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  • Réflexion sur l'antisémitisme aujourd'hui en France

    • Le 15/02/2019

    בס״ד

     

    Dans quelle mesure doit-on s’indigner de Dieudonné et de Soral ?

    Ou comment la Torah peut aussi nous éclairer dans des débats très contemporains

     

                                           Schoucroun

    par  Shmouel Philippe Choucroun

     

    Voilà déjà plus de deux décennies que la communauté juive de France s’inquiète ouvertement de la montée de l’antisémitisme. Différentes attaques meurtrières ont été perpétrées ces dernières années à l’encontre de personnes identifiées comme juives, et ce dans un climat national assez tendu.

    Beaucoup d’intellectuels ou d’observateurs de notre société attribuent cette recrudescence de l’antisémitisme à la prolifération sur le net d’une nouvelle propagande mélangeant antisionisme et vieil antisémitisme, les nouvelles technologies ayant donc permis de contourner les médias traditionnels.

    Et dans cette nouvelle vague « brune, rouge, verte » comme l’ont nommé certains de nos représentants communautaires, l’ex-humoriste Dieudonné et l’essayiste au crâne rasé Alain Soral tiennent une place particulière.

    En effet Dieudonné a été le premier dans une émission télévisée diffusée à une heure de grande audience, à avoir osé comparer israéliens et nazis dans un sketch ; il a continué tout au long de sa carrière  à dénoncer ce qui était selon lui « la manipulation mémorielle de la Shoah » ou encore, à s’indigner contre «  la toute puissance des juifs dans la nation ».

    Fait inquiétant, le personnage est devenu au fil des années une sorte d’icône d’une France qui défie l’autorité et la morale de notre société, et qui s’esclaffe à chaque pic de l’humoriste contre BHL, le CRIF ou Bruel, ses cibles préférées.. 

    Face à ce phénomène, nombre de procédures judiciaires ont vu le jour – à chaque annonce de spectacle de l’ex- partenaire d’Elie Semoun, des forces se mobilisent pour interdire la venue de cet agitateur ; cependant le constat demeure le même. Ses salles de spectacle ne désemplissent pas et sur la toile, des centaines de milliers de personnes regardent régulièrement ce nouveau gourou des égarés de la société.

    Nous ne traiterons pas dans les lignes qui suivent des différentes analyses politiques, sociologiques ou autres qui ont été faites sur ce phénomène tels que : qui sont les fans de Dieudonné ? Pourquoi son message politique arrive à passer dans une certaine mesure dans la société et  ce, malgré les multiples condamnations de la justice française à son égard ? etc..                                                                                              

    Dans l’étude que nous développerons,  nous essaierons avant tout de porter un regard juif sur ce personnage et sa popularité, démarche peu courante malgré les années écoulées et  le  vacarme médiatique qui entourent cette vieille affaire.

    Finalement, Dieudonné doit-il autant  nous indigner  et nous mobiliser? Doit-on voir dans l’émergence de ce phénomène un cataclysme pour une France post-shoah  qui pensait avoir tourné une page de son histoire ? Ou bien doit-on finalement constater une impossible réparation de notre société ?

     

    L’antisémitisme, une si vieille histoire et si nouvelle histoire

    Commençons notre étude par un peu d’étymologie et d’histoire. Le terme antisémitisme est attribué pour la première fois à un intellectuel juif autrichien Moritz Steinshneider en 1860 et ce afin de désigner la haine ou les préjugés portés aux peuples d’origine sémite et de leurs tares culturelles, spirituelles ou intellectuelles.

    Evidemment le concept de l’antisémitisme n’a fait qu’évoluer et se muter au fil du temps et des sociétés dans lesquelles il évoluait : une fois on reprochait aux juifs l’amour de l’argent et l’exploitation des pauvres, et au même moment on s’insurgeait dans d’autres lieux que ces derniers véhiculaient et propageaient le poison de la révolution rouge.. (voir l’ouvrage référence - L’histoire de l’antisémitisme - de Léon Poliakov.)

    Antisemitisme

     

    Ceci étant, si nous nous référons au plus vieil ouvrage traitant de l’histoire du peuple juif, à savoir la Torah elle-même, nous ne constatons pas ni dans les textes ni dans les commentateurs de ces derniers une véritable théologie ou doctrine autour de ce sujet.

    La haine du juif ou d’Israël semble presque « naturelle » ou « inévitable », le peuple élu porterait en lui certains stigmates qui le rendent « détestable » par les autres nations.

    Développons notre analyse autour de deux ennemis légendaires du peuple hébreu, Parô et Aman.

     

    La haine de Parô et celle d’Aman, deux facettes différentes  d’un même mal..

    Parmi les innombrables ennemis du peuple hébreu, deux personnages incarnent cette haine destructrice qui nous a toujours menacé : Pharaon (Parô) et Aman au temps de Mordechaï et Esther. Comparons leur démarche et manigance:

    Dans la parachat Chemot, Parô constate l’accroissement exponentiel du peuple juif dans son pays :

     

    וַיֹּאמֶר אֶל-עַמּוֹ: הִנֵּה עַם בְּנֵי יִשְׂרָאֵל--רַב וְעָצוּםמִמֶּנּוּ.

    Il dit à son peuple: "Voyez, la population des enfants d'Israël surpasse et domine la nôtre. (chemot 1,9)

    Puis Parô enchérit :

     

    הָבָה נִתְחַכְּמָה, לוֹ: פֶּן-יִרְבֶּה, וְהָיָה כִּי-תִקְרֶאנָה מִלְחָמָה וְנוֹסַף גַּם-הוּא עַל-שֹׂנְאֵינוּ, וְנִלְחַם-בָּנוּ, וְעָלָה מִן-הָאָרֶץ

    Eh bien! usons d'expédients contre elle; autrement, elle s'accroîtra encore et alors, survienne une guerre, ils pourraient se joindre à nos ennemis, nous combattre et sortir de la province." 1

    La sentence tombe :

    וַיָּשִׂימוּ עָלָיו שָׂרֵי מִסִּים, לְמַעַן עַנֹּתוֹ בְּסִבְלֹתָם; וַיִּבֶן עָרֵי מִסְכְּנוֹת, לְפַרְעֹה--אֶת-פִּתֹם וְאֶת-רַעַמְסֵס

    Et l'on imposa à ce peuple des officiers de corvée pour l'accabler de labeurs et il bâtit pour Pharaon des villes d'approvisionnement, Pithom et Ramessès.

     

    Nous remarquons en se penchant sur ces psoukim, que Parô est tout d’abord « inquiet » de l’ascendant démographique que prennent les hébreux sur son peuple. Nous pouvons objectivement s’accorder sur le fait que la Torah elle-même témoigne de l’accroissement miraculeux de la population juive en Egypte. Toutefois, les hébreux n’expriment aucune hostilité ou attitude irrespectueuse envers le souverain. Bien au contraire, selon les sources midrashiques, ceux sont les hébreux eux-mêmes qui offriront leur force de travail à Parô et ce afin de le soulager de sa charge de travail. Les décrets de Parô semblent donc être décalés, nous constatons une inadéquation entre son discours et ses actes :

    • il asservit les hébreux et les écrase sous le poids de travaux forcés titanesques.
    • Il va par la suite s’opposer farouchement à la sortie des hébreux d’Egypte lorsque Moïse l’en implorera.

    Or, ces réactions contredisent les propos de Parô à son peuple ! Pourquoi ne pas laisser au contraire fuir les hébreux, voir même les chasser du pays s’ils sont une si grande menace pour l’Egypte ?

    Hagada

    Analysons maintenant la posture et le discours d’Aman dans le livre d’Esther lorsque ce dernier vint demander à l’empereur Assuérus le droit de s’en prendre aux juifs* :

     ַיֹּאמֶר הָמָן, לַמֶּלֶךְ אֲחַשְׁוֵרוֹשׁ--יֶשְׁנוֹ עַם-אֶחָד מְפֻזָּר וּמְפֹרָד בֵּין הָעַומִּים, בְּכֹל מְדִינוֹת מַלְכוּתֶךָ; וְדָתֵיהֶם שֹׁנוֹת מִכָּל-עָם, וְאֶת-דָּתֵי הַמֶּלֶךְ אֵינָם עֹשִׂים, וְלַמֶּלֶךְ אֵין-שֹׁוֶה, לְהַנִּיחָם

    Puis Aman dit au roi Assuérus: "Il est une nation répandue, disséminée parmi les autres nations dans toutes les provinces de ton royaume; ces gens ont des lois qui diffèrent de celles de toute autre nation; quant aux lois du roi, ils ne les observent point: il n'est donc pas de l'intérêt du roi de les conserver.(Esther 3,8)

    Il est intéressant de noter deux points dans le discours d’Aman :

    1. Il ne cite pas explicitement le nom de cette fameuse nation disséminée et à la religion si différente.
    2. II ne se plaint pas de la puissance éventuelle de ce peuple contrairement à Parô, mais uniquement de sa différence, de ses croyances et pratiques incompatibles avec la société.

