La position du Khouzari sur la conversion

    

       

Réflexions sur le rapport à la Torah des nations et des convertis au judaïsme 

 

Etude de la position du Khouzari[1] concernant la conversion au judaïsme

 

par Yona GHERTMAN

 

 

Dans la discussion entre le roi des Khazars et le Rabbin, le premier interroge l’exclusivité de la Torah : « S’il en est ainsi, votre Loi est un patrimoine qui n’appartient qu’à vous seuls ». Son interlocuteur lui répond : « C’est exact ! Cependant tout Gentil qui, en tant qu’individu, s’agrège à nous, obtiendra une part de félicité, sans pour autant devenir notre égal (…) » (Livre 1, 26-27).

Dans l’édition Verdier[2], à qui nous empruntons cette traduction, est précisé en bas de page : « Le judaïsme, contrairement au christianisme et à l’Islam n’a pas convié les autres peuples à se convertir (…) ; seuls des individus sont susceptibles de l’être (…) et encore n’arriveront-ils pas à égaler les Israélites de naissance (voir infra) » (note 49).

Si l’assertion du caractère non-prosélyte du judaïsme est exacte, la fin de cette explication mérite un éclaircissement. L’auteur de cette précision renvoie plus loin dans le Khouzari, là où Rabbi Yehoudah Halévy parle explicitement de la conversion au judaïsme. Ce dernier écrit alors :

« Quant à nous, nous ne considérons pas tous ceux qui se convertissent à notre religion comme nos égaux, simplement lorsqu’ils prononcent une formule, mais uniquement lorsqu’ils accomplissent des œuvres pénibles à pratiquer : purification, étude, circoncision et observance de nombreux autres préceptes. Bien plus, le converti doit adopter notre manière de vivre (…). A celui qui s’est engagé dans la voie du peuple d’Israël parviendra, ainsi qu’à sa postérité, une belle part de rapprochement de Dieu.

Cependant, le prosélyte ne sera pas l’égal des Israélites de naissance, car ceux-ci sont spécialement aptes à la prophétie, tandis que le plus haut niveau auquel les autres peuvent accéder c’est de s’éclairer à leur flamme et de devenir des intimes de Dieu et des docteurs, mais non des prophètes » (Livre 1, 115).

Nous remarquons ici premièrement que la ‘non-égalité’ entre le juif de naissance et le converti dont fait état le Khouzari ne concerne que le domaine de la prophétie. Il ne s’agit donc pas d’une différence générale, contrairement à ce que laissait entendre la note de l’édition Verdier. Du moins pas dans ce passage.

Ce qui nous conduit alors à constater une contradiction apparente dans les propos du Khouzari. En effet dans le premier passage il écrit : « Tout Gentil qui, en tant qu’individu, s’agrège à nous, obtiendra une part de félicité, sans pour autant devenir notre égal (…) ». Or cette phrase laisse entendre une ‘non-égalité’ générale, à l’inverse du second passage ne ciblant qu’une différence sur le plan de l’accès à la prophétie : « A celui qui s’est engagé dans la voie du peuple d’Israël parviendra, ainsi qu’à sa postérité, une belle part de rapprochement de Dieu. Cependant, le prosélyte ne sera pas l’égal des Israélites de naissance, car ceux-ci sont spécialement aptes à la prophétie (…) ».

Aussi convient-il de comprendre ce que veut véritablement signifier l’auteur du Khouzari dans chacun de ces textes.

Une seconde remarque se doit d’être formulée dès à présent : Comment l’auteur du Khouzari peut-il affirmer qu’un converti au judaïsme ne peut pas accéder à la prophétie, alors que le Talmud écrit explicitement que le prophète ‘Ovadyah était lui-même prosélyte[3] ?

Nous verrons dans le cadre de notre développement que la réponse à cette question est intimement liée à la remarque précédente, et qu’au-delà du questionnement sur la position de Rabbi Yehoudah Halévy au sujet de la conversion au judaïsme, se dévoile une réflexion profonde sur le rapport des nations à la Torah.

 

 

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Dans la discussion entre le roi des khazars et le rabbinDans la discussion entre le roi des khazars et le rabbin

 

[1] Ouvrage classique de pensée juive rédigé par Yehoudah Halévy (1070-1141 ; Tolède). Le texte met en scène une discussion entre le roi des Khazars (converti au judaïsme) et un rabbin lui présentant la foi juive.

[2] Juda Hallévi, Le Kuzari, apologie de la religion méprisée, collection « Les Dix Paroles », éditions Verdier.

[3] TB Sanhédrin 39b.

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