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  • Sentiment religieux et narcissisme

    Cycle : La parasha d’après le Netsiv*

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Sentiment religieux et narcissisme

     

    La paracha de Chémini s’articule en deux thèmes : d’une part l’intronisation du petit temple portatif[1] (le Michkane)  et d’autre part les lois relatives aux animaux purs et impurs[2] (la cacherout). Ces deux parties sont reliées par l’histoire de la mort des enfants d’Aaron, morts d’avoir apporté un « feu étranger qui n’a pas été commandé par Dieu »[3]. Cette note dramatique qui a marqué le point culminant du stationnement des Bné Israël au pied du mont Sinaï semble être anecdotique, une erreur certes fatale mais liée à la personne des deux jeunes hommes.

    Pour le Nétsiv, le feu étranger est une image de l’embrasement du cœur des deux hommes, la  métaphore de leur amour de Dieu[4]. Il fait aussi remarquer[5] que les sages ne se sont pas contentés de la faute explicite de Nadav et Aviou, mais qu’ils en ont rajouté[6] d’autres: certains disent qu’ils étaient en état d’ébriété, d’autres encore qu’ils n’avaient pas les vêtements requis par les prêtres pour le service. Pourquoi faire porter une culpabilité supplémentaire aux  deux hommes ?  Le Nétsiv répond ainsi : les deux hommes n’ont pas voulu agir en tant que prêtres mais en tant qu’hommes, ils n’étaient donc pas tenus –selon eux- par les règles du service des prêtres[7]. Par cette remarque, le Rav Berlin montre qu’il ne faut pas lire ce texte comme voulant jeter l’opprobre sur les fautifs : il s’agit d’exprimer que cette faute n’est pas qu’une question de prêtres, et chacun peut être amené à ce type de comportement. Il n’y a pas eu d’erreur, mais une volonté délibérée d’aller « plus loin, plus haut, plus près » de Dieu. Erreur qui n’est pas uniquement l’apanage de prêtres trop zélés. Mais une question reste en suspens : certes Dieu a montré qu’il ne voulait pas qu’on le serve ainsi, mais pourquoi ? Pourquoi finalement cet acte qui s’origine dans un sentiment élevé se trouve être sanctionné ?

    Pour le comprendre il faut lire le début du commentaire du Nétsiv sur cette paracha. Alors que le peuple se tient devant le Michkane, Moché s’adresse à eux : « voici la chose que Dieu ordonne afin qu’apparaisse la Gloire »[8]. Le commentateur introduit son propos par une question : « ce verset réclame son explication, car tout a été fait [en vue de ce jour d’inauguration], que devait-on encore faire ? ». Pour répondre à cette question il cite un commentaire fort ancien[9] : « Moché dit au peuple : enlevez cette inclination vers le mal, afin d’être tous dans la même crainte, le même effort pour servir le Souverain. De même qu’il est unique, ainsi devra être votre service devant Lui ». Le Nétsiv s’étonne de ce texte, et c’est à partir de cet étonnement que l’ensemble du thème va prendre sens. Il fait remarquer que cette glose ancienne ne semble s’appuyer sur aucun élément textuel du verset qu’il prétend commenter. Là où d’autres verraient « les discours apologétiques de docteurs du Talmud », le Rav va prendre ce texte au sérieux. Il montre qu’à d’autres moments les juifs étaient emplis d’un amour pour Dieu, celui-ci était contenu jusqu’à présent, mais en ce jour si décisif, celui où la Gloire divine devait se dévoiler au peuple, il paraissait naturel d’exprimer ce sentiment. Or Moché précise qu’il n’y avait rien de plus à faire, tout était là, et ce qu’il fallait assumer c’était une barrière, une limite à la proximité avec le divin : il n’y avait plus rien à faire, à un moment il n’y a plus rien à faire ! Le désir de s’approcher plus se mute en une inclination vers le mal.

    La loi ne viendrait-elle que castrer le sentiment religieux ? Voilà la question qui se pose spontanément. Et le Nétsiv, sans la poser dans des termes modernes, répond : « et quoi, chacun pourrait s’approprier la Torah ? La volonté divine serait-elle de créer des clans et des castes ? ». Ce qui pourrait se comprendre ainsi : une paroi fine sépare le sentiment religieux du narcissisme. Ce fait est largement reconnu en psychologie[10].  Le basculement est rapide. La question qui se pose est donc celle du critère : comment savoir si je suis en face d’un sentiment qu’il faut développer et encourager, ou suis-je en face d’un miroir dans lequel la religion n’est qu’un objet pour me permettre de me valoriser ? La réponse est simple : est-on encore dans la loi ? C’est une réponse, malgré sa forme interrogative : c’est à répondre à cette question que l’on peut discriminer le sentiment religieux d’un miroir valorisant.

    Qu’on nous permette une remarque à partir de ces quelques réflexions : en effet, le Rav Berlin brandit la loi comme limite au narcissisme, mais en quoi est-elle une limite ? Ne peut-on être pratiquant et rempli de soi même?  La fin du chapitre 10 de Vayikra se termine par une histoire si curieuse que les exégètes non talmudistes se gardent bien de commenter : on y voit Moïse faire une remontrance quant au déroulement des évènements de ce jour saint bousculé par la mort des deux jeunes hommes ; et s’installe un dialogue entre Moïse et Aaron, « Certes, aujourd'hui même ils ont offert leur expiatoire et leur holocauste devant le Seigneur, et pareille chose m'est advenue; or, si j'eusse mangé un expiatoire aujourd'hui, est-ce là ce qui plairait à l'Éternel? »[11] Sans entrer dans le détail de l’argumentaire qui prend une bonne page de petits caractères dans le Har’hev Davar, il est à noter que le prophète, qui semble être lui-même le garant de la loi, s’est trompé ! Car la conduite à tenir en un tel cas n’avait pas été proférée par Dieu, il fallait donc raisonner, et sur ce plan Moïse ou Aaron sont égaux. « Moïse entendit  », l’argument d’Aaron conclut le verset. Peut-être faut-il voir dans la relation de cet épisode, qui vient clore les chapitres de l’érection du Michkane, une allusion: ce n’est pas tant la loi qui vient garantir la frontière entre narcissisme et sentiment religieux, mais son élaboration rationnelle et dialectique[12]. « Moïse entendit, et la chose lui parut bonne ! »

     

    Franck Benhamou

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte en hébreu :

