Au sujet du concept du "déclin des générations" (yéridate hadorote)

Les jours passés étaient-ils meilleurs que ceux d'aujourd'hui ?

L'évolution du concept de yéridate hadorote au fil des générations

 

par Gabriel ABENSOUR

 

Le terme de « yeridate hadorote » (littéralement « le déclin des générations ») est un concept exprimant, de nos jours en tout cas, la croyance en une diminution spirituelle et/ou intellectuelle constante des nouvelles générations par rapport aux anciennes. Si ce terme n'est pas explicitement nommé dans la littérature midrashique et talmudique, certains textes semblent y faire allusion. Mais ce n'est qu'aux alentours du Moyen-Age que commence à se forger une véritable doctrine autour de ce concept; doctrine qui joue un rôle théologique majeur pour une grande partie du judaïsme contemporain. Mais qu'en est-il vraiment ? Ce concept est-il juif où emprunté au christianisme ? Est-il aussi radical qu'il en a l'air ? "Le déclin des génération" semble avoir bien évolué au cours des millénaires de l'histoire juive....


TEXTE :


yeridate-hadorote.pdf yeridate-hadorote.pdf



Nombre de pages : 22

Niveau de difficulté : accessible



Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

Commentaires

  • philyossef
    • 1. philyossef Le 01/11/2012
    juste une toute petite remarque en lisant le texte. La métaphore du nain sur les épaules d'un géant à certes apparemment été formulée au 12e siècle, mais il me semble probable qu'elle soit inspirée par l'épisode mythologique (grec) d'Orion et Céladion, dans lequel Céladion monte sur les épaules d'Orion...pour le guider car le géant est aveugle!... Je trouve cela assez intéressant en perspective avec les textes que cités ;-)
    Bravo pour ce très intéressant texte.
  • Gabriel Abensour
    Bonsoir,

    Vous avez tout à fait raison, mais dans la mythologie, cette épisode n'a rien à voir avec "yeridate hadorote". Ce n'est qu'au 12e siècle qu'on s'en inspirera pour forger le concept. Un peu comme Freud utilisa le mythe d'Oedipe pour forger son complexe du même nom...
  • Lucie Esther
    Shkoyach Gabriel ! Ton article a été ma lecture d'hier soir et j'ai été bluffée vraiment non seulement par sa construction mais surtout par la profondeur des informations et leur précision. Ta conclusion est extrêmement pertinente ! Bravo !

    PS : une remarque sur la forme : serait-il possible de numéroter les pages dans le format PDF, c'est plus pratique pour imprimer :-). Merci.
  • Benhamou
    • 4. Benhamou Le 04/11/2012
    Même si tu présentes des textes qui montrent un déclin des générations, tu ne mentionnes pas ceux qui vont dans le sens contraire: Samuel dans sa génération comme Yfta'h dans la sienne, donc même s'il y avait un déclin intellectuel des générations, il n'a pas d'impact sur trancher le dine. Tu parles de la démarche du Rambam: là encore il me semble qu'une distinction aurait pu être amené, il ne s'agit pas de dire qu'il y a une déclin intellectuel, mais d'une perte de la tradition orale. Il aurait été intéressant de ramener quelques exemples où le Rambam tranche contre les guéonim. Il y a aussi le Roch qui réaffirme franchement que l'on ne doit rien au tchouvot des guéonim, sans en être sûr, il ma semble que tout est affaire de preuves. Le problème du Maharal est tout autre: il se bat contre une lecture littéraliste du midrash, c'est vrai qu'il y a une dimension apologétique chez le Maharal, mais il s'agit essentiellement de renouveller l'approche du midrash, et vu les critiques dont il fait état dans le Béer Hagola, il en avait bien besoin. Il manque aussi les audaces des modernes (Rav Moché Feinstein, 'Hazon Ich). A part ça, je ne sais si tu as lu la physique d'Arsitote, mais c'est vrai qu'on a l'impression que tout à été pensé, ne serait-ce qu'à titre d'hypothèse sur les questions qu'il examine.
  • Gabriel Abensour
    Bonjour,

