où l’on parle de personnes atteintes de tsara’at : Au buisson ardent, lorsque Moshé dit à Hashem « Les Bnei Israël ne m’écouteront pas », et dans le livre de Bamidbar, où Myriam est atteinte après avoir parlé à son frère de la femme que Moshé avait épousée. Le texte de la Torah ne précise pas le contenu de son discours. D’après certains commentateurs, Myriam plaignait la femme de Moshé dont il s’était séparé pour se consacrer aux besoins du peuple. Dans ces deux épisodes, le metsora’ est atteint après avoir parlé à la place de l’autre et anticipé son ressenti sans que celui-ci ne l’ait exprimé.
Ajouter un commentaire