    Iznogoud

    Parô et Aman font finalement deux analyses différentes du peuple juif, et de là découle une hostilité conjoncturelle pour l’un, structurelle pour l’autre :

    Parô analyse le peuple juif comme un peuple puissant, dominant, envahissant.. Il faut s’en préserver, mais… en l’exploitant, en le spoliant ou de toute autre manière qui servirait le tyran. C’est donc cet antisémitisme bourgeois, ou mondain, qui se plaint de voir des juifs « partout » dans les médias, la finance ou la politique mais qui prend soin de les laisser prospérer avant de mieux les spolier.

    (Dans les correspondances d’Israël Ben Menassé avec Cromwell au XVIIe siècle, le souverain britannique s’inquiète d’une éventuelle installation des juifs dans son pays et de leur « accaparation des richesses ». (il n’y avait plus de communauté juive dans ce pays depuis les croisades) Le rabbin d’origine portugaise expliquera alors à son interlocuteur du grand intérêt des anglais à accepter des juifs sur leur sol pour qu’ils puissent y faire prospérer l’économie. En d’autres termes on parle avec Parô dans la langue de Parô..)

    Il n’est pas étonnant d’apprendre que selon nos maîtres les Egyptiens avaient atteint le 49e degré d’impureté ;  Il n’y avait plus de limite morale face aux désirs et intérêts personnels.

    Parô veut, l’Egypte exécute.

     

    Lorsque notre patriarche Abraham descend en Egypte des années plus tôt à cause de la famine, il refuse de déclarer que Sarah est son épouse :

    אִמְרִי-נָא, אֲחֹתִי אָתְּ--לְמַעַן יִיטַב-לִי בַעֲבוּרֵךְ, וְחָיְתָה נַפְשִׁי בִּגְלָלֵךְ

     Dis, je te prie, que tu es ma soeur; et je serai heureux par toi, car j'aurai, grâce à toi, la vie sauve.(Béréchit 12,13)

    Abraham comprend que le pharaon (de son époque déjà) et les Egyptiens ne pourront devant la tentation se retenir ; à ce titre, il préfère encore cacher l’identité de Sarah et ce, pour que la situation ne dégénère pas.

     

    Nous reprochons donc à Parô cette attitude mesquine et lâche, usant de la faiblesse présumée des hébreux pour assouvir ses besoins, ses rêves. Afin d’atteindre ses objectifs, il construit tout un discours hostile aux hébreux afin de persuader son peuple de la morale de sa politique ! Parô se rendra même coupable d’atrocités (génocide des nouveaux nés mâles) une fois qu’il enclenchera ce processus de brimade envers les hébreux.

     

    Aman quant à lui, se situe dans une tout autre démarche ; Nous avons souligné plus haut qu’il ne citait pas dans son discours le mot « juif » ou « hébreu ». Il exprime à ce titre la négation de l’essence même d’Israël. Descendant d’Amaleck,  ennemi héréditaire et viscéral des hébreux, Aman se refuse à reconnaître toute spiritualité, transcendance, message divin à travers Israël.

    Des siècles plus tôt, alors même que les hébreux sortaient d’Egypte suite à des miracles prodigieux, le peuple d’Amaleck, aïeul d’Aman n’hésita pas à attaquer ces esclaves fraîchement libérés au risque de subir le même sort que les Egyptiens. Il refusait l’idée même d’un peuple élu pour porter le message de D.ieu sur terre, d’une alliance entre l’homme et l’Eternel. Amaleck ne veut vivre que dans un matérialisme opaque, géré par le « hasard de l’univers ».

    Antis 1

    (Fait intéressant Hitler que son nom soit effacé, faisait lui aussi la distinction entre deux antisémitismes :

    L’antisémitisme fondé sur des motifs purement sentimentaux, trouvera son expression ultime sous forme de pogroms. L’antisémitisme selon la raison doit, lui, conduire au combat législatif contre les privilèges des Juifs et à l’élimination de ces privilèges... Son but ultime [celui de l’antisémitisme] doit, immuablement, être l’élimination des Juifs en général –lettre d’Adolph Hitler à Adolph Gemlich – A. H. reproche ici finalement à  l’antisémite « sentimental », sic, que ce dernier  achevait ses brimades  après un pogrom, une fois ses pulsions assouvies, alors que lui prônait une extermination idéologique jusqu’au-boutiste).

    Nous pouvons donc distinguer deux sortes d’antisémitisme, l’un opportuniste et conjoncturel, et l’autre idéologique et structurel.

    Face à ces deux fléaux, la Torah ne dévoile pas de remède magique. Pourquoi ?

    Parce que l’un sera toujours prisonnier de sa cupidité, jalousie, lacheté ! ses discours ne viennent que masquer, habiller sa malfaisance.

    Quant à l’autre, il porte une haine viscérale, maladive de ce que peut représenter le juif dans ce monde. Pour le soulager, il faudrait que les juifs disparaissent et ce ne serait peut-être encore pas suffisant.

    Nous avons peut-être dans notre génération aujourd’hui en France, l’alliance dévoilée de ces deux visages hideux de l’antisémitisme incarnés par Dieudonné et Soral.

     L’un ne supporte pas la réussite des juifs, il a l’impression que ces derniers envahissent son quotidien. Ayant fait de la haine de ces derniers un commerce fleurissant, il ne cesse de s’enfoncer dans cette voie, toujours plus loin dans la provocation car l’argent l’emporte sur la morale et la décence. Rire de six millions de victimes ne l’offusquera donc  jamais.

    L’autre a de nouveau déterré les vieux classiques de l’antisémitisme pour les mettre au goût du jour, sa haine est idéologique, profondément ancrée dans son être. Il en a fait le combat de sa vie à l’instar du IIIe Reich.

    Il va de soit que la Torah ne prône jamais la tolérance et l’indifférence devant la haine de ses ennemis.

     

    Hillel  enseignait :

       « Si je ne suis pour moi, qui le sera ? » ( Michna Perkei Avot, 1-14)

    Effectivement si la communauté juive n’est pas en première ligne dans ce combat, qui le sera ? Les initiatives légales pour contrecarrer la diffusion de leurs idées malfaisantes sont nécessaires et louables.

    Cependant,  nous ne devons pas perdre de vue que derrière le combat contre ce fléau, l’essence même de ce mal provient soit de deux points ;

    • Le refus de dominer ses instincts, ses pulsions quitte à franchir toutes les lignes morales.
    • La négation même de toute spiritualité, éthique divine.

     

    En cela, l’antisémite doit finalement plus nous renforcer dans nos convictions que nous indigner. Soral et Dieudonné ne sont ni plus ni moins que l’expression profonde des vices moraux rejetés par l’éthique juive. Cette lutte éternelle contre le mal est en soi la mission d’Israël !


     

     

     

  • Projet-Ramban : Tetsavé

    • Le 14/02/2019

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Parashat Tetsave – Commentaire du Ramban

     

    Notre parasha continue les mitsvot relatives au Tabernacle et décrit les habits que devront vêtir le Cohen et le Cohen Gadol.

    La signification de ces habits est évidemment source d’exégèses à toute époque. Le commentaire que nous allons voir cette semaine se caractérise par sa double référence – il s’inscrit dans la lignée des commentaires du pshat pour continuer dans celle des commentaires du sod.

     

    Le verset qui sert de “support” au commentaire est le verset XXVIII,2 :

    “Tu feras à Aaron, ton frère, des vêtements sacrés, pour marquer sa dignité et pour lui servir de parure.” – En Hébreu, « לכבוד ולתפארת »

     

    Ces deux derniers mots permettent de prime abord au Ramban de définir ces vêtements comme étant des vêtements royaux. Et pour étayer son argument, le Ramban va utiliser de manière transversale toute la Bible !

    La Koutonet – la tunique du Cohen -  c’est un vêtement d’apparat, nous dit le Ramban. Preuve en est le cadeau que Yaakov fit à Yossef : (Bereshit XXVII,3) : « Israël aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu'il l'avait eu dans sa vieillesse ; et il lui fit une tunique – koutonet- de plusieurs couleurs. ». Plus encore, c’est un vêtement royal – lors du tragique épisode de Amnon et Tamar, le verset nous précise (Samuel II, XIII,18) : « Elle – Tamar - avait une tunique - Koutonet- de plusieurs couleurs ; car c'était le vêtement que portaient les filles du roi, aussi longtemps qu'elles étaient vierges ».

