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Les causes de l'antisémitisme
- Le 10/03/2014
- Dans Regard talmudique sur l'actualité
Les causes de l’antisémitisme
(Shabbat Zakhor-Pourim)
La communauté juive présente deux types principaux de discours au sujet des causes de l’antisémitisme :
1/ Le discours « laïc » : le peuple juif est la victime innocente de tous ceux qui l’attaquent pour des raisons irrationnelles.
2/ Le discours « religieux » : Le peuple juif est le premier coupable des attaques menées contre lui, car il ne respecte pas convenablement la Torah.
Dans le cadre de ce billet, nous tenterons de montrer une autre approche, plus nuancée et correspondant davantage aux textes de nos traditions.
Le Shabbat précédent Pourim, nous lisons le passage de la Torah relatif au devoir de se souvenir (zakhor) de l’attitude d’Amalek qui attaqua les Hébreux dans le désert, et d’en effacer la mémoire (Deut. 25, 17-19). Puis le matin de Pourim, nous lisons l’autre passage relatif à ‘Amalek dans le cadre de la prière journalière, avant la seconde lecture de la Méguila.
Ce dernier texte commence ainsi :
‘Amalek vint et attaqua Israël à Refidim (Exode 17-8)
Rachi commente, en se fondant sur l’enseignement du Midrash Tan’houma :
[Le texte] juxtapose cette section à ce verset [qui précède], comme pour dire : Je suis toujours parmi vous et Je pourvois à tous vos besoins, mais vous, vous dites : « L’éternel est-il parmi nous ou non ? (…) » (1)
À première vue, la démarche de Rachi consiste simplement à relier notre verset au précédent passage, dans lequel le peuple se plaignait car l’eau commençait à manquer. Derrière cette complainte se cachait en fait une remise en cause de la portée de l’action divine sur eux-mêmes.
Il faudrait donc lire ainsi le texte :
(…) Ils avaient éprouvé l’Eternel en disant : L’Eternel est-il parmi nous ou non ? ‘Amalek vint et attaqua Israël (…)
On peut cependant s’interroger : Il est fréquent dans la Torah que des passages soient juxtaposés sans forcément être en rapport les uns avec les autres. Pourquoi Rachi considère-t-il donc nécessaire d’effectuer un tel rapprochement ?
Le Maharal de Prague, répond à cette question dans le Gour Arié :
(…) Les Sages de mémoire bénie [dans le Midrash Tan’houma cité par Rachi] ont remarqué que le verset [commence par] « ‘Amalek vint », alors qu’il aurait dû être écrit « ‘Amalek sortit », comme il est écrit [à propos de l’attaque de Si’hon roi de Emor contre les bné-Israël :] « Si’hon sortit [à notre rencontre] » (Deut. 2, 32) [et à propos de l’attaque des Edomites :] « Edom sortit [à sa rencontre] » (Nombres 20, 20). Or, à propos de chaque guerre, il convient de s’exprimer ainsi. Dès lors pourquoi est-il écrit « ‘Amalek vint » ? (…)
C’est donc cette anomalie de langage qui a interpellé Rachi. Le midrach qu’il cite permet alors de l’expliquer. Le Rav Yeochoua D. Hartmann développe les propos du Maharal (2) de manière à nous faire comprendre quel enjeu se cache derrière l’emploi des verbes « venir » ou « sortir » pour décrire une attaque militaire :
La différence entre « il vint » et « il sortit » est que « il sortit » est lié à celui qui sort. Il sort de l’endroit où il se trouve. Or « il vint » s’explique par rapport au receveur [c’est-à-dire : à celui vers qui on va] (…). Ainsi s’il était écrit « ‘Amalek sortit », cela aurait concerné une action liée à ‘Amalek ; mais puisque il est écrit « ‘Amalek vint », c’est que le verset focalise sur Israël : ‘Amalek vint sur eux pour les combattre (…).
En d’autres termes, Rachi aurait trouvé un indice dans le terme employé par le verset, pour confirmer l’idée du Midrash selon laquelle ‘Amalek est attiré par Israël. Il va vers ce qui l’excite. Intérieurement, il n’a pas de problèmes, la présence d’Israël ne gêne pas son mode de vie. Mais il y a quelque-chose chez ce peuple qui le dérange. La balle est donc renvoyée au dit-peuple. Une introspection s’impose pour comprendre ce qui éveille tant le sens guerrier de cet ennemi, se levant comme un lion, dérangé dans son sommeil par un morceau de viande fraîche jeté près de lui.
Toute différente est la perspective de Si’hon, roi d’Emor, et d’Edom. Ils sortent de l’endroit où ils se trouvent, car ils considèrent que leur tranquillité sur-place est menacée par le passage d’Israël sur leurs territoires. À ce moment, Israël n’a rien à se reprocher. Le peuple est simplement confronté aux aléas d’un parcours nomade qui bouscule indéniablement les populations sédentaires, provoquant ainsi des réactions agressives.
