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L'habit fait-il le Rabbi ?
- Le 21/11/2021
L'habit fait-il le Rabbi ?
Paracha Vayéchev
« Et Israël aimait particulièrement Yossef parmi ses fils, car il était le fils de sa vieillesse, et il lui avait confectionné une tunique de lin » (Béréchit 37, 3)
D’une première lecture du texte, il semblerait que Ya’akov – ici nommé « Israël » – a une préférence pour Yossef car il est son cadet (« fils de sa vieillesse »). Cependant, le terme employé pour désigner la vieillesse « zakén » désigne généralement la sagesse. C’est pourquoi Onkelos traduit en l’espèce : «Et Israël aimait particulièrement Yossef parmi ses fils, car il était un fils érudit ».
En d’autres termes, selon cette traduction/interprétation, Ya’akov est séduit par l’intelligence remarquable de son fils, et c’est pour cela qu’il se sent particulièrement proche de lui. Dès-lors, pourquoi lui confectionner un habit spécifique ? Faut-il voir dans ce cadeau une conséquence de l’appréciation du père sur le fils ? Peut-on supposer que Ya’akov trouve légitime que Yossef soit vêtu d’une manière exceptionnelle, afin de bien signaler son érudition ? A travers ces questions, une problématique de fond se dessine : L’érudit doit-il vêtir un habit spécifique afin de mettre en évidence sa grandeur en Torah auprès de son entourage ?
Pour répondre, attachons-nous à une question posée dans le Talmud (Shabbat 145b) : Pourquoi les Sages de Babylonie se distinguent-ils du reste du peuple en portant des habits particuliers, alors que les Sages de la terre d’Israël s’habillent comme tout le monde ? La réponse surprend : « C’est car ils ne sont pas des gens de Torah ».
Rachi précise que les érudits de Babel étant moins impressionnants par leurs connaissances que leurs confrères de la terre d’Israël, ils ont besoin, afin de se faire respecter par le peuple, de porter des vêtements les désignant comme importants.
D’après cette explication, si Yossef était réellement érudit, il n’aurait justement pas eu besoin d’avoir une tunique de lin !
Cependant, le Rav Eliézer Moshé Horowitz (Lituanie 1817-1890) a une autre lecture du Talmud dans ses ‘Hidouchim sur ce passage. Selon lui, il faut comprendre que la réponse cible les habitants de Babel : Ces derniers n’étant pas « des gens de Torah », ils ne savent pas donner à un érudit le respect qu’il mérite ! Ainsi, l’habit permet de rehausser l’honneur de la Torah auprès du peuple.
On retrouve une idée similaire à propos de Rabbi El’azar ben Azaria. Lorsqu’il fut élu Nassi (chef) de l’Assemblée rabbinique suprême, il ne se sentait pas digne d’une telle charge en raison de son jeune âge ; ses cheveux ont alors blanchi en une seule nuit, lui donnant l’apparence d’un homme d’un âge respectable[1]. Ainsi, parfois, l’érudition seule ne suffit pas, et il convient d’user d’artifices matériels afin de l’imposer aux yeux des autres.
D’après cette explication, on comprend bien pourquoi Ya’akov offre cette tunique à son frère : Bien qu’il soit vraiment érudit, son jeune âge l’empêche d’être reconnu à sa vraie valeur par ses frères. Aussi leur père désire-t-il montrer à ces derniers, par l’intermédiaire de l’habit distingué offert, qu’il convient de le traiter avec dignité en raison de cette érudition.
Nous avons ici deux lectures différentes - mais non contradictoires - qui peuvent nous faire réfléchir à l’habitude des rabbins de porter une tenue les distinguant. En effet, la plupart des Rabbanim portent barbe et chapeau, et certains portent même une redingote[2].
D’après la première interprétation du Talmud, celle de Rachi, « l’habit ne fait pas le rabbi » ! C’est même tout le contraire : Le véritable talmid ‘hakham peut s’habiller comme tout le monde, car il a une érudition si importante qu’elle éblouit son alentour. A l’inverse, celui dont l’érudition n’est pas aussi manifeste va utiliser le vêtement comme une manière de s’imposer socialement. La barbe, le chapeau et la redingote vont laisser penser aux autres qu’il est un véritable puits de Torah, mais cela n’est qu’apparence. Certes, il peut connaître les dinim (lois pratiques), savoir étudier correctement une Guemara et bien s’exprimer en public ; mais son habillement montre qu’il y a encore des lacunes et des zones d’ombre dans son rapport à l’étude et à l’enseignement de la Torah.
Cependant, d’après l'interprétation du Rav Horowitz, on peut considérer que « l’habit fait le rabbi » vis-à-vis de l’extérieur. Evidemment, il n’est nullement question d’imaginer un instant que porter un « habit de rabbin » va soudainement transformer un ignorant en talmid ‘hakham ! Néanmoins, la majorité des gens n’étant pas en mesure de remarquer la véritable érudition d’une personne, il convient alors que le Rav (ou l’enseignant en Torah) fasse attention à son apparence extérieure. En effet, c’est malheureusement souvent le cas : Un homme arrivant en jean-baskets-casquette et intervenant dans un shiour ne sera pas pris au sérieux de la même manière qu’un homme portant barbe, chapeau et redingote. La différence d’acceptation du discours ne dépend pas alors de ce qui est dit, mais de l’aspect de celui qui parle.
C’est précisément pour éviter cet écueil, à notre grand regret si fréquent, que les talmidé ‘hakhamim font attention à leur apparence, afin que leur parole puisse avoir une réelle portée autour d’eux[3].
Yona GHERTMAN
[1] C’est pourquoi il se décrit lui-même « comme un homme de soixante-dix ans », et pas seulement comme « un homme de soixante-dix ans » (cf. Berakhote 27b et dans la Haggada de Pessa’h).
[2] Quant à l’habitude de s’habiller en noir et blanc, elle ne concerne pas seulement les érudits, mais tous les hommes fréquentant le milieu religieux « ‘harédi », quel que soit leur niveau d’érudition. Cela provient du fait que l’habit noir est considéré traditionnellement comme une manière de se montrer humble (Darké Moshé, Yoré Déa 178, 1)
[3] Cf. également Shabbat 113a; Ibid. 114a avec Rachi; Baba Bathra 57b; le Rambam dans Hilkhote Déote 5, 9 et dans son commentaire sur la Michna Mikvaote 9, 6.
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A propos de l'éducation des jeunes-filles...
- Le 11/11/2021
- Dans Parasha
Les jeunes-filles doivent-elles sortir
ou bien rester cloîtrées à la maison ?
Paracha Vaychla’h
« Or, Dina, la fille que Léa avait enfantée à Ya’akov, sortit pour faire connaissance avec les filles du pays » (Béréchit 34, 1)
Après avoir affronté « l’ange d’Essav », Ya’akov s’installe à Shékhem avec sa famille. A peine arrivés, sa fille (Dina) sort et se fait remarquer par Shékhem, le fils du gouverneur du pays, qui la kidnappe et la viole. Rachi commente : « [Elle est appelée à ce moment] ‘la fille de Léa’, et non ‘la fille de Ya’akov’, car elle est ‘sortie’ ; ainsi qu’il est dit : ‘Et Léa sortit à sa rencontre’[1] ; et à ce propos existe un proverbe : ‘telle mère, telle fille’ ».
