Réflexion sur l'antisémitisme aujourd'hui en France

בס״ד

 

Dans quelle mesure doit-on s’indigner de Dieudonné et de Soral ?

Ou comment la Torah peut aussi nous éclairer dans des débats très contemporains

 

                                       Schoucroun

par  Shmouel Philippe Choucroun

 

Voilà déjà plus de deux décennies que la communauté juive de France s’inquiète ouvertement de la montée de l’antisémitisme. Différentes attaques meurtrières ont été perpétrées ces dernières années à l’encontre de personnes identifiées comme juives, et ce dans un climat national assez tendu.

Beaucoup d’intellectuels ou d’observateurs de notre société attribuent cette recrudescence de l’antisémitisme à la prolifération sur le net d’une nouvelle propagande mélangeant antisionisme et vieil antisémitisme, les nouvelles technologies ayant donc permis de contourner les médias traditionnels.

Et dans cette nouvelle vague « brune, rouge, verte » comme l’ont nommé certains de nos représentants communautaires, l’ex-humoriste Dieudonné et l’essayiste au crâne rasé Alain Soral tiennent une place particulière.

En effet Dieudonné a été le premier dans une émission télévisée diffusée à une heure de grande audience, à avoir osé comparer israéliens et nazis dans un sketch ; il a continué tout au long de sa carrière  à dénoncer ce qui était selon lui « la manipulation mémorielle de la Shoah » ou encore, à s’indigner contre «  la toute puissance des juifs dans la nation ».

Fait inquiétant, le personnage est devenu au fil des années une sorte d’icône d’une France qui défie l’autorité et la morale de notre société, et qui s’esclaffe à chaque pic de l’humoriste contre BHL, le CRIF ou Bruel, ses cibles préférées.. 

Face à ce phénomène, nombre de procédures judiciaires ont vu le jour – à chaque annonce de spectacle de l’ex- partenaire d’Elie Semoun, des forces se mobilisent pour interdire la venue de cet agitateur ; cependant le constat demeure le même. Ses salles de spectacle ne désemplissent pas et sur la toile, des centaines de milliers de personnes regardent régulièrement ce nouveau gourou des égarés de la société.

Nous ne traiterons pas dans les lignes qui suivent des différentes analyses politiques, sociologiques ou autres qui ont été faites sur ce phénomène tels que : qui sont les fans de Dieudonné ? Pourquoi son message politique arrive à passer dans une certaine mesure dans la société et  ce, malgré les multiples condamnations de la justice française à son égard ? etc..                                                                                              

Dans l’étude que nous développerons,  nous essaierons avant tout de porter un regard juif sur ce personnage et sa popularité, démarche peu courante malgré les années écoulées et  le  vacarme médiatique qui entourent cette vieille affaire.

Finalement, Dieudonné doit-il autant  nous indigner  et nous mobiliser? Doit-on voir dans l’émergence de ce phénomène un cataclysme pour une France post-shoah  qui pensait avoir tourné une page de son histoire ? Ou bien doit-on finalement constater une impossible réparation de notre société ?

 

L’antisémitisme, une si vieille histoire et si nouvelle histoire

Commençons notre étude par un peu d’étymologie et d’histoire. Le terme antisémitisme est attribué pour la première fois à un intellectuel juif autrichien Moritz Steinshneider en 1860 et ce afin de désigner la haine ou les préjugés portés aux peuples d’origine sémite et de leurs tares culturelles, spirituelles ou intellectuelles.

Evidemment le concept de l’antisémitisme n’a fait qu’évoluer et se muter au fil du temps et des sociétés dans lesquelles il évoluait : une fois on reprochait aux juifs l’amour de l’argent et l’exploitation des pauvres, et au même moment on s’insurgeait dans d’autres lieux que ces derniers véhiculaient et propageaient le poison de la révolution rouge.. (voir l’ouvrage référence - L’histoire de l’antisémitisme - de Léon Poliakov.)

Antisemitisme

 

Ceci étant, si nous nous référons au plus vieil ouvrage traitant de l’histoire du peuple juif, à savoir la Torah elle-même, nous ne constatons pas ni dans les textes ni dans les commentateurs de ces derniers une véritable théologie ou doctrine autour de ce sujet.

La haine du juif ou d’Israël semble presque « naturelle » ou « inévitable », le peuple élu porterait en lui certains stigmates qui le rendent « détestable » par les autres nations.

Développons notre analyse autour de deux ennemis légendaires du peuple hébreu, Parô et Aman.

 

La haine de Parô et celle d’Aman, deux facettes différentes  d’un même mal..

Parmi les innombrables ennemis du peuple hébreu, deux personnages incarnent cette haine destructrice qui nous a toujours menacé : Pharaon (Parô) et Aman au temps de Mordechaï et Esther. Comparons leur démarche et manigance:

Dans la parachat Chemot, Parô constate l’accroissement exponentiel du peuple juif dans son pays :

 

וַיֹּאמֶר אֶל-עַמּוֹ: הִנֵּה עַם בְּנֵי יִשְׂרָאֵל--רַב וְעָצוּםמִמֶּנּוּ.

Il dit à son peuple: "Voyez, la population des enfants d'Israël surpasse et domine la nôtre. (chemot 1,9)

Puis Parô enchérit :

 

הָבָה נִתְחַכְּמָה, לוֹ: פֶּן-יִרְבֶּה, וְהָיָה כִּי-תִקְרֶאנָה מִלְחָמָה וְנוֹסַף גַּם-הוּא עַל-שֹׂנְאֵינוּ, וְנִלְחַם-בָּנוּ, וְעָלָה מִן-הָאָרֶץ

Eh bien! usons d'expédients contre elle; autrement, elle s'accroîtra encore et alors, survienne une guerre, ils pourraient se joindre à nos ennemis, nous combattre et sortir de la province." 1

La sentence tombe :

וַיָּשִׂימוּ עָלָיו שָׂרֵי מִסִּים, לְמַעַן עַנֹּתוֹ בְּסִבְלֹתָם; וַיִּבֶן עָרֵי מִסְכְּנוֹת, לְפַרְעֹה--אֶת-פִּתֹם וְאֶת-רַעַמְסֵס

Et l'on imposa à ce peuple des officiers de corvée pour l'accabler de labeurs et il bâtit pour Pharaon des villes d'approvisionnement, Pithom et Ramessès.

 

Nous remarquons en se penchant sur ces psoukim, que Parô est tout d’abord « inquiet » de l’ascendant démographique que prennent les hébreux sur son peuple. Nous pouvons objectivement s’accorder sur le fait que la Torah elle-même témoigne de l’accroissement miraculeux de la population juive en Egypte. Toutefois, les hébreux n’expriment aucune hostilité ou attitude irrespectueuse envers le souverain. Bien au contraire, selon les sources midrashiques, ceux sont les hébreux eux-mêmes qui offriront leur force de travail à Parô et ce afin de le soulager de sa charge de travail. Les décrets de Parô semblent donc être décalés, nous constatons une inadéquation entre son discours et ses actes :

  • il asservit les hébreux et les écrase sous le poids de travaux forcés titanesques.
  • Il va par la suite s’opposer farouchement à la sortie des hébreux d’Egypte lorsque Moïse l’en implorera.

Or, ces réactions contredisent les propos de Parô à son peuple ! Pourquoi ne pas laisser au contraire fuir les hébreux, voir même les chasser du pays s’ils sont une si grande menace pour l’Egypte ?

Hagada

Analysons maintenant la posture et le discours d’Aman dans le livre d’Esther lorsque ce dernier vint demander à l’empereur Assuérus le droit de s’en prendre aux juifs* :

 ַיֹּאמֶר הָמָן, לַמֶּלֶךְ אֲחַשְׁוֵרוֹשׁ--יֶשְׁנוֹ עַם-אֶחָד מְפֻזָּר וּמְפֹרָד בֵּין הָעַומִּים, בְּכֹל מְדִינוֹת מַלְכוּתֶךָ; וְדָתֵיהֶם שֹׁנוֹת מִכָּל-עָם, וְאֶת-דָּתֵי הַמֶּלֶךְ אֵינָם עֹשִׂים, וְלַמֶּלֶךְ אֵין-שֹׁוֶה, לְהַנִּיחָם

Puis Aman dit au roi Assuérus: "Il est une nation répandue, disséminée parmi les autres nations dans toutes les provinces de ton royaume; ces gens ont des lois qui diffèrent de celles de toute autre nation; quant aux lois du roi, ils ne les observent point: il n'est donc pas de l'intérêt du roi de les conserver.(Esther 3,8)

Il est intéressant de noter deux points dans le discours d’Aman :

  1. Il ne cite pas explicitement le nom de cette fameuse nation disséminée et à la religion si différente.
  2. II ne se plaint pas de la puissance éventuelle de ce peuple contrairement à Parô, mais uniquement de sa différence, de ses croyances et pratiques incompatibles avec la société.

Iznogoud

Parô et Aman font finalement deux analyses différentes du peuple juif, et de là découle une hostilité conjoncturelle pour l’un, structurelle pour l’autre :

Parô analyse le peuple juif comme un peuple puissant, dominant, envahissant.. Il faut s’en préserver, mais… en l’exploitant, en le spoliant ou de toute autre manière qui servirait le tyran. C’est donc cet antisémitisme bourgeois, ou mondain, qui se plaint de voir des juifs « partout » dans les médias, la finance ou la politique mais qui prend soin de les laisser prospérer avant de mieux les spolier.

(Dans les correspondances d’Israël Ben Menassé avec Cromwell au XVIIe siècle, le souverain britannique s’inquiète d’une éventuelle installation des juifs dans son pays et de leur « accaparation des richesses ». (il n’y avait plus de communauté juive dans ce pays depuis les croisades) Le rabbin d’origine portugaise expliquera alors à son interlocuteur du grand intérêt des anglais à accepter des juifs sur leur sol pour qu’ils puissent y faire prospérer l’économie. En d’autres termes on parle avec Parô dans la langue de Parô..)

Il n’est pas étonnant d’apprendre que selon nos maîtres les Egyptiens avaient atteint le 49e degré d’impureté ;  Il n’y avait plus de limite morale face aux désirs et intérêts personnels.

Parô veut, l’Egypte exécute.

 

Lorsque notre patriarche Abraham descend en Egypte des années plus tôt à cause de la famine, il refuse de déclarer que Sarah est son épouse :

אִמְרִי-נָא, אֲחֹתִי אָתְּ--לְמַעַן יִיטַב-לִי בַעֲבוּרֵךְ, וְחָיְתָה נַפְשִׁי בִּגְלָלֵךְ

 Dis, je te prie, que tu es ma soeur; et je serai heureux par toi, car j'aurai, grâce à toi, la vie sauve.(Béréchit 12,13)

Abraham comprend que le pharaon (de son époque déjà) et les Egyptiens ne pourront devant la tentation se retenir ; à ce titre, il préfère encore cacher l’identité de Sarah et ce, pour que la situation ne dégénère pas.

 

Nous reprochons donc à Parô cette attitude mesquine et lâche, usant de la faiblesse présumée des hébreux pour assouvir ses besoins, ses rêves. Afin d’atteindre ses objectifs, il construit tout un discours hostile aux hébreux afin de persuader son peuple de la morale de sa politique ! Parô se rendra même coupable d’atrocités (génocide des nouveaux nés mâles) une fois qu’il enclenchera ce processus de brimade envers les hébreux.

 

Aman quant à lui, se situe dans une tout autre démarche ; Nous avons souligné plus haut qu’il ne citait pas dans son discours le mot « juif » ou « hébreu ». Il exprime à ce titre la négation de l’essence même d’Israël. Descendant d’Amaleck,  ennemi héréditaire et viscéral des hébreux, Aman se refuse à reconnaître toute spiritualité, transcendance, message divin à travers Israël.

Des siècles plus tôt, alors même que les hébreux sortaient d’Egypte suite à des miracles prodigieux, le peuple d’Amaleck, aïeul d’Aman n’hésita pas à attaquer ces esclaves fraîchement libérés au risque de subir le même sort que les Egyptiens. Il refusait l’idée même d’un peuple élu pour porter le message de D.ieu sur terre, d’une alliance entre l’homme et l’Eternel. Amaleck ne veut vivre que dans un matérialisme opaque, géré par le « hasard de l’univers ».

Antis 1

(Fait intéressant Hitler que son nom soit effacé, faisait lui aussi la distinction entre deux antisémitismes :

L’antisémitisme fondé sur des motifs purement sentimentaux, trouvera son expression ultime sous forme de pogroms. L’antisémitisme selon la raison doit, lui, conduire au combat législatif contre les privilèges des Juifs et à l’élimination de ces privilèges... Son but ultime [celui de l’antisémitisme] doit, immuablement, être l’élimination des Juifs en général –lettre d’Adolph Hitler à Adolph Gemlich – A. H. reproche ici finalement à  l’antisémite « sentimental », sic, que ce dernier  achevait ses brimades  après un pogrom, une fois ses pulsions assouvies, alors que lui prônait une extermination idéologique jusqu’au-boutiste).

Nous pouvons donc distinguer deux sortes d’antisémitisme, l’un opportuniste et conjoncturel, et l’autre idéologique et structurel.

Face à ces deux fléaux, la Torah ne dévoile pas de remède magique. Pourquoi ?

Parce que l’un sera toujours prisonnier de sa cupidité, jalousie, lacheté ! ses discours ne viennent que masquer, habiller sa malfaisance.

Quant à l’autre, il porte une haine viscérale, maladive de ce que peut représenter le juif dans ce monde. Pour le soulager, il faudrait que les juifs disparaissent et ce ne serait peut-être encore pas suffisant.

Nous avons peut-être dans notre génération aujourd’hui en France, l’alliance dévoilée de ces deux visages hideux de l’antisémitisme incarnés par Dieudonné et Soral.

 L’un ne supporte pas la réussite des juifs, il a l’impression que ces derniers envahissent son quotidien. Ayant fait de la haine de ces derniers un commerce fleurissant, il ne cesse de s’enfoncer dans cette voie, toujours plus loin dans la provocation car l’argent l’emporte sur la morale et la décence. Rire de six millions de victimes ne l’offusquera donc  jamais.

L’autre a de nouveau déterré les vieux classiques de l’antisémitisme pour les mettre au goût du jour, sa haine est idéologique, profondément ancrée dans son être. Il en a fait le combat de sa vie à l’instar du IIIe Reich.

Il va de soit que la Torah ne prône jamais la tolérance et l’indifférence devant la haine de ses ennemis.

 

Hillel  enseignait :

   « Si je ne suis pour moi, qui le sera ? » ( Michna Perkei Avot, 1-14)

Effectivement si la communauté juive n’est pas en première ligne dans ce combat, qui le sera ? Les initiatives légales pour contrecarrer la diffusion de leurs idées malfaisantes sont nécessaires et louables.

Cependant,  nous ne devons pas perdre de vue que derrière le combat contre ce fléau, l’essence même de ce mal provient soit de deux points ;

  • Le refus de dominer ses instincts, ses pulsions quitte à franchir toutes les lignes morales.
  • La négation même de toute spiritualité, éthique divine.

 

En cela, l’antisémite doit finalement plus nous renforcer dans nos convictions que nous indigner. Soral et Dieudonné ne sont ni plus ni moins que l’expression profonde des vices moraux rejetés par l’éthique juive. Cette lutte éternelle contre le mal est en soi la mission d’Israël !


 

 

 

 

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