    Effectivement, mon texte n'est pas exhaustif, mais je crois que 22 pages suffisent déjà à se faire un petit aperçu du sujet :-)
    Les références que tu ramènes sont toutes un peu moins liées au sujet principal, puisqu'elle aborde un thème un peu différent (bien que très proche) : l'autonomie et l'autorité rabbinique. Peut être qu'elles donneront lieu à un second article ! (pas pour tout de suite...).
  • Julien
    • 6. Julien Le 08/11/2012
    Bien que secondaire, page 10, "[...] qu'il pourrait théoriquement concilier la vision platonicienne sur l'éternité du monde avec la Torah"

    C'est pas plutôt la vision artistotelicienne ?
  • Celine Esther_Y
    • 7. Celine Esther_Y Le 12/11/2012
    Merci pour ce texte intéressant et inspirant Gabriel,

    Une réflexion parmi d'autres :
    Ne penses-tu pas qu'on puisse faire un lien entre le concept de Yeridat hadorot et celui de "Minhag avoteinou beyadeinou" ? (l'idée m'est venue car quand j'ai découvert ton texte, j'étais justement en train d'étudier avec Lucie-Esther ;-) Shabbath 35b, dans lequel apparaît cette notion)

    Dès lors, la tendance actuelle à insister sur la yeridat hadorot ne relève-t-elle pas également d'une confusion avec le concept de "respect et préservation de la tradition de nos pères" ?

    Au-delà des aspects spirituel et intellectuel du concept, il y aurait aussi l'aspect de la transmission-tradition à préserver des écueils de la société moderne actuelle...
    La yeridat hadorot servirait ici "simplement" d'argument pour appuyer notre devoir primordial de transmettre la tradition afin de contrer le raz-de-marée de l'assimilation, dont l'un des moteur est la tendance actuelle à dénigrer un passé vu comme passéiste, obscurantiste, dépassé au profit d'un présent "innovateur", ouvert, ne devant rien (ou si peu) aux générations précédentes ?

    Autre question-réflexion : n'y a-t-il pas un lien aussi, avec le fait que de nos jours, en l'absence de sanhedrin constitué, il y a une impossibilité halakhique à revoir certaines décisions passées, à innover en matière de din ?

    Kol touv,

    Celine Esther
  • Gabriel Abensour
    Bonjour Esther,

    Je suis tout à fait d'accord avec vous. Les points que vous soulevez nous encouragent à préserver les traditions ancestrales et à les transmettre aux générations précédentes. Pareillement, l'absence du Sanhedrin empêche de nombreuses innovations halakhiques.

    Une lecture trop rapide de ces deux points peut rapidement nous conduire à conclure que puisque nous ne pouvons pas changer grand chose aux décisions précédentes, il semble qu'un déclin des générations existe.

    En fait, et comme je l'ai exposé dans une partie de l'article, nous disposons encore d'une marge de manœuvre assez large, même si dans l'ensemble, nous préférons ne pas trop l'utiliser.

    Comme je l'écrivais en conclusion, nous avons la fâcheuse tendance à confondre "yéridate hadorote" avec "perte d'indépendance halakhique". C'est bien dommage.