    La Mitsnefet – le couvre-chef du Cohen : le Ramban nous prouve ici aussi que c’est un habit royal. Ainsi, lorsque le prophète met en garde le Roi d’Israël que son royaume va prendre fin, il lui dit « Ainsi parle Hashem : La tiare – mitsnefet- sera ôtée, le diadème sera enlevé. Les choses vont changer. Ce qui est abaissé sera élevé, et ce qui est élevé sera abaissé. » (Ézéchiel XXI,31). A l’inverse lorsque Ishaya prédit le retour, il s’exprime : « Tu seras une couronne éclatante dans la main de l'Éternel, un turban – tsnif- royal dans la main de ton Dieu » (Isaïe, LXII,3)

    Le Tzitz  est aussi un diadème royal. Le verset des Psaumes sert au Ramban de preuve : « Je revêtirai de honte ses ennemis, et sur lui brillera – yatsits- sa couronne. » (Psaumes CXXXII, 18)

    Le Efod et le Hoshen – le pectoral. Un verset de Daniel sert au Ramban de preuve « J'ai appris que tu peux donner des explications et résoudre des questions difficiles ; maintenant, si tu peux lire cette écriture et m'en donner l'explication, tu seras revêtu de pourpre, tu porteras un collier d'or à ton cou, et tu auras la troisième place dans le gouvernement du royaume. » (Daniel V, 16). Il est notable que le Ramban agit ainsi comme un véritable pashtan. Il superpose aisément le Efod et le Hoshen avec un « collier », bien que la racine du mot employé dans Daniel ne l’indique pas clairement.

    Une deuxième remarque peut être faite ici : voir dans le Efod un habit royal et non pas un habit strictement réservé au Cohen permet peut-être de résoudre un problème d’exégèse du livre de Shmouel. En plusieurs endroits on voit des personnes n’étant pas Cohen ou Cohen Gadol en fonction porter un Efod. Par exemple, Samuel lui-meme porte un Efod au verset II, 18 de Samuel I. Ou encore dans XXII, 18, on nous parle de 85 ( !) hommes portant l’Efod ! Suivant l’explication du Ramban, il est aisé d’expliquer que ce ne sont pas des habits spécifiquement réservés au Cohen, mais au contraire, leur caractère royal a fait que la Torah les a attribués au Cohen…

    Enfin, au-delà des vêtements, les couleurs même que la Torah a exigées sont des couleurs royales : or, pourpre et bleu azur – teh’elet- . Le Ramban cite comme preuves divers versets tirés des Psaumes, de Daniel ou encore du livre d’Esther.

     

    Jusqu’ici, le Ramban s’est placé dans la lignée des commentateurs pashtan. Les vêtements pontificaux ont été définis car ils évoquent de manière claire l’apparat et la noblesse.

    Mais le Ramban ne s’arrête pas là et entame un second paragraphe avec son expression caractéristique « ועל דרך האמת » - “Et selon la vraie explication » introduisant toujours l’exégèse kabbalistique. S’en suit alors une série d’explications allusives et concises que les commentateurs du Ramban décryptent, quand de toute évidence, le mot principal qui tisse le commentaire est « תפארת »   mot du verset qui renvoie, selon le Ramban, à la sefira de Tiferet…

    Nous ne développerons pas cette partie du commentaire, en étant bien incapables…

    Nous nous contenterons d’une remarque. Le Ramban finit ce passage en expliquant que les vêtements devaient être faits par des gens comprenant tous les « secrets » qui les habitent. Et, il cite en preuve, un passage du traité Yoma « son image me guidait lors de mes batailles ».

    Ce passage relate la rencontre extraordinaire entre Shimon Hatsaddik, alors Kohen Gadol, et Alexandre le Grand. Ce dernier, alors qu’il s’approchait de Judée vit Shimon Hatsaddik sortant à sa rencontre. A la vue du Kohen Gadol, Alexandre le Grand descendit de sa monture pour se prosterner. A ses troupes étonnées, il expliqua « lorsque je partais en guerre, son image me guidait lors de mes batailles » 

    La lecture habituelle de ce passage est que le visage de Shimon Hatsaddik apparaissait à Alexandre ; et que lorsque ce dernier reconnut ses traits, il se prosterna. Mais, si le Ramban cite ce passage pour étayer son commentaire sur les vêtements pontificaux, c’est que selon lui, ça n’est pas tant le visage du Cohen qu’Alexandre voyait, mais l’habit du Kohen Gadol. Ainsi, l’habit lui-même était assez évocateur et empreint de mystères pour que celui qui le voyait sentait une inspiration digne d’être suivie…

     

    Ce relativement long commentaire nous a semblé intéressant à partager. Il nous semble caractéristique du Ramban : une école clairement kabbalistique, mais qui sait exceller autant que d’autres dans l’exercice du pshat

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כח פסוק ב
    (ב) לכבוד ולתפארת - שיהיה נכבד ומפואר במלבושים נכבדים ומפוארים, כמו שאמר הכתוב כחתן יכהן פאר (ישעיה סא י), כי אלה הבגדים לבושי מלכות הן, כדמותן ילבשו המלכים בזמן התורה, כמו שמצינו בכתנת ועשה לו כתנת פסים (בראשית לז ג), שפירושו מרוקמת כדמות פסים, והיא כתונת תשבץ כמו שפירשתי, והלבישו כבן מלכי קדם. וכן הדרך במעיל וכתנת, וכתוב ועליה כתנת פסים כי כן תלבשנה בנות המלך הבתולות מעילים (ש"ב יג יח), ופירושו כי עליה כתנת פסים נראית ונגלית, כי המנהג ללבוש בנות המלך הבתולות מעילים שתתעלפנה בהן, ונמצא שכתנת הפסים עליה מלבוש עליון, ולכן אמר וכתנת הפסים אשר עליה קרעה:
    והמצנפת ידועה גם היום למלכים ולשרים הגדולים, ולכן אמר הכתוב בנפול המלכות הסר המצנפת והרם העטרה (יחזקאל כא לא), וכן כתוב וצניף מלוכה (ישעיה סב ג), וכך יקראם הכתוב פארי המגבעות (להלן לט כח), וכתיב פארי פשתים יהיו על ראשם (יחזקאל מד יח), שהם פאר ושבח למכתירים בהם. והאפוד והחשן לבוש מלכות, כענין שכתוב והמניכא די דהבא על צוארך (דניאל ה טז). והציץ נזר המלכים הוא, וכתיב (תהלים קלב יח) יציץ נזרו. והם זהב וארגמן ותכלת, וכתיב (שם מה יד) כל כבודה בת מלך פנימה ממשבצות זהב לבושה, וכתיב (דניאל ה טז) ארגוונא תלבש והמניכא די דהבא על צוארך. והתכלת גם היום לא ירים איש את ידו ללבוש חוץ ממלך גוים, וכתיב (אסתר ח טו) ומרדכי יצא מלפני המלך בלבוש מלכות תכלת וחור ועטרת זהב גדולה ותכריך בוץ וארגמן, והתכריך הוא המעיל שיעטף בו:
    ועל דרך האמת, לכבוד ולתפארת, יאמר שיעשו בגדי קדש לאהרן לשרת בהם לכבוד השם השוכן בתוכם ולתפארת עזם, כדכתיב (תהלים פט יח) כי תפארת עזמו אתה. וכתיב (ישעיה סד י) בית קדשנו ותפארתנו אשר הללוך אבותינו, וקדשנו הוא הכבוד ותפארתנו תפארת ישראל, ועוד נאמר (תהלים צו ו) עוז ותפארת במקדשו, וכן לפאר מקום מקדשי ומקום רגלי אכבד (ישעיה ס יג), שיהיה מקום המקדש מפואר בתפארת, ומקום רגליו, שהוא מקום בית המקדש, מכובד בכבוד השם. וכן ובישראל יתפאר (שם מד כג), שיהיה מראה ומיחד בהם תפארתו, וכן אמר למטה גם בבגדי הבנים כלם לכבוד ולתפארת (להלן פסוק מ), ואמר בקרבנות יעלו על רצון מזבחי ובית תפארתי אפאר (ישעיה ס ז). והנה המזבח רצונו, והכבוד בית תפארתו. והיו הבגדים צריכין עשייה לשמן, ויתכן שיהיו צריכין כוונה, ולכן אמר ואתה תדבר אל כל חכמי לב אשר מלאתיו רוח חכמה, שיבינו מה שיעשו. וכבר אמרו (יומא סט א) דמות דיוקנו מנצח לפני בבית מלחמתי: 

  • Un sanctuaire pour quoi faire ?

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

       Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

    Un sanctuaire pour quoi faire ?

     

    Lorsque Maïmonide parle du michkane, le temple portatif du désert, il le décrit comme un lieu de culte[i]. Il défendra que la fabrication du michkane n’a pour but que de détourner les yeux des anciens esclaves égyptiens de leurs idoles. Pour Nahmanide l’érection du temple renvoie à de toutes autres préoccupations : il s’agit de faire perpétuer la gloire qui apparut sur le mont Sinaï. Nulle concession au paganisme, mais la nécessité de continuer la promulgation de la loi.

