La raison, l'observance ou les moteurs du bien agir

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

  Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

La raison, l’observance ou les moteurs du bien agir

 

Shem, ‘Ham, Yafeth: le début de notre parasha ne faisait que citer les trois fils de Noa’h. Ce n’est qu’après un déluge longuement décrit, après la promesse de D.  faite à l’homme de ne plus détruire la terre et suite à Son injonction de ne pas, nous non plus, détruire la vie humaine, que ces trois personnages reviennent sur le devant de la scène.

Noa’h plante une vigne dont il profite au point de se dénuder. ‘Ham accourt vers ses frères pour diffamer au sujet de son père[1]. Shem, suivi de Yefet, recouvrent leur père sans regarder sa nudité. Suite à quoi Noa’h se réveille et réagit face aux trois différentes intentions de ses fils devant la situation de leur père. Mis à part Rashi qui en s’appuyant sur le Midrash s’arrête sur le verbe “vaya’hel” pour noter le tort de Noa’h[2], notre passage se concentre davantage sur les raisons et les torts de ses fils. D’après le Netsiv, cet épisode marque les distinctions essentielles entre trois types d’hommes qui habitent le monde[3], à savoir celui des hommes qui travaillent la terre, celui des hommes rationnels et intellectuels, et celui des hommes attachés au divin[4]. Aussi ces différences remontent-elles aux origines de la nouvelle humanité et prennent-elles leur source dans un même épisode auquel chacun a réagi différemment. À noter que le Netsiv établit des distinctions typologiques et non raciales.

Nous aurions du mal à dérouler le raisonnement du Netsiv et le lien ainsi établi entre l’acte des fils et l’essence des trois descendances. Ceci étant, la première typologie d’hommes peu réfléchis et impulsifs tombe assez naturellement dans la descendance Cananéenne de ‘Ham. La différence entre Shem et Yafet vient quant à elle d’une “faute” grammaticale: “Vayika’h Shem va Yefet” – “Shem et Yefet prit [la couverture pour en recouvrir Noa’h][5]. Rashi sur place écrit: “Le verbe prendre est conjugué au singulier car Shem a accompli la Mitsva avec plus d’empressement”. Là-dessus le Netsiv n’est pas tout à fait d’accord: En quoi l’un s’est-il plus empressé que l’autre? Le fait est que les deux ont fini par porter la couverture! La réelle différence réside dans la nature de l’action de chacun: pour l’un il était question d’une Mitsva, pour l’autre il s’agissait d’éthique.

Dans le cadre de la Mitsva, l’acte prend plus d’importance lorsqu’on l’accomplit nous-même que lorsqu’on nomme un intermédiaire pour le faire. Ce qui n’est pas le cas d’un acte rationnellement moral: du moment que quelqu’un s’occupait de recouvrir Noa’h, Yefet était satisfait. Il suffisait pour lui que l’ordre moral soit rétabli pour que le monde retrouve son cours normal. Shem voulait quant à lui accomplir une Mitsva, un acte d’un autre ordre. Ainsi a-t-il pris seul la couverture, puis, comme il ne parvenait pas à recouvrir seul son père, Yefet a dû l’accompagner (toujours par souci moral).

Lorsque Noa’h se réveille de son ébriété, c’est la toute première fois qu’il s’exprime dans la Torah. Au Netsiv de noter que toutes ses paroles sont prononcées sous l’esprit divin, et que ses bénédictions à l’égard de Shem et Yefet sont prophétiques.

Concentrons-nous sur celle de Shem: “Béni soit Hashem, D. de Shem”. Le Netsiv écrit que celui qui accomplit les choses par souci de la Mitsva fait résider le divin dans la nature. En d’autres termes, il s’associe ainsi au projet divin au point d’être relié à son Nom: “D. de Shem”. Comme on dira plus tard “D. d’Avraham, d’Its’hak et de Ya’akov”. Les Patriarches sont les prototypes du succès de cette entreprise, dont le point d’orgue se trouve dans la ligature d’Its’hak: Comment Avraham, alors connu dans le monde entier pour sa grande bonté et son humanisme, peut-il partir sacrifier son fils et accomplir ce qui est rationnellement immoral, pour la seule raison que D. le lui a demandé ? Cet épisode qui soulignera aussi la motivation profonde d’Avraham dans l’accomplissement des Mitsvot marquera une nouvelle fois l’emprunte de Shem, maître et ascendant d’Avraham.

 

ESTHER

 

* R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

* Texte :

http://www.sefaria.org/Haamek_Davar_on_Genesis.9.27?lang=en


[1] « Vayagued lichnei e’hav » - « Il a raconté à ses deux frères » [9 :22]. Le Netsiv fait remarquer que le verbe « lehaguid » ne signifie pas simplement relater les faits observés. Autrement on aurait vu apparaître le verbe « vayomer » - « Il dit ».

[2] Rashi sur le verset 9 :20

[3] Commentaire du Netsiv sur 9:18 et 9:20

[4] Commentaire du Netsiv sur 9 :19

[5] Verset 9 :23

 

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