Parasha

  • Faut-il faire attention au regard des autres ?

    Faire attention au regard des autres ?

    Homerer regard

    En arrivant près du Jourdain, juste avant de rentrer en terre d’Israël, les hommes des tribus de Gad et de Réouven interpellent Moïse : « Si nous avons trouvé grâce à tes yeux, que ce pays soit donné en propriété à tes serviteurs ; ne nous fais pas passer le Jourdain » (Nb. 32, 5). Dans un premier temps, leur demande n’est pas motivée. Aussi Moïse se met-il en colère, les suspectant d’avoir peur de la guerre qui les attend.

    C’est alors que ces derniers se justifient : « Nous voulons construire ici des parcs à brebis pour notre bétail (…). Et nous, nous irons en armes devant les bné-Israël, jusqu’à ce que nous les ayons amenés à leur destination (…) » (Nb. 32, 16-17). En entendant ce discours, la colère de Moïse s’atténue, et il les enjoint de faire suivre leurs paroles par des actes concrets, afin d’être « quittes envers D.ieu et envers Israël » (Nb. 32, 22).

    Cette recommandation a une portée pratique dans la Halakha. Par exemple, les responsables communautaires chargés de ramasser la tsédaka ne doivent pas laisser peser de suspicion sur eux (Yoré Déa 257, 1). Ou encore, si le Dayan (juge rabbinique) constate que l’une des parties d’un procès le soupçonne d’avoir favorisé injustement l’autre partie, il doit aller vers lui pour expliquer les motivations de sa décision (‘Hochen Michpat 14, 4).

    D’une manière générale, il existe une obligation pour chacun de ne pas laisser germer dans les esprits l’idée d’un comportement incorrect (Chékalim 3, 2). C’est là une spécificité de la Torah qui étonne ceux qui la découvrent : L’avis des autres est important. On aurait pu penser qu’il suffit d’être honnête avec D.ieu et avec soi-même… Mais non : le respect de la Torah ne s’envisage qu’en société. Or, pour le bon fonctionnement du groupe, il importe d’écarter les images négatives projetées sur les uns ou les autres.

    Toutefois, on constate que Moïse, demandant ici aux tribus de Gad et de Réouven d’agir afin ôter toute suspicion pesant sur eux, est lui-même la cible d’accusations diverses. En effet, il est suspecté d’avoir des relations interdites avec des femmes mariées ; ou encore, de tirer profit de sa position pour s’enrichir (cf. Sanhédrin 110a ; Shémote Rabba 51, 6).

    Est-ce à dire que Moïse lui-même n’aurait pas fait attention à son comportement, provoquant ainsi cette suspicion ? La réponse se trouve dans l’appellation de ceux qui le critiquent : « les railleurs de la génération ». Même en faisant attention au regard des autres, il y a toujours certaines personnes qui sont là uniquement pour critiquer. Or, en agissant de la sorte, ils sèment la zizanie dans le groupe, et s’en excluent de facto.

    Ainsi, l’opinion de ceux qui sont constamment dans la critique importe peu. L’obligation d’avoir une attitude sans ambigüité concerne exclusivement le rapport entretenu vis-à-vis des gens de bonne volonté.


    Yona GHERTMAN

  • La louange de la bouche fermée (Chémini)

    La louange de la bouche fermée

    (paracha chemini)

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    Nous sommes le huitième jour de l’inauguration du Michkan (Tabernacle). La joie est au rendez-vous, matérialisant l’apogée de la relation entre D.ieu et son peuple. C’est ce jour qu’Aharon haCohen et ses fils commencent leurs fonctions sacerdotales. Il faut que tous les anciens d’Israël soient présents, pour qu’il n’y ait aucun doute sur la légitimité d’Aharon en tant que grand prêtre. Aussi tous sont-ils convoqués avant de commencer les festivités, se manifestant surtout par des offrandes grandioses apportées en l’honneur de D.ieu (cf. Rachi sur 9, 1).

    Un feu s’élance de devant D.ieu et consume le sacrifice (9, 24), marquant l’apogée de ces festivités. Alors, « à cette vue, tout le peuple poussa un cri de joie, et ils tombèrent sur leurs faces » (Ibid.). On retrouve dans ce dernier verset deux éléments devant être en symbiose : l’extase (« cri de joie ») et la crainte de D.ieu (« ils tombèrent sur leurs faces »).

    Malheureusement, c’est l’aspect de rigueur qui prévaut par la suite, puisque les fils d’Aharon, Nadav et Avihou, meurent en apportant leur offrande. Plusieurs raisons sont proposées par nos maîtres, alors que le texte témoigne simplement qu’ils apportent « un feu étranger qu’Hachem n’avait pas exigé » (10, 1). C’est que la pratique de la Torah doit se faire dans la joie, mais elle doit être cadrée et s’inscrire pleinement dans le respect des injonctions divines. Malgré la terrible perte de ses fils, Aharon reste digne et ne dit rien. Il importe désormais d’avancer, même si la douleur reste vivace, et d’apprendre les règles relatives au culte des Cohanim (les prêtres). Un débat se fait d’ailleurs entendre entre Moïse et ces derniers. Fait marquant, bien que Moïse soit incontestablement l’autorité spirituelle supérieure, le texte témoigne : « Moïse entendit » (10, 20). Et Rachi de préciser : « Il reconnut (son erreur) et n’eut pas honte de dire : Je ne l’avais pas entendu ».

    Après cet épisode, le texte stipule : « L’Eternel parla à Moïse et à Aharon, en leur disant : ‘Parlez ainsi aux enfants d’Israël : Voici les animaux que vous pouvez manger’ » (11, 1-2). Il s’agit de la première occurrence des lois concernant l’alimentation : la cacheroute. Rachi note que l’expression « en leur disant » fait référence aux fils d’Aharon restés en vie après l’inauguration du huitième jour, El’azar et Ithamar : « L’Eternel fit d’eux tous également ses messagers pour transmettre cette parole, parce qu’ils avaient gardé le silence, et accueilli avec amour le décret divin lors de la mort de Nadav et Avihou ». Le point commun entre ce passage et ce qui précède n’est autre que ‘la bouche’. La grandeur est de savoir la garder fermée, aussi bien par le silence, qu’en s’abstenant des aliments interdits.

     

    Yona GHERTMAN

  • La louange de la bouche fermée (Chémini)

    La louange de la bouche fermée

    (paracha chemini)

     

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    Nous sommes le huitième jour de l’inauguration du Michkan (Tabernacle). La joie est au rendez-vous, matérialisant l’apogée de la relation entre D.ieu et son peuple. C’est ce jour qu’Aharon haCohen et ses fils commencent leurs fonctions sacerdotales. Il faut que tous les anciens d’Israël soient présents, pour qu’il n’y ait aucun doute sur la légitimité d’Aharon en tant que grand prêtre. Aussi tous sont-ils convoqués avant de commencer les festivités, se manifestant surtout par des offrandes grandioses apportées en l’honneur de D.ieu (cf. Rachi sur 9, 1).

    Un feu s’élance de devant D.ieu et consume le sacrifice (9, 24), marquant l’apogée de ces festivités. Alors, « à cette vue, tout le peuple poussa un cri de joie, et ils tombèrent sur leurs faces » (Ibid.). On retrouve dans ce dernier verset deux éléments devant être en symbiose : l’extase (« cri de joie ») et la crainte de D.ieu (« ils tombèrent sur leurs faces »).

    Malheureusement, c’est l’aspect de rigueur qui prévaut par la suite, puisque les fils d’Aharon, Nadav et Avihou, meurent en apportant leur offrande. Plusieurs raisons sont proposées par nos maîtres, alors que le texte témoigne simplement qu’ils apportent « un feu étranger qu’Hachem n’avait pas exigé » (10, 1). C’est que la pratique de la Torah doit se faire dans la joie, mais elle doit être cadrée et s’inscrire pleinement dans le respect des injonctions divines. Malgré la terrible perte de ses fils, Aharon reste digne et ne dit rien. Il importe désormais d’avancer, même si la douleur reste vivace, et d’apprendre les règles relatives au culte des Cohanim (les prêtres). Un débat se fait d’ailleurs entendre entre Moïse et ces derniers. Fait marquant, bien que Moïse soit incontestablement l’autorité spirituelle supérieure, le texte témoigne : « Moïse entendit » (10, 20). Et Rachi de préciser : « Il reconnut (son erreur) et n’eut pas honte de dire : Je ne l’avais pas entendu ».

    Après cet épisode, le texte stipule : « L’Eternel parla à Moïse et à Aharon, en leur disant : ‘Parlez ainsi aux enfants d’Israël : Voici les animaux que vous pouvez manger’ » (11, 1-2). Il s’agit de la première occurrence des lois concernant l’alimentation : la cacheroute. Rachi note que l’expression « en leur disant » fait référence aux fils d’Aharon restés en vie après l’inauguration du huitième jour, El’azar et Ithamar : « L’Eternel fit d’eux tous également ses messagers pour transmettre cette parole, parce qu’ils avaient gardé le silence, et accueilli avec amour le décret divin lors de la mort de Nadav et Avihou ». Le point commun entre ce passage et ce qui précède n’est autre que ‘la bouche’. La grandeur est de savoir la garder fermée, aussi bien par le silence, qu’en s’abstenant des aliments interdits.

    Yona GHERTMAN

  • La lumière et les ondes positives (Tetsavé)

    Les ondes positives transmises par la lumière

    (Tetsavé)

    Fe0029 hanouka fiole

    « Et toi, ordonne aux bné-Israël, et qu’ils prennent pour toi de l’huile d’olive pure concassée pour le luminaire, afin de faire monter en permanence la flamme » (Ex. 27, 20)

    L’utilisation de l’huile d’olive pure concassée pour la Ménorah (candélabre) permet d’assurer la meilleure lumière possible. On retrouve une idée similaire, liée à l’olivier, lors de la sortie de l’arche de Noé : « Et la colombe revint vers lui le soir, avec une branche d’olivier arrachée dans son bec » (Gen. 8, 11).

    Le Kéli Yakar (R. Salomon Ephraim de Luntschitz, 1550-1619 Europe de l’Est) s’interroge : Pourquoi préciser que la colombe est revenue le soir ? Il répond que la branche d’olivier rapportée a un autre objectif que de montrer la diminution des eaux. Il s’agit de la plante permettant de produire la meilleure lumière grâce à son huile. La colombe permet donc d’amener la lumière à la sortie de l’arche, alors que Noa’h, sa famille et les autres animaux étaient dans le noir. Le Midrash appuie cette explication : « De même que la colombe a apporté la lumière sur le monde, vous aussi vous apporterez de l’huile d’olive et vous allumerez devant moi… ».

    Par ailleurs, il est enseigné dans le Talmud : « Entre les bougies de ‘Hanoukah et celles du Shabbat, il est évident que celles du Shabbat ont priorité en raison du Shalom-baït (paix familiale) » (Shabbat 23b).  Dans un premier commentaire sur ce passage, Rachi explique qu’il est question d’un pauvre n’ayant pas assez d’argent pour acheter les bougies de Shabbat et celles de ‘Hanoukah. S’il est obligé de choisir entre les deux, il doit privilégier celles de Shabbat. Dans le commentaire suivant, Rachi explicite l’idée de fond : [« En raison du Shalom-baït »] : « (…) car les gens de la maison souffrent de devoir s’asseoir dans le noir ». Il explicite son propos par ailleurs : «Lorsqu’il n’y a pas de bougie, il n’y a pas de paix, car il ne cesse de trébucher lorsqu’il marche dans l’obscurité » (commentaire sur Shabbat 25b).

    Ainsi, la lumière est associée à la paix. Pour être en paix, il faut être capable de bien voir. Une maison bien éclairée apporte des ondes positives. A l’inverse, l’obscurité augmente les tensions. Si l’on mange dans le noir le repas de Shabbat, et que l’on ne voit rien au moment de ranger la table, cela risque de mal se passer. Si l’on n’est pas éclairé dans le salon afin de lire tranquillement une fois le repas terminé, cela va diminuer le plaisir du Shabbat, et risquer encore de provoquer des disputes inutiles.

    L’obscurité empêche de voir ce qui nous attend, augmentant le stress, et risquant de provoquer de la tension. A l’inverse, la lumière permet de voir clairement les choses. Or, une perception juste de ce que l’on voit permet d’avancer dans la sérénité.

    Yona GHERTMAN

  • La libération d'Egypte : un enjeu universel

    La libération d’Egypte : Un enjeu universel

    Paracha Bo

    Sortie d egypte

     

    Alors que les plaies ont commencé à s’abattre sur l’Egypte, Moché continue à visiter le Pharaon pour lui demander de laisser partir son peuple. La nouvelle menace est celle des sauterelles.  Elles s’attaquent à toute la verdure épargnée par la plaie de la grêle.  Une nouvelle fois, le Pharaon supplie Moché et Aharon afin qu’ils intercèdent en sa faveur, promettant qu’il ne recommencera pas. Selon le Midrash, le roi Salomon met en garde contre ce type de personnalité changeante, lorsqu’il parle des hommes « aux paroles inversées » (Michelé 2, 12 ; Yalkoute Shimoni). En effet, dès la plaie écartée, il change d’avis et ne renvoie pas les Bné-Israël. Certes, le texte témoigne à plusieurs reprises que D.ieu « endurcit son cœur ». Néanmoins, comme l’enseignent nos maîtres, D.ieu emmène l’homme là où il veut aller (Makote 10b).

    La plaie suivante est celle des ténèbres. Elle marque le point de non-retour entre le Pharaon et les Hébreux. Alors que le chef de l’Egypte renvoie Moché avec colère, le menaçant de mort, celui-ci lui répond avec un ton aussi glacial que prémonitoire : « C’est comme tu l’as dit, je ne reverrai plus ta face » (10, 29). C’est ainsi que nous arrivons vers le dénouement de l’esclavage en Egypte, avec l’annonce de la plaie des premiers-nés. Un regard précis sur le texte nous montre que l’enjeu des plaies est de démontrer la puissance d’Hachem, et prouver ainsi qu’un homme, aussi puissant soit-il, ne peut agir à sa guise envers ses prochains. En effet, D.ieu annonce que les Hébreux partiront avec des richesses, car le peuple égyptien respecte le combat de Moché. Par ailleurs, les midrashim font état de révoltes des Egyptiens contre le Pharaon lors de l’annonce de cette dernière et terrible plaie.

    Il  y a donc dans cette paracha le passage entre un enjeu universel (le refus catégorique de la tyrannie) et un enjeu particulier (la formation du peuple juif se libérant de l’esclavage). D.ieu demande aux bné-Israël de sacrifier l’agneau pascal, et de quitter l’Egypte sans laisser le temps au pain de lever. Ces gestes ne sont pas ponctuels, ils doivent se perpétuer à chaque génération. La nuit de la sortie d’Egypte se répète chaque année, avec des gestes précis inscrits dans le Shoul’han ‘Aroukh, le code de loi du judaïsme. Au-delà de l’histoire juive, la libération vient donc se graver dans la loi. Notre paracha  se conclue par la mitsva de consacrer à D.ieu tout premier-né (car ces derniers ont été épargnés en Egypte) ; et par une première présentation de la mitsva des téfilines. Chaque jour profane, les hommes juifs attachent ces lanières de cuir autour de leur bras et sur leur tête. Ils rappellent ainsi l’attachement profond entre D.ieu et son peuple, tel qu’Il l’a prouvé par la libération d’Egypte. 

    Yona GHERTMAN

  • Le conflit des générations (Vayé'hi)

    Le conflit des générations

    Vayé’hi

    Conflit des generations

     

    « Israël vit les fils de Yossef, et il dit : Qui sont-ils ? » (Béréchit 48, 8)

    A la fin de sa vie, le patriarche Ya’akov s’apprête à bénir sa famille, en commençant par ses petits-enfants, Ephraïm et Ménashé. Lorsqu’il voit ces derniers, il interroge leur père sur leur identité. Les commentateurs remarquent une contradiction : S’il les voit, pourquoi demander qui sont-ils ? En effet, cette scène se déroule la dernière année de la vie de Ya’akov, dix-sept ans après son arrivée en Egypte (47, 28). N’a-t-il pas eu le temps de connaître ses petits-enfants ? De plus, même si sa vue s’affaiblit (verset 10), n’est-il pas évident qui sont les deux jeunes gens qui accompagnent Yossef, alors qu’il vient voir son père dans ses derniers instants de vie ? Enfin, selon le midrash enseignant qu’Ephraïm étudiait constamment la Torah auprès de son grand-père[1], il est inconcevable qu’il ne le reconnaisse pas.

    Parmi les réponses proposées, examinons celle du Malbim :

    « Les habits des hébreux étaient différents des habits égyptiens. Or, Yossef, qui était proche de la royauté, ainsi que ses enfants, portaient des habits de princes ; ainsi qu’il est écrit à propos [des gens] de la maison de Rabban Gamliel qui s’habillaient différemment [des autres juifs], car ils étaient proches du pouvoir. Et c’est à ce sujet que Ya’akov s’étonne en disant : ‘Qui sont ceux-là ?’. Alors Yossef lui répond : ‘Ce sont mes fils, ils sont des justes et des craignant Dieu ; et si tu les vois habillés avec des habits différents [de ceux des hébreux] c’est car Hachem m’a mis ici. Ils sont nés dans cet endroit, aussi le contexte dans lequel ils évoluent impose cette manière de s’habiller’ ».

    Avant de réfléchir sur le fond de cette réponse, posons une question évidente : Si le patriarche avait l’habitude de voir ses petits-fils durant ces dix-sept années passées en Egypte, pourquoi ne remarque-t-il que maintenant cette manière de se vêtir ?

    On peut expliquer que Ya’akov avait déjà remarqué ces tenues vestimentaires peu à son goût, mais qu’il attendait le moment opportun pour le souligner. En effet, il procède de la sorte avec Réouven, Shimon et Lévy, attendant d’être sur son lit de mort pour les bénir. Or, cette « bénédiction » se confond pour beaucoup avec une réprimande liée aux épisodes du passé (cf. 49, 3-7)[2].

    Une fois cette précision apportée, revenons sur le commentaire du Malbim : Le Grand-père a toujours éduqué ses enfants avec une certaine spécificité liée à leur identité. On apprend depuis l’époque d’Abraham qu’il y a des unions interdites et une certaine conduite à tenir pour les membres de cette famille si spéciale. Ya’akov a quitté Lavan, puis ‘Essav afin de suivre son propre chemin. Il n’est plus Ya’akov désormais, mais « Israël ». C’est d’ailleurs ainsi qu’il est nommé dans notre verset, alors qu’il remarque une anomalie chez ses petits-enfants. C’est qu’un membre des « Bné-Israël » doit se caractériser comme tel. Bien que proches du vice-roi d’Egypte, ils se séparent des Egyptiens, en choisissant de vivre dans une province séparée, à Goshen[6].

    Et voilà que le Patriarche voit ses petits-enfants habillés à la mode égyptienne ! Pour l’ancien de la famille, attaché à ses traditions spécifiques, une telle chose n’est pas tolérable. Aussi avant de les bénir, se permet-il de lancer une réprimande à l’égard de son fils : « La tradition doit être respectée, cette manière de se vêtir comme des Egyptiens est incorrecte ! ». Yossef lui répond alors qu’il y a une raison particulière à cela : Ils vivent au contact des membres du palais. Socialement parlant, eu égard à leur statut, ils doivent s’habiller comme les nobles. Ce n’est pas un manquement à la tradition, mais une nécessité contextuelle.

    Au-delà de la question du rapport avec le pouvoir, on peut lire à travers ces lignes une description du conflit générationnel qui transcende toutes les époques. Les Grands-parents viennent d’Afrique-du-Nord, ou d’Europe de l’Est. Pour ceux qui ont gardé leurs coutumes et ne se sont pas assimilés en arrivant en France, l’habit est important. Il en va de même en ce qui concerne la cuisine traditionnelle, la manière d’étudier, les chants accompagnant la Téfilah, etc. 

    Cependant, les jeunes générations arrivent avec d’autres habitudes, et avec une apparence souvent contraire à ce que les Grands-parents ont connu ! Lorsque le Papy de Bné-Brak arrive à Nice, et qu’il voit son petit-fils avec un jean et des baskets, il peut être profondément choqué, se retourner vers le père du jeune-homme et le réprimander pour cela. Mais Nice n’est pas Bné-Brak, et les générations changent. Baroukh Hachem, on voit aujourd’hui des jeunes hommes qui s’habillent « à la française », mais qui passent leur temps libre au Beth hamidrash, à étudier la Torah. L’enjeu n’est pas ici de savoir s’il faut s’habiller avec une tenue spécifique « d’homme d’étude » ou non[7] ; mais de concevoir le choc générationnel et de comprendre les deux parties.

    Les Grands-parents et les parents réfléchissent et voient le monde en fonction de ce qu’ils ont connu dans leur jeunesse. Les codes sont différents d’une génération à l’autre. Le contexte est primordial. Ce qui se faisait il y a 20 ans peut paraître étonnant de nos jours. Des pratiques habituelles dans telle contrée peuvent surprendre par ailleurs. L’identité juive s’adapte en fonction des lieux et des époques, et l’idée que l’on s’en fait s’ancre tellement en nous, qu’elle rend difficile de concevoir d’autres manières d’agir.

    Pour revenir à notre paracha, on a donc ici une confrontation entre Ya’akov et Yossef. Le premier parle avec ses codes, ses valeurs, et l’expérience du contexte dans lequel il a évolué. Près d’Essav, il avait besoin de se montrer différent et d’exprimer sa spécificité. Il en est de même chez Lavan, puis par la suite lorsqu’il s’installe en terre de Canaan avec sa famille. Sa séparation de l’entourage environnant constituait sa bulle de survie. Tout différent est le parcours de Yossef. C’est précisément son intégration dans la société Egyptienne qui va provoquer son ascension, et son rapprochement avec sa famille. De son point de vue, et de celui de ses fils, l’intégration n’est pas synonyme d’assimilation, elle se conjugue parfaitement avec le respect des traditions paternelles.

    En suivant cette lecture de ce dialogue entre Ya’akov et son fils, il est remarquable que Ya’akov accepte finalement le discours de Yossef. Plus encore, il va finalement bénir Ephraïm et Ménashé en les considérants comme les représentants de tous les futurs enfants juifs[8]. N’est-ce pas un formidable message à l’adresse des Grands-parents et des parents, les incitants à chercher l’essentiel pour leurs enfants : Qu’ils arrivent à rester profondément respectueux de la Torah et les mitsvote, tout en sachant s’adapter au contexte dans lequel ils évoluent ?[9]

     

    Yona GHERTMAN

     

    [1] Midrash Tan’houma, rapporté par Rachi sur 48, 1.

    [2] De même Moshé Rabbénou lors des bénédictions qu’il adresse aux tribus à la fin de sa vie. Cf. le Sifré cité par le Rav Elie Munk z’’l dans La Voix de la Torah sur Devarim 33, 1, p.359 : « C’est la dernière journée de Moïse. Devant le grand vieillard défilent toutes les tribus de ce peuple auquel il a consacré sa vie. Aux chefs des tribus rassemblés autour de lui, Moïse adresse des paroles où, à l’instar de Jacob, il mêle des avertissements aux bénédictions (…). C’est en vertu de quatre raisons que le père doit laisser ses avertissements jusque peu avant sa mort. Ces quatre raisons sont : 1°) de ne pas être obligé de recommencer à réprimander une seconde fois ; 2°) de ne pas livrer celui qui a reçu la réprimande à l’humiliation publique devant les autres ; 3°) de ne pas semer la rancune contre lui ; enfin 4°) de ne pas risquer de le voir abandonné au point de se rendre chez un autre maître (…) ».

    [6] Béréchit 46, 28 à 47, 6.

    [8] Cf. Béréchit 48, 20 et Rachi.

    [9] Cf. ce qu’écrit le Rav Elie Munk z’’l à ce propos, dans La Voix de la Torah, op. cit., pp.495-496

  • Les conséquences des non-dits

    Les conséquences des non-dits dans une discussion

    Mikets

    Communication

     

    « Réouven dit à son père : ‘Fais mourir mes deux fils si je ne te le ramène ! Confie-le à mes mains, et je le ramènerai près de toi’ » (Béréchit 42, 37)

    Alors que la famine sévit en terre de Kénaan, Ya’akov envoie ses fils chercher du blé en Egypte. Ils se trouvent alors confrontés à Yossef, devenu vice-roi du pays, mais ils ne le reconnaissent pas.  En revanche, ce dernier les reconnaît, et décide pour l’instant de ne pas dévoiler sa véritable identité. Il profite alors de sa position pour les accuser d’être des espions, et pour recevoir des informations sur son père et son frère cadet (Binyamin). En effet, Ya’akov ayant déjà perdu Yossef (puisqu’il le croyait mort), il ne voulait pas envoyer Binyamin (son autre fils né de Ra’hel) avec ses frères.

    Cependant, Yossef se montre catégorique : La seule manière pour ses frères de prouver leur honnêteté est de retourner en terre de Kénaan, et de ramener Binyamin auprès de lui. Profondément attristés par cette demande, et par le fait que Shim’on (l’un des frères) soit gardé en otage pendant ce temps, les frères retournent donc auprès de Ya’akov pour lui expliquer la situation. Dans un premier temps, le patriarche refuse qu’ils amènent Binyamin avec eux. C’est alors que Réouven prend la parole en faisant cette proposition à priori étonnante : « Fais mourir mes deux fils si je ne te le ramène ! ».

    Ya’akov refuse cette proposition, et Rachi se fait écho de la raison de ce refus : «Il n’a pas accepté les paroles de Réouven. Il a dit : ‘Quel premier-né idiot ! Il parle de faire périr ses fils, mais ne sont-ils que ses fils et pas les miens ?’ »[1].

    Les fils de Réouven sont les petits-fils de Ya’akov. Or, dans la Torah, les termes de « fils », de « petits-fils » ou de « descendants » se rattachent souvent au seul mot « ben ». Ya’akov est appelé également « Israël », et tous ses enfants, petits-enfants et descendants sont donc les « bné-Israël ». Au-delà de cette subtilité de langage, l’idée mise en avant est assez évidente : Ayant déjà perdu un fils de Ra’hel (Yossef) et risquant désormais d’en perdre un second (Binyamin), comment imaginer que la disparition de ses petits-enfants pourrait le réconforter dans une telle éventualité tragique ?!

    Le Rav Baroukh Epstein explique l’intention de Réouven. Se fondant sur un texte talmudique traitant du partage de la terre d’Israël[2], dans lequel le terme « vivre » signifie « acquérir une part de la terre ». Il explique qu’il en va de même à contrario : « Mourir » signifie « perdre son droit sur la terre ».

    Tel était donc le propos de Réouven : « Je m’engage à perdre mon héritage sur la terre si je ne ramène pas Binyamin. Le cas échéant, la part de mes deux fils reviendra aux autres tribus ».

    Présenté de la sorte, le discours de Réouven a donc une logique plus compréhensible. Certes, on peut encore discuter de sa proposition : Un père est-il prêt à déshériter un de ses fils tout en sachant que ses propres petits-fils seront les victimes collatérales de cette action ? L’histoire du droit a bien montré que la question du déshéritement d’un enfant s’est toujours posée. Cela peut nous apparaître choquant aujourd’hui ; mais ce fut jadis admis, et ce l’est encore dans certaines sociétés.

    Cependant, ce n’est pas le débat qui se joue alors. Ya’akov comprend que son fils fait une toute autre proposition, parfaitement illogique : Que ses enfants meurent s’il n’accomplit pas correctement sa mission ! Il réagit donc à ce qu’il croit avoir compris des propos de son fils, mais non à son discours réel.

    Dès lors, pourquoi Réouven ne lui explique-t-il pas le fond de sa pensée ? Pourquoi laisser son père croire qu’il est face à un idiot ?

    Pour répondre, reprenons le commentaire de Rachi : «Il n’a pas accepté les paroles de Réouven. Il a dit : ‘Quel premier-né idiot ! Il parle de faire périr ses fils, mais ne sont-ils que ses fils et pas les miens ?’ ».

    A qui Ya’akov parle-t-il ici ?

    C’est là tout le drame de cette historie : Réouven ne sait pas que Ya’akov a mal compris ses propos, car son père ne parle pas à voix haute. Il ne parle à personne, mais uniquement en son for intérieur[3]. Aussi Réouven pense-t-il que son père a parfaitement saisi l’enjeu mis en avant : l’héritage. Dès lors, il n’est plus nécessaire d’argumenter une fois sa proposition avancée, puis refusée.

    Or, si Ya’akov avait parlé à son fils… S’il avait mentionné à voix haute son opinion quant à ce qu’il imaginait être la proposition de Réouven ; il est fort probable que ce dernier l’aurait alors repris : « Papa, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je ne parlais pas de la mort de mes enfants au sens propre, ‘has véShalom ! Mais de l’éventualité que je sois déshérité – et eux aussi par la même occasion – si je ne ramène pas Binyamin vivant ».