    וישימו עליה קטרת. עליהן מיבעי וכמו שכתוב בעדת קרח ותנו בהן אש ושימו עליהן קטרת. וע׳ רמב״ן. ונראה דבאמת לא נכנסו שניהם בישוב הדעת זה עם זה. וכדתניא בת״כ איש מחתתו. איש מעצמו ולא נטלו עצה זה מזה. ומש״ה כשבאו לפנים ומצאו זה את זה הוחלט בדעתם שלא יקטירו שניהם כאחת אלא אחד מהם יקטיר והשני היה מסייע לו מש״ה כתיב עליה. וע׳ במדבר ג׳ ד׳ רמז עוד לזה:

    אש זרה אשר לא צוה אותם. אין הלשון מדויק שהרי אסור היה להביא אש זרה ואיך שייך לומר אשר לא צוה דמשמע שלא נזהרו ע״ז ג״כ. וע׳ מש״כ בעה״ט. ובדרך דרש הנזכר בהר״ד. שנכנסו מאש התלהבות של אהבת ה׳ ואמרה תורה דאע״ג דאהבת ה׳ יקרה היא בעיני ה׳ אבל לא בזה הדרך אשר לא צוה וכמש״כ לעיל בשם הת״כ עה״פ ויאמר משה זה הדבר וגו׳:


    [1] Vayikra §9 et 10.

    [2] Vayikra §11.

    [3] Vayikra 10.1-2

    [4] Commentaire sur Vayikra 10.1

    [5] Dans le Ar’hev Davar, super-commentaire de ce même verset.

    [6] Voir Rachi Ibid.

    [7] C’est pourquoi ils n’ont pas porté volontairement les vêtements requis par le service, et tout aussi volontairement ils n’ont pas fait attention à ne pas consommer de boisson alcoolisée en entrant au Temple.

    [8] Vayikra 9.6.

    [9] Torat Cohanim http://www.hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=35352&st=&pgnum=202&hilite=

    [10] Voir entre autres Malaise dans la civilisation de Freud.  

    [11] Vayikra 10.19.

    [12] Les éditions courantes signalent que les mots « daroch darach » (interprète) situés au début de cette curieuse méprise de la part de Moché, forment l’exact milieu de la Torah en termes de mots ! Peut-être est-ce là son point d’équilibre ! 

  • Pourim selon le Netsiv

    • Le 28/03/2016

    La fête de Pourim selon le Netsiv

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    En appendice à son commentaire sur le livre de Shemot, le Netsiv a écrit un court commentaire sur la mégila. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un commentaire sur la mégila elle-même mais, pour reprendre le titre donné par le Netsiv lui-même « Explication générale du miracle de Pourim ».

    Cette explication fait écho à un commentaire du Netsiv sur une parasha précédente qui lui sert de « porte d’entrée » à son commentaire sur Pourim.

    Ce commentaire, bien que court, est très dense. Nous n’en présenterons donc qu’un extrait….

    En fin de son explication sur parashat-bo, une longue note dans le « arh’ev-davar[1] » s’attache à expliquer une image qui revient régulièrement chez nos Sages  - la comparaison de la Torah à un glaive.

    Un glaive possède deux fonctions, nous explique le Netsiv. L’utilisation en temps de guerre est évidente, il sert à partir au combat. Mais, en temps de paix, le glaive qui orne les ceintures dans son étui est un bijou : il couvre de gloire celui qui le porte et inspire le respect chez ceux qui le voient…

    Ces deux fonctions du glaive, le Netsiv les retrouve dans la Torah : la Torah du temps de paix - le glaive dans son étui magnifique- est la Torah écrite ; la Torah du combat –le glaive hors de son fourreau- symbolise la Torah orale.

    La Torah écrite est comme ce glaive qui n’est qu’ornement : il n’est nul besoin de le sortir ; le simple manche qui dépasse du fourreau est déjà la marque de la noblesse pour celui qui le porte.  En quoi cela est-il spécifique à la Torah écrite ? Le Netsiv ne l’explique pas… Peut-être se réfère-t-il au fait que les paroles des Prophètes jouissent d’une aura certaine chez les Nations ? Le message de la Bible est, s’il n’est pas applique par tous, unanimement respecté… L’image de ce glaive ornant les ceintures amène le Netsiv à faire une seconde réflexion. Le rapport même à cette Torah est différent - le Netsiv le nomme un « rapport contemplatif » : les paroles des Prophètes ont une dimension d’infini qui font que leur étude ne peut se faire par le décorticage minutieux seul, mais par une « distance » préservant cette immensité[2]… Il est comme ce glaive qui n’est pas manipule ni brandi, mais qui reste à nos ceintures un noble apparat.

    Cette période propre à la Torah écrite prend fin, selon le Netsiv, avec la destruction du Premier Temple ; c’est d’ailleurs, historiquement, la fin de la parole prophétique.  Des lors, avec l’éloignement du centre spirituel qu’était le Temple, l’absence relative de la présence divine, commence une nouvelle ère : une ère durant laquelle il faut combattre, il faut … dégainer son glaive ! Commence l’âge de la Torah orale. Cette image du combat qu’est l’étude est une image chère au Netsiv – l’étude est un combat contre le texte (cela n’est plus le « rapport contemplatif » décrit plus haut), un combat contre l’extérieur dans une époque ou, loin du centre spirituel, les évidences se font … moins évidentes.

    Ces deux époques,  ces deux rapports à l’étude, représentés par le glaive -en son fourreau ou dégainé- étant définis, le Netsiv entame son commentaire sur Pourim.

    Un passage du traité Shabbat 87A décrit de manière étrange le don de la Torah : selon ce passage, Dieu aurait acculé les Bne-Israel à accepter la Torah en les menaçant d’écraser le Mont Sinaï sur eux, s’ils refusaient… Le passage est étonnant à plus d’un titre, et il continue de manière non moins étonnante : « si l’acceptation du Sinaï s’est faite dans la contrainte, elle fut ré-exprimée, cette fois  de manière volontaire, au temps de Pourim »…. Ainsi la Torah aurait été « dans l’attente » depuis le Sinaï jusqu'à l’époque d’Assuérus ?! Ce passage a bien évidemment fait couler beaucoup d’encre chez nos commentateurs. Et, il sert de porte d’entrée au Netsiv pour parler de l’histoire de Pourim…

    Ce dernier commence par citer une  parallèle à ce texte, apparaissant dans le Midrash-Tanhouma[3]. Dans ce texte, le midrash continue «  si la Torah écrite fut acceptée au Sinaï, la Torah orale quant à elle, est restée « dans l’attente d’acceptation » jusqu'à l’époque de Pourim »… Ainsi, la fête de Pourim annonce, en déduit le Netsiv, une nouvelle ère, l’ère de la Torah orale, de la fin de la prophétie, l’ère durant laquelle il faut dégainer le glaive de l’étude…. 

    Fort de ces introductions, le Netsiv continue sa lecture de l’histoire de Pourim. Il continue, mais quant à nous, nous préférons nous arrêter, pour cette année tout au moins.

