Introduction au livre de Chemot

*Cycle : la paracha selon le Mechekh 'Hokhma  

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  Le savoir comme identité. Introduction au livre de Chémot

 

Dans son introduction au livre de chémot, le Méché’h ‘Ho’hma[1] pose un problème dont les enjeux existentiels ne sont pas immédiats. Le livre s’ouvre sur le début de la vie de Moïse et son accès à la prophétie, qui donnera à la révélation de la Torah. On se rappelle que les juifs ne vont pas écouter la Torah directement de Dieu, mais c’est Moïse qui l’apprendra puis la répétera. A priori Moïse possède un libre arbitre comme tout homme, il peut donc à chaque instant choisir de mentir sur le contenu de sa prophétie ; comment Dieu peut-il enjoindre alors à chacun de lui faire confiance ? Question naïve et simple.

Tout d’abord le rav de Dvinsk répond brutalement « Dieu lui a ôté son libre arbitre ! ». Mais le développement de la réponse va permettre d’invalider cette compréhension première, laissant paraitre une problématique très étrange pour quiconque essaie d’étudier.

Il commence par rappeler que « sans liberté, l’homme n’a pas de raison d’être ». Avant que la personne ne naisse « elle comprenait la Torah »[2]. Pourquoi ? Tout simplement car avant de naitre la personne ne se trouve pas confrontée à des obligations, pour elle la Torah est purement intellectuelle. Moïse a retrouvé cet état, par ses efforts, de sorte à ce que son corps « ne format plus un écran pour la réception de la Torah ».  

Il précise que « par contre, l’état de prophétie auquel étaient conviés les hébreux lors de la révélation du Sinaï, n’était pas à cette altitude !  Leur compréhension passait avant tout par leur corps et leur sensibilité. C’est ce que les Sages appellent dans leur langage ‘ils n’avaient pas vaincu leur penchants’.

Il précise alors un point qui va traverser toute son œuvre « pour un homme sujet à ses passions, la connaissance qu’il a d’une chose ne l’oblige pas ».

Avouons que le langage est difficile, le maitre n’essaye pas de faire des mots, il utilise le fond de textes qu’il a à sa disposition pour exprimer une idée.

Retraduisons, simplement, à l’aide d’un exemple.

Lorsqu’un médecin apprend la médecine, on ne soupçonne pas qu’il ne va pas utiliser son savoir. C’est le principe même d’un diplôme : le savoir contraint celui qui le possède à l’employer. Une fois le diplôme passé, nul ne songe à vérifier si le postulant utilise ce qu’il a appris : on s’appuie sur la connaissance que possède un homme de son métier.

Moïse est un homme pour qui la réflexion intellectuelle est au-dessus de toute valeur. Ce qui ne veut pas dire qu’il doit servir de modèle en cela, mais un tel homme existe. Pour lui, la question de l’application des lois ne se pose pas : il fait corps avec sa pensée. Pour le commun des hommes, une telle possibilité est mortelle : de ne plus vivre sous le régime des pulsions le tue ; c’est ce qui s’est passé lors de la Révélation su Sinaï, où « les âmes des juifs se sont envolées »[3], la découverte de l’existence d’un mode de vie où les pulsions n’ont plus cours (par exemple, dans l’image qu’on se fait de la vie hors du monde qui est celle d’un fœtus) est un arrêt de mort pour la plupart les hommes.

Lorsqu’un médecin exerce, il mobilise son savoir sans que ses pulsions interfèrent avec sa pratique (c’est le cas dans la plupart des métiers). Tout se passe comme si le corps pulsionnel s’était tu. La certitude va si loin, que l’on se contente la plupart d’une plaque ou d’une étiquette pour accorder sa confiance[4].

La problématique ici posée est celle de l’adhésion qu’un homme a à son savoir : son savoir est devenu pour lui une identité. On EST médecin, est un abus de langage : il faudrait dire qu’on connait la médecine ; le langage ne trompe pas ici, même s’il faut encore décrypter le phénomène. Moïse, dans son rapport à la loi divine, a extrémisé ce rapport pour qu’à chaque parole prononcée par Dieu, s’y jouait sa personne… « En toi [Moïse], on aura confiance en en l’éternité »[5].

 

Franck BENHAMOU


[1] Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926. Grand maitre de la génération d’avant-guerre. Auteur fécond et original, il est connu pour son commentaire sur la Torah, le Méché’h ‘Ho’hma ( le premier mot du titre est son acronyme), ainsi que son commentaire sur le Michné Torah de Maïmonide. Homme d’une énorme érudition, chef de communauté. Nous espérons faire part de notre engouement pour lui, avec mes camarades, tout au long des sections de cette année.

[2] TB Nida 30b. Il s’agit bien évidemment d’une fiction qui n’a pour but que d’exprimer une idée dans un langage imagé.

[3] Chabbat 88b.

[4] Cette confiance est de moins en moins accordée, j’en conviens, mais il faudrait faire une réflexion sur la place exorbitante de l’argent dans nos sociétés.

[5] Chémot 19.9. 

 

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