La valise dans la main gauche et la truelle dans la main droite

La valise dans la main gauche et la truelle dans la main droite

 

 

Après la destruction du premier Temple de Jérusalem au 6ème siècle avant notre ère, les Juifs sont exilés en Babylonie. Sur place, le prophète Jérémie leur demande de s’adapter à leur nouveau lieu de résidence : « Ainsi a parlé l’Eternel, le Dieu d’Israël, à tous les exilés que J’ai laissé emmener à Babylone : Bâtissez des maisons et habitez-les, plantez des jardins et goûtez leurs fruits. Prenez des femmes et engendrez des fils et des filles, pour qu’ils leur naissent des enfants et pour que vous vous multipliiez là et que vous ne diminuiez pas. Recherchez la paix pour la ville dans laquelle je vous ai exilés, et priez pour elle vers l’Eternel, car votre paix dépend de la sienne » (Jérémie 29, 4-7).

Cette volonté de rechercher la pérennité en exil paraît d’autant plus étonnante que son terme relativement proche est annoncé quelques versets plus loin : « Ainsi a parlé l’Eternel : Quand Babel sera au terme de soixante-dix ans pleinement révolus, Je prendrai soin de vous et J’accomplirai en votre faveur ma bienveillante promesse de vous ramener en ce lieu » (Jérémie 29, 10).

Bien qu’il sache avec certitude que l’exil prendra fin soixante-dix ans après l’arrivée à Babel, le prophète Jérémie invite les exilés à s’installer durablement dans ce pays d’accueil. Pourquoi vouloir construire si l’on a l’intention de partir ? N’aurait-il pas été plus logique de préparer le peuple au retour prochain, en conseillant à l’inverse de ne pas percevoir cette nouvelle vie comme une finalité, mais comme une fatalité provisoire en attendant le retour vers Jérusalem ?

C’est qu’il y a un temps pour chaque chose. Il n’est pas concevable de vivre le présent en gardant les yeux rivés sur le futur. Certes, le terme de l’exil est connu, mais pour l’instant, les Juifs sont à Babel. Ils doivent s’investir pour construire des lieux d’habitation et s’intégrer afin de vivre pleinement leur nouvelle condition.

Ce message du Livre de Jérémie accompagne les communautés juives à travers l’histoire. De tout temps, nos aïeuls se sont installés en ayant conscience que leur présence n’était que temporaire. Ceci ne les a pas empêchés de bâtir des structures juives importantes. Yechivot et Synagogues ont fleuri à travers le monde, comme ce fut le cas en Babylonie lors du premier Exil.

De nos jours, lorsque deux juifs français ne se sont pas vus depuis quelques temps, leur premier sujet de discussion tourne autour du départ de France vers d’autres cieux. Les attaques antisémites n’ont cessé d’accentuer cette volonté de départ, à laquelle s’ajoute indéniablement d’autres facteurs non-liés à l’antisémitisme, telle l’instabilité économique, avec la peur de voir l’économie française s’effondrer à moyen ou long terme.

Alors il y a ceux qui partent, et nous leur souhaitons de réussir dans leur entreprise… Et puis il y a ceux qui restent. La vie juive en France ne peut s’épanouir qu’en se vivant pleinement. Des acteurs de la communauté juive française ne cessent de s’investir, de construire, de mettre en place des nouvelles structures d’étude et de rassemblement. Il nous appartient de les aider et de prendre exemple sur eux. Il ne s’agit pas de fermer les yeux sur les problèmes, mais de rester vigilant sans pour autant vivre notre vie par procuration. La chose n’est pas aisée, mais le défi n’est pas récent : être capable de nous impliquer comme si nous resterons pour toujours là où nous sommes, tout en envisageant de partir si nécessaire. La leçon biblique reste  d’actualité : Apprendre à vivre avec une valise dans la main gauche et une truelle dans la main droite.

 

Yona GHERTMAN

 

 

*Billet paru dans l'hebdomadaire Actualité Juive du 05/11/2015

Commentaires

  • Gad
    • 1. Gad Le 06/11/2015
    Super!!
    J'ai bien aimé le petit clin d'oeil à JJ Goldman.

Ajouter un commentaire