Chemote : De la religion tribale à la religion d'un peuple

Chémot :

de la religion tribale à la religion d’un peuple

 

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La paracha de Chémot montre l’enfance d’un libérateur et sa « vocation ». Alors que Moïse est interpellé par un buisson ardent et miraculeux, Dieu se « révèle » en lui expliquant qu’Il est « le Dieu de son père, le dieu d’Abraham, le dieu d’Isaac et le dieu de Jacob ». Les commentateurs se montrent peu loquaces sur ce verset : quoi de plus naturel !  La jeune Rey n’est-elle pas appelée par la voie du sabre laser qui sera son instrument de justice, comme tant d’autres vocations prophétiques que décrira la Bible ?  Dieu pour ne pas choquer son prophète se présenterait à travers la figure bienveillante du Dieu de son père et de ses ancêtres, mais Moïse ne l’aurait pas vu venir, il se cache le visage, pour ne pas voir le visage divin ! Le scénario est bien ficelé, mais bien naïf : comme si Moïse était un novice, comme si Dieu avait sorti de sa boîte à miracles un gadget pour attirer l’attention d’un adolescent trop effrayé, mais curieux.

Laissons plutôt parler la voix du Natsiv[1] qui va questionner l’opportunité de se présenter ainsi à Moïse âgé alors de quatre vingt ans.

Pourquoi parler d’un dieu paternel alors qu’on va délivrer un peuple ? Voilà peu ou prou ce qui anime le commentaire du Nétsiv : Dieu s’est comporté de façon providentielle, de façon miraculeuse envers chaque patriarche suivant une voie : il a protégé Abraham de ses ennemis, car celui-ci a usé ses nuits pour l’étude ; Dieu a gratifié  Isaac de richesses, parce qu’il a été généreux en s’offrant en holocauste ; alors que Dieu a permis à Jacob de vivre en paix, miraculeusement, en contrepartie de la paix qu’il a voulu établir autour de lui. ‘Dieu d’Abraham, d’Isaac ou de Jacob’ signifie que Dieu s’est attaché à chaque patriarche de façon miraculeuse et spécifique. Et c’est par ces évocations que Dieu vient expliquer pourquoi le buisson ne s’embrase pas »[2].

Le Natsiv en collant au plus près du texte, a montré[3] que ce qui est mis en avant dans la scène du buisson ardent, ce n’est pas qu’il ne se consume pas, mais que le buisson n’étouffe pas la faible flamme qui gît en son cœur. Certains ancêtres étaient sous l’aile providentielle, la chose était sue, mais ce qui allait se jouer ici, c’est le passage d’une providence attachée à des individus à une providence attachée à un peuple. L’évocation des pères a pour but  de montrer ce qui fait résistance à l’avancement de l’histoire mais en constitue en même temps le germe : la providence individuelle.

En fait, le miracle du buisson crée la rencontre avec Moïse à partir  de son propre questionnement: comment se fait-il que la collectivité venue de Canaan résiste au feu nourri des attaques qu’elle suscite ? Ce qu’il fallait comprendre c’est que l’on passe d’une providence personnelle et locale, à une providence collective et à plusieurs dimensions. Le changement est radical : une providence attachée aux individus est dépendante de la fragilité des mérites de chacun, une providence associée à une collectivité n’est possible qu’à condition de fermer les yeux sur les travers communautaires. C’est ce passage qui accroche Moïse[4]. Une fois celui-ci compris, « il se voile la face ». Le Talmud[5] semble fustiger Moïse d’avoir fermé les yeux au moment où Dieu s’apprêtait à lui révéler le « comment » de son action, indiquant que plus tard, dans l’épisode du veau d’or lorsque le prophète  se montrera plus curieux, Dieu lui refusera la « vision face », c'est-à-dire les modalités de son intervention dans le monde. C’est que là-bas la nécessité de défendre le peuple impliquait une connaissance plus spécifique…Nanti de ce changement de direction indiqué par la vision du buisson ardent qui entre en résonance avec le dépassement de la thématique des patriarches, Moïse peut commencer à  être le prophète pour un peuple.

 

Franck BENHAMOU

 

[1] R. Tsvi Yéhouda Berlin (1813-1893)

[2] Emek davar sur Chémot 3.6.

[3] Emek Davar sur Chémot 3.3.

[4] Et qui d’ailleurs sera le chemin qui l’engagera contre vents et marées à défendre le peuple coûte que coûte.

[5] Cité en filigrane par le Emek Davar, d'après TB Berakhot 7a.

 

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