"Rester juifs"

« Rester juifs »

 

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Les propos d’Avigdor Lieberman comparant la ‘conférence internationale sur le proche orient’, qui se tiendra à Paris le 15 janvier prochain, au ‘procès Dreyfus’ ont soulevé de vives réactions, d’autant plus que cette déclaration s’accompagnait d’un appel aux juifs français pour qu’ils quittent la France « qui n’est pas [leur] terre » afin de pouvoir « rester juifs ».

Bien que cette nouvelle sortie polémique du ministre israélien s’apparente davantage à une provocation qu’à un réel projet d’alyah de masse, il me semble opportun de réagir afin de clarifier certains points, tant historiques que religieux.

Sur le plan historique tout d’abord, il ne s’agit pas d’insister sur la comparaison insensée entre l’accusation d’un officier français -Dreyfus- en raison de sa judéité, et la supposée stigmatisation du gouvernement israélien actuel. Cela a déjà été fait par d’autres. Il s’agit plutôt de rappeler qu’il est déjà arrivé que la politique étrangère française soit opposée aux intérêts d’un gouvernement israélien, et que cela n’a pas pour autant remis en question la possibilité de vivre son judaïsme en France. Ainsi en 1967, les relations étaient tendues entre la France et l’Etat d’Israël après la guerre des six jours. En témoignent notamment le vote de la résolution 242 du conseil de sécurité de l’ONU et la tristement célèbre phrase prononcée par le Président de Gaulle lors d’une conférence de presse à l’Elysée, au sujet du peuple juif « sûr de lui-même et dominateur ». De nombreux rabbins français s’étaient alors élevés contre la position française et l’amalgame provoqué par ces mots. On pense notamment au Grand rabbin de France, Jacob Kaplan, qui fut à la fois un fervent défenseur de l’Etat d’Israël et un fervent partisan d’un judaïsme français profondément républicain. Déjà quelques mois plus tôt, le 06 Juin 1967, l’assemblée des rabbins français déclarait solennellement son soutien à l’Etat d’Israël alors que débutait la guerre. Or ces mêmes rabbins priaient en parallèle pour la République française et mettaient tout en œuvre pour continuer à bâtir un judaïsme français fort et authentique, pour permettre précisément aux juifs français de ‘rester juif’ en France quelle que soit l’orientation de la politique étrangère du pays.

Sur le plan religieux, l’obligation de quitter un pays hostile aux juifs a été notamment discutée par Maïmonide. Dans son ‘Epître sur la persécution’, le maître écrit à ses contemporains confrontés à l’extrémisme des Almohades pour les renforcer dans leur foi, alors que les entreprises de conversions forcées à l’Islam se multiplient. Après avoir indiqué qu’il est légal de simuler une profession de foi pour éviter la mort, il précise toutefois : « Le conseil que je me donne à moi-même et l’avis que je veux donner, à moi, à mes amis et à ceux qui me demandent un conseil, est qu’il faut quitter ces lieux et aller en un endroit où l’on puisse pratiquer sa religion et appliquer la Torah sans contrainte ni peur ». Ainsi selon Maïmonide, ce sont les entraves à la pratique et l’étude de la Torah qui doivent provoquer le départ. Or l’histoire de la seconde partie du 20ème siècle a montré que le regard déplaisant d’un gouvernement occidental sur la politique israélienne n’est pas nécessairement le prémisse d’une politique intérieure antijuive. S’il s’avère toutefois qu’un gouvernement adopte des mesures contraires à notre liberté de culte, le conseil de Maïmonide reprendrait alors toute son actualité…

 

Yona GHERTMAN

 

*Billet paru dans l’hebdomadaire 'Actualité juive' en date du 04/01/2017

 

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