Quand l'histoire s'inverse... (Méguilat Esther)

  Réflexion sur la Meguilat Esther: quand l'histoire s'inverse...

Dessin anniversaire champagne

 

La vie est pleine de paradoxes : dans notre société où règne l'idéal du paraître, les gens les plus en vue sont parfois loin d'être copie conforme -en privé ou dans un autre contexte- à l'idéal qu'on leur prête ; à l'opposé, on peut croiser des gens d'exception, plus effacés voire inconnus du grand public. C’est ce que rapporte l'un des maîtres de la Guemara. Ayant frôlé la mort de très près, il raconte ce qu'il a vécu : je me trouvais dans le monde d'en haut, j'ai vu un monde inversé : ceux qui sont en haut (dans ce monde ci) étaient placés en bas et ceux qui sont en bas (dans ce monde ci) étaient placés en haut". (Baba Bathra 10b)

Il constate que le monde et la considération qu'on a pour certains individus sont complètement différents vu du ciel, c'est à dire, avec un regard dénué de toute forme de subjectivité, et qu'en fait, le monde dans lequel nous vivons nous induit à inverser la réalité.

Cette illusion d'optique ne se limite pas au cadre de l'échelle sociale mais s'étend à la plupart des événements qui traversent notre vie quotidienne. De fait, nous tendons naturellement à accorder trop, ou au contraire, pas assez, d'importance à certaines étapes de notre vie : ce qui apparaît au départ comme un échec peut s'avérer être au final une réussite et inversement.

De fait, les apparences sont souvent trompeuses et seul un œil attentif et inspiré est à même de distinguer le réel de l'illusion afin de percevoir le monde tel qu'il est.

La Meguilat Esther -sous différents aspects- n'échappe pas à cette règle. Ainsi, les Juifs de Chouchan étaient persuadés du bien-fondé d'assister au festin offert par le Roi A'hashveroch. N'était-ce pas là, après tout, une manière de faire acte de patriotisme et de respect vis à vis du roi, et de s'intégrer à la société environnante ?

Et pourtant, Morde'hai -qui était l'un des dirigeants spirituels de cette génération- avait perçu en cette participation au festin, un danger et une volonté d'assimilation au point que la Guemara affirme que cet événement fut la cause du décret promulgué par Haman (Meguila 12a)[1].

La leçon que nous pouvons en tirer est toujours d'actualité : entre intégration et assimilation, le pas est vite fait et les nuances qui différencient ces deux concepts sont si subtiles qu'elles échappent à la plupart d'entre nous. C'est à nos dirigeants spirituels qu'il appartient de trancher ce type de question (et bien d'autres) afin de remettre les choses à leur place et de resituer les limites à ne pas franchir et à nous... la responsabilité de se conformer à leurs directives.

Mais au-delà de cette leçon concrète, le Rav Dessler (Mi'htav Meelyahou, tome 2)[2] met en lumière le fait que la Meguilat Esther se caractérise par des retournements de situation complétement inattendus, pour ainsi dire, l'impensable se réalise là où on ne s'y attend plus.

1. Haman avait mis au point un plan visant à exterminer discrètement la totalité du peuple juif. Il entraîna précisément l'inverse : nos ennemis furent exterminés au grand jour.

2. Haman rêvait de voir Morde'hai se soumettre à sa volonté ; il fut la cause directe de l'immense honneur dont ce dernier bénéficia. [Le Meam Loez rapporte que le Roi A'hachveroch s'adressa à Haman avec une ironie mordante, lui disant : "vois comme ton opinion m' est importante: je vais suivre toutes tes recommandations à la lettre... pour que tu honores Morde'hay"]

3. Dans le même sens, nos maîtres dans la Guemara font remarquer que Haman se rendait chez le roi afin de lui demander de pendre Morde'hay à la potence qu'il avait préparée pour lui. C'est à dire pour lui-même (Meguila 16a)

On constate qu'à chaque fois, Haman abouti au résultat symétriquement opposé à celui qu'il cherchait à obtenir. Pourquoi cette singularité ?

Et de citer le Maharal de Prague qui explique que ce style de miracle est la seule réponse adaptée à la lutte que Haman (et toute l'idéologie qu'il y a derrière) mène contre le peuple juif.

En effet, Haman prétendait que le monde était soumis aux lois du hasard et donc de la probabilité. Hachem a donc contré cette vision des choses et rappelé son pouvoir de direction en réalisant des miracles qui combinent les situations les plus improbables.

C'est cette "stratégie" qu'emploie Hachem vis à vis des individus trop sûrs d'eux-mêmes, comme pour leur dire : "vraiment, es-tu certain qu'on peut être aussi bien servi par les lois du hasard ?"

D. intervient de différentes et manières et pour le coup, au mois d'Adar précisément là où on s'y pourrait s'y attendre le moins.

À nous d'en tirer la force et l'espoir que suscite ce message en cette période parfois troublée.

 

Pourim Samea'h ! 

 

Rabbin Michaël Daltroff

 

[1] Cf. aussi Otsar Midrashim (Eisenstein), Esther p.52.

[2] Ed. hébraïque. Dans l’édition française, cf. Tome 4, p.238 et suivantes.

 

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