    Dans une discussion, un non-dit peut changer énormément de choses. A partir de cet instant, Yéhouda prend complètement le relais, et s’impose désormais comme le représentant de tous les frères face à Yossef. Mais plus encore, les fils de Yossef, Ephraïm et Ménashé, récupèrent finalement la double part du droit d’aînesse sensée échoir à Réouven…

     

    Le non-dit peut avoir des conséquences immenses. Du jour au lendemain, on découvre qu’une de nos connaissances ne nous dit plus bonjour. On ne comprend pas pourquoi, puis on apprend dix ans plus tard qu’on est une fois passé près de lui sans le voir, et que cela a été perçu comme un snobisme volontaire.

     Ou encore : On appelle sans cesse une personne et on tombe constamment sur son répondeur. On se dit que c’est quelqu’un de très occupé qui ne sait pas bien gérer son temps car il oublie toujours de rappeler. Puis on se rend compte au bout de plusieurs mois que le numéro de téléphone n’est pas le bon… Les exemples ne manquent pas, et illustrent tous la même idée : Il faut parler en face à face.

    C’est d’ailleurs une leçon que j’ai apprise du Grand Rabbin de France ‘Haïm Korsia : Lorsque la situation est tendue, on n’envoie pas un sms, encore moins un e-mail, et encore moins une lettre recommandée avec accusé de réception. Si la personne est à l’autre bout du monde, alors on l’appelle au téléphone ou on organise une visioconférence. Mais si la personne n’habite pas au bout du monde, alors on s’organise dans notre emploi du temps pour aller lui parler en face, et surtout, on dit tout ce qu’on a à dire.

    En effet, la lecture de la discussion, et de ses non-dits entre Ya’akov et Réouven, montre que l’absence de communication existe même dans un échange de visu. On entend une remarque, on ne réagit pas, puis tout se dit dans la tête. Or, si on fait part à notre interlocuteur du dérangement causé par sa parole, on peut éventuellement s'appercevoir que ses remarques sont mal comprises… Ce qui peut alors changer notre appréciation de l'autre.

     

    Yona GHERTMAN

     

    [1] Commentaire sur le verset 38.

    [2] Baba Bathra 118b

    [3] Lorsque Réouven parle à son père, le verset montre qu’il s’adresse précisément à lui : « Et Réouven dit vers son père (…) » (43, 37). Cependant au verset suivant, Ya’akov ne répond pas à son fils : « Et il dit : Mon fils n’ira pas avec vous » (au lieu de « Et il lui dit : Mon fils n’ira pas avec vous »). Cette dissymétrie dans le dialogue nous laisse penser que Ya’akov ne s’adresse pas directement à Réouven, ce qui explique pourquoi ce dernier ne l’entend pas. De même dans les mots de Rachi : « Il n’a pas accepté les paroles de Réouven. Il a dit (…) » au lieu de : « Il n’a pas accepté les paroles de Réouven. Il lui a dit (…) ».

  • A propos de l'éducation des jeunes-filles...

    Les jeunes-filles doivent-elles sortir

    ou bien rester cloîtrées à la maison ?

    Paracha Vaychla’h

    Coffre

     

    « Or, Dina, la fille que Léa avait enfantée à Ya’akov, sortit pour faire connaissance avec les filles du pays » (Béréchit 34, 1)

    Après avoir affronté « l’ange d’Essav », Ya’akov s’installe à Shékhem avec sa famille. A peine arrivés, sa fille (Dina) sort et se fait remarquer par Shékhem, le fils du gouverneur du pays, qui la kidnappe et la viole. Rachi commente : « [Elle est appelée à ce moment] ‘la fille de Léa’, et non ‘la fille de Ya’akov’, car elle est ‘sortie’ ; ainsi qu’il est dit : ‘Et Léa sortit à sa rencontre’[1] ; et à ce propos existe un proverbe : ‘telle mère, telle fille’ ».

    Ce commentaire est étonnant à plus d’un titre[2]. Premièrement, dans le cas de Léa, l’initiative de sortir était dans un objectif noble : Elle allait à la rencontre de son mari, dans l’optique de s’unir à lui afin de pouvoir avoir un autre enfant. Rachi lui-même loue sur place la démarche de Léa : « Le Saint, béni soit-Il l’aida, car Issakhar fut conçu là-bas ». Or, dans le cas de Dina, l’objectif de la sortie est complètement différent. Elle sort simplement « pour faire connaissance avec les filles du pays ».

    De plus, la manière dont Rachi amène son propos laisse entendre que sa sortie fut la cause de ce qui lui arriva. Une telle compréhension des évènements semble exagérée : Certes, Dina ne sortait pas nécessairement pour accomplir une mitsva, mais elle ne sortait pas non plus pour accomplir une action négative !

     Si le verset avait mentionné qu’elle était sortie pour rencontrer « les hommes du pays », on aurait pu comprendre ce ton accusateur transparent dans le commentaire de Rachi. Or, c’est naturellement vers « les filles du pays » qu’elle se tourne, ce qui est parfaitement compréhensible : Dina est la seule jeune fille de la fratrie, elle ressent naturellement le besoin de rencontrer d’autres jeunes filles, plutôt que de ne rester qu’avec ses frères[3].

    Mais surtout, si Rachi nous laisse ici avec l’impression que Dina a été kidnappée car elle n’aurait pas dû sortir, il donne par ailleurs une autre raison. En effet, lors de la rencontre entre Essav et Ya’akov, le texte stipule : « Il se leva, quant à lui, pendant la nuit ; il prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants et passa le gué de Jacob » (32, 23). Et le maître champenois de commenter alors : « Et Dina, où était-elle ? Ya‘akov l’avait enfermée dans une caisse verrouillée pour que ‘Essav ne puisse porter ses regards sur elle. Et il a été puni pour l’avoir ainsi refusée à son frère. Peut-être l’aurait-elle ramené vers le bien ! On sait qu’elle est tombée par la suite entre les mains de Chekhem».

    En synthétisant, on remarque que Rachi donne deux raisons totalement opposées expliquant le sort malheureux de Dina :

    1/ Elle n’aurait pas dû sortir

    2. Elle n’aurait pas du être enfermée

    En réalité, il y a également une troisième raison qui ne nous intéresse pas dans le cadre de notre sujet[4]. Les commentateurs de Rachi expliquent simplement qu’il arrive que plusieurs causes complémentaires soient avancées pour expliquer un évènement[5]

    Mais est-ce vraiment possible d’adopter cette méthodologie aux deux premières raisons mentionnées ?

    Evidemment, derrière cette question quelque peu « technique », une problématique sociétale de fond est soulevée : Comment les pères doivent-ils se comporter concernant l’éducation de leurs filles ? Doivent-ils les préserver totalement du monde extérieur ; ou bien doivent-ils les laisser découvrir ce qui existe en dehors de leur maison ?

    Dans le Talmud[6], on retrouve un débat faisant écho à notre sujet, concernant l’attitude du mari envers son épouse. Trois comportements différents sont énoncés :

    1/ Celui qui enferme son épouse chez lui avant de sortir

    2/ Celui qui laisse son épouse avoir une vie sociale avec ses proches

    3/ Celui qui voit sa femme sortir habillée d’une manière indécente et ne lui dit rien

    Alors que le second comportement mentionné est considéré comme sain, les deux autres sont fermement critiqués. Si le silence du mari devant le comportement indécent de son épouse laisse présager un adultère, c’est également le cas de celui qui se conduit en geôlier avec elle. En effet, à force d’être privée de toute vie sociale, cette dernière va fomenter de la haine contre son mari, et risquera ainsi de le tromper si elle rencontre un jour un homme aimable et avenant[7].

    Tel est l’esprit général de la Torah : Eviter les excès et s’orienter vers la voie du milieu[8]. C’est pourquoi le Talmud préconise au mari de laisser son épouse avoir une vie sociale et fréquenter ses proches, tant que cela se déroule avec décence.

    Il en va de même en ce qui concerne l’éducation d’une jeune-fille. Il est périlleux de la laisser sortir constamment, sans avoir de regard sur ce qu’elle fait. Les hommes de la rue sont souvent sans scrupules et sans respect pour la gente féminine. Certes, Dina voulait aller voir d’autres filles. Mais dans la rue il y a des hommes, et ces derniers peuvent être mal intentionnés.

    D’un autre côté, tenter de la garder constamment à la maison va créer chez elle une grande frustration. Sa frustration va grandir au fur et à mesure, jusqu’au jour où elle risque de partir pour de bon et se retrouver livrée au monde extérieur, hostile envers celles qui n’y sont pas préparées. C’est malheureusement ainsi que naît l’idée de fuguer chez les adolescentes concernées. Elles souffrent d’être constamment prises pour des petites filles à qui on refuse toute autonomie, jusqu’au jour où elles vont vouloir devenir libres contre l’avis de leurs parents. Hachem ishmor.

    Il est une nouvelle fois remarquable que la Torah, à travers les commentaires de nos maîtres, se confronte à des enjeux modernes et y apporte une réponse pleine de bon sens. Lorsqu’on est parent, il est très dur d’éduquer nos enfants, car le curseur du juste-milieu est difficile à atteindre. Si l’on se montre trop strict en les restreignant dans leur autonomie, on risque d’aller à l’encontre de drames familiaux. Cependant, si l’on se montre un tant soi peu trop ouvert en leur accordant un peu trop de liberté, le risque est identique.

     Lorsque cela concerne l’éducation des jeunes filles, il y a en plus le risque de les laisser confrontées aux « prédateurs humains » qui sévissent dans la rue. Combien de femmes ressentent un sentiment d’insécurité lorsqu’elles marchent dans une rue peu fréquentée en soirée ? Il s’agit d’un réel problème. Il n’est pas du tout évident pour des parents d’expliquer cela à leurs filles, passées depuis peu de l’enfance à l’adolescence. Ces dernières voient encore le monde avec des yeux d’enfants, alors que les prédateurs humains les voient elles-mêmes comme des femmes…

    Rigidité et permissivité sont donc deux attitudes à bannir, car nocives pour l’éducation des jeunes filles[9]. Les parents doivent leur permettre d’avoir une vie sociale en restant dans la décence, sans excès, et sans se sentir brimées. Encore une fois, il s’agit d’une recommandation plus facile à écrire qu’à mettre en œuvre…

     

    [1] Béréchit 30, 16. Ra’hel et Léa se disputaient alors leur mari ; et Léa prit l’initiative d’aller à sa rencontre car elle avait obtenu de sa sœur la permission de prendre son tour dans la tente de leur mari.

    [2] Les deux premières remarques qui suivent sont inspirées du commentaire d’Abrabanel sur ce passage (réponse à sa question n°4).

    [4] Ya’akov aurait dû retourner tout de suite à Beth-El après la rencontre avec ‘Essav, plutôt que de s’attarder en chemin à Shékhem (cf. Rachi sur Béréchit 35, 1).

    [5] Cf. Gour Arié et R. ‘Ovadiah mi Barténoura sur les versets cités.

    [6] Guittin 90 a-b

    [7] D’après le commentaire de Rachi sur Ibid., s. v. « Papus ben Yéhouda ».

    [8]Cf. Rambam, Hilkhote Déote, chapitre 1.

    [9] Et aussi des jeunes hommes, bien que l’enjeu ne soit pas le même, notre propos partant d’une réflexion sur Dina, et plus généralement sur l’éducation des jeunes filles.

  • Les conséquences de la cupidité (vayétsé)

       Les conséquences de la cupidité

    sur la confiance des enfants envers les parents

    Paracha Vayétsé

     

    Cupidite

    « Ra’hel et Léa répondirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas considérées comme des étrangères à ses yeux ? Car il nous a vendues et il a consumé notre patrimoine» (Béréchit 31, 14-15)

    Contraint d’habiter chez son oncle Lavan (le frère de Rivka), Ya’akov s’aperçoit vite de la fourberie de ce dernier. Alors qu’il consent à lui accorder sa fille cadette (Ra’hel) comme épouse, en échange d’un travail gratuit durant sept années, il met en place un stratagème pour que Ya’akov épouse finalement l’aînée (Léa). Ya’akov doit donc travailler sept années supplémentaires pour se marier avec l’élue de son cœur. Après avoir épousé les deux sœurs au terme de quatorze années de labeur, Lavan fait tout pour que Ya’akov, ses filles, ses servantes et les enfants nés entre temps, restent habiter chez lui. Son patrimoine ne fait qu’augmenter grâce à la bénédiction divine reposant sur son neveu et gendre. Lorsque Ya’akov comprend définitivement que le temps de partir et de donner sa propre direction à son foyer est arrivé, il s’adresse alors à Ra’hel et Léa en leur expliquant que ce départ de chez leur père - nécessairement créateur de conflits - est pour lui la seule alternative.

    Ces dernières écoutent son argumentaire, et prennent clairement position pour leur mari, et donc contre leur père : « Ra’hel et Léa répondirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas considérées comme des étrangères à ses yeux ? Car il nous a vendues et il a consumé notre patrimoine».

    Comment une relation entre père et filles peut-elle atteindre un tel point de non-retour ? N’est-ce pas dramatique et glaçant d’imaginer des filles percevoir ainsi leur père ? Il est d’ailleurs particulièrement frappant que Lavan lui-même semble garder une forte affection pour ses filles. En effet, après avoir poursuivi Ya’akov, et avoir aperçu Hachem le mettant en garde de ne pas l’attaquer, Lavan concède de le laisser partir et conclut un pacte avec lui. Quelle est alors sa condition exigée de son côté ? Le texte répond explicitement : « Que Dieu regarde entre toi et moi, alors que nous serons cachés l’un à l’autre. Si tu humiliais mes filles ; si tu associais d’autres épouses à mes filles… nul n’est avec nous ; mais vois ! Dieu est témoin entre toi et moi ! » (31, 49-50). On s’interroge à la lecture de ces versets : Et si la cupidité n’était pas la seule raison de Lavan dans son refus de laisser partir Ya’akov ?

     Allons un peu plus loin, en revenant vers la première rencontre entre Ra’hel et Ya’akov. Après avoir parlé avec son cousin tout récemment rencontré, Ra’hel court avertir son père à propos de cette rencontre (29, 12). Rachi sur place explique : « Etant donné que sa mère était morte, elle ne pouvait le dire qu’à lui ». Habituellement, une fille est proche de sa mère. Cependant, lorsque celle-ci n’est plus là, c’est au père d’assumer désormais ce rôle. Indubitablement, un père élevant seul ses enfants va se rapprocher d’eux. En effet, plus on s’investit pour quelqu’un, plus on l’affectionne. Ainsi, contraint d’assurer son rôle et celui de la mère de ses filles, Lavan a dû nécessairement s’investir plus que la normale. Il est donc profondément attaché à ses filles, il se préoccupe de leur devenir.

    En retournant de nouveau lors de l’épisode relatant la fuite de Ya’akov, on constate que cette préoccupation pour l’autre n’est pas qu’à sens unique. En effet, on apprend dans le texte que  Ra’hel a volé des « idoles» dans la maison de son père (31, 19). Les commentateurs s’interrogent évidemment sur un tel acte de la part d’une femme ayant épousé la vocation monothéiste des patriarches. La réponse apportée par Rachi attire une nouvelle fois notre attention : « Elle avait l’intention d’éloigner son père de l’idolâtrie ». Remarquable ! Bien qu’ayant décidé de choisir son mari plutôt que son père, Ra’hel continue à se préoccuper de ce dernier ! Elle veut qu’il fasse téchouva ; en d’autres termes, elle désire encore son bien.

    D’après ce que nous avons vu précédemment, tout cela semble parfaitement logique : Il y a dans cette famille uni-parentale une affection mutuelle entre le père et ses filles. Lavan veut le meilleur pour elles, et elles aussi, désirent le meilleur pour leur père.

    Dès lors, la question de départ nous interpelle encore davantage : Comment les filles ont-elles pu finalement couper les liens avec leur père ? C’est lui qui s’est occupé d’elles, il y a un amour mutuel entre elles et lui… Comment la famille est-elle arrivée à un tel point de non-retour ?!

    C’est que Ra’hel n’est pas la seule à « courir ». On voit également Lavan courir, mais pour des raisons différentes. Une première fois, alors que Rivka était encore jeune-fille, et qu’Eli’ézer (le serviteur d’Abraham) était allé chercher une femme pour Itz’hak, il lui avait donné des bijoux de la part de son maître. Apprenant l’arrivée d’Eli’ézer, Lavan court alors à sa rencontre. Rachi commente sur place : « Pourquoi court-t-il et à quel propos court-t-il ? Ce fut, lorsqu’il vit la boucle de nez, il dit [en lui-même] : Cet homme est riche. Aussi tourna-t-il ses yeux vers l’argent ». Puis, quelques années plus tard, alors que Ya’akov arrive chez lui, Lavan court à sa rencontre (29, 13). Rachi commente alors dans le même ordre d’idées : « [Lavan] pensait qu’il portait de l’argent, car le serviteur de la maison vint ici avec dix chameaux bien chargés [d’argent et de bijoux] ».

    Lavan ne change pas avec l’âge. Le trait le caractérisant est la cupidité. Il aime l’argent. Il court après l’argent. Toute sa manière de vivre est guidée par un seul but directeur : Gagner plus, et toujours plus. C’est pour cela qu’il essaye de faire travailler Ya’akov gratuitement le plus longtemps possible, et qu’il ne veut pas le laisser partir.

    Néanmoins, nous l’avons montré : Si Lavan est un homme qui aime l’argent, il est aussi un père qui aime ses filles. Dans ce cas, pourquoi jouer avec leurs sentiments en échangeant Ra’hel avec Léa lors des premières noces ?

    C’est que Lavan aime mal ses filles. Il est tellement obsédé par sa course vers l’argent qu’il ne se rend même pas compte du mal qu’il leur fait. Il tient à elles et il veut leur bonheur, comme le démontre son pacte final avec Ya’akov. Un drame se joue ici : Malgré l’amour réciproque entre Lavan et ses filles, son obsession pour l’argent l’aveugle tellement, qu’il adopte un comportement indigne, provoquant l’éloignement définitif de ses filles.

    C’est un mal intemporel que souligne la Torah en filagramme : Les parents peuvent « tuer » leurs enfants à cause de leur obsession pour l’argent. Ils sont tellement obsédés par le profit – notamment car la société pousse dans ce sens – qu’ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à leur progéniture. Cela ne signifie pas que ces parents n’aiment pas leurs enfants, mais qu’ils les aiment mal. Or, la conséquence de mal aimer son enfant peut être terrible. L’enfant ressent lorsque ses parents font passer leur intérêt personnel avant le sien. A long terme, une déception grandit en lui et l’éloigne peu à peu. Dans les cas extrêmes, la suite sera la coupure des relations de la part des enfants. Le pire est que beaucoup de parents vont justifier leur course effrénée en se disant qu’ils font cela « pour la famille ». Alors que de leur côté, les enfants ressentent l’absence du père, toujours occupé à ses affaires, comme une plaie ne cessant de s’agrandir.

    Ainsi, Lavan apparaît précisément comme l’exemple à ne pas suivre pour les parents. Il ne suffit pas d’aimer ses enfants, il faut aussi bien les aimer, ce qui est tout un programme…

     

    Yona GHERTMAN

  • La cause du déluge : la corruption des élites

    La corruption des élites, cause profonde du déluge

     

     

    Maboul

    La description des fautes qui ont entraîné le déluge s'étale sur trois versets :

    בראשית פרשת נח פרק ו פסוק יא - יג

    (יא) וַתִּשָּׁחֵ֥ת הָאָ֖רֶץ לִפְנֵ֣י הָֽאֱלֹהִ֑ים וַתִּמָּלֵ֥א הָאָ֖רֶץ חָמָֽס:

    La terre s'est détruite devant "le elohim" et la terre s'est remplie d’iniquité / « hamas »

    (יב) וַיַּ֧רְא אֱלֹהִ֛ים אֶת־הָאָ֖רֶץ וְהִנֵּ֣ה נִשְׁחָ֑תָה כִּֽי־הִשְׁחִ֧ית כָּל־בָּשָׂ֛ר אֶת־דַּרְכּ֖וֹ עַל־הָאָֽרֶץ: ס

    Elokim a vu la terre, qu'elle s'était détruite, car toute chair avait détruit sa voie sur la terre

    (יג) וַיֹּ֨אמֶר אֱלֹהִ֜ים לְנֹ֗חַ קֵ֤ץ כָּל־בָּשָׂר֙ בָּ֣א לְפָנַ֔י כִּֽי־מָלְאָ֥ה הָאָ֛רֶץ חָמָ֖ס מִפְּנֵיהֶ֑ם וְהִנְנִ֥י מַשְׁחִיתָ֖ם אֶת־הָאָֽרֶץ:

    Elokim dit à Noa'h : La fin de toute chair est venue devant moi, car la terre s'est remplie d'iniquité / « ‘hamas » à cause d'eux, et voici Je vais les détruire avec la terre

    I/ Analyse du texte et questions

    On remarque tout d’abord le nombre de récurrences du mot "la terre" : Il se retrouve à deux reprises par verset, soit six fois dans ces trois versets. Cette répétition provoque une redondance évidente, et laisse penser à une insistance volontaire sur le rôle de "la terre" dans les causes du déluge.

    Une seconde remarque concerne la différence dans la présentation de "Elohim" entre le verset 11 et les deux versets suivants. Dans le premier verset, le mot est précédé d'un article défini, alors que cet article est omis dans les deux suivants.

    Une autre répétition à priori superflue intervient entre le verset 11 et le verset 12. S'il est dit dans le premier que toute la terre s'est détruite "devant le Elohim", n'est-ce pas évident que "Elokim" le voit ? Dans ce cas pourquoi préciser au début du verset suivant : "Elokim a vu la terre, qu'elle s'était détruite".

    De plus, la part entre le "'hamas" (iniquité) et la "destruction de la terre" n'est pas claire. On a l'impression dans le premier verset que "la terre s'est détruite" concerne un comportement spécifique, alors que la "la terre s'est remplie de 'hamas" en concerne un autre. Cependant, au verset suivant, Hachem voit que "la terre s'est détruite", et que toute chair "a détruit sa voie sur terre", mais il n'est plus question de "'hamas". Puis, lorsqu'Hachem parle à Noa'h dans le dernier verset afin de lui expliquer l'imminente destruction du genre humain, il ne met l'accent que sur le 'hamas (iniquité).

    C'est ce qui fera dire à Rachi : "Leur décret n'a été scellé que par le vol". Auparavant, Rachi expliquait sur le verset 11 que l'autre catégorie de crimes commis incluait idolâtrie et relations interdites. Or, la Guemara écrit que le meurtre, l'idolâtrie et les relations interdites sont les "fautes capitales", responsables notamment de la destruction du premier Temple de Jérusalem[1]. Dans ce cas, en quoi le "vol", même s'il est accompagné de violence (car c'est semble-t-il la délimitation du "hamas") prendrait-il le pas face aux deux fautes gravissimes de guilouï arayote (débauche) et 'avoda zara (idolâtrie) ?

    II/ Proposition de lecture cohérente

    Nous proposons d’expliquer tout d’abord que le premier « HaElohim » dont il est question dans le verset 11 n’est pas Hachem, mais la caste des juges et seigneurs dirigeant sur la terre[2].

    L’insistance sur « la terre » rappelle par ailleurs le concept de « derekh-erets », qui au sens large traduit la manière de vivre dans le monde. On constate d’ailleurs qu’au verset 12, les hommes sont accusés d’avoir trahi leur « chemin sur la terre ».

    Ces deux préalables posés, il est alors possible de proposer une lecture cohérente répondant à toutes les questions posées précédemment :

    Pour que la vie sur terre remplisse son objectif, elle doit obéir à deux conditions fondamentales : Le respect de Dieu et de ses règles, ainsi que l’harmonie entre les hommes et les femmes. Mais voilà qu’avec la bénédiction des puissants de ce monde, la débauche et l’idolâtrie ont commencé à devenir légion. Le libertinage étant le réveil des instincts les plus primaires du monde, il prend rapidement une connotation égoïste. Le libertin veut « prendre », et même s’il se donne, c’est en raison de la satisfaction (donc du « prendre ») que cela lui apporte. Le libertinage poussé à son paroxysme aboutit à de la violence, car il faut prendre par la violence celui ou celle qui ne veut pas être pris. Ce système de vie est totalement contradictoire avec le principe de la famille prôné dès la Genèse, mais qu’importe, c’est là qu’intervient l’insertion de l’idolâtrie, dont le seul objectif réel est d’apporter une License à la débauche[3].

    Relisons le verset 11 à la lumière de ces quelques idées :

    Le libertinage a commencé à devenir la norme parmi les hommes avec la bénédiction des juges et des hommes politiques, se cachant derrière les idoles qu’ils s’étaient fabriqués pour asseoir leur pouvoir (= La terre s'est détruite devant "les elohim"). Par conséquent, les rapts avec violence se sont multipliés, toujours sous leurs auspices, car il fallait bien prendre de force les hommes et femmes qui refusaient de se plier à ce système dégénéré (= et la terre s'est remplie d’iniquité/’hamas).

    Le constat d’Hachem concerne donc la cause du mal, c’est-à-dire la volonté de quitter le chemin classique tracé pour les humains évoluant sur la terre, excluant libertinage et idolâtrie, au profit de la famille. C’est la première partie du verset 12 : « Elohim a vu la terre, qu'elle s'était détruite ». Puis, la seconde partie du verset revient sur la systématisation du libertinage, s’étendant à tous les êtres humains, et plus seulement aux puissants de ce monde. Les juges et hommes politiques ont finalement réussi à influencer toute l’humanité (ou du moins ceux qui ont la force d’être parmi ceux qui prennent ou se font prendre par choix) : « car toute chair avait détruit sa voie sur la terre ».

    Cependant, lorsqu’Il va s’adresser à Noa’h, Hachem va mettre l’accent sur les moyens employés qui sont intolérables, car aboutissant à un stade de négation de l’humain incompatible avec le chemin des hommes sur terre. Lisons ainsi le verset 13 « Elohim dit à Noa'h : La fin de toute chair est venue devant moi, car la terre s'est remplie d'iniquité à cause d'eux » 

    = Lorsque les puissants de ce monde usent de violence pour prendre tout ce qu’ils désirent, qu’ils considèrent les hommes et les femmes comme de simples acquisitions leur permettant d’assouvir leurs pulsions sexuelles, alors le chemin de la vie sur terre se trouve bloqué, et eux (les juges et les hommes politiques) en sont la cause.

    D’où la conclusion sans appel qui conclue le verset 13 et notre passage : « et voici Je vais les détruire avec la terre »

    = Le chemin correct pour vivre en harmonie sur terre n’est plus du tout empruntable. Il convient de tout recommencer. Bien que la violence ne soit qu’une conséquence du libertinage cautionné par l’idolâtrie, il s’agissait d’une conséquence inévitable, en raison du travers des puissants qui ont usé de leur ascendance sur le monde pour soumettre la terre et ses habitants à leurs plus bas instincts.

     

     

    Yona GHERTMAN


    [1] Yoma 9a

    [2] Telle est notamment l’explication du Kéli Yakar.

    [3] Cf. Sanhédrin 63a.

  • Le bon fonctionnement d'une entreprise

    Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

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    Le bon fonctionnement d’une entreprise

     

    Dans l’épisode des dix plaies, Moshé et Aharon se retrouvent plusieurs fois devant le Pharaon, en tant que porteurs de la parole de Dieu. Par la suite, après la sortie d’Egypte, leurs rôles se distinguent davantage. Moshé devient celui qui transmet la Torah, alors que les prérogatives de la prêtrise (Kéhouna) reviennent à Aharon. Or, pour l’heure, les deux frères semblent avoir un rôle similaire :

     « Ce sont Aharon et Moshé, à qui Dieu dit: "Faites sortir les enfants d'Israël du pays d'Égypte, selon leurs légions." Ce sont eux qui parlèrent à Pharaon, roi d'Égypte, à l'effet de conduire hors d'Égypte les enfants d'Israël; ce sont Moshé et Aharon (Vaéra 6, 26-27)

    Rachi rapporte une Tossefta : « Parfois Aharon est mentionné avant Moshé, d’autres fois Moshé est mentionné avant Aharon. C’est pour te dire qu’ils étaient équivalents ». 

    Cependant, il est étonnant que les deux frères soient placés sur un pied d’égalité, car d’autres versets de la Torah présentent explicitement Moshé comme ayant un niveau supérieur. En effet, comme le rappelle l’auteur du Torah-Temima, c’est lui qui monte chercher la Torah au mont Sinaï, la recevant directement de Dieu. De plus, l’écriture témoigne qu’aucun homme ne l’égale quant à son humilité (Bamidbar 12, 3), et à son degré de prophétie (Devarim 34, 10).

    Dès lors, pourquoi parler d’équivalence entre les deux frères ?

