Antisémitisme Amalek Juifs Zakhor Pourim

  • Les causes de l'antisémitisme

    Les causes de l’antisémitisme 

     (Shabbat Zakhor-Pourim)

    La communauté juive présente deux types principaux de discours au sujet des causes de l’antisémitisme :

    1/ Le discours « laïc » : le peuple juif est la victime innocente de tous ceux qui l’attaquent pour des raisons irrationnelles.

    2/ Le discours « religieux » : Le peuple juif est le premier coupable des attaques menées contre lui, car il ne respecte pas convenablement la Torah.

    Dans le cadre de ce billet, nous tenterons de montrer une autre approche, plus nuancée et correspondant davantage aux textes de nos traditions.

    Amalek 1

    Le Shabbat précédent Pourim, nous lisons le passage de la Torah relatif au devoir de se souvenir (zakhor) de l’attitude d’Amalek qui attaqua les Hébreux dans le désert, et d’en effacer la mémoire (Deut. 25, 17-19). Puis le matin de Pourim, nous lisons l’autre passage relatif à ‘Amalek dans le cadre de la prière journalière, avant la seconde lecture de la Méguila.

    Ce dernier texte commence ainsi :

    ‘Amalek vint et attaqua Israël à Refidim (Exode 17-8)

    Rachi commente, en se fondant sur l’enseignement du Midrash Tan’houma :

    [Le texte] juxtapose cette section à ce verset [qui précède], comme pour dire : Je suis toujours parmi vous et Je pourvois à tous vos besoins, mais vous, vous dites : « L’éternel est-il parmi nous ou non ? (…) » (1)

    À première vue, la démarche de Rachi consiste simplement à relier notre verset au précédent passage, dans lequel le peuple se plaignait car l’eau commençait à manquer. Derrière cette complainte se cachait en fait une remise en cause de la portée de l’action divine sur eux-mêmes.

    Il faudrait donc lire ainsi le texte :

    (…) Ils avaient éprouvé l’Eternel en disant : L’Eternel est-il parmi nous ou non ? ‘Amalek vint et attaqua Israël (…)

    On peut cependant s’interroger : Il est fréquent dans la Torah que des passages soient juxtaposés sans forcément être en rapport les uns avec les autres. Pourquoi Rachi considère-t-il donc nécessaire d’effectuer un tel rapprochement ?

    Le Maharal de Prague, répond à cette question dans le Gour Arié :

    (…) Les Sages de mémoire bénie [dans le Midrash Tan’houma cité par Rachi] ont remarqué que le verset [commence par] « ‘Amalek vint », alors qu’il aurait dû être écrit « ‘Amalek sortit », comme il est écrit [à propos de l’attaque de Si’hon roi de Emor contre les bné-Israël :] « Si’hon sortit [à notre rencontre] » (Deut. 2, 32) [et à propos de l’attaque des Edomites :] « Edom sortit [à sa rencontre] » (Nombres 20, 20). Or, à propos de chaque guerre, il convient de s’exprimer ainsi. Dès lors pourquoi est-il écrit « ‘Amalek vint » ? (…)

    C’est donc cette anomalie de langage qui a interpellé Rachi. Le midrach qu’il cite permet alors de l’expliquer. Le Rav Yeochoua D. Hartmann développe les propos du Maharal (2) de manière à nous faire comprendre quel enjeu se cache derrière l’emploi des verbes « venir » ou « sortir » pour décrire une attaque militaire :

    La différence entre « il vint » et « il sortit » est que « il sortit » est lié à celui qui sort. Il sort de l’endroit où il se trouve. Or « il vint » s’explique par rapport au receveur [c’est-à-dire : à celui vers qui on va] (…). Ainsi s’il était écrit « ‘Amalek sortit », cela aurait concerné une action liée à ‘Amalek ; mais puisque il est écrit « ‘Amalek vint », c’est que le verset focalise sur Israël : ‘Amalek vint sur eux pour les combattre (…).

    En d’autres termes, Rachi aurait trouvé un indice dans le terme employé par le verset, pour confirmer l’idée du Midrash selon laquelle ‘Amalek est attiré par Israël. Il va vers ce qui l’excite. Intérieurement, il n’a pas de problèmes, la présence d’Israël ne gêne pas son mode de vie. Mais il y a quelque-chose chez ce peuple qui le dérange. La balle est donc renvoyée au dit-peuple. Une introspection s’impose pour comprendre ce qui éveille tant le sens guerrier de cet ennemi, se levant comme un lion, dérangé dans son sommeil par un morceau de viande fraîche jeté près de lui.

    Toute différente est la perspective de Si’hon, roi d’Emor, et d’Edom. Ils sortent de l’endroit où ils se trouvent, car ils considèrent que leur tranquillité sur-place est menacée par le passage d’Israël sur leurs territoires. À ce moment, Israël n’a rien à se reprocher. Le peuple est simplement confronté aux aléas d’un parcours nomade qui bouscule indéniablement les populations sédentaires, provoquant ainsi des réactions agressives.

    On peut légitimement avancer que les deux modèles présentés ne sont pas nécessairement distincts. On remarque par exemple au sujet d'Aman, le persécuteur des juifs décrit dans la Méguilat Esther, que ce dernier, dérangé intérieurement par Mordekhaï, se défait de tout bon sens pour faire périr son peuple. Les Sages du Talmud, sans nier le moins du monde les motivations strictement personnelles d'Aman, soulèvent également une cause plus profonde, liée à l'attitude des juifs eux-mêmes vis-à-vis de Dieu. (3)

    Il en va de même à toutes les époques. On ne peut déterminer avec certitude les causes de l’antisémitisme. Les organisations juives prétendument représentatives de la communauté insistent pour faire comprendre aux non-juifs la gravité de l’antisémitisme. Cette démarche  ne saurait remplacer une introspection générale  : Y a-t-il au sein de la communauté juive un comportement spécifique qui incite à la défiance ? Quelle est l’image que la communauté renvoie à l’extérieur ?

    Une culpabilisation excessive serait tout autant malvenue. Chercher à tout prix le mal chez soi ne correspond pas non-plus à l’esprit de la Torah, qui se conjugue ici au pluriel. Oui, l’épisode d’Amalek vient rappeler que les attaques provenant de l’extérieur ont souvent une cause interne. Cependant une telle conclusion n’est pas systématique, comme l’illustrent d’autres épisodes racontés également dans la Torah.

    Antis 1

    Yona GHERTMAN

    (1) En voyant en entier ce commentaire de Rachi, le lecteur comprendra la première image de ce billet (véhamévin yavin !)

    (2) Dans ses annotations sur ce passage du Gour Arié, dans l'édition Makhon Yerouchalaïm.

    (3) Voir Esther 3, 5-6 et TB Meguila 12a et 13b.