Ce commentaire est étonnant à plus d’un titre[2]. Premièrement, dans le cas de Léa, l’initiative de sortir était dans un objectif noble : Elle allait à la rencontre de son mari, dans l’optique de s’unir à lui afin de pouvoir avoir un autre enfant. Rachi lui-même loue sur place la démarche de Léa : « Le Saint, béni soit-Il l’aida, car Issakhar fut conçu là-bas ». Or, dans le cas de Dina, l’objectif de la sortie est complètement différent. Elle sort simplement « pour faire connaissance avec les filles du pays ».
De plus, la manière dont Rachi amène son propos laisse entendre que sa sortie fut la cause de ce qui lui arriva. Une telle compréhension des évènements semble exagérée : Certes, Dina ne sortait pas nécessairement pour accomplir une mitsva, mais elle ne sortait pas non plus pour accomplir une action négative !
Si le verset avait mentionné qu’elle était sortie pour rencontrer « les hommes du pays », on aurait pu comprendre ce ton accusateur transparent dans le commentaire de Rachi. Or, c’est naturellement vers « les filles du pays » qu’elle se tourne, ce qui est parfaitement compréhensible : Dina est la seule jeune fille de la fratrie, elle ressent naturellement le besoin de rencontrer d’autres jeunes filles, plutôt que de ne rester qu’avec ses frères[3].
Mais surtout, si Rachi nous laisse ici avec l’impression que Dina a été kidnappée car elle n’aurait pas dû sortir, il donne par ailleurs une autre raison. En effet, lors de la rencontre entre Essav et Ya’akov, le texte stipule : « Il se leva, quant à lui, pendant la nuit ; il prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants et passa le gué de Jacob » (32, 23). Et le maître champenois de commenter alors : « Et Dina, où était-elle ? Ya‘akov l’avait enfermée dans une caisse verrouillée pour que ‘Essav ne puisse porter ses regards sur elle. Et il a été puni pour l’avoir ainsi refusée à son frère. Peut-être l’aurait-elle ramené vers le bien ! On sait qu’elle est tombée par la suite entre les mains de Chekhem».
En synthétisant, on remarque que Rachi donne deux raisons totalement opposées expliquant le sort malheureux de Dina :
1/ Elle n’aurait pas dû sortir
2. Elle n’aurait pas du être enfermée
En réalité, il y a également une troisième raison qui ne nous intéresse pas dans le cadre de notre sujet[4]. Les commentateurs de Rachi expliquent simplement qu’il arrive que plusieurs causes complémentaires soient avancées pour expliquer un évènement[5]…
Mais est-ce vraiment possible d’adopter cette méthodologie aux deux premières raisons mentionnées ?
Evidemment, derrière cette question quelque peu « technique », une problématique sociétale de fond est soulevée : Comment les pères doivent-ils se comporter concernant l’éducation de leurs filles ? Doivent-ils les préserver totalement du monde extérieur ; ou bien doivent-ils les laisser découvrir ce qui existe en dehors de leur maison ?
Dans le Talmud[6], on retrouve un débat faisant écho à notre sujet, concernant l’attitude du mari envers son épouse. Trois comportements différents sont énoncés :
1/ Celui qui enferme son épouse chez lui avant de sortir
2/ Celui qui laisse son épouse avoir une vie sociale avec ses proches
3/ Celui qui voit sa femme sortir habillée d’une manière indécente et ne lui dit rien
Alors que le second comportement mentionné est considéré comme sain, les deux autres sont fermement critiqués. Si le silence du mari devant le comportement indécent de son épouse laisse présager un adultère, c’est également le cas de celui qui se conduit en geôlier avec elle. En effet, à force d’être privée de toute vie sociale, cette dernière va fomenter de la haine contre son mari, et risquera ainsi de le tromper si elle rencontre un jour un homme aimable et avenant[7].
Tel est l’esprit général de la Torah : Eviter les excès et s’orienter vers la voie du milieu[8]. C’est pourquoi le Talmud préconise au mari de laisser son épouse avoir une vie sociale et fréquenter ses proches, tant que cela se déroule avec décence.
Il en va de même en ce qui concerne l’éducation d’une jeune-fille. Il est périlleux de la laisser sortir constamment, sans avoir de regard sur ce qu’elle fait. Les hommes de la rue sont souvent sans scrupules et sans respect pour la gente féminine. Certes, Dina voulait aller voir d’autres filles. Mais dans la rue il y a des hommes, et ces derniers peuvent être mal intentionnés.
D’un autre côté, tenter de la garder constamment à la maison va créer chez elle une grande frustration. Sa frustration va grandir au fur et à mesure, jusqu’au jour où elle risque de partir pour de bon et se retrouver livrée au monde extérieur, hostile envers celles qui n’y sont pas préparées. C’est malheureusement ainsi que naît l’idée de fuguer chez les adolescentes concernées. Elles souffrent d’être constamment prises pour des petites filles à qui on refuse toute autonomie, jusqu’au jour où elles vont vouloir devenir libres contre l’avis de leurs parents. Hachem ishmor.
Il est une nouvelle fois remarquable que la Torah, à travers les commentaires de nos maîtres, se confronte à des enjeux modernes et y apporte une réponse pleine de bon sens. Lorsqu’on est parent, il est très dur d’éduquer nos enfants, car le curseur du juste-milieu est difficile à atteindre. Si l’on se montre trop strict en les restreignant dans leur autonomie, on risque d’aller à l’encontre de drames familiaux. Cependant, si l’on se montre un tant soi peu trop ouvert en leur accordant un peu trop de liberté, le risque est identique.
Lorsque cela concerne l’éducation des jeunes filles, il y a en plus le risque de les laisser confrontées aux « prédateurs humains » qui sévissent dans la rue. Combien de femmes ressentent un sentiment d’insécurité lorsqu’elles marchent dans une rue peu fréquentée en soirée ? Il s’agit d’un réel problème. Il n’est pas du tout évident pour des parents d’expliquer cela à leurs filles, passées depuis peu de l’enfance à l’adolescence. Ces dernières voient encore le monde avec des yeux d’enfants, alors que les prédateurs humains les voient elles-mêmes comme des femmes…
Rigidité et permissivité sont donc deux attitudes à bannir, car nocives pour l’éducation des jeunes filles[9]. Les parents doivent leur permettre d’avoir une vie sociale en restant dans la décence, sans excès, et sans se sentir brimées. Encore une fois, il s’agit d’une recommandation plus facile à écrire qu’à mettre en œuvre…
[1] Béréchit 30, 16. Ra’hel et Léa se disputaient alors leur mari ; et Léa prit l’initiative d’aller à sa rencontre car elle avait obtenu de sa sœur la permission de prendre son tour dans la tente de leur mari.
[2] Les deux premières remarques qui suivent sont inspirées du commentaire d’Abrabanel sur ce passage (réponse à sa question n°4).
[4] Ya’akov aurait dû retourner tout de suite à Beth-El après la rencontre avec ‘Essav, plutôt que de s’attarder en chemin à Shékhem (cf. Rachi sur Béréchit 35, 1).
[5] Cf. Gour Arié et R. ‘Ovadiah mi Barténoura sur les versets cités.
[6] Guittin 90 a-b
[7] D’après le commentaire de Rachi sur Ibid., s. v. « Papus ben Yéhouda ».
[8]Cf. Rambam, Hilkhote Déote, chapitre 1.
[9] Et aussi des jeunes hommes, bien que l’enjeu ne soit pas le même, notre propos partant d’une réflexion sur Dina, et plus généralement sur l’éducation des jeunes filles.