    Pour le Rav Baroukh Epstein, il est évident que Moshé a un niveau inégalé. Cette sentence de la Tossefta (citée par Rachi) cible un moment bien précis : celui de la sortie d’Egypte. Moshé en était l’acteur principal, alors qu’Aharon lui était accessoire. Cependant, en ce qui concerne le dialogue avec le Pharaon et les magiciens, Aharon semble être celui qui se met le plus en avant, Moshé apparaissant sur ce point comme son second.

    Il aurait été possible de voir ainsi une complémentarité entre les deux hommes : En ce qui concerne l’action, Moshé est supérieur, mais en ce qui concerne la parole, c’est Aharon qui est plus important. Cependant, Rav Epstein repousse cette hypothèse en se fondant sur notre passage. En effet, il est écrit au verset 6 : « Ce sont Aharon et Moshé, à qui Dieu dit: "Faites sortir les enfants d'Israël du pays d'Égypte ». On voit qu’il est question ici de l’action (la sortie d’Egypte), or c’est Aharon qui est mentionné en premier. Puis au verset 7, le sujet change et l’ordre s’inverse : « Ce sont eux qui parlèrent à Pharaon, roi d'Égypte, à l'effet de conduire hors d'Égypte les enfants d'Israël; ce sont Moshé et Aharon ». Il est désormais question de la parole, mais Moshé est cité avant son frère.

    Selon l’auteur du Torah-Temima, c’est précisément dans cette organisation des deux versets que se trouve la clef de l’idée d’une équivalence entre Moshé et Aharon. En réalité, les deux frères sont aussi compétents l’un que l’autre, pour agir comme pour parler. Néanmoins, Hachem a décidé d’un ordre. Il a demandé que Aharon soit la « voix » principale, et Moshé l’acteur de la sortie d’Egypte, davantage sur le devant de la scène.

    En termes contemporains, on pourrait dire que le bon fonctionnement d’une bonne entreprise dépend davantage de la répartition des tâches en amont, que des qualités personnelles des acteurs.

     

    Yona GHERTMAN

     

    תורה תמימה הערות שמות פרק ו הערה יט
    יט) במשנה כריתות ח' א' חשיב כמה דברים ששקולים הם ולא חשיב הא דאהרן ומשה וצריך באור למה, וי"ל דשם חשיב רק הדברים הנוגעים לדינא, וגם י"ל משום דבאמת לא יתכן לומר ששקולים הם ממש, שהרי באמת מצינו במשה ענינים נעלים שאין כמוהו בזולתו, כמו עלותו אל האלהים והיותו שם ארבעים יום וארבעים לילה וכו', וכן במדות מפורש אומר הכתוב והאיש משה ענו מאד מכל האדם אשר על פני האדמה דבכלל אלה גם אהרן, וכן אומר הכתוב ולא קם נביא עוד בישראל כמשה, וגם איתא בתוספתא מגילה פ"ג הקטן מתרגם ע"י גדול אבל אין כבוד שיתרגם גדול על ידי קטן שנאמר ואהרן אחיך יהיה נביאך, הרי דקרא למשה גדול לגבי אהרן, ולכן לא חשבה המשנה זה בין שאר הדברים שחשבה לשקולים ממש. ומה שאמרה התוספתא שקולים הם נראה לבאר הכונה בשנדקדק לשון הפסוק הזה הוא אהרן ומשה אשר אמר ה' להם הוציאו את בני ישראל מארץ מצרים, ובפסוק הבא הם המדברים אל פרעה מלך מצרים וגו' הוא משה ואהרן, והנה ידוע הוא דעיקר מתעסק בענין יציאת מצרים ע"י הקדוש ברוך הוא היה משה, ואהרן היה טפל לו, כמבואר בהמשך הפרשיות, וכנגד זה עיקר המתעסק בדבור פה עם פרעה ועם שריו וחרטומיו היה אהרן, כמפורש בפסוק ואהרן אחיך יהיה נביאך, ואהרן אחיך ידבר אל פרעה, ובפרט זה של הדבור היה משה טפל לו, ולפי"ז היה מהראוי שבענין תוצאת כללות הענין יוקדם משה לאהרן כעיקר לפני הטפל, ובענין פרט הדבור יוקדם אהרן למשה ג"כ כעיקר לפני הטפל. אבל באמת כתוב מפורש להיפך, ובוא וראה שבפסוק שלפנינו שבו איירי מעיקר המעשה בפועל כמ"ש אשר אמר ה' להם הוציאו את בני ישראל הקדים אהרן למשה, ובפסוק הבא דאיירי בענין הדבור אל פרעה שבזה היה אהרן עיקר הקדים משה לאהרן, וזה פלא, וזו היא הכונה ששקולים הם, כלומר שהיו ראויים שניהם להיות עקרים בשני המעשים, אלא שכך סידר הקדוש ברוך הוא, לזה המעשה ולזה הדבור: 

     

     

  • La famille en politique (Chemote)

            Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

     

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              Chemote : La famille en politique

     

     

    « Yossef, tous ses frères et toutes cette génération mourut» Chémot 1, 6

     

    Le Talmud ‘explique’ : « Pourquoi Yossef est-il mort avant ses frères ? Parce qu’il s’est comporté avec supériorité » (Brahot 55a).

    Pour qui est habitué aux textes de la tradition, le renvoie est immédiat « les postes de pouvoir enterrent ceux qui les possèdent, et raccourcissent l’existence ». (Youma 86b)

    S’agit-il de cela concernant Yossef ? Le Midrash (ChémotRabba sur ce verset) explique pourtant le contraire. Glosant le verset « Yossef était en Egypte » (Chémot 1.5), le Midrash explique que son mode d’être n’a pas varié au cours de son séjour égyptien « sa vie durant il est resté identique à ce qu’il était au départ : un simple esclave ». Il semble donc ne pas avoir abusé de sa position de pouvoir. Comment concilier ces deux textes ?

    Une autre question plus contextuelle se pose : comment voir dans la narration de la mort de Yossef et ses frères une allusion à ce comportement de supériorité ?

    Le Torah Tmima met ce texte en rapport avec un autre Midrash (Pirkei de Rabbi Eliézer § 29)

    « A dix reprises, les frères de Yossef ont dit ‘notre père, ton serviteur’, sans que Yossef ne leur rétorque rien ». Dans le §44 de Béréchit, dans la longue diatribe finale de Yéhouda avant le dévoilement de Yossef, les frères témoignent du respect à Yossef en lui affirmant qu’eux même, et leur père sont ses serviteurs. Yossef alaissé les frères dire que leur père Yaakov était son serviteur. Voilà la supériorité qu’il a montrée. Il ne s’agit ni de dédain, ni même d’abus de pouvoir, mais une absence de protestation. Le comportement de Yossef en Egypte n’a donc pas varié au cours des années, il a su rester simple ; mais pour avoir laissé dire par dix fois la sujétion du père à son pouvoir, sa vie a été raccourcie de dix ans.

    Imaginons la scène : les frères doivent du respect au ministre, ils le lui montrent. Que se serait-il passé si Yossef s’était dévoilé sans avoir entendu le discours de Yéhouda ? Rien. Son dévoilement a été motivé par son incapacité à contrôler ses émotions (Béréchit 45.1). Ce que le Midrash reproche à Yossef ce n’est pas sa stratégie, mais le fait qu’il renverse la véritable hiérarchie au profit d’une hiérarchie toute politique, en se prenant au jeu du pouvoir, mentalement. L’inversion de rapport du supérieur à l’inférieur aurait dû être à lui seul la jauge du dévoilement de Yossef.

     

    Franck Benhamou

     

     

     

    יוסף וכל אחיו

    א"ר חמא ב"ר חנינא, מפני מה מת יוסף קודם לאחיו מפני שהנהיג עצמו ברבנות אפירש"י שמת יוסף קודם לאחיו דכתיב וימת יוסף וכל אחיו, עכ"ל. ונראה דאע"פ די"ל דהפסוק מספר סתם שמת יוסף וכל אחיו ולא בכונה שמת קודם להם, אך הענין הוא דאם לא אשמעינן הכתוב כונה מיוחדת בלשון זה ל"ל לאשמעינן כאן דמת יוסף הא כבר כתיב לעיל ס"פ ויחי וימת יוסף, וה"ל למימר וימותו [המה] וכל הדור ההוא, ודרשו שמת קודם לאחיו, דהוא חי מאה ועשר שנים, [כמבואר ס"פ ויחי] ואחיו ק"כ שנה [לא נתבאר המקור לזה] ונענש בזה מפני שהנהיג עצמו ברבנות, ולא נתבאר איפוא רמוזה הנהגתו זאת, אבל בפרקי דר"א פ' כ"ט מבואר דלכן נענש בהתקצרות החיים עשר שנים מפני ששמע מאחיו עשר פעמים שאמרו לו על יעקב עבדך אבינו ולא אמר להם מידי, ואע"פ שבתורה מבואר רק חמש פעמים מאמר זה (פעם א' בס"פ מקץ וד' טעמים בר"פ ויגש), אך הוא שמע ה' פעמים מהם וה' פעמים מהמליץ שבינותם.
    וצ"ל דהוכרח הפדר"א לפרש דענין הנהגתו ברבנות היה רק דבר זה ולא הנהגה בכלל ברבנות ונענש בזה עפ"י מאמר חז"ל דהרבנות מקברת בעליה ומקצרת ימיו, יען שדרשו במ"ר ר"פ זו עה"פ ויוסף היה במצרים, ללמדך שאע"פ שזכה יוסף למלכות בכ"ז לא נתגאה על אחיו ועל בית אביו, וכשם שהיה קטן בעיניו מתחלה כשהיה עבד במצרים כך היה קטן בעיניו אחר שהיה מלך, ע"כ. הרי מבואר ההפך שלא נהג עצמו ברבנות כלל, ולכן ההכרח לפרש שחטא רק בזה ששמע מאחיו שאמרו על יעקב עבדך אבינו ולא אמר להם מידי, ותו לא, ודו"ק

  • L'erreur de l'homme brouille son chemin

    Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

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    L’erreur de l’homme brouille son chemin, et c’est contre Dieu qu’il s’emporte

    Ce verset des Proverbes (19.3) semble remuer le fond de culpabilité qui git au cœur des hommes. Lorsqu’une personne faute, elle préfère s’en prendre à Dieu plutôt que de reconnaitre sa culpabilité. Leçon précieuse, leçon aussi qui montre bien le peu d’estime dans lequel l’auteur des proverbes tient les  humains, mais aussi le deal qu’ils entretiennent avec Dieu : Dieu n’est toléré dans la vie des hommes que pour peu qu’Il ne révèle pas les erreurs que l’on fait.

    «  RabbiYohanan demanda au petit enfant de Rech Lakich, le contenu de ce verset ne se trouverait-il que dans les Proverbes ? Y aurait-il des sentences qui ne seraient pas allusionnées dans la Torah ? Et l’enfant de rétorquer : n’est-il pas écrit -lorsque les frères de Yossef découvrent au fond de leur sac que l’intégralité du prix de la marchandise achetée en Egypte a été reversée : « le frère qui trouva l’argent dans l’auberge (à leur retour d’Egypte) s’exclama ‘qu’est-ce que Dieu nous a fait ?’ (en reversant cette somme dans une de nos sacoches). » (Taanit 9a)

    Tous les commentateurs pointent l’erreur fatale des frères qui les amène à s’emporter contre Dieu : la vente de leur frère, Yossef. C’est par exemple ce que dira le Maharcha (commentaire sur Taanit9a) sur le Midrash ici rapporté.

    Pourtant quelques versets plus hauts les frères ont unanimement reconnu leur responsabilité quant à la vente de leur frère : « et nous voici coupables de n’avoir pas écouter la souffrance de notre frère alors qu’il nous suppliait » disaient-t-ils (42.21). Comment alors comprendre ce que dit le Midrsah : puisqu’il n’y a plus de culpabilité quant à cette vente, pourquoi ce verset illustre-t-il l’adage des proverbes ‘une erreur de l’homme brouille son chemin, et il s’en prend à Dieu » ?

    Le Torah Tmima répond très simplement à cette question : l’erreur dont il est question ici, n’est pas liée à la vente de Yossef, le solde de leur action a déjà été liquidé.

    C’est que, pour notre auteur, l’erreur des frères n’a pas à voir avec la grande tragédie de la culpabilité finie ou infinie de l’homme. Ce dont il s’agit c’est une erreur beaucoup plus prosaïque : les frères n’ont pas vérifié leurs sacs !

    Ce qu’enseigne le Torah Tmima c’est qu’une toute petite erreur aussi engendre un raz de marée contre Dieu ! Plus, cette erreur n’a aucun rapport avec les exigences de la religion, mais tout à faire avec un manque de prudence.

    Inutile donc d’attendre les grands monuments tragiques pour comprendre la culpabilité : dès qu’un homme sent -très lointainement- qu’il n’a pas fait ce qu’il devait faire, il est prêt à s’emporter contre Dieu.

    A plusieurs reprises dans Béréchit, on peut assister à une critique en bonne et due forme du langage religieux. Dans cette même voie : un simple manque de prudence et c’est Dieu tout entier qui est critiqué ! Pour dire cela il faut être capable de dire que l’évocation du nom de Dieu, cache quelque chose. Mais pas la culpabilité plus ou moins ordinaire de la gente humaine. Ce qui est caché c’est la responsabilité que j’ai dans mes actes, dans les actes les plus banales de la vie quotidienne : dès lors que je ne fais pas preuve de prudence c’est Dieu qui est incriminé.

    Comment comprendre le sens de cette remarque ? Pourquoi Dieu serait-il le grand criminel ? C’est  Dieu qui est la source de l’intelligibilité du monde. De ne pas être prudent, on brouille son chemin, et même pour une broutille (ivélét) sans même qu’il soit question de culpabilité. Car au fond la prudence est commandée par Dieu, à chaque instant :  il faut maintenir l’intelligibilité de son propre chemin en faisant preuve de prudence.

    Comment l’enfanta-t-il pu être sensible à cela dans le verset ? Il me semble que tout se joue dans l’évocation du Nom de Dieu.  Or ici l’audace qui consiste à évoquer Dieu, éveille l’oreille des Sages.  On n’invoque pas le Nom de Dieu sans raison précise. Et c’est pour nous une leçon, une leçon d’écoute autant qu’une leçon de vie.

     

    Franck Benhamou

     

    תורה תמימה הערות בראשית פרק מב הערה ו
    ו) עיין בחא"ג שפירש שענין האולת הוא המעשה בכלל ממכירת יוסף אשר על כן נענשו, ותמה על זה, הלא מפורש איתא בענין הפרשה שאמרו אבל אשמים אנחנו על אחינו וגו', הרי שתלו האשמה בהם, וכן מורה מאמרם ליוסף, האלהים מצא את עון עבדיך, ועיי"ש שטרח מאד ליישב הענין, ואין הדברים מרוחים כלל כפי שיתבאר למעיין. והנה אמנם גם מרש"י כאן מבואר שהאולת הוא ענין מכירת יוסף, וכ"ד כל המפרשים, אבל לפי"ז יקשה עוד ששמשו לזה הלשון אולת, דיותר הי' נאות לזה הלשון חטאת אדם. ועוד יש להעיר הרבה בפי' זה כפי שימצא המעיין. אבל לדעתי הפירוש האמת והברור הוא כמ"ש במדרש לקח טוב המכונה פסיקתא זוטרתא בפרשה זו, וז"ל, מה זאת עשה אלהים לנו, זהו שאמר הכתוב אולת אדם תסלף דרכו ועל ה' יזעף לבו, שהי' להם לראות שקיהם קודם שיצאו משם אם חטים נתנו להם או שעורים, עכ"ל, ור"ל שאם היו רואים מה נתנו להם היו רואים את הכסף שבפי השקים והיו משיבים תיכף ונצולים מן הצער, ובזה הכל מבואר, ולמותר האריכות. וראה איך יתיישב לפי"ז בישוב טוב ונכון דקדוק נמרץ בפרשה, שהרי מבואר כי כולם מצאו כספם כבואם לביתם, כמש"כ ויבאו אל יעקב אביהם וגו' ויהי הם מריקים שקיהם והנה איש צרור כספו בשקו ויראו וגו' המה ואביהם וייראו, ובספרם אח"כ ענין מציאה זו לפני האיש אשר על בית יוסף אמרו ויהי כי באנו אל המלון ונפתחה את אמתחותינו והנה כסף איש בפי אמתחתו, ואינו מבואר לכאורה לאיזו כונה שינו לספר שמצאו הכסף בהיותם במלון ולא בבואם לביתם כאשר כן הי' באמת, אך לפי מש"כ הענין מבואר מאד, יען כי בושו לומר שנואלו להמתין בבדיקת השקים עד בואם לביתם, אשר כן לא יעשה, ולא יכלו לומר כי עודם במצרים בדקו, יען כי אז הי' קשה למה לא השיבו תיכף, לכן הגידו שבמלון הראשון בדקו ומצאו, ודו"ק
    : 

  • Favoriser un enfant par rapport à un autre ?

    Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

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    Favoriser un enfant par rapport à l’autre ?

    Or Israël préférait Joseph à ses autres enfants parce qu'il était le fils de sa vieillesse ; et il lui avait fait une tunique à rayures.  Ses frères, voyant que leur père l'aimait de préférence à eux tous, le prirent en haine et ne purent se résoudre à lui parler amicalement.

    (Béréchit 37, 3-4)

    L’épisode de la vente de Yossef interpelle. Comment les fils de Ya’akov, les ancêtres des dix tribus, ont-ils pu s’en prendre à leur frère ? Nos maîtres présentent plusieurs clefs pour résoudre cette énigme. Arrêtons-nous sur l’une d’entre-elle rapportée dans le Talmud :

    « On ne doit pas accorder de préférence à un enfant par rapport aux autres. En effet, à cause d’un tissu de laine d’un poids de deux séla que confectionna Ya’akov pour Yossef, et non pour ses autres fils, ses frères le prirent en haine, ce qui entraîna la descente de nos ancêtres en Egypte » (Shabbat 10b).

    Dans un premier temps, le Rav Baroukh Epstein rapporte la question de Tossfot : L’exil en Egypte n’avait-il pas déjà été prévu lors de l’alliance entre Hachem et Abraham ? Notre auteur propose alors deux réponses[1]   :

     
    1. La descente en Egypte aurait pu se dérouler d’une autre manière, sans être liée à notre patriarche, Ya’akov
    2. Lors de l’alliance, il avait été décrété que les descendants d’Abraham seraient asservis par une grande nation. C’est uniquement maintenant, en raison de la jalousie provoquée par le don de la fameuse tunique, que la destination de l’exil se précise : Ce sera en Egypte.

    Ce premier point met donc l’accent sur la problématique du rapport entre la providence divine et les actions humaines. Certes, le plan divin est nécessairement prévu. Cependant, les modalités de son exécution dépendent de nos comportements.

    Dans un second temps, l’auteur du Torah-Temima rapporte les propos du Rambam : « Nos maîtres ont ordonné de ne pas faire de préférence - même minime - entre ses enfants, de son vivant, afin qu’ils n’en viennent pas à se disputer et se jalouser, comme les frères de Yossef vis-à-vis de lui » (Hilkhote Na’halote 6, 13).

    Le Rav Baroukh Epstein remarque que le Rambam précise bien : « de son vivant ». Cette précision implique qu’une préférence accordée dans le partage de l’héritage pourrait être licite. Aussi explique-t-il que les enfants n’oseraient pas entrer en rivalité dans un tel cas, car leur préoccupation première serait d’accomplir la volonté de leur père disparu.

    Cependant, cette différence entre une préférence accordée du vivant des parents, ou prévue après leur disparition, n’est pas mentionnée par le Tour (‘Hochen Michpat 282). Il semble donc que pour lui, toute marque de préférence est interdite dans l’absolu.

    [Cet article n’a pas vocation à donner la halakha pratique sur le sujet. Aussi la remarque à suivre ne concerne que le plan des idées : La manière dont le Torah-Temima comprend le Rambam est magnifique. Cependant, dans la réalité, on constate que les choses se passent autrement. Les disputes au sein d’une même famille au moment du partage de l’héritage sont fréquentes. Aussi la position du Tour nous semble-t-il plus conforme à la vie concrète : La volonté de respecter les propos du parent décédé n’exclue pas la montée d’un ressentiment vis-à-vis des membres de la fratrie qui ont été favorisés…]

    Enfin, l’auteur du Torah-Temima conclue en s’étonnant que cette sentence des Sages du Talmud n’est pas codifiée par l’auteur du Shoul’han ‘Aroukh

    [Qu’il nous soit permis de supposer que Rabbi Yossef Karo a davantage perçu ce passage talmudique comme une Aggada indiquant un comportement général à suivre. Or, de multiples situations spécifiques et complexes peuvent exister et délimiter les relations entre membres d’une même famille. Il existe indubitablement des domaines dans lesquels la Halakha ne peut pas intervenir en raison. C’est alors à la Aggada de proposer des principes moraux, et au bon sens de déterminer si ceux-ci sont applicables en l’espèce.]

                                                                                                                                                                                                                                                                                   

    Yona GHERTMAN

     

     

     

    תורה תמימה הערות בראשית פרק לז הערה יא
    ר"ל שע"י הכתונת נתעוררה הקנאה ונתגלגלה סבת מכירת יוסף ויתר המאורעות עד בואם למצרים. ובתוס' הקשו, דהא שעבוד מצרים נגזר מכבר בברית בין הבתרים (פ' לך), וי"ל הכונה שבשביל הכתונת נתגלגל הדבר ע"י יעקב ולא בדרך אחרת, דבברית בין הבתרים לא נפרטה שם המדינה שאליה ישתעבדו, וכאן נתגלגלו למצרים. - וע' ברמב"ם פ"ו הי"ג מנחלות כתב ע"פ דרשא זו, וז"ל, צוו חכמים שלא ישנה אדם בנו בין הבנים בחייו אפילו דבר מועט שלא יבאו לידי תחרות וקנאה כאחי יוסף עם יוסף, עכ"ל, ומה שהוסיף שלא ישנה בחייו, נראה פשוט משום דבמותו נתנה תורה רשות להרבות לאחד מבניו ולהמעיט לזולתו, והא דלא חיישינן בזה משום קנאה, י"ל הטעם דכיון דמצוה לקיים דברי המת, ואם יתקנאו ויתחרו עבור זה, אין זה קיום אמתי. כך צריך בהכרח ליישב דעת הרמב"ם. אבל הטור חו"מ סי' רפ"ב לא הוסיף התנאי בחייו, ונראה מדבריו שם דאפילו לפני מותו אסור לעשות כן, ולפלא על בעלי השו"ע שהשמיטו כל דין דרשא זו, וצ"ע: 

     

    [1] Ces deux réponses lui sont personnelles. Il rapporte uniquement la question de Tossfot, mais non sa réponse, selon laquelle la souffrance de l’exil fut augmentée à partir de ce moment.

  • Il suffira d'un signe... ('Hayé Sarah - Torah Temima)

    Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima

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    Paracha ‘Hayé Sarah : Il suffira d'un signe...

     

    Et il dit: "Seigneur, Dieu de mon maître Abraham! Daigne me procurer aujourd'hui une rencontre et sois favorable à mon maître Abraham. Voici, je me trouve au bord de la fontaine et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l'eau. Eh bien! La jeune fille à qui je dirai: ‘Veuille pencher ta cruche, que je boive’ et qui répondra: ‘Bois, puis je ferai boire aussi tes chameaux’, puisses-tu l'avoir destinée à ton serviteur Isaac et puissé-je reconnaître par elle que tu t'es montré favorable à mon maître!"

    (Béréchit 24, 12-14)

    « Toute divination (ni’houch) qui n’est pas comme [celle d’] Eliézer le serviteur d’Abraham n’est pas de la divination »

     (‘Houline 95b)

     

    Les commentateurs de la Torah et du Talmud sont en désaccord sur le sens de cette affirmation talmudique. La question de fond est la suivante : Est-il permis de « demander un signe » avant d’entreprendre une action ; ou bien cela s’apparente-t-il à une superstition interdite, car à la limite de la croyance en des forces obscures ?

    Selon le Rav Baroukh Epstein, cette polémique n’a pas lieu d’être. Le problème n’est pas de « demander un signe », mais à quel interlocuteur s’adresser pour cela. S’il est évident que l’on s’adresse à Dieu, il n’y a là aucun interdit. C’est d’ailleurs tout le problème de la sorcellerie (kichouf) : Nier l’impact de la providence divine sur les évènements du quotidien (cf. ‘Houline 7b).

    Au contraire, Eliézer agit en s’adressant à Hachem. Il place sa confiance en Lui et il se met dans la position  - humble – de celui qui prie. Selon l’auteur du Torah-Temima – habitué aux digressions halakhiques dans son commentaire - il est permis à tous d’agir de la sorte, à priori.

    Cependant, la question demeure quant au sens du passage talmudique mis en avant. Selon le Rav Epstein, il s’agit d’une stigmatisation de celui qui demanderait un signe dans des conditions semblables à celles d’Eliézer, mais sans associer Hachem à sa requête. Un tel comportement est formellement interdit.

    La démarche est la même en ce qui concerne le signe demandé par Yonathan, le fils du roi Shaoul, afin de savoir s’il doit attaquer ou non l’ennemi (Shmouel, ch. 14). Ici encore, loin des longs commentaires développés sur le sujet par les commentateurs du Talmud et de la Bible, notre auteur conclut le débat rapidement, mais sûrement : Yonathan a également demandé un signe en s’adressant à Dieu. Cette stratégie était donc évidemment permise.

    Ce commentaire du Torah-Temima est pertinent à double titre :

    • Sur la forme, il apporte une position claire, simple, mais percutante dans un débat ayant pourtant déjà fait couler beaucoup d’encre.
    • Sur le fond, il rappelle avec brio que demander un signe est une attitude saine du point de vue de la Torah, tant que l’on garde conscience qu’il proviendra exclusivement d’Hachem.

     

    Yona GHERTMAN

     

    תורה תמימה הערות בראשית פרק כד הערה יז
    יז) ר"ל כל נחוש שאינו סומך עליו ממש לעשות מעשה על פיו כמו שעשה אליעזר עבד אברהם כמבואר בפרשה אין בזה משום איסור לא תנחשו. והתוס' הקשו איך עשה כן אליעזר למ"ד דבן נח מצווה על הכישוף, ותרצו דההוא תנא סבר שלא נתן לה הצמידים עד שהגידה לו בת מי היא, ואף על פי דכתיב ויקח האיש נזם זהב ויתן ואח"כ ויאמר בת מי את - אין מוקדם ומאוחר בתורה, וכן משמע כשסיפר, דכתיב ואשאל אותה ואומר בת מי את וגו', עכ"ל, והדוחק מבואר, ועיין בבאורי הגר"א ליו"ד סי' קע"ט ס"ק י"א, והרבה מפרשים עמלו בישוב כל ענין זה. אבל מה שנראה ברור בכלל ענין זה, כי באמת אינו אסור רק נחוש כזה שמנחש על המקרה עצמו מבלי להזכיר שם ה' ומבלי בקש ממנו סיעתו לסבוב מקרה זה, משום דאז יש בזה ענין כשוף, כמ"ש בחולין ז' ב' למה נקרא שמן כשפים שמכחישין פמליא של מעלה, והיינו שמסירים כביכול את השגחת ה' ומאמתים מעשיהם הם, משא"כ אליעזר שאמר כאן ה' אלהי אדוני אברהם הקרה נא לפני היום וגו', והיה הנערה אשר תאמר וגו' אותה הוכחת לעבדך, הרי שעשה הכל בדרך אמונה ותפילה, שביקש מהקב"ה שיסבב לו סימן זה למען יהי' בטוח במעשיו, אין בזה אף ריח נחוש וכשוף ונדנוד איסור, ומותר לכל אדם לעשות כן לכתחלה. ומה שאמרו בגמרא כל נחוש שאינו כאליעזר עבד אברהם אינו נחוש - הכונה אם עשה סימן כזה בדרך נחוש מבלי הזכיר שם ה'. ועם באור זה יתיישב הכל, וגם יתיישב ע"פ דרך זה מה שהקשו התוס' בסמוך מיונתן בן שאול האיך ניחש - יען כי גם הוא זכר שם ה', כמבואר בקרא, ודו"ק: 

  • La Théodicée du Covid en question

    Cycle : La paracha selon le Torah-Temima 

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    La Théodicée du Covid en question

     

     

    La fameuse négociation d’Avraham avec Dieu à propos des villes de Sodome et Gomorrhe se trouve dans notre Paracha.

    Coupables de comportements moralement détestables, les habitants de la ville de Sodome vont bientôt voir s’abattre le feu et le souffre qui mèneront à la destruction totale des villes.

    Avraham essaie d’empêcher ce destin funeste en arguant auprès de Dieu qu’il ne peut raisonnablement détruire une ville entière dans laquelle se trouvent des Justes. Parti de 50, la négociation aboutit à un chiffre de 10 justes au-delà duquel Dieu accepte de ne pas déclencher son courroux.

    L’argument massue d’Avraham touche à une question fondamentale qui doit agiter l’esprit de tout croyant, celui de la théodicée. Ou, en termes talmudiques : « Le Méchant vit des choses positives tandis que le Juste est affligé » (Racha veTovlo, TzadikveRalo).