On peut légitimement avancer que les deux modèles présentés ne sont pas nécessairement distincts. On remarque par exemple au sujet d'Aman, le persécuteur des juifs décrit dans la Méguilat Esther, que ce dernier, dérangé intérieurement par Mordekhaï, se défait de tout bon sens pour faire périr son peuple. Les Sages du Talmud, sans nier le moins du monde les motivations strictement personnelles d'Aman, soulèvent également une cause plus profonde, liée à l'attitude des juifs eux-mêmes vis-à-vis de Dieu. (3)
Il en va de même à toutes les époques. On ne peut déterminer avec certitude les causes de l’antisémitisme. Les organisations juives prétendument représentatives de la communauté insistent pour faire comprendre aux non-juifs la gravité de l’antisémitisme. Cette démarche ne saurait remplacer une introspection générale : Y a-t-il au sein de la communauté juive un comportement spécifique qui incite à la défiance ? Quelle est l’image que la communauté renvoie à l’extérieur ?
Une culpabilisation excessive serait tout autant malvenue. Chercher à tout prix le mal chez soi ne correspond pas non-plus à l’esprit de la Torah, qui se conjugue ici au pluriel. Oui, l’épisode d’Amalek vient rappeler que les attaques provenant de l’extérieur ont souvent une cause interne. Cependant une telle conclusion n’est pas systématique, comme l’illustrent d’autres épisodes racontés également dans la Torah.
Yona GHERTMAN
(1) En voyant en entier ce commentaire de Rachi, le lecteur comprendra la première image de ce billet (véhamévin yavin !)
(2) Dans ses annotations sur ce passage du Gour Arié, dans l'édition Makhon Yerouchalaïm.
(3) Voir Esther 3, 5-6 et TB Meguila 12a et 13b.
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Joyeux Adar
- Le 27/02/2014
- Dans 'Haguim (fêtes juives)
משנכנס אדר מרבין בשמחה ?
Joyeux Adar
Cette phrase issue du traité Taanit (29a) qui marque le début des réjouissances de Pourim est si célèbre qu’on n’y prête pas intention, ni d’intentions d’ailleurs : « Dès qu’entre le mois d’Adar, on multiplie la joie ». la seule mention de sa source devrait pourtant faire sourciller : Taanit parle des jeûnes.
C’est que notre texte ne se pose que comme un complément à une michna :
Dès que le mois d’Av commence, on diminue en joie (Taanit 26a)
Les deux affirmations s’articulent de la façon suivante : « De même qu’au commencement du mois d’Av on diminue en joie, on augmente en joie dès le début du mois d’Adar ». Le parallèle est étonnant : alors que le mois d’Av est caractérisé par les malheurs relatifs à la destruction du Temple, le mois d’Adar est marqué par l’histoire d’Ester qui se déroule en exil, et qui n'a pas de rapport avec le Temple, ni avec la terre d’Israël. Pourquoi saisir l’occasion de la destruction du Temple pour parler de Pourim ?
Une autre question pourtant devrait retenir l’attention : pourquoi dès le début du mois d’Adar faudrait-il multiplier les occasions de joie ? Ne faudrait-il pas attendre le 15 Adar, date de la fête ? Se serait-il passé quelque chose au début du mois d’Adar qui le justifierait ?
Que se passe-t-il au début du mois d’Adar ? La première michna du traité de Chekalim nous l’enseigne :
Le premier Adar, on fait sonner les chekalim.
Rabbi Ovadia de Barténora (XVeme siècle) commente :
Le sanhédrin envoie dans toutes les villes d’Israël des émissaires annonçant d’emmener leurs pièces (en réalité un demi chékel) ; car au début du mois de Nissan –c'est-à-dire le mois suivant- il fallait amener les sacrifices publics des nouveaux prélèvements (…), c’est pourquoi on annonçait dès le début du mois d’Adar d’amener les chekalim.
Dès la néoménie du mois d’Adar on prévenait qu’on allait procéder aux prélèvements pour les sacrifices publics. Dès le quinze du même mois, on déposait des comptoirs dans les villes afin de procéder au prélèvement.
On comprend dès lors que la multiplication de la joie est liée au renouvellement des sacrifices. En fait, ce texte n’a rien à voir avec Pourim ! C’est pourquoi c’est à l’occasion de la diminution de la joie liée au mois de Av, que le talmud se remémore cette phrase célèbre. Il n’est donc pas besoin de faire un lien mystique entre le mois d’Adar et le mois d’Av pour le comprendre.
Notons enfin qu'Il reste une trace de ces prélèvements dans les lectures hebdomadaires : le Chabbat précédent la néoménie de Adar, on lit en plus un extrait de la Torah (Chémot 30.11-16) rappelant le prélèvement réalisé par les hébreux dans le désert en vue de la construction du tabernacle.
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les vêtements du Cohen Gadol: tisser du lien.
