Le temps incandescent ('Hanoukah)

    'Hanoukah

                                     

Le temps incandescent

 

par Yoël Hanhart

 

Feu

 

La parenthèse se referme ; les héros disparaissent. Avec l’usure du temps, leurs idéaux ont fini par les broyer. Au combat mené contre l’ennemi par des frères soudés ont succédé les luttes fratricides. A se demander si l’échec à venir ne se tapissait dans la victoire et ses lendemains : confusion des genres, fraternité mal assumée, les prêtres fils de Lévi prenant la place, royale, de ceux de Yéhouda. On guerroyait pour la lumière, l’obscurité a pénétré jusqu’au cœur du pouvoir. La terreur couve-t-elle inexorablement dans la ferveur révolutionnaire, comme la braise sous la cendre, comme la braise devenant cendre ? L’horreur et le sordide se loveraient-ils dans tout progrès, finissant par calciner les idéaux les plus nobles ? Quoi, la grandeur de l’homme se restreindrait-elle à colmater des brèches ?

On a cru vaincre l’hellénisme ; c’est maintenant en grec que l’on pense, aux Romains que l’on s’allie. « Les forts livrés aux faibles, la masse au petit nombre, les impurs aux purs, les méchants aux justes, les criminels à ceux qui s’occupent de Ta Thora » ? Du passé ! « Quiconque se prétendrait des Hasmonéens est un esclave (car il n’en reste descendance). » Oui, le rêve des Hasmonéens a viré au cauchemar. « L'histoire […] est un cauchemar dont j'essaie de me réveiller. » L’histoire, ce cauchemar qui menace d’éliminer jusqu’à la possibilité du réveil, c’est Alexandre Jannée, le roi hasmonéen assassinant les Sages. « De malheurs mon âme est repue. » La royauté, levier de l’action collective, est dévoyée ; on l’enkystera pour survivre, malgré elle. Il faudra en payer le prix : état de stase, fuite en dehors de l’Histoire, Yavné se substituant à Jérusalem. La couronne de la Thora résistera aux vents qui ont emporté celles de la royauté et de la prêtrise. Défection ?

Or, d’année en année, alors que l’hiver s’installe, s’élève la flamme de Hanoucca. A son rythme, la lecture publique de la Thora met en place une éclairante synchronicité: Joseph rêve et lit les rêves, tandis que la nuit égyptienne s’abat sur la famille de Jacob. La clé des rêves, proclame-t-il incessamment, c’est le temps. Les trois pampres, explique Joseph au maître-échanson, représentent trois jours. La signification des trois corbeilles apparues dans le rêve du maître-panetier : trois jours aussi. Les sept vaches et les sept épis dont Pharaon a rêvé : autant d’années. Partout se profile une temporalité faite d’attente, inscription de l’espérance dans la durée. Notre intelligence du rêve a pourtant ses limites : on ne sait pas quand se réaliseront les propres rêves de Joseph. « Longue nous est l’heure ; point de limite aux jours du malheur ? »

Se rêver : abolition des limites temporelles. Le temps a cessé d’être usure ; nul besoin de fuir Jérusalem, de quitter l’histoire. « Je suis dormante mais mon cœur veille ! » Le Grand-Prêtre nous fait pénétrer dans le Saint des Saints, on retrouve l’idéal des Maccabées. La couronne du bon nom est à portée de main, celle de la Thora à qui ardemment la désirera. On se remet à penser en hébreu, au présent : assurément, nous nous réveillons du cauchemar de l’histoire. Réfection, Hanoucca !

Au Retour, « nous serons comme rêvants ». Retournement : c’est le cauchemar qui était parenthèse ! Le temps, miracle, n’est plus une prison. L’huile perdure, brûlent les bougies. Parce qu'il s'accomplit possiblement aujourd'hui, le temps de Joseph ne saurait se définir en jours ou en années. L'huile du dernier jour est comprise dans celle du premier ; mieux, il s’agit en fait de la même substance. « En ces jours-là, en ce temps-ci ! »

Comment donc éviter qu’inéluctablement la braise ne devienne cendre, comment réinvestir le temps et par là-même rédimer l’Histoire ?

« Bougie de Hanoucca, l’homme et sa maison. » C’est à partir du foyer juif que se propagera la lumière. La fraternité est assumée et, des générations plus tard, on pourra fièrement se dire descendant de Joseph. La paix de la maisonnée justifie la préséance de l’éclairage domestique sur les bougies de Hanoucca. « Grande est la paix », insiste Maïmonide en exposant cette loi par laquelle il conclut les règles de Hanoucca, « car la Thora entière a été donnée pour faire la paix dans le monde. »

« Alors, en un chant de louange, j’achèverai la restauration de l’Autel. »

 

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Sources : Berechit, chapitres 40 et 41 ; Rachi sur Berechit 37, 11  et sur Chir Hachirim, 6, 12 ; Nahmanide sur Berechit, 49, 10 ; Tehilim, 126, 1; Chir Hachirim, 5,2 ; Daniel, 12,9 ; Michna : Middot 2, 3, commentaire de Maïmonide ad locum et sur Chekalim 6,3 ; Talmud de Babylone : Berakhot 20a ; Chabbat 21b ; Kiddouchin 66a ; Bava Batra, 3b ; Sanhedrin 19a ;  Maïmonide, Lois sur la Méguila & Hanoucca, 3, 1 et 4,14 ; Bet Yossef sur Tour O.H. 670 et réponses apportées dans Maharal, Ner Mitsva ; Sefat Emet, Hanoucca 5634 ;  Bénédiction prononcée sur l’allumage des bougies de Hanoucca ; Texte du ‘Al Hanissim, récité à Hanoucca, et du Maoz Tsour ; lehavdil, Flavius Josèphe, Antiquités juives, XIII,10 et James Joyce, Ulysses, Garland Publishing, 1986, Vol. I, p. 69.

 

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