Quand la Torah et l'idolâtrie se retrouvent

       Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*   

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Quand la Torah et l’idolâtrie se retrouvent

 

La première partie du début de H’oukat traite de la vache rousse. Cette vache qui doit répondre à des critères spécifiques subira une longue procédure rituelle : On l’abattra en dehors du camp, puis l’on procédera à l’aspersion de son sang avant de la brûler en compagnie d’autres ingrédients… Ses cendres, une fois recueillies permettront de purifier celui qui s’est rendu impur au contact d’un mort.

A propos de sa Cheh’ita (abatage rituel), le verset nous détaille :

« Vous la remettrez au pontife Eléazar; il la fera conduire hors du camp, et on l'abattra en sa présence» (Nombres, 19 ; 3).

L’abattage est donc fait à l’extérieur du camp, par un juif lambda, alors que les autres étapes du rituel de ce « sacrifice » devront être faites par un Cohen. En effet, l’abattage est en général considéré comme une avoda (service) mineure, et de ce fait, peut être accompli par n’importe quel juif. Par ailleurs, tous les Cohanim (prêtres) ayant participé à ce rituel seront impurs et seront donc interdits d’entrée au Temple jusqu'à leur immersion dans un bain rituel (Nombres, 19 ; 7).

Cette impureté qui se retrouve dans d’autres sacrifices peut paraître étonnante. En effet, comment se fait-il que celui qui accomplit un commandement de Dieu, qui plus est dans le cadre du service sacré du sanctuaire, se rend en même temps impur ? De plus, la vache rousse permettra de purifier celui qui s’est rendu impur au contact d’un mort. Il est donc d’autant plus étonnant que celui qui participe à cette purification soit frappé d’impureté à cette occasion.     

     Pour comprendre cela, voyons ce qu’avance le Méchekh’ H’okh’ma. Ce dernier fait remarquer que tous les sacrifices faits à l’extérieur rendent ceux qui s’en préoccupent impurs, s’ils ont un lien avec l’intérieur.  Notamment s’ils sont commencés à l’intérieur, comme le bouc d’Azazel que l’on jette du haut d’une falaise le jour de Kippour pour pardonner les fautes et les taureaux et boucs que l’on brûlait à l’extérieur[1]. Ou encore s’ils ont un lien plus imagé avec l’intérieur, comme notre vache rousse dont l’aspersion du sang doit être faite en direction de la partie principale du sanctuaire. En revanche, les sacrifices faits à l’extérieur, sans le moindre lien avec l’intérieur comme les oiseaux du lépreux ou la génisse au cou brisé[2] ne provoqueront aucune impureté pour ceux qui s’en occupent.

Pour expliquer cela, le Rav de Dvinsk nous dit qu’en effet, il ne peut y avoir d’impureté que lorsque qu’il y a de la sainteté. Comme si l’extérieur perturbait la sainteté de ces sacrifices, et provoquait une impureté. Alors que lorsqu’il n’y a aucun lien avec l’intérieur, cette sainteté n’a pas lieu et ne peut donc être perturbée. Il convient donc d’expliquer pourquoi l’extérieur du camp dérange tellement cette sainteté, et si tel est le cas pourquoi la place de ces sacrifices – comme notre vache rousse – est à l’extérieur ?

Rav Méir Simh’a Hacohen rajoute alors qu’il y a un interdit de faire des sacrifices à l’extérieur du camp (en dehors des cas particuliers susmentionnés). La raison est explicite dans la Torah : cela se rapproche d’un culte idolâtre (Lévitique 17,7). En d’autres termes, le rituel des sacrifices est tellement complexe quant à son sens, que dès qu’il serait en dehors du contexte du sanctuaire, on se retrouverait dans une situation où ce qui se passe n’est plus très clair, car la pratique n’est alors plus encadrée, et le rite se retrouve vite embarqué vers des représentations ou des valeurs étrangères. Pour cette raison, certains sacrifices faits à l’extérieur devront être réalisés au moins en partie par le grand prêtre, duquel la pensée risquerait moins d’être déviée.

Il nous reste à comprendre pourquoi certains sacrifices sont pratiqués à l’extérieur, parfois en lien avec l’intérieur, parfois sans aucun lien avec celui-ci. Concernant ceux qui n’ont aucun lien avec l’intérieur, il semblerait qu’il s’agisse simplement de rituels symboliques destinés à nous faire réaliser certaines choses, mais qui ne relèvent pas à proprement parler du culte divin, et qui ne sont donc pas en rapport avec l’espace du sanctuaire. En effet, le rituel du lépreux contient tout une série de symboles ayant pour but de lui faire prendre conscience du mal qui l’a fait. De même, s’agissant de la génisse au cou brisé, son objectif et de faire prendre conscience aux gens de la ville de ce qui s’est passé chez eux.