- Le 02/02/2014
- Dans Parasha
Les vêtements du grand prêtre : tisser du lien
(Tétsavé chapitre 28)
Par Franck Benhamou
«Mais d'où vient qu'il [le sacrifiant] ne s'en rapproche [du divin] qu'en en restant à distance ? D'où vient qu'il ne communique avec le sacré qu'à travers un intermédiaire ? »
Marcel Mauss. Essai sur la nature et la fonction du sacrifice.
On croit avoir raté la nouvelle collection en voyant les vêtements que devait porter le grand prêtre : tout n’est que luxe de détails, de couleurs, de gemmes et d’or. Qu’"on" se rassure, même il y 3000 ans ils n’étaient pas à la mode : les égyptiens sacrifiaient en simples habits de lin, affublés d’une peau de léopard alors que les grecs portaient du blanc ou du noir suivant qu’ils sacrifiaient aux dieux « d’en haut » ou « d’en bas ».Là où la sobriété et l’humilité semblaient requises pour approcher le divin, on ne trouve que grelots sonnant! Certes les simples prêtres officiaient en lin blanc, le grand prêtre lui-même abandonne son apparat le jour de Kippour pour se revêtir de lin blanc, comme un simple prêtre. Mais pourquoi une telle profusion dans les habits du grand prêtre ?
1. Les vêtements des prêtres.
Les simples prêtres officient avec quatre vêtements de lin blanc : une tunique, un pantalon, une ceinture et un turban.
Le blanc est la couleur de la cour du temple, là où se trouvait l’autel.
Quant aux huit vêtements du grand prêtre, ils sont à la couleur du Saint des saints : pourpre et azur.La couleur des habits semble donc indiquer les lieux où les prêtres étaient en droit de se promener. Dans la scène du Sinaï, chacun devait rester à sa place, même si la révélation était collective : « Et les prêtres, qui s’approchent de Dieu, se tiendront séparés [du mont Sinaï], de peur que Dieu ne les décime » (Chemot 19.22). Les vêtements sont la trace de cette séparation entre ceux qui font le culte, d’une part, et ceux qui ne le font pas. Et, même à l’intérieur du groupe de ceux qui officient, il y a lieu de distinguer ceux qui restent dans la cour et celui qui peut séjourner dans le Saint des saint. Lorsque le grand prêtre entre dans le saint des saints le jour de kippour, il y officie avec les vêtements en lin blanc : la séparation n’est plus à marquer, puisqu’il est seul dans le saint des saints.
2. Comment Aaron, le grand prêtre, a-t-il obtenu le privlège de porter le pectoral?
Lorsque Moïse refuse de parler à Pharaon afin de libérer les hébreux, Dieu s’insurge : il sait qu’Aaron, lui, ne refusera pas. Le verset « Aaron, ton frère, le Lévy, Je sais que lui parlera, de plus il viendra à ta rencontre, et se réjouira en son coeur » (Chémot 4.14) est commenté par Rachi : « C’est pour cela qu’Aaron a eu l’honneur de porter les bijoux du pectoral ». Il s’agit de l’ensemble des douze pierres sur lesquelles étaient marqués les noms des tribus d’Israël. Le verset qui conclut la description du pectoral indique : « Et Aaron portera les noms des Bné israël sur le pectoral, sur son coeur lorsqu’il entrera dans le saint, en souvenir perpétuel devant Dieu. Tu mettras dans le pectoral les Ourim et Toumim, qui seront sur le coeur d’Aaron en venant devant Dieu. Aaron portera le ‘jugement’ des bné Israël sur son coeur devant Dieu perpétuellement. » (28.29-30). Le pectoral est le signe et le lieu de l’échange avec Dieu : Maïmonide décrit (Hil’hot Kli hamikdach 10.11) comment le pectoral permettait de s’entretenir avec Dieu, de présenter son ’jugement’, c'est à dire son cas, devant Dieu. Le pectoral représente la possibilité de s’adresser à Dieu, cette possibilité est portée par le grand prêtre dans son coeur, référence à cette générosité d’Aaron envers son frère et ses frères, qu’il défendit devant Pharaon, et même Dieu peut en témoigner ! Aaron représente ses frères auprès de Dieu, porte leurs demandes. Le pectoral vient signifier cette fonction du grand prêtre.
3. L’éphod.La description de l’éphod (un tablier dont les bretelles portent deux pierres précieuses sur lesquelles sont aussi indiquées les noms des tribus) se conclut par : « Aaron portera leurs noms devant Dieu sur ses deux épaules comme souvenir » (28.12). Cette fois-ci le souvenir est destiné à Dieu. L’éphod est le signifiant d’Israël pour Dieu ! Si l’éphod et le pectoral ne sont pas portés lorsque le grand prêtre officie dans le saint des saints le jour de kippour, ce n’est pas qu’une marque d’humilité, mais aussi parce que personne n'a le droit d'être présent en ce lieu, il est alors vêtu d’un simple lin blanc.