    Avraham le formule ainsi au Chapitre XVIII, verset 25 : חָלִ֨לָה לְּךָ֜ מֵעֲשֹׂ֣ת ׀ כַּדָּבָ֣ר הַזֶּ֗ה לְהָמִ֤ית צַדִּיק֙ עִם־רָשָׁ֔ע וְהָיָ֥ה כַצַּדִּ֖יק כָּרָשָׁ֑ע חָלִ֣לָה לָּ֔ךְ הֲשֹׁפֵט֙ כָּל־הָאָ֔רֶץ לֹ֥א יַעֲשֶׂ֖ה מִשְׁפָּֽט׃

    « Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable, les traitant tous deux de même façon! Loin de toi! Celui qui juge toute la terre serait-il un juge inique?"

    Avraham ici fait appel à la dimension de justice divine intrinsèque au Maître du monde. D’après le Talmud Avoda Zara 4a, que le Torah Temima rapporte dans son commentaire, le fait de faire mourir le Juste en même temps que le Méchant est une profanation de l’idée même de justice divine.

    Mais évidemment, si ici Dieu accepte de surseoir à la destruction de Sodome si 10 Justes s’y trouvent, ce n’est pas l’expérience que chacun vit au quotidien.  Et notamment pendant cette période difficile de pandémie de Covid, où on a le sentiment que celui-ci frappe de façon aveugle, indépendamment des mérites de chacun.

    Comment concevoir ce décalage entre l’absolue nécessité de croire en une justice divine et la réalité du monde dans lequel nous vivons, qui nous fait ressentir une forme d’indifférenciation dans les malheurs qui s’abattent sur les hommes ?
    C’est une immense question, peut-être la plus troublante qui est posée à un Juif et de nombreux géants de la tradition juive s’y sont attaqués avec courage. Le plus notable d’entre eux étant probablement Maïmonide.

    Ce n’est donc pas ici que nous la résoudrons, mais il est intéressant de noter le passage talmudique que le Torah Temima rapporte dans son commentaire sur ce verset. Il s’agit du traité Baba Kama, p. 60b.

    Où nous retrouvons un des passages d’une actualité troublante puisqu’on y traite, entre autres, de l’attitude à adopter en cas de pandémie (Dever). Les Sages indiquent qu’en cas de pandémie dans une ville, il ne faut surtout pas rester à l’endroit où la majorité de la foule se trouve (« au milieu des chemins »), mais s’isoler pour ne pas « entrer en contact avec l’Ange de la Mort. Texte frappant alors que nous sommes nous-mêmes actuellement en confinement et dissuadés de nous retrouver dans les grands lieux de rassemblement.

    Quel rapport avec la Théodicée ? Car, si Dieu sauve les Justes, pourquoi ne pas imaginer que cette consigne d’isolement ne s’applique pas à eux ?

    Non, répond implicitement la Guemara, car à partir du moment où Dieu a donné l’autorisation à l’Ange de la Mort de frapper, il faut tout faire pour éviter de se retrouver en sa présence car il a la possibilité de tuer indistinctement.

    Résumons : oui, Dieu peut éviter de frapper les Justes, comme il le promet à Avraham. Mais il ne le fera pas de façon magique : les Justes doivent prendre en compte le fait que l’Ange de la mort (ou la Nature, ou le Virus, appelez-le comme vous voulez) peut frapper comme il l’entend à partir du moment où il en a reçu l’autorisation.

    Chacun d’entre nous a la responsabilité matérielle d’éviter de se retrouver dans une situation périlleuse et de ne pas « tenter le diable ». La preuve de cela ? Lorsque Dieu envoie la 10ème plaie d’Egypte, la mort des premiers-nés, il demande au peuple de marquer leur maison et de ne surtout pas en sortir. Car si c’était le cas, il ne pourrait pas éviter leur mort. De même, si Lot est finalement sauvé de Sodome, c’est parce qu’on vient le chercher et qu’il accepte, à contre-cœur de quitter la ville. S’il y était resté, tout Juste qu’il fut, il aurait été détruit avec le reste de la ville.

    Le Torah Temima, en mettant en regard ces passages talmudiques apparemment contradictoires, semble faire résonner les innovations maïmonidiennes en matière de providence divine dans son Guide des Egarés. Ce commentaire prend aussi une signification particulière lorsqu’on sait que son auteur, après avoir émigré aux Etats-Unis en 1923, est revenu en Europe de l’Est en 1926 à Pinsk où il mourut de l’incendie de l’hôpital où il avait été admis, perpétré par les Nazis en 1941.

     

    FRISON

  • Les scénarios d'autodestruction et les valeurs

    Cycle : la Parasha selon le Torah-Temima

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    Les scénarios d’auto-destruction et les valeurs

     

     

    « Le monde était perverti aux yeux de Dieu, rempli d’iniquités ». (Béréchit 6.11)

    Comment un être se donne une représentation de ce qui le conduit à sa propre perte ? Que ce soit un homme ou une civilisation, une telle représentation est une jauge de ses valeurs. On s’attendrait de la part d’un texte religieux à ce que les fautes ‘religieuses’ soient fatales. En l’espèce, pour la Torah elles sont connues : idolâtries, incestes ; la lecture que propose les Sages du verset qui signe la destruction de l’humanité par le déluge est emblématique : c’est donc sans surprise ‘la perversion aux yeux de Dieu’ est interprété comme signifiant ces fautes capitales ;  mais comment comprendre les termes ‘rempli d’iniquité’ de la fin du verset ? Une simple redite, une généralisation ?

    Le Talmud s’empare de cette redite : « Observe la force de l’iniquité (‘hamas), parce que le sort de la génération du déluge n’a été scellé que [parce qu’ils] volaient ». Comment comprendre le terme de ‘hamas, rendu assez traditionnellement par ‘iniquité’, ‘violence’ ? Question de vocabulaire qui laisse de côté l’essentiel : sur quoi se joue notre propre perte ?

    « D’un homme qui sortait avec un sac de fruits, les gens grapillaient de petites quantités, non condamnables juridiquement ». Selon le Talmud de Jérusalem, les petits larcins, de valeur insignifiante, sont la cause du Déluge. Pourquoi pas ? Nous avons bien assisté à la destruction de l’industrie du disque par le téléchargement ! Rien que de très banal.

    Le Torah Tmima met cette affirmation en regard d’une autre maxime du Talmud : une personne qui  ne tient pas parole  [par exemple en s’engageant verbalement à acquérir un objet, mais finalement ne l’achète pas]  n’est pas juridiquement coupable. Le Talmud fait tout même planer sur lui un avertissement « Celui qui a fait payer la génération du déluge et de la tour de Babel [i-e Dieu]  se fera payé de celui qui ne tient parole ». Le ‘hamas qui déstabilise une société ce n’est pas l’accumulation des petits larcins. Mais un rapport léger à la parole engageante. Comment comprendre cela ?

    Un petit détour par l’emploi dans la Bible du terme ‘hamas permet d’y voir plus clair. Un témoin mensonger est appelé èd ‘hamas. Lorsque Sara ‘critique’ Abraham de ne pas lui avoir donné d’enfants (!), elle lui dit « ‘hamasialé’ha’ », ma faute provient de toi[1]

    Les petits vols du quotidien ne sont pas pénalisables : qui pourrait réclamer quelques centimes ? Ces vols restent sous les radars de la justice de la même manière que ne pas tenir parole. Se tenir en dessous des filets de la justice, n’est pas une cause de destruction du monde ; en revanche, ils traduisent une volonté profonde de l’homme d’être hors du champ de la justice. Les transgressions massives (incestes ou idolâtries) ne remettent en avant ce désir d’être hors-justice. Par contre celui-ci se montre à travers des actes insignifiants, furtifs, qui témoignent d’une lame de fond de l’être humain.

     

     

    Franck Benhamou

     

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    כי מלאה וגו'.תניא, מה היו חומסין, בר נש הוי נפיק וטעין קופה מלאה תורמסין, והיו מתכוונין וגומלין פחות פחות משוה פרוטה, דבר שאינו יוצא בדיינים כתורמסין הוא מין קטניות, והמפרשים טרחו לפרש כונת שאלת הירושלמי ותירוצו ופרשו בדרך רחוקה, אבל האמת הוא, כי באה דרשא זו כאן בירושלמי קצרה וחסרה, וצ"ל כמו שהיא לפנינו במ"ר כאן בזה"ל, כי מלאה הארץ חמס, איזהו חמס ואיזהו גזל, א"ר חנינא, חמס אינו שוה פרוטה וגזל שוה פרוטה, וכך היו אנשי דור המבול עושים, היה [ר"ל כשהיה] אחד מהם מוציא קופתו מלאה תורמסין והי' זה בא ונוטל פחות משו"פ וזה בא ונוטל פחות משו"פ עד מקום שאינו יכול להוציאו בדין, ע"כ, והיא היא אגדת הירושלמי שלפנינו. וטעם הדבר בפחות משו"פ אינו יוצא בדיינים, משום דבהשבת גזל כתיב (ס"פ ויקרא) והשיב, ואין השבה חשיבה בפחות משו"פ, ועיי"ש לפנינו. –
    וטעם הדבר שנענשו על פחות משו"פ י"ל ע"פ מה דקיי"ל דב"נ נהרג על פחות משו"פ כמבואר בעירובין ס"ב א' ובכ"מ, וא"כ לדידי' חשיבא פחות משו"פ כמו שו"פ לישראל [ואע"פ שאינו יוצא בדיינים משום לא פלוג]. ובזה ניחא בב"ק ס"ב א' שחקרו מה בין גזלן לחמסן ולא אמרו החלוק המפורש כאן בירושלמי ומ"ר, חמס אינו שו"פ וגזל שו"פ, יען דבגמרא חקרו בדינים הנוגעים לישראל אשר אצלו פחות משו"פ אינו חשוב, וכאן איירי בב"נ. –
    ודע דע"פ דרשת הירושלמי שלפנינו יתבאר היטב מ"ש בב"מ מ"ח א' בעונש מי שאינו עומד בדבורו, מי שפרע מאנשי דור המבול הוא יפרע ממי שאינו עומד בדבורו, ולא נתבאר שייכות הענינים זל"ז, אך הנה אמרו בגמרא שם דמדינא חייב אדם לעמוד בדבורו משום הן שלך צדק, אך מפני שאין בזה רק בטחון דברים לכן אין התביעה יוצאת בדיינים, ולפי המבואר דבדור המבול גזלו דבר שאין יוצא בדיינים ונפרע הקב"ה מהם, לכן אומרים לזה שאינו עומד בדבורו מי שפרע מאנשי דור המבול אע"פ שעברו על דבר שאינו יוצא בדיינים הוא יפרע ממי שאינו עומד בדבורו שאף הוא עובר על דבר שאינו יוצא בדיינים, ודו"ק. ומה שאמרו עוד ומי שפרע מאנשי דור הפלגה ומאנשי סדום יש על זה טעמים מיוחדים. .
    (ירושלמי ב"מ פ"דה"ב)

    כי מלאה וגו'.א"ר יוחנן, בוא וראה כמה גדול כחה של חמס, שהרי דור המבול עברו על הכל ולא נחתם עליהם גזר דינם עד שפשטו ידיהם בגזל, שנאמר כי מלאה הארץ חמס מפניהם והנני משחיתם את הארץ יטלא נתבאר למה באמת גדול כל כך כחה של חמס מכחה של עריות, והלא עון עריות הוא אחד מהדברים שיהרג ואל יעבור עליהם. ואפשר לומר ע"פ מ"ד במ"ר פרשה זו (פ' ל"ח) ובמס' ד"א זוטא פ"ט, גדול השלום שאפי' ישראל עובדים ע"ז ושלום ביניהם, אומר הקב"ה, כביכול אין אני יכול לשלוט בהם, שנאמר (הושע ד׳:י״ז) חבור עצבים אפרים הנח לו, אבל משנחלקו מה הוא אומר (שם) חלק לבם עתה יאשמו, ע"כ. ולפי"ז כל זמן שלא גזלו וחמסו והי' שלום ביניהם לכן לא נענשו. אבל מכיון שפשטו ידיהם בגזל, שזה גורם למחלוקת ושנאה אז נאשמו ונענשו על כל עבירות שהיו בידם מקודם. וע"ע מש"כ בענין דרשא זו בר"פ תצא בפסוק כי יהי' לאיש בן סורר ומורה, בדרשא בן ולא בת. –

     

    [1] Le Midrash expliquera que lorsque Dieu promit un héritier à Abraham, ce dernier cherche à savoir comment Dieu va-t-il s’y prendre. Sara, reproche à Abraham, de ne pas l’avoir désignée comme condition nécessaire de cet héritage auprès de Dieu, laissant ainsi la possibilité à la servante Hagar d’être la mère de la nation abrahamique. Faute légère, mettant en avant une forme de négligence de son épouse devant son destin personnel. 

  • Du fondement de la Torah selon le Talmud

    Cycle : la Paracha selon le Torah-Temima

     

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    Du fondement de la Torah selon le Talmud. Commentaire sur Béréchit.

     

    Le livre Torah Tmima de Rav Barouh Halévy Epstein (1860-1942) n’est pas un commentateur de la Torah. Il vise à élucider le sens des passages talmudiques qui s’appuient sur les versets de la Torah. Ce travail est novateur parce que systématique. Il ne réconcilie pas le texte biblique avec le dit talmudique. Le geste d’écriture consiste à comprendre comment les rabbins ont pu, grâceà l’opacité du texte, forger leur propre parole : ce qui nécessite une relecture attentive et méticuleuse. L’apport du Talmud sera toujours une attention infinie à la lettre, mais aussi une confiance illimitée en la parole en ce qu’elle est structurée par la logique. Voilà pour la méthode.

    Le verset énonce (Béréchit 5.1)

    « Ceci est l'histoire des générations de l'humanité. Lorsque Dieu créa l'être humain, il le fit à sa propre ressemblance. »

    Phrase anodine, d’introduction à une généalogie, pourtant sa construction n’est pas banale. Le Talmud rapporte ce verset :

    « Rabbi Akiva dit : ‘tu aimeras ton prochain comme toi-même’ est un grand principe de la Torah, Ben Azay dit ‘Ceci est l'histoire des générations de l'humanité’ est un principe plus fondamental. » (Talmud de Jérusalem, Nédarim, 9.4)

    Texte énigmatique : comment comprendre qu’on évoque ce verset pour le mettre en rapport avec l’amour du prochain qui serait moins fondamental ? Et en quoi y aurait-il un principe plus fondamental que l’amour du prochain ? On se rappelle ce célèbre texte talmudique (Chabbat 31 a) où Hillel importuné par un idolâtre qui voulait apprendre toute la Torah sur un pied, répond « aime ton prochain comme toi-même, le reste n’est que commentaire ». L’amour du prochain serait-il fondateur de la Torah ? Pourtant aucun des théologiens ne l’a comptabilisé ne serait-ce que comme ‘principe’.

    Rav Epstein s’appuie sur ce texte du traité Chabbat : il fait remarquer que Rabbi Akiva possède un autre principe « ta vie précède celle de l’autre[1] ! » (Baba Métsia 62 a). Peut-on imaginer une morale plus éloignée de celle qui ferait de l’amour du prochain un principe fondamental ?

    On se rappelle l’anecdote d’Hillel mais on oublie la maxime qu’en retire le Talmud : ne fait pas à ton prochain ce que tu détestes qu’on te fasse. Version négative de l’amour du prochain ; l’amour du prochain n’est pas compris comme un élan du cœur, on sait que le Talmud n’aime pas ces phrases pleines de bonnes intentions, mais totalement déconnectées de la réalité humaine ; en donnant une version négative, on possède un critère de réalisation qui permet de rendre effectif cet amour. Le Rav Epstein dira ceci en quelques mots « à première vue, il n’est pas possible d’aimer son prochain autant que soi-même », or c’est l’exact énoncé du verset (Vayikra 19.18). 

    On comprend alors que Rabbi Akiva qui affirme que « ta vie précède celle de l’autre » dira que le contenu de l’amour du prochain consistera à « ne pas faire contre la volonté de l’autre », contre ce qu’il déteste. Certes tout le monde déteste s’entendre dire « ma vie précède la tienne » ; mais ce principe ne dit pas que ma vie au nom d’une quelconque idéologie aurait supériorité en rang ou en dignité à celle d’un autre, mais le principe consiste à affirmer qu’il ne faut pas aller contre la volonté de l’autre, contre ce qu’il déteste. Or dans le cas de deux personnes dans un désert, vivre ou mourir n’est pas une affaire de gout !

    Ben Azay voudrait apprendre un principe plus fondamental, qui s’énonce sous la forme d’un verset ‘Ceci est l'histoire des générations de l'humanité. Lorsque Dieu créa l'être humain, il le fit à sa propre ressemblance. » On voit clairement qu’il s’agit de rappeler que l’homme est à l’image de Dieu.  "Si quelqu’un ne se respecte pas soi-même » faudrait-il le respecter ?" la morale de Rabbi Akiva répond par la négative à cette question : sa volonté n’exprimant pas le désir d’être respecté, nul n’est tenu de le respecter plus qu’il ne l’attend. C’est la morale négative de l’amour du prochain. Mais Ben Zay convoque Dieu : l’homme est à l’image de Dieu, et si un homme ne se respecte pas lui-même, il faudra le respecter au nom de cette image divine.

    La discussion prend alors une tournure plus radicale : au nom de quoi faudrait-il respecter son prochain ? On sait que le civisme impose de le faire pour assurer la stabilité de la société. Mais la Torah ne s’intéresse pas à ces questions politiques. Ici le respect dû à l’autre se trouve soit fondé sur l’égalité entre hommes (Rabbi Aquiva) soit sur la dimension divine qui git ‘sur le visage de l’autre’ (Ben Azay).

    Mais la discussion prend une seconde dimension plus religieuse, si l’on se rappelle que « l’autre » peut être aussi Dieu, comme le précise Rachi dans son commentaire sur Chabbat : selon Rabbi Aquiva ce que l’on trouve dans la Torah c’est la volonté divine, ce qu’Il hait et ce qu’Il aime. Selon Ben Azay c’est le visage de Dieu qui est scruté à travers la connaissance et la pratique de la Torah : voir le visage de Dieu là où l’homme lui-même s’est oublié.

    Franck Benhamou

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    זה ספר וגו'.

    תניא, רבי עקיבא אומר, ואהבת לרעך כמוך (פ' קדושים) כלל גדול בתורה, בן עזאי אומר, זה ספר תולדות אדם – כלל גדול מזה בר"ע רומז למ"ש באגדה דשבת ל"א א' בההוא עובד אלילים שבא לפני הלל שילמדנו כל התורה כשהוא עומד על רגל אחת, אמר לו, מה דעלך סני לחברך לא תעביד, זו היא כל התורה ואידך פירושא היא וכו', והכונה דכמו שעליך שנוא זה שיעבור על דבריך כך לא תעבור אתה על מצות ה' שבאת ללמוד תורתו, וזה הוא יסוד התורה, ואידך פירושא דמילתא לדעת איזה דבר שנוא לפני הקב"ה זיל גמור, וזו היא כונת ר"ע כאן ע"ד הדרש וצחות הלשון. ומה שנראה לו להסמיך זה הדרש על זה הלשון הוא משום דבפשיטות קשה הענין לצוות על אדם שיאהב את חבירו כמו שאוהב את עצמו, מפני שזה דבר הנמנע מצד הטבע, וגם ר"ע בעצמו ס"ל (ב"מ ס"ב א ) חייך קודמין לחיי חברך, ולכן דריש שאהבה זו פירושה העדר השנאה והיינו שלא יעשה כנגד רצונו, ואם לאדם כן, מכש"כ להקב"ה.
    ובן עזאי מוסיף, דמדברי ר"ע שמעינן רק מה דעלך סני לחברך לא תעביד, וא"כ משמע דמי שאינו חושש לכבוד עצמו אינו דרוש לחוש גם על כבוד אחרים, על זה אומר, זה ספר תולדות אדם בדמות

     

    [1] Le cas illustrant ce principe : deux personnes dans le désert, une gourde d’eau ! Dois-je céder ma gourde ?

  • Yossef le juste - Ramban Mikets

       PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    'Yossef le juste' - paracha Mikets

      

    ‘’Yossef le juste’’. Telle est l’appellation la plus commune de ce fils de Yaacov. Mais est-elle juste ?

     

    La famine fait rage dans toute la région. Yaacov, entendant que l’Égypte possède encore du blé, y envoie ses fils en chercher.

    Or, le gouverneur en charge de distribuer le blé à tout le paysn’est autre que Yossef. Celui-ci, dès l’arrivée de ses frères, leur parle sèchement et fait mine de ne pas les reconnaître.Il les accuse même d’être des espions,venus chercher les faiblesses de l’Égypte.En effet, il lui avait été rapporté que dix princes arrivés par des portes différentes, s’étaient ensuite rassemblés à sa porte pour réclamer de la nourriture.

    Cette accusation n’est pas dénuée de tout sens, étant donné que Yaacov avait enjoint ses fils à entrer chacun par unedifférente porte.En réalité, il ne s’agissait pas d’espionnage mais plutôt d’une protection mutuelle si un ennemi venait à les attaquer.

    Lors de cette rencontre , Yossef se remémore ses rêves[1]de jeunesse (Bereshit 42 :9)

    וַיִּזְכֹּריוֹסֵף--אֵתהַחֲלֹמוֹת, אֲשֶׁרחָלַםלָהֶם; וַיֹּאמֶראֲלֵהֶםמְרַגְּלִיםאַתֶּם, לִרְאוֹתאֶת-עֶרְוַתהָאָרֶץבָּאתֶם

    Joseph se souvint alors des songes qu'il avait eus à leur sujet. II leur dit: "Vous êtes des espions! C'est pour découvrir le côté faible du pays que vous êtes venus!".

     

    À propos de ce verset,les exégètes Rashi et Ramban sont en désaccord.

    D’après Rashi[2], c’est en voyant ses frères se prosterner devant lui que son rêve devient réalité.Cependant, il est difficile de comprendre comment Yossef continue de faire souffrir son père et le laisse prolonger son deuil si son rêve s’est réalisé.

    Selon Ramban[3], uniquement le songe des gerbes s’est déroulé. Le songe des étoiles spécifie la présence de onze étoiles1, or lors de cette première rencontre ils ne sont que dix frères. Ledeuxième rêve ne s’étant pas réalisé, Yossef ne peut pas encorefaire tomber son masque.

     

    Une lecture attentive nous permet de remarquer une absence totale de D.ieu dans cette parasha et même auparavant, depuis la disparition de Yossef dans la parasha précédente.

    Alors que Yossef interprétait les rêves des maîtres panetier et échansons puis de Pharaon, il ne se cachait pas n’être qu’à l’ombre de D.ieu. Seul D.ieu est maître de l’explication des rêves.

    Plus encore,dans le verset מב,כה, Yossef dit à Pharaon :(Bereshit 41 :25)

    אֵתאֲשֶׁרהָאֱלֹהִיםעֹשֶׂה, הִגִּידלְפַרְעֹה.

    ce que Dieu prépare, il l'a annoncé à Pharaon.

    Lorsque Yossef voit ses frères pour la première fois,le souvenir de ses rêves lui est revenu. Il se rend compte qu’il ne s’agit en aucun cas de ses propres rêves, mais plutôt du projet deD.ieu.

    Ilest à présent en charge d’accomplir ce projet, acteur du film se déroulant sous ses yeux.

    Tenu d’y prendre part et de tout faire pour le réaliser intégralement.

    Mais telque nous l’avons souligné plus haut, Ramban le remarque, le deuxième rêve ne s’est pas réalisé.

    Uneseconde rencontre s’impose, permettant à la fratrie toute entière de se remettre en questions et de se repentir, notamment sur la vente de Yossef. Rencontre où seront présents l’ensemble de la fratrie ainsi que Yaacov. Rencontre permettant à tous les enfants de Yaacov de se lier au projet divin, afin de faire une entrée en Égypte en tant que famille soudée et unie prête à affronter les difficultés de l’esclavage.

     

     

    Koren ASSOULINE


    [1]Rappelons brièvement les rêves de Yossef. Au début de la parashatVayeshev, Yossef fit deux rêves :

    1. Bereshit 37 :7 Nous composions des gerbes dans le champ, soudain ma gerbe se dressa ; elle resta debout et les vôtre se rangèrent à l’entour et s’inclinèrent devant la mienne.
    2. Bereshit 37 :9 J’ai fait encore un songe où j’ai vu le soleil, la lune et onze étoiles se prosterner devant moi.

    Ces rêves ne firent que décupler la haine que ces frères lui vouaient.

     

    [2]רש״י בראשית מב,ט 

    [3]רמב״ן בראשית מב ט

  • Vayéchev avec le Ramban

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    Jacob était un migrant comme son père en terre de Canaan

    Ramban sur Vayéchev

     

    Jacob demeura dans le pays des pérégrinations de son père, dans le pays de Canaan (Béréchit 37.1)

    Quel est l’intérêt de ce verset ? Le verset suivant indique très classiquement « voici les engendrements », pourquoi les introduire par un verset superflu ?

    Ce verset renvoie au verset précédent où était écrit « tels sont les chefs d’Edom (Esav) selon leur résidence selon le pays qu’ils occupaient  : tel fut Esav le père d’Edom » (36.43). Il y a donc matière à comparaison. Quelle est sa nature ? Rachi répondait :

    Jacob demeura Après t’avoir énuméré sommairement les séjours d’Esav et de ses descendants – ni leur distinction ni leur importance ne justifiant un récit détaillé de leurs installations ni des guerres par lesquelles ils ont chassé les ‘Hori – le texte va s’arrêter longuement, et en en retraçant l’enchaînement des circonstances, sur les séjours de Jacob et de ses descendants. L’importance qu’ils revêtent devant Hachem vaut que l’on s’y attarde(…) On peut comparer la chose à une pierre précieuse qui serait tombée dans le sable. On fouille dans le sable, on le passe au tamis jusqu’à ce qu’on retrouve la perle. Une fois qu’elle a été trouvée, on jette le sable et on conserve la perle. Autre explication : « Jacob demeura ». C’est comme un marchand de lin dont les chameaux arrivent chargés de balles de cette marchandise. Survient le forgeron qui se demande avec étonnement où l’on va pouvoir loger tout ce lin. Un homme astucieux lui répond : « Une étincelle sortira de ta forge et fera tout flamber ! » De même (…) Une étincelle sortira de Yossef, qui les consumera tous.

    (Rachi)

    Pour Rachi Esav est négligeable devant Jacob, voire voué à la destruction. On peut alors demander au commentateur champenois pourquoi consacrer à la généalogie d’Esav un chapitre entier ? Rachi dans son commentaire du chapitre précédent a montré que la descendance d’Esav était de mauvaise mœurs. Ramban taxe d’interprétations exagérées tous les midrashim accusant Esav. En effet la lecture du chapitre 36 n’est pas aussi explicite. La redondance des noms qui y figure n’est pas nécessairement le signe d’incestes.

    Ibn Ezra répond de façon un peu neutre que contrairement à Esav « Jacob choisit de résider dans la terre d’élection ». Certes le commentaire compare la différence de choix des deux frères, mais pourquoi alors ne pas simplement parler de la terre de Canaan, pourquoi ajouter « la terre des pérégrinations de son père » ?

    Le commentaire de Ramban est un entrelacs : par quelques mots il nous renvoie à son paysage de réflexion et de commentaires.

    Pour lui Esav n’est pas décrit comme un impie patenté, mais comme un homme qui a choisit d’habiter une autre terre que Canaan. Pourquoi un tel choix ? Ramban explique que l’habitation en Canaan est conditionnée à la nécessité de passer par l’exil pour prétendre à la terre d’Israël. Esav habite dans la terre qu’il a conquis, il ‘occupait la terre ‘, pour employer le terme du verset, terme qui indique aussi une notion d’héritage, c’est dire l’implantation d’Esav en terre d’Edom : il ne veut pas être un migrant.

    L’exil est sensé durer 400 ans, c’est-à-dire dès la naissance d’Isaac, ce qui implique qu’il faut habiter la terre de Canaan comme des migrants (gèr). Pour reprendre les termes d’Ibn Ezra, la terre de Canaan est la terre choisie, mais il faut y séjourner comme des migrants. C’est ce difficile héritage paternel qu’a choisi Jacob. L’intérêt de ce premier verset est alors simple : les engendrements de Jacob ne sont pas à lire comme autant d’implantations en Canaan ; pire, le 37.2 met en avant Joseph comme descendant de Jacob : l’homme qui fut le vecteur de la migration en Egypte de l’ensemble des gens de Jacob. Le verset oppose donc bien les choix d’Esav et de Jacob ainsi que les conséquences : fin de l’histoire de Jacob frère d’Esav, et début de l’histoire du peuple juif, comme migrant.

