Vaiygash 'Quand le cœur ralentit'

  Cycle : la Paracha selon le SFORNO*

Sforno 1

Vaiygash : 'Quand le coeur ralentit'

          

Notre Paracha s’ouvre sur le plaidoyer de Yehouda au vice-roi d’Egypte afin qu’il ne garde pas prisonnier Benjamin, de peur que leur père ne meurt.

Submergé par l’émotion, le vice-roi, Yossef, se fait reconnaitre. Il s’enquiert de son père, rassure ses frères et leur raconte ce qui va advenir (les années de famine…). Il les enjoint ensuite de retourner auprès de leur père « et de lui raconter toute [sa] gloire en Egypte et tout ce qu’[ils] ont vu et de revenir avec leur père ». (Bereshit, 45,13)

Les frères retournent auprès de leur père, comblés de richesse.

Ils le retrouvent et lui racontent tout « en disant, Yossef est encore vivant et il gouverne même tout le pays d’Egypte ! [Mais] son cœur se figea car il ne les croyait pas ». (Bereshit, 45,26)

ויפג לבו (son cœur se figea), explique Sforno, indique “qu’il s’est évanoui, la vitesse de son pouls et les battements de son cœur ont légèrement diminué par rapport au moment précédent comme cela arrive généralement en cas d’évanouissement et ce du fait de la terreur [qu’il a éprouvée] lorsqu’ils ont évoqué Yossef. Car il ne les avait pas cru. Mais ensuite il revint à la vie car ils lui dirent toutes ses paroles »[1].

Que lui ont-ils dit ? Pour Sforno, ils lui dirent exactement ce qui est écrit au verset 6 : « voilà deux années que la famine est là et il y aura encore 5 années de famine ». (Bereshit, 45,6).

Autrement dit, pour Sforno, les frères mêlent deux nouvelles ; une bonne, Yossef est vivant, et une moins bonne, la famine va continuer. « Et c’est pour cela que l’esprit de Yaacov revint à la vie, il se remit progressivement de son évanouissement, grâce à la joie tempérée par l’inquiétude ». La joie n’a pas été trop forte[2].

Sforno perçoit que la séquence des événements est très importante. Une trop grande joie peut causer des dommages irréparables, en particulier lorsque la personne ne s’y attend pas. Il faut donc la nuancer. Il faut, donc, faire ralentir le cœur pour empêcher, ensuite, une trop grande accélération. Ainsi, l’évanouissement à l’annonce de la vie de Yossef puis l’annonce des 5 années de famine a permis à Yaaqov de pourvoir surmonter le choc de l’annonce de la vie de son fils.

On retrouve à nouveau cette approche toute médicale un peu plus loin dans la Paracha. Lorsqu’en plein cœur de la famine, les Egyptiens reviennent voir Yossef et lui réclament du pain. Yossef leur en donne mais le mot utilisé est alors וינהלם.  

Littéralement, cela veut dire, « il les dirigea » car, explique Sforno : « il les dirigea lentement comme dans yechaya 40,11 « menant avec douceur (ינהל) les nourrices ». Il leur a donné du pain (c’est-à-dire de la nourriture) par petites quantités de manière à manger sans être rassasié comme cela s’impose dans les années de famine. (…) En effet, selon les savants de la médecine (…) trop se nourrir après [une période de] faim entraîne une maladie mortelle ». [3]

 

On ne peut qu’être fasciné par ces explications.

Lier ainsi le texte à la connaissance de la physiologie ne se comprend que si l’on se souvient que Sforno était médecin. Il a fait ses études de médecine à l’Université de Rome et a été diplômé en 1501.

Comme le rappelle Henri Infeld, il se place dans la lignée des grands commentateurs italiens qui mêlèrent connaissance de la Torah et connaissances profanes (sciences, médecine, philosophie) :

« Depuis le début de l’an mille il n’y eut de génération où le judaïsme italien ne put s’enorgueillir de personnalités versées « en toutes sciences ». Amorcé avec la figure prestigieuse de Rabbi Chabtaï Donnolo, kabbaliste, philosophe, mais aussi astronome, médecin de haute réputation maîtrisant avec aisance le grec et le latin, l’Italie ne cessa de voir éclore d’immenses talents qui, tous, contribuèrent à façonner la spécificité du judaïsme italien.

(…) Ce terreau vit éclore, parmi tant d’autres, Rabbi Obadia de Bartinoro, auteur du principal commentaire sur la Michna, Rabbi Obadia Sforno, Rabbi Joseph Colon, Rabbi Yehouda Messer »[4] ou Léon l’Hébreu.

La communauté juive italienne a été la première à affronter la modernité. Avec la Renaissance, les universités apparaissent. Et c’est dans ces nouveaux lieux que les Juifs purent avoir accès à des disciplines comme les sciences et la philosophie. C’est dans cette confrontation avec la modernité qu’a émergé des commentateurs comme Sforno qui peuvent, si naturellement, mêler des considérations médicales aux commentaires plus classiques.

 

Noémie LEBEN

 

 

*Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

Texte original : Cf. notes

 


[1] ויפג לבו נתעלף וחסרה קצת דפיקת לבוורוחו ממה שהיה קדם, כמנהג בעלוף, מדאגת לבו בהזכירם את יוסף, ײכי לא האמן להםײ,לפיכך ײ ותהחי רוח יעקבײ (סוק כז), לא אבדה רוחו אחר כך כשהאמין, כמו שיקרה בעת השמחה הפתאומים הממיתה בצאת הרוח החיוני אל החוץ, כי אמנם נכנסה לפנים בעת הדאגה הקודמתכשלא האמין

[2] וידברו אליו את כל דברי יוסף שאמר ײועודחמש שנים,אשר אין חריש וקצירײ (פסוק ו) , כדי לערב בדבר השורה איזה ֪דאגה                                                            ִ ותחי רוח יעקב נרפא מן העלוף הקודם בהדרגת השמחה עם הדאגה

[3] וינהלם בלחם וכבר אמרו חכמי הרפואה שהשבע אחר הרעב גורם חלי ממית

[4] Henri Infeld, Education et judaïsme, entre profane et sacré, PUF, 2011, page 129.

 

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