    Pourim sameah’

     

    Benjamin Sznajder

    Retrouvez le texte en hébreu 

    [1] Le “Arh’ev-davar” est une sorte de meta-commentaire ecrit par le Netsiv lui-meme sous forme de notes de bas de page.

    [2] Ces considérations sont courantes chez le Netsiv – nous les avons déjà rencontrées (dans une formulation différente) dans son commentaire sur Tetsave.

    [3] Parashat Noah

  • Moché : entre transmission et innovation

    • Le 22/03/2016

    Cycle : La parasha d’après le Netsiv*

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

    Moché : entre transmission et innovation

     

    Au début du huitième chapitre de Vayikra, Moché reçoit les ordres divins relatifs à la cérémonie d’intronisation des cohanim. Mais étrangement, juste à la suite de ces instructions, le verset 5 enseigne : " Et Moché dit à l'assemblée: telle est la chose qu'a ordonné Hachem  de faire". Le Netsiv relève l'incongruité de cette phrase.  Moché vient d'être destinataire de ces ordres, comme en témoigne la Torah. Pourquoi faut-il alors préciser à nouveau que leur mise en œuvre se fait en conformité avec la volonté divine ? Cela parait évident !
     Le Rav Berlin explique ainsi : Moché insiste sur la conformité de ses actes à  la volonté divine au moment même où il les réalise, parce qu'à ce moment-là les Bnei Israel pourront constater des différences entre le sens obvie des versets et leur mise en pratique, chose qu'ils pourraient avoir du mal à comprendre. C’est pour cette raison que Moché insiste: mes actes sont conformes aux prescriptions d'Hachem ! Tel est ce que Dieu m'a ordonné oralement.  C’est la raison pour laquelle l'expression : "comme Hachem l'a ordonné" est récurrente dans ces passages. Moché fait ici œuvre de pédagogie, montrant eux enfants d’Israël la place qu'occupe la Torah orale dans la réalisation des commandements. Là où ils auraient pu croire à une distanciation du sens des commandements, tels qu'ils ont été énoncés dans la Torah écrite, Moché leur montre que seule la concrétisation de ces commandements telle que l'enseigne la Torah orale, est à même de permettre de réaliser la volonté divine.
    Au dernier verset de cette même paracha,  nous retrouvons la même thématique : "Aharon et ses fils firent toutes les choses ordonnées par l'Eternel par la main de Moché". Le Netsiv indique que les termes "ordonnées par l'Eternel" font allusion à une transmission orale. Mais cela va plus loin, en effet les termes "par la main de Moché" ajoutent une autre dimension. La Guemara, dans le traité Kritout (13) nous indique (à propos de Vayikra 10/10) : "par la main de Moché" : il s'agit de la Guemara". D'après le Netsiv, il faut entendre ici le terme "Guemara"  comme : ce qui est innové par la force de la déduction et du raisonnement  (pilpoul), force possédée par  Moché. C'est le sens des termes " par la main de Moché", ce que Moché dévoile de lui-même. C'est ici aussi le sens de ces mots. C'est à dire que les modalités des commandements détaillés dans notre paracha  n'étaient pas explicitées dans la tradition orale qui les accompagnaient,  mais que leurs détails ont été précisés par Moché, qui a su les a déduire par la force de son étude. Il y a donc ici trois axes de la révélation ; ce qui est explicite, c'est à dire le verbe divin tel qu'il se révèle à nous, la Torah écrite. En second lieu, la tradition orale, qui accompagne cette Torah écrite. Mais cela ne s'arrête pas là. Fait intégralement partie de cette révélation, ce que l'homme va faire de celle-ci, ce que son étude acérée, acharnée, va lui permettre d'y déceler, comme Moché lui-même nous en donne l'exemple. L'homme n'est pas un simple récipiendaire mais il est celui qui la fait fructifier et qui lui permet de se renouveler chaque jour.  C'est le sens de cet enseignement du Netsiv.

     

    David Scetbon

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

  • La parasha selon le Netsiv, Vaykra

    • Le 16/03/2016

    Cycle : La parasha d’après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Vayikra, nouveau livre, nouvel arc

     

     

    Le Tabernacle est enfin érigé, inauguré. L’appel de Moshé Rabbénou par D., qui marque le début de cette Paracha et de ce nouveau livre sonne comme une invitation à Le servir, par le biais de cet édifice reliant le peuple juif à Son créateur.

    L’une des sections de notre Paracha, 4ème chapitre, verset 13, parle du Sacrifice expiatoire de la communauté. Si toute la communauté d’Israël commet une transgression involontaire sur l’un des commandements négatifs de la Torah, alors « elle portera une culpabilité ».

    Rachi nous précise que nous faisons ici allusion aux « Yeux du peuple », à savoir le Sanhédrin.

    Le terme employé par le verset pour nous parler de la culpabilité du peuple est « ואשמו ».

    Le Netsiv, dans son commentaire sur place, nous enseigne que le sens du mot אשם, coupable, dans ce contexte, implique une certaine compréhension et un discernement de la culpabilité - comme le langage usité dans Zacharie 11-5 « qu’ils ont acheté pour les tuer et ils ne seront pas lavés de leur culpabilité ».

    Idée soulevée également par Rachi plus bas, sur le verset 5-23 « Ce sera lorsqu’il fautera et sera coupable », à savoir lorsqu’il va reconnaitre sa faute, pour se repentir, qu’il a l’intention de confesser sa faute et d’assumer sa culpabilité.

    Donc, quand l’instance suprême de la communauté d’Israël émet un jugement erroné, le terme ואשמו renvoie à un devoir de compréhension de leur faute inintentionnelle de leur enseignement, cette reconnaissance pouvant également l’être par l’intermédiaire d’un tiers qui pourrait leur faire comprendre où se situe leur erreur.

    Cependant, relève le Nestiv, quelques versets plus loin, la Paracha parle également de la faute involontaire du Nassi (c’est-à-dire, selon Rachi, le roi) et ensuite de celle de l’individu. Pour ces deux cas, la Torah a marqué clairement ואשם או הודע, « et devient coupable, s’il est porté à sa connaissance sa faute », alors que pour la transgression collective ואשמו est suivi de ונודעה, « quand la faute sera connue », le « si » exprimant une condition restrictive ayant été remplacée par la correspondance temporelle « quand », à un moment où elle sera inéluctable.

    La différence, continue le Netsiv, est que la faute d’un enseignant peut-être clarifiée seulement à l’aide d’une preuve ferme. Et encore, cela peut être insuffisant, s’il décide de s’entêter et de ne pas reconnaitre la vérité, alors aucune preuve ne suffira. Alors qu’a contrario pour le Nassi ou le quidam, le mot הודע est employé à la forme passive, afin de bien signifier que la prise de conscience de la faute par lui-même, subitement, sans l’impératif d’une démonstration ferme, demeure possible.

