La famille recomposée d'Acher

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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La famille recomposée d’Acher

 

La Parachat Pinhas est encore l’occasion d’un nouveau recensement des enfants d’Israël, suite au fléau engendré par la faute de Baal Peor.

Enumération somme toute classique des fils de chaque tribu. Sauf qu’une anomalie se glisse dans cette mélopée monotone : une fille !

Alors que la Thora n’énumère que les fils de chaque fils de Jacob, lorsqu’il est question des fils d’Acher, la Thora ajoute un verset curieux[1] composé d’uniquement 4 mots (en hébreu) : « Et le nom de la fille d’Acher est Sarah’ ».

Question évidente : que vient faire le nom d’une fille au milieu de cette longue suite de garçons ?

Rachi tente une réponse qui a trait au caractère particulier de Sarah’ : c’est la dernière petite-fille de Jacob encore en vie à ce moment-là (un midrach lui accorde une sorte de vie éternelle grâce au mérite qui a été le sien d’annoncer à Jacob que Joseph était encore en vie) et cela lui donne une qualité spécifique qui lui donne le droit d’être mentionnée ici.

Réponse possible mais qui, paradoxalement pour Rachi, s’appuie assez peu sur le sens littéral et sur le contexte de ce recensement.

La réponse du Ramban est de fait bien plus en accord avec le sens de ce recensement tout comme avec la suite du texte.

Pour le Ramban, il faut porter attention à la façon dont Ounkelos traduit en araméen ce verset : « Le nom de la fille de la femme d’Acher était Serah’ ».

Pourquoi traduire ainsi ? Car nous parlons ici des tribus et de leur descendance qui auront droit à un héritage sur la Terre d’Israël. Comme nous le verrons plus loin à propos des filles de Tzelofhad, lorsqu’un homme a des garçons et des filles, seuls les garçons héritent. Le seul cas où des filles peuvent hériter, c’est lorsque leur père n’a pas eu de garçons. Si Sarah’ est évoquée ici, c’est qu’elle a forcément droit à un héritage.

Or Acher a eu des garçons, donc si c’était la fille d’Acher, elle ne pourrait pas hériter, donc elle n’aurait rien à faire dans ce verset. La seule solution rationnelle pour résoudre ce problème, dit le Ramban, c’est d’admettre qu’il ne s’agit pas vraiment de la fille d’Acher, mais de la fille de sa femme ! Et que son père (qui n’est pas Acher, vous suivez ?), n’ayant qu’une fille, elle aurait tout à fait le droit d’hériter, comme on va l’apprendre plus loin.

 On est loin de la traduction littérale du verset : « et le nom de la fille d’Acher est Sarah’ » !

Le Ramban conçoit l’objection et observe qu’on aurait pu dire quelque chose d’encore plus direct : « et la fille d’Acher est Sarah’ ».
Si la Thora a pris la peine d’opter pour une tournure un tout petit peu moins évidente c’est bien pour notifier une aspérité : on l’appelait bien « la fille d’Acher », c’était bien son nom, qui correspondait bien à une sorte de statut de fille adoptive. Et si, dit le Ramban, comme l’évoque Rachi, elle était encore vivante à ce moment-là, alors elle aurait bien la possibilité d’hériter.

A partir de quelques mots, le Ramban nous plonge dans une famille recomposée : Acher s’est marié avec une femme qui avait déjà eu une fille, qu’il a quasiment adopté comme sa propre fille et qui aura la possibilité d’hériter car elle est la fille unique de son véritable père.

Mieux que ça, la Thora anticipe avec ces 4 mots, le cas délicat abordé au chapitre suivant des filles ne disposant pas d’héritage.

Il faut toujours rappeler que la Thora écrite est d’abord faite pour être écoutée lors des lectures publiques. Une oreille attentive va forcément repérer cette « fille intruse », ce qui devrait, nous dit le Ramban, nous pousser à tenter une clarification qui s’appuie sur la syntaxe du verset, comme sur le contexte de sens qui l’entoure.

FRISON

 

 

 

* Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

Texte original : 

רמב"ן במדבר פרק כו פסוק מו

(מו) ושם בת אשר שרח - לפי שהיתה בחיים מנאה כאן, לשון רש"י. ואונקלוס תרגם ושום בת אתת אשר סרח. נתכוין בזה לומר כי היתה בת [יורשת כי בנים זכרים היו לו, אבל היתה בת אשתו] יורשת נחלה, ולכך הזכירה הכתוב בכאן כאשר הזכיר בנות צלפחד, ותכנס בכלל לאלה תחלק הארץ (פסוק נג). ואלו היתה בת אשר עצמו לא היתה יורשת, כי בנים זכרים היו לו, אבל היתה בת אשתו מאיש אשר לא היה לו בן והיתה נחלתו לבתו. ויהיה טעם ושרח אחותם (בראשית מו יז), כי היתה אחות בניו לא בתו. ולכך אמר "ושם בת אשר שרח" ולא אמר "ובת אשר", לומר כי היה שמה בת אשר ונקראת שרח. ואם היתה בחיים כדברי רש"י הנה היא כבנות צלפחד לנחלה, ואם מתה, משפחתה נטלו בעבורה. ועל דרך הפשט, היה לה משפחה גדולה תקרא על שמה ותכנס בכלל אלה משפחות בני אשר לפקודיהם (פסוק מז), אבל לא רצה הכתוב ליחסם אל האשה שיאמר "לשרח משפחת שרח" וקצר הענין: 


[1] Nombres 26 : 46

 

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