     

     

    Franck Benhamou

    רמב"ן בראשית פרק לז

    (א) טעם וישב יעקב בארץ מגורי אביו - כי אמר שאלופי עשו ישבו בארץ אחוזתם, כלומר הארץ שלקחו להם לאחוזת עולם, אבל יעקב ישב גר כאביו בארץ לא להם אלא לכנען. והכונה להגיד כי הם בוחרים לגור בארץ הנבחרת, ושנתקיים בהם כי גר יהיה זרעך בארץ לא להם (לעיל טו יג), ולא בעשו, כי ביעקב לבדו יקרא להם זרע

  • D'un destin qui ne serait que du semblant

        PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    D’un destin qui ne serait pas que du semblant. Toldot.

     

    Parfois le commentateur jette l’éponge. C’est sans doute le signe d’un certain recul sur sa capacité d’interprétation. Et ici, Ramban le fait très clairement :

    רמב"ן בראשית פרק כו

    יספר הכתוב ויאריך בענין הבארות, ואין בפשוטי הספור תועלת ולא כבוד גדול ליצחק, והוא ואביו עשו אותם בשוה, אבל יש בדבר ענין נסתר בתוכו, כי בא להודיע דבר עתיד

    Le verset s’étend au sujet des puits creusés par Isaac, il n’y a pas d’intérêt dans la littéralité des versets, ni rien de très glorieux concernant Isaac, lui et son père ont fait la même chose, mais il y a un thème cryptique, annonciateur.

    Le commentateur s’embarque alors dans une lecture symbolique du récit des puits. Ce que je voudrais ici, c’est de montrer une faille dans l’interprétation du Ramban qui l’oblige à botter en touche vers une lecture symbolique.

    Le thème dont il traite est ennuyant au possible : la Torah s’allonge sur une trentaine de versets sur des histoires de puits volés. On retrouve un protagoniste d’Abraham (Aviméléh) roi de Gérar. Le problème est que ce chapitre est le seul où Isaac agit véritablement en son nom propre. En qualifiant comme  le fait Nahmanidece chapitre, c’est presque la vie entière d’Isaac qui est disqualifiée. Mais la question de fond est posée : pourquoi Isaac ? En quoi est-il une figure importante en tant que patriarche. Nous l’avons vu dans l’épisode de sa ligature, est-il quelqu’un d’autre que cet enfant sacrifié/non-sacrifié pour la Cause ?

    Résumons l’histoire : C’est la famine. Dieu demande à Isaac de rester sur cette terre (Gérar terre des Philistins), « je bénirai ta descendance parce qu’Abraham a conservé mes lois » ; il y demeure, sème, et devient riche. Trop riche au gout des habitants de l’endroit qui lui demandent de partir. Mais auparavant le verset précise « et tous les puis qu’avait creusé Abraham son père avaient été bouchés par les Philistins ». Isaac migre dans la vallée de Gérar, réouvre les puits de son père, les appelant des noms qui leur avaient été donnés par Abraham. A deux reprises les bergers de Gérar s’en prennent à Isaac qui leur donne un nom en rapport avec l’évènement : ‘Dispute’ et ‘Accusation’. Puis, après s’être déplacé, il ouvre un troisième puits, qui n’est pas l’objet de dispute, il le nomme « élargissements », car « maintenant Dieu nous a élargi, et nous nous multiplions dans la terre »[1]. Dieu se révèle à nouveau, l’assurant de sa bénédiction « à cause d’Abraham, Mon serviteur ». Isaac fait un autel, creuse un puits. Aviméléh vient vers lui arguant « nous avons vu que Dieu (le tétragramme) était avec toi, conclus une alliance avec nous ». Alliance conclue, les servants d’Isaac viennent annoncer que de l’eau a jailli du puits.

    Ramban lit l’ensemble de l’histoire à l’aune de la vie d’Abraham : Isaac fait la même chose que son père. Et, mêmes’il « appelle » l’endroit du nom de Béer Chava, en réalité Abraham avait déjà appelé cet endroit de ce même nom, pour une alliance qui avait également été scellée avec Aviméléh .

    L’ensemble du commentaire tourne autour des similarités avec la vie d’Abraham, ce qui fait dire à notre commentateur que ce chapitre n’apporte pas grand-chose, du point de vue littéral. Tout au plus si l’on veut moderniser la lecture, il s’agit ici, du problème d’Isaac avec son père : comment assurer la transmission d’un héritage si lourd ? Et tant qu’Isaac imite son père, il ne génère que disputes et convoitises. Dès lors qu’il fait autre chose, il est déclaré « élu de Dieu ». Mais il s’avère que « l’autre chose » en question est exactement ce qu’a fait son père. La leçon serait alors : la répétition des gestes est exactement ce qu’il ne faut pas faire pour assumer une tradition, mais faire comme si c’était la première fois. Ramban ne veut pas de cet enseignement : le texte n’en dit pas assez pour cela, et surtout, l’intégralité de ce chapitre est placé sous l’égide d’Abraham, jusqu’à la dernière bénédiction divine « je t’ai béni grâce à ton père ».  D’où sa lecture symbolique.

    Il me semble pourtant qu’on pouvait interpréter différemment ce texte, et le placer dans une toute autre perspective : en effet, pour Ramban les deux puits (‘Dispute’ et ‘Accusation’) sont exactement les puits creusés par son père. Mais le texte ne l’y oblige pas : on pouvait très bien lire, qu’au contraire les puits (évoqués au verset 18) étaient ceux d’Abraham, c’est pourquoi les Philistins les laissent dans les mains d’Isaac ; mais dès qu’il commence à creuser ses propres puits, ils sont contestés. La question serait alors comment Isaac parvient à se faire reconnaitre par les gens de Gérar ? Ils avaient reconnu la grandeur d’Abraham, mais Isaac, n’est à leur yeux qu’un « héritier ». Dès lors qu’il fait un pas de côté, ils le contestent.

    Du point de vue littérale, l’affaire rebondit avec le puits de ‘l’élargissement’ ; celui-ci est introduit par « il s’est déplacé » : comme si le déplacement serait gage d’une certaine volonté salutaire d’Isaac, au-delà des frontières de son père. Mais le texte nous dira que ce puits ne fait jaillir de l’eau qu’une fois l’alliance scellée avec les Philistins. Comment donc les philistins ont-ils compris que Isaac était béni ? La seule solution qui reste : la construction de l’autel. C’est à ce moment que les Philistins comprennent qu’ils ont effectivement à faire à un homme héritier, au sens plein, de son père. Ils évoquent même le Tétragramme, ce qu’ils n’avaient pas fait à l’époque d’Abraham. A aucun moment n’apparaissent les problèmes psychologiques d’Isaac, sa « tension » avec son destin imposé par sa famille. Ce ne sont pas des enjeux pour la Bible.

    On peut alors se poser la question des puits : pourquoi toutes ces questions tournent autour des puits ?  Abraham et Isaac savent qu’ils n’ont que la promesse comme héritage, promesse de peuple nombreux, promesse de la terre. Or cet héritage ils ne peuvent le prendre. Le puits est une façon de valoriser la terre[2], d’y laisser leur trace, d’où les nominations. Ce qu’ils ont de cette terre, c’est l’agriculture, et c’est sur cette note que s’ouvre le chapitre : non pas des commerçants ou des bergers. Les puits sont autant de points d’ancrage à une terre qui n’est qu’une promesse.

    Franck Benhamou.

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן בראשית פרק כו

    אבל הם אחרים במקום אחר, כי נחל גרר שם מקום, או שהנחל נמשך מגרר אל ארץ אחרת. וכאשר קנאו בו פלשתים, הם השרים אשר בגרר מדינת המלך, סתמו הבארות אשר לו מירושת אביו בגבול עיר גרר, והמלך שלחו מעיר מושב כסאו והלך לו לעיר אחרת, ואולי איננה ממלכותו אף על פי שהיא בארץ פלשתים, ושם בארות אחרים שחפר אברהם שגר במקום ההוא ימים רבים. ופלשתים יושבי הארץ כאשר מת אברהם, ויצחק לא ישב שם, סתמום, ולא לשנאתו, רק בימי אברהם לא רצו לסתמם מפני כבודו, כי אמרו אולי ישוב לשבת בארץ, ולכן שב יצחק ויחפור אותם בנחל, ורועי נחל גרר רבו עמו לאמר לנו המים:

    והטעם "לאמר", הנה הבאר בנחל ומימי הנחל הם אשר ימצו שם, ומתמציתם ימלא הבור, והנחל יתמעט בהם, והנה הם שלנו. ועל כן הזכיר הכתוב וימצאו שם באר "מים חיים", לאמר כי היה מקור נובע מים חיים, אין מימיו מן הנחל, כאשר אמרו מריביו:

    רמב"ן בראשית פרק כו

    (לב) ויבואו עבדי יצחק ויגידו לו על אודות הבאר אשר חפרו - הוא האמור בו למעלה (בפסוק כה) ויכרו שם עבדי יצחק באר, כי החלו לחפור אותו, ובא אבימלך אליו בימים ההם, וביום הברית בלכתם ממנו בשרוהו כי מצאו מים:

    וקרוב לי שהוא הבאר שכרה אברהם ונתן לו שבע כבשות לעדה (לעיל כא ל), כי סתמוהו פלשתים עם האחרים, וישב יצחק ויחפור אותו ויקרא לו גם הוא שם כשם אשר קרא לו אביו, ועל כן שם העיר באר שבע על שם הבאר אשר קראוהו כן האב והבן, כי שם נשבעו שניהם. והבאר הזאת להם תרמז על משכן שילה. ופלשתים סתמוהו בהלקח הארון (ש"א ד יא), וחזר וחפרו בו, כי כן השיבו הארון עם הדורון לאלהים (שם ו יא)

     

    [1] Voir le commentaire du EmekDavar sur ce verset.

    [2] Je dois ce terme à un ami.

  • Deux types de révélations

          PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    Deux types de révélations 

     

    Le premier verset de notre paracha a posé problème à de nombreux commentateurs (Béréchit 18:1) :

    וַיֵּרָא אֵלָיו ה׳, בְּאֵלֹנֵי מַמְרֵא; וְהוּא יֹשֵׁב פֶּתַח-הָאֹהֶל, כְּחֹם הַיּוֹם

    L’Eternel se révéla à lui dans les plaines de Mamré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour.

    D.ieu apparaît à Avraham et que se passe-t-il juste après ? On s’attendrait à ce que D.ieu parle à Avraham, qu’il le bénisse ou bien qu’il lui donne un ordre ou une promesse. Mais là, rien de tout cela. Le verset suivant relate l’épisode des trois anges qui rendent visite à Avraham.

    Une question évidente se pose : D.ieu est venu voir Avraham pour quoi ? Il lui est apparu et a disparu juste après ? Dans quel objectif ?

    C’est la raison certains commentateurs médiévaux comme le Rashbam ou le Rambam ont expliqué qu’il faut lire ce premier verset comme un titre du passage[1]. Ce passage traite de l’apparition de D.ieu à Avraham, et comment lui est-il apparu ? Il lui est apparu à travers les anges qui viennent lui rendre visite. Ainsi, Rambam écrit :

    Après avoir dit sommairement que Dieu lui apparut, on commence par expliquer sous quelle forme eut lieu cette apparition, et on dit qu’il vit d’abord trois hommes, qu’il courut [au-devant d’eux], qu’ils parlèrent et qu’il leur fut parlé. (Guide des égarés II-42, trad. S. Munk)

    Cette interprétation présente une difficulté : c’est que D.ieu apparait ou parle à Avraham que les anges soient présents ou pas. En effet, dans la suite du récit et alors que les anges sont partis, le texte précise qu’Avraham se trouve encore devant D.ieu (Béréchit 18:22) ; si l’on comprend que la vision d’Avraham passait par les anges, comment comprendre qu’il se trouve devant D.ieu alors que les anges ne sont plus là. De même, alors que les anges sont encore chez Avraham, D.ieu lui demande pourquoi Sarah a ri en apprenant la nouvelle de sa future grossesse (Béréchit 18:13). Si D.ieu lui était réellement apparu à travers les anges, pourquoi maintenant parler de D.ieu ?

    Je vous invite à lire les commentaires de Rashbam sur ces versets difficiles, ou encore de lire la suite du passage du Guide des égarés cité plus haut.

    Rachi et Ramban ont – peut-être à cause de ces difficultés[2] – choisi une autre manière d’interpréter cette révélation. Rachi commente :

    D.ieu lui est apparu : Pour rendre visite au malade. [En effet,] Ainsi a dit R. 'Hama bar 'Hanina : "c’était le troisième jour après sa circoncision et D.ieu vint pour prendre de ses nouvelles". (Rachi sur Béréchit 18:1)

    Selon Rachi, donc, il ne faut pas lier le premier verset avec la suite du récit. D.ieu est apparu à Avraham pour lui rendre visite, sans autre objectif. Cela reste obscur malgré tout : que signifie avoir la visite de D.ieu et puis pourquoi lier cette apparition divine à la circoncision ?

    C’est là que Ramban nous aide :

    וזה גילוי השכינה אליו למעלה וכבוד לו, כענין שבא במשכן ויצאו ויברכו את העם וירא כבוד ה' אל כל העם (ויקרא ט כג), כי מפני השתדלותם במצות המשכן זכו לראיית השכינה. ואין גלוי השכינה כאן וכאן לצוות להם מצווה או לדבור כלל, אלא גמול המצווה הנעשית כבר, ולהודיע כי רצה האלוהים את מעשיהם, כענין שנאמר (תהלים יז טו): אני בצדק אחזה פניך אשבעה בהקיץ תמונתך. וכן ביעקב אמר (להלן לב ב): ויפגעו בו מלאכי אלוהים, ואין שם דבור ולא שחדשו בו דבר, רק שזכה לראיית מלאכי עליון, וידע כי מעשיו רצויים.

    ואל תחוש להפסק הפרשה, כי הענין מחובר, ולכן אמר וירא אליו ולא אמר וירא ה' אל אברהם

     אבל בפרשה רצה לסדר כבוד הנעשה לו בעת שעשה המילה, ואמר כי נגלית עליו השכינה ושלח אליו מלאכיו לבשר את אשתו וגם להציל לוט אחיו בעבורו, כי אברהם נתבשר בבן מפי השכינה כבר, ושרה מפי המלאך שדבר עם אברהם כדי שתשמע שרה, כמו שאמר ושרה שומעת. וזו כוונתם שאמרו (סוטה יד א): לבקר את החולה, שלא היה לדבור אלא לכבוד לו.

    C’est-à-dire que cette révélation ne ressemble pas aux autres révélations dans la Torah. Celles-ci sont en général des moyens pour arriver à un objectif : donner un ordre, faire une promesse, demander, bénir etc.. Tandis que cette révélation est là pour elle-même, elle n’est pas un moyen pour autre chose. Un peu comme quand on rend visite au malade. Nul besoin de parler, de raconter ou d’y aller pour un autre but. La simple présence auprès du malade est l’objectif de la visite. Et d’ailleurs, souligne le Ramban, il y a une preuve que cette révélation est liée à la circoncision d’Avraham. En effet le verset dit : « D.ieu lui est apparu » sans préciser de qui il s’agit. Ce verset est donc forcément la suite d’une histoire qui a démarré plus tôt. Or l’épisode qui précède directement la révélation relate la circoncision d’Avraham et de sa maison !

     

    Naty RIAHI

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf. notes 


    [1] Ou encore, plus proche de nous dans le temps et dans l’espace (Paris, 1860), le Rabbin Lazare Wogue commente : « L’Eternel se révéla à lui » : « A Abraham, par des intermédiaires ou anges, comme il va être raconté. (Tel paraît être, du moins, le sens le plus naturel.) »

    [2] Ramban attaque clairement cette lecture du Rambam car elle impliquerait que toute cette histoire d’ange ne sait pas réellement passée puisqu’il s’agit d’une révélation. Dans ce cas, où s’arrête le rêve et où commence la réalité ; il est trop dangereux selon le Ramban de s’aventurer dans ce genre d’interprétation.

    והנה לדבריו לא לשה שרה עוגות, ולא עשה אברהם בן בקר, וגם לא צחקה שרה, רק הכל מראה, ואם כן בא החלום הזה ברוב ענין כחלומות השקר, כי מה תועלת להראות לו כל זה

     

     

     

  • La émouna ou le bon sens ?

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    Avoir la emouna ou faire preuve de bon sens ?

     

    Lorsque la famine frappe la terre de Canaan dans laquelle Avraham s’est installé sur l’ordre d’Hachem, ce dernier part vers l’Egypte. Craignant pour sa vie, il fait passer sa femme Sarah pour sa sœur, ce qui provoque indirectement son enlèvement dans le palais du Pharaon, et oblige Hachem à intervenir pour les sauver.

    Dans ‘La voix de la Torah’, le rabbin Elie Munk propose un condensé de plusieurs commentaires expliquant la démarche d’Avraham. Il explique alors que l’attitude du Patriarche est dictée par le bon sens mis en avant dans le Talmud :

    • Lorsqu’une famine sévit, émigre vers un autre lieu, même lorsque celui-ci n’est pas sans danger [Baba Kama 60a]
    • On ne doit jamais se fier à un miracle [Pessa’him 64b]

    Il n’y aurait donc ni lâcheté ni manque de émouna (foi) de sa part, mais un comportement raisonnable et souhaitable.

    Telle n’est pas la position du Ramban. Selon lui, le fait de quitter la terre d’Israël à cause de la famine constitue un manque de confiance en D.ieu. Quant à sa stratégie de faire passer Sarah pour sa sœur, il s’agit d’un second manque de confiance, « car Elokim a la force d’aider et de sauver ».

    Cette position trouve sa source dans l’interprétation d’un midrash soulignant les similitudes entre la descente d’Avraham en Egypte et celle de ses descendants (Yaakov et ses fils) ayant précédé l’esclavage des Hébreux. Selon lui ce parallèle n’est pas anodin, il signifie que ce sont les fautes d’Avraham à ce moment qui ont provoqué la décision de D.ieu de mettre ses descendants en esclavage.

    Que fait le Ramban des textes talmudiques cités plus haut et rapportés par les autres commentateurs de ce passage ? Sûrement pense-t-il que ces règles de bon sens constituent l’attitude préconisée habituellement. Avraham, par sa proximité avec D.ieu, aurait dû comprendre qu’il fait partie de l’exception qui confirme la règle et agir en conséquence. Là où le bon sens exige dans certains contextes de savoir prendre sur soi, d’autres contextes exigent de faire fi de toutes les considérations raisonnables.

    N’est-ce pas là une problématique existentielle du juif évoluant dans la Torah : distinguer quand agir avec bon sens et quand se fier uniquement à sa émouna ?

     

    Yona Ghertman

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

    רמב"ן בראשית פרק יב פסוק י

    (י) ויהי רעב בארץ - הנה אברהם ירד למצרים מפני הרעב לגור שם להחיות נפשו בימי הבצורת, והמצרים עשקו אותו חנם לקחת את אשתו, והקב"ה נקם נקמתם בנגעים גדולים, והוציאו משם במקנה בכסף ובזהב, וגם צוה עליו פרעה אנשים לשלחם:

    ורמז אליו כי בניו ירדו מצרים מפני הרעב לגור שם בארץ, והמצרים ירעו להם ויקחו מהם הנשים כאשר אמר (שמות א כב) וכל הבת תחיון, והקב"ה ינקום נקמתם בנגעים גדולים עד שיוציאם בכסף וזהב וצאן ובקר מקנה כבד מאד, והחזיקו בהם לשלחם מן הארץ. לא נפל דבר מכל מאורע האב שלא יהיה בבנים. והענין הזה פרשוהו בבראשית רבה (מ ו) רבי פנחס בשם רבי אושעיא אמר, אמר הקדוש ברוך הוא לאברהם צא וכבוש את הדרך לפני בניך, ואתה מוצא כל מה שכתוב באברהם כתוב בבניו, באברהם כתוב ויהי רעב בארץ, בישראל כתיב (להלן מה ו) כי זה שנתים הרעב בקרב הארץ:

    ודע כי אברהם אבינו חטא חטא גדול בשגגה שהביא אשתו הצדקת במכשול עון מפני פחדו פן יהרגוהו, והיה לו לבטוח בשם שיציל אותו ואת אשתו ואת כל אשר לו, כי יש באלהים כח לעזור ולהציל. גם יציאתו מן הארץ, שנצטווה עליה בתחילה, מפני הרעב, עון אשר חטא, כי האלהים ברעב יפדנו ממות. ועל המעשה הזה נגזר על זרעו הגלות בארץ מצרים ביד פרעה. במקום המשפט שמה הרשע והחטא

  • Noah - préserver l'ordre de la nature

         PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    Ramban – parashat noa’h. Préserver l’ordre de la nature.

     

     

    La parasha que nous lisons cette semaine s’étend sur les dimensions gigantesques de l’arche que construisit Noah’. Elle s’attarde de plus à détailler les matériaux -résistants a l’eau! – nécessaires.

    Le Ramban met en opposition ce souci du détail, du réalisme du projet avec un autre constat : l’immensité du nombre d’animaux que l’arche est censée contenir : 7 couples pour chaque animal “pur” , un couple pour les animaux impurs. Ajoutons a cela la nourriture pour plusieurs mois, nous dit le Ramban, et nous arrivons à un projet … irréalisable!

    Cette lecture ne se fait pas de cadeaux; elle ne cherche pas a re-interpréter les versets au delà de leur sens littéral : si il s’agit de prendre tous les animaux, il s’agit de tous les animaux; si le déluge détruit la terre, il détruit toute la terre (et non pas une région réduite, comme celle du croissant fertile, comme certains l’ont proposé )…

     

    Comment concilier des lors ces deux constats ? La réponse proposée par le Ramban est simple : il s’agit d’un … miracle.
     

    Mais des lors, une autre question surgit : pourquoi ce souci de réalisme dans le projet de construction ? Pourquoi utiliser tel ou tel matériau ? Pourquoi maintenir des dimensions immenses ? Si de toute façon il ne peut que s’agit que d’un projet miraculeux, un simple radeau aurait suffit !

    Le Ramban traite de cette question dans son commentaire sur notre parasha. Il y répond de manière succincte :

    « Il faut limiter la portée des miracles. C’est là un principe dans l’ensemble de la Torah et des prophètes : à l’homme de faire ce qui est de son ressort, et Dieu participe par des miracles a la réussite du projet »

     

    Cette idée voyant dans le miracle quelque chose a limiter, et dans l’ordre de la nature quelque chose a préserver, est a mettre en echo avec un autre passage du Ramban que nous avons étudie lors de la parashat Bo.

    « Et les miracles patents permettent à l’homme de prendre conscience des miracles cachés ; cette conscience est un des piliers de la foi au point où l’on peut dire qu’une personne n’ayant pas foi que notre vie entière n’est que miracle, hors de toute causalité naturelle ne peut être considérée comme appartenant à l’alliance de Moïse »

     

    Nous nous étions alors étendus pour comprendre la portée de cette phrase. Le passage que nous lisons cette semaine, nous conforte dans la lecture limitée que nous avons fait de ce passage : les miracles constants dont parle Nahmanide ne sont apparemment qu’une autre manière de parler d’une extrême providence, et non d’une violation constante des lois naturelles.

     

    Benjamin Sznajder

  • Une version de la nature à travers Béréchit

          PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

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    Une version de la nature à travers Béréchit.

     

    Dieu dit: "Que la lumière soit!" Et la lumière fut. Dieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, un jour. (Béréchit 3-5)

    Rachi commente  :

    Ici aussi, nous devons nous référer à la hagada. Il vit que les scélérats ne mériteraient pas de profiter de la lumière, de sorte qu’Il la mit en réserve à l’usage des justes pour les temps à venir (‘Haguiga 12a). Quant au sens littéral, le voici : Il vit qu’elle était bonne et qu’il ne convenait pas que la lumière et les ténèbres assurent leur service dans la confusion. Aussi fixa-t-Il à l’une pour domaine le jour, et aux autres pour domaine la nuit (Beréchith raba 3, 7).

    Le problème rencontré par Rachi doit être assez important pour faire appel à « la hagada ». Quel est-il ? Dieu constate que la « lumière est bonne ». Pourquoi donc établir une distinction entre jour et nuit ? Ne faudrait-il pas vivre en pleine lumière ? A cette question, la première interprétation de Rachi répond : les scélérats ne le méritent pas. Il faut donc lire les versets ainsi : « Dieu considéra que la lumière était [trop] bonne [pour les scélérats], Il différencia la lumière de l’obscurité [puisque la lumière ne servira que dans les temps à venir].

    Dieu changerait-il d’avis ? Fallait-il qu’il « voit » la lumière pour s’apercevoir de la méprise ? A cette question Ramban va répondre mais en changeant la signification du terme « voir ».

    Reprenons. Dans Béréchit Dieu parle. Que signifie parler alors qu’il n’y a personne à qui parler ? Du Zohar[i] à Nahmanide en passant par Maïmonide[ii], tous s’accordent pour dire que cette parole est une volonté, un désir. Que signifie alors « que Dieu vit » ? Nahmanide rapporte quelques preuves pour montrer que cela signifie « qu’il accompli ». Et de préciser « si son désir se sépare ne serait-ce qu’une seule seconde de sa création, celle-ci retomberait dans le néant ». Il y a deux temps : le temps de la création, c’est-à-dire la sortie du néant et celui de la stabilisation. C’est ainsi qu’à chaque fois que les versets concluent par « Dieu vit que c’était bien », Nahmanide explique « il a accompli »[iii] c’est à dire de donner une pérennité à ce désir initial.  « Dieu vit que cela était bon » signifie qu’Il accorde à sa création un excédent d’existence qui le fait durer[iv]

    Il semble dans un premier temps que Nahmanide rejette l’interprétation midrashique de Rachi. Il n’en n’est rien puisque lui-même parlera de cette lumière primordiale qui a été réservée[v]. De plus réserver cette lumière pour les temps à venir est précisément une façon de la pérenniser. Le problème de Nahmanide  se porte en réalité sur un point très limité et qu’il annonce dès sa question : que signifie l’expression ‘Dieu a vu que c’était bien’, sans pour autant que cette expression ne témoigne d’un revirement. Et il ne s’agit pas d’invalider la démarche de Rachi, ni même de la préciser ; mais de traduire une expression qui peut porter à confusion. Pourquoi est-ce si important ? 

    Pour le comprendre, il faut s’étonner : Pourquoi, selon Rachi, il va de soi que ce que Dieu crée n’a pas besoin d’être affermi ?[vi] 

    C’est que le commentateur champenois fonctionne avec un implicite : décréter l’existence implique ipso facto la pérennité de ce qui est créé.  La question se pose alors sur Ramban :  dans quelle posture de réflexion faut-il être pour ne pas voir ce qui parait être tellement évident ?

    Il me semble que ce qui tourmente Nahmanide c’est la facilité avec laquelle nous admettons que le réel est stable. Pour nous la nature est ferme, c’est une donnée immédiate, impliquée par le simple fait de vivre . Si nous sommes si sûrs que ce qui nous entoure est stable, c’est que nous n’avons jamais essayé de nous questionner sur cette stabilité. Or pour Ramban, cette stabilité est voulue. La stabilité des êtres n’est pas un effet de leur nature :  l’existence n’est pas une conséquence de l’essence, mais un trait supplémentaire qui est allouée à chaque être. Rappelons le Midrash affirmant que Dieu avant de créer le monde que nous connaissons, s’est essayé à d’autres mondes. Ce qui signifie que d’autres mondes sont possibles et stables.   Cette thèse est cohérente avec une autre thèse célèbre de notre auteur : la nature est un ‘miracle cachée’[vii]. Rien n’assure que notre monde soit stable si ce n’est le désir de Dieu à le pérenniser. C’est avant tout une thèse sur la nature, mais c’est aussi un trait de caractère du Ramban  qui traduit une grande ouverture aux « autres possibles » qu’ils soient hommes[viii]  ou mondes.

    Franck Benhamou.