    Kol Touv
  • Gabriel Abensour
    Julien, il s'agit bien de la vision platonicienne.
    Le plus simple reste d'ouvrir le Guide des égarés à la page indiquée :-)
  • nathaniel
    Concernant le Maharal,voir dans Derech Hachaim son opposition radicale à la mise de la Halacha par ecrit et au Shoulchan ARouch.
    Pour lui, le monde de la Torah est quasi inexistant à son epoque Il dit par ailleurs dans Netiv hatorah je crois en commentant la fameuse Michna du Racha 'Aroum (dans Sota) que l'etude de la Halacha doit etre Sikhlit.D'ou son insistance à l'etude de la Michna sans rentrer trop vite dans la Guemara, (voir encore dans Derech Hachaim).
    Ce pb de yeridat hadorot est à mon sens plus un pb de curiosite intellectuelle et de desir de comprendre ki baisse dans nos societes modernes.
  • Julien
    • 11. Julien Le 01/03/2013
    Cher Monsieur,

    Oui en effet il suffit d'ouvrir le Guide des Egarés pour se rendre contre que le passage que vous citez porte sur la position aristotélicienne exposée au chapitre 13, et non la position platonicienne qui ne contredit nullement les fondements de la Torah. Je vous conseille vivement de relire la Physique et le Timée pour bien saisir l'enjeu de la création développé par Maïmonide.

    Bien cordialement
  • Gabriel Abensour
    Cher Julien,

    Je ne suis pas sûr de vous comprendre.
    Maimonide (Guide II:25) écrit pourvoir théoriquement concilier la théorie platonicienne de l'éternité du monde, tout en admettant ne pas pouvoir concilier la vision aristotélicienne.

    Dans mon texte, j'écrivais la même chose, à savoir que Maimonide émet l'hypothèse d'une conciliation de la Torah avec Platon, bien que le concept d'éternité du monde semble totalement étranger à la Torah.

    Je n'arrive donc pas à saisir où serait l'erreur que vous semblez relever.

    Merci de vos commentaires et n'hésitez pas à m'écrire si je fais erreur (mais soyez un peu plus explicite).
  • Julien
    • 13. Julien Le 03/03/2013
    Bonsoir,

    Je vais donc essayer d'être plus explicite.

    Je ne peux malheureusement pas faire un copie coller du texte de Rambam, mais je vais essayer de pointer l'erreur (minime) que vous avez faite. Mais avant de poursuivre je tiens à préciser le sens de mon objection. En réalité cette question n'a pas beaucoup d'importance (dans votre propos), mais il me semble que vous prenez Maïmonide trop à la légère, les catégorie que vous employez (rationaliste etc.), vous font malheureusement passer à côté du génie, que vous n'avez pas vu ni lu.

    J'ai pu lire par exemple sur votre blog que:

    Pour le rationaliste les mitsvot n'ont qu'un seul objectif. Il ne s'agit en aucun cas d'une manipulation des mondes célestes ou d'un engrangement de bons points pour le paradis ! Les mitsvot sont l'accomplissement de la parole de Dieu,et c'est tout.

    Je pense que vous faites offense à la fois à Maïmonide et à la fois au Ari. Car il faut vraiment ne pas avoir lu Maïmonide pour dire que les mitzvot c'est l'accomplissement de la parole de Dieu, et c'est tout. Je sais qu'à la suite de Leibovitz et sa mauvaise lecture de ossé emmet mipenei sheou emet on en est venu à ce genre d'absurdités, mais cela n'est pas justifié.

    Concernant le Ari qui ferait de la manipulation des mondes celestes, c'est vraiment prendre le Ari pour le dernier des obscurs sorciers. J'en déduis donc que vous n'avez pas saisi (et je ne vous le reproche pas) la puissance de la doctrine lourianique. Je vous renvoie simplement au rambam dans les huit chapitres, qui vous conseillerait d'entrer dans la catégorie de ceux qui ne comprennent rien au paroles des hakhamim mais qui préfèrent se taire que d'en dire des foutaises.

    Je reviens donc à votre propos.

    Vous dites:

    Maïmonide va jusqu'à affirmer qu'il pourrait
    théoriquement concilier la vision platonicienne sur l'éternité du monde avec la Torah

    puis vous le citez

    Sache que si nous avons réfuté l'idée que le mon
    de puisse être éternel, ce n'est pas à cause de ce qui est écrit dans
    la Torah. Car il y a moins de versets qui parlent de la création du monde que de versets qui parlent de la
    corporalité de Dieu. Les portes de l'interprétation ne nous sont pas fermées et
    nous aurions pu réinterpréter ces
    versets, comme nous l'avons fait pour ceux qui parlent de la corporalité de Dieu.

