Où se joue l'avenir du judaïsme français ?

Où se joue l’avenir du judaïsme français ?

 

Avenir kippa

 

 

J’ai récemment lu et entendu deux critiques du judaïsme français. L’une d’elle venait d’un Rav talmid ‘hakham (érudit) et reconnu comme tel, installé en France depuis quelques années. La seconde provenait d’un universitaire français aujourd’hui installé aux Etats-Unis. Si ces deux personnes sont très différentes, leur point commun réside dans le fait d’avoir vécu longtemps outre-Atlantique.

Les deux critiques n’étaient pas du tout identiques. Le premier, d’obédience ‘haredite (orthodoxie stricte), regrettait le manque de Yechivote (institutions talmudiques) de haut niveau, capables de ‘produire’ d’éminents Rabbanim. Le second, partisan d’un judaïsme se voulant plus ‘ouvert’, accusait les institutions juives françaises d’être rétrogrades et « en déconnexion avec le judaïsme nord-américain et israélien » quant à la place des femmes dans l’espace communautaire. Entre autres.

Il est évident qu’il n’existe pas « un » judaïsme français, de même qu’il n’existe pas un seul modèle de judaïsme américain ou israélien. Il apparaît néanmoins que la culture nationale doit être prise en compte pour comprendre certains traits communs aux différents modèles d’un même pays.

Ainsi le Rambam (Maïmonide 1135-1204) et Rabbi Yehouda Halévy (auteur du Khouzari 1075-1141) basaient leurs démonstrations théologiques sur une critique poussée des théories aristotéliciennes, car les lettrés de l’Espagne médiévale -dans laquelle ils évoluaient- étaient versés dans cette philosophie. De même, le Rav Shimshon Raphaël Hirsch (1808-1888 Allemagne) insistait pour que l’étude des sciences prenne une place non-négligeable aux côtés des études juives, car les Juifs allemands -auxquels il s’adressait- étaient les héritiers du ‘siècle des lumières’, réticents à l’apprentissage cultuel brut.

Qui ne serait pas impressionné aujourd’hui par la vie juive débordante à Brooklyn, ou par les imposantes institutions rabbiniques et talmudiques de la ville de Lakewood ? Mais n’est-ce pas là aussi la conséquence du modèle national américain associant réussite et extension mirobolante ? Qui ne serait pas également impressionné -ou désagréablement surpris- par les innovations d’autres communautés américaines ayant à leur tête des « femmes rabbins » se prétendant « orthodoxes » ? Mais n’est-ce pas là encore une réminiscence d’un modèle américain, construit après la guerre d’indépendance sur une opposition farouche entre l’ancien monde et le nouveau ?  

Personne n’est parfait. Le travail des dirigeants spirituels pour diffuser la Torah et rapprocher les juifs de leur identité juive originelle est un immense chantier dans lequel chaque nouvel ouvrier est le bienvenu. La critique constructive permet de faire avancer les personnes comme les institutions. Toutefois, vouloir transposer l’un des modèles américains au judaïsme français est à mon humble avis une démarche erronée, dans le sens qu’il y a une mauvaise prise en compte du contexte local. Il existe en France plusieurs institutions juives ayant une histoire ancienne et profondément respectueuses des traditions. Les améliorations de nos modes de fonctionnement conviennent de se faire dans la douceur et le respect de la Halakha.

 

Un premier essai de réunir les forces vives du judaïsme français a récemment eu lieu. Je regrette que les auteurs du programme aient voulu transposer une certaine réalité innovatrice venue de l’étranger, à un judaïsme français bien plus traditionnel, et ce pour des raisons avant tout culturelles. J’émets le souhait que d’autres initiatives se forment en se fondant cette fois-ci sur l’approbation des Dayanim et Rabbanim français qui sont les véritables acteurs de terrain.

 

Yona GHERTMAN

 

 

*Billet publié dans l'hebdomadaire 'Actualité-juive', Novembre 2019

 

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