Le juste, miroir du monde (Lekh Lekha)

Cycle : La paracha selon le Torah-Temima 

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Lekh-Lekha : Le Juste, miroir du monde

Notre compréhension des propositions bibliques classiques se brise bien souvent sur l’écueil de leur supposée banalité qui finit par empêcher d’entendre toute leur complexité. Un peu comme ces êtres de notre entourage que l’on tient pour acquis, et dont la valeur n’éclate au grand jour qu’une fois leur présence évanouie.

Voici le fameux distique « Je bénirai ceux qui te bénissent ; celui qui te maudit, Je le honnirai » (Genèse 12 ; 3), qui apparaît pour la toute première fois au début de Lekh-Lekha lorsque Dieu bénitAvram.

En principe, la compréhension d’une phrase demande d’interroger son sens de deux points de vue : de celui qui la profère et de celui à qui elle est adressée. Mais avant même de partir sur ces analyses, l’examen de ce fragment révèle que, s’il est adressé par Dieu à Avram, il trouve semble-t-il son efficace sur le tiers qui choisira de bénir ou de maudire le premier Patriarche. Pour ainsi dire, cette proposition crée une triangularité entre Dieu, Avram et le monde avec lequel celui-ci sera en contact.De fait, la compréhension de la phrase doit prendre en compte ce tiers dont les mots lui sont renvoyés d’Avram, comme par rebond.

Le Torah Temimah va consacrer deux longs développements pour tenter d’expliciter ce passage. Il apporte un Midrach évoquant deux autres passages de la Torah où ce distique apparaît : la bénédiction d’Itzhak àYaacov dans Toldot, et la prophétie de Bil’am sur les Enfants d’Israël dans Balak.

Chose étonnante, si Bil’am suit la structure de la bénédiction divine faite à Avram – d’abord la bénédiction des bénisseurs, puis la malédiction des maudisseurs -, Itzhak inverse ces éléments et place la malédiction des maudisseurs avant la bénédiction des bénisseurs ! Bil’am suivrait Dieu à la lettre, et pas Itzhak !?

Tentative de réponse du Torah Temimah : la raison de ces inversions serait corrélée au chemin de vie, au destin personnel. Encore faut-il entendre sous quel régime et quelles catégories ce destin s’inscrit. Dans le Midrach, l’essence du Juste consiste à connaître d’abord les épreuves de ce monde, puis enfin la félicité du monde qui vient, tandis que celle du Pervers consiste à connaître d’abord la félicité de ce monde puis les épreuves à-venir. C’est pourquoi Bil’am est comme nécessairement forcé d’évoquer la bénédiction avant la malédiction, et Itz’hak de commencer par la malédiction et de compléter par la bénédiction.

Reste que, comme toutes les essences, l’essence du Juste et celle du Pervers sont soumises au déploiement dans ce monde, avec toutes les vicissitudes du devenir historique. Et le Torah Temimah de remarquer astucieusement que, si l’on suit l’idée de l’ordre des mots comme dépliement de l’essence des êtres dans le monde, les propositions reçues par Avram et Yaacov auraient dû être l’inverse de ce qu’elles furent.

En effet, Avram avait déjà connu maints épreuves (l’affrontement avec Nimrod, Our Casdim, etc.) - de là, il aurait fallu commencer par la malédiction et finir par la bénédiction - ; tandis que Yaacov avait jusque-là vécu dans la sérénité avant de partir vers Lavan -de là, la bénédiction aurait dû précéder la malédiction.

Or nous voyons qu’il n’en est rien et le Torah Temimah semble en fin de compte se débarrasser du commentaire en disant que l’ordre suivi par Bil’am était adéquat et qu’Itz’hak a voulu finir son propos par une note positive, comme cela deviendra l’habitude de tout Israël de ne pas se quitter sans un propos de bénédiction.

Entre l’essence du Juste et son déploiement parfois imprévisible dans l’Histoire, nous voici donc face à un problème théologique classique : les pas que j’accomplis chaque jour suivent-ils la voie qui leur a été tracée ? En reprenant la parole divine, on pourrait même se demander s’ils suivent la voix qui m’appelle à aller pour moi ?  Car, en dernier ressort, « sont bénis sont ceux qui me bénissent, et honni celui qui me maudit », c’est-à-dire refléter sur le tiers ce qu’il m’envoie, ne se réalise, pour ainsi dire mécaniquement, que si « je vais pour moi ».

Mécaniquement, car, aller pour soi, c’est être le Ivri, celui qui traverse pour se rendre sur l’autre rive. Seul s’il le faut - parce qu’il le doit. Par cette solitude et cet oubli de soi, son être se vide de son contenu historique pour toucher à l’essence. Epreuves ou félicité, les vicissitudes de l’Histoire n’atteignent pas le Juste, il est insouciant de son destin historique.

Car, dans ce monde, le Juste est un miroir. Reflet du monde bien sûr ; mais surtout ligne de fuite du regard, pour signifier que ce monde conserve toujours une dimension latente, un monde qui vient.

 

Jonathan Aleksandrowicz

 

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ואברכה מברכיך

כתיב (פ' נשא) כה תברכו את בני ישראל, למדנו ברכה לישראל, ברכה לכהנים מניין אמר רב נחמן בר יצחק – ואברכה מברכיך זוע' לפנינו בפ' נשא בפסוק ואני אברכם. וכתבו התוס' וז"ל, ואפילו נכרים המברכין את ישראל מתברכין כדאיתא בירושלמי ברכות (פ"ח ה"ח) ההוא נכרי דיהיב שלמא לר' ישמעאל, אמר לי', מלתך כבר אמורה, פירוש, איני צריך להחזיר לך שלום שברכתך כבר אמורה ואברכה מברכיך, עכ"ל, ולפנינו בירושלמי מובא הפסוק ומברכיך ברוך דס"פ תולדות, ויובא לפנינו שם. –
ודע דאיתא במדרשים בס"פ תולדות בברכת יצחק ליעקב ארריך ארור ומברכיך ברוך, שהעירו דבבלעם כתיב מברכיך ברוך ואורריך ארור, הקדים ברכה לקללה, וביצחק הקדים קללה לברכה, ותרצו משום דצדיקים תחלתן יסורים וסופן שלוה, לכן הקדים קללה לברכה, וברשעים תחלתן שלוה וסופן יסורים לכן הקדים ברכה לקללה, ע"כ. וצ"ע מכאן שהקדים הקב"ה לאברהם בברכה וסיים בקללה. ואפשר י"ל משום דאברהם כבר סבל עד כה יסורים, כנודע באגדות מהפלתו לכבשן האש ומטלטולו וגלותו ועוד, וא"כ כבר סבל ערך היסורים שדרך הצדיקים לסבול מתחלה ולכן לא חש לפתוח אצלו בברכה, משא"כ ביעקב עד צאתו מבית אביו הי' יושב בשלוה. וגם י"ל פשוט דבאמת יש להקדים הברכה להקללה כמו שהוא בכ"מ בתורה, הברכה והקללה, רק יצחק בסיום דבריו לא רצה לסיים בארור והפך הסדר. (מזה אולי יש סמך למנהג בני ישראל לסיים אמרותיהם בדבר טוב) ולא כן עשה בלעם הרשע שסיים את דבריו בארור ולא בברוך. (חולין מ"ט א')

 

 

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