Mont du Temple sionisme kodesh ha-kodashim Rabbi Akiba

  • Aller sur le mont du Temple ?

    Aller sur le mont du Temple ?[1]

    Temple

     

    Est-il permis à un juif d’aller sur le mont du Temple ? Les médias présentent cette question comme une divergence d’opinion entre le rabbinat israélien et certains juifs d’obédience sioniste-religieuse[2].  Les premiers interdisent de s’y rendre par crainte de fouler l’emplacement du kodesh ha-kodashim, ou « saint des saints », l’endroit du Temple de Jérusalem strictement réservé au Cohen gadol (le grand-prêtre) qui n’y avait accès que le jour de Yom-Kippour[3]. Les seconds prétendent que l’emplacement précis du kodesh ha-kodashim est connu avec certitude, et qu’il est donc permis de se rendre sur le mont du Temple, sans crainte de transgresser l’interdiction de pénétrer l’endroit sacré. 

    Une fois n’est pas coutume, la réalité halakhique est plus complexe, même si ce bref résumé ne saurait être qualifié de « faux ». Une première question se pose en amont : l’interdiction de visiter l’emplacement du kodesh ha-kodashim est-elle encore valable à notre époque ? Le Rambam et le Raavad sont en discussion sur ce point. Selon le premier, la sainteté d’antan perdure sur l’emplacement du Temple, mais selon son contradicteur, la sanction de « karéte » qui frappait le profane s’approchant du kodesh ha-kodashim n’est plus d’actualité après sa destruction[4]. Est-ce à dire que le mont du Temple est devenu un endroit comme un autre d’après le Raavad ? Rien n’est moins sûr, car ce dernier ne réagit pas aux propos du Rambam indiquant que l’accès au mont du Temple –en dehors de l’emplacement interdit- ne peut se faire qu’en étant imprégné d’une crainte révérencielle[5]. En transposant la discussion à notre époque, on peut dire que selon l’un comme l’autre, la venue sur le mont du Temple dans un but touristique est sans aucun doute prohibée, même s’il est certain que le groupe de touristes japonais ne s’approchera pas de l’ancienne place du kodesh ha-kodashim

    La question de l’emplacement exact se pose donc uniquement d’après le Rambam. S’il n’est pas connu des visiteurs du mont du Temple, et même si ceux-ci y viennent exclusivement dans l’intention d’y prier, cela devra être interdit car il existe un risque de fouler la place prohibée. Cependant d’après le Raavad, il sera permis de venir sur le mont du Temple à condition d’y venir pour prier et en prenant pour cela toutes les précautions nécessaires[6].  Aussi lorsque le Radbaz[7] écrit au 16ème siècle que l’emplacement du kodesh ha-kodashim est connu, cette indication peut éventuellement permettre d’autoriser la venue sur le mont du Temple en faisant bien attention à ne pas fouler l’emplacement litigieux. Néanmoins, cette tradition rapportée étant elle-même contestée[8], le doute subsiste toujours…

    … Il n’en reste pas moins qu’entre l’opinion du Raavad et cette information rapportée par le Radbaz, il existe un appui halakhique aux personnes qui voudraient monter sur le mont du Temple pour y prier, d'autant plus que des recherches archéologiques ont permis de délimiter certaines places non liées au kodesh ha-kodashim. Toutefois un autre élément, non moins important que les précédents, doit encore être pris en compte : le principe de « darké Shalom », la recherche de la paix[9]. Il se trouve que le mont du Temple et la mosquée Al Aqsa sont considérés par les Musulmans comme un lieu saint de l’Islam. En a-t-il toujours été ainsi ? Laissons aux historiens spécialisés le soin de répondre à cette question… Toujours est-il que de nos jours, le lieu est considéré comme tel. Aussi les allées et venues de juifs sont-elles regardées d’un mauvais œil, perçues bien souvent comme une tentative de désacraliser l’emplacement de la mosquée.