    Je synthétise l'erreur de votre citation concernant la doctrine platonicienne:
    Pour Maîmonide l'accord ou le désaccord entre la torah et la doctrine éterniste se fait à deux niveau. La première est explicite, c'est à dire si le texte du récit biblique dit la création alors le texte s'oppose à cette doctrine et inversement. Le deuxième niveau concerne des contradictions implicites (si par exemple je nie l'existence de dieu alors il est évident que je nie également la providence, ou si je nie l'existence de l'eau alors la grenadine n'existe pas non plus etc En l'occurence si je nie la création (selon aristote) je nie les miracles de la torah etc.).

    Ce que dit maïmonide dans la partie que vous avez cité c'est que le texte de la création pourrait tout à fait s'accorder à la conception aristotélicienne, mais cette conception contredit les fondements de la torah. Il y a donc contradiction implicite mais non explicite. C'est le sens du passage que vous avez cité.

    En revanche dit-il plus loin, la conception platonicienne ne contredit ni explicitement ni implicitement la Torah.

    Je n'ai fait que paraphraser le moreh.

    Cette distinction est capitale, est pour mieux comprendre tout ce qui se joue derrière cette hérésie aristotélicienne et l'accord de Platon avec la Torah (sauf concernant la hylé), je vous renvoie au chapitre 2 du shaar hayhoud véaémouna du tanya de R Shnéour Zalman de Lyadi.

    Je vous encourage vivement à lire Maïmonide et à vous libérer de toutes les études universitaires qui n'ont jamais pu rien saisir du génie de Rambam.
  • Gabriel Abensour
    • 14. Gabriel Abensour Le 03/03/2013
    Merci pour ces précisions.

    Je crois avoir enfin saisi mon erreur. Merci de me l'avoir fait remarqué. Je précise cependant que je contrairement à ce que vous sous-entendez, la plupart des choses que j'écris sur Maïmonide proviennent de ma compréhension personnelle du texte et non d'études universitaires.

    Pour ce qui est du texte extrait de mon blog, bien que n'étant toujours pas très vieux (23 ans dans quelques jours), j'ai écrit ce texte il y a relativement longtemps. Je crois effectivement qu'aujourd'hui, je ne me serai pas permis une telle critique du monde mystique, que je connais bien trop mal. Si vous suivez le blog, alors vous remarquerez que je mets régulièrement à jour de vieux articles, en fonction de l'évolution de mon point de vue et de l'élargissement de mes horizons.

    Par contre, je ne pense pas du tout prendre Maimonide à la légère, j’espère que ce n'est pas des phrases mal formulées ou des erreurs minimes qui vous laisseront croire le contraire. כשם שאי אפשר לבר בלא תבן, כך אי אפשר לספר בלא שגיאה
  • Julien
    • 15. Julien Le 04/03/2013
    Bonjour,

    Ok, nous sommes donc d'accord. En revanche lorsque vous parlez de "monde mystique" (que j'imagine vous opposez au monde rationnel) vous tenez forcément ce terme de la sous-littérature universitaire ou populaire, mais pas de sa source, car dans les milliers de pages du Zohar, ari des kabbalistes et de la hassidout ce terme n'apparaît jamais. (car ils ne s'opposent jamais à la raison)

    Je vous souhaite d'avancer sur la voie de la vérité, le sceau du divin.
    • yona-ghertman
      • yona-ghertmanLe 04/03/2013
      Cher Julien, je vais laisser Gabriel répondre car il s'agit de son article. Je tenais simplement à vous féliciter de la qualité du débat que vous avez lancé. Yona Ghertman.

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