    Seuls quelques principes de lois ont été donnés sur le mont Sinaï. Après la grande pompe du Sinaï, il faut passer à la présence discrète, démontrant en cela le lien tissé avec le « Dieu d’Israël ». Nahmanide voit dans cette expression le fil qui conduit du Sinaï, au temple portatif, puis au temple de Jérusalem. Voilà le rôle essentiel du michkane, sans doute pourrait-il servir de lieu de culte, mais secondairement. La « gloire » qui résida sur le mont Sinaï se retrouve dans le michkan : l’essentiel de l’accent est mis sur Dieu, et non pas sur l’homme en son rapport à Dieu. La voix qui s’exprima sur le Sinaï au vu et au su de tous, extérieure à tous, presque objective, continuera à s’exprimer mais à partir de l’espace vide situé entre les chérubins placés sur l’arche sainte. La voix divine chemine du Ciel, comme un scintillement, puis vient s’exprimer à partir du lieu vide situé entre les chérubins.

    Mais pourquoi insister sur le trajet de la voix divine ? Si l’on comprend que celle-ci s’exprime à partir d’un mi-lieu qui est vide, pourquoi rappeler que cette voix ‘vient du Ciel’ ? C’est que le vide en question n’est pas un néant, mais vient désigner ce qui transcende toute représentation. C’est une gageure que de donner un lieu au Dieu invisible. Comment maintenir sa transcendance au milieu de l’or et de l’argent ? C’est précisément dans ce renvoi à l’origine céleste de la voix que se rejoue discrètement la scène du Sinaï. Les chérubins abritent le vide - le silencieux secret du monothéisme-, mais un vide fort de tous les potentiels de la loi qui se déploie à partir des principes énoncés sur le Sinaï.

     

    Franck Benhamou

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כה

    וסוד המשכן הוא, שיהיה הכבוד אשר שכן על הר סיני שוכן עליו בנסתר. וכמו שנאמר שם (לעיל כד טז) וישכן כבוד ה' על הר סיני, וכתיב (דברים ה כא) הן הראנו ה' אלהינו את כבודו ואת גדלו, כן כתוב במשכן וכבוד ה' מלא את המשכן (להלן מ לד). והזכיר במשכן שני פעמים וכבוד ה' מלא את המשכן, כנגד "את כבודו ואת גדלו". והיה במשכן תמיד עם ישראל הכבוד שנראה להם בהר סיני. ובבא משה היה אליו הדבור אשר נדבר לו בהר סיני. וכמו שאמר במתן תורה (דברים ד לו) מן השמים השמיעך את קולו ליסרך ועל הארץ הראך את אשו הגדולה, כך במשכן כתיב (במדבר ז פט) וישמע את הקול מדבר אליו מעל הכפרת מבין שני הכרובים וידבר אליו. ונכפל "וידבר אליו" להגיד מה שאמרו בקבלה שהיה הקול בא מן השמים אל משה מעל הכפרת ומשם מדבר עמו, כי כל דבור עם משה היה מן השמים ביום ונשמע מבין שני הכרובים, כדרך ודבריו שמעת מתוך האש (דברים ד לו), ועל כן היו שניהם זהב. וכן אמר הכתוב (להלן כט מב מג) אשר אועד לכם שמה לדבר אליך שם ונקדש בכבודי, כי שם יהיה בית מועד לדבור ונקדש בכבודי:

    והמסתכל יפה בכתובים הנאמרים במתן תורה ומבין מה שכתבנו בהם (עי' להלן פסוק כא) יבין סוד המשכן ובית המקדש, ויוכל להתבונן בו ממה שאמר שלמה בחכמתו בתפלתו בבית המקדש ה' אלהי ישראל (מ"א ח כג), כמו שאמר בהר סיני ויראו את אלהי ישראל (לעיל כד י), והוסיף שם לפרש "ה'" לענין שרמזנו שם למעלה כי אלהי ישראל יושב הכרובים, כמו שאמר וכבוד אלהי ישראל עליהם מלמעלה היא החיה אשר ראיתי תחת אלהי ישראל בנהר כבר ואדע כי כרובים המה (יחזקאל י יט כ). ואמר דוד ולתבנית המרכבה הכרובים זהב לפורשים וסוככים על ארון ברית ה' (דהי"א כח יח), וכן יזכיר תמיד בבית המקדש לשם ה' (מ"א ה יט), לשמך (שם ח מד), ויאמר בכל פעם ופעם ואתה תשמע השמים (שם ח לו), במדת רחמים, וכתיב (שם ח מד מה) והתפללו אל ה' דרך העיר אשר בחרת בה והבית אשר בניתי לשמך ושמעת השמים, ובביאור אמר כי האמנם ישב אלהים את האדם על הארץ הנה שמים ושמי השמים לא יכלכלוך (דהי"ב ו יח). וכתיב על הארון להעלות משם את ארון האלהים אשר נקרא שם שם ה' צבאות יושב הכרובים עליו (ש"ב ו ב). ובדברי הימים (א יג ו) להעלות משם את ארון האלהים ה' יושב הכרובים אשר נקרא שם, כי השם יושב הכרובים:

     

    [i] Voir Séfer Hamitsvot. Commandement positif n°20.

     

  • Michpatim- projet Ramban

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Parachat Michpatim :

    Comment le Ramban nous dévoile la force cachée des faibles et la faiblesse des forts 

     

    La parachat Michpatim fournit essentiellement, comme l’indique son nom, une liste non négligeable de loi et ce, juste après le récit du don de la Torah au mont Sinaï, lu la semaine dernière dans la section de Yitro.

    Parmi les lois énoncées, l’une concerne l’interdit d’oppresser l’étranger vivant parmi nous.

    Ainsi la Torah écrit dans le chapitre 22, verset 21 :

    וְגֵר לֹא-תוֹנֶה וְלֹא תִלְחָצֶנּוּ: כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם

    Tu n’oppresseras pas l’étranger, et tu ne feras point pression sur lui ; car étrangers vous étiez en terre d’Egypte

     

    Puis la Torah précise dans un autre verset plus loin  (23) :

    אִם-עַנֵּה תְעַנֶּה אֹתוֹ--כִּי אִם-צָעֹק יִצְעַק אֵלַי שָׁמֹעַ אֶשְׁמַע צַעֲקָתוֹ

    Et si affliger, tu l’affligeras, alors si crier il criera vers moi, et écouter j’écouterai sa plainte

     

    Ce dernier verset semble intriguant ; en effet que vient-il ajouter à l’injonction de ne pas oppresser l’étranger ? En quoi cela nous intéresse-t-il  de savoir si l’Eternel écoute ou non les prières de l’étranger ?

    Rachi semble soulever cette difficulté dans son commentaire :

    Le texte s’exprime de manière elliptique : il profère une menace sans spécifier la punition encourue par celui qui passera outre comme dans : « c’est pourquoi quiconque tuera Caïn sera puni au septuple ! » (Béréchit4,15) où il menace sans spécifier la punition. De même ici « si affliger, tu l’affligeras » est une simple menace ; tu finiras par recevoir ce qui te revient. Pourquoi. « car si crier il criera vers moi »

    Rachi analyse ce verset comme un texte elliptique, en d’autres termes ces paroles expriment avant tout une menace envers celui qui transgresserait l’injonction de l’Eternel ; cependant l’Ecrit oublie de nous préciser la nature du châtiment du fauteur tout en soulignant que la punition viendra en réponse aux prières de l’Etranger.

     

    Cependant le Ramban va s’opposer farouchement à cette explication de Rachi et nous proposer une lecture différente du texte !

    En effet, le Ramban refuse l’idée qu’il faille comprendre comme Rachi le mot אם qui signifie en hébreu      «  si » (le conditionnel) dans son sens littéral ; ce terme serait dans le contexte du verset selon le Ramban l’équivalent d’un רק c'est-à-dire « seulement » une condition sine qua non et exclusive au châtiment divin qui n’a besoin d’être énoncé par ailleurs !

    Nous pourrions expliquer les deux avis de ces deux grands maîtres de la manière suivante :

     

    - Selon Rachi la Torah vient exprimer avant tout dans ce verset une menace (non explicitée) et ce en réponse aux prières de l’Etranger.

     

    • Selon le Ramban la Torah vient dévoiler un mécanisme, une approche dans la compréhension de la providence divine à savoir que les intentions de l’oppresseur seront celles qui le conduiront à sa perte ! en effet, il nous faut lire le texte de la manière suivante selon Nahmanide :

     

    - « si affliger tu affligeras » pourquoi affliger l’étranger ? Car tu penses en ton fort intérieur qu’il n’a point d’appuis puissants dans la société, point de connaissance parmi les gens influant et hauts placés qui pourront le protéger

     - « alors seulement et seulement si crier il criera vers moi » mais toi tu n’as point penser que dans sa faiblesse et son isolement, il pourrait justement s’appuyer et implorer véritablement l’unique aide et  protection pouvant venir à son secours à savoir celle de l’Eternel et « ce seulement s’il la réclame » *

    - « alors écouter j’écouterai sa plainte ».. Car finalement ce qui te semblait être sa faiblesse se révèlera être sa force principale et redoutable ! Quant aux forts, lorsqu’ils seront à leur tour inquiétés, ils préfèreront se tourner vers leurs connaissances et conseillers plutôt que de se tourner vers le créateur !

