Shémini : les sacrifices et le veau d'or

PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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Les sacrifices et le veau d’or

 

 

Il est communément accepté – et à juste titre – que Nahmanide et Maimonide s’opposent sur le sens des sacrifices; il est habituellement dit que ce dernier considère les sacrifices comme une concession faite aux cultes idolâtres environnants, tandis que Nahmanide y voit un a priori, un idéal.

Dans le commentaire de notre parasha, cette dichotomie trop simple est quelque peu secouée. De par le choix que Nachmanide fait de certains midrashim, et plus encore, par l’exégèse qu’il en donne, une image plus complexe en ressort. 

Le verset IX,7-8 décrit Moshe appelant Aaron à faire les sacrifices sur l’autel. Sur ce verset, Nachmanide cite un Midrash étonnant : Aaron n’osait s’approcher de l’autel ; celui-ci lui apparaissait comme un taureau[1]. Voyant son frère hésiter, Moshe l’engagea à avancer : « Je sais ce dont tu as peur, mais ne crains rien et accomplis les sacrifices demandés »

L’image du taureau est éloquente et Nachmanide nomme clairement le problème : Aaron est hanté par « la » faute de sa vie – avoir été complice (ou peut être même plus) de la faute du veau d’or.

Cette faute qui hante l’esprit d’Aaron l’empêche de s’atteler à la tâche des sacrifices. Pourquoi ? La première explication donnée par le Ramban est générale : Aaron ne se sent pas à la hauteur d’un tel honneur – la culpabilité le poursuit et il ne se voit pas être le prêtre envoyé par les enfants d’Israël… Premiere explication…

Mais y aurait-il un lien entre le veau d’or et les sacrifices ? La tentation d’en voir est grande et le Ramban le dit même dans sa seconde explication.

« Et certains commentent » , commence-t-il, « que le Satan lui-même faisait apparaitre ce taureau à Aaron ». Cela ne serait plus une simple culpabilité, un sentiment de ne pas être à la hauteur. Mais, une autre crainte hante Aaron : ce qu’on demande de lui ressemble étrangement à ce qu’il regrette – la faute du veau d’or, la faute de l’idolâtrie !

Le Ramban continue :  voyant son frère hésiter, Moshe lui dit « à toi de nourrir le Satan, de peur qu’il te fasse trébucher » . Que veut dire le Ramban en parlant de nourrir le Satan (ou peut être lui remplir la bouche pour le faire taire ?) . Il semble qu’il fait ici allusion à un des passages bien mystérieux de son commentaire – les fameux seirim, démons qui habitent le désert, et qui portent le même nom que le seir, le bouc que l’on sacrifie au Azazel le jour de Kippour[2].

Laissons de cote cette dernière phrase, clairement trop ésotérique pour nous, et reprenons ce second commentaire… Ce que le Ramban nous dit, c’est qu’il y a une crainte qui nous habitent lorsque nous appréhendons les sacrifices : cela rappelle à Aaron le veau d’or et, nous, cela nous crée un certain malaise dû à une trop grande analogie avec l’idolâtrie.

Nahmanide a commencé son commentaire sur le Lévitique en s’opposant nommément à la position de Maimonide sur les sacrifices[3]. Dans notre parasha, il ressort que le Ramban n’ignore pas le problème soulevé par Maimonide ; il nomme en filigrane (ou peut être meme, très explicitement) le problème : ce malaise de Aaron – qui est d’une certaine manière notre malaise à tous – face aux sacrifices qui ne peuvent pas ne pas nous rappeler d’autres pratiques…

 

Benjamin Sznajder

 

* Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

Texte original :

רמב"ן ויקרא פרק ט פסוק ז
(ז - ח) וטעם קרב אל המזבח, ויקרב אהרן אל המזבח וישחט - על דעתי בדרך הפשט, יאמר קרב אל צפון המזבח ועשה שם החטאת והעולה, כי הם שחיטתן בצפון, ואמר משה כן בדרך קצרה שכבר ידע אהרן זה:
אבל בת"כ (שמיני מלואים ח) נתעוררו רבותינו בזה, ומשלו משל למה הדבר דומה, למלך בשר ודם שנשא אשה והיתה מתביישת מלפניו, נכנסה אצלה אחותה, אמרה לה, אחותי למה נכנסת לדבר זה לא שתשמשי את המלך, הגיסי דעתך ובואי שמשי את המלך. כך אמר לו משה לאהרן, אהרן אחי למה נבחרת להיות כהן גדול לא שתשרת לפני המקום, הגס דעתך ובוא ועבוד עבודתך. ויש אומרים, היה אהרן רואה את המזבח כתבנית שור והיה מתירא ממנו, נכנס משה אצלו אמר לו אהרן אחי לא תירא ממה שאתה מתירא, הגס דעתך ובא קרב אליו, לכך אמר קרב אל המזבח. ויקרב אל המזבח, בזריזות:
וטעם דבר זה, כי בעבור שהיה אהרן קדוש ה' ואין בנפשו חטא זולתי מעשה העגל, היה החטא ההוא קבוע לו במחשבתו, כענין שנאמר (תהלים נא ה) וחטאתי נגדי תמיד, והיה נדמה לו כאילו צורת העגל שם מעכב בכפרותיו, ולכך אמר לו הגס דעתך, שלא יהיה שפל רוח כל כך שכבר רצה אלהים את מעשיו. ואחרים מפרשים שהיה השטן מראה לו כן, כמו שאמרו שם, אהרן אחי אף על פי שנתרצה המקום לכפר עונותיך צריך אתה ליתן לתוך פיו של שטן שמא ישטינך בביאתך למקדש וכו' בתורת כהנים (שמיני מלואים ג):
וטעם וכפר בעדך ובעד העם - יאמר קרב אל המזבח לעשות כל הקרבנות, ועשה תחילה את חטאתך ואת עולתך, וכפר בעדך תחילה בקרבנותיך, ובעד העם אחרי כן, שתעשה קרבן העם וכפר בעדם בקרבנם, לימד אותו שיבא זכאי ויכפר על החייב: 


[1] L’analogie entre l’autel et le taureau est patente , meme dans les termes employes : on parle de karnot hamizbeah’  - des cornes­ de l’autel pour désigner ses quatre cotes.

[2] Vayikra, XVII, 7 – commentaire du Ramban

[3] Vayikra I, 9 – commentaire du Ramban

 

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