La double signification des vêtements du Cohen : à la fois marque pour Israël de la présence de son Dieu, ainsi que la marque pour Dieu de la présence de son peuple, n’a rien à voir avec les sacrifices. Leur signification est essentiellement autre.
4. Pourquoi signifier ?
Une question peut alors se poser : pourquoi signifier tout cela, pourquoi le marquer ? C’est qu’en réalité cette communication entre Dieu et les hommes ne se suffit pas en elle-même, elle est un lien fragile qu’il faut encourager à exister, à laquelle il faut donner une représentation. C’est le rôle des vêtements du grand prêtre…dans toute leur exubérance.
Pour répondre à la question que Mauss soulevait on peut dire : que le lien entre les hommes et Dieu existe indépendamment du lieu des sacrifices, le Temple n’est là que pour relever un lien qui sans une mise en scène reste fragile, éternellement en construction : l'interdit de désolidariser le « pectoral » de « l’éphod » (chémot 28.28) vient marquer la brisure toujours possible du lien entre Dieu et son peuple. -
Le judaïsme commercial
- Le 25/01/2014
- Dans Regard talmudique sur l'actualité
Le judaïsme commercial
Une réaction talmudique à la polémique entre Dieudonné et Rav Dynovisz
Rabbi Abahou et Rabbi ‘Hiya bar Abba se sont retrouvés dans une ville. Rabbi Abahou y dispensa un cours de aggada (récits du Talmud), alors que Rabbi ‘Hiya bar Abba y dispensa un cours de Halakha. [Quand les gens apprirent que R. Abahou dispensait un cours de aggada], tout le monde quitta le cours de R. ‘Hiya bar Abba pour aller le voir. [R. ‘Hiya] en fut malade.
[R. Abahou] lui dit : je vais t’illustrer cette situation par une parabole : deux hommes [arrivent en ville]. L’un vend des pierres précieuses [d’une valeur inestimable], alors que l’autre vend des objets de pacotille [de faible valeur mais très prisés]. Vers qui [les gens] vont-ils se ruer ? Chez celui qui vend les objets de pacotille.
(TB Sota 40a)
Sur le Site des études juives, les auteurs tentent de présenter le résultat de leurs études talmudiques, retranscrites en français afin de les rendre accessibles au plus grand nombre. Cependant, ces articles ne peuvent être lus qu’en se concentrant et en réfléchissant. De même, les cours mis en avant sur le site sont des cours dans lesquels il est nécessaire d’être actif ; des cours sur texte, dans lesquels les enseignants se montrent rigoureux et exigeants.
Cette manière d’étudier dont nous faisons la promotion n’est pas la plus « sexy ». La plus grande partie du public juif français préfère une approche plus commerciale : On va assister à un cours de Torah car on sait que le Rav y raconte de bonnes blagues…. On regarde une vidéo car le Rav y raconte ce qui se passera à la fin des temps… etc…
Dans le cadre de ce billet, il convient de s’interroger sur la légitimité de cette démarche, consistant à adapter le discours de Torah au plus grand nombre, quitte à lui faire perdre une –grande- partie de sa véritable profondeur.
Dans le texte rapporté ci-dessus, R. ‘Hiya apparaît comme frustré de voir son public se détourner de son cours pour partir chez R. Abahou. Et pour cause, le premier propose un cours de Halakha alors que le second propose un cours de aggada. Bien qu’il existe des manières d’étudier les aggadote de manière très approfondie, le contexte de l’histoire nous laisse penser qu’il n’était question en l’espèce que de raconter des jolis récits fantastiques.
Pourquoi R. Abahou, qui est un sage réputé, adopte-t-il une démarche apparemment plus démagogique que talmudique ? Le Beer Shéva[1] nous amène vers un autre passage du traité Sota (49a) dans lequel il est question de réciter un kadish après un cours de aggada. Rachi explique que le Shabbat, tout le peuple se rassemblait pour écouter ce cours, ce qui constitue un grand kidoush Hachem : tout le monde est rassemblé pour entendre des paroles de Torah.
Voilà donc une manière de comprendre l’attitude de R. Abahou, et par là-même celle de tous les Rabbanim proposant des cours « faciles » à leur public : Au final, le plus grand nombre se rassemble et se rapproche de la Torah. L’intention est donc tout-à-fait légitime.
Cependant le Beer Shéva nuance cette analyse en rapportant un passage du traité Shabbat (115a) dans lequel on apprend que les Sages avaient interdit de lire les Hagiographes le Shabbat. Rachi explique qu’il était d’usage que tout le peuple se réunisse pour assister à un cours de Halakha. Mais comme cela demandait des efforts de concentration, on préférait s’adonner à une lecture plus facile. Pour éviter cet écueil, les Sages interdirent donc la lecture de ces livres bibliques, afin d’élever le niveau de Halakha des personnes qui n’avaient pas forcément la possibilité d’étudier durant la semaine.
