Bechalah : un territoire trop proche

 PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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Bechala’h : un territoire trop proche

 

150 ans séparent les commentaires de Rachi et de Ramban. Ils ne vivent ni au même endroit, ni dans le même contexte.

Ils ont chacun leur style de commentaire, ceux de Rachi sont plus courts et concis que ceux de Ramban.

Et pourtant Ramban se réfère très souvent à Rachi (plus de 150 fois), comme s’il écrivait un commentaire sur le commentaire de Rachi (cf son introduction déjà citée dans billet sur Chemot).  

 

Le 1e verset de notre Paracha illustre parfaitement cette situation :

וַיְהִ֗י בְּשַׁלַּ֣ח פַּרְעֹה֮ אֶת־הָעָם֒ וְלֹא־נָחָ֣ם אֱלֹהִ֗ים דֶּ֚רֶךְ אֶ֣רֶץ פְּלִשְׁתִּ֔ים כִּ֥י קָר֖וֹב ה֑וּא כִּ֣י ׀ אָמַ֣ר אֱלֹהִ֗ים פֶּֽן־יִנָּחֵ֥ם הָעָ֛ם בִּרְאֹתָ֥ם מִלְחָמָ֖ה וְשָׁ֥בוּ מִצְרָֽיְמָה׃

Or lorsque Pharaon eut laissé partir le peuple, Dieu ne les dirigea point par le pays des Philistins, qui est proche parce que Dieu disait : « Le peuple pourrait se raviser à la vue de la guerre et retourner en Egypte ». (Chemot 13, 17).

 

Avant de donner son commentaire, Ramban cite d’abord ceux de Rachi et d’Ibn Ezra[1].

Il nous faut donc d’abord regarder ceux de Rachi et d’Ibn Ezra.

 

Pour Rachi, le territoire que les enfants d’Israël devaient naturellement traverser étaient trop près de l’Egypte. A tel point qu’à la moindre difficulté rencontrée (et en particulier une guerre), ils rebrousseraient chemin. Car rebrousser chemin est plus facile quand la route à parcourir est courte.

Quelle guerre pourraient-ils rencontrer ? Pour Rachi, celle menée par Amalek[2].

Ibn Ezra reprend les mêmes arguments[3].

L’op

position de Ramban est d’abord syntaxique. Si la raison de ne pas emprunter le chemin par le territoire philistin est qu’il est trop proche de l’Egypte, il aurait fallu inverser l’ordre des propositions :

« D’après moi, si leur explication était juste, l’expression « car Dieu dit » aurait été mentionnée en premier dans le verset, auquel cas le verset serait formulé ainsi : « et Dieu ne les mena pas par la Terre des Philistins car Dieu dit : parce qu’il est proche, de peur que le peuple ne change d’avis »[4].

Mais, puisque « trop près » est placé avant ce que Dieu dit, cela ne peut être la cause de la décision (et le mot ִ כִּ֣י ne peut être traduit par « car »).

Le deuxième argument concerne le risque de rencontrer une guerre. Selon Rachi, il s’agit de la guerre menée par Amalek. Or, dit Ramban, la guerre menée par Amalek n’est pas liée au territoire traversé puisqu’Amalek s’est porté au-devant des enfants d’Israël[5].

Donc, le risque de guerre est lié au territoire traversé. Ce qui fait dire à Ramban que ce sont les Philistins eux-mêmes qui ne laisseraient pas les enfants d’Israël traverser en paix.

« Et le sens de « voir la guerre » est qu’ils auraient dû passer par la Terre des Philistins et que ces derniers ne leur auraient pas permis de traverser leur territoire en paix ; ils allaient en conséquence retourner en Egypte. D’un autre côté, en empruntant le chemin du désert, ils ne rencontreraient pas la guerre avant d’avoir atteint leur propre pays, le pays de Si’hon et Og, les rois d’Emor, qui leur sera accordé et à ce moment-là, ils seront éloignés de l’Egypte [avec peu de chance d’y retourner] »[6].

 

En résumé, Rachi et Ramban s’accordent sur le fait que le territoire initial à traverser est proche de l’Egypte, que les enfants d’Israël risquent de rencontrer la guerre et qu’ils risquent donc de faire marche arrière.

Pour Rachi, l’accent est mis sur le fait que le territoire est trop proche de l’Egypte et que donc le risque de faire marche arrière est trop grand, car très facile.

