La Théodicée du Covid en question

Cycle : La paracha selon le Torah-Temima 

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La Théodicée du Covid en question

 

 

La fameuse négociation d’Avraham avec Dieu à propos des villes de Sodome et Gomorrhe se trouve dans notre Paracha.

Coupables de comportements moralement détestables, les habitants de la ville de Sodome vont bientôt voir s’abattre le feu et le souffre qui mèneront à la destruction totale des villes.

Avraham essaie d’empêcher ce destin funeste en arguant auprès de Dieu qu’il ne peut raisonnablement détruire une ville entière dans laquelle se trouvent des Justes. Parti de 50, la négociation aboutit à un chiffre de 10 justes au-delà duquel Dieu accepte de ne pas déclencher son courroux.

L’argument massue d’Avraham touche à une question fondamentale qui doit agiter l’esprit de tout croyant, celui de la théodicée. Ou, en termes talmudiques : « Le Méchant vit des choses positives tandis que le Juste est affligé » (Racha veTovlo, TzadikveRalo).

Avraham le formule ainsi au Chapitre XVIII, verset 25 : חָלִ֨לָה לְּךָ֜ מֵעֲשֹׂ֣ת ׀ כַּדָּבָ֣ר הַזֶּ֗ה לְהָמִ֤ית צַדִּיק֙ עִם־רָשָׁ֔ע וְהָיָ֥ה כַצַּדִּ֖יק כָּרָשָׁ֑ע חָלִ֣לָה לָּ֔ךְ הֲשֹׁפֵט֙ כָּל־הָאָ֔רֶץ לֹ֥א יַעֲשֶׂ֖ה מִשְׁפָּֽט׃

« Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable, les traitant tous deux de même façon! Loin de toi! Celui qui juge toute la terre serait-il un juge inique?"

Avraham ici fait appel à la dimension de justice divine intrinsèque au Maître du monde. D’après le Talmud Avoda Zara 4a, que le Torah Temima rapporte dans son commentaire, le fait de faire mourir le Juste en même temps que le Méchant est une profanation de l’idée même de justice divine.

Mais évidemment, si ici Dieu accepte de surseoir à la destruction de Sodome si 10 Justes s’y trouvent, ce n’est pas l’expérience que chacun vit au quotidien.  Et notamment pendant cette période difficile de pandémie de Covid, où on a le sentiment que celui-ci frappe de façon aveugle, indépendamment des mérites de chacun.

Comment concevoir ce décalage entre l’absolue nécessité de croire en une justice divine et la réalité du monde dans lequel nous vivons, qui nous fait ressentir une forme d’indifférenciation dans les malheurs qui s’abattent sur les hommes ?
C’est une immense question, peut-être la plus troublante qui est posée à un Juif et de nombreux géants de la tradition juive s’y sont attaqués avec courage. Le plus notable d’entre eux étant probablement Maïmonide.

Ce n’est donc pas ici que nous la résoudrons, mais il est intéressant de noter le passage talmudique que le Torah Temima rapporte dans son commentaire sur ce verset. Il s’agit du traité Baba Kama, p. 60b.

Où nous retrouvons un des passages d’une actualité troublante puisqu’on y traite, entre autres, de l’attitude à adopter en cas de pandémie (Dever). Les Sages indiquent qu’en cas de pandémie dans une ville, il ne faut surtout pas rester à l’endroit où la majorité de la foule se trouve (« au milieu des chemins »), mais s’isoler pour ne pas « entrer en contact avec l’Ange de la Mort. Texte frappant alors que nous sommes nous-mêmes actuellement en confinement et dissuadés de nous retrouver dans les grands lieux de rassemblement.

Quel rapport avec la Théodicée ? Car, si Dieu sauve les Justes, pourquoi ne pas imaginer que cette consigne d’isolement ne s’applique pas à eux ?

Non, répond implicitement la Guemara, car à partir du moment où Dieu a donné l’autorisation à l’Ange de la Mort de frapper, il faut tout faire pour éviter de se retrouver en sa présence car il a la possibilité de tuer indistinctement.

Résumons : oui, Dieu peut éviter de frapper les Justes, comme il le promet à Avraham. Mais il ne le fera pas de façon magique : les Justes doivent prendre en compte le fait que l’Ange de la mort (ou la Nature, ou le Virus, appelez-le comme vous voulez) peut frapper comme il l’entend à partir du moment où il en a reçu l’autorisation.

Chacun d’entre nous a la responsabilité matérielle d’éviter de se retrouver dans une situation périlleuse et de ne pas « tenter le diable ». La preuve de cela ? Lorsque Dieu envoie la 10ème plaie d’Egypte, la mort des premiers-nés, il demande au peuple de marquer leur maison et de ne surtout pas en sortir. Car si c’était le cas, il ne pourrait pas éviter leur mort. De même, si Lot est finalement sauvé de Sodome, c’est parce qu’on vient le chercher et qu’il accepte, à contre-cœur de quitter la ville. S’il y était resté, tout Juste qu’il fut, il aurait été détruit avec le reste de la ville.

Le Torah Temima, en mettant en regard ces passages talmudiques apparemment contradictoires, semble faire résonner les innovations maïmonidiennes en matière de providence divine dans son Guide des Egarés. Ce commentaire prend aussi une signification particulière lorsqu’on sait que son auteur, après avoir émigré aux Etats-Unis en 1923, est revenu en Europe de l’Est en 1926 à Pinsk où il mourut de l’incendie de l’hôpital où il avait été admis, perpétré par les Nazis en 1941.

 

FRISON

 

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