D'une voix unanime (Chavouot)

D’une voix unanime :

Une réflexion sur la donation de la Torah

 

Mont

La fête de Chavouot a lieu durant la période de la donation de la Torah. C’est l’occasion de réfléchir sur la rencontre qui a eu lieu au Mont-Sinaï. Dans le texte, tout n’est que bonne volonté et empathie entre les Hébreux et Dieu, comme le montrent les versets de Chémot. Alors que Dieu leur propose d’entrer dans son alliance, le peuple entier répond d'une voix unanime: "Tout ce qu'a dit l'Éternel, nous le ferons!" (Chémot 19, 8)

Pourtant, le Talmud  se montre un peu plus dubitatif. Alors que les hébreux s’approchent du mont Sinaï, le verset énonce qu'ils "s’installèrent sous la montagne" (Chemot 19, 17).  Rav Abdimi s’étonne qu’il ne soit pas marqué « au pied » de la montagne. Il apprend de cette irrégularité que « Dieu a retourné le mont Sinaï comme un baquet, en leur disant ‘si vous acceptez la Torah tout ira bien, si vous la refusez c’est ici que sera votre tombeau » (TB Chabbat 88a).

L’explication de Rav Abdimi semble aller à rebours de la présentation de la Torah, qui montrait un peuple ‘docile’, prêt à suivre son Dieu. Et voilà qu’en fait tout n’est que machination !  Le beau lissé de la Torah serait-il le masque de la tyrannie divine ? Y aurait-il eu un double discours ? Cette question a agité tous les lecteurs attentifs, et plusieurs solutions ont été apportées.

Le Midrash (Tan’houma Ytro 3) fait une différence entre la Torah écrite et la Torah orale : les hébreux sont prêts à accepter la Torah écrite, mais pas la Torah orale. La motivation de ce refus est expliquée par les Sages : l’étude de la Torah orale est longue, fastidieuse, alors que lire la Bible est plutôt sympathique. Une autre motivation est également invoquée : la Torah écrite indique les principes, alors que la Torah orale décrit les détails. Or, sur les principes tout le monde est d’accord : ne tue pas, ne vole pas…Mais dans les détails, tout d’un coup les dissensions apparaissent.... Puis le désaccord s'étend progressivement aux principes eux-mêmes.... Accepter des principes est facile, tant qu’ils ne touchent pas au quotidien, tant qu’ils n’exigent pas de « se prendre trop la tête ».

 Il n’y a pas eu de fête du don de la Torah, car son acceptation était incomplète. Rav Abdimi précise qu’elle ne sera complétée que cinq siècles plus tard, lors de l’épisode de Pourim, à Babel. Pourquoi la Torah orale a-t-elle été acceptée à cette période ? Pour le comprendre posons une autre question en amont:

Les Hébreux, peu avant d’entrer en Israël,  campent dans les plaines de Moav, c’est en cet endroit que se dit tout le livre de Dévarim, c’est en ce lieu qu’une alliance est de nouveau scellée. Pourquoi Rav Abdimi est-il si sûr que cette alliance ne concernait-elle pas l’acceptation de la Torah orale, qu’il a fallu attendre l’exil babylonien pour qu’elle soit effective ?

C’est que l’alliance sur les plaines de Moav n’est pas plus complète que celle du Mont Sinaï.  Après la sortie d’Egypte, les juifs sont en attente d’une terre. Leur acceptation est liée à cette contrepartie, et leur attente  n’a pas évoluée au seuil de l'entrée en terre d'Israël. Les Hébreux ont eu la force d’accepter la Torah  tant qu’elle ne concernait que ses principes. Ils n’ont accepté ses détails que sous la contrainte, car ce qu’ils désiraient avant tout était d'avoir une terre. Recevoir librement la Torah orale et ses contraintes n’est possible qu’à condition de ne rien attendre de Dieu !

‘Hag Saméa’h. 

Franck BENHAMOU

matan Torah juif naassé vénishma har sinaï

Commentaires

  • Franck
    • 1. Franck Le 11/06/2014
    J'entends très bien ta remarque Yona. Il me semble que la mort de Yéhochoua est effectivement le moment véritable où la Torah orale a lieu d'être, non pas comme répétition, ou remémoration de lois perdues lors de la mort de Moché, mais d'une Torah orale qui s'élabore et qui est la participation active des hommes à l'élaboration de la Torah. Peut-être -c'est une hypothèse- que cette élaboration a pu commencer effectivement à l'époque de Yéhochoua, mais que les Bné Israël n'ont compris la dimension participative de l'élaboration qu'à l'époque de Mordé'hay. Il est difficile (de soi même) d'être acteur de l'élaboration de la loi, elle implique non pas seulement une écoute passive, mais une recherche active, une réflexion qui implique une forte responsabilisation vis à vis de Dieu de la Torah et de ses coreligionnaires.
  • Yona Ghertman
    • 2. Yona Ghertman Le 11/06/2014
    Salut Franck,

    Ton billet m'a fait beaucoup réfléchir. Je trouve notamment que cette idée d'un intérêt lors de Matan Torah (accéder en erets-Israël) est intéressante.

    Cependant la question reste : Pourquoi la Guemara attend jusqu'à l'époque de Mordekhaï et Esther, il y a dans le dernier chapitre de Yeochoua une kabbalate haTorah qui intervient justement une fois la terre déjà conquise. N'aurait-il pas été plus logique que Rav Abdimi rapporte plutôt ce passage ?

    Cf. le chapitre en question, et plus particulièrement le commentaire de Rachi :

    רש"י יהושע פרק כד פסוק כב

    (...)
    כבר קבלתם עליכם בימי יהושע ולא תאמרו מה שקבלנו עלינו בימי משה כדי ליכנס לארץ עשינו הרי בימי יהושע כבר נכנסתם וקבלתם:
  • Franck Benhamou
    • 3. Franck Benhamou Le 03/06/2014
    La fin est effectivement concise (il a tout de même fallu 400 ans aux juifs pour l'intégrer ) Il s'agissait de mettre en évidence la contradiction entre la Torah écrite et la Torah orale quant à la façon de mettre à nu cette contradiction: la notion effleurée dans la conclusion demanderait un développement en soi.
  • Visiteur
    • 4. Visiteur Le 03/06/2014
    Très intéressant, mais quel dommage que la fin soit si concise !
    Les deux dernières phrases mériteraient chacune au moins un paragraphe, c'est le coeur de la réponse !

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