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת הָאוֹר כִּי טוֹב כתב רבינו שלמה: אף בזה אנו צריכין לדברי אגדה: ראה שאינו ראוי להשתמש בו רשעים, והבדילו לצדיקים לעתיד לבוא. ולפי פשוטו כך פרשהו: ראהו כִּי טוֹב, ואין נאה לו ולחשך להשתמש בערבוביא, וקבע לזה תחומו ביום ולזה תחומו בלילה. ורבי אברהם אמר: וַיַּרְא – כמו "וְרָאִיתִי אָנִי" (קהלת ב יג), והיא במחשבת הלב. וטעם וַיַּבְדֵּל – בקריאת השמות. ואין דברי שניהם נכונים: שאם כן, ייראה כענין הַמְלָכָה ועצה חדשה, שיאמר, כי אחרי שאמר אלהים: "יְהִי אוֹר", והיה אור, ראה אותו כי טוב הוא, ולכן הבדיל בינו ובין החשך, כעניין באדם שלא ידע טיבו של דבר עד היותו. אבל הסדר במעשה בראשית, כי הוצאת הדברים אל הפועל יקרא "אמירה": "וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים יְהִי אוֹר" (כאן); "וַיֹּאמֶר... יְהִי רָקִיעַ" (פסוק ו); "וַיֹּאמֶר... תַּדְשֵׁא הָאָרֶץ" (פסוק יא).. וקיומם יקרא "ראיה", כעניין "וְרָאִיתִי אָנִי" דקהלת (ב יג); וכן "וַתֵּרֶא הָאִשָּׁה כִּי טוֹב הָעֵץ לְמַאֲכָל" (להלן ג ו). והוא כעניין שאמרו (כתובות קט א): "רואה אני את דברי אדמון", וכמוהו (שמואל ב טו כז): "וַיֹּאמֶר הַמֶּלֶךְ אֶל צָדוֹק הַכֹּהֵן הֲרוֹאֶה אַתָּה שֻׁבָה הָעִיר בְּשָׁלוֹם". והעניין, להורות כי עמידתם בחפצו, ואם החפץ יתפרד רגע מהם – יהיו לאין. וכאשר אמר בכל מעשה יום ויום: "וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי טוֹב", ובשישי כאשר נשלם הכל: "וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת כָּל אֲשֶׁר עָשָׂה וְהִנֵּה טוֹב מְאֹד" (פסוק לא), כן אמר ביום הראשון בהיות האור: וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי טוֹב, שרצה בקיומו לעד. והוסיף בכאן אֶת הָאוֹר. שאילו אמר סתם: וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי טוֹב, היה חוזר על בריאת השמים והארץ; ולא גזר בהן עדיין הקיום, כי לא עמדו ככה, אבל מן החומר הנברא בראשון – נעשה בשני רקיע, ובשלישי נפרדו הַמַּיִם והעפר ונעשית הַיַּבָּשָׁה שקראה "אֶרֶץ", ואז גזר בהם הקיום ואמר בהם

     

    [i] Vayikra 17 b.

    [ii] Guide des égarés I §65.

    [iii] Commentaire sur Béréchit 1.8, 1.12 et 1.31.

    [iv] On se rappelle que selon un Midrash très connu, Dieu bâti plusieurs mondes avant celui que nous connaissons, mais qu’ils ne trouvèrent grâce à ses yeux. Béréchit Rabba 3.7./

    [v] Commentaire sur 1.14.

    [vi] Le Mizrahi (commentateur de Rachi) essaie de répondre à cette question, mais en proposant une réponse fausse selon moi : il suggère que Dieu peut changer d’avis. Il est possible que certains penseurs l’affirme, mais cette thèse est trop singulière pour ne pas être soulignée par Rachi dans son commentaire.

    [vii] Voir commentaire sur Chémot 13.16.

    [viii] Voir son introduction au commentaire du Talmud (‘Il ne saurait exister de preuve décisive dans la dialectique talmudique’).

  • Le récit secret de l'histoire universelle

        PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

     

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    Le récit secret de l’histoire universelle

     

    La parasha de Haazinou a un statut tout particulier dans la Tora. En effet, dans la parasha précédente, celle de Vayelekh, Dieu ordonne aux enfants d’Israël : « Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique, qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël et qu’on le mette dans leur bouche, afin que ce cantique me serve de témoignage à l’encontre des enfants d’Israël » (Devarim 31:19). Et Rashi de commenter sur place : « “Ce cantique-ci” : depuis “Tendez l’oreille, les cieux…” (id. 32:1) jusqu’à : “… Il pardonnera à Sa terre, à Son peuple” (ibid. 32:42). » En d’autres mots, d’après Rashi, la mitsva dont nous parle la parasha de Vayelekh consiste à écrire la parasha de Haazinou elle-même.

    Dans son Sefer ha-Mitsvot (mitsva positive 18), Maïmonide indique que nous apprenons de ce verset l’obligation qui incombe à chaque juif d’écrire, non pas le seul cantique de Haazinou, mais un Sefer Tora entier « qui inclut ce cantique ». Et dans son Code il tranche la loi : « C’est un commandement positif incombant à tout homme juif que d’écrire pour soi un rouleau de la Tora, comme il est dit : “Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique”, c’est-à-dire écrivez pour vous la Tora qui renferme ce cantique, puisqu’on ne doit pas écrire de la Tora de passages isolés » (Hilkhot Sefer Tora, VII:1).

    Mais la parasha de Haazinou également une signification toute particulière concernant le Ramban. Dans son Sefer ha-Qabala, l’auteur italien Gedalia Ibn Ye’hia (1526-1587) rapporte l’histoire suivante à propos d’un élève du Ramban dénommé Avner et ayant apostasié[1] :

    « J’ai reçu une tradition selon laquelle le Ramban avait un certain disciple, dénommé Rav Avner, qui était devenu apostat, et avait grandi en puissance au point que sa terreur s’était répandue dans tout le pays. Un Yom Kippour, il envoya chercher son maître, le Ramban, et en sa présence, sacrifia un cochon, le découpa, le cuit et en mangea. Après l’avoir mangé, il demanda à son maître combien de transgressions sanctionnées par la peine de karet il avait commis. Son maître lui répondit quatre et lui affirma au contraire que c’était cinq. Il aurait bien débattu avec son maître, mais le Ramban le regarda avec tant de colère qu’Avner resta silencieux, encore imprégné qu’il était de la crainte de son maître. Finalement le Ramban lui demanda ce qui l’avait conduit à l’apostasie. Avner lui répondit qu’il avait déjà entendu dire que le Ramban avait commenté la parasha de Haazinou en affirmant que cette section incluait toutes les mitsvot ainsi que tout ce qui pouvait exister dans le monde. Etant donné qu’il avait considéré cela comme impossible, Avner était devenu apostat. Le Ramban lui répondit en disant : “Je m’en tiens à ce que j’ai dit, demande ce que tu veux et je te montrerai que c’est inscrit dans Haazinou”. Au comble de la perplexité, Avner lui dit : “Si c’est le cas, montre-moi que mon nom y est inscrit”. Et le Ramban dit : “Tu as bien parlé” et se rendit aussitôt dans un coin de la pièce pour prier. Il revint alors vers lui avec le verset : « אָמַרְתִּי אַפְאֵיהֶם אַשְׁבִּיתָה מֵאֱנוֹשׁ זִכְרָם » – « J’aurais résolu de les réduire à néant, d’effacer leur souvenir de l’humanité » (Devarim 32:26). “Si tu prends, lui dit le Ramban, la 3e lettre de chaque mot de ce verset, tu trouveras ton nom, Avner”. En entendant cela, le visage d’Avner se décomposa et il demanda à son maître s’il y avait encore un remède au mal qu’il avait commis. Le maître lui dit : “Tu as entendu les paroles du verset”. Le Ramban s’en alla, et aussitôt Avner s’embarqua sur un navire sans équipage ni rame, se laissant dériver où le vent l’emmènerait. Depuis ce jour, personne n’eut plus jamais de nouvelles de lui. »

    Revenons maintenant à la réalité et au commentaire du Ramban qui a inspiré cet épisode ou – à tout le moins – son récit :

    « Et de même a-t-on rappelé dans le Sifré (Haazinou § 333) : grand est ce cantique car il renferme aussi bien le présent, le passé et le futur que le monde à venir. Et c’est à cela que le texte fait allusion lorsqu’il dit : « Moïse vint faire entendre au peuple toutes les paroles de ce cantique » (Devarim 27:44) ; il a utilisé le terme « toutes » (כָּל) pour indiquer que ce cantique inclut tous les événements à venir, même si c’est de façon condensée, car il explique de nombreuses choses. Et même si ce cantique était l’œuvre d’un diseur d’avenir tirant son inspiration des astres, il faudrait tout aussi bien lui accorder foi car toutes ses paroles se sont réalisées à ce jour, sans aucune exception. Et plus encore alors que nous accordons notre foi et que nous attendons de tout cœur [la réalisation] des paroles de Dieu, [telles qu’exprimées] par la bouche du serviteur le plus fidèle de sa maison (Moshé Rabbénou), [un prophète] tel qu’il n’y en a jamais eu de semblable et tel qu’il n’y en aura jamais plus, que la Paix soit sur lui. »

    Emmanuel Ifrah – 10/2019

     

    [1] S’il s’agit du célèbre apostat Alfonso de Valladolid (à l’origine Avner de Burgos, 1270-1348), l’histoire est évidemment apocryphe puisque le Ramban a disparu en 1270 précisément, année de la naissance de l’apostat en question. A ce sujet, Rav Binyamin Wattenberg rapporte l’opinion selon laquelle l’histoire n’est pas apocryphe mais qu’elle concerne un autre apostat du nom d’Avner (d’après Rav Reuven Margoliot, Vikua’h ha-Ramban ve-Toldot Ramban, p. 16, note 1). Cette hypothèse est en soit étonnante, le prénom d’Avner n’étant pas si courant – mais que peut-on opposer à l’érudition de Rav Margoliot !

     

  • D'un discours qui ne serait pas de l'athéisme

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    D’un discours qui ne serait pas de l’athéisme.

    Commentaire sur Vayélé’h.

     

    Le Seigneur dit à Moïse: "Tandis que tu reposeras avec tes pères, ce peuple se laissera débaucher par les divinités du pays barbare où il va pénétrer; et il m'abandonnera, et il brisera l'alliance que j'ai conclue avec lui. 17 Ce jour-là, ma colère s'enflammera contre lui, je les abandonnerai, je leur déroberai ma face, et il deviendra la pâture de chacun, et nombre de maux et d'angoisses viendront l'assaillir. Alors il se dira: "En vérité, c'est parce que mon Dieu n'est plus au milieu de moi que je suis en butte à ces malheurs." 18 Mais alors même, je persisterai, moi, à dérober ma face, à cause du grave méfait qu'il aura commis en se tournant vers des dieux étrangers. 

     

    Essayons de comprendre l’architecture de ce texte :

    • Les hébreux pratiquent l’idolâtrie.
    • Dieu se détourne d’eux.
    • Ils se disent « ce qui nous arrivent c’est parce que Dieu est absent ».
    • Dieu persiste à se détourner.

     

    Reconnaitre que « Dieu est absent » alors qu’on sort de l’idolâtrie n’est-il pas une forme de reconnaissance ? Ne sous-entend-il pas le rôle central de Dieu ? N’annonce-t-il pas un mouvement de retour ? Nostalgie du vrai Dieu masqué par des générations de juifs idolâtres ?

    Pourtant Dieu persiste à se détourner. Où est sa pitié ? Où est sa générosité, Lui si prompte à tendre la main à celui qui fait retour (tchouva) ?

    Ces quelques versets ont donné naissance à des réflexions sur le prétendu ‘Dieu caché’.

    Mais une lecture attentive et responsable repousse ces facilités.

    Reprenons. La persistance de Dieu à ‘se cacher’ est redoublée malgré le murmure de repentance (« Dieu est absent »). Le texte répond à ‘la constatation de l’absence de Dieu’ par un redoublement dans l’absence. Qu’est-ce qu’une absence qui se redouble demande à juste titre le logicien ?

    C’est que la langue de l’objectivité n’a aucune pertinence quand on parle de Dieu. « Constater que Dieu est absent » c’est le prendre pour une chose qui peut être ici ou ailleurs. Pour les auditeurs conséquents comme Nahmanide, dire « Dieu est absent » signifie « ignorer sa propre responsabilité » dans la langue des hommes. Lacan le rappelait « seuls les théologiens sont capables d’athéisme ». Cette langue est un mouvement de retour vers Dieu qui s’échoue sur son propre roc. Nahmanide reconnait dans ce mouvement un double récif : on parle de Dieu mais de façon telle que l’homme s’y drape. Faisant de Dieu l’étendard d’un royaume disparu, jetant à terre toute la puissance d’un mot  qui aurait pu arraisonner l’homme.

    Franck Benhamou

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

     

     

    וטעם ואמר ביום ההוא הלא על כי אין אלהי בקרבי איננו וידוי גמור כענין והתודו את עונם אבל הוא הרהור וחרטה שיתחרטו על מעלם ויכירו כי אשמים הם וטעם ואנכי הסתר אסתיר פני פעם אחרת כי בעבור שהרהרו ישראל בלבם כי חטאו לאלהים ועל כי אין אלהיהם בקרבם מצאום הרעות האלה היה ראוי לרוב חסדי השם שיעזרם ויצילם שכבר כפרו בע"ז וכענין שאמר (ירמיהו ב לה) הנני נשפט אותך על אמרך לא חטאתי ולכך אמר כי על כל הרעה הגדולה שעשו לבטוח בע"ז יסתיר עוד פנים מהם לא כמסתר פנים הראשון שהסתיר פני רחמיו ומצאום רעות רבות וצרות רק שיהיו בהסתר פני הגאולה ויעמדו בהבטחת פני רחמיו (ויקרא כו מד) ואף גם זאת בהיותם בארץ אויביהם לא מאסתים ולא געלתים וגו' עד שיוסיפו על החרטה הנזכרת וידוי גמור ותשובה שלימה כמו שנזכר למעלה (ל ב) ושבת עד ה' אלהיך וגו'

  • Ki-Tetsé selon le Ramban

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    Ki-tetse – Ne chassez pas la mere pour prendre les oisillons !

     

     

    Nous lisons dans la parasha de ki-tetse, le fameux commandement de shilouah-haken – l’obligation de chasser la mere de son nid avant de prendre les œufs ou les oisillons.

    Une Mishna dans le traite de Brah’ot interpelle :

    “On doit faire taire une personne qui, dans sa prière,  ferait appel a la miséricorde divine “tout comme Dieu a eu de la pitié envers les oiseaux”
     

    Le Talmud explique cette mishna : on fait taire une telle personne car ce commandement n’est pas mue par une  quelconque pitié divine envers les oiseaux!

    Ce passage a été longuement commente par Maimonide dans son Guide des égares. Et le Ramban sur notre parasha s’y réfère aussi:

    La mitsva n’est pas mue par une pitié envers le règne animal, nous explique-t-il. Si c’était le cas, nous n’aurions pas le droit de faire la sh’hita et de consommer de la viande. La mitsva est donnée pour inculquer chez les hommes la pitié et la miséricorde: en nous obligeant a éloigner la mère des oisillons avant de se servir dans le nid, elle apprend aux hommes la retenue…

    Beaucoup s’étonnent quant au caractère « violent » de cette mitsva venant inculquer la pitie chez les hommes ; mais la, n’est pas notre propos.

    Ce commentaire du Ramban est cite dans un responsa du XIX siècle. A quelqu’un demandant si l’on pouvait faire la mitsva de shilouah’-haken un jour de Shabbat, le h’atam sofer ­[1]- commence par poser une question introductive : a t on le droit de chasser la mere-oiseau si l’on ne compte pas manger les œufs ou les oisillons. Se basant sur le Ramban que nous avons cite, le H’atam Sofer tranche que cela est … interdit ! En effet, déduit-il: il n’est permis de chasser la mère pour prendre ses petits, uniquement lorsqu’il s’agit d’un besoin humain. Il ne viendrait a personne l’idée de faire la sh’hita  a la chaine d’un troupeau entier alors qu’il n’a pas besoin de manger ! Or, la sh’hita est, elle aussi, une mitsva…
    Si l’homme n’a pas besoin des œufs ou des oisillons, la mitsva se réduit a une pure cruauté, selon notre auteur …

    Le h’atam-sofer nuance son propos en citant que selon le zohar, la mitsva existe quoiqu’il en soit ; mais cette nuance ne remet pas en question sa conclusion finale selon le principe qu’il énonce « l’explication kabbalistique ne saurait contredire l’explication talmudique »

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן דברים פרק כב פסוק ו
    (ו) כי יקרא קן צפור לפניך - גם זו מצוה מבוארת מן אותו ואת בנו לא תשחטו ביום אחד (ויקרא כב כח). כי הטעם בשניהם לבלתי היות לנו לב אכזרי ולא נרחם, או שלא יתיר הכתוב לעשות השחתה לעקור המין אף על פי שהתיר השחיטה במין ההוא, והנה ההורג האם והבנים ביום אחד או לוקח אותם בהיות להם דרור לעוף כאלו יכרית המין ההוא:
    וכתב הרב במורה הנבוכים (ג מח) כי טעם שלוח הקן וטעם אותו ואת בנו לא תשחטו ביום אחד, כדי להזהיר שלא ישחוט הבן בעיני האם כי יש לבהמות דאגה גדולה בזה, ואין הפרש בין דאגת האדם לדאגת הבהמות על בניהם, כי אהבת האם וחנותה לבני בטנה איננו נמשך אחרי השכל והדבור אבל הוא מפעולת כח המחשבה המצויה בבהמות כאשר היא מצויה באדם. ואם כן, אין עיקר האיסור באותו ואת בנו רק בבנו ואותו, אבל הכל הרחקה. ויותר נכון, בעבור שלא נתאכזר. ואמר הרב ואל תשיב עלי ממאמר החכמים (ברכות לג ב) האומר על קן צפור יגיעו רחמיך, כי זו אחת משתי סברות, סברת מי שיראה כי אין טעם למצות אלא חפץ הבורא, ואנחנו מחזיקים בסברא השניה שיהיה בכל המצות טעם. והוקשה עליו עוד מה שמצא בב"ר (מד א) וכי מה איכפת לו להקב"ה בין שוחט מן הצואר לשוחט מן העורף, הא לא נתנו המצות אלא לצרף בהם את הבריות שנאמר (משלי ל ה) כל אמרת אלוה צרופה:
    וזה הענין שגזר הרב במצות שיש להם טעם, מבואר הוא מאד כי בכל אחד טעם ותועלת ותקון לאדם, מלבד שכרן מאת המצוה בהן יתברך. וכבר ארז"ל (סנהדרין כא ב) מפני מה לא נתגלו טעמי תורה וכו', ודרשו (פסחים קיט א) ולמכסה עתיק, זה המגלה דברים שכסה עתיק יומין ומאי ניהו טעמי תורה. וכבר דרשו בפרה אדומה (במדב"ר יט ג ד), שאמר שלמה על הכל עמדתי, ופרשה של פרה אדומה חקרתי ושאלתי ופשפשתי, אמרתי אחכמה והיא רחוקה ממני (קהלת ז כג), ואמר ר' יוסי בר' חנינא אמר לו הקדוש ברוך הוא למשה לך אני מגלה טעם פרה אדומה אבל לאחרים חקה, דכתיב (זכריה יד ו) והיה ביום ההוא לא יהיה אור יקרות וקפאון, יקפאון כתיב, דברים המכוסים מכם בעולם הזה עתידין להיות צפויים לעולם הבא, כהדין סמיא דצפי, דכתיב (ישעיה מב טז) והולכתי עורים בדרך לא ידעו, וכתיב (שם) אלה הדברים עשיתים ולא עזבתים, שכבר עשיתים לר' עקיבא. הנה בארו שאין מניעות טעמי תורה ממנו אלא עורון בשכלנו, ושכבר נתגלה טעם החמורה שבהם לחכמי ישראל, וכאלה רבות בדבריהם, ובתורה ובמקרא דברים רבים מודיעין כן, והרב הזכיר מהן:
    אבל אלו ההגדות אשר נתקשו על הרב, כפי דעתי ענין אחר להם, שרצו לומר שאין התועלת במצות להקב"ה בעצמו יתעלה, אבל התועלת באדם עצמו למנוע ממנו נזק או אמונה רעה או מדה מגונה, או לזכור הנסים ונפלאות הבורא יתברך ולדעת את השם. וזהו "לצרף בהן", שיהיו ככסף צרוף, כי הצורף הכסף אין מעשהו בלא טעם, אבל להוציא ממנו כל סיג, וכן המצות להוציא מלבנו כל אמונה רעה ולהודיענו האמת ולזוכרו תמיד:
    ולשון זו האגדה עצמה הוזכרה בילמדנו (תנחומא שמיני ח) בפרשת זאת החיה, וכי מה איכפת לו להקב"ה בין שוחט בהמה ואוכל או נוחר ואוכל כלום אתה מועילו או כלום אתה מזיקו, או מה איכפת לו בין אוכל טהורות או אוכל טמאות, אם חכמת חכמת לך (משלי ט יב), הא לא נתנו המצות אלא לצרף את הבריות, שנאמר (תהלים יב ז) אמרות ה' אמרות טהורות, ונאמר כל אמרת אלוה צרופה, למה, שיהא מגין עליך. הנה מפורש בכאן שלא באו לומר אלא שאין התועלת אליו יתעלה שיצטרך לאורה כמחושב מן המנורה, ושיצטרך למאכל הקרבנות וריח הקטרת, כנראה מפשוטיהם. ואפילו הזכר לנפלאותיו שעשה שצוה לעשות לזכר ליציאת מצרים ומעשה בראשית, אין התועלת לו, רק שנדע אנחנו האמת ונזכה בו עד שנהיה ראויים להיות מגן עלינו, כי כבודנו וספרנו בנפלאותיו מאפס ותוהו נחשבו לו:
    והביא ראיה מן השוחט מן הצואר והעורף לומר שכולם לנו ולא להקב"ה, לפי שלא יתכן לומר בשחיטה שיהא בה תועלת וכבוד לבורא יתברך בצואר יותר מהעורף או הניחור, אלא לנו הם להדריכנו בנתיבות הרחמים גם בעת השחיטה. והביאו ראיה אחרת, או מה איכפת לו בין אוכל טהורות והם המאכלים המותרים, לאוכל טמאות והם המאכלים האסורים, שאמרה בהם התורה (ויקרא יא כח) טמאים המה לכם, ורמז שהוא להיותנו נקיי הנפש חכמים משכילי האמת. ואמרם אם חכמת חכמת לך, הזכירו כי המצות המעשיות כגון שחיטת הצואר ללמדנו המדות הטובות, והמצות הגדורות במינין לזקק את נפשותינו, כמו שאמרה תורה (שם כ כה) ולא תשקצו את נפשותיכם בבהמה ובעוף ובכל אשר תרמוש האדמה אשר הבדלתי לכם לטמא, א"כ כלם לתועלתנו בלבד. וזה כמו שאמר אליהוא (איוב לה ו) אם חטאת מה תפעל בו ורבו פשעיך מה תעשה לו, ואמר (שם פסוק ז) או מה מידך יקח. וזה דבר מוסכם בכל דברי רבותינו:
    ושאלו בירושלמי בנדרים (פ"ט ה"א) אם פותחין לאדם בכבוד המקום בדברים שבינו לבין המקום, והשיבו על השאלה הזאת, אי זהו כבוד המקום כגון סוכה שאיני עושה לולב שאיני נוטל תפילין שאיני מניח, והיינו כבוד המקום, משמע דלנפשיה הוא דמהני, כהדא אם צדקת מה תתן לו או מה מידך יקח, אם חטאת מה תפעל בו ורבו פשעיך מה תעשה לו. הנה בארו שאפילו הלולב והסוכה והתפילין שצוה בהן שיהו לאות על ידך ולזכרון בין עיניך כי ביד חזקה הוציאך ה' ממצרים, אינן לכבוד ה' יתברך, אבל לרחם על נפשותינו. וכבר סדרו לנו בתפלת יום הכפורים, אתה הבדלת אנוש מראש ותכירהו לעמוד לפניך כי מי יאמר לך מה תעשה ואם יצדק מה יתן לך. וכן אמר בתורה (לעיל י יג) לטוב לך, כאשר פירשתי (שם פסוק יב), וכן ויצונו ה' לעשות את כל החקים האלה ליראה את ה' אלהינו לטוב לנו כל הימים (לעיל ו כד). והכוונה בכלם לטוב לנו, ולא לו יתברך ויתעלה, אבל כל מה שנצטוינו שיהיו בריותיו צרופות ומזוקקות בלא סיגי מחשבות רעות ומדות מגונות:
    וכן מה שאמרו (ברכות לג ב) לפי שעושה מדותיו של הקדוש ברוך הוא רחמים ואינן אלא גזרות, לומר שלא חס האל על קן צפור ולא הגיעו רחמיו על אותו ואת בנו, שאין רחמיו מגיעין בבעלי הנפש הבהמית למנוע אותנו מלעשות בהם צרכנו, שאם כן היה אוסר השחיטה, אבל טעם המניעה ללמד אותנו מדת הרחמנות ושלא נתאכזר. כי האכזריות תתפשט בנפש האדם, כידוע בטבחים שוחטי השורים הגדולים והחמורים שהם אנשי דמים זובחי אדם אכזרים מאד, ומפני זה אמרו (קידושין פב א) טוב שבטבחים שותפו של עמלק. והנה המצות האלה בבהמה ובעוף אינן רחמנות עליהם, אלא גזירות בנו להדריכנו וללמד אותנו המדות הטובות. וכן יקראו הם כל המצות שבתורה עשה ולא תעשה גזירות, כמו שאמרו (מכילתא בחדש ו) במשל המלך שנכנס למדינה אמרו לו עבדיו גזור עליהם גזירות, אמר להם כשיקבלו מלכותי אגזור עליהם גזירות, כך אמר הקדוש ברוך הוא קבלתם מלכותי אנכי ה' אלהיך (שמות כ ב), קבלו גזירותי לא יהיה לך וכו' (שם פסוק ג):
    אבל במדרשו של רבי נחוניא בן הקנה בשלוח הקן מדרש שיש במצוה סוד, אמר רבי רחמאי מאי דכתיב שלח תשלח את האם ולא אמר את האב, אלא שלח תשלח את האם בכבוד אותה בינה שנקראת אם העולם דכתיב (משלי ב ג) כי אם לבינה תקרא. מאי ואת הבנים תקח לך, אמר רבי רחמאי אותם בנים שגדלה ומאי ניהו שבעת ימי הסוכה ודיני שבעת ימי השבוע וכו'. והנה המצוה הזאת רומזת לענין גדול, ולכך שכרה מרובה למען ייטב לך והארכת ימים: 


    [1] Siman 100 du volume orah’-hayim  - https://hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=794&pgnum=75

  • Chofetim : aux frontières de l'être

       PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA    

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    Choftim : Aux frontières de l’être

     

     

     

    Quiconque est persuadé que sa vie n’est pas celle qu’elle devrait être, que son potentiel ne s’est pas réalisé comme il aurait pu ou dû l’être, peut soutenir que son quotidien médiocre et son existence boiteuse ne relèvent pas de son propre fait, mais que son lot et son origine en sont la cause. En d’autres termes, il n’est pas rare que l’amertume rejette la faute entière sur le déterminisme et refoule toute idée de liberté et de responsabilité personnelle.

    À l’opposé, et souvent pour redresser sa vie, il n’est également pas rare de prétendre s’abstraire de tout déterminisme et de s’imaginer n’avancer que loti de sa seule liberté. « L’Homme naît de se faire », aiment à dire les Existentialistes.

    Encore que l’on puisse comprendre – car on a de l’empathie – les deux positions, voilà que Choftim vient les récuser toutes deux par le verset : « Tu ne reculeras pas la frontière de ton prochain, que les Premiers ont fixée, dans ta possession que tu posséderas, sur la terre que l’Éternel ton dieu te donne en héritage.[1] » Il s’agit ici des terres partagées au tirage au sort entre les tribus lors de l’entrée en terre de Canaan.

    Tout Choftim pourrait même être résumé dans cet interdit, dans la mesure où il vient hanter l’ensemble de ses versets emblématiques. En effet, la portée juridique de cet interdit est aussi bien foncière, que politique et pénale. La portée foncière, on la devine aisément. La portée politique, voire géopolitique, on pourrait la voir dans la relation aux lois de la guerre de conquête. La portée pénale, on la rattacherait volontiers à la nécessité de mesurer convenablement les distances entre les frontières de deux villes lorsqu’un cadavre est retrouvé entre les deux cités, dans ce qu’on appellerait sans risque un No man’s land.

    Or, le commentaire de Ramban sur ce verset dépasse les seules considérations légales pour analyser les motivations qui pourraient pousser à transgresser cet interdit[2]. La motivation essentielle serait pour lui la croyance que le partage des terres par les Premiers – donc le partage originel – aurait été inégal, parce que les Premiers se seraient soit trompés involontairement dans les mesures, soit, au contraire, parce qu’ils se seraient trompés volontairement au détriment de certaines tribus et au bénéfice d’autres.

    Dans le premier cas, transgresser l’interdit réparerait une erreur ; dans le second, elle réparerait une injustice. En somme : le Droit établi ne serait pas remis en cause, ce serait son application imparfaite qui serait à redresser. Et l’on sait à quel point Choftim invite à faire preuve de justice ; son troisième verset ne crie-t-il pas « Justice, justice ! Poursuis-la afin que tu vives et hérites de la terre que l’Éternel ton dieu te donne[3] » ?  Notons que ce verset subordonne l’héritage de la terre à la redondance du mot « Justice ». Or, c’est bien de cela dont il est question dans la volonté de reculer la frontière de son voisin : justice pour réparer une erreur, justice pour dissiper l’injustice ! De ce fait, le transgresseur de frontière serait dans les deux cas dans son bon droit.

