Petite trahison entre amis...

Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma 

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Petite trahison entre amis

« Quand tu marcheras en corps d'armée contre tes ennemis, tu devras te garder de toute action mauvaise. » (Dvarim 23.10). Ce verset semble être une simple introduction aux lois relatives à la ‘sainteté’ du camp militaire, car « Dieu marche au centre de ton camp »[1]. Or le Talmud[2] interpellé par l’homophonie entre davar-chose et davar-parole, apprend de ce verset qu’il est interdit de dire ‘une méchante parole’ sur autrui. Les questions suscitées sont multiples, une fois passée la stupéfaction : pourquoi apprendre cet interdit ici ? Pourquoi ne pas se contenter d’un autre verset ‘ne va pas colporter dans ton peuple’[3] ?

Le Méché’h ‘Ho’hma ne pose pas explicitement ces questions : il y répond. Qu’est-ce qu’une ‘méchante parole’ en période de guerre ? C’est trahir le secret militaire, et c’est de cela que parle le premier verset. Il n’est donc plus superflu : il vise un interdit nouveau qui harmonise l’ensemble du texte. En effet, celui-ci énonce à sa suite deux autres règles : obligation de sortir se tremper pour qui aurait eu une pollution nocturne et obligation de propreté du camp. Dans les deux cas, il s’agit de sortir du camp, avec les risques que cela comporte, notamment être pris par l’ennemi et forcé à ‘parler’.

Le sages s’empareraient-ils de ce verset et le généralisent abusivement en interdisant tout colportage, même dans un cadre non militaire ? Il n’en n’est rien : en fait notre auteur distingue deux types de colportage qui enserrent l’ensemble de la problématique du lachone ara. Une méchante parole proférée à l’encontre d’autrui, et une parole qui vise à révéler les secrets à l’extérieur de sa communauté. Les enjeux sont fondamentalement différents en ce qu’ils touchent deux couches identitaires distinctes : identité personnelle et appartenance à un peuple. Ainsi ce verset nuance et réoriente l’interdit de colporter : il ne s’agit pas d’interdire toute mauvaise parole mais toute parole de traitrise, que celle-ci vise les relations interpersonnelles ou communautaires. Deux versets qui se complètent et se précisent mutuellement. La lecture de la page talmudique attenant s’en trouve éclairée puisque contrairement à son habitude, après avoir exhibé les deux sources, il ne questionne pas la nécessité de ce duo de versets.

A partir de là, le Rav de Dvinsk n’a plus qu’à utiliser sa distinction dans plusieurs directions. Il rappelle que parfois l’expiation de fautes au Temple n’est pas liée à un sacrifice, mais à un culte, comme par exemple l’encens[4]. Or il existe deux types d’encensement une quotidienne et une à kipour dans le saint des saints. Le premier type correspond aux mauvaises paroles qui auraient été dites sur son prochain, au sein de la communauté, à son propos le Talmud fait d’ailleurs remarquer « que nul n’est épargné de cette faute »[5], d’où son culte journalier. Par contre la trahison reste exceptionnelle. On l’aura compris notre auteur fait bouger le paradigme de la ‘méchante parole’ pour le déplacer sur le terrain de la trahison, quotidienne, entre amis !

Franck Benhamou.

 

*Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

Texte original :

משך חכמה דברים פרק כג
ונשמרת מכל דבר רע. לא רחוק לומר שכוונת הפסוק שלא לגלות מסתורין של המלחמה, ושלא לספר ארחם ורבעם לשום איש. ומזה יאות שלא להניח לשום אדם לצאת מן המחנה שמא ישיגוהו שונאיהם וימלטו מפיו תחנותם, וכמו שהגיד המצרי לדוד בסוף שמואל - א, ל, יג - טו. וזה בכלל "דבר רע" שאמרו בספרי: אפילו דיבור רע, וזה לשון הרע, וכיוונו למה שכתבתי. ולזה אמר רק (פסוק יא) "כי יהיה בך איש אשר לא יהיה טהור מקרה לילה ויצא אל מחוץ למחנה וכו'". וכן מצינו בירושלמי פאה (פרק א הלכה א): אזהרה ללשון הרע מנין, "ונשמרת מכל דבר רע". אמר רבי, לא תני ר' ישמעאל "לא תלך רכיל בעמך". הענין דיש שני לאוין להירושלמי על שני סוגי לשון הרע [יעויין כתובות מו, א] - אחד על לשון הרע בתוך בני ישראל עצמם מזה לזה, וזה "לא תלך רכיל בעמך", בעם בני ישראל. והשני, לשון הרע מחוץ למחנה ישראל, וזה פשט המקרא "כי תצא (מחנה על אויביך) ונשמרת מכל דבר רע", שלא לגלות מסתורין, כמו שכתבתי. ועל זה באו שתי כפרות: האחד קטורת על לשון הרע שבסתר, כדמפרש זבחים דף פח, ב. וזה על לשון הרע שבתוך מחנה ישראל, שבזה יש אבק לשון הרע שאין אדם ניצל בכל יום, 'וכולם באבק לשון הרע' (זבחים שם). אמנם קטורת שלפני ולפנים הוא על לשון הרע שמחוץ למחנה ישראל, שלא נודע לישראל, 'בלתי לה' לבדו', ועל שני הבדים, וזה פעם אחת בשנה (ויקרא טז, לד). וזה היה סיבת הגלות של מצרים כמו שאמרו (שמות רבה לשמות ב, יד) "אכן נודע הדבר", וסיבת גלות של בבל בשניה כמו שאמרו: אקמצא ובר קמצא חרב (ירושלים). והוא מביא לידי חלול השם, החמור מעון עבודה זרה כמו שאמרו ירושלמי נדרים פרק ג. ולכן אף מחשבה שקולה כמעשה, ומחשבה אין יודע רק השם לבדו, וזה לפני ולפנים, ש"כל אדם לא יהיה באהל" - אפילו מלאכים שפניהם פני אדם, כדאמר בירושלמי יומא (א, ה), ושם מכפר. והנה גם הגאוה מקור לעבודה זרה, כמו שכתוב (דברים ח, יד) "ורם לבבך ושכחת (את ה' אלקיך המוציאך מארץ מצרים"), ונידון על המחשבה ודנים עליה. לכן אמרו בירושלמי (יומא פרק ז הלכה ג): מפני מה אין כהן גדול משמש בבגדי זהב, משום הגאוה, א"ר סימון על שם (משלי כה, ו) "אל תתהדר לפני מלך". והוא מפני שהשי"ת דן על המחשבה.

 

[1] Dvarim 23.15.

[2] Talmud de Jérusalem 1.4.

[3] Vayikra 19.16.

[4] Zva’him 88b.

[5] Baba Batra 164b. 

 

 

 

 


 

 

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