Par ailleurs dans notre texte, Rabbi Abahou reconnaît la supériorité du cours de R. ‘Hiya en le comparant à des pierres précieuses. Il admet parfaitement que l’idéal est de pousser les gens à étudier des sujets exigeant une véritable concentration et un investissement non négligeable. Peut-être d’ailleurs incitait-il lui-même son public à se diriger vers le Beth haMidrash, et à se plonger vers une réelle étude de la Torah.
Il nous semble que la majorité des Rabbanim qui utilisent des procédés « commerciaux » le font dans cet esprit, et cela ne doit pas être critiqué. Cependant, lorsque l’accessoire prend la place du principal, et que le sens critique est purement et simplement balayé, nous ne sommes plus dans le cas de Rabbi Abahou.
Pire encore, lorsque forts de leur succès, des pseudo-Rabbanim se permettent de faire passer leurs opinions personnelles pour de la Torah, il y a lieu de s’inquiéter. Mais le pire de tout est lorsque ces mêmes personnes vont parler au nom de la Torah pour tenir des propos haineux et insensés qui, au final, risquent surtout de se retourner contre les juifs. Je fais évidemment référence à la récente polémique entre Dieudonné et le Rav Dynovisz. Nous sommes ici dans les effets les plus pervers du « judaïsme commercial », ce que j’entends dénoncer par l’intermédiaire de ce blog, comme l’ont déjà fait d’autres Rabbanim.
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De Naassé à Nichma, de Ytro à Michpatim
- Le 18/01/2014
- Dans Parasha
De Naasei à Nichma. De Ytro à Michpatim
La Révélation de la Torah occupe une grande partie de la paracha Ytro. Rappelons les faits. Dans le chapitre 19 [1], Dieu dit : « Vous avez vu ce que j'ai fait aux Égyptiens; Je vous ai portés sur l'aile des aigles, je vous ai rapprochés de moi. Désormais, si vous êtes dociles à ma voix, si vous gardez mon alliance, vous serez mon trésor entre tous les peuples! » (…) Le peuple entier répondit d'une voix unanime: Tout ce qu'a dit l'Éternel, nous le ferons! » La suite du chapitre décrit les recommandations en vue de la Révélation, comme par exemple une séparation entre les époux de trois jours. Le chapitre 20 est consacré en partie à l’énonciation des dix commandements, ainsi qu’à la demande des hébreux : « Que ce soit toi qui nous parles et nous pourrons entendre, mais que Dieu ne nous parle point, nous pourrions mourir ». Curieuse certitude : la parole de Dieu est-elle si écrasante qu’elle appelle la mort ? Les juifs ne viennent-ils pas précisément de vivre le contraire au Sinaï ? Dans la suite de ce chapitre, Dieu donne quelques commandements relatifs à son culte. Puis c’est la paracha de michpatim, là ce sont toutes sortes de lois sociétales : règles relatives à l’esclave, aux dégâts causés, au vol, aux emprunts…viennent ensuite quelques lois sociales (relatives à l’étranger, au pauvre) puis les lois relatives aux jugements, les fêtes de pèlerinage suivent les lois sur la jachère (chapitres 21 à 23). La fin du chapitre 23 (vs 20 à 32) parle d’un ‘ange’ qu’il faudra écouter, condition nécessaire à l’entrée en terre d’Israël, ce qui introduit quelques lois liées à la résidence en Israël. Il serait intéressant d’étudier l’ordre avec lequel elles sont dictées, mais ce n’est pas mon propos.
Le chapitre 24 va nous intéresser directement. Contre toute attente, c’est lui qui contient le verset « nous ferons et nous entendrons », celui-ci n’est pas dit dans le chapitre précédent les dix commandements, mais à la fin de michpatim ! Rappelons le contexte : Dieu dit à Moïse de monter « vers » Lui, c'est-à-dire sur le mont Sinaï : « Moïse, de retour, transmit au peuple toutes les paroles de l'Éternel et tous les statuts; et le peuple entier s'écria d'une seule voix: Tout ce qu'a prononcé l'Éternel, nous l'exécuterons». Puis le lendemain, il fit un autel et des sacrifices, une partie du sang fut aspergé sur l’autel. Puis « (…) il prit le livre de l'Alliance, dont il fit entendre la lecture au peuple et ils dirent: Tout ce qu'a prononcé l'Éternel, nous l'exécuterons docilement » [2]. Une autre partie du sang fut aspergé sur les juifs, avec l’explication suivante : « Ceci est le sang de l'alliance que l'Éternel a conclue avec vous touchant toutes ces paroles ».
La place du chapitre 24 a été très controversée chez les commentateurs classiques. Pour Rachi, tout ce chapitre a eu lieu avant la révélation, durant les trois jours de préparation. Le Maharal propose une explication pour justifier le déplacement de ce chapitre : car l’alliance n’a été scellée qu’une fois le contenu de la révélation effectivement énoncé, auparavant, il n’était qu’un engagement sans contenu. De nombreux commentateurs, comme le Ramban, ne suivent pas l’opinion de Rachi : selon lui, le texte est écrit dans l’ordre de son déroulement réel.