    Pour en revenir à la question du déterminisme et de la liberté, cela revient à dire que son lot est mauvais précisément parce qu’il l’a reçu ! Sa naissance était d’ores et déjà alourdie d’un manque. Il était donc indispensable de convoiter un autre lot et d’agir pour l’obtenir !

    Bien sûr, Ramban ne soutient ni la suspicion ni la transgression. Mais voilà, nous sommes humains, alors que faire face au sentiment d’un réel qui nous lèse, face à la certitude que notre vie est défaillante par le simple fait d’être mal né ? Comme le Figaro de Beaumarchais, nous sommes tentés de dire « Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus[4] ».

    Or, à la différence de Figaro, Ramban explique que ce verset ne doit pas se comprendre de la sorte parce que les deux suspicions, erreur et injustice, sont, par essence, infondées. Infondées car les Premiers à avoir partagé la terre sont Yeochoua bin Noun et les princes des tribus. Nulle erreur de l’histoire, nulle injustice de la vie. Yeochoua bin Noun le prophète prémunit de l’erreur et l’unité et l’affection que se portent les princes des tribus rendent irréaliste toute crainte de lésion.

    Au-delà de l’aspect apologétique, c’est le sens symbolique revêtu par Yeochoua bin Noun et les princes des Tribus qui importe. Il faut ici entendre que les principes ayant présidé à notre situation sont exempts par essence d’erreur et d’injustice : on ne choisit pas de naître où l’on naît ; on se contente de naître, sans en avoir le choix. Il n’y a pas de meilleurs mondes possibles, il n’y a que celui-ci !  

    C’est pourquoi, plutôt que de se plaindre de son lot et de rêver d’en changer, il faut avant toute chose embrasser ce lot jusqu’à s’y consumer et revenir à ce qui nous a donné la vie. Car si l’Homme naît peut-être de se faire ; ce qui fait l’Homme, c’est sa naissance à l’Être.

     

    Jonathan Aleksandrowicz

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf.notes


    [1] Deutéronome, chapitre 19, verset 14.

    [2] אזהרה שלא ישנה תחום החלוקה שחלקו הנשיאים את הארץ לשבטים או ליחיד מהם ועל כן אמר אשר גבלו ראשונים הם אלעזר הכהן ויהושע בן נון ונשיאי המטות ולכך הזכיר בנחלתך אשר תנחל וגו' וטעם המצוה הזאת שלא יחשוב אדם לומר אין חלקי אשר נתנו לי שוה כמו חלק חברי כי טעו החולקים או שיוציא בלבו לעז על הגורלות ולא יהיה זה בעיניו גזל כלל על כן צוה בכאן שלא יחלוק אדם על החלוקה ההיא ולא ישנה הגבולין כלל לא בסתר ולא בגלוי וזו מצוה מבוארת ממה שצוה על פי הגורל תחלק נחלתו בין רב למעט ואמר אלה שמות האנשים אשר ינחלו לכם וגו' ועל דעת רבותינו שהוא אזהרה לעוקר תחומו של חבירו בארץ שעובר בשני לאוין יהיה טעם

    [3] Deutéronome, chapitre 16, verset 19.

    [4] Beaumarchais, Le mariage de Figaro, Acte V, scène 3

     

  • Projet Ramban - Réeh

           PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA    

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    De l’efficacité des divinations autour du sang (Ramban/Rambam)

     

    « Seulement sois fort pour ne pas manger le sang, car le sang c’est la vie, et tu ne mangeras pas la vie avec la chair » (Devarim 12, 23)

     

    Après un long développement sur l’interdit de consommer du sang, répété plusieurs fois dans la Torah, le Ramban aborde une question classique chez les commentateurs : Pourquoi la Torah estime-t-elle que le respect de cet interdit nécessite une si grande force morale ? Fidèle à sa démarche, le maître explicite le questionnement en s’appuyant sur une analyse globale du texte : « Nous trouvons cette expression de ‘force’ dans les mtisvote lorsque Dieu a dit à Yeochoua : ‘Seulement sois très fort et courageux pour garder et accomplir toute la Torah que J’ai ordonnée à Moshé mon serviteur’ (Yeochoua 1, 7) ; et de même Yeochoua s’est-il exprimé envers Israël (…). Toutefois dans le cadre d’une mitsva, on ne trouve pas une telle formulation [sauf en l’espèce] (…) ».

    Dans un premier temps, c’est la thèse du Rambam dans le Guide des Egarés (3, 46) qui est citée et suivie : La consommation du sang des animaux offerts aux démons était une pratique si courante en Egypte que les Hébreux l’avaient complètement intégrée[1]. Il fallait donc une insistance toute particulière pour que cette pratique cesse.  

    Cependant cette raison n’est pas suffisante selon le Ramban. Il rappelle tout d’abord que la suite du verset apporte une justification à la mitsva : « car le sang c’est la vie ». Puis il explique que l’association aux démons par la consommation du sang avait un objectif précis : ce procédé permettait de dévoiler l’avenir. Là était le risque et la motivation de l’insistance : que les spectateurs de la réalisation d’une prédiction annoncée ‘autour du sang’ n’en viennent pas à en faire de même puis à délaisser Dieu. Au contraire, il convient de marcher toujours avec Dieu sans écouter les diseurs de bonne aventure et autres faux prophètes… même si les ‘prophéties’ et autres divinations peuvent se réaliser.

    Bien que le Ramban incite finalement à ne pas suivre ces pratiques « qui ne sont que vanité et illusions », il laisse pourtant entendre que leur efficacité peut être réelle. Une telle ambigüité se retrouve également chez le Rambam. Dans le passage du Guide précité, il rappelle que la croyance dans le pouvoir de la divination autour du sang était très répandue, mais il ne la réfute pas explicitement. Il laisse d’ailleurs entendre le contraire dans les Hilkhote issodé haTorah (10, 3) : « Certaines prophéties prononcées par des devins, sorciers ou autres se matérialisent, d’autres non (…) ». Or dans les Hilkhote ‘avoda zara (11, 16), le discours est tout autre : « Quiconque croit aux [arts occultes] de cette nature et pense qu’ils sont vrais (…) est sot et faible d’esprit ».

    Certes, on oppose habituellement les deux maîtres sur la question de l’efficacité réelle des ‘forces impures’ attribuées aux procédés de sorcellerie[2]. A la lecture des sources citées, on peut toutefois s’interroger sur la légitimité d’une telle catégorisation…

     

    Yona GHERTMAN

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

    רמב"ן דברים פרק יב פסוק כב
    מה חוזק ואומץ יש בהזהר מן הדם, והראוי שיאמר לחומרו "השמר לך לבלתי אכול הדם". ומצינו לשון חוזק במצות, שאמר הקדוש ברוך הוא ליהושע (יהושע א ז) רק חזק ואמץ מאד לשמור לעשות ככל התורה אשר צוך משה עבדי, וכן אמר יהושע לישראל (שם כג ו) וחזקתם מאד לשמור ולעשות את כל הכתוב בספר תורת משה, וזה במצות כולן, "ולשמור" ירמוז ללא תעשה "ולעשות" ירמוז למצות עשה, אבל במצוה אחת לא נמצא כן, ומה צורך לחיזוק בשב ואל תעשה ממצות לא תעשה אחת:
    אבל נראה לי כי הזכיר בה חיזוק מפני הענין אשר ממנו דבקו בדם במצרים, כי היו זובחים את זבחיהם לשעירים תמיד כמו שכתוב (ויקרא יז ז) ולא יזבחו עוד את זבחיהם לשעירים אשר הם זונים אחריהם, וכתיב (להלן לב יז) יזבחו לשדים לא אלוה, והיתה העבודה ההיא באכילה מן הדם, כי היו מקבצים הדם לשדים והם אוכלים עליו וממנו, כאלו הם קרואים לשדים לאכול על שולחן השדים ההם ומתחברים עמהם, וכבר הוזכר זה בספר מורה הנבוכים (ג מו). ולא שיהיה זה עיקר טעם איסור הדם, כי הכתוב מפרש טעמו כי הדם הוא הנפש - כאשר בסדר אחרי מות (ויקרא יז יא), אבל מזה היו שטופים בו ורודפין אחריו מאד. והנה היו מתנבאים בו ומגידים עתידות. ולכך בא הכתוב והזהיר שאם ישמע מאוכלי הדם דבר עתיד ובא האות והמופת אל יפתה לבבו, אבל יחזיק בתומתו ובאמונת ה' ואל יאכל מן הדם בשום ענין, ואל יכסה המעשה ההוא, מדבריהם לא יירא ומפניהם לא יחת כי הבל המה מעשה תעתועים. הזהיר בכאן כענין המוזהר בנביא השקר מפני הטעותיו: 


    [1] Dans le Guide, le Rambam distingue entre deux cultes proches : ceux qui mangeaient le sang pour s’allier aux démons ; et ceux qui ne supportaient pas la consommation du sang et se contentaient de manger la chair de l’animal sacrifié auprès de son sang (Ibid.).

    [2] La thèse du Rambam rapportée à cet effet est notamment celle citée dans les Hilkhote ‘Avoda Zara. Quant au Ramban, il développe explicitement dans son commentaire sur Devarim 18, 9-12 une argumentation destinée à prouver la réelle efficacité des arts occultes.

  • Projet Ramban "Ekev"

         PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA    

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    Ekev, un mot polyglotte

     

    « Si (ékèv ) vous écoutez ces lois (michpatim) , que vous les gardez et les réalisez, Dieu gardera l’alliance bienveillante qu’il a juré à vos pères ». (Dt, 7.12)

    Verset anodin qui pourtant a retenu l’attention de Rachi : en effet le ‘ékev’ (si) n’est pas la forme courant pour introduire une condition. Rachi fait dériver ce terme du ‘talon’ (ékev) et explique « si vous écoutez les lois qui sont d’ordinaire foulées au talon ». Certes, le terme ékev n’est pas courant, mais il est attesté. Pourquoi chercher une explication si alambiquée ?

    Le commentaire de Ramban sur ce verset est assez énigmatique dans sa construction.

    Il commence par citer un sens possible du terme ékev ­: afin. Fondamentalement le sens de la phrase est peu affecté : respectez mes lois afin que je respecte mon alliance. Puis il cite Rachi, et fait remarquer que le verset ne parle que d’un type de loi (michpatim) alors qu’il existe d’autres types de loi (‘houkim). Pourquoi donc le respect de l’alliance par Dieu ne serait fondé que sur l’observation de ces lois particulières, et par de l’intégralité de la Torah ? Ramban recolle les morceaux du commentaire de Rachi, ce qui donnerait « sans doute s’agit-il des lois financières qui sont facilement foulées ». Constatation indubitable ! mais elle n’éclaire pas la question que nous posions (sur l’intégralité de l’observation des lois de la Torah). Le Ramban ne le dit pas, mais il semble que l’interprétation de Rachi ne l’a pas convaincue.

    Notre auteur rapporte Ibn Ezra, sans le nommer, qui voit dans le terme ékev, l’idée d’un salaire, d’une récompense. Ibn Ezra est fidèle à l’option de traduction de ce mot qu’il a pris ailleurs[1]. Ramban est séduit[2] par cette option qui oppose le ‘talon’ à ‘la tête’, le talon indiquant la fin et la tête le début. Il garde donc l’idée du talon de Rachi, qu’il conjugue dans une autre interprétation. L’usage du mot ékev n’apporte pas grand-chose, si ce n’est qu’il est en phase avec le sens général du verset : il s’agit de mettre en avant l’idée d’une récompense si l’on garde les lois. La difficulté sur l’explication de Rachi est résolue pleinement, puisque maintenant, il s’agit de l’intégralité de la Torah qui est sous-entendue. Mais pourquoi utiliser le terme michpatim, qui ne renvoie pas à l’intégralité de la Torah, mais à une partie des commandements ?

    Ramban cite enfin un troisième commentaire : Onkelos, qui se contente de traduire ékev par ‘en contrepartie’. Là encore, le sens du verset n’est pas altéré, et l’emploi de ce terme en lieu et place du ‘si’ ne semble pas nous mener bien loin. Ramban ne l’entend pas ainsi : il entend un virage dans la compréhension ; pour lui ce terme suggère qu’Onkelos n’a pas fait dériver le mot ékev du terme talon, mais du terme intermédiaire, arrondi, contourné (ékev s’oppose à michor, droit, recte). Très enthousiaste, il montre de nombreux exemples à l’appui de ce sens ; cela va lui permettre de répondre à sa question sur le fait que le terme de michpatim n’indique pas l’intégralité de la Torah, mais seulement une classe de commandements. En combinant sa question avec la nouvelle signification qu’il aperçoit chez Onkelos, il conclut : « il n’est pas possible qu’un peuple entier suive l’intégralité des lois, qu’il n’en transgresse aucune ; c’est uniquement par les jugements (michpatim) que  la Torah peut être établie fermement ». Il comprend le terme michpatim une classe de commandements, mais pas selon la partition usuelle (michpatim :des commandements compréhensibles, ‘houkim : commandements peu évident à comprendre) ; michpatim ce sont les commandements relatifs au tribunal ; il explique « parfois on aura pitié d’appliquer un châtiment, c’est pourquoi il est dit ‘tu n’auras pas pitié’ ; [un juge] pourrait avoir peur des puissants, c’est pourquoi il est dit ‘ne craignez quiconque, car la justice appartient à Dieu’ ; de même concernant quiconque  inciterait à l’idolâtrie, ‘tu ne recouvriras pas sa faute’ ». Ainsi l’application par un tribunal des lois forme un cadre solide à partir duquel c’est toute la société qui ‘garde l’alliance’, malgré les inévitables dérives individuelles.

    Ce commentaire du Ramban est particulièrement bienvenu dans ce contexte, puisque justement le verset d’avant (Dt, 7.11) [3] parle de la distinction classique « michpatim, ‘houkim » ! Et il semble que ce soit cette difficulté qui a été le véritable moteur de l’étonnement des commentateurs ; l’emploi du mot ékev n’étant en lui-même pas trop problématique ; il s’avère pourtant que c’est une réflexion sur ce terme qui permet de trouver le sens du verset.

    Le Ramban fait prendre conscience que le tribunal n’est pas seulement un lieu de justice mais c’est aussi un lieu politique, une instance de gouvernement.

     

     

    Franck BENHAMOU

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf.notes. 

     

    רמב"ן דברים פרק ז פסוק יב

    (יב) טעם עקב - כמו בעבור, וכן עקב אשר שמע אברהם בקולי (בראשית כו ה). וכתב רש"י אם המצות הקלות שאדם דש בעקביו תשמעון, ישמור לך השם הבטחתו. והזכיר הכתוב המשפטים, אולי יזהיר במשפטים הקלים כדיני ממונות שלא יבזו אותם. והמפרשים אמרו כי טעם "עקב" שכר באחרית, וכן בשמרם עקב רב (תהלים יט יב), יאמר והיה אחרית תשמעון המשפטים ותשמרו אותם שישמר השם לך את הברית והחסד ואהבך. ונכון הוא, כי יקראו בלשון הקדש תחלת כל דבר בלשון "ראש", כענין ראש דברך אמת (שם קיט קס), וכן גדול הדור, ראש העם (במדבר כה ד) והמשובח, ראש בשמים (שה"ש ד יד), וכן יקראו אחרית כל דבר "עקב", כי הלשון יתפוס דמיונו באדם והראש תחלה והעקב בו אחרית וסוף. וכן יאמר הכתוב (להלן כח יג מד) לראש ולזנב, לדמיון גוף בהמה:

    ואונקלוס תרגם חלף, כמו חלף עבודתכם (במדבר יח לא), עשאו לשון סבוב, נגזר מן והיה העקוב למישור (ישעיה מ ד) הדרך המעוקל ההולך סביב סביב, וכן עקובה מדם (הושע ו ח) מסובבת ומוקפת. יאמר, והיה סבת שמעכם המשפטים ועשותכם אותם שישמור השם לכם בריתו, ויפה פירש. ודומה לזה, בגלל הדבר הזה (להלן טו י) בסבתו, מלשון וגללו את האבן (בראשית כט ג):

    וכן על דעתי, כל לשון עקיבה גלגול וסבוב, עקוב הלב (ירמיה יז ט), ויעקבני זה פעמים (בראשית כז לו), ויהוא עשה בעקבה (מ"ב י יט), ענין גלגולין וסבות. ולכן יקראו יעקב "ישורון", כי היפך העקוב מישור. וכן אחורי הרגל שנקרא עקב, וידו אוחזת בעקב עשו (בראשית כה כו), יקראנו כן בעבור היותו מעוגל, כאשר יקרא הלשון אמצע היד והרגל "כפות" בעבור היותם כמו כפות הזהב. ומורגל הוא בלשון, כמו שאמרו בספרי (ברכה ב), מימינו אש דת למו (להלן לג ב), כשהיה יוצא הדבור מפי הקדוש ברוך הוא היה יוצא דרך ימינו של קדש לשמאלן של ישראל, ועוקב את מחנה ישראל שנים עשר מיל על שנים עשר מיל, כלומר מקיף. וכן לשונם (ב"ק קיג א) באים עליו בעקיפין, בסבות וגלגולין, כמו עקיבין, ששתי האותיות האלה שוות להן כאשר פרשתי כבר (ויקרא יט כ):

    והזכיר את המשפטים האלה - להזהיר מאד במשפטים, כי לא יהיה עם רב כלו נזהר במצות כלן שלא יחטאו בהן כלל, רק במשפטים יעמידו התורה, כמו שנאמר בהן (להלן כא כא) וכל ישראל ישמעו ויראו. ועוד כי רבים ירחמו מלסקול האיש ולשרוף אותו אחרי שנעשת העבירה, כמו שנאמר (להלן יט יג) לא תחוס עינך. ועוד שייראו מן התקיפים ומן המטעים, כמו שאמר (לעיל א יז) לא תגורו מפני איש כי המשפט לאלהים הוא, ואמר בנביא השקר (להלן יח כב) לא תגור ממנו. והזכיר כל אלה במסית (להלן יג ט), לא תאבה לו ולא תשמע אליו ולא תחוס עינך עליו ולא תחמול ולא תכסה עליו. ויזהיר, לא תשמע אליו, מפני הטעאתו, ולא תחוס עינך, מפני הרחמנות שירחמו רכי הלבב על הנידונים, ולא תכסה, שלא תשתוק בעבור תקפו ויראת בני משפחתו

     

    [1] Voir son commentaire sur Gn 22.18.

    [2] Il dit que cette explication est ‘exacte’. 

    [3] Mais qui se soucie du dernier verset de la sidra précédente ?

  • Dévarim : répéter, transmettre, expliquer

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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        Devarim : répéter, transmettre, expliquer

     

    Le livre de Devarim est particulier par rapport aux autres livres de la Torah.

    De quoi s’agit-il ? demanderait-on à des élèves : d’une répétition de la Torah répondraient ils.

    Hazal l’appellent bien Mishne Torah (expression venant du verset Devarim 17, 18).

     

    Mais de fait toute la Torah et toutes les lois ne sont pas répétées.

    C’est ce que Ramban explique longuement dans son introduction au livre, ainsi que dans le commentaire du premier verset[1].

    Dans Devarim, Moïse s’adresse au peuple sur le point d’entrer en Israël. C’est-à-dire, à la génération qui n’était pas présente au Sinaï. Et il leur répète les lois.

    Dans son discours, il ne reprend toutefois pas les lois concernant les Kohanim car, explique Ramban, toutes ces lois ont déjà été expliquées et les Kohanim sont assidus (. והכהנים זריזים הם), « de bons élèves » et n’ont pas besoin d’une répétition.

    Cependant, pour les autres, une nouvelle répétition est nécessaire.

    Ramban distingue alors deux cas :

    1) les lois qui n’ont pas, déjà, été transmises aux enfants d’Israël

    2) celles qui l’ont déjà été.

    Ramban précise que les termes pour les introduire ne sont pas les mêmes.

     

    Ainsi, on trouve au verset 3 du premier chapitre de Devarim :

    וַיְהִי֙ בְּאַרְבָּעִ֣ים שָׁנָ֔ה בְּעַשְׁתֵּֽי־עָשָׂ֥ר חֹ֖דֶשׁ בְּאֶחָ֣ד לַחֹ֑דֶשׁ דִּבֶּ֤ר מֹשֶׁה֙ אֶל־בְּנֵ֣י יִשְׂרָאֵ֔ל כְּ֠כֹל אֲשֶׁ֨ר צִוָּ֧ה יְהוָ֛ה אֹת֖וֹ אֲלֵהֶֽם׃

    « C’était dans la 40e année, le 7e mois, le premier du mois, que Moise s’adressa (דִּבֶּ֤ר) aux enfants d’Israël selon tout ce que Dieu lui avait commandé ».

    Il s’agit, dit Ramban, des commandements qui n’avait pas encore été transmis aux enfants d’Israël, mais que Moïse avait déjà reçus. C’est pourquoi il est écrit « ce que Dieu lui avait commandé ».

    Mais, comment comprendre que des lois aient pu ne pas être transmises ?   Pourquoi apparaissent-elles maintenant ? C’est le cas par exemple de la loi du Lévirat.

    Ramban précise, alors, qu’elles ont toutes été dites au mont Sinaï ou dans l’année qui a suivi (jusqu’à la fautes des espions) mais n’ont pas encore été transmises.  (C’est pourquoi lorsque ces lois sont rappelées elles ne sont pas précédées par « Dieu dit à Moïse », car elles ont déjà été dites).  Mais, elles n’avaient pas encore été transmises car elles ne s’appliquaient pas à la période du désert et n’avait de sens qu’une fois entré en Israël.

     

    Au verset 5 du premier chapitre, on trouve :

    בְּעֵ֥בֶר הַיַּרְדֵּ֖ן בְּאֶ֣רֶץ מוֹאָ֑ב הוֹאִ֣יל מֹשֶׁ֔ה בֵּאֵ֛ר אֶת־הַתּוֹרָ֥ה הַזֹּ֖את לֵאמֹֽר׃

    « De l’autre côté du Jourdain, en terre de Moab, moise désira (הוֹאִ֣יל) expliquer la Torah en disant… ».

    הוֹאִ֣יל a plusieurs sens et en particulier « désirer ».

    Rachi, en référence à un verset de Beréchit, le traduit par commencer. (« Moïse commença à expliquer »).

    Ramban rejette cette traduction, car de fait, c’est plus tard, que Moise commence réellement à expliquer.

    הוֹאִ֣יל  veut dire, pour lui, « désirer »  c’est-à-dire que Moïse désira expliquer la Torah. De lui-même, et non sur l’ordre de Dieu.

    Il s’agit, alors, de donner de nouvelles explications aux commandements déjà énoncés et d’introduire de nouvelles choses[2].

     

    Plus que tout, cette introduction nous place au cœur du lien qui unit Moïse aux enfants d’Israël.

    Il ne se contente pas de répéter ce que Dieu lui dit.

    Pendant un temps, il retient les commandements, ne les transmettant que lorsqu’ils prendront sens.

    Dans d’autres cas, il prend sur lui d’ajouter de nouvelles explications, pour rendre plus clair les commandements.

    Et, c’est au moment où il sait qu’il va quitter ce peuple, qu’il fait une dernière fois œuvre de pédagogie dans la transmission, donnant aux enfants d’Israël toutes les connaissances leur permettant d’aborder ce monde nouveau qui les attend une fois le Jourdain franchi.

     

    Noémi Leben

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf.notes. 


    [1] הספר הזה ענינו ידוע שהוא משנה תורה יבאר בו משה רבנו לדור הנכנס בארץ רוב מצות התורה הצריכות לישראל ולא יזכיר בו דבר בתורת כהנים ולא במעשה הקרבנות ולא בטהרת כהנים ובמעשי ה' שכבר ביאר אותם להם. והכהנים זריזים הם לא יצטרכו לאזהרה אחר אזהרה אבל בישראל יחזיר המצות הנוהגות בהם פעם להוסיף בהם ביאור ופעם שלא יחזיר אותם רק להזהיר את ישראל ברוב אזהרות כמו שיבאו בספר הזה בעניני עבודת גלולים אזהרות מרובות זו אחר זו בתוכחות וקול פחדים אשר יפחיד אותם בכל ענשי העבירות. ועוד יוסיף בספר הזה כמה מצות שלא נזכרו כלל כגון היבום ודין המוציא שם רע והגרושין באשה ועדים זוממין וזולתו. וכבר נאמרו לו כולן בסיני או באוהל מועד בשנה הראשונה קודם המרגלים כי בערבות מואב לא נתחדשו לו אלא דברי הברית כאשר נתפרש בו. ועל כן לא נאמר בספר הזה וידבר ה' אל משה לאמר צו את בני ישראל או דבר אל בני ישראל ואמרת אליהם מצוה פלונית. אבל לא נכתבו המצות בספרים הראשונים שידבר עם יוצאי מצרים כי אולי לא נהגו באותן המצות רק בארץ אע"פ שהן חובת הגוף. כאשר בא בענין הנסכים או מפני שאינן תדירות לא הזכיר רק בבנים נוחלי הארץ. וטרם שיתחיל בביאור התורה התחיל להוכיחם ולהזכיר להם עונותיהם כמה ימרוהו במדבר וכמה שהתנהג עמהם הקב"ה במדת רחמים וזה להודיע חסדיו עמהם. ועוד שיוכחו בדבריו שלא יחזירו לקלקולם פן יספו בכל חטאתם ולחזק לבם בהודיעו אותם כי במדת רחמים יתנהג עמהם לעולם. שלא יאמר אדם לא נוכל לרשת את הארץ כי אין אדם אשר לא יחטא ומיד תהיה מדת הדין מתוחה כנגדנו ונאבד ולכן הודיעם משה רבנו כי הקב"ה רחמן מלא רחמים כי הסליחה והמחילה ממנו יתברך סיוע ועזר לבני אדם בעבודתו. וכענין שאמר הכתוב כי עמך הסליחה למען תורא.

    [2] והנה הזכיר בכאן שני דברים אמר שדבר משה אל בני ישראל ככל אשר צוה ה' אותו אליהם וזה רמז אל המצות שיאמר להם בספר הזה שלא נזכרו עד הנה בתורה ואמר שהם ככל אשר צוה אותו השם לא הוסיף ולא גרע על מה שנצטווה והזכיר זה בעבור שלא אמר בהם וידבר ה' אל משה ולכן כלל אותם עתה שהם כולם ככל אשר נצטווה מפי הקב"ה ואמר עוד כי הואיל משה באר את התורה וזה רמז במצות שנאמרו כבר שיחזור אותם לבאר אותם ולחדש בהם דברים וטעם הואיל משה שרצה לבאר להם את התורה והזכיר כן להודיע כי מעצמו ראה לעשות כן ולא צוהו השם בזה מלשון הואל נא ולין (שופטים יט ו) ולו הואלנו ונשב (יהושע ז ז) וכן רבים:

  • Projet Ramban "Matot-Maassé"

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Les complications d'un héritage par les femmes

     

    La tribu de Menashe réclame une solution pour ne pas perdre la terre promise aux filles de Tselofhad au profit d’une autre tribu. En effet, si l’une d’entre elle épousait un homme d’une autre tribu, l’héritage reviendrait de droit au mari et la terre serait irrécupérable pour la tribu d’origine.

    De ce cas découle une règle pour préserver les territoires: une femme n’ayant pas de frères a l’obligation d’épouser un homme provenant de sa tribu. Ce qui limite l’ensemble des possibilités de mariage et réduit la panoplie de mariages potentiels.

    Mais une femme ayant des frères peut se marier avec un homme d’une autre tribu. Dans ce cas, qu’en serait-il de l’héritage si tous ses frères venaient à disparaître sans avoir d’enfants ? L’héritage du père serait-il encore une fois perdu par la tribu au profit de celle du mari ?

    D’où la seconde restriction prévue par la Tora, l’héritage restera dans la tribu d’origine et la femme sera privée des terres de ses pères.

    Ramban[1] soulève le problème suivant : est-il possible d’ôter l’héritage revenant à toute une descendance ? Hazal[2] nous enseignent que ces restrictions n’ont existé que dans la génération conquérante. Dès le moment où le peuple s’est établi de façon durable en terre d’Israël, la répartition  des terres fût remaniée naturellement, par les mariages entre les tribus.

    Une question subsiste : si l’on souhaitait préserver la carte géographique que D. donna à Moshe, pourquoi ces restrictions n’ont pas été maintenues ?

    D’après Ramban1, les restrictions ont été mises en place afin de créer un lien fort entre chaque tribu et son territoire. Pour donner de l’importance à ce lien, les tribus ne devaient pas se séparer de leur terre, que ce soit activement (par un mariage avec une autre tribu) ou de manière passive (une femme perdant ses frères). Ce lien se crée instantanément, il n’a pas besoin de perdurer.  Hazal nous enseignent que la date où le lien serait acquit n’étant pas définissable, les restrictions furent maintenues pour toute la génération.

    Cet ensemble de limitations maritales créèrent un certain poids sur la société. Le 15 Av[3] est selon Rav Yehouda la date où ces restrictions furent abolies. La joie du peuple à cette date paraît à présent plus évidente.

     

    Koren ASSOULINE

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf.notes. 


