Pourquoi rester ?

Pourquoi rester ?

Israel france

 

Les événements récents ne vont pas pour rassurer la communauté juive française. La montée de l’extrême droite en Europe, mais également la crainte des attaques terroristes et des actes antisémites font que beaucoup pensent à quitter le navire tricolore. Pendant que ces derniers rêvent de la alyah, voire la concrétisent, d’autres espèrent que les choses vont s’arranger et qu’ils pourront rester dans ce pays où ils se trouvent à leur aise.

Mais pourquoi rester ?  Quelles sont les motivations des quelques irréductibles qui ne voient pas dans le départ une délivrance, mais au contraire le redoutent profondément ?

 

En guise de réflexion sur le sujet, nous proposons d’examiner l’attitude de Ythro, beau-père de Moïse, telle que rapportée dans le Livre des Nombres (ch. 10) :

Après avoir accompagné les Hébreux dans le désert pendant un moment, Moïse demande à son beau-père de les suivre en terre d’Israël. La réponse de ce dernier est catégorique : « Je n’irai pas. Je n’irai que vers ma terre et le lieu de ma naissance » (v. 30). Puisque Ythro reconnaît la grandeur de Dieu et accepte la mission confiée au peuple d’Israël, pourquoi refuse-t-il ainsi de le suivre vers la « terre promise » ? Plusieurs réponses sont apportées par les commentateurs, tentant notamment de comprendre la répétition apparente dans son discours : « (…) vers ma terre et le lieu de ma naissance ».

 

Rachi explique : « Par rapport à mes biens, et par rapport à ma famille ». Le rapport à la propriété apparaît comme la première préoccupation. Il est dur de tout quitter, de tirer un trait sur ses possessions ou sur son compte en banque. Rien ne dit qu’il sera possible de «se reconstruire » ailleurs. Cependant cette motivation matérielle s’accompagne d’une autre motivation plus noble : « la famille ». Le Sifté ‘hakhamim précise qu’Ythro désirait rentrer dans son pays natal pour convaincre ses proches de l’importance de la Torah, pour diffuser la lumière découverte aux côtés de son gendre dans le désert.

Pour Ibn Ezra, Ythro déclare : « J’habite là-bas aujourd’hui et j’y suis né ». Il existe un attachement pour notre terre natale, qui nous renvoie aux souvenirs de notre enfance et au-delà. Qui plus est, il s’agit de l’endroit dans lequel nous évoluons. Changer ses habitudes est quelque-chose de délicat, peut-être même de non-naturel. Il s’agissait certes de la démarche d’Abraham, mais celle-ci sortait justement d’une logique existentielle classique. On pourrait même avancer que la démarche du Patriarche reflète un idéal, alors que celle d’Ythro reflète davantage la réalité pratique. Notons cependant que cette réflexion concerne celui qui se sent à son aise chez lui. Or beaucoup ne se trouvent pas dans leur vie quotidienne, et sous prétexte de reproduire le cheminement d’Abraham, procèdent en fait à une simple fuite.

Enfin pour le Sforno, il convient d’établir une distinction entre les anciennes et les nouvelles générations. « Ma vieillesse ne pourrait pas supporter l’air d’une autre terre et une autre alimentation » dirait Ythro à Moïse. Plus l’âge avance plus le besoin de sédentarisation se fait sentir. La jeunesse rêve d’aventure, elle est davantage nomade, l’absence de biens et de souvenirs accumulés y aidant…

 

Nous pensons que ces différentes explications sont complémentaires. Il y a dans la décision de rester une part d’idéalisme (propager et diffuser la Torah autour de nous)[1], une part de pragmatisme (les affaires courantes paraissent plus faciles ici), et une part de fatalisme (on ne peut pas partir).

Tout ceci varie évidemment d’une personne à une autre et d’autres paramètres, notamment politiques, peuvent rentrer en compte. En ce qui nous concerne, il nous semble qu’on ne peut pas avancer correctement si on essaye de marcher en gardant un pied dans une valise. Alors nous continuons à bâtir notre avenir et l’avenir de nos enfants là où nous sommes, tout en étant conscients des leçons de l’Histoire, qui ont donné au concept du « juif errant » une réalité de toutes les époques.



[1] Cette motivation n’est pas la seule pouvant être considérée comme positive. Avant la diffusion de la Torah, son étude elle-même nécessite de rester dans son lieu d’habitation. On pense ainsi à Ezra, qui selon la tradition rabbinique, ne partit de Babel vers Jérusalem pour participer à la construction du second Temple, qu’après la mort de son maître (TB Meguila 16b ; Chir haChirim Rabba 5, 5).

 

 

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