Le prix du repentir

LE PRIX DU REPENTIR

 

 

Mamie en colere

 

Le Talmud est entrelacé de textes de portées différentes. La distinction entre des textes à visée strictement légale et des textes de forme narrative ou homilétique, les aggadot, a tout son sens. Mais certains passages semblent devoir se dérober à ce classement.

Le traité Souka nous en fournit un très curieux exemple. Dans ce passage , le Talmud traite de la possibilité de réaliser un commandement au moyen d’un objet volé. In fine, les maitres statuent sur le cas d’une Souka dont les branchages qui en constituent le toit,  proviendraient d’un vol.

La Guemara (31a) dit qu’une telle Souka permet de s’acquitter du commandement d’habiter la Souka.

Cette solution pour le moins étonnante se justifie de manière très précise. Le vol est, c’est une évidence, totalement prohibé par la Tora et ce quelle que soit la personne lésée. L’objet volé doit faire l’objet d’une restitution. Dans certaines hypothèses, cette restitution pourra faire place à une réparation pécuniaire.

En l’espèce, les branchages ont été intégrés au toit. Les maitres du Talmud ont créé une loi spécifique à ce genre de cas : le décret des repentants ou plus précisément ici le « décret de la poutre ». Le cas princeps est le suivant : un voleur subtilise une poutre qu’il intègre à la structure de sa maison. La stricte loi de la Torah devrait l’obliger à démolir sa maison pour restituer cette poutre à son légitime propriétaire. Mais les Sages ont estimé qu’une telle exigence aurait un effet inacceptable. Face aux désagréments que crée une telle situation, les auteurs de vols pourraient-être découragés de se repentir. : le passif moral si lourd soit-il ne doit pas peser sur le fauteur au point de l’empêcher de s’amender.

Les Sages ont donc décrété que dans un tel cas la poutre deviendrait la propriété du voleur, qui en revanche devra rembourser la personne lésée.

C’est une déclinaison de ce principe qui va être mise en œuvre dans le dialogue exposé par la Guemara.

Les serviteurs de l’Exilarque avaient volé du bois à une vieille dame, matériau qu’ils avaient intégré dans rien moins que la Souka de leur maitre. Cette femme s’insurge et hurle : « l’exilarque et tous les rabbins de sa maison sont installés dans une Souka volée ! ».

Rav Nahman se trouvait être le responsable des gens de l’exilarque. Et celui-ci ne réagit en rien à ces accusations publiques. La femme poursuit de plus belle en faisant appel à une référence quelque peu elliptique : « quoi donc ! Une femme dont le père avait 318 serviteurs crie devant vous et vous n’y prêtez pas attention  ? »

Rachi nous enseigne que le père en question est le patriarche Avraham. La femme spoliée en appelle donc à son ascendance abrahamique.

Rav Nahman se tourne vers ses élèves et dit : « elle n’est qu’une braillarde, elle n’a droit qu’à la valeur des [planches] de bois . »

Du simple point de vue du récit on peut synthétiser ainsi ; une vieille femme spoliée réclame la restitution des bois qu’on lui a volés et qui sont entrés dans la structure d’une Souka. Rav Nahman refuse obstinément cette restitution et s’en tient à une réparation pécuniaire.

Nombre d’éléments singuliers sautent aux yeux à la lecture de ce texte. Tout d’abord son caractère choquant : pourquoi s’ingénier à refuser de réparer le tort de la façon dont elle le réclame ? Cela parait un abus de pouvoir. Pourquoi cette référence à Avraham ? ? Au fond qu’est-ce qui se joue dans ce dialogue pour que le Talmud prenne la peine de le rapporter dans le détail ?

Les commentateurs insistent sur un point qui semble ici assez déterminant : la personne lésée pouvait bénéficier d’une compensation financière durant la fête ou même récupérer le bois à l’issue de celle-ci. Mais ici elle refuse les deux solutions : ce sont les bois immédiatement ou rien.

Le refus de principe de Rav Nahman, confronté à une demande qui ressemble désormais à une position idéologiquetant il est vrai que d’autres solutions étaient à même de réparer le dommage causé, nous permet de lire cet épisode comme une véritable confrontation.

La vieille dame est lésée, elle critique publiquement les Sages. Elle en appelle alors à la figure d’Avraham.

Son discours peut être compris ainsi. Avraham était à la tête d’un grand nombre de serviteurs. Or il veillait à ce que ses serviteurs ne soient jamais auteurs de vols. Ne devrait-il pas en être ainsi de l’exilarque ou même de Rav Nahman, le responsable de ses serviteurs ?

Mais on peut pousser un pas plus loin. Ici, le renvoi à Avraham fait office d’argument à l’appui de sa réclamation Ce qu’elle demande c’est l’application de la justice Abrahamique, ou de ce qu’elle croit être cette justice,  à laquelle elle prétend avoir droit en tant que descendante du patriarche.

Ce que hurle cette femme c’est : les Sages ont abandonné le souci de justice d’Avraham , ils bafouent les valeurs du père.

Notons qu’à aucun moment Rav Nahman ne dialogue avec cette femme. Gageons qu’il acte que face à un discours idéologique, il n’y a pas de dialogue possible, pas d’échange fécond.

Mais alors que veulent les maitres ? Nous avons posé comme préalable qu’en aucun cas il n’est question, ni de considérer le vol comme permis, ni même d’envisager que le dommage causé ne soit pas réparé. En d’autres termes : la justice s’exerce bien ici, sans possibilité d’y échapper.

Il semble plutôt qu’ici Rav Nahman veuille à tout prix s’inscrire en faux par rapport à une application stricte de la réparation à l’identique.

Pourquoi ? Parce que si cette modalité de réparation est la plus juste, elle ferme la porte à toute possibilité de repentir. Et c’est là tout le souci de ce qui n’est autre qu’une institution rabbinique (et pas une injonction de la Torah).Cette institution des Sages, constitue bien une atteinte, même si limitée, au principe de réparation mais dans un seul but : permettre à l’auteur du méfait de revenir de ses actes, sans mettre d’obstacle insurmontable sur son chemin. On perçoit dans cet épisode à quel point Rav Nahman est prêt à supporter le regard critique, et même la part d’opprobre que suppose la mise en œuvre de cette institution. Mais c’est au prix de tout cela qu’elle doit prévaloir.

Ce qui intrigue ici c’est que le poids de cette atteinte est supporté par nul autre que la victime du vol elle-même !

Peut-être peut-on proposer une explication. La réparation à l’identique est juste, elle remplit la victime de tous ses droits et la restaure dans son état initial. Mais elle tient l’autre à distance. Le projet proposé par les Sages et ici défendu par Rav Nahman de manière virulente, c’est de pousser la victime à sacrifier une part de cette réparation au profit du repentir de l’autre. Le fauteur n’est pas un malfrat à désigner à la vindicte de la société, tout juste bon à payer sa dette à la société. Non, je dois, au prix même d’une partie de mes droits les plus élémentaires, faire place à sa possibilité de revenir. Préférer à un monde statique dans sa justice parfaite, un monde fait d’hommes qui peuvent s’amender.

A la mémoire du rav Ariel Amoyelle zts''l

David SCETBON

 

 

 

techouva yom kippour soucca

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