     

    Le Ramban révèle que ce principe se retrouve à plusieurs endroits dans les écrits comme dans le livre des Proverbes (chap22, verset 22-23) :

    אַל-תִּגְזָל-דָּל כִּי דַל-הוּא וְאַל-תְּדַכֵּא עָנִי בַשָּׁעַר כִּי-יְהוָה, יָרִיב רִיבָם;

     « Ne profite pas du faible car il est faible; et n’écrase pas le pauvre au tribunal, car l’Eternel plaidera sa cause »

    Nous remarquons une nouvelle fois que le faible, le démuni n’ont justement que l’Eternel pour protecteur, et c’est cela précisément qui devrait nous inspirer la crainte, bien plus que le châtiment divin (non dévoilé là encore..)

     

    En conclusion le Ramban nous révèle ici en travaillant le texte un secret formidable et fondamental dans notre compréhension de la Torah et de la vie en général :

     

    Nous connaissons tous l’adage « Forts avec les faibles et faibles avec les forts » - l’homme à l’instar d’un prédateur, pourrait lui aussi chercher les proies faibles de la société pour pouvoir les oppresser et les exploiter sans être inquiété par d’éventuelles représailles !

    La Torah inverse ce regard sur la société pour nous dévoiler que de la faiblesse présumée de ses victimes peut naître une force insoupçonnée et redoutable : la Téfilah, la prière qui prononcée depuis les abîmes de l’âme peut agir dans le ciel  avec force !

     

    Shmouel Choucroun

             

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כב פסוק כב


    (כב) אם ענה תענה אותו - הרי זה מקרא קצר, גיזם ולא פירש ענשו, כמו לכן כל הורג קין (בראשית ד טו), ולא פירש העונש. אף כאן, אם ענה תענה אותו, לשון גיזום, סופך ליטול את שלך, למה, כי יצעק אלי אשמענו ואנקמנו. לשון רש"י. ואיננו נכון, וגם העד שהביא לא העיד כן, אבל יתכן שיהיה "כי" במקום הזה כמו "אם", שהוא אחד משמושין שלו, יאמר, אם יצעק אלי שמוע אשמע צעקתו, והכפל לנחוץ הענין וחזוקו, כדרך המבלי אין קברים (לעיל יד יא), הרק אך במשה (במדבר יב ב):
    והנכון בעיני כי יאמר אם ענה תענה אותו רק צעוק יצעק אלי בלבד מיד אשמע צעקתו, איננו צריך לדבר אחר כלל, כי אני אושיענו ואנקום אותו ממך. והטעם, כי אתה לוחץ אותו מפני שאין לו מושיע מידך, והנה הוא נעזר יותר מכל אדם, כי שאר האנשים יטרחו אחרי מושיעים שיושיעום ואחרי עוזרים לנקום נקמתם, ואולי לא יועילו והצל לא יצילו, וזה בצעקתו בלבד נושע בה' וינקם ממך, כי נוקם ה' ובעל חמה (נחום א ב):
    ויבא כענין הזה בכתובים רבים, כגון מה שאמר (משלי כב כב - כג) אל תגזל דל כי דל הוא ואל תדכא עני בשער כי ה' יריב ריבם, יאמר אל תגזול דל בעבור שהוא דל ואין לו עוזרים ואל תדכא העני אשר בשעריך כי ה' יריב בעבורם, וכן אמר (שם כג י - יא) ובשדה יתומים אל תבוא כי גואלם חזק ה' צבאות שמו, שיש להם גואל חזק וקרוב יותר מכל אדם. אף כאן אמר כי בצעקתו בלבד יושע. וכמוהו כי כאשר ירד הגשם והשלג מן השמים ושמה לא ישוב כי אם הרוה את הארץ והולידה והצמיחה ונתן זרע לזורע ולחם לאוכל כן יהיה דברי אשר יצא מפי לא ישוב אלי ריקם כי אם עשה את אשר חפצתי (ישעיה נה י יא), בשניהם יאמר שלא יעשו דבר אחר, כי אם שירוה את הארץ מיד, וכן כי אם שיעשה מה שחפצתי, והנה הוא כטעם אלא, וכן כי אם אל ארצי ואל מולדתי אלך (במדבר י ל): 

       

  • The day after tomorrow

       PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    The day after tomorrow (Paracha Yitro)

     

    Le jeune peuple d’Israël, tout juste sorti d’Egypte a reçu un la visite d’un singulier personnage : Yitro, présenté comme étant le prêtre de Midian et beau père de Moshé et qui aurait décidé de voir ce peuple dont les prodiges accomplis par Dieu en font tant parler.

    Par la suite, la Torah nous ramène le précieux conseil dont Yitro va gratifier son gendre, celui de placer des juges selon leur degré de compétence afin de décharger Moshé des questions dont le peuple lui fait part constamment.

    Le Ramban* sur place pose la question du moment de ce prodigieux conseil, était-ce avant ou bien après le don de la Torah ?

    Cette question est amplifiée plus loin : « Ce fut, le lendemain », le lendemain d’un jour durant lequel Moshé s’assit et jugea le peuple (Chemot 18,13), sans aucune autre précision sur l’évènement en question de la veille.

    Rachi explique qu’il s’agit du lendemain de Yom Kippour. En effet, au verset 16 il va déclarer à Yitro qu’il fait savoir au peuple les lois de Dieu et ses enseignements et de plus, il était matériellement impossible qu’il s’affaire à juger le peuple vu qu’il était descendu le 17 tamouz et a brisé les premières Tables, puis est remonté dès le lendemain tôt durant 80 jours et ce, jusqu’au 10 Tichri, le jour de Yom Kippour. Peu importe si le Don des 10 commandements nous est narré par la suite dans notre Sidra, la Torah se faisant fi de l’ordre chronologique des évènements (אין מוקדם ומאוחר בתורה).

    Ramban ramène la même source Midrachique que Rachi, pointant également que ce jour saint ne peut être précisé clairement, étant donné que la Torah n’a pas encore introduit ce jour.

    Toutefois, il émet une hypothèse différente de celle de Rachi : Il ne peut pas s’agir stricto sensu du lendemain de Kippour, du 11 Tichri. En effet, le 10 Tichri suivant la sortie d’Egypte, ils n’avaient pas encore reçu le commandement et les lois régissant ce jour puisque Moshé est redescendu ce jour ci. Et en supposant que ce fut le cas, le verset précédent nous indique qu’ils ont mangé du pain la veille.

    En outre, le verset (Chemot 34,32) nous indique que le lendemain de sa redescente Moshé s’est adressé au peuple et lui a « ordonné tout ce dont Dieu lui avait dit sur le Mont Sinaï ». Il n’a donc pas pu s’assoir et juger le peuple debout devant lui du matin au soir.

    Enfin, il n’est également pas possible que le texte parle du lendemain de Kippour de l’année suivante car Yitro est reparti « dans son pays vers son lieu natal » lors du voyage des drapeaux des camps et c fut le 20 Iyar (Bamidbar 10,30).

    De ce fait, la date indiquée, à savoir le lendemain de Kippour, n’est qu’un moyen de nous apprendre que ces évènements se sont déroulés par la suite, et non précédemment, car entre le moment où les Enfants d’Israël est arrivé au Mont Sinaï et jusqu’au Yom Kippour de la première année, ils furent tellement occupés qu’ils n’ont pas eu ne serait ce qu’un seul jour vacant pour s’occuper de leurs jugements.

    Pour conclure, la différence d’appréciation entre Ramban et Rachi dans l’interprétation à la lettre de notre Baraytha. Comme tout matériel Midrachique, n’est pas forcément à prendre au pied de la lettre, mais peut parfois l’être par les commentateurs. En voici un exemple concret.

     

    Elie DAYAN

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

    כבר נחלקו רבותינו (מכילתא דרבי ישמעאל שמות י״ח:א׳, בבלי זבחים קט״ז.) בפרשה הזאת. יש מהם אומרים כי קודם מתן תורה בא יתרו כסדר הפרשיות, ויש מהן שאמרו שאחר מתן תורה בא.

