La cuisine sacrificielle de Jacob

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma

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La cuisine sacrificielle de Jacob

 

« Jacob égorgea des animaux sur la montagne et invita ses frères pour manger du pain. Ils mangèrent du pain et dormirent sur la montagne. » (Béréchit 31.54)

Après la confrontation l’opposant à Laban, à propos des idoles que Rachel (fille de ce dernier)  lui avaient volées, Jacob conclut une alliance avec son beau-père, puis comme il est de coutume dans ce genre de circonstances, invite selon l’expression du verset, « ses frères » à un festin. Rachi précise qu’il ne s’agit pas des frères au sens littéral, mais des amis de Laban qui l’accompagnait.

On nous raconte donc que Jacob égorge des animaux, puis qu’il invite ses convives à manger du pain. Étonnamment, on dirait que ce n’est pas ce qu’il a préparé (les animaux) qu’il leur offre comme couvert, mais du pain. Rachi expliquera que toute nourriture est appelée pain. Le Méchekh’ H’okh’ma prendra une autre voie. Ce dernier fait également remarquer une nouveauté qui apparaît dans ce texte : l’expression de « zévah » (égorger) employée ici qui désigne ordinairement un abattage rituel n’était jusque-là utilisée uniquement dans des contextes de sacrifices.

Le rav de Dvinsk déduit de cette remarque que, alors que jusque-là les animaux étaient consommés après un abattage de forme libre, Jacob instaure l’abattage rituel avant la consommation des animaux, abattage qui n’était effectué jusqu’à présent que lors des sacrifices. Ainsi Jacob aurait instauré une pratique supplémentaire quant à la consommation de la viande, en exigeant un abattage identique à celui des sacrifices pour toute consommation de viande. L’abattage rituel serait en effet, une façon de sanctifier la consommation de viande, ce qui sera plus tard un commandement pour les enfants d’Israël[1].

Dès lors[2], explique le Méchekh’ H’okh’ma, on comprend pourquoi il a d’abord procédé à l’abattage avant d’appeler ses convives à table. En effet, il a craint que leur présence lors de l’abattage, en tant qu’idolâtres, ne rende la viande interdite à la consommation. Pour cette raison, il préfère les inviter une fois que tout est prêt, et c’est ce qui justifie selon le Méchekh’ H’okh’ma le fait que la nourriture soit appelée ici « pain », car on nomme souvent ainsi des aliments qui sont fournis tout prêts à être consommés.

Il reste à comprendre cette crainte de Jacob de voir sa viande interdite à la consommation. Il semble que le rav de Dvinsk ait en fait poussé ici sa logique jusqu’au bout dans le rapprochement entre l’abattage rituel et les sacrifices. En effet, dans les sacrifices, une  intention inadaptée (d’un des prêtres s’occupant de la bête ou de l’un des propriétaires de celle-ci) lors de l’abattage de la bête ou de sa préparation lui donne le statut de « pigoul »  (réprouvée), ce qui signifie entre autres qu’elle est interdite à la consommation. L’abattage du sacrifice serait un acte qui requerrait un état d’esprit particulier, une maîtrise de la direction que prend l’acte (idolâtrie ou service divin). Pareillement dans ce nouvel abattage profane qui deviendra la pratique juive, imité du rituel des sacrifices, cette exigence se prolonge, et nous oblige à « sanctifier » notre consommation de viande comme s’il s’agissait d’un sacrifice[3].

Tsvi Elyiahou Lévy

 

 

 

*Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

Texte original :

 

משך חכמה בראשית פרק לא פסוק נד

(נד) ויזבח יעקב זבח בהר. עד כאן לא מצאנו בתורה "זבח", ורק "מזבח" כתוב בכולם. משום שבני נח היו מקריבים לגבוה שחוטים וטהורים כמו שעשה נח, אבל חולין היו אוכלים בנחירה כמו ישראל במדבר. ושחיטה מן הצואר יליף ממקום שזבחתהו, וזה מלת זבח. רק יעקב שחט וחידש מצות שחיטה.

ולפי זה, דברי רמב"ן שלא שמרו מצוות רק בארץ ישראל, יתכן להיות כי בהר הגלעד, שצפה יעקב שהמצפה יהא לבניו, שבט מנשה (שופטים יא, כא), שמר שחיטה, ולכן "ויזבח זבח" ושחט בעצמו "ויקרא לאחיו לאכול לחם", - זה דבר המתוקן כל צרכו - לאחר שהיה שחוט ומוכן, אז קרא אותם, שהיה חושש לקרוא אותן בחיי הצאן, שחש מפני שוחט לעבודה זרה, דזה מחשב וזה עובר, כמבואר בחולין דף לח, ב. לכן לא קרא אותם רק לאחר שנשחט והוכנו ונתבשלו ונהיו "לחם" לאכול, וברור. ולכן ביתרו, שהיה שלמים, ורק לאחר זריקת דמים והקטר חלבים כתוב גם הן "ויבא אהרן וכל זקני ישראל לאכל לחם וכו'", דמשולחן גבוה זכו בדבר המתוקן כל צרכו, ודו"ק היטב.

 


[1] On peut émettre comme hypothèse qu’utiliser un couteau plutôt que d’égorger à la main est une sorte de recul ou de prise de distance à la fois par rapport à l’animal (on ne se bat plus avec lui), et par rapport à la violence de l’acte effectué.

[2] Je saute ici un extrait du Méchekh’ Hokh’ma traitant de l’opinion de Nahmanide.

[3] On peut d’ailleurs noter, que selon la tradition, il était interdit aux juifs, dès le don de la Torah, de consommer de la viande sans la sacrifier au préalable. Cette interdiction aurait été levée à l’entrée en Israël uniquement en raison de la difficulté de faire des sacrifices avant chaque repas alors que certains vivraient éloignés du Temple.

 

 

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