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Les conséquences de la cupidité (vayétsé)
- Le 03/11/2021
- Dans Parasha
Les conséquences de la cupidité
sur la confiance des enfants envers les parents
Paracha Vayétsé
« Ra’hel et Léa répondirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas considérées comme des étrangères à ses yeux ? Car il nous a vendues et il a consumé notre patrimoine» (Béréchit 31, 14-15)
Contraint d’habiter chez son oncle Lavan (le frère de Rivka), Ya’akov s’aperçoit vite de la fourberie de ce dernier. Alors qu’il consent à lui accorder sa fille cadette (Ra’hel) comme épouse, en échange d’un travail gratuit durant sept années, il met en place un stratagème pour que Ya’akov épouse finalement l’aînée (Léa). Ya’akov doit donc travailler sept années supplémentaires pour se marier avec l’élue de son cœur. Après avoir épousé les deux sœurs au terme de quatorze années de labeur, Lavan fait tout pour que Ya’akov, ses filles, ses servantes et les enfants nés entre temps, restent habiter chez lui. Son patrimoine ne fait qu’augmenter grâce à la bénédiction divine reposant sur son neveu et gendre. Lorsque Ya’akov comprend définitivement que le temps de partir et de donner sa propre direction à son foyer est arrivé, il s’adresse alors à Ra’hel et Léa en leur expliquant que ce départ de chez leur père - nécessairement créateur de conflits - est pour lui la seule alternative.
Ces dernières écoutent son argumentaire, et prennent clairement position pour leur mari, et donc contre leur père : « Ra’hel et Léa répondirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas considérées comme des étrangères à ses yeux ? Car il nous a vendues et il a consumé notre patrimoine».
Comment une relation entre père et filles peut-elle atteindre un tel point de non-retour ? N’est-ce pas dramatique et glaçant d’imaginer des filles percevoir ainsi leur père ? Il est d’ailleurs particulièrement frappant que Lavan lui-même semble garder une forte affection pour ses filles. En effet, après avoir poursuivi Ya’akov, et avoir aperçu Hachem le mettant en garde de ne pas l’attaquer, Lavan concède de le laisser partir et conclut un pacte avec lui. Quelle est alors sa condition exigée de son côté ? Le texte répond explicitement : « Que Dieu regarde entre toi et moi, alors que nous serons cachés l’un à l’autre. Si tu humiliais mes filles ; si tu associais d’autres épouses à mes filles… nul n’est avec nous ; mais vois ! Dieu est témoin entre toi et moi ! » (31, 49-50). On s’interroge à la lecture de ces versets : Et si la cupidité n’était pas la seule raison de Lavan dans son refus de laisser partir Ya’akov ?
Allons un peu plus loin, en revenant vers la première rencontre entre Ra’hel et Ya’akov. Après avoir parlé avec son cousin tout récemment rencontré, Ra’hel court avertir son père à propos de cette rencontre (29, 12). Rachi sur place explique : « Etant donné que sa mère était morte, elle ne pouvait le dire qu’à lui ». Habituellement, une fille est proche de sa mère. Cependant, lorsque celle-ci n’est plus là, c’est au père d’assumer désormais ce rôle. Indubitablement, un père élevant seul ses enfants va se rapprocher d’eux. En effet, plus on s’investit pour quelqu’un, plus on l’affectionne. Ainsi, contraint d’assurer son rôle et celui de la mère de ses filles, Lavan a dû nécessairement s’investir plus que la normale. Il est donc profondément attaché à ses filles, il se préoccupe de leur devenir.
En retournant de nouveau lors de l’épisode relatant la fuite de Ya’akov, on constate que cette préoccupation pour l’autre n’est pas qu’à sens unique. En effet, on apprend dans le texte que Ra’hel a volé des « idoles» dans la maison de son père (31, 19). Les commentateurs s’interrogent évidemment sur un tel acte de la part d’une femme ayant épousé la vocation monothéiste des patriarches. La réponse apportée par Rachi attire une nouvelle fois notre attention : « Elle avait l’intention d’éloigner son père de l’idolâtrie ». Remarquable ! Bien qu’ayant décidé de choisir son mari plutôt que son père, Ra’hel continue à se préoccuper de ce dernier ! Elle veut qu’il fasse téchouva ; en d’autres termes, elle désire encore son bien.
D’après ce que nous avons vu précédemment, tout cela semble parfaitement logique : Il y a dans cette famille uni-parentale une affection mutuelle entre le père et ses filles. Lavan veut le meilleur pour elles, et elles aussi, désirent le meilleur pour leur père.
Dès lors, la question de départ nous interpelle encore davantage : Comment les filles ont-elles pu finalement couper les liens avec leur père ? C’est lui qui s’est occupé d’elles, il y a un amour mutuel entre elles et lui… Comment la famille est-elle arrivée à un tel point de non-retour ?!
C’est que Ra’hel n’est pas la seule à « courir ». On voit également Lavan courir, mais pour des raisons différentes. Une première fois, alors que Rivka était encore jeune-fille, et qu’Eli’ézer (le serviteur d’Abraham) était allé chercher une femme pour Itz’hak, il lui avait donné des bijoux de la part de son maître. Apprenant l’arrivée d’Eli’ézer, Lavan court alors à sa rencontre. Rachi commente sur place : « Pourquoi court-t-il et à quel propos court-t-il ? Ce fut, lorsqu’il vit la boucle de nez, il dit [en lui-même] : Cet homme est riche. Aussi tourna-t-il ses yeux vers l’argent ». Puis, quelques années plus tard, alors que Ya’akov arrive chez lui, Lavan court à sa rencontre (29, 13). Rachi commente alors dans le même ordre d’idées : « [Lavan] pensait qu’il portait de l’argent, car le serviteur de la maison vint ici avec dix chameaux bien chargés [d’argent et de bijoux] ».
Lavan ne change pas avec l’âge. Le trait le caractérisant est la cupidité. Il aime l’argent. Il court après l’argent. Toute sa manière de vivre est guidée par un seul but directeur : Gagner plus, et toujours plus. C’est pour cela qu’il essaye de faire travailler Ya’akov gratuitement le plus longtemps possible, et qu’il ne veut pas le laisser partir.
Néanmoins, nous l’avons montré : Si Lavan est un homme qui aime l’argent, il est aussi un père qui aime ses filles. Dans ce cas, pourquoi jouer avec leurs sentiments en échangeant Ra’hel avec Léa lors des premières noces ?
C’est que Lavan aime mal ses filles. Il est tellement obsédé par sa course vers l’argent qu’il ne se rend même pas compte du mal qu’il leur fait. Il tient à elles et il veut leur bonheur, comme le démontre son pacte final avec Ya’akov. Un drame se joue ici : Malgré l’amour réciproque entre Lavan et ses filles, son obsession pour l’argent l’aveugle tellement, qu’il adopte un comportement indigne, provoquant l’éloignement définitif de ses filles.
C’est un mal intemporel que souligne la Torah en filagramme : Les parents peuvent « tuer » leurs enfants à cause de leur obsession pour l’argent. Ils sont tellement obsédés par le profit – notamment car la société pousse dans ce sens – qu’ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à leur progéniture. Cela ne signifie pas que ces parents n’aiment pas leurs enfants, mais qu’ils les aiment mal. Or, la conséquence de mal aimer son enfant peut être terrible. L’enfant ressent lorsque ses parents font passer leur intérêt personnel avant le sien. A long terme, une déception grandit en lui et l’éloigne peu à peu. Dans les cas extrêmes, la suite sera la coupure des relations de la part des enfants. Le pire est que beaucoup de parents vont justifier leur course effrénée en se disant qu’ils font cela « pour la famille ». Alors que de leur côté, les enfants ressentent l’absence du père, toujours occupé à ses affaires, comme une plaie ne cessant de s’agrandir.
Ainsi, Lavan apparaît précisément comme l’exemple à ne pas suivre pour les parents. Il ne suffit pas d’aimer ses enfants, il faut aussi bien les aimer, ce qui est tout un programme…
Yona GHERTMAN
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La cause du déluge : la corruption des élites
- Le 03/10/2021
- Dans Parasha
La corruption des élites, cause profonde du déluge
La description des fautes qui ont entraîné le déluge s'étale sur trois versets :
בראשית פרשת נח פרק ו פסוק יא - יג
(יא) וַתִּשָּׁחֵ֥ת הָאָ֖רֶץ לִפְנֵ֣י הָֽאֱלֹהִ֑ים וַתִּמָּלֵ֥א הָאָ֖רֶץ חָמָֽס:
La terre s'est détruite devant "le elohim" et la terre s'est remplie d’iniquité / « hamas »
(יב) וַיַּ֧רְא אֱלֹהִ֛ים אֶת־הָאָ֖רֶץ וְהִנֵּ֣ה נִשְׁחָ֑תָה כִּֽי־הִשְׁחִ֧ית כָּל־בָּשָׂ֛ר אֶת־דַּרְכּ֖וֹ עַל־הָאָֽרֶץ: ס
Elokim a vu la terre, qu'elle s'était détruite, car toute chair avait détruit sa voie sur la terre
(יג) וַיֹּ֨אמֶר אֱלֹהִ֜ים לְנֹ֗חַ קֵ֤ץ כָּל־בָּשָׂר֙ בָּ֣א לְפָנַ֔י כִּֽי־מָלְאָ֥ה הָאָ֛רֶץ חָמָ֖ס מִפְּנֵיהֶ֑ם וְהִנְנִ֥י מַשְׁחִיתָ֖ם אֶת־הָאָֽרֶץ:
Elokim dit à Noa'h : La fin de toute chair est venue devant moi, car la terre s'est remplie d'iniquité / « ‘hamas » à cause d'eux, et voici Je vais les détruire avec la terre
I/ Analyse du texte et questions
On remarque tout d’abord le nombre de récurrences du mot "la terre" : Il se retrouve à deux reprises par verset, soit six fois dans ces trois versets. Cette répétition provoque une redondance évidente, et laisse penser à une insistance volontaire sur le rôle de "la terre" dans les causes du déluge.
Une seconde remarque concerne la différence dans la présentation de "Elohim" entre le verset 11 et les deux versets suivants. Dans le premier verset, le mot est précédé d'un article défini, alors que cet article est omis dans les deux suivants.
Une autre répétition à priori superflue intervient entre le verset 11 et le verset 12. S'il est dit dans le premier que toute la terre s'est détruite "devant le Elohim", n'est-ce pas évident que "Elokim" le voit ? Dans ce cas pourquoi préciser au début du verset suivant : "Elokim a vu la terre, qu'elle s'était détruite".
De plus, la part entre le "'hamas" (iniquité) et la "destruction de la terre" n'est pas claire. On a l'impression dans le premier verset que "la terre s'est détruite" concerne un comportement spécifique, alors que la "la terre s'est remplie de 'hamas" en concerne un autre. Cependant, au verset suivant, Hachem voit que "la terre s'est détruite", et que toute chair "a détruit sa voie sur terre", mais il n'est plus question de "'hamas". Puis, lorsqu'Hachem parle à Noa'h dans le dernier verset afin de lui expliquer l'imminente destruction du genre humain, il ne met l'accent que sur le 'hamas (iniquité).
C'est ce qui fera dire à Rachi : "Leur décret n'a été scellé que par le vol". Auparavant, Rachi expliquait sur le verset 11 que l'autre catégorie de crimes commis incluait idolâtrie et relations interdites. Or, la Guemara écrit que le meurtre, l'idolâtrie et les relations interdites sont les "fautes capitales", responsables notamment de la destruction du premier Temple de Jérusalem[1]. Dans ce cas, en quoi le "vol", même s'il est accompagné de violence (car c'est semble-t-il la délimitation du "hamas") prendrait-il le pas face aux deux fautes gravissimes de guilouï arayote (débauche) et 'avoda zara (idolâtrie) ?
II/ Proposition de lecture cohérente
Nous proposons d’expliquer tout d’abord que le premier « HaElohim » dont il est question dans le verset 11 n’est pas Hachem, mais la caste des juges et seigneurs dirigeant sur la terre[2].
L’insistance sur « la terre » rappelle par ailleurs le concept de « derekh-erets », qui au sens large traduit la manière de vivre dans le monde. On constate d’ailleurs qu’au verset 12, les hommes sont accusés d’avoir trahi leur « chemin sur la terre ».
Ces deux préalables posés, il est alors possible de proposer une lecture cohérente répondant à toutes les questions posées précédemment :
Pour que la vie sur terre remplisse son objectif, elle doit obéir à deux conditions fondamentales : Le respect de Dieu et de ses règles, ainsi que l’harmonie entre les hommes et les femmes. Mais voilà qu’avec la bénédiction des puissants de ce monde, la débauche et l’idolâtrie ont commencé à devenir légion. Le libertinage étant le réveil des instincts les plus primaires du monde, il prend rapidement une connotation égoïste. Le libertin veut « prendre », et même s’il se donne, c’est en raison de la satisfaction (donc du « prendre ») que cela lui apporte. Le libertinage poussé à son paroxysme aboutit à de la violence, car il faut prendre par la violence celui ou celle qui ne veut pas être pris. Ce système de vie est totalement contradictoire avec le principe de la famille prôné dès la Genèse, mais qu’importe, c’est là qu’intervient l’insertion de l’idolâtrie, dont le seul objectif réel est d’apporter une License à la débauche[3].
Relisons le verset 11 à la lumière de ces quelques idées :
Le libertinage a commencé à devenir la norme parmi les hommes avec la bénédiction des juges et des hommes politiques, se cachant derrière les idoles qu’ils s’étaient fabriqués pour asseoir leur pouvoir (= La terre s'est détruite devant "les elohim"). Par conséquent, les rapts avec violence se sont multipliés, toujours sous leurs auspices, car il fallait bien prendre de force les hommes et femmes qui refusaient de se plier à ce système dégénéré (= et la terre s'est remplie d’iniquité/’hamas).
Le constat d’Hachem concerne donc la cause du mal, c’est-à-dire la volonté de quitter le chemin classique tracé pour les humains évoluant sur la terre, excluant libertinage et idolâtrie, au profit de la famille. C’est la première partie du verset 12 : « Elohim a vu la terre, qu'elle s'était détruite ». Puis, la seconde partie du verset revient sur la systématisation du libertinage, s’étendant à tous les êtres humains, et plus seulement aux puissants de ce monde. Les juges et hommes politiques ont finalement réussi à influencer toute l’humanité (ou du moins ceux qui ont la force d’être parmi ceux qui prennent ou se font prendre par choix) : « car toute chair avait détruit sa voie sur la terre ».
Cependant, lorsqu’Il va s’adresser à Noa’h, Hachem va mettre l’accent sur les moyens employés qui sont intolérables, car aboutissant à un stade de négation de l’humain incompatible avec le chemin des hommes sur terre. Lisons ainsi le verset 13 « Elohim dit à Noa'h : La fin de toute chair est venue devant moi, car la terre s'est remplie d'iniquité à cause d'eux »
= Lorsque les puissants de ce monde usent de violence pour prendre tout ce qu’ils désirent, qu’ils considèrent les hommes et les femmes comme de simples acquisitions leur permettant d’assouvir leurs pulsions sexuelles, alors le chemin de la vie sur terre se trouve bloqué, et eux (les juges et les hommes politiques) en sont la cause.
D’où la conclusion sans appel qui conclue le verset 13 et notre passage : « et voici Je vais les détruire avec la terre »
= Le chemin correct pour vivre en harmonie sur terre n’est plus du tout empruntable. Il convient de tout recommencer. Bien que la violence ne soit qu’une conséquence du libertinage cautionné par l’idolâtrie, il s’agissait d’une conséquence inévitable, en raison du travers des puissants qui ont usé de leur ascendance sur le monde pour soumettre la terre et ses habitants à leurs plus bas instincts.
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Le bon fonctionnement d'une entreprise
- Le 12/01/2021
- Dans Parasha
Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima
Le bon fonctionnement d’une entreprise
Dans l’épisode des dix plaies, Moshé et Aharon se retrouvent plusieurs fois devant le Pharaon, en tant que porteurs de la parole de Dieu. Par la suite, après la sortie d’Egypte, leurs rôles se distinguent davantage. Moshé devient celui qui transmet la Torah, alors que les prérogatives de la prêtrise (Kéhouna) reviennent à Aharon. Or, pour l’heure, les deux frères semblent avoir un rôle similaire :
« Ce sont Aharon et Moshé, à qui Dieu dit: "Faites sortir les enfants d'Israël du pays d'Égypte, selon leurs légions." Ce sont eux qui parlèrent à Pharaon, roi d'Égypte, à l'effet de conduire hors d'Égypte les enfants d'Israël; ce sont Moshé et Aharon.» (Vaéra 6, 26-27)
Rachi rapporte une Tossefta : « Parfois Aharon est mentionné avant Moshé, d’autres fois Moshé est mentionné avant Aharon. C’est pour te dire qu’ils étaient équivalents ».
Cependant, il est étonnant que les deux frères soient placés sur un pied d’égalité, car d’autres versets de la Torah présentent explicitement Moshé comme ayant un niveau supérieur. En effet, comme le rappelle l’auteur du Torah-Temima, c’est lui qui monte chercher la Torah au mont Sinaï, la recevant directement de Dieu. De plus, l’écriture témoigne qu’aucun homme ne l’égale quant à son humilité (Bamidbar 12, 3), et à son degré de prophétie (Devarim 34, 10).
Dès lors, pourquoi parler d’équivalence entre les deux frères ?
Pour le Rav Baroukh Epstein, il est évident que Moshé a un niveau inégalé. Cette sentence de la Tossefta (citée par Rachi) cible un moment bien précis : celui de la sortie d’Egypte. Moshé en était l’acteur principal, alors qu’Aharon lui était accessoire. Cependant, en ce qui concerne le dialogue avec le Pharaon et les magiciens, Aharon semble être celui qui se met le plus en avant, Moshé apparaissant sur ce point comme son second.
Il aurait été possible de voir ainsi une complémentarité entre les deux hommes : En ce qui concerne l’action, Moshé est supérieur, mais en ce qui concerne la parole, c’est Aharon qui est plus important. Cependant, Rav Epstein repousse cette hypothèse en se fondant sur notre passage. En effet, il est écrit au verset 6 : « Ce sont Aharon et Moshé, à qui Dieu dit: "Faites sortir les enfants d'Israël du pays d'Égypte ». On voit qu’il est question ici de l’action (la sortie d’Egypte), or c’est Aharon qui est mentionné en premier. Puis au verset 7, le sujet change et l’ordre s’inverse : « Ce sont eux qui parlèrent à Pharaon, roi d'Égypte, à l'effet de conduire hors d'Égypte les enfants d'Israël; ce sont Moshé et Aharon ». Il est désormais question de la parole, mais Moshé est cité avant son frère.
Selon l’auteur du Torah-Temima, c’est précisément dans cette organisation des deux versets que se trouve la clef de l’idée d’une équivalence entre Moshé et Aharon. En réalité, les deux frères sont aussi compétents l’un que l’autre, pour agir comme pour parler. Néanmoins, Hachem a décidé d’un ordre. Il a demandé que Aharon soit la « voix » principale, et Moshé l’acteur de la sortie d’Egypte, davantage sur le devant de la scène.
En termes contemporains, on pourrait dire que le bon fonctionnement d’une bonne entreprise dépend davantage de la répartition des tâches en amont, que des qualités personnelles des acteurs.
Yona GHERTMAN
תורה תמימה הערות שמות פרק ו הערה יט
יט) במשנה כריתות ח' א' חשיב כמה דברים ששקולים הם ולא חשיב הא דאהרן ומשה וצריך באור למה, וי"ל דשם חשיב רק הדברים הנוגעים לדינא, וגם י"ל משום דבאמת לא יתכן לומר ששקולים הם ממש, שהרי באמת מצינו במשה ענינים נעלים שאין כמוהו בזולתו, כמו עלותו אל האלהים והיותו שם ארבעים יום וארבעים לילה וכו', וכן במדות מפורש אומר הכתוב והאיש משה ענו מאד מכל האדם אשר על פני האדמה דבכלל אלה גם אהרן, וכן אומר הכתוב ולא קם נביא עוד בישראל כמשה, וגם איתא בתוספתא מגילה פ"ג הקטן מתרגם ע"י גדול אבל אין כבוד שיתרגם גדול על ידי קטן שנאמר ואהרן אחיך יהיה נביאך, הרי דקרא למשה גדול לגבי אהרן, ולכן לא חשבה המשנה זה בין שאר הדברים שחשבה לשקולים ממש. ומה שאמרה התוספתא שקולים הם נראה לבאר הכונה בשנדקדק לשון הפסוק הזה הוא אהרן ומשה אשר אמר ה' להם הוציאו את בני ישראל מארץ מצרים, ובפסוק הבא הם המדברים אל פרעה מלך מצרים וגו' הוא משה ואהרן, והנה ידוע הוא דעיקר מתעסק בענין יציאת מצרים ע"י הקדוש ברוך הוא היה משה, ואהרן היה טפל לו, כמבואר בהמשך הפרשיות, וכנגד זה עיקר המתעסק בדבור פה עם פרעה ועם שריו וחרטומיו היה אהרן, כמפורש בפסוק ואהרן אחיך יהיה נביאך, ואהרן אחיך ידבר אל פרעה, ובפרט זה של הדבור היה משה טפל לו, ולפי"ז היה מהראוי שבענין תוצאת כללות הענין יוקדם משה לאהרן כעיקר לפני הטפל, ובענין פרט הדבור יוקדם אהרן למשה ג"כ כעיקר לפני הטפל. אבל באמת כתוב מפורש להיפך, ובוא וראה שבפסוק שלפנינו שבו איירי מעיקר המעשה בפועל כמ"ש אשר אמר ה' להם הוציאו את בני ישראל הקדים אהרן למשה, ובפסוק הבא דאיירי בענין הדבור אל פרעה שבזה היה אהרן עיקר הקדים משה לאהרן, וזה פלא, וזו היא הכונה ששקולים הם, כלומר שהיו ראויים שניהם להיות עקרים בשני המעשים, אלא שכך סידר הקדוש ברוך הוא, לזה המעשה ולזה הדבור: -
La famille en politique (Chemote)
- Le 07/01/2021
- Dans Parasha
Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima
Chemote : La famille en politique
« Yossef, tous ses frères et toutes cette génération mourut» Chémot 1, 6
Le Talmud ‘explique’ : « Pourquoi Yossef est-il mort avant ses frères ? Parce qu’il s’est comporté avec supériorité » (Brahot 55a).
Pour qui est habitué aux textes de la tradition, le renvoie est immédiat « les postes de pouvoir enterrent ceux qui les possèdent, et raccourcissent l’existence ». (Youma 86b)
S’agit-il de cela concernant Yossef ? Le Midrash (ChémotRabba sur ce verset) explique pourtant le contraire. Glosant le verset « Yossef était en Egypte » (Chémot 1.5), le Midrash explique que son mode d’être n’a pas varié au cours de son séjour égyptien « sa vie durant il est resté identique à ce qu’il était au départ : un simple esclave ». Il semble donc ne pas avoir abusé de sa position de pouvoir. Comment concilier ces deux textes ?
Une autre question plus contextuelle se pose : comment voir dans la narration de la mort de Yossef et ses frères une allusion à ce comportement de supériorité ?
Le Torah Tmima met ce texte en rapport avec un autre Midrash (Pirkei de Rabbi Eliézer § 29)
« A dix reprises, les frères de Yossef ont dit ‘notre père, ton serviteur’, sans que Yossef ne leur rétorque rien ». Dans le §44 de Béréchit, dans la longue diatribe finale de Yéhouda avant le dévoilement de Yossef, les frères témoignent du respect à Yossef en lui affirmant qu’eux même, et leur père sont ses serviteurs. Yossef alaissé les frères dire que leur père Yaakov était son serviteur. Voilà la supériorité qu’il a montrée. Il ne s’agit ni de dédain, ni même d’abus de pouvoir, mais une absence de protestation. Le comportement de Yossef en Egypte n’a donc pas varié au cours des années, il a su rester simple ; mais pour avoir laissé dire par dix fois la sujétion du père à son pouvoir, sa vie a été raccourcie de dix ans.
Imaginons la scène : les frères doivent du respect au ministre, ils le lui montrent. Que se serait-il passé si Yossef s’était dévoilé sans avoir entendu le discours de Yéhouda ? Rien. Son dévoilement a été motivé par son incapacité à contrôler ses émotions (Béréchit 45.1). Ce que le Midrash reproche à Yossef ce n’est pas sa stratégie, mais le fait qu’il renverse la véritable hiérarchie au profit d’une hiérarchie toute politique, en se prenant au jeu du pouvoir, mentalement. L’inversion de rapport du supérieur à l’inférieur aurait dû être à lui seul la jauge du dévoilement de Yossef.
Franck Benhamou
יוסף וכל אחיו
א"ר חמא ב"ר חנינא, מפני מה מת יוסף קודם לאחיו מפני שהנהיג עצמו ברבנות אפירש"י שמת יוסף קודם לאחיו דכתיב וימת יוסף וכל אחיו, עכ"ל. ונראה דאע"פ די"ל דהפסוק מספר סתם שמת יוסף וכל אחיו ולא בכונה שמת קודם להם, אך הענין הוא דאם לא אשמעינן הכתוב כונה מיוחדת בלשון זה ל"ל לאשמעינן כאן דמת יוסף הא כבר כתיב לעיל ס"פ ויחי וימת יוסף, וה"ל למימר וימותו [המה] וכל הדור ההוא, ודרשו שמת קודם לאחיו, דהוא חי מאה ועשר שנים, [כמבואר ס"פ ויחי] ואחיו ק"כ שנה [לא נתבאר המקור לזה] ונענש בזה מפני שהנהיג עצמו ברבנות, ולא נתבאר איפוא רמוזה הנהגתו זאת, אבל בפרקי דר"א פ' כ"ט מבואר דלכן נענש בהתקצרות החיים עשר שנים מפני ששמע מאחיו עשר פעמים שאמרו לו על יעקב עבדך אבינו ולא אמר להם מידי, ואע"פ שבתורה מבואר רק חמש פעמים מאמר זה (פעם א' בס"פ מקץ וד' טעמים בר"פ ויגש), אך הוא שמע ה' פעמים מהם וה' פעמים מהמליץ שבינותם.
וצ"ל דהוכרח הפדר"א לפרש דענין הנהגתו ברבנות היה רק דבר זה ולא הנהגה בכלל ברבנות ונענש בזה עפ"י מאמר חז"ל דהרבנות מקברת בעליה ומקצרת ימיו, יען שדרשו במ"ר ר"פ זו עה"פ ויוסף היה במצרים, ללמדך שאע"פ שזכה יוסף למלכות בכ"ז לא נתגאה על אחיו ועל בית אביו, וכשם שהיה קטן בעיניו מתחלה כשהיה עבד במצרים כך היה קטן בעיניו אחר שהיה מלך, ע"כ. הרי מבואר ההפך שלא נהג עצמו ברבנות כלל, ולכן ההכרח לפרש שחטא רק בזה ששמע מאחיו שאמרו על יעקב עבדך אבינו ולא אמר להם מידי, ותו לא, ודו"ק -
Vayigach, une parole de reproche, de colère et de tristesse
- Le 23/12/2020
Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima
Vayigach : Une parole de reproche, de colère et de détresse
לעילוי נשמת אב' מור' חיים בן צב' ז''ל
La paracha Vayigach commence par le magnifique plaidoyer de Judah : « Alors Judah s’avança vers lui [Joseph], en disant : « De grâce, seigneur ! que ton serviteur fasse entendre une parole aux oreilles de mon seigneur et que ta colère n’éclate pas contre ton serviteur ! Car tu es l’égal de Pharaon. […] Car comment retournerais-je près de mon père sans ramener son enfant ? Pourrais-je voir la douleur qui accablerait mon père ? » (Beréchit, Ch. 44, 18-34).
A ces mots, Joseph ne peut retenir son émotion. Il fait sortir ses serviteurs et dit à ses frères : « Je suis Joseph ; mon père vit-il encore ? » (Beréchit, Ch. 45, 3)[i]. Mais ses frères ne peuvent lui répondre « car il les avait frappés de stupeur » (Beréchit, Ch. 45, 3)[ii].
On pourrait penser que c’est la présence de celui qu’il pensait disparu par leur faute, et devenu vice-roi d’Egypte, qui est à l’origine de ce saisissement.
Or, nos Maitres, cités par l’auteur du Torah Temimah, expliquent que ce qui les a fait défaillir ce sont les paroles de Joseph, qui seraient des paroles de « réprimande, de reproche ».
« Malheur à nous si, sous le reproche d’un homme de chair et de sang il est écrit « ses frères ne purent lui répondre, car il les avait frappés de stupeur », qu’en sera-t-il sous le reproche du Saint Béni Soit Il ? »[iii].
Le Rav Baroukh Epstein s’interroge : « en quoi ces mots, « mon père est-il toujours vivant ? » sont-ils des mots de réprimande ? »[iv].
Il faut, explique-t-il, le comprendre ainsi : avec la détresse que les frères ont causé à leur père en lui faisant croire que Joseph était mort, comment pourrait-il être encore en vie ?
Ce sont donc des paroles de réprimande et de colère.
Mais cette explication ne satisfait pas tout à fait le Rav Baroukh Epstein. Il lui préfère le pchat tel que formulé par Rachi.« Mon père est-il toujours en vie ? » est une véritable question. Mais comment la comprendre, les frères n’ont-ils pas constamment fait référenceà leur père, sans jamais laisser supposer qu’il était mort ?
Tout simplement, explique-t-il, les frères n’ont-ils pas déjà menti en affirmant que Joseph était mort ? Peut-être est l’inverse, leur père est bien mort et ils mentent à Joseph de peur de sa réaction, comment savoir ?
Il s’agit alors de paroles de détresse et d’angoisse.
On retrouve cette même explication, un peu plus loin, quand les frères disent à leur père que Joseph est vivant. Son cœur ralentit dit la Torah car il ne les croyait pas (Beréchit, Ch. 45, 26). Pourquoi ? Car, nos Maitres, cités par l’auteur du Torah Temimah, l’expliquent : « telle est la punition du menteur, qui, même quand il dit la vérité, n’est pas cru »[v].
Là, encore, il y a eu mensonge et le fait de ne plus savoir si on peut faire confiance en la parole de l’autre, de ne pas pouvoir la croire,crée ladétresse et la souffrance.
Situation d’autant plus douloureuse que, comme l’explique le Rav Sacks z’’l, pendant tout le temps oùJoseph s’est trouvé en Egypte, il a pu nourrir des interrogations à propos des intentions de son père. N’est-ce pas lui qui l’aenvoyé à la rencontre de ses frères, ce qui a abouti à sa vente ? Aurait-il été abandonné par son père ? C’est ainsi que les commentateurs comprennent le nom qu’il donne à son fils : « Joseph appela le premier né Manassé « Car Dieu m’a fait oublier toutes mes tribulations et toute la maison de mon père » (Beréchit, Ch. 41, 51)[vi]. Le plus important dans l'esprit de Joseph était le désir d'oublier le passé, pas seulement la conduite de ses frères envers lui, mais "toute la maison de mon père". Pourquoi, sinon qu'il a associé «tous mes problèmes » non seulement à ses frères mais aussi à son père Jacob ».[vii]
Et, c’est en entendant le discours de Juda, qu’il comprend qu’il n’en est rien.Le désir de retrouver son père bien aimé éclate alors dans ces paroles « mon père est-il encore en vie ? ». L’urgence de cette parole est motivée par l’angoisse que, finalement, il serait peut-être trop tard.
C’est sans doute cette parole,tout à la fois, empreinte de colère et de détresse qui saisit les frères et fait défaillir leur âme.
Et c’est la parole apaisante de Joseph : « Et maintenant, ne vous affligez point, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes de m’avoir vendu pour ce pays ; car c’est pour le salut que le Seigneur m’y a envoyé avant vous » (Beréchit, Ch 45, 5) qui répare ce trouble physique et restaure le calme. De même, c’estla parole apaisante des frères« Alors ils lui répétèrent toutes les paroles que Joseph leur avait adressées et il vit les voitures que Joseph avait envoyées pour l’emmener » Beréchit, Ch. 45, 27) qui fait revenir à lui Jacob.
Une parole apaisante pour réparer les troubles que les mensonges ont créée.
Puissions-nous,à notre tour, être doués de cette parole réparatrice.
Noémi Leben
[i]וְלֹֽא־יָכֹ֨ל יוֹסֵ֜ף לְהִתְאַפֵּ֗ק לְכֹ֤ל הַנִּצָּבִים֙ עָלָ֔יווַיִּקְרָ֕א הוֹצִ֥יאוּ כָל־אִ֖ישׁ מֵעָלָ֑י וְלֹא־עָ֤מַדאִישׁ֙ אִתּ֔וֹ בְּהִתְוַדַּ֥ע יוֹסֵ֖ף אֶל־אֶחָֽיו׃
וַיִּתֵּ֥ן אֶת־קֹל֖וֹ בִּבְכִ֑י וַיִּשְׁמְע֣וּ מִצְרַ֔יִם וַיִּשְׁמַ֖ע בֵּ֥ית פַּרְעֹֽה׃
[ii]וַיֹּ֨אמֶר יוֹסֵ֤ף אֶל־אֶחָיו֙ אֲנִ֣י יוֹסֵ֔ף הַע֥וֹד אָבִ֖י חָ֑י וְלֹֽא־יָכְל֤וּ אֶחָיו֙ לַעֲנ֣וֹת אֹת֔וֹ כִּ֥י נִבְהֲל֖וּ מִפָּנָֽיו׃
[iii]רבי אלעזר כי מטי להאי קרא הוי בכי, אמר, ומה תוכחה של בשר ודם כתיב בה ולא יכלו אחיו לענות אותו כי נבהלו מפניו, תוכחה של הקב"ה על אחת כמה וכמה
[iv]ובמדרשים איתא בלשון זה, אוי לנו מיום הדין אוי לנו מיום התוכחה, יוסף קטן שבשבטים הי' ולא היו יכולים אחיו לעמוד בתוכתתו דכתיב ולא יכלו אחיו לענות אותו כי נבהלו מפניו, וכשיבא הקב"ה ויוכיח לכל אחד ואחד על אחת כמה וכמה, ע"כ, ואינו מבואר איפה מרומז כאן שהוכיחם יוסף.
ונראה בשנדקדק בכלל בשאלת יוסף העוד אבי חי, מה שאלה היא זו, והלא מכל המשך דבריהם אתו ראה וידע כי יעקב חי, וגם מה שייכות שאלה זו לאמרו אני יוסף.
ולכן י"ל דמה שאמר העוד אבי חי הוא כמתמיה ואומר, האמנם הי' בו כח לסבול משא יגונו וצערו מאבודתי עד שעוד חי הוא, והנה במעט דברים אלו די להם להאחים לקוט בפניהם על כל המעשה אשר עשו, ומבואר דבדברים אלו אמנם הוכיחם תוכחה נמרצה הראויה לעשות שרט בנפש החייבת בה, ודו"ק. –
וע"ד הפשט יש לכוין טעם השאלה העוד אבי חי, כי אחרי שראה שכחשו לו במציאות שלו [של יוסף] שאמרו עליו שהוא מת וכמש"כ רש"י בריש פרשה זו (פ' כ') שהי' להם טעם בזה, שוב לא הי' בטוח למה שאמרו עד כה שאביהם עודנו חי, שאולי הי' להם טעם גם בזה, אולי כדי שיעורר יוסף רחמים על זקנתו או טעם אחר, ולכן עתה בהתודעו שאלם עליו שיגידו האמת. .
(חגיגה ד' ב')[v] וַיַּגִּ֨דוּ ל֜וֹ לֵאמֹ֗ר ע֚וֹד יוֹסֵ֣ף חַ֔י וְכִֽי־ה֥וּא מֹשֵׁ֖ל בְּכָל־אֶ֣רֶץ מִצְרָ֑יִם וַיָּ֣פָג לִבּ֔וֹ כִּ֥י לֹא־הֶאֱמִ֖ין לָהֶֽם׃ א"ר שמעון, כך ענשו של בדאי שאפילו אומר אמת אין שומעין לו, שכן מצינו בבניו של יעקב, שנאמר [פ' וישב] ויכירה ויאמר כתונת בני היא, לפיכך באחרונה אע"פ שדברו אמת לא האמין להם, שנאמר ויפג לבו כי לא האמין להם
[vi]וַיִּקְרָ֥א יוֹסֵ֛ף אֶת־שֵׁ֥ם הַבְּכ֖וֹר מְנַשֶּׁ֑ה כִּֽי־נַשַּׁ֤נִי אֱלֹהִים֙ אֶת־כָּל־עֲמָלִ֔י וְאֵ֖ת כָּל־בֵּ֥ית אָבִֽי׃
[vii] Rabbi Jonathan Sacks, Covenant and conversation, 2009, p. 319
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L'erreur de l'homme brouille son chemin
- Le 19/12/2020
- Dans Parasha
Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima
L’erreur de l’homme brouille son chemin, et c’est contre Dieu qu’il s’emporte
Ce verset des Proverbes (19.3) semble remuer le fond de culpabilité qui git au cœur des hommes. Lorsqu’une personne faute, elle préfère s’en prendre à Dieu plutôt que de reconnaitre sa culpabilité. Leçon précieuse, leçon aussi qui montre bien le peu d’estime dans lequel l’auteur des proverbes tient les humains, mais aussi le deal qu’ils entretiennent avec Dieu : Dieu n’est toléré dans la vie des hommes que pour peu qu’Il ne révèle pas les erreurs que l’on fait.
« RabbiYohanan demanda au petit enfant de Rech Lakich, le contenu de ce verset ne se trouverait-il que dans les Proverbes ? Y aurait-il des sentences qui ne seraient pas allusionnées dans la Torah ? Et l’enfant de rétorquer : n’est-il pas écrit -lorsque les frères de Yossef découvrent au fond de leur sac que l’intégralité du prix de la marchandise achetée en Egypte a été reversée : « le frère qui trouva l’argent dans l’auberge (à leur retour d’Egypte) s’exclama ‘qu’est-ce que Dieu nous a fait ?’ (en reversant cette somme dans une de nos sacoches). » (Taanit 9a)
Tous les commentateurs pointent l’erreur fatale des frères qui les amène à s’emporter contre Dieu : la vente de leur frère, Yossef. C’est par exemple ce que dira le Maharcha (commentaire sur Taanit9a) sur le Midrash ici rapporté.
Pourtant quelques versets plus hauts les frères ont unanimement reconnu leur responsabilité quant à la vente de leur frère : « et nous voici coupables de n’avoir pas écouter la souffrance de notre frère alors qu’il nous suppliait » disaient-t-ils (42.21). Comment alors comprendre ce que dit le Midrsah : puisqu’il n’y a plus de culpabilité quant à cette vente, pourquoi ce verset illustre-t-il l’adage des proverbes ‘une erreur de l’homme brouille son chemin, et il s’en prend à Dieu » ?
Le Torah Tmima répond très simplement à cette question : l’erreur dont il est question ici, n’est pas liée à la vente de Yossef, le solde de leur action a déjà été liquidé.
C’est que, pour notre auteur, l’erreur des frères n’a pas à voir avec la grande tragédie de la culpabilité finie ou infinie de l’homme. Ce dont il s’agit c’est une erreur beaucoup plus prosaïque : les frères n’ont pas vérifié leurs sacs !
Ce qu’enseigne le Torah Tmima c’est qu’une toute petite erreur aussi engendre un raz de marée contre Dieu ! Plus, cette erreur n’a aucun rapport avec les exigences de la religion, mais tout à faire avec un manque de prudence.
Inutile donc d’attendre les grands monuments tragiques pour comprendre la culpabilité : dès qu’un homme sent -très lointainement- qu’il n’a pas fait ce qu’il devait faire, il est prêt à s’emporter contre Dieu.
A plusieurs reprises dans Béréchit, on peut assister à une critique en bonne et due forme du langage religieux. Dans cette même voie : un simple manque de prudence et c’est Dieu tout entier qui est critiqué ! Pour dire cela il faut être capable de dire que l’évocation du nom de Dieu, cache quelque chose. Mais pas la culpabilité plus ou moins ordinaire de la gente humaine. Ce qui est caché c’est la responsabilité que j’ai dans mes actes, dans les actes les plus banales de la vie quotidienne : dès lors que je ne fais pas preuve de prudence c’est Dieu qui est incriminé.
Comment comprendre le sens de cette remarque ? Pourquoi Dieu serait-il le grand criminel ? C’est Dieu qui est la source de l’intelligibilité du monde. De ne pas être prudent, on brouille son chemin, et même pour une broutille (ivélét) sans même qu’il soit question de culpabilité. Car au fond la prudence est commandée par Dieu, à chaque instant : il faut maintenir l’intelligibilité de son propre chemin en faisant preuve de prudence.
Comment l’enfanta-t-il pu être sensible à cela dans le verset ? Il me semble que tout se joue dans l’évocation du Nom de Dieu. Or ici l’audace qui consiste à évoquer Dieu, éveille l’oreille des Sages. On n’invoque pas le Nom de Dieu sans raison précise. Et c’est pour nous une leçon, une leçon d’écoute autant qu’une leçon de vie.
Franck Benhamou
תורה תמימה הערות בראשית פרק מב הערה ו
ו) עיין בחא"ג שפירש שענין האולת הוא המעשה בכלל ממכירת יוסף אשר על כן נענשו, ותמה על זה, הלא מפורש איתא בענין הפרשה שאמרו אבל אשמים אנחנו על אחינו וגו', הרי שתלו האשמה בהם, וכן מורה מאמרם ליוסף, האלהים מצא את עון עבדיך, ועיי"ש שטרח מאד ליישב הענין, ואין הדברים מרוחים כלל כפי שיתבאר למעיין. והנה אמנם גם מרש"י כאן מבואר שהאולת הוא ענין מכירת יוסף, וכ"ד כל המפרשים, אבל לפי"ז יקשה עוד ששמשו לזה הלשון אולת, דיותר הי' נאות לזה הלשון חטאת אדם. ועוד יש להעיר הרבה בפי' זה כפי שימצא המעיין. אבל לדעתי הפירוש האמת והברור הוא כמ"ש במדרש לקח טוב המכונה פסיקתא זוטרתא בפרשה זו, וז"ל, מה זאת עשה אלהים לנו, זהו שאמר הכתוב אולת אדם תסלף דרכו ועל ה' יזעף לבו, שהי' להם לראות שקיהם קודם שיצאו משם אם חטים נתנו להם או שעורים, עכ"ל, ור"ל שאם היו רואים מה נתנו להם היו רואים את הכסף שבפי השקים והיו משיבים תיכף ונצולים מן הצער, ובזה הכל מבואר, ולמותר האריכות. וראה איך יתיישב לפי"ז בישוב טוב ונכון דקדוק נמרץ בפרשה, שהרי מבואר כי כולם מצאו כספם כבואם לביתם, כמש"כ ויבאו אל יעקב אביהם וגו' ויהי הם מריקים שקיהם והנה איש צרור כספו בשקו ויראו וגו' המה ואביהם וייראו, ובספרם אח"כ ענין מציאה זו לפני האיש אשר על בית יוסף אמרו ויהי כי באנו אל המלון ונפתחה את אמתחותינו והנה כסף איש בפי אמתחתו, ואינו מבואר לכאורה לאיזו כונה שינו לספר שמצאו הכסף בהיותם במלון ולא בבואם לביתם כאשר כן הי' באמת, אך לפי מש"כ הענין מבואר מאד, יען כי בושו לומר שנואלו להמתין בבדיקת השקים עד בואם לביתם, אשר כן לא יעשה, ולא יכלו לומר כי עודם במצרים בדקו, יען כי אז הי' קשה למה לא השיבו תיכף, לכן הגידו שבמלון הראשון בדקו ומצאו, ודו"ק: