L'intelligence émotionnelle

Cycle : la Parasha selon le Netsiv*

 

Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a
 

 

L'intelligence émotionnelle

 

Les sections de la Torah traitant de la construction du michkan – Tabernacle – parlent de personnes – les 'hakhmé lev – possédant un certain type de sagesse. Cette sagesse est la qualité requise pour être un artisan du michkan. Cette expression, 'hakham lev, est difficile à traduire. Elle est composée de deux mots, 'hakham qui veut dire « sage, intelligent » et lev qui signifie « cœur » et se réfère aux émotions de manière plus générale. Le 'hakham lev serait donc pourvu d’une sorte d’« intelligence émotionnelle ». Comment comprendre cela, il semblerait que ce soit deux mots antinomiques que l’on a associés ?

Le Netsiv exprime cette question à plusieurs endroits. Entre autres dans son commentaire sur Chémot 31:6 :

קשה לשון "כל חכם לב" - והרי כוח השכל אינו בלב, אלא משכנו במוח.

L’expression « tout 'hakham lev » est difficile – car en effet, l’intellect n’est pas dans le cœur, mais son siège est dans le cerveau.

Pour saisir le sens de cette expression, il faut chercher des indices dans le texte de la Torah. Y-a-t-il des passages où le texte donne des indications de la manière dont il faut comprendre cette expression ?

Le Netsiv en voit deux. Voyons déjà le premier (Chémot 31:6) où D.ieu dit : « וּבְלֵב כָּל-חֲכַם-לֵב נָתַתִּי חָכְמָה » - « dans le cœur de chaque ’hakham lev, J’ai placé de l’intelligence ». Cette phrase nous apprend que D.ieu a donné de l’intelligence à celui qui était déjà pourvu d’« intelligence émotionnelle » ou 'hakham lev. Autrement dit, ne peut devenir intelligent ou 'hakham que celui qui est déjà 'hakham lev. Quel est le principe de l’intelligence ? Quelle est la condition préalable à l’acquisition de l’intelligence ? C’est un verset des Psaumes qui répond à cette question (Téhilim 111:10) : « רֵאשִׁית חָכְמָה יִרְאַת ה' » - « Le principe de l’intelligence, c’est la crainte de D.ieu ». C’est cette constatation qui amène le Netsiv à sa première explication de ce qu’est cette « intelligence émotionnelle » (toujours dans son commentaire sur Chémot 31:6) :

חוכמת יראת ה', שהיא ראשית חכמה, ומשכנה בלב.

L’intelligence de la crainte de D.ieu, qui est le début de l’intelligence, et qui réside dans le cœur.

En d’autre termes, le 'hakham lev est celui qui craint D.ieu. Cela est cohérent, d’ailleurs, car la crainte de D.ieu est une émotion plutôt qu’un raisonnement intellectuel.

Mais il y a un deuxième indice dans le texte. Et celui-ci se trouve dans notre paracha de Vayakhel. En effet, le verset dit (Chémot 36:2) : « כָּל-אִישׁ חֲכַם-לֵב אֲשֶׁר נָתַן ה' חָכְמָה בְּלִבּוֹ » - « tout homme 'hakham lev dans le cœur duquel D.ieu a placé de l’intelligence ». Ce serait donc D.ieu qui donne cette fameuse intelligence à l’homme ? Mais si, comme nous l’avons compris, cette « intelligence » n’est rien d’autre que la crainte de D.ieu, alors nous avons un problème. Car il est un principe fondamental qui stipule (TB Bérakhot 33b) : « הכל ב״ש חוץ מיראת שמים » - « Tout est entre les mains de D.ieu, sauf la crainte de D.ieu ». C’est là que le Netsiv voit, dans la suite du verset, une explication de ce qu’est le 'hakham lev. Le verset continue : « כֹּל אֲשֶׁר נְשָׂאוֹ לִבּוֹ לְקָרְבָה אֶל-הַמְּלָאכָה לַעֲשֹׂת אֹתָהּ » - « tout celui dont le cœur le porte à entreprendre le travail pour l’accomplir ». Voici le commentaire du Netsiv sur ce verset:

ומפרש המקרא היאך שייך נתינת חכמה בלב. הרי הכל ב״ש חוץ מיראת שמים ע״כ מפרש כל אשר נשאו לבו וגו׳ זהו ג״כ חכמת הלב לבטוח שיצליח בזו הפעולה ושירצה לקבל ע״ע להתקרב אל המלאכה. אע״ג שלא למד מעולם אומנות זו. ובאמת כן במלאכת חול שייך נשיאת לב לאיזה מלאכה. בד״מ אם בא אדם לעשות בית אומנות ללמד לתינוקות אומנות. והיה מביא הרבה ילדים לבחור במה חפץ לשלוח יד. זה אומר אני רוצה בזה וזה אומר אני רוצה בזה. והבחירה מועלת להם לענין לימודו כמה שנים שיעמוד על תכלית המלאכה שבחר בה. כך היה במעשה המשכן הבחירה לכל אחד באיזו אומנות היתה מועלת לעשות בלי לימוד כלל. רק בהצלחת ה׳ לדבר אשר נשאו לבו:

C’est le verset lui-même qui va expliquer comment c’est possible que l’on puisse placer de l’intelligence dans un cœur, d’autant plus que nous avons le principe que « Tout est entre les mains de D.ieu, sauf la crainte D.ieu ». C’est pourquoi le verset continue et explique : « tout celui dont le cœur le porte etc. ». Il s’agit là aussi d’ « intelligence du cœur », lorsqu’une personne a confiance qu’elle réussira dans son entreprise et qu’elle s’y lance dans l’objectif de l’accomplir. Et ce, même si elle n’a jamais appris l’artisanat en question. Et ceci est vrai aussi pour tout œuvre profane. Prenez par exemple un homme qui veut enseigner l’artisanat à des enfants, et qu’il rassemble de nombreux enfants afin que chacun choisisse le domaine dans lequel il souhaite apprendre. Chacun fera son choix, et le choix de chacun sera le bon pour eux pour les prochaines années d’apprentissage[1]. C’est ainsi que cela s’est passé pour la construction du michkan : chacun a choisi l’artisanat qui lui plaisait alors qu’il ne l’avait jamais pratiqué auparavant. Et cela a fonctionné grâce à la réussite divine pour une chose vers laquelle son cœur l’a porté.

Il me semble que, selon le Netsiv, le 'hakham lev est celui qui possède deux caractéristiques. D’une part, il faut qu’il craigne D.ieu et, d’autre part qu’il se sente porté par son cœur. En prenant un peu de recul, on pourrait presque dire qu’il s’agit de deux qualités opposées. D’un côté, sa crainte de D.ieu force l’humilité et une introspection de sa condition humaine et limitée. Et d’autre part, il doit écouter son cœur et avoir la confiance totale qu’il réussira ; c’est la confiance dans l’humain, sans limite. En cela, le Netsiv nous montre que la Torah a donné un cadre pour le développement personnel. Il y a deux forces qui, ensemble, peuvent tirer le meilleur de l’homme et en faire un ’hakham lev. En termes modernes, il me semble que cela se traduit par, d’une part, la connaissance de soi, de sa position et de ses limites et d’autre part, la confiance en soi.

Voilà, vous avez les clés de la réussite, suivez votre cœur car c’est là que vous aurez le plus de confiance en vous[2]. Mais, en même temps, n’oubliez pas qui vous êtes : un homme au service de son Créateur[3].

Chabbat Chalom.

NATY

*  R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893).

 

 


[1] Benjamin Sznajder m’a fait justement remarquer que cet exemple du Netsiv fait penser à la méthode Montessori… Très moderne, cette approche que le Netsiv propose…

[2] Et de talent. Il me semble que c’est aussi de cela qu’il s’agit dans l’exemple apporté par le Netsiv. L. Wogue, avec son sens inégalé de la synthèse, traduit 'hakham lev par « talentueux ». Le Netsiv nous indique comment découvrir ses talents et comment être en mesure de les développer…

[3] En 2005, j’avais lu la transcription d’un discours que Steve Jobs avait fait devant un groupe d’étudiants de Stanford sur les clés du succès. Voici le lien pour les anglophones : http://news.stanford.edu/news/2005/june15/jobs-061505.html. Lisez-le attentivement et vous verrez qu’il avait eu l’intuition de ce que le Netsiv a appris des versets…

 

Commentaires

  • Keren-Sarah Amsili
    Merci beaucoup pour cette étude passionnante qui me permet de faire le lien entre mon judaîsme, mon travail personnel et mon métier de coach!

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