    ויהי ממחרת – ממחרת היום שעשו זה שנזכר, ישב משה לשפוט את העם. ואמרו במכילתא: ממחרת יום הכפורים (מכילתא דרבי ישמעאל שמות י״ח:י״ג). ואין דעתם לומר שיהיה ממחרת רמז ליום הכפורים, כי יום הכפורים לא נזכר בכתוב שיאמר עליו ממחרת. וגם כן אין הכונה שיהיה ממחרתו ממש, כי לא אכלו ביום הכפורים, אם היה להם יום הכפורים בשנה ראשונה קודם שנצטוו בו. ועוד, כי בו ביום הכפורים נתנו לוחות אחרונות וממחרתו ירד משה ודבר עם בני ישראל ויצום את כל אשר דבר השם אתו בהר סיני (שמות ל״ד:ל״ב), ואיננו יום המשפט שיעמוד העם עליו מן הבקר עד ערב. וגם כן אי אפשר שיהיה בשנה שניה ביום הכפורים, כי בנסוע הדגלים אמר: כי אם אל ארצי ואל מולדתי אלך (במדבר י׳:ל׳). אבל הכוונה לברייתא הזו לומר שהיה זה אחר יום הכפורים, כי אין להם יום פנוי למשפט מיום בואם להר סיני עד אחר יום הכפורים של שנה ראשונה הזאת.

     

  • Bechalah : un territoire trop proche

    • Le 15/01/2019

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Bechala’h : un territoire trop proche

     

    150 ans séparent les commentaires de Rachi et de Ramban. Ils ne vivent ni au même endroit, ni dans le même contexte.

    Ils ont chacun leur style de commentaire, ceux de Rachi sont plus courts et concis que ceux de Ramban.

    Et pourtant Ramban se réfère très souvent à Rachi (plus de 150 fois), comme s’il écrivait un commentaire sur le commentaire de Rachi (cf son introduction déjà citée dans billet sur Chemot).  

     

    Le 1e verset de notre Paracha illustre parfaitement cette situation :

    וַיְהִ֗י בְּשַׁלַּ֣ח פַּרְעֹה֮ אֶת־הָעָם֒ וְלֹא־נָחָ֣ם אֱלֹהִ֗ים דֶּ֚רֶךְ אֶ֣רֶץ פְּלִשְׁתִּ֔ים כִּ֥י קָר֖וֹב ה֑וּא כִּ֣י ׀ אָמַ֣ר אֱלֹהִ֗ים פֶּֽן־יִנָּחֵ֥ם הָעָ֛ם בִּרְאֹתָ֥ם מִלְחָמָ֖ה וְשָׁ֥בוּ מִצְרָֽיְמָה׃

    Or lorsque Pharaon eut laissé partir le peuple, Dieu ne les dirigea point par le pays des Philistins, qui est proche parce que Dieu disait : « Le peuple pourrait se raviser à la vue de la guerre et retourner en Egypte ». (Chemot 13, 17).

     

    Avant de donner son commentaire, Ramban cite d’abord ceux de Rachi et d’Ibn Ezra[1].

    Il nous faut donc d’abord regarder ceux de Rachi et d’Ibn Ezra.

     

    Pour Rachi, le territoire que les enfants d’Israël devaient naturellement traverser étaient trop près de l’Egypte. A tel point qu’à la moindre difficulté rencontrée (et en particulier une guerre), ils rebrousseraient chemin. Car rebrousser chemin est plus facile quand la route à parcourir est courte.

    Quelle guerre pourraient-ils rencontrer ? Pour Rachi, celle menée par Amalek[2].

    Ibn Ezra reprend les mêmes arguments[3].

    L’op

    position de Ramban est d’abord syntaxique. Si la raison de ne pas emprunter le chemin par le territoire philistin est qu’il est trop proche de l’Egypte, il aurait fallu inverser l’ordre des propositions :

    « D’après moi, si leur explication était juste, l’expression « car Dieu dit » aurait été mentionnée en premier dans le verset, auquel cas le verset serait formulé ainsi : « et Dieu ne les mena pas par la Terre des Philistins car Dieu dit : parce qu’il est proche, de peur que le peuple ne change d’avis »[4].

    Mais, puisque « trop près » est placé avant ce que Dieu dit, cela ne peut être la cause de la décision (et le mot ִ כִּ֣י ne peut être traduit par « car »).

    Le deuxième argument concerne le risque de rencontrer une guerre. Selon Rachi, il s’agit de la guerre menée par Amalek. Or, dit Ramban, la guerre menée par Amalek n’est pas liée au territoire traversé puisqu’Amalek s’est porté au-devant des enfants d’Israël[5].

    Donc, le risque de guerre est lié au territoire traversé. Ce qui fait dire à Ramban que ce sont les Philistins eux-mêmes qui ne laisseraient pas les enfants d’Israël traverser en paix.

    « Et le sens de « voir la guerre » est qu’ils auraient dû passer par la Terre des Philistins et que ces derniers ne leur auraient pas permis de traverser leur territoire en paix ; ils allaient en conséquence retourner en Egypte. D’un autre côté, en empruntant le chemin du désert, ils ne rencontreraient pas la guerre avant d’avoir atteint leur propre pays, le pays de Si’hon et Og, les rois d’Emor, qui leur sera accordé et à ce moment-là, ils seront éloignés de l’Egypte [avec peu de chance d’y retourner] »[6].

     

    En résumé, Rachi et Ramban s’accordent sur le fait que le territoire initial à traverser est proche de l’Egypte, que les enfants d’Israël risquent de rencontrer la guerre et qu’ils risquent donc de faire marche arrière.

    Pour Rachi, l’accent est mis sur le fait que le territoire est trop proche de l’Egypte et que donc le risque de faire marche arrière est trop grand, car très facile.

    Pour Ramban, l’accent est mis sur le fait que la probabilité de rencontrer la guerre est trop forte, ce qui accentue le risque de rebrousser chemin (d’autant plus facile que le territoire est proche de l’Egypte).

     

    Au final, cela change peu de choses. La conséquence est que les enfants d’Israël ont pris le chemin le plus long évitant ainsi la guerre (au moins au début).

    Ce qui fait conclure le Dr. Bonchek de la manière suivante :

    « Nous voyons à partir de cet exemple que le Ramban sentit la nécessité de réfuter Rachi lorsqu’il pensa que son interprétation du verset n’était pas juste, même s’il se peut qu’il n’y ait pas de différence pratique ou significative entre les deux interprétations. Connaître le sens précis des termes de la torah est une raison suffisante pour clarifier le p’chat »[7].

     

    Noémie LEBEN

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes 

     


    [1] כי קרוב הוא – ונח לשוב באותו הדרך למצרים. ומדרשי אגדה יש הרבה. לשון רש״י.

    וגם הוא דעת ר״א, כי טעם ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים בעבור כי קרוב הוא וינחמו וישובו אל מצרים מיד.

     

    [2] כי קרוב הוא – ונוח לשוב באותו הדרך למצרים. ומדרשי אגדה הרבה יש.

    בראותם – מלחמת וירד העמלקי והכנעני וגו׳ (במדבר י״ד:מ״ה), אם הלכו דרך ישר היו חוזרין. אם כשהקיפו דרך מעוקם, אמרו: נתנה ראש ונשובה מצרימה (במדבר י״ד:ד׳), אם הוליכן בפשוטה, על אחת כמה וכמה.

    פן ינחם – יחשבו מחשבה על שיצאו ויתנו לב לשוב.

     

    [3] וטעם כי קרוב הוא – כי בין ארץ מצרים על הדרך הישרה ובין ארץ כנען עשרה ימים. והנה לא ראו מלחמה, והיו עבדים תחת יד אחרים, והנה כאשר יצא פרעה אחריהם, אין בהם מרים יד. גם עמלק יצא על ישראל במתי מעט, וזינב אחריו, והיה נחלש מפניו לולי משה בחירו.

     

    [4] ועל דעתי: אם היה כדבריהם, היה כי אמר אלהים מוקדם, ויאמר הכתוב: ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים כי אמר אלהים כי קרוב הוא פן ינחם העם.

     

    [5] ולשון רש״י: בראותם מלחמה – כגון מלחמת הכנעני והעמלקי. אם הלכו בדרך ישרה היו חוזרין, מה אם כשהקיפם דרך מעוקם אמרו: נתנה ראש ונשובה מצרימה (במדבר י״ד:ד׳), אם הוליכן בפשוטה על אחת כמה וכמה. מכילתא.

    והענין הזה שאמר ולא נחם אלהים, ויסב אלהים את העם דרך המדבר – כי בנסעם מסכות החל עמוד הענן ללכת לפניהם ולא הלך דרך ארץ פלשתים, אבל הלך דרך מדבר איתם וישראל הלכו אחריו, וישכון הענן באיתם ויחנו שם והוא בקצה המדבר.

     

    [6] אבל הנכון שיאמר ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים – אשר הוא קרוב וטוב לנחותם בדרך ההוא, כי אמר אלהים פן ינחם העם בראותם מלחמה ושבו מצרימה. וטעם המלחמה, שיהיה להם לעבור דרך ארץ פלשתים, ופלשתים לא יתנום לעבור בשלום וישובו למצרים. אבל בדרך המדבר לא יראו מלחמה עד היותם בארצם, בארץ סיחון ועוג מלכי האמורי שהיא נתונה להם ורחוקים הם ממצרים בעת ההיא. ומלחמת עמלק ברפידים לא היתה ראויה לשוב בעבורה, כי הם לא יעברו עליהם, והוא שבא מארצו ונלחם בהם לשנאתו אותם, ואם יתנו ראש לשוב למצרים לא יועיל כי ילחם בהם בדרך, וגם רחוקים היו ממצרים בדרך העקום אשר הלכו בה ולא ידעו דרך אחרת.