    Al aqsa travaux02

    Reprenons jusque-là : D’après une majorité de décisionnaires[10], il est formellement interdit pour les juifs d’aller sur le mont du Temple à notre époque. De plus, le fait de s’y rendre provoque de graves conflits, préjudiciables pour « la paix ». S’il en est ainsi, pourquoi certains insistent-ils tant pour s’appuyer sur les avis permissifs ? Ne feraient-ils pas mieux de s’abstenir, quitte à mettre de côté leurs convictions halakhiques dans l’intérêt de tous ?

    En réalité le problème n’est pas que politique, contrairement à ce que l’on pourrait croire. La problématique de fond concerne la perception de l’histoire juive. Est-il admissible que celle-ci n’avance pas, ou alors, pas assez vite d’après certains ? On peut comprendre leur tristesse de voir que le mont du Temple, joyaux antique du judaïsme, sert aujourd’hui à abriter un autre culte, et s’en trouve quasiment interdit d’accès aux juifs… Ce désarroi rappelle celui des compagnons de R. ‘Akiba qui s’effondrèrent à la vue des ruines du Temple de Jérusalem[11]. Que fit Rabbi ‘Akiba ? Il éclata de rire. Au-delà des versets rapportés dans le Talmud pour justifier son attitude, les commentateurs s’interrogent, troublés par ce comportement atypique. Dans son développement sur ce passage, l’auteur du ‘Aroukh laNer[12] présente une idée qui apparaît profondément actuelle : la destruction du Temple n’est pas qu’une calamité. Il s’agit aussi d’une marque de bonté divine. Dieu a déversé Sa colère sur du bois et des pierres afin de préserver le peuple d’Israël. Alors Rabbi ‘Akiba rit. Nous sommes toujours là. C’est le signe que l’histoire juive continue…

    …Belle réponse à ceux qui veulent aujourd’hui risquer leur vie pour rappeler le souvenir des pierres.

     

    Yona GHERTMAN



    [1] Malgré son caractère d’actualité « brûlante », la question posée s’inscrit dans le cadre du débat d’idées. Bien que ne partageant pas celles du Rav Yehuda Glick, je lui souhaite une refoua shelema, après l’attentat dont il a été victime, acte odieux qui ne saurait en aucun cas être justifié. YG

    [2] Cette affaire a fait couler beaucoup d’encre, jusqu’aux médias français. Je renvoie à cette interview du journaliste Charles Enderlin au journal Le Point, qui me semble bien résumer la perception des médias : http://www.lepoint.fr/monde/charles-enderlin-le-sionisme-religieux-a-phagocyte-toutes-les-institutions-d-israel-30-10-2014-1877232_24.php

    [3] Torat Cohanim, Vaykra 16, 2. En réalité, l'emplacement du mont du Temple comporte plusieurs niveaux de "sainteté" rendant l'endroit interdit d'accès. L'entrée dans le kodesh ha-kodashim représente l'infraction la plus grave (voir Michna Kélim, chap. 1).

    [4] Michné-Torah, Hilkhote Beth haBe’hira 6, 14.

    [5] Ibid. 7, 2. Voir R. Ovadia Yossef, Yabia ‘Omer, Yoré Déa 26, al. 3 et 11. Lorsque le Raavad ne rajoute pas une glose en marge des propos du Rambam, c'est le signe qu'il ne s'oppose pas à son avis.

    [6] Voir Ibid, al. 3.

    [7] R. David Ibn Avi Zimra, 1479-1573 (Espagne/Israël) ; Shoute haRadbaz 2, 691.

    [8] Voir R. Ovadia Yossef, Yabia Omer, op. cit., al. 11.

    [9] Principe talmudique rapporté dans différents contextes et se fondant sur un verset du livre des Proverbes : « Tous ses chemins sont des chemins agréables et ses sentiers [des sentiers de] paix » (3, 17). 

    [10] Comme le note Rav ‘Ovadia Yossef dans son responsa cité supra.

    [11] TB Makot 24b.

    [12] R. Yaakov Ettinger, 1798-1871 (Allemagne).