Ramban fait remarquer que le débat qui l’oppose à Rachi s’est déjà produit à l’époque des tanaïm, s’est poursuivi longtemps après les richonim (on pourra consulter à ce sujet les commentateurs classiques sur Rachi). Notre objectif n’est pas de trancher dans une discussion vieille de deux millénaires, mais d’entendre les deux positions, et de les mettre en regard, non pas du point de vue textuel, mais du point de vue des idées qu’elles défendent. Une clé de lecture est offerte par les Sages [3] qui ont donné une place extraordinaire à ces deux mots « nous ferons et nous comprendrons », puisqu’ils on taxé cette inversion de « secret des anges » : ces deux mots –faire/entendre- permettent de s’orienter dans ces cinq chapitres.
Commençons par Ramban (commentaire sur 24.1) : pour lui le texte a été écrit dans son ordre ‘historique’ ; immédiatement après le don de la Torah, le jour même, a eu lieu la demande des hébreux de communiquer avec Dieu par l’entremise d’un intermédiaire, puis ensuite viennent les interdictions de l’idolâtrie, les lois (de michpatim), qui se finissent par une nouvelle mention de l’interdit de l’idolâtrie et quelques règles de l’habitation en Israël, les juifs dirent alors : « Tout ce que Dieu a dit, nous le ferons ». Moïse mit par écrit toutes ces lois, puis le lendemain eut lieu ‘l’alliance’ : « Alors Moïse prit la moitié du sang, la mit dans des bassins et répandit l'autre moitié sur l'autel. Et il prit le livre de l'Alliance, dont il fit entendre la lecture au peuple et ils dirent: Tout ce qu'a prononcé l'Éternel, nous l'exécuterons et l’entendront [4] » (24.6-7).
Le passage du « faire » ce que Dieu dicte (24.3) à « faire et entendre » (24.7) est entrecoupé par le sacrifice, plus précisément par le verset 6, où la partition du sang est la symbolisation de l’alliance. Le passage du « faire » à « faire et entendre » est identique au changement de position des juifs vis-à-vis de Dieu : dans un premier temps ils veulent « faire ». Que faire ? Telle était leur question. Dieu leur demande d’écouter Sa voix, et ils rétorquent par « que faire » ! N’est-ce pas là une façon de se débarrasser de Dieu, de ne pas avoir à écouter Sa voix en accomplissant quelques rites évitant cette confrontation trop difficile ? La demande d’intermédiaire s’interprète alors comme une astuce pour ne pas entendre la voix divine. Puis viennent les michpatim. Que viennent-ils faire ici ? Pour le comprendre, il faut sauter au chapitre 24, la fin de la paracha. Le « naasei vénichma » vient après la séparation des sangs ainsi que la lecture du livre de l’alliance : les juifs ont compris qu’ils sont partie prenante de l’alliance, du brit. Alors que dans un premier temps ils voyaient Dieu comme un être terrifiant, mortel, à qui il faudrait rendre un culte pour s’en débarrasser au plus vite, progressivement –par l’intermédiaire des michpatim- l’image change : on passe de la violence de la Révélation à une alliance. Comment la lecture du ‘livre de l’alliance’ change-t-elle ceux qui l’écoutent ? Le « nichma », est en réalité la réponse à sa lecture. Selon Ramban, il s’agit du livre qui vient d’être écrit la veille, soit tout le contenu de 20.19 à la fin du chapitre 23. Ces versets sont encadrés par l’interdit de l’idolâtrie, mais leur cœur consiste en des lois de gouvernement de la cité. De telles lois impliquent nécessairement la coopération des hommes, entre eux et avec Dieu, il ne s’agit pas uniquement de donner un culte à l’Etre suprême, mais de participer à l’élaboration d’une société juste. Peut-être est-ce là ce qui a permis aux hébreux d’entendre quelque chose à la parole divine ? Mais le Sforno nous permet –me semble-t-il – une lecture moins naïve.
ספורנו שמות פרק כד
(נעשה לתכלית שנשמע בקולו כעבדים המשמשים את הרב שלא על מנת לקבל פרס כענין עושי דברו לשמוע בקול דברו (תהלים קג, כ
« Nous ferons afin d’entendre sa voix, comme des esclaves qui servent leur maître sans en attendre une récompense, comme le verset (psaumes 103.20) l’énonce : [Vous] qui exécutez ses ordres, attentifs au son de sa parole».