    Ainsi, conclut le Netsiv, même la prise de conscience par l’autre passe tout d’abord par soi-même. Même le Grand Sanhédrin, Moré Horaa par excellence, peut faillir et se tromper. Et là se situe un piège dans lequel il ne faut pas tomber, le piège de l’orgueil amplifié par le rang social.

    Malgré les apparences, l’enseignement du Nestiv demeure actuel chez chaque personne amenée à se trouver dans la position d’enseignant. Il résonne comme un appel à ne pas se laisser emporter par ses sentiments et par sa position, et à accepter ses propres failles, afin de pouvoir reconnaitre sereinement ses torts et ne pas céder aux sirènes de l’orgueil et du pouvoir.

     

    Elie DAYAN

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

     

    Le texte dans son intégralité :

    ואשמו. ונודעה וגו' – משמעות ואשמו בכל הענין שיבינו וישכילו שהמה אשמים בדבר כמו לשון הנביא זכרי' י"א ה' אשר קוניהן יהרגון ולא יאשמו. פי' שלא יראו עצמם אשמים כלל. והכי פרש"י להלן ה' כ"ג על המקרא והיה כי יחטא ואשם כשיכיר בעצמו כו' והכי הפי' כאן. ואמר המקרא או ואשמו. שיבינו מעצמם ששגו בהוראה. או ונודעה ע"י אחרים שיבינו וישכילו להם כמה שגו ברואה פקו פליליה. ובנשיא והדיו' כתיב כפירוש ואשם או הודע וגו' וכאן לא כתיב בפירוש או משום דואשמו נמשך גם להא ונודעה. שהרי שגגת הוראה לא יכול אדם להראות בירור גמור על פי בחינה שטעו אלא עפ"י הוכחה שכן הוא ואם לא יהיו רוצים להודות על האמת לא תועיל שום הוכחה דעל כל הוכחה אפשר להתעקש ולא יעמדו על המכשלה אם לא שיודו על האמת ויראו שאשמו. נמצא דגם ידיעתם על ידי אחרים בא לבסוף ע"י עצמם משא"כ בשגגת מעשה א"א להכחיש את הרואה ויודע שחטא.

  • La pureté de l'acte

    • Le 07/03/2016

    Cycle : La parasha d’après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    « La pureté de l’acte »

     

     

    ParashatPekudei (Exode 38 :21 – 40 :38)

     

    Le Mishkan (Tabernacle), qu’est-ce donc ?

    La parasha pekoudei nous amène à la fin du sefer Shemot en répétant certaines étapes clés de la construction du Mishkan.

    Selon le Netsiv sur les derniers versets de la parasha, le mot Mishkan est l’expression de la résidence de Dieu dans cet édifice (mishkan, de la racine hébraïque S.H.K.N – résider).

    La Torah répéterait-elle, gratuitement, cet épisode qui nous a occupés lors des sections précédentes ?

    Toute cette construction n’est là que pour mériter de faire descendre cette présence dans le monde !

    Comment cela fonctionne-t-il ? Comment Dieu, dans Son immensité, peut-il choisir une résidence matérielle, qui plus est, façonnée par la main de l’homme ?

    Essayons d’analyser cette question au travers de quelques indices laissés par le Netsiv tout au long de son commentaire.

    Chemot 39:5

    « La ceinture servant à le fixer faisait partie de son tissu, était ouvragée de même : or, azur, pourpre, écarlate et lin retors, comme l'Éternel l'avait prescrit à Moïse. »

    « Comme l’Eternel l’avait prescrit à Moïse » - Le Netsiv enseigne que cette locution semble superflue car dans les sections précédentes elle ne s’y trouve pas. Elle indique un changement depuis l’ordre donné par Dieu :

    C’est Betsalel (l’artisan en chef du Mishkan) qui a fait cela selon sa propre compréhension de l’ordre originel. Ce que Betsalel n’a pas entendu directement de la bouche de Moshé, il l’a fait selon sa propre compréhension et de sa propre initiative. La torah atteste ici que cette compréhension est le reflet scrupuleux du détail de l’ordre donné à Moshé !

    Chemot 39:7

    « On les ajusta sur les épaulières de l'éphod, comme pierres de souvenir pour les Israélites, ainsi que l'Éternel l'avait ordonné à Moïse »

    Dans le verset précédent (Ex. 39 : 6) le Netsiv dit qu’au moment où l’ordre a été donnée la conception des pierres était englobée dans celle du ephod alors qu’ici nous avons des versets spécifiques pour ces pierres. Et il ajoute :

    Ces pierres éveillent le mérite lié au service divin et amènent la subsistance pour Israël.

    Néanmoins, lors des différentes étapes dans le désert, les enfants d’Israël recevaient leur subsistance de leur attachement et leur investissement dans la Torah.

    Betsalel, qui était lui-même attaché corps et âme à la Torah, a forgé un nouveau souvenir ('zikaron' dans le langage du Netsiv) dans la subsistance liée à l’investissement dans la Torah. Cette innovation dans la compréhension des « pierres de souvenir » (qui n’existaient donc pas au moment de la réception de l’ordre), nous la devons à Betsalel ; ce verset a été écrit pour lui et vient donc caractériser un peu plus son œuvre.

    Notons que ce verset se termine lui aussi par « comme l’Eternel l’avait ordonné à Moïse » !

    Chemot 39:21

    « On assujettit le pectoral en joignant ses anneaux à ceux de l'éphod par un cordon d'azur, afin que le pectoral soit maintenu sur la ceinture de l'éphod et n'y vacille point, ainsi que l'Éternel l'avait prescrit à Moïse. »

    Là encore, le Netsiv poursuit son idée : « Comme l’Eternel l’avait prescrit à Moïse » est là pour marquer une nouveauté, agréée par Dieu lui-même, dans la conception de l’acte.