    [1] רמב״ן במדבר לו ז "ולא תסב נחלה לבני ישראל ממטה אל מטה" - לא חשש הכתוב אלא לתקן העת ההיא, כי אם היו בישראל נשים נשואות לשבט אחר, והן יורשות נחלה היום, או שתירשנה מיום זה ואילך שימות אביהן או אחיהן בלא בנים, על כורחנו תיסוב נחלתן ממטה אל מטה, ומי יוכל לתקן בזמן את אשר עוותו. כי לא רצתה התורה לצוות שלא יירשו אותן הבן והבעל, שלא ראתה לעקור משפט הירושה. וכן לא יחוש הכתוב למקרים העתידים לבא, כי הבנות שאינן יורשות נחלה יכולות להינשא לכל השבטים, ואפשר שתהיינה יורשות נחלה בזמן הבא כי ימותו אחיהן בחיי האב ותעבור נחלת אביהן או קרוביהן להן: ועל דעת רבותינו (בבא בתרא קכ א) שדרשו: דבר זה לא יהא נוהג אלא בדור זה בלבד. יתכן שלא היו בכל הדור ההוא הבא בארץ בנות יורשות נחלה זולתי בנות צלפחד, כי על כן לא דברו. וציוה הכתוב, שאם ימות אדם מן היום ההוא עד שתחלק הארץ לשבטיהם ותהיה בתו יורשת אותו, לא תינשא לשבט אחר שלא יבא האיש ההוא בעת חלוק הארץ לקחת לו נחלה בתוך מטה אחר, כי הקפדה להם תהיה יותר גדולה בעת החלוק שלא יתערבו השבטים זה עם זה בנחלה, כי אחרי כן כבר נודעה נחלתן ולא יקפידו כל כך, ובעבור שלא נודע זמן החלוק הזהיר בכל הדור. והשם אשר בידו נפש כל חי אין לו לחוש מכאן ואילך: ונכון הוא על דרך הפשט, שאין "ולא תיסוב נחלה" טעם, כדי שלא תיסוב הנחלה, אבל הן שתי מצוות ציווה ביורשות נחלה, שלא תינשאנה רק למטה אביהן, וציוה בנשואות כבר ואשר תבוא אליהן נחלה אחרי היותן לאיש שלא תיסוב הנחלה ממטה למטה אחר, אבל יירשו אותן אחיהן וקרוביהן לא בניהן ולא בעליהן. והזהיר מתחלה בבנות צלפחד, ואחרי כן בכל בת יורשת נחלה. ואמר בכל ישראל שלא תיסוב נחלה ממטה אל מטה, שאף הנשואות, או המוזהרות אם יעברו על המצווה, יירשו אותן אנשי המטה, שיהיו דבוקים וקשורים בנחלת מטה אבותם לא תיפרד נחלתם מהם והם לא ייפרדו מנחלת אבותם. ולא נהג כל זה רק בדור הנוחל את הארץ בעת החלוקה. והנה נתן להם עצה בפנויות אשר שאלו, ותקן גם בנשואות.

    [2] בבא בתרא קכ א :דבר זה לא יהא נוהג אלא בדור זה בלבד.

     [3] תענית ל ב: ט"ו באב מאי היא אמר רב יהודה אמר שמואל יום שהותרו שבטים לבוא זה בזה מאי דרוש (במדבר לו, ו) זה הדבר אשר צוה ה' לבנות צלפחד וגו' דבר זה לא יהא נוהג אלא בדור זה

  • Comprendre les signes de l’Éternel

     

    בס״ד

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Projet Ramban – Parachat Balak

     

    La parachat Balak relate l’une des histoires les plus étonnantes de la Torah. Une fois n’est pas coutume, le peuple d’Israël ne sera pas le principal protagoniste du récit, mais Balak roi de Moab et surtout Bilam sorcier et prophète des Nations qui tenteront vainement de maudire le peuple élu ! Parmi les multiples rebondissements de cette histoire, l’épisode de l’ânesse de Bilam demeure certainement le plus fameux exemple de l’impuissance des ennemis d’Israël à mettre en œuvre leurs sinistres desseins.           

    Alors que l’Eternel avait avertit Bilam par deux fois par le biais de songes prophétiques de ne pas accepter les offres alléchantes de Balak pour aller « bénir » le peuple hébreu, ce dernier cède aux tentations  et part rejoindre le roi de Moab afin de lui offrir ses services de puissant sorcier. Mais voilà que sur le chemin, un ange armé d’un glaive leur barre la route ; la bête est saisie de terreur alors que Bilam ne voit rien avec ses yeux de chair et de sang.

     

    וַיִּחַר-אַף אֱלֹהִים, כִּי-הוֹלֵךְ הוּא, וַיִּתְיַצֵּב מַלְאַךְ יְהוָה בַּדֶּרֶךְ, לְשָׂטָן לוֹ; וְהוּא רֹכֵב עַל-אֲתֹנוֹ, וּשְׁנֵי נְעָרָיו עִמּוֹ

    וַתֵּרֶא הָאָתוֹן אֶת-מַלְאַךְ יְהוָה, וַתִּלָּחֵץ אֶל-הַקִּיר, וַתִּלְחַץ אֶת-רֶגֶל בִּלְעָם, אֶל-הַקִּיר 

    וַתֹּאמֶר הָאָתוֹן אֶל-בִּלְעָם, הֲלוֹא אָנֹכִי אֲתֹנְךָ אֲשֶׁר-רָכַבְתָּ עָלַי מֵעוֹדְךָ עַד-הַיּוֹם הַזֶּה--הַהַסְכֵּן הִסְכַּנְתִּי, לַעֲשׂוֹת לְךָ כֹּה; וַיֹּאמֶר, לֹא 

    וַיְגַל יְהוָה, אֶת-עֵינֵי בִלְעָם, וַיַּרְא אֶת-מַלְאַךְ יְהוָה נִצָּב בַּדֶּרֶךְ, וְחַרְבּוֹ שְׁלֻפָה בְּיָדוֹ; וַיִּקֹּד וַיִּשְׁתַּחוּ, לְאַפָּיו..

     

    Mais Dieu étant irrité de ce qu'il partait, un ange du Seigneur se mit sur son chemin pour lui faire obstacle. Or, il était monté sur son ânesse, et ses deux jeunes esclaves l'accompagnaient…

    L'ânesse, voyant l'ange du Seigneur, se serra contre le mur, et froissa contre le mur le pied de Balaam, qui la frappa de nouveau…

     Et l'ânesse dit à Balaam: "Ne suis-je pas ton ânesse, que tu as toujours montée jusqu'à ce jour? Avais-je accoutumé d'agir ainsi avec toi?" Et il répondit: "Non.

    Soudain, le Seigneur ouvrit les yeux de Balaam, et il vit l'ange du Seigneur debout sur la route; l'épée nue à la main; il s'inclina et se prosterna sur sa face…(Bamidbar chap. 22 ; V. 22, 25,30 ;31)

     

    Le Ramban dans son commentaire sur la paracha, s’interroge sur la nature de la vision de l’ânesse de Bilam. En effet, les anges n’ont point de corps physique et seuls les êtres ayant atteints le niveau de la prophétie tel que Daniel ou un niveau proche de ce dernier sont capables de les voir ou de sentir leur présence. Il faut donc expliquer selon le Ramban, que l’ânesse de Bilam n’a point vu l’ange mais seulement senti un danger imminent ou une présence menaçante l’empêchant de continuer son chemin.

    Cependant, Rabbi Moché Ben Nahmanide soulève l’hypothèse que l’Eternel a pu aussi ajouté au miracle de la parole de l’ânesse un deuxième miracle à savoir une capacité à pouvoir voir de ses yeux des êtres de cette nature.

    Toujours est-il que cet épisode aurait du faire rebrousser chemin à Bilam. En effet, le Ramban explique qu’il y avait dans la nature de cet épisode et du miracle accompli à son ânesse, un message clair pour le sorcier :

    Si l’Eternel a le pouvoir de faire parler une simple bête, il lui sera d’autant plus aisé de maîtriser la parole d’un humain. Bilam aurait du donc comprendre dès cet instant que sa bouche ne pourrait jamais sortir des paroles hostiles à l’encontre d’Israël.

    Dans la suite de ses explications, le Ramban démontre que Bilam n’a jamais été un vrai prophète ; en effet, c’est D.ieu qui lui ouvre les yeux pour qu’il puisse voir l’ange qui se tient devant lui. De même, si Bilam avait vraiment acquis le niveau de la prophétie, il n’aurait point été tué par le glaive comme cela se produira par la suite ; il est même défini dans le livre de Josué (Josué 13,22) comme « Bilam fils de Béor, le sorcier » et non « le prophète ». Il faut donc conclure que les seules paroles prophétiques qui sortiront de sa bouche à la fin de notre paracha, ne lui seront délivrées qu’en l’honneur et pour la gloire d’Israël, le reste de ses prodiges n’étant le fruit que de ses sorcelleries.

    Les deux explications du Ramban, concernant l’incapacité de comprendre les signes de D.ieu et le niveau de prophétie de Bilam, sont en réalité intrinsèquement liés. En effet la sagesse du prophète consiste aussi à donner la juste interprétation aux évènements qui l’entourent et à la parole de D.ieu. Sans cela, il ne peut devenir le réceptacle de la parole divine.

    Bilam ne saisit pas le sous-entendu de la parole miraculeuse et soudaine de son ânesse.

    Le prophète Yona (Jonas) dans une autre mesure et un autre contexte, se plaint à l’Eternel que ce dernier veuille épargner la ville de Ninive et ses idôlatres, et ce malgré leur téchouva (repentir) de façade. Voila que l’Eternel lui donne une leçon en desséchant un arbre qui avait poussé miraculeusement et qui l’abritait jusque là des fortes chaleurs ambiantes :

    L'Eternel répliqua: "Quoi! tu as souci de ce ricin qui ne t'a coûté aucune peine, que tu n'as point fait pousser, qu'une nuit a vu naître, qu'une nuit a vu périr et moi je n'épargnerais pas Ninive, cette grande ville, qui renferme plus de douze myriades d'êtres humains, incapables de distinguer leur main droite de leur main gauche, et un bétail considérable!

     Par ce message, l’Eternel éclaire Yona sur sa conduite dans ce monde ! Le prophète regrette « la trop grande » miséricorde du Créateur qui ne devrait pas s’étendre aux idolâtres. L’Eternel lui répond alors que sa miséricorde s’étend  même sur le bétail des gens de Ninive et à plus forte raison sur des être humains. Mais la leçon va plus loin encore :

    Hachem  démontre à Yona que  lui-même s’apitoie sur un arbre pour lequel il n’a fourni aucun labeur. Le Kykayon, le ricin, qui le protégeait du soleil avait poussé miraculeusement. Pourquoi Yona  se lamentait maintenant sur un végétal qui n’était que l’expression de la Miséricorde « décriée » de D.ieu ?

    La parole de l’Eternel dans ces deux épisodes se véhicule à la fois par des songes ou des visions prophétiques, ou bien par la nature d’un miracle vécu qui doit amener le témoin de ce dernier à une réflexion profonde. Le manque flagrant de sagesse du sorcier, qui désobéit à la fois à la parole divine et qui ne saisit rien aux évènements extraordinaires qui le frappent, nous conduit aussi à conclure qu’il n’a en réalité jamais été un prophète.

    Le Rambam dans son commentaire sur le traité des Perkei Avot (Maxime des Pères), définit la sagesse comme condition obligatoire pour recevoir la prophétie au même titre que la richesse (qui peut s’exprimer par la suffisance de ce que nous possédons) et la vaillance (à maîtriser ses pulsions).Si la prophétie a de nos jours disparue, la sagesse, elle nous est toujours accessible et notamment pour nous aider à interpréter les évènements que nous traversons dans nos vies. Bilam est devenu le symbole de l’inutilité des miracles s’ils ne sont pas vécus et interprétés par des cœurs ouverts à la sagesse de D.ieu.

     

    Shmouel CHOUCROUN

     

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : 

     

    רמב"ן במדבר פרק כב פסוק כג
    (כג) ותרא האתון את מלאך ה' - מלאכי השם השכלים הנבדלים לא יראו לחוש העינים, כי אינם גוף נתפש במראה, וכאשר יראו לנביאים או לאנשי הרוח הקודש כדניאל ישיגו אותם במראות הנפש המשכלת כאשר תגיע למעלת הנבואה או למדרגה שתחתיה, אבל שיושגו לעיני הבהמה אי אפשר. על כן תוכל לפרש "ותרא האתון", כי הרגישה בדבר מפחיד אותה מלעבור והוא המלאך אשר יצא לשטן, כענין ולבי ראה הרבה חכמה ודעת (קהלת א טז), שיאמר על ההשגה לא על הראות. וכאשר אירע בה הנס ושם לה הבורא הדבור, אמרה לבלעם (פסוק ל) ההסכן הסכנתי לעשות לך כה, אבל לא ידעה למה עשתה עתה כן כי לאונסה נעשה בה כך, ולפיכך לא אמרה לו "הנה מלאך השם עומד לנגדי וחרבו שלופה בידו" כי לא עלתה השגתה לדעת זה כלל:
    ואמר ותרא את מלאך ה' וחרבו שלופה בידו, לא שתראה חרב אף כי מלאך, אבל ירמוז הכתוב כי מפני היות המלאך נכון להכות בה חרדה חרדה גדולה נדמה לה כאלו באים לשחוט אותה. ואם נאמר כי המלאכים הנראים בדמות אנשים, כאשר הזכרתי בפרשת וירא (בראשית יח ב), יושגו אף לעיני הבהמות, אם כן איך לא יראנו בלעם, ולא הוכה בסנורים. אבל יתכן, שהוסיף בהשגת עיניה מי שהוסיף בה הדבור וראתה כאדם, ולא הזכיר בה הכתוב "ויגל השם עיני האתון" כאשר הזכיר באדוניה (פסוק לא), כי הענין כולו באתון נס גדול כבריאה חדשה בנבראים בין השמשות ואינו נקרא גלוי עינים בלבד. אבל רבותינו (אבות פ"ה מ"ו) לא יזכירו בנסים רק פתיחת פיה:
    וטעם הנס הזה, להראות לבלעם מי שם פה לאדם או מי ישום אלם, להודיעו כי השם פותח פי הנאלמים, וכל שכן שיאלם ברצונו פי המדברים, גם ישים בפיהם דברים לדבר כרצונו כי הכל בידו, ולהזהירו שלא ילך אחר נחש וקסם ויקללם בהם, כי מנחש וקוסם היה: 

    רמב"ן במדבר פרק כב פסוק לא
    (לא) ויגל ה' את עיני בלעם - מזה הכתוב נלמד כי בלעם לא היה נביא, אלו היה נביא איך יצטרך לגלוי העינים בראיית המלאך כאשר יאמר הכתוב במי שלא הגיע לנבואה כנער אלישע (מ"ב ו יז) והגר המצרית (בראשית כא יט), ולא יאמר כן בנביאים, וכך קראו הכתוב (יהושע יג כב) בלעם בן בעור הקוסם. ומה שאמר הוא (פסוק ח) כאשר ידבר ה' אלי, יקרא ידיעתו העתידות בקסמיו "דבר ה'". אבל לכבוד ישראל בא אליו השם בלילה ההוא, ואחרי כן זכה לגלוי עינים בראיית המלאך ודבר עמו, ובסוף עלה למעלת מחזה שדי (להלן כד ד טז), והכל בעבור ישראל ולכבודם. ואחרי ששב לארצו היה קוסם, כי כן יקראנו הכתוב במיתתו (יהושע יג כב) ואת בלעם בן בעור הקוסם הרגו בחרב, וחלילה שישלחו יד בנביא השם. וכך אמרו במדרש במדבר סיני רבה (כ יט), בלעם נזקק לרוח הקדש, וכשנזדווג לבלק נסתלקה ממנו רוח הקדש וחזר להיות קוסם כבתחלה, לפיכך צווח רם הייתי והורידני בלק:

     

  • Houkat : Ce qui unit une communauté

        PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    חקת : Ce qui unit une communauté

     

     

    Le verset במדבר כ,א commence ainsi :

    וַיָּבֹ֣אוּ בְנֵֽי־יִ֠שְׂרָאֵל כָּל־הָ֨עֵדָ֤ה מִדְבַּר־צִן֙ בַּחֹ֣דֶשׁ הָֽרִאשׁ֔וֹן וַיֵּ֥שֶׁב הָעָ֖ם בְּקָדֵ֑שׁ וַתָּ֤מָת שָׁם֙ מִרְיָ֔ם וַתִּקָּבֵ֖ר שָֽׁם

    Les enfants d'Israël, toute la communauté, arrivèrent au désert de Cîn, dans le premier mois, et le peuple s'arrêta à Kadêch. Miryam mourut en ce lieu et y fut ensevelie.

    Les commentateurs s’attachent au début de la phrase qui semble redondant : « les enfants d’Israël, toute la communauté ».

    Quel sens apporter à cette répétition ?

    Pour Rachi [1]כָּל-הָעֵדָה, עֵדָה הַשְּׁלֵמָה, שֶׁכְּבָר מֵתוּ מֵתֵי מִדְבָּר וְאֵלּוּ פָּרְשׁוּ לְחַיִּים. Toute la communauté désigne la communauté dans son intégrité, car la « génération du désert » avait totalement disparu et ceux-là étaient destinés à vivre.

    Le complément « toute la communauté » précise ainsi que la totalité des enfants d’Israël forme un groupe solidaire qui entrera plus tard en Israël puisque ceux destinés à mourir dans le désert le sont déjà. Il s’agit donc d’une communauté de destin et c’est ce qui les soude.

    Comme à son habitude, Ramban commence par citer l’opinion de Rachi pour ensuite la réfuter. Selon lui cette répétition est là pour introduire un contexte de querelle. Querelle qui va effectivement survenir puisque, Myriam étant morte, l’eau va manquer. Toutes les fois, explique-t-il, que l’expression « כָּל-הָעֵדָה » est utilisée associée à « בְנֵֽי־יִ֠שְׂרָאֵל ּ» c’est dans un contexte de querelle. Il cite pour cela 4 versets (deux dans שמותet deux dans במדבר ) qui tous décrivent une situation dans laquelle les enfants d’Israël se querellent avec Moïse ou Dieu[2].

    Là encore les enfants d’Israël forment un tout cohérent, uni. Celui du groupe qui s’oppose, qui réclame. A sa manière c’est aussi une communauté de destin puisque c’est face à ce groupe uni que Moise va avoir ce geste qui va sceller son devenir, celui de frapper le rocher. Mais si l’expression est positive chez Rachi, elle l’est nettement moins chez Ramban.

    Dans son commentaire, cinq siècles plus tard, le Or Hachaïm explique qu’on peut trouver trois types d’explications à l’expression  כל העדה mais que dans tous les cas ce la désigne une  עדה שלמה« une communauté parfaite ».

    On retiendra ainsi le raisonnement : « nous savons que nous lirons, peu après, l’incident avec les eaux du conflit qui,  selon Devarim Rabba était la raison du châtiment de Moïse. (…) Il s’adressait aux Israélites en disant : « Ecoutez peuple rebelle ». Il était important pour la Torah de déclarer, qu’à cette époque, les Israélites étaient tous une sainte congrégation. Si cela n’avait pas été le cas, la Torah n’aurait pas pu reprocher à Moise de s’adresser aux Israélites comme des rebelles ».

     

    Il y a sans doute matière à réflexion pour nos propres communautés. Qu’est ce qui les unit ? Qu’esth ce qui en fait le ciment ?

    Est-ce un destin ? Une histoire ? Le fait de se projeter ensemble vers un but commun ?

    On ne peut que souhaiter que nos communautés soient unies afin de former une עדה שלמה et non une communauté querelleuse tel qu’elle apparait, pour Ramban dans ce verset במדבר כ,א.

     

     

    Noémi LEBEN

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes.

     

    [1] רש״י, במדבר כ,א

    [2]  רמב״ן, במדבר, כ, א ׃ בני ישראל כל העדה מדבר צן העדה עדה שלמה שכבר מתו מתי מדבר ואלו פרשו לחיים לשון רש"י וכן דעת ר"א ואם כן מה צורך להזכיר כן בבואם אחרי כן אל הר ההר (פסוק כב) ור"א אמר כי הזכיר זה בעבור כי יצא אדום להלחם בם הזכיר הכתוב שלא נפקד מהם איש בבואם מעיר אדום ואינו נכון כי ישראל נטו מעליו ולא נלחם בם כלל והנכון בעיני כי מנהג הכתוב להזכיר כן במקום התלונות ויבאו כל עדת בני ישראל אל מדבר סין אשר בין אלים ובין סיני (שמות טז א) ויסעו כל עדת בני ישראל למסעיהם ויחנו ברפידים (שם יז א) יודיענו הכתוב כי היו כלם בתלונה וכן ותשא כל העדה ויתנו את קולם (לעיל יד א) וילונו כל עדת בני ישראל ממחרת (שם יז ו) ואמר כן בבואם אל הר ההר להודיע שהיו כלם בהספדו של אהרן קדוש ה' כמו שאמר ויבכו את אהרן כל בית ישראל וגו' (פסוק כט) ואמר לעיני כל העדה (פסוק כז) ובמדבר סיני רבה (יט ט) ראיתי שהזכיר הלשון הזה עדה שלימה וכו' בכתוב השני בהר ההר בלבד כי הראשון מפני התלונה נאמר כאשר פירשתי וטעם וישב העם בקדש לומר כי כאשר נכנסו במדבר צין עד קדש מתה מרים וטעה ר"א שאמר בעבור שישבו שם ימים רבים כי כן כתוב כי קדש אשר כתוב בו (דברים א מו) ותשבו בקדש ימים רבים כימים אשר ישבתם הוא קדש ברנע והוא במדבר פארן ומשם נשתלחו המרגלים בשנה השניה ושם חזרו אבל קדש זה הוא במדבר צין ובאו שם בשנת הארבעים ושם מתה מרים ומקראות מפורשים הם:

     

  • La révolution au bon moment

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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         Attendre le bon moment pour la révolution

     

    Le premier commentaire du Ramban sur la paracha Kora’h est vaste et profond. Comme à son habitude, le maître de l’Espagne médiévale commence par rapporter les propos de Rachi et y réagir.

    Selon ce dernier, citant le Midrash Tan’houma, il faut comprendre que Kora’h « s’est pris lui-même », c’est-à-dire qu’il s’est mis de côté, opérant une scission dans l’assemblée. Preuves à l’appui, le Ramban explique qu’il y a plutôt une « prise de position » : « Il a pris conseil en son cœur pour faire ce qui va être raconté ».

    Nul besoin non plus de lire avec Ibn Ezra le verset comme comportant un complément d’objet implicite : « Kora’h a pris des hommes [avec lui] ». En effet, une fois la motivation présente et la flamme de la scission brûlante, les partisans viennent d’eux-mêmes. La prise de position ferme et convaincue du trublion possède une force d’attraction indéniable.

    La lecture du Ibn Ezra s’explique cependant par sa grille de lecture de la Torah : Le principe « ein moukdam oumou’har baTorah / Il n’y a pas d’ordre chronologique dans la Torah » peut s’appliquer partout dans le texte. Selon lui, l’épisode de Kora’h a donc lieu lorsque les premiers-nés vont laisser leur place aux Léviim en ce qui concerne le service divin.

    Or, nous sommes ici dans le désert du Sinaï, après la faute du veau d’or, à un moment où Moshé Rabbénou est encore porté en estime par le peuple. Aussi l’issue de la scission n’est-elle pas évidente du tout, et la simple conviction d’un esprit fort insuffisante pour attirer à lui un si beau parti. Le Ramban ne le dit pas explicitement, mais c’est peut-être cette chronologie d’Ibn Ezra qui le pousse à expliquer que Kora’h a dû en amont préparer un recrutement actif pour fomenter sa révolte.

     

    Toute différente est donc sa perspective. Selon lui, le principe « ein moukdam oumou’har baTorah / Il n’y a pas d’ordre chronologique dans la Torah » est très réglementé, n’intervenant qu’en cas d’exigences conceptuelles interférant avec la succession du texte littéral[1]. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Nous sommes juste après l’épisode des explorateurs, et donc dans le désert de Paran. Beaucoup sont déjà morts par le feu de Tav’éra et à Kivrote haTaava. Le traumatisme de la sanction successive à l’envoi des explorateurs est dans tous les esprits. A ce moment, Moshé Rabbénou n’est plus en odeur de sainteté.

    C’est donc dans ce contexte que la conviction du tribun peut attirer des esprits initialement frustrés. Kora’h a longuement attendu, il a pris sur lui et « supporté » de voir Aharon à une place qu’il estimait lui revenir. Croyant enfin voir la roue tourner, il prend finalement conseil « en son cœur » pour -enfin- révéler ses ambitions.

     

    Yona GHERTMAN

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : 

    רמב"ן פרשת קרח
    ויקח קרח - פרשה זו יפה נדרשת במדרש רבי תנחומא (קרח ב). ויקח קרח, לקח עצמו לצד אחד להיות נחלק מתוך העדה לעורר על הכהונה, וזהו שתרגם אונקלוס ואתפלג, נחלק מתוך העדה להחזיק במחלוקת, וכן מה יקחך לבך (איוב טו יב), לוקח אותך להפליגך משאר בני אדם, לשון רש"י. ודעת המדרש אינו כפירוש הרב. אבל אמרו שם אין ויקח אלא לשון פליגה שלבו לקחו כענין שנאמר מה יקחך לבך. ואינו רוצה לומר שלקח עצמו לצד אחד, וכן מה יקחך לבך, אינו שיקח אותך לצד אחד להפליג עצמך משאר בני אדם, אבל כונת המדרש בויקח קרח, שלקח עצה בלבו לעשות מה שיספר, כי הלקיחה תאמר על העצה והמחשבה. וכן מה יקחך לבך, מה מחשבה יקח לך לבך שתחשוב בסתר לית דין ולית דיין ולא תגלה אותה, או מה ירמזון עיניך, שמתוך רמיזותיך נכר שאתה כופר במשפט האלהים, ולא תפרש זה אבל תקרא תגר כמסתיר עצמו. ואליפז אמר זה לאיוב קודם שגילה איוב מחשבתו במאמר ברור שאין לבורא השגחה בפרטי הנבראים השפלים, ולכך אמר לו (שם כב יג) ואמרת מה ידע אל הבעד ערפל ישפוט, והוא ענין המענה ההוא למתבונן בו. וכן לשון לקיחה במחשבה, קחו מוסרי (משלי ח י), ולבלתי קחת מוסר (ירמיה יז כג):
    אמרו עוד במדרש (רבה יח טז) ויחלוק וידבר ויצו קרח אינו נאמר אלא ויקח, מה לקח, לא לקח כלום אלא לבו נטלו, אמר הכתוב מה יקחך לבך, והוא כמה שפירשתי. ואונקלוס שתרגם ואתפלג, פתר הענין לא הלשון כמנהגו במקומות רבים, וכן תרגם על דבר קרח (להלן יז יד) על פלוגתא דקרח, ותרגם בדבר בלעם (להלן לא טז) בעצת בלעם, כי הוא מזכיר הענין בתרגומו. ור"א אמר ויקח קרח, אנשים, דרך קצרה, כמו חמור לחם (ש"א טז כ). ואחרים אמרו כי "ודתן" כמו ואלה בני צבעון ואיה וענה (בראשית לו כד), ותקונו ויקח קרח דתן ואבירם. ולפי דעתי אין צורך, כי הגון הוא בלשון שיאמר ויקח קרח ודתן ויקומו ויקהלו על משה ועל אהרן, כי בכל תחילת מעשה תבא לקיחה והוא לשון התעוררות במעשה ההוא, וכן ואבשלום לקח ויצב לו בחייו את מצבת (ש"ב יח יח). ואם תחפוץ לפרש כי הלקיחה על הדבר אשר יזכיר אחרי כן ויקח אבשלום את המצבת ויצב לו בחייו, כך תפרש ויקח קרח את האנשים מבני ישראל חמשים ומאתים ויקומו לפני משה ויקהלו על משה ועל אהרן:
    ואמר רבי אברהם כי זה הדבר היה במדבר סיני כאשר נחלפו הבכורים ונבדלו הלוים, כי חשבו ישראל שאדונינו משה עשה זה מדעתו לתת גדולה לאחיו, גם לבני קהת שהם קרובים אליו ולכל בני לוי שהם ממשפחתו, והלוים קשרו עליו בעבור היותם נתונים לאהרן ולבניו, וקשר דתן ואבירם בעבור שהסיר הבכורה מראובן אביהם, גם קרח בכור היה. וזה מדעתו של רבי אברהם שהוא אומר במקומות רבים אין מוקדם ומאוחר בתורה לרצונו. וכבר כתבתי (לעיל ט א) כי על דעתי כל התורה כסדר זולתי במקום אשר יפרש הכתוב ההקדמה והאחור, וגם שם לצורך ענין ולטעם נכון, אבל היה הדבר הזה