L'intérêt de faire appel à ce verset des psaumes réside dans la juxtaposition de l’ensemble des thèmes qui sont ici abordés : le faire, l’entendre, mais surtout la différence entre « son » קול et « voix » דבור . On peut obéir à son maitre comme un chien qui attend son festin, entendre la voix, au-delà du son, au-delà de l’ordre, voilà ce qui fut difficile à la génération esclave en Egypte. Pourquoi précisément ces lois nous guident-elles sur le chemin de la différence entre « ordre » et « voix » ? Là encore le Sforno nous oriente ; en effet, il commente (en 21.1) : « les lois de michpatim ne sont pas des ordres, comme plus haut, mais lorsque se présentera la nécessité c’est ainsi qu’il faudra juger ». De nombreux versets de cette paracha sont introduits par « lorsque » : il ne s’agit que d’exemples visant à former l’esprit, c’est à travers ces exemples que la différence entre voix et son se marque. Parler d’exemples, signifie que la loi ne consiste pas uniquement à appliquer, que son accomplissement ne garantit pas contre l’injustice, mais qu’il faut l’élaborer suivant les cas qui se présentent. C’est en cela que les hommes participent à son élaboration.
Pour Rachi, tout le chapitre 23 a été accompli avant le don de la Torah, pour lui, la Torah ne pouvait être entendue qu’une fois compris qu’il ne s’agit pas d’ordres ici. Dans les termes du Sforno : il ne pouvait y avoir de Révélation que si l’on s’était auparavant défait de sa mentalité d’esclave. Ce chapitre 23 ne vient pas conclure l’alliance, mais en donner la condition. C’est pourquoi le livre de l’alliance pour Rachi, c’est Béréchit jusqu’à la sortie d’Egypte ! C’est parce qu’un livre a pu montrer que ce que Dieu vise, à travers ses commandements, ce ne sont pas que des actes, mais que les actes ne sont là que pour former la base à l’écoute de la parole de Dieu.
[1] De Chémot, toutes les citations bibliques sont celles de la traduction du rabbinat, sauf mention explicite.
[2] Loin de nous l’idée de critiquer la traduction du Rabbinat, cependant elle trahit ici un contournement de la difficulté tout à fait dommageable.
[3] On pourra consulter Chabbat 88, ainsi que l’incontournable commentaire qu’en fait Lévinas dans Quatre lectures talmudiques. Ed de minuit. 2010.
[4] Pour le coup nous ne suivons pas la traduction du rabbinat qui traduit « entendront » par « docilement », ce qui masque volontairement le problème.
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Ytro : le miroir du juif
- Le 11/01/2014
- Dans Parasha
Ytro : le miroir du juif
Lorsque Moïse s’enfuit temporairement d’Egypte pour s’installer à Midyan, il y rencontre le prêtre de l’endroit et y épouse sa fille, Tsipora (Exode 2). Après la révélation du buisson ardent, Moïse fait part à Ytro de sa volonté de retourner en Egypte pour rejoindre son peuple. Ce dernier accepte volontiers sa requête, le laissant repartir avec sa fille et ses petits-enfants (Exode 4, 18-20).
Selon le Midrash, le beau-père de Moïse avait abandonné ses prérogatives sacerdotales avant l’arrivée de Moïse à Midyan, car il avait reconnu de lui-même la vanité de l’idolâtrie (Shemote rabba 1, 32). Cette affirmation va bien dans le sens du texte. Ytro accepte que sa fille quitte son pays natal en compagnie de Moïse, et donc qu’elle s’accorde avec ses idéaux et qu’elle rejoigne son peuple. On pense ici naturellement au comportement inverse de Lavan qui tentait de retenir Jacob, en revendiquant des droits sur sa famille (Genèse 36), désireux selon les Sages d’anéantir tout avenir spirituel chez les descendants du Patriarche. Si Ytro n’agit pas de la sorte, c’est que lui-même accepte la destinée de Moïse et de son peuple, voire qu’il la partage, ou du moins, qu’il réfléchit à le faire.
Alors que les Hébreux sont dans le Désert, après la sortie d’Egypte, Ytro les rejoint temporairement, accompagnant la famille de Moïse qui était restée à Midyan dans un premier temps (Exode 18). Les Sages voient dans cette venue d’Ytro un pas franchi dans sa reconnaissance de Dieu. Si auparavant il s’était convertit au monothéisme, il décide de venir précisément après le don de la Torah car il désire maintenant se convertir au judaïsme. Selon Rabbi Eliézer, cet épisode est tout simplement le modèle de la conversion, un enseignement à l’adresse des responsables rabbiniques postérieurs : « [Dieu dit à Moïse] : J’ai rapproché Ytro [en acceptant sa conversion] et je ne l’ai pas éloigné. De même pour toi, lorsque viendra te voir un homme afin de se convertir avec une intention pure (léchem Shamaïm), rapproche-le, et ne l’éloigne pas » (Mekhilta shemote 18, 6).
Malgré cela, et bien que le texte laisse apparaître des apports positifs d’Ytro, vis-à-vis de Moïse et de tout le peuple, d’autres sources rabbiniques vont mettre en avant un aspect moins reluisant. Il n’est pas question de diminuer le mérite d’Ytro, mais de souligner la suspicion pouvant être engendrée suite à la conversion.
