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Kamtsa et Bar Kamtsa sont sur Facebook
- Par yona-ghertman
- Le 14/05/2014
- Dans Regard talmudique sur l'actualité
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Kamtsa et Bar-Kamtsa sont sur Facebook…
L’histoire de Kamtsa et Bar Kamtsa est bien connue… Ou du moins elle semble l’être : « Un homme avait pour ami un nommé Kamtsa, et pour ennemi un nommé Bar Kamtsa » (TB Guittin 55b). Ce récit talmudique commence comme une fable, dissimulant sous un voile ludique sa profondeur acerbe. « Un jour il fit un banquet. Il envoya son serviteur inviter Kamtsa. Le serviteur partit et ramena Bar Kamtsa » (Ibid.). La scène ubuesque ne peut éclipser la gravité de l’introduction de ce texte : « À cause de Kamtsa et Bar Kamtsa, Jérusalem fut détruite » (Ibid.).
Résumons brièvement la suite de ce fâcheux malentendu.
Voyant que Bar Kamtsa se trouvait à sa table, l’hôte le somma de partir. Redoutant l’humiliation publique d’un départ à la vue de tous les convives, Bar Kamtsa alla jusqu’à proposer de grandes sommes d’argent pour rester au banquet. L’hôte refusa devant toutes les personnes attablées. Les Rabbins de la ville étaient présents.
La victime, profondément meurtrie de cette fâcheuse situation, détourna sa tristesse en colère, et décida de s’en prendre aux rabbins, considérés comme complices, car coupables de silence. Bar Kamtsa décida donc de monter un stratagème pour faire accuser ces derniers devant l’autorité romaine. Il encouragea l’empereur romain à envoyer une offrande au Temple de Jérusalem, puis intercepta l’animal pour lui infliger une blessure le rendant impropre au sacrifice. Que fallait-il faire dans un tel cas ? Les Rabbins étaient en discussion. Beaucoup considéraient que la préservation de relations pacifiques avec les Romains justifiait d’accepter une telle offrande. Cependant Rabbi Zekharia ben Avkoulas s’opposa à cette décision en invoquant plusieurs arguments légaux. Il finit par emporter l’assentiment de ses collègues.
À ce stade, les rédacteurs du Talmud éprouvent le besoin de faire une digression pour préciser l’opinion d’un Sage ultérieur, Rabbi Yo’hanan, selon qui « ce sont les scrupules de Rabbi Zekharia ben Avkoulas qui causèrent la destruction de notre Temple, l’incendie de notre sanctuaire, et notre exil » (TB Guittin 56a).
Selon la tradition rabbinique, le refus de ce sacrifice enflamma la colère de l’empereur, qui décida alors d’attaquer Jérusalem.
Splendide exemple de remise en question. Le réalisme est foudroyant, à la limite du pessimisme. Personne n’est épargné. Personne n’est coupable, ou plutôt, tout le monde l’est. Comment ne pas comprendre l’affliction de cet homme humilié devant les plus grands notables de sa ville ? Mais en même temps, l’hôte n’est-il pas libre de ne pas accepter à sa table son plus grand ennemi ? Les Rabbins n’ont rien dit. On leur reproche de s’être tus. Certes. Mais connaissons-nous la cause de leur silence ? Le récit ne précise pas qui était leur hôte. Nous sommes au premier siècle de notre ère. Les tensions sont à leur comble entre Juifs et Romains. Le moindre faux-pas peut être fatal. Et si l’hôte était une personne influente, un proche du procurateur romain alors en fonction à Jérusalem ? Une opposition frontale n’aurait-elle pas été la cause d’une attaque sanglante contre le corps rabbinique, voire de décrets interdisant la pratique ou l’étude de la Torah ? Et si….. Et si R. Zekharia ben Avkoulas n’avait pas été si strict dans l’application de la loi ? R. Yo’hanan l’accuse. En pensant agir dans l’intérêt de la Torah, c’est l’inverse qui se produit.
Auparavant le Talmud annonçait que l’histoire de Kamtsa et Bar-Kamtsa était la cause de la destruction de Jérusalem. R. Yo’hanan stigmatise maintenant ce Rabbin qui conseilla finalement de ne pas offrir le sacrifice de l’empereur. Qui est vraiment coupable ici ? Tout le monde l’est… Ou plutôt personne. Chacun a ses raisons.
Le Talmud présente un tableau complexe, volontairement imprécis. Les Sages du Talmud sont des Rabbins. Ils n’ont pourtant pas peur de jeter la pierre sur le corps rabbinique dans son ensemble. Lâcheté ou sévérité excessive malvenue, la critique est là, bien présente[1]. La victime n’est pas épargnée. Bar Kamtsa devient un légendaire mécréant. Tous participent à cette course inévitable vers la destruction. Chacun se renvoie la faute, mais tous ont leur part de responsabilité. Le récit exclut toute lecture manichéenne. Le drame est amplifié par l’impossibilité de se replier sur un seul coupable, qui endosserait le rôle du bouc-émissaire permettant de calmer les mauvaises consciences.
Le lien avec notre actualité communautaire mérite à peine d’être signalé. Les réseaux sociaux offrent une dimension inédite à l’histoire de Kamtsa et Bar-Kamtsa…. Kamtsa et Bar-Kamtsa sont sur Facebook… On en rigolerait presque si « l’affaire » n’était pas reprise sur le site du polémiste anti-juif Alain Soral, jubilant de cette mise en cause de l’institution consistoriale, et à travers elle, de tous les juifs, qu’elle entend représenter.
Plusieurs problèmes existent. Les sujets s’entremêlent. La confusion entre le fait-divers et les problématiques de fond est palpable. Je n’entends pas rentrer dans les détails, même si certains mériteraient d’être expliqués d’une manière pédagogique au grand public[2]. J’entends simplement souligner la complexité de la discorde. L’esprit étriqué recherche qui a tort et qui a raison. Un peu de recul montre que, bien souvent, ceux qui ont raison ont en même temps tort.
[1] Dans un autre passage talmudique (TB Shabbat 119b), les Sages enseignent que Jérusalem fut détruite à cause du mépris populaire envers les Rabbins. Loin d’être en contradiction avec le passage que nous présentons ici, ce dernier texte ajoute en réalité à la complexité de la situation. La mise en cause des autorités rabbiniques ne traduit pas simultanément l’absolution de ceux qui les dénigrent.
[2] Je pense surtout aux principes du divorce religieux. À ce sujet je renvoie notamment à mon ouvrage : Yona Ghertman, La loi juive dans tous ses états, éditions lichma, 2013, pp.121-127 : « Le problème des femmes agounot » ; ainsi qu’à la thèse récemment publiée du Grand Rabbin Daniel Dahan, Agounot : « les femmes entravées », problèmes et solutions en droit matrimonial hébraïque, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2014.