    Quelle est la spécificité de l’acte de Betsalel ? Pour le comprendre, lisons le commentaire du Netsiv sur Exode 19 : 2.  Y est citée l’histoire bien connue de Rabbi Hiya, tirée du traité Talmud (Baba Metsia 85b) :

    Alors que Rabbi Hanina et Rabbi Hiya étaient en discussion, Rabbi Hanina dit à Rabbi Hiya : Si, que Dieu préserve, la Torah venait à être oubliée d’Israël je la restaurerai par mon propre argumentaire, ce à quoi, Rabbi Hiya lui répondit : Entrerais-tu en discussion avec moi qui ai accompli que la Torah ne soit pas oubliée d’Israel ? Qu’ai-je fait ? J’ai planté moi-même du lin, pour en faire des cordes, qui m’ont permis de faire des filets, qui m’ont permis d’attraper des cerfs dont j’ai donné la chair à des orphelins, et dont j’ai préparé des rouleaux de Torah à partir de leur peau sur lesquels j’ai écrit les cinq livres de Moshé. Je suis ensuite venu dans une ville pour enseigner ces cinq livres à cinq élèves et les six ordres de la Mishna a six autres élèves en leur demandant de se les enseigner respectivement, et c’est ainsi que j’ai préservé Israel de l’oubli de la Torah. […] Combien sont grands les actes de Rabbi Hiya ! »

    Le Maharcha précise dans son commentaire sur cette guemara que si tous ces actes n’étaient pas vraiment nécessaires (il aurait pu acheter des cerfs, ou bien même des filets déjà prêts), Rabbi Hiya a voulu graver un caractère de sainteté et d’exclusivité (tout est fait leshem shamayim, pour la gloire du Ciel) dans l’ensemble de son œuvre, afin que son enseignement devienne le reflet de ce caractère sacré. Combien est grande une œuvre entièrement dévouée à Dieu, parfaitement « leshem shamayim », un enseignement pétri d’une intention pure ne peut que mener à une réalisation parfaite.

    Voilà le but véritable de Betsalel, forger un caractère sacré dans la demeure de Dieu.

     

    Chemot 25:8

    « Et ils me construiront un sanctuaire, pour que je réside au milieu d'eux »

    Rachi sur ce verset dit : « ils me construiront un sanctuaire » ; qu’ils fassent, pour mon nom, une maison de sainteté.

    Grâce à sa compréhension profonde des exigences de cette mission, Betsalel a voulu graver, comme Rabbi Hiya plus tard, une sainteté intrinsèque à l’édifice du Tabernacle. C’est cette sainteté qui permet de comprendre le choix de Dieu de venir résider dans une demeure physique, parmi les hommes.

    C’est selon moi, la clé de compréhension du commentaire du Netsiv sur Shemot 39, 32 :

    « Ainsi fut terminé tout le travail du tabernacle de la Tente d'assignation ; les Israélites l'avaient exécuté en agissant, en tout point, selon ce que l'Éternel avait enjoint à Moïse. »

    Les enfants d’Israel ressentaient un désir intense de vivre l’établissement de la Présence Divine dans le Tabernacle. On aurait pu croire que ce désir les pousse à vouloir faire plus que ce qui était demandé. La Torah témoigne ici, qu’ils se sont restreints à faire uniquement « ce que l’Eternel avait enjoint à Moïse ».

    L’acte lui-même était limité à l’ordre, mais l’investissement et la sainteté investis dans cette construction ont été entiers, voilà comment faire résider la Gloire de Dieu !

    Plaise à Dieu que nous puissions nous aussi, faire briller dans chacun de nos actes, une sainteté profonde et véritable ainsi qu’une intention pure afin de prouver l’authenticité de notre démarche, ainsi nous aurons nous aussi le mérite de voir la présence divine résider parmi nous.

    Raphael Abitbol

     

    *  R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

     

  • L'intelligence émotionnelle

    • Le 02/03/2016

    Cycle : la Parasha selon le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a
     

     

    L'intelligence émotionnelle

     

    Les sections de la Torah traitant de la construction du michkan – Tabernacle – parlent de personnes – les 'hakhmé lev – possédant un certain type de sagesse. Cette sagesse est la qualité requise pour être un artisan du michkan. Cette expression, 'hakham lev, est difficile à traduire. Elle est composée de deux mots, 'hakham qui veut dire « sage, intelligent » et lev qui signifie « cœur » et se réfère aux émotions de manière plus générale. Le 'hakham lev serait donc pourvu d’une sorte d’« intelligence émotionnelle ». Comment comprendre cela, il semblerait que ce soit deux mots antinomiques que l’on a associés ?

    Le Netsiv exprime cette question à plusieurs endroits. Entre autres dans son commentaire sur Chémot 31:6 :

    קשה לשון "כל חכם לב" - והרי כוח השכל אינו בלב, אלא משכנו במוח.

    L’expression « tout 'hakham lev » est difficile – car en effet, l’intellect n’est pas dans le cœur, mais son siège est dans le cerveau.

    Pour saisir le sens de cette expression, il faut chercher des indices dans le texte de la Torah. Y-a-t-il des passages où le texte donne des indications de la manière dont il faut comprendre cette expression ?

    Le Netsiv en voit deux. Voyons déjà le premier (Chémot 31:6) où D.ieu dit : « וּבְלֵב כָּל-חֲכַם-לֵב נָתַתִּי חָכְמָה » - « dans le cœur de chaque ’hakham lev, J’ai placé de l’intelligence ». Cette phrase nous apprend que D.ieu a donné de l’intelligence à celui qui était déjà pourvu d’« intelligence émotionnelle » ou 'hakham lev. Autrement dit, ne peut devenir intelligent ou 'hakham que celui qui est déjà 'hakham lev. Quel est le principe de l’intelligence ? Quelle est la condition préalable à l’acquisition de l’intelligence ? C’est un verset des Psaumes qui répond à cette question (Téhilim 111:10) : « רֵאשִׁית חָכְמָה יִרְאַת ה' » - « Le principe de l’intelligence, c’est la crainte de D.ieu ». C’est cette constatation qui amène le Netsiv à sa première explication de ce qu’est cette « intelligence émotionnelle » (toujours dans son commentaire sur Chémot 31:6) :

    חוכמת יראת ה', שהיא ראשית חכמה, ומשכנה בלב.

    L’intelligence de la crainte de D.ieu, qui est le début de l’intelligence, et qui réside dans le cœur.

    En d’autre termes, le 'hakham lev est celui qui craint D.ieu. Cela est cohérent, d’ailleurs, car la crainte de D.ieu est une émotion plutôt qu’un raisonnement intellectuel.