     

    [7] “Ce qui dérange Rachi - Chemot” Dr. Avigdor Bonchek, P. 137

  • De la nature des miracles chez Na'hmanide

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

           Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

    De la nature des miracles – ou les miracles du naturel

    Ramba”n sur la Parashat Bo

     

    La parashat bo se finit sur un des passages peut-être les plus connus[1] de Nachmanide.

     

    Au détour d’un commentaire sur les tefilin, Nachmanide s’étend sur une considération générale quant à raison d’être des différentes mitsvot. Son exposé pourrait se résumer à :

     

    • Considération sur les deux formes principales d’hérésie qui se perpétuent dans l’humanité : olam-kadmon, éternité du monde – refus de l’idée de création divine et, négation de la providence – foi en un monde laissé à lui-même sans intervention divine.
    • Face à ces deux formes d’hérésie, les miracles prennent une place de première importance : ils prouvent l’existence d’un Dieu créateur qui dépasse les lois naturelles, et prouvent l’intervention – et donc la providence- divine au-delà du moment T de la création[2]
    • Si les miracles sont perpétrés ou annoncés par un prophète, ils revêtent une importance supplémentaire, prouvant l’existence de la prophétie[3]
    • Les mitsvot perpétuent la conscience et la mémoire des miracles passés ; et ainsi, nous permettent de nous conforter dans les croyances précédemment citées.

     

    Ce premier exposé mériterait un développement en soi, mais nous nous concentrerons sur la dernière partie du commentaire.

    Dans sa dernière partie, Nahmanide effectue un glissement supplémentaire : si les miracles sont primordiaux, nous faisant prendre conscience de l’existence d’un Dieu créateur et de la Providence, ils nous permettent de plus, de prendre conscience de l’omniprésence des miracles dans notre quotidien :  - Le langage employé est extrême, et en fait une des citations les plus connues :

    « Et les miracles connus permettent à l’homme de prendre conscience des miracles cachés ; cette conscience est un des piliers de la foi au point où l’on peut dire qu’une personne n’ayant pas foi que notre vie entière n’est que miracle, loin d’une causalité naturelle ne peut être considérée comme appartenant à l’alliance de Moïse »

     

    L’affirmation de Nahmanide est ici extrême. Ainsi, tout n’est que miracle, et les évènements naturels ne sont qu’illusion car tous dirigés par Dieu.

    Cette affirmation est reprise dans d’autres écrits comme la Drasha Torat Hashem Temima[4].

               

    Ce court passage pose bien évidemment le problème de nature vs. miracle. Voyons succinctement les principales opinions sur ce sujet[5].

    L’opinion d’Aristote, telle que citée par Maimonide, refuse la possibilité des miracles. On pourrait par exemple citer :

    « Aristote pretend que cet univers entier, tel qu’il est a toujours été et sera toujours ainsi ; que la chose stable n’est point sujette à la naissance et à la corruption, c’est-à-dire que le ciel ne cesse jamais d’être tel qu’il est ; que le temps et les mouvements sont éternels et permanents »[6]

     

    A l’extrême opposé de cette opinion, se trouve celle des Metoukalamin– elle aussi repoussée par Maimonide. Pour ces derniers, il ne saurait exister de lois naturelles et tout n’est que volonté divine :

    « … Selon cette opinion, ils ont été obligés d’admettre que tout mouvement et repos des animaux est prédestiné, et que l’homme n’a absolument aucun pouvoir de faire ou de ne pas faire une chose … »[7]

     

    Où se trouve l’opinion de Nahmanide entre ces deux opinions ? Il semble que ni dans l’une ni dans l’autre. Si Maimonide repousse l’opinion d’Aristote, c’est qu’elle ne pas de place à la Providence, et si il repousse celle des Metoukalamin, c’est qu’elle ne laisse pas de place au libre-arbitre. Ces deux « écueils » ne se retrouvent pas dans l’opinion de Nahmanide.

     

    Qu’en est-il de Maimonide lui-même ? Notons tout d’abord que Nahmanide s’y oppose nommément. Ainsi, dans Drashat Torat Hashem Temima, on peut lire :

    « On ne pourra que s’étonner de l’opinion de Maimonide qui réduit à leur strict minimum les miracles et fait prévaloir la nature. »

    En effet, en plusieurs endroits, on peut voir que Maimonide cherche au maximum à prévaloir le maintien des lois naturelles, cherchant dès qu’il en possible à donner une explication naturelle aux faits relatés. Cette démarche est par exemple, explicitement écrite dans l’epitre sur la résurrection : « Tant que nous pouvons expliquer un fait sans avoir recours au miracle, nous le ferons » [8].

     

    Mais recentrons le sujet. Si le Rambam réduit au maximum les miracles, il ne parle que de ceux qui transcendent les lois de la nature. De plus, à aucun moment, il ne nie la possibilité de miracles. Mieux encore, il en fait lui aussi un fondement de la foi[9].

     

    Le sujet qui nous préoccupe et à partir duquel nous avons commencé est celui des « miracles cachés », ceux qui ne rompent pas les lois de la nature -ceux-là même que Nahmanide voit « partout ». S’il n’y a pas de rupture réelle avec le cheminement naturel, Maimonide s’opposerait il aussi ? Nachmanide met en avant une Providence a l’extrême, et Maimonide combat les opposants à l’idée de Providence. Qu’en est-il ? Où est le point de divergence -s’il y en a un, entre les deux grands maîtres ?

    Divergence, il semble clairement qu’il y en ait :

    • Nachmanide prend une position encore plus extrême dans un autre texte[10] : si la nature est, en quelque sorte, un leurre, alors les maladies ne sont jamais que le fruit des fautes de l’homme. Dès lors, selon ce maitre, il ne fait pas moins sens face à une maladie de se repentir et s’en remettre à Dieu que de consulter un médecin[11].
      Cette opinion semble difficilement acceptable selon Maimonide.
    • Limiter la nature à une succession infinie d’interventions divines en fonction des actions des hommes – comme le fait Nahmanide- revient à prôner une extrême Providence envers tous les hommes. Or, Maimonide réduit cette extrême Providence a une élite, laissant d’ailleurs le reste de l’humanité aux proies des … lois naturelles.

     

    Si l’opinion de Nahmanide semblait difficile acceptable de prime abord, elle apparait après réflexion comme étant plus simple : la nature ne fait que masquer une Providence extrême et systématique. Les miracles tout comme la nature ne sont que l’expression constante du jugement de Dieu.

    Maimonide, par contre, décrit un schéma plus complexe – schéma dans lequel la nature et le maintien de sa régularité sont primordiaux mais qui peuvent être perturbés par des miracles. Schéma dans lequel la Providence peut s’exprimer à travers des miracles comme à travers la nature, mais une Providence qui laisse parfois les hommes aux proies de la loi naturelle.