En revanche, pour les sacrifices extérieurs en lien avec l’intérieur, l’explication paraît moins évidente. Peut-être pouvons-nous avancer que si ces sacrifices sont des véritables cultes (preuve en est leur lien avec l’intérieur), et que l’extérieur est un lieu qui se rapproche de l’idolâtrie dans un sens large du terme, c’est donc que ces sacrifices contiendraient une dimension qui relèverait quelque part de quelque chose d’occulte. Soit parce qu’il y aurait un lien direct avec des représentations étrangères, soit parce que l’on voudrait montrer que l’on cherche à considérer la chose comme étrangère. Concerant le bouc d’Azazel, l’idée est presque explicite dans le commentaire de Nahmanide, selon qui il s’agirait d’un sacrifice à l’ange Samaël qui obstrue le repentir et empêche de repartir de l’avant. Pour le bouc pardonnant un culte idolâtre, l’explication semble évidente. Enfin, s’agissant du taureau pardonnant une faute collective, nous pouvons également comprendre qu’une faute collective doit être rejetée vers l’extérieur, car on ne peut plus garder la représentation de celle-ci parmi nous. Mais pour la vache rousse, le sens est moins évident.

Peut-être y aurait-il dans le rapport à la mort quelque chose qui n’est plus maîtrisé par l’homme et qui le rend délirant, au point que sa façon de voir les choses n’est plus maîtrisée, ce qui le pousse parfois à sombrer dans une certaine forme de mysticisme. La vache rousse viendrait alors l’aider à sortir de ce tourbillon. Mais ce tourbillon, nous étant tellement occulte, ressemblerait plus aux cultures païennes, à qui l’on refuserait une place à l’intérieur du sanctuaire. On nous obligerait donc, en sacrifiant la vache rousse à l’extérieur, à prendre conscience de la  distance que l’on a prise avec « l’intérieur », tout en aspergeant le sang de la vache rousse vers le sanctuaire comme en signe de rapprochement possible.        

 

Tsvi Elyahou Lévy

 

 

*Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

Texte original:

 

משך חכמה במדבר פרק יט פסוק ג
ודע, כי כל עבודות חוץ המה מטמאים בגדים, והעוסק בהן טמא מלבוא למחנה שכינה. אך דוקא הני דתחלתם בפנים, כמו המשלח השעיר (ויקרא טז, כו), והמוציאים פרים הנשרפים (זבחים קד, א), וכן העוסקים בפרה שצריך להזות נגד "פני אהל מועד". אבל צפרי מצורע (ויקרא יד, ז), הכהן אינו מתטמא, שאינו שייך לפנים כלל, וכן בעגלה ערופה (דברים כ, ד). וזה מדרכי התורה, כמו שהעכו"ם אינו מתטמא, וזובו טהור, כי הטומאה הוא במקום שיש קדושה, ואכמ"ל.
ביומא מב, ב. למאן דאמר לדורות בכהן גדול מנא ליה? גמר "חוקה - חוקה" מיום הכיפורים. זה גופיה הטעם דכתוב קרא על שחוטי חוץ (ויקרא יז, ז) "ולא יזבחו עוד את זבחיהם לשעירים", הוא הנפרדים משכליים הנבדלים, שהשחיטה חוץ למקדש הוי כהקרבה לזולת השי"ת. והנה שעיר המשתלח שהוא בחוץ, והפרה אדומה נקרבת בחוץ, צריך שיהא בכהן גדול, שזה ענין עלול לחשוב מחשבה זרה חלילה, איזה עבודה לכח נפרד, אשר על זה דריש בספרי (פיסקא מא לדברים יא, יג) "ולעבדו בכל לבבכם" - שלא יהרהרו כהנים בשעת עבודה. לכן מצותה בכהן גדול, שהוא איש שרוח הקודש שורה עליו, הוא לא יבא לחשוב זרה. ויעויין רמב"ן קרוב לזה. כן מה שכתב בפרשת אחרי על עזאזל, יעויין שם. והנה מצאנו 'חוקה' בסתרי הטבע, שארס המחלה, בהתהרכבה בדמי החולה, אז יהיה זה מזור, כאשר נתפשט כעת הרפואה נשוכי כלב שוטה ובחולי אסכרה, ועוד מחלות שונות, אשר זה שיטת ר' מתיא בן חרש בסוף יומא. כן בסתרי התורה, כי הפרה האדומה והשעיר המשתלח, כאשר יעשו, זה משתלח מבפנים, וזו נוכח פתח אהל מועד, זה מכפר וזה מטהר. ומי יבא בסוד ה'?!

 

 

[1] Il peut s’agir du bouc venant pardonner un culte idolâtre par ignorance, ou du taureau pardonnant une faute collective du peuple.

[2] Lorsque l’auteur d’un meurtre était inconnu, une expiation devait avoir lieu pour prendre conscience de la gravité de ce qui s’était passé. On sacrifiait alors une génisse à proximité du lieu du crime.  

 

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