Pour Ramban, l’accent est mis sur le fait que la probabilité de rencontrer la guerre est trop forte, ce qui accentue le risque de rebrousser chemin (d’autant plus facile que le territoire est proche de l’Egypte).

 

Au final, cela change peu de choses. La conséquence est que les enfants d’Israël ont pris le chemin le plus long évitant ainsi la guerre (au moins au début).

Ce qui fait conclure le Dr. Bonchek de la manière suivante :

« Nous voyons à partir de cet exemple que le Ramban sentit la nécessité de réfuter Rachi lorsqu’il pensa que son interprétation du verset n’était pas juste, même s’il se peut qu’il n’y ait pas de différence pratique ou significative entre les deux interprétations. Connaître le sens précis des termes de la torah est une raison suffisante pour clarifier le p’chat »[7].

 

Noémie LEBEN

 

* Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

Texte original : cf. notes 

 


[1] כי קרוב הוא – ונח לשוב באותו הדרך למצרים. ומדרשי אגדה יש הרבה. לשון רש״י.

וגם הוא דעת ר״א, כי טעם ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים בעבור כי קרוב הוא וינחמו וישובו אל מצרים מיד.

 

[2] כי קרוב הוא – ונוח לשוב באותו הדרך למצרים. ומדרשי אגדה הרבה יש.

בראותם – מלחמת וירד העמלקי והכנעני וגו׳ (במדבר י״ד:מ״ה), אם הלכו דרך ישר היו חוזרין. אם כשהקיפו דרך מעוקם, אמרו: נתנה ראש ונשובה מצרימה (במדבר י״ד:ד׳), אם הוליכן בפשוטה, על אחת כמה וכמה.

פן ינחם – יחשבו מחשבה על שיצאו ויתנו לב לשוב.

 

[3] וטעם כי קרוב הוא – כי בין ארץ מצרים על הדרך הישרה ובין ארץ כנען עשרה ימים. והנה לא ראו מלחמה, והיו עבדים תחת יד אחרים, והנה כאשר יצא פרעה אחריהם, אין בהם מרים יד. גם עמלק יצא על ישראל במתי מעט, וזינב אחריו, והיה נחלש מפניו לולי משה בחירו.

 

[4] ועל דעתי: אם היה כדבריהם, היה כי אמר אלהים מוקדם, ויאמר הכתוב: ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים כי אמר אלהים כי קרוב הוא פן ינחם העם.

 

[5] ולשון רש״י: בראותם מלחמה – כגון מלחמת הכנעני והעמלקי. אם הלכו בדרך ישרה היו חוזרין, מה אם כשהקיפם דרך מעוקם אמרו: נתנה ראש ונשובה מצרימה (במדבר י״ד:ד׳), אם הוליכן בפשוטה על אחת כמה וכמה. מכילתא.

והענין הזה שאמר ולא נחם אלהים, ויסב אלהים את העם דרך המדבר – כי בנסעם מסכות החל עמוד הענן ללכת לפניהם ולא הלך דרך ארץ פלשתים, אבל הלך דרך מדבר איתם וישראל הלכו אחריו, וישכון הענן באיתם ויחנו שם והוא בקצה המדבר.

 

[6] אבל הנכון שיאמר ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים – אשר הוא קרוב וטוב לנחותם בדרך ההוא, כי אמר אלהים פן ינחם העם בראותם מלחמה ושבו מצרימה. וטעם המלחמה, שיהיה להם לעבור דרך ארץ פלשתים, ופלשתים לא יתנום לעבור בשלום וישובו למצרים. אבל בדרך המדבר לא יראו מלחמה עד היותם בארצם, בארץ סיחון ועוג מלכי האמורי שהיא נתונה להם ורחוקים הם ממצרים בעת ההיא. ומלחמת עמלק ברפידים לא היתה ראויה לשוב בעבורה, כי הם לא יעברו עליהם, והוא שבא מארצו ונלחם בהם לשנאתו אותם, ואם יתנו ראש לשוב למצרים לא יועיל כי ילחם בהם בדרך, וגם רחוקים היו ממצרים בדרך העקום אשר הלכו בה ולא ידעו דרך אחרת.

 

[7] “Ce qui dérange Rachi - Chemot” Dr. Avigdor Bonchek, P. 137

 

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