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק יג
    ועתה אומר לך כלל בטעם מצות רבות. הנה מעת היות ע"ג בעולם מימי אנוש החלו הדעות להשתבש באמונה, מהם כופרים בעיקר ואומרים כי העולם קדמון, כחשו בה' ויאמרו לא הוא, ומהם מכחישים בידיעתו הפרטית ואמרו איכה ידע אל ויש דעה בעליון (תהלים עג יא), ומהם שיודו בידיעה ומכחישים בהשגחה ויעשו אדם כדגי הים שלא ישגיח האל בהם ואין עמהם עונש או שכר, יאמרו עזב ה' את הארץ. וכאשר ירצה האלהים בעדה או ביחיד ויעשה עמהם מופת בשנוי מנהגו של עולם וטבעו, יתברר לכל בטול הדעות האלה כלם, כי המופת הנפלא מורה שיש לעולם אלוה מחדשו, ויודע ומשגיח ויכול. וכאשר יהיה המופת ההוא נגזר תחלה מפי נביא יתברר ממנו עוד אמתת הנבואה, כי ידבר האלהים את האדם ויגלה סודו אל עבדיו הנביאים, ותתקיים עם זה התורה כלה:
    ולכן יאמר הכתוב במופתים למען תדע כי אני ה' בקרב הארץ (לעיל ח יח), להורות על ההשגחה, כי לא עזב אותה למקרים כדעתם. ואמר (שם ט כט) למען תדע כי לה' הארץ, להורות על החידוש, כי הם שלו שבראם מאין ואמר (שם ט יד) בעבור תדע כי אין כמוני בכל הארץ. להורות על היכולת, שהוא שליט בכל, אין מעכב בידו, כי בכל זה היו המצריים מכחישים או מסתפקים. אם כן האותות והמופתים הגדולים עדים נאמנים באמונת הבורא ובתורה כלה:
    ובעבור כי הקדוש ברוך הוא לא יעשה אות ומופת בכל דור לעיני כל רשע או כופר, יצוה אותנו שנעשה תמיד זכרון ואות לאשר ראו עינינו, ונעתיק הדבר אל בנינו, ובניהם לבניהם, ובניהם לדור אחרון. והחמיר מאד בענין הזה כמו שחייב כרת באכילת חמץ (לעיל יב טו) ובעזיבת הפסח (במדבר ט יג), והצריך שנכתוב כל מה שנראה אלינו באותות ובמופתים על ידינו ועל בין עינינו, ולכתוב אותו עוד על פתחי הבתים במזוזות, ושנזכיר זה בפינו בבקר ובערב, כמו שאמרו (ברכות כא א) אמת ויציב דאורייתא, ממה שכתוב (דברים טז ג) למען תזכור את יום צאתך מארץ מצרים כל ימי חייך, ושנעשה סכה בכל שנה:
    וכן כל כיוצא בהן מצות רבות זכר ליציאת מצרים. והכל להיות לנו בכל הדורות עדות במופתים שלא ישתכחו, ולא יהיה פתחון פה לכופר להכחיש אמונת האלהים. כי הקונה מזוזה בזוז אחד וקבעה בפתחו ונתכוון בענינה כבר הודה בחדוש העולם ובידיעת הבורא והשגחתו, וגם בנבואה, והאמין בכל פנות התורה, מלבד שהודה שחסד הבורא גדול מאד על עושי רצונו, שהוציאנו מאותו עבדות לחירות וכבוד גדול לזכות אבותיהם החפצים ביראת שמו:
    ולפיכך אמרו (אבות פ"ב מ"א) הוי זהיר במצוה קלה כבחמורה שכולן חמודות וחביבות מאד, שבכל שעה אדם מודה בהן לאלהיו, וכוונת כל המצות שנאמין באלהינו ונודה אליו שהוא בראנו, והיא כוונת היצירה, שאין לנו טעם אחר ביצירה הראשונה, ואין אל עליון חפץ בתחתונים מלבד שידע האדם ויודה לאלהיו שבראו, וכוונת רוממות הקול בתפלות וכוונת בתי הכנסיות וזכות תפלת הרבים, זהו שיהיה לבני אדם מקום יתקבצו ויודו לאל שבראם והמציאם ויפרסמו זה ויאמרו לפניו בריותיך אנחנו, וזו כוונתם במה שאמרו ז"ל (ירושלמי תענית פ"ב ה"א) ויקראו אל אלהים בחזקה (יונה ג ח), מכאן אתה למד שתפלה צריכה קול, חציפא נצח לבישה (עי' ערוך ערך חצף):
    ומן הנסים הגדולים המפורסמים אדם מודה בנסים הנסתרים שהם יסוד התורה כלה, שאין לאדם חלק בתורת משה רבינו עד שנאמין בכל דברינו ומקרינו שכלם נסים אין בהם טבע ומנהגו של עולם, בין ברבים בין ביחיד, אלא אם יעשה המצות יצליחנו שכרו, ואם יעבור עליהם יכריתנו ענשו, הכל בגזרת עליון כאשר הזכרתי כבר (בראשית יז א, ולעיל ו ב). ויתפרסמו הנסים הנסתרים בענין הרבים כאשר יבא ביעודי התורה בענין הברכות והקללות, כמו שאמר הכתוב (דברים כט כג כד) ואמרו כל הגוים על מה עשה ה' ככה לארץ הזאת, ואמרו על אשר עזבו את ברית ה' אלהי אבותם, שיתפרסם הדבר לכל האומות שהוא מאת ה' בעונשם. ואמר בקיום וראו כל עמי הארץ כי שם ה' נקרא עליך ויראו ממך. ועוד אפרש זה בעזרת השם (ויקרא כו יא):
     


    [1] Au point d’etre devenu un chant h’assidique… https://www.youtube.com/watch?v=Gu3fF7ROUyU

    [2] Nous noterons que Maimonide ne fait pas des miracles une preuve que le monde est créé mais prend -étonnamment ! – le raisonnement àl’envers : si le monde n’était pas créé, les miracles seraient dès lors impossibles (voir Guide des Egares II,25)

    [3] Nous noterons ici aussi les nuances avec la pensee de Maimonide dans Ilh’ot Yessodey Hatora VIII,1

    [4] Kitvey Haramban I, pages 150 et suivantes

    [5] Les differentes opinions ont ete tres clairement resumees dans l’article d’Alex Klein http://www.daat.ac.il/he-il/mahshevet-israel/dat-umada/ness.htm

    [6] Guide des Egares, II, 13

    [7] Guide des Egares, III, 17

    [8] Page 361 dans l’edition du Rav Shilat

    [9] Voir note 1

    [10] Commentaire sur Vayikra, XXVI,11

    [11] Cet avis est d’ailleurs, repris par le H’azon Ish dans Emouna-Ou-Bitah’on V,5

  • Le danger du Hamets

    Paracha BO

     

    par David SCETBON 

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    LES DANGERS DU HAMETZ

    Ces quelques lignes se veulent juste une présentation d’un texte qui nous a marqué. La Torah nous dit « car par une main forte Hachem vous a sortis et il ne sera pas mangé de hametz. A lire ce verset on perçoit bien que la Torah pose un lien de causalité entre les deux membres de la phrase. Autrement dit, l’interdiction de hametz est une résultante directe du geste divin. En quoi ?

    Rabenou Behayé répond ainsi : « la Torah vient nous apprendre que le hametz fait allusion à l’[attribut  divin de] rigueur et du fait que les enfants d’Israël ont perçu la Grande main qui est l’attribut de rigueur, c’est la raison pour laquelle Il leur a interdit et a éloigné d’eux le hametz, pour leur faire allusion au fait qu’il doivent s’éloigner de croire en le seul attribut de rigueur pour qu’il ne coupent pas les plantations et ne croient que l’attribut de rigueur seul a fait [tout] cela […] C’est ce qu’il y a écrit dans la création du monde : « Au commencement, Elokim [attribut de rigueur] créa, et ensuite « au jour où l’Eternel  [Tétragramme, attribut de miséricorde] Elokim fit […] »

    C’est la raison pour laquelle la Torah nous dit « car par une main forte Hachem vous a sortis et il ne sera pas mangé de hametz » car c’est l’attribut de miséricorde qui les a sortis, et non la seule main [l’attribut de rigueur]. Et telle est la raison de l’interdiction du hametz selon la voie kabbalistique, et c’est la raison pour laquelle la Torah a sanctionné celui qui consomme du hametz à Pessah, par la peine de retranchement, mesure pour mesure, car quiconque mange du hametz à Pessah coupe les plantations et il est donc retranché ».

    Deux points nécessitent d’être précisés. Tout d’abord, l’expression « couper les plantations » : il s’agit là de la manière du Talmud pour exprimer une hérésie. Rabenou Behayé place donc l’enjeu de cet interdit à un niveau fondamental, consommer le hametz à Pessah c’est se méprendre sur D.ieu lui-même, sur son rapport au monde. Cela explique d’après lui, que la sanction en soit le retranchement.

    Le second point est l’assimilation opérée entre hametz et attribut de rigueur. Si Rabenou behayé n’en dit pas plus, ce point est précisé par le Nahmanide dans son commentaire sur Vayikra 23/17. Le hametz est un processus de dégradation, de dévoiement d’un équilibre. Nahmanide souligne que le terme hametz présente une racine commune avec le vocable de la colère.

     Ces textes parlent d’eux-mêmes et ne nécessitent pas vraiment de commentaires. Contentons-nous juste de quelques explicitations. Il faut d’abord les prendre avec une certaine prudence, du fait des allusions kabbalistiques auxquelles ils font référence, et qui ne sont tout simplement pas à notre portée.

    Ce qui nous est dit ici, c’est que le déchainement des plaies, qui donne lieu à la libération du Peuple d’Israël ne va pas sans une certaine fascination. Or cette fascination est source d’erreur, pousse à ne plus voir tout cela que comme un déchainement brutal de la puissance divine. Cette erreur est tellement grave qu’elle est qualifiée par l’auteur d’hérésie (c’est le sens de l’expression consacrée « couper les plantations »), ne plus pouvoir voir que l’expression de la rigueur. Or comme on le sait, la finalité de la sortie d’Egypte réside dans la manifestation la plus haute de la gloire divine, qui commencera à la traversée de la Mer rouge, pour se finir au Sinaï.

    C’est pour éviter ce dangereux écueil que la Torah nous enjoint de cesser la consommation de hametz, ne pas ingérer, se pénétrer, s’alimenter, pas même posséder ce qui est le symbole de cet attribut de rigueur. Rompre avec cette fascination. Sans cela, on est habité par une erreur qui nous rend indisponible à l’objectif même de cette sortie.