Ceci se retrouve par exemple au sujet de l’histoire de « Pin’has ». Pin’has, petit-fils d’Aharon haCohen, le frère de Moïse, se fait connaître en tuant Zimri Ben Salou, un prince d’Israël. Loin d’être condamnée, cette action est louée par Dieu, car la victime était un transgresseur public et volontaire, que personne n’osait réprimander. Etablis à Chittim, les hommes s’étaient laissés aller à la débauche avec des filles de Moav et Midyan. Non seulement les gens du peuple, mais également les dirigeants des tribus s’étaient mêlés à cette rébellion contre Dieu. Zimri ben Salou défia l’autorité de Moïse explicitement (Nombres 24, 6) mais celui-ci ne réagit pas. C’est alors qu’intervint Pin’has, agissant en zélateur, permettant de calmer la colère divine qui avait déjà décimé vingt-quatre mille personnes (Ibid. 24, 8-9).
Pourquoi Moïse ne réagit il pas lui-même ?
Le Talmud propose d’imaginer un dialogue préalable entre Moïse et Zimri. Confronté à l’accusation du chef d’Israël et de son tribunal, le prince aurait toisé Moïse de la sorte : « Fils d’Amram, m’est-elle défendue ou permise ? Et si tu dis qu’elle m’est défendue, qui t’a permis d’épouser la fille d’Ytro ? [Moïse] oublia alors la loi à appliquer, et toutes les personnes présentes fondirent en larmes » (TB Sanhédrin 82a).
En réalité, la loi était évidente, le mariage entre Moïse et Tsippora avait eu lieu avant la promulgation de la Torah, il n’était pas comparable à cette union interdite légalement. Le silence de Moïse s’explique donc par la suspicion dont il est la victime. Il se trouve déstabilisé et ne sait que répondre. Bien que Tsippora fasse désormais légalement partie des Bné-Israël, elle n’est pas née au sein de ce peuple. Cela ne dérange ni Moïse, ni même Dieu ; seul un mécréant notoire souligne la chose. Cependant cette suspicion, aussi infondée soit-elle, suffit à établir un fossé entre l’épouse de Moïse et le reste du peuple. Aux yeux de certains, celle-ci n’est pas complètement juive. Ce regard est erroné, certes, mais il existe et pèse sur le converti et son entourage.
À la suite de ce passage, Dieu intervient pour montrer aux yeux de tout le peuple que l’acte de Pin’ahs est justifié. Le verset introduisant l’alliance établie alors entre Dieu et Pin’has commence ainsi : « Pin’has, fils d’Eléazar, fils d’Aharon haCohen, a détourné ma colère de dessus les enfants d’Israël (…) » (Nombres 25, 11). Pourquoi l’ascendance de Pin’has est-elle alors rappelée, alors qu’elle avait déjà été mentionnée au verset 7 du même chapitre, à peine quatre versets en arrière ?
C’est pour répondre à cette question que Rachi commente en se fondant sur le Talmud : « Puisque les tribus le méprisaient en disant : « Regardez ce descendant de Pouti ! Son grand-père maternel [Ytro] engraissait les veaux pour les sacrifices aux idoles ; aurait-il le droit de tuer un chef de nos tribus ? » C’est pourquoi l’écriture nous rappelle ses nobles origines».
L’ascendance paternelle de Pin’has est noble, elle est glorieuse et lui sert donc d’étendard, ou plutôt de protection contre ceux tentant de le disqualifier. Il n’est pas question d’une seule personne, comme cela était le cas dans l’accusation de Zimri ben Zalou contre Moïse. Le texte fait mention des « tribus », indiquant par-là que cette suspicion était généralisée à tout le peuple.
Ne serait-ce le lien le rattachant à Aharon haCohen, Pin’has aurait été en mauvaise posture malgré la justesse de son acte. Bien que la Torah accepte que le converti et sa descendance intègrent le peuple d’Israël et ses lois, les membres du peuple voient en lui un étranger au moindre comportement atypique. Cet à priori négatif n’est pas encouragé, au contraire. Il s’agit juste d’une constatation : le même Ytro dont le comportement est loué par la Torah et par les Sages était perçu avec une certaine ambiguïté par le peuple.
Est-ce vraiment étonnant ? La réponse nous semble négative. Ytro est un modèle de zèle, il conseille Moïse et prend en premier l’initiative de faire une bénédiction pour remercier Dieu. Il vient d’ailleurs et s’impose comme un modèle de croyance en Dieu… Il est l’autre, celui qui dérange car il joue le rôle d’un miroir, reflétant nos tâches et nos carences. Or, nous avons tous une relation ambigüe avec notre miroir : on le recherche lorsqu’on se sent bien dans sa peau, et on le rejette lorsqu’on ne veut pas se regarder en face… Ytro est donc en quelque-sorte le miroir du juif…
Retrouvez un plus ample développement sur ce sujet de la conversion dans notre ouvrage : "Une identité juive en devenir : la conversion au judaïsme"