    Mais il y a un deuxième indice dans le texte. Et celui-ci se trouve dans notre paracha de Vayakhel. En effet, le verset dit (Chémot 36:2) : « כָּל-אִישׁ חֲכַם-לֵב אֲשֶׁר נָתַן ה' חָכְמָה בְּלִבּוֹ » - « tout homme 'hakham lev dans le cœur duquel D.ieu a placé de l’intelligence ». Ce serait donc D.ieu qui donne cette fameuse intelligence à l’homme ? Mais si, comme nous l’avons compris, cette « intelligence » n’est rien d’autre que la crainte de D.ieu, alors nous avons un problème. Car il est un principe fondamental qui stipule (TB Bérakhot 33b) : « הכל ב״ש חוץ מיראת שמים » - « Tout est entre les mains de D.ieu, sauf la crainte de D.ieu ». C’est là que le Netsiv voit, dans la suite du verset, une explication de ce qu’est le 'hakham lev. Le verset continue : « כֹּל אֲשֶׁר נְשָׂאוֹ לִבּוֹ לְקָרְבָה אֶל-הַמְּלָאכָה לַעֲשֹׂת אֹתָהּ » - « tout celui dont le cœur le porte à entreprendre le travail pour l’accomplir ». Voici le commentaire du Netsiv sur ce verset:

    ומפרש המקרא היאך שייך נתינת חכמה בלב. הרי הכל ב״ש חוץ מיראת שמים ע״כ מפרש כל אשר נשאו לבו וגו׳ זהו ג״כ חכמת הלב לבטוח שיצליח בזו הפעולה ושירצה לקבל ע״ע להתקרב אל המלאכה. אע״ג שלא למד מעולם אומנות זו. ובאמת כן במלאכת חול שייך נשיאת לב לאיזה מלאכה. בד״מ אם בא אדם לעשות בית אומנות ללמד לתינוקות אומנות. והיה מביא הרבה ילדים לבחור במה חפץ לשלוח יד. זה אומר אני רוצה בזה וזה אומר אני רוצה בזה. והבחירה מועלת להם לענין לימודו כמה שנים שיעמוד על תכלית המלאכה שבחר בה. כך היה במעשה המשכן הבחירה לכל אחד באיזו אומנות היתה מועלת לעשות בלי לימוד כלל. רק בהצלחת ה׳ לדבר אשר נשאו לבו:

    C’est le verset lui-même qui va expliquer comment c’est possible que l’on puisse placer de l’intelligence dans un cœur, d’autant plus que nous avons le principe que « Tout est entre les mains de D.ieu, sauf la crainte D.ieu ». C’est pourquoi le verset continue et explique : « tout celui dont le cœur le porte etc. ». Il s’agit là aussi d’ « intelligence du cœur », lorsqu’une personne a confiance qu’elle réussira dans son entreprise et qu’elle s’y lance dans l’objectif de l’accomplir. Et ce, même si elle n’a jamais appris l’artisanat en question. Et ceci est vrai aussi pour tout œuvre profane. Prenez par exemple un homme qui veut enseigner l’artisanat à des enfants, et qu’il rassemble de nombreux enfants afin que chacun choisisse le domaine dans lequel il souhaite apprendre. Chacun fera son choix, et le choix de chacun sera le bon pour eux pour les prochaines années d’apprentissage[1]. C’est ainsi que cela s’est passé pour la construction du michkan : chacun a choisi l’artisanat qui lui plaisait alors qu’il ne l’avait jamais pratiqué auparavant. Et cela a fonctionné grâce à la réussite divine pour une chose vers laquelle son cœur l’a porté.

    Il me semble que, selon le Netsiv, le 'hakham lev est celui qui possède deux caractéristiques. D’une part, il faut qu’il craigne D.ieu et, d’autre part qu’il se sente porté par son cœur. En prenant un peu de recul, on pourrait presque dire qu’il s’agit de deux qualités opposées. D’un côté, sa crainte de D.ieu force l’humilité et une introspection de sa condition humaine et limitée. Et d’autre part, il doit écouter son cœur et avoir la confiance totale qu’il réussira ; c’est la confiance dans l’humain, sans limite. En cela, le Netsiv nous montre que la Torah a donné un cadre pour le développement personnel. Il y a deux forces qui, ensemble, peuvent tirer le meilleur de l’homme et en faire un ’hakham lev. En termes modernes, il me semble que cela se traduit par, d’une part, la connaissance de soi, de sa position et de ses limites et d’autre part, la confiance en soi.

    Voilà, vous avez les clés de la réussite, suivez votre cœur car c’est là que vous aurez le plus de confiance en vous[2]. Mais, en même temps, n’oubliez pas qui vous êtes : un homme au service de son Créateur[3].

    Chabbat Chalom.

    NATY

    *  R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893).

     

     


    [1] Benjamin Sznajder m’a fait justement remarquer que cet exemple du Netsiv fait penser à la méthode Montessori… Très moderne, cette approche que le Netsiv propose…

    [2] Et de talent. Il me semble que c’est aussi de cela qu’il s’agit dans l’exemple apporté par le Netsiv. L. Wogue, avec son sens inégalé de la synthèse, traduit 'hakham lev par « talentueux ». Le Netsiv nous indique comment découvrir ses talents et comment être en mesure de les développer…

    [3] En 2005, j’avais lu la transcription d’un discours que Steve Jobs avait fait devant un groupe d’étudiants de Stanford sur les clés du succès. Voici le lien pour les anglophones : http://news.stanford.edu/news/2005/june15/jobs-061505.html. Lisez-le attentivement et vous verrez qu’il avait eu l’intuition de ce que le Netsiv a appris des versets…

  • Tuer au nom de Dieu- une approche juive

    • Le 23/02/2016

    Cycle : la Parasha selon le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Tuer pour Dieu- une approche juive

     

    Les exactions de Daesh ou des terroristes sur le sol français soulèvent le cœur et perturbent notre esprit modelé par la tradition occidentale sur un point précis : comment ces brutes peuvent-ils perpétrer de tels méfaits pour immédiatement les revendiquer au nom de Dieu ?

    Dieu est-il si faible qu’on ait besoin de le défendre, de tuer des hommes pour une histoire de blasphème supposé ? Qui a le droit d’user d’une violence meurtrière au nom du divin ? N’est-ce pas un danger impossible à circonscrire ?

    Ces questions ne supportent pas la moindre nuance dans la réponse qu’il convient d’apporter et toute condamnation uniquement partielle de ces actes ferait peser légitimement un immédiat soupçon de collusion avec les djihadistes.

    Pourtant, la Paracha de cette semaine, Ki-Tissa, met précisément en scène cette situation qui provoque un écho étrange à ce qui nous paraît aujourd’hui injustifiable. Rappelons le contexte : après l’érection du Veau d’Or, Moïse descend du Sinaï, brise les Tables de la Loi qui venaient de lui être confiées par Dieu, puis prend une initiative particulière. Regardons le texte[1] :

    « Moïse vit que le peuple était livré au désordre; qu'Aaron l'y avait abandonné, le dégradant ainsi devant ses ennemis et Moïse se posta à la porte du camp et il dit: "Que celui qui est pour Dieu vienne auprès de moi!" Et tous les Lévites se groupèrent autour de lui. Il leur dit: "Ainsi a parlé l'Éternel, Dieu d'Israël: ‘Que chacun de vous s'arme de son glaive! Passez, repassez d'une porte à l'autre dans le camp et immolez, au besoin, chacun son frère, son ami, son parent!’  Les enfants de Lévi se conformèrent à l'ordre de Moïse; et il périt dans le peuple, ce jour-là, environ trois mille hommes. »

    Outre l’effroi qu’il suscite, ces 4 versets ne manquent pas de soulever plusieurs questions.

    1. Dans la plupart des rebellions qui eurent lieu dans le désert, c’est Dieu qui se charge seul, via des épidémies, des foudroiements ou l’ouverture des antres de la terre, de punir les coupables. Du coup, notre interrogation initiale (comment peut-on user de violence aujourd’hui au nom de Dieu ?) trouve une réponse aisée : Dieu se charge très bien tout seul de s’opposer aux effrontés. Laissons-lui encore aujourd’hui cette charge et s’il n’est pas patent que le « Méchant soit puni » par une action divine, en dehors d’une action judiciaire, il n’est donc bien sûr pas possible de déclarer une peine de mort sur la base d’une colère, fût-elle bien inspirée. Or, ici c’est bien Moïse, un homme, qui prend l’initiative de cette exécution de masse. Pourquoi ?
    2. 3000 morts c’est beaucoup, mais en même temps, c’est un chiffre étrange. Si l’ensemble du peuple avait été idolâtre à l’exception de la tribu de Levy, pourquoi ne pas tuer tout le peuple justement, comme semblait le proposer Dieu dans un premier temps ? Et s’il faut pardonner au peuple, pourquoi en tuer 3000 et sur quelle base ? 
    3. Plus gênant, Moïse invoque un ordre de Dieu pour justifier la tuerie : « Ainsi a parlé l’Eternel, Dieu d’Israël ». La question saute aux yeux : où Dieu a-t-il bien pu dire cela ? Est-ce réellement un ordre divin ?

    Arrêtons-nous sur cette dernière question. D’abord, il est rassurant de constater que les commentateurs de la Tradition, comme ils en ont l’habitude[2], ne s’en laissent pas compter et n’acceptent pas de prendre les paroles de Moïse (oui, on parle bien du plus grand prophète du judaïsme) à la lettre et demandent une justification de ses paroles.

    Certains commentateurs vont même assez loin : pour le Tana DebéElyahou[3], Moïse n’a jamais reçu cet ordre de Dieu, il l’a « inventé » pour pouvoir ensuite retourner vers Dieu et lui demander miséricorde pour le reste du peuple.

    C’est une opinion intéressante, mais peut-être pas suffisamment subtile et en tous cas très problématique : il serait donc possible de prendre l’initiative de « parler pour Dieu » afin de justifier tout et n’importe quoi ?

    Il est donc temps de se tourner vers les commentaires de ces versets par le Netziv de Volojhine, qui propose une approche intéressante.

    D’abord, le Netziv interprète de façon originale l’interpellation initiale de Moïse : « Que celui  qui est pour Dieu vienne auprès de Moi ! ». La façon classique de comprendre cet appel c’est : « que celui qui n’a pas succombé à l’idolâtrie me rejoigne ». Sous-entendu, seule la tribu de Lévi est restée en dehors de la faute alors que l’ensemble du peuple est coupable.

    Le Netziv met tout de suite les choses au point : « Moïse n’appelle pas ceux qui n’auraient pas succombé à la faute d’idolâtrie car la majorité du peuple n’y a pas succombé ». Il semble souscrire ici à un avis répandu consistant à dire que la faute du Veau d’Or était bien une erreur, mais consistant à donner une dimension quasi-divine aux intermédiaires tels que Moïse dont ils avaient besoin pour passer outre l’abstraction de la transcendance. Ce qui est très différent d’une volonté de se détourner du Dieu unique et de se tourner vers un culte idolâtre. Les 3000 morts seraient alors juste l’infime partie du peuple qui se serait véritablement laissé aller à défier Dieu et qui mériteraient la peine capitale.

    Mais alors dans ce cas, qui est concerné par l’appel de Moïse ? Pour le Netziv, il s’agit « quiconque sait qu’il n’appartient qu’à Dieu et qui est prêt à sacrifier sa vie et tout ce qu’il possède pour l’amour de Dieu ». En d’autres termes, dans la lignée de ses commentaires précédents (et notamment ceux analysés sur ce site[4]), le Netziv met d’abord en avant la dimension de désintéressement absolu nécessaire pour prétendre agir au nom de Dieu. Il n’est pas question d’espérer une quelconque récompense, fût-elle une place dans le monde futur, si l’on veut prouver son amour de Dieu et punir les idolâtres : une pureté dans l’intention, quasi-inatteignable en vérité, est invoquée.

    Le Netziv va plus loin : ce n’est qu’à cette condition que cet événement tragique peut être accepté par le peuple et que les Lévites peuvent échapper à une volonté de révolte du peuple. Si l’on s’y risquait, on pourrait trouver une analogie dans l’évolution de la Révolution russe de 1917 : tant que les Bolcheviks affichaient un désintéressement et une ambition uniquement tendue vers l’accomplissement du communisme, une acceptation tacite du peuple pouvait se faire jour, malgré la violence et malgré des injustices. Mais dès que les leaders se vautrent dans une recherche de l’intérêt personnel qui entache la « beauté » de la Révolution, le peuple ne peut plus suivre. Idem ici : s’il existait le moindre soupçon que les Lévites procédaient à ces exécutions par intérêt personnel, comment ne pas ressentir un sentiment insupportable ? Mais il faut lire entre les lignes : cela veut aussi signifier que l’Homme est capable de percevoir l’Absolu et d’admettre les conséquences qu’il engendre. Quel danger….

    Pour illustrer la fragilité de cette intention existentielle, le Netziv complète son commentaire dans le « HarehevDavar »[5]. Dans une de ses notes, le Netziv utilise cet argument du désintéressement pour expliquer un Midrach Raba concernant le patriarche Jacob lorsqu’il se fit passer pour son frère pour obtenir la bénédiction de son père. Selon ce Midrach, Jacob aurait été puni pour avoir provoqué un cri de désespoir chez son frère. Une question est légitime : n’aurait-il pas dû d’abord être puni pour avoir trompé son père ??

    Réponse du Netziv : Jacob n’avait pas le choix, il devait agir ainsi. Mais tromper son père lui a causé une grande souffrance intérieure. En revanche, il a ressenti une once de plaisir du fait d’avoir doublé son frère, ce qui ternit son attitude « uniquement orienté vers Dieu », ce qui lui vaut alors d’en assumer les conséquences et de mériter une réprimande.

    A ce stade, nous comprenons à quel point le Netziv choisit de restreindre cette capacité à user de violence légitime au nom de Dieu, au point de ne la réserver qu’à une attitude presque surhumaine (et uniquement biblique ?) de désintéressement total.

    Reste notre question principale : Dieu a-t-il ordonné quelque chose à Moïse, oui ou non ?

    Le Netziv n’esquive pas la question et y répond clairement : « Bien sûr que Dieu lui a ordonné d’agir ainsi ». Mais alors si c’est ainsi, pourquoi l’ordre n’apparaît pas clairement dans le texte de la Thora ?

    Réponse profonde et cohérente du Netziv : il est impossible d’ordonner aux hommes d’atteindre ce niveau suprême « d’amour de Dieu inconditionnel ». Il s’agit d’un niveau qui surpasse même le commandement de « KiddouchHachem », de sanctification du nom de Dieu, et il est impossible de commander quelque chose dont la possibilité d’existence est statistiquement aussi faible. Selon le Netziv, l’ordre de Dieu avait cette forme : « Si tu trouves des hommes dont la pureté de l’intention est avérée et qui orientent leurs actions uniquement du fait d’un amour de Dieu, alors dis-leur de procéder à cette punition en te réclamant du Dieu d’Israël. Mais si tu n’en trouves pas, il est hors de question de procéder ainsi ».

    Le texte se lit alors avec une grande fluidité : Moïse cherche d’abord si des hommes répondent à ce qualificatif (« Celui qui est pour Dieu vienne avec moi ») et c’est seulement après les avoir trouvés qu’il peut enfin se réclamer d’un ordre divin « Ainsi a parlé l’Eternel, Dieu d’Israël ».

    Si l’on peut synthétiser ce commentaire du Netziv, on y trouve les caractéristiques principales de tout grand commentaire de la tradition juive :

    • Il prend de front les questions que pose le texte, même lorsqu’elles peuvent apparaître de prime abord comme profondément gênantes à notre appréhension première
    • Les personnages bibliques ne sont pas des « Saints » irréprochables et intouchables. Ils sont « grands », mais leur comportement doit être justifié et recherché par un questionnement incessant. Ils peuvent même parfois être pris en faute[6]
    • Tout en conservant la dimension absolue des leçons bibliques (ainsi ici la légitimité d’une manifestation de violence au nom de Dieu), la tradition juive, dans la continuité de l’exercice talmudique cherche à les circonscrire dans un espace adapté à l’Homme vivant dans une société et un écosystème relationnel réel et non idéalisé.

     

    FRISON

     

    *  R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893).

    * Texte en hébreu : commentaire-du-netsiv-en-hebreu-ki-tissa.doc

     


    [1] Ex(32 ; 25-28)

    [2] Rachi en tête Ex (32 ; 27)

    [3] Midrash tardif compilé au 10ème siècle attribué à un Amora (Maître du Talmud) du 3ème siècle

    [5] Notes ajoutées par le Netziv qui forment une sorte de super-commentaire du HaemekDavar, le commentaire principal

    [6] Comme Jacob, cf. la mention au HarehevDavar ci-avant

  • Choc des cultures ou choc de l'inculture ?

    • Le 18/02/2016

    Choc des cultures ou choc de l’inculture ?

     

    Brain

     

    Certains aiment à voir dans l’immigration originaire des pays d’Afrique du Nord, majoritairement musulmane, un danger pour la culture française. Le nombre important de ces immigrés ou de leurs descendants –aussi français que vous et moi- constituerait selon leurs dires une menace pour la survie des traditions de notre pays. On a vu ainsi éclore la « théorie du grand remplacement », sacralisée par l’extrême-droite, puis consacrée comme argument légitime du débat national depuis la parution du livre de Michel Houellebecq –Soumission- l’année dernière. L’ouvrage s’assumant comme une fiction, on peut s’interroger sur l’intention de ceux qui ont voulu y voir un enjeu sociologique majeur…

    La phobie des étrangers qui deviendraient plus nombreux que les nationaux apparaît dans le discours des Egyptiens, au début du livre de l’Exode (1, 9-10): « Voyez le peuple des enfants d’Israël est plus nombreux et plus puissant que nous. Allons, agissons avec circonspection envers lui, de peur qu’il ne s’accroisse encore, et alors, survienne une guerre, il pourrait se joindre à nos ennemis, nous combattre et il quitterait le pays ». La sortie d’Egypte nous montre qu’en réalité les Hébreux n’avaient alors aucune vocation guerrière : « Quand Pharaon fit partir le peuple, Dieu ne le dirigea point par le pays des Philistins, car il était proche ; parce que Dieu disait : ‘De peur que le peuple regrette quand ils verront la guerre, et qu’ils retournent en Egypte’ » (Exode 13, 17). Si le risque n’est pas réel, c’est que la crainte est fantasmée. Pourquoi ? Pour quelle raison certains voient-ils la culture étrangère comme une  agression contre leur propre identité ?

    Selon le Rav livournais du 19ème siècle, Elie Benamozegh, «  il est certain que, dans le domaine moral aussi bien que dans le monde physique, tout type doué d’une très grande force vitale est capable de résister aux influences du milieu ». Ceci-dit poursuit-il, « au lieu de prétendre que l’ambiance forme le type, il faut plutôt dire que celui-ci tire du monde extérieur ce qui est nécessaire à son propre développement » (Israël et l’Humanité, pp.63-64). En d’autres termes, l’assimilation à la culture étrangère n’est pas à craindre lorsque l’identité est bien affirmée. Plus encore, une identité forte se nourrit des richesses des cultures côtoyées, précisément car « la grande force vitale » empêche la substitution d’une identité à l’autre, tout en distinguant les valeurs positives de celles incompatibles avec la culture traditionnelle. C’est donc qu’à contrario la perception de la différence culturelle (ou religieuse) comme une menace relève une grave faiblesse dans la définition précise de l’identité profonde.

    Interviennent alors des questions de fond et d’actualité : existe-t-il de nos jours une culture française authentique, aisément définissable, dans laquelle chaque citoyen peut se reconnaître ? Outre les valeurs de la société de consommation, le quidam peut-il  se retrouver dans une éthique occidentale qu’il entendrait défendre ? Une autre problématique concerne également la population juive. Se focaliser sur un prétendu « choc des cultures » n’appelle-t-il pas à prendre position, voire à s’assimiler à la culture défendue, quitte à délaisser l’application stricte de la Halakha (loi juive) ? Laissons ouverte la réflexion et concluons par un bref regard sur le monde ‘hassidique. N’est-il pas remarquable que ceux qui affirment si haut leur identité de Torah empruntent leur habillement et nombre de leurs mélodies à des cultures étrangères ? Voici une belle illustration de la « grande force vitale » dont il est question dans les propos du Rav Benamozegh.

     

    Yona GHERTMAN

     

    * Billet paru dans l'hebdomadaire Actualité Juive du 18 Février 2016