Savoir découvrir la volonté divine

*Cycle : la Parasha selon le Nétisv

 

Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 2

 

Savoir découvrir la Volonté Divine

 

Trouver l'origine, le point de départ, dévoiler la source. Voilà qui n'est pas évident. Et pourtant, alors que nous nous versons dans l’étude de la Torah, et en particulier dans l'étude de ses lois, nous essayons de définir l'origine de chacune d’entre elles. Cette loi vient-elle directement de la Torah, est-ce un commandement Divin, où bien seraient-ce nos Sages qui l’auraient décrétée ?

En outre, les commandements ne sont détaillés que par la tradition orale. Sans cette dernière, il nous serait quasiment impossible de savoir ce qu'il nous est enjoint d'accomplir. Ainsi, nous ne pouvons ni scinder la relation entre l’écrit et l’oral, ni amoindrir, d'autre part, la valeur de la tradition orale, cette dernière étant nécessaire. Comment, dans de telles conditions, savoir faire la part entre l'oral et l'écrit ? 

Le rav Avraham Itzh'ak HaCohen Kook, fameux disciple du Netsiv de Volozhin, décrit dans son livre (édité par son fils), "Les lumières de la Torah"[1], le lien et la différence existant entre ces deux éléments : la Torah écrite, céleste, Divine, reste, en quelque sorte, hors de notre portée, comme "planant" au-dessus de nous. La loi orale, quant à elle, permet de "relier" cette Torah à notre vie, à notre quotidien. Néanmoins, nous ne pouvons à aucun moment croire que ces deux éléments sont distincts : tout enseignement oral trouve sa base, sa source, dans la Source, dans le Divin, "tous les détails ont déjà été transmis à Moïse sur le mont Sinaï".

Mais tout a-t-il réellement été transmis directement à Moïse ?

Le Netsiv revient à plusieurs reprises sur cette question dans son commentaire sur la Torah, dont par deux fois dans notre paracha. Il nous démontre que la capacité d’étudier, de comprendre, d’expliquer la Torah est déjà présente dans la Torah elle-même. La tradition orale, l’exégèse, sont présentes dans la loi écrite.

A priori, rien de bien nouveau ; après tout, la première Michna du traité d'Avot (Maximes de nos Pères) l’énonce clairement :

« Moïse reçut la Torah au Sinaï et la transmit à Josué ; Josué la transmit aux Anciens, les Anciens aux Prophètes et les Prophètes la transmirent aux Hommes de la Grande Assemblée. »

La transmission ne se limitait apparemment pas à la Torah écrite mais comprenait bien les explications nécessaires pour l’appliquer[2].

Et pourtant… le Netsiv nous apprend à bien observer les termes utilisés dans les versets de la Torah.

Si nous observons les versets du début de notre paracha, D'ieu ordonne à Moïse de recenser les fils de Merrari (IV,29). Toutefois, il n’y a pas d’ordre direct concernant les enfants de Kehat ainsi que ceux de Guershon ; pourtant issus, eux aussi, de la tribu de Lévi. Ces derniers seront cependant recensés par Moïse (IV,34 et IV,38).

Les versets concluant ces recensements supplémentaires se terminent de deux manières bien distinctes.

Dans le cas des fils de Guershon, il est écrit : «על פי ה'  », « sur l’ordre de l’Eternel », et dans celui des fils de Kehat, la Torah dit : « על פי ה' ביד משה » - « d’après l’ordre de l’Eternel, par la main (c.à.d. transmis) par Moïse ».

Que viennent nous ajouter ces deux derniers mots – "par la main de Moïse"?

En général, ils ne figurent pas dans la Torah ; ce qui est logique puisqu'à priori ces mots ne sont pas nécessaires - nous savons bien que tout ordre donné par D'ieu était transmis par Moïse !

Et pourtant, comme l'a remarqué le Netsiv, nous venons d’affirmer qu’il n’y a pas d’ordre direct écrit dans ce cas !

Pour résoudre ce "mystère", le Netsiv nous renvoie au passage du traité Keritot 13b qui cite le verset du Lévitique X,11:

וּלְהוֹרֹ֖ת אֶת־בְּנֵ֣י יִשְׂרָאֵ֑ל אֵ֚ת כָּל־הַ֣חֻקִּ֔ים אֲשֶׁ֨ר דִּבֶּ֧ר ה' אֲלֵיהֶ֖ם בְּיַד־מֹשֶֽׁה

"et instruire les enfants d'Israël dans toutes les lois que l'Éternel leur a fait transmettre par Moïse".

Le talmud explique la signification de chacun des termes du verset.

Le terme - ביד משה"par (la main) de Moïse", est interprété ainsi: "ceci est le talmud".

Quel sens donner à cela? Comment comprendre les propos de nos Sages?

Le Netsiv explique que depuis la Genèse, D'ieu donne Ses ordres à l’humanité, puis au Peuple d'Israël, soit directement à la personne concernée, soit par le biais d’un messager transmettant la Parole Divine. Cette idée est exprimée par trois mots:  על פי ה' - "selon la parole de D'ieu". Cela peut se comprendre. En effet, quel homme ayant eu le privilège d’avoir une "révélation divine" se permettrait de changer le message à transmettre ?

Cependant, "לא קם כמשה עוד", "nous n’avons pas vu de prophète tel que Moïse". Lui seul fut capable de recevoir la prophétie et de l’analyser, expliquer et extrapoler. Il a la capacité du "talmud". Ainsi, avance le Netsiv, lorsque la Torah utilise le terme "par la main de Moïse", "ביד משה", cela veut dire que nous ne sommes pas face à un ordre direct, mais plutôt que Moïse a analysé la parole de D'ieu et a compris, par lui-même, la nature de la Volonté Divine[3].

Une dernière question subsiste alors : dans le cas du recensement des fils de Guershon aussi nous n’avons pas d’ordre direct de D'ieu.

Nous aurions donc pu nous attendre à rencontrer ici aussi l’expression « ביד משה ».

Or nous n’avons que « על פי ה' » - « sur l’ordre de l’Eternel » et ce, bien que nous n’ayons pas vu d’ordre divin avant l’action de Moïse ! Comment expliquer cela ?

Le Netsiv rapporte l’avis de nos Sages, dans le Midrash Rabba[4] : dans ce cas, Moïse ne savait pas que telle était la volonté de D'ieu, mais avait tout de même agit ainsi.

Ce n’est donc qu’a postériori qu’il a découvert qu’il avait bien agi, contrairement au cas des fils de Kehat où il avait su déduire de lui-même ce que D'ieu désirait qu’il fasse !

 Afin de mériter que la Torah souligne le fait qu’il avait saisi la volonté de D'ieu, celle-ci devait être comprise par l’étude.

Le fait de « ressentir » ce qui doit être fait n’est pas suffisant.

 

Nathalie LOEWENBERG

 

* R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

 

[1] Orot HaTorah, §1

[2] cf. L'introduction à la Torah Orale du Rav Eliah Ben-Amozegh qui ramène plusieurs preuves à cela

[3] Haemek Davar IV, 37 ומכאן מבואר משמעות ביד משה, שאינו מפורש ...שאינו אלא בכח משה שלמד והוכיח מדבר ה'

[4] Haemek Davar IV, 45 ולא כתיב ביד משה, כבר ביארו חז"ל ברבה, שלא ידע משה שכך הוא רצון ה' גם בבני גרשון, ומכל מקום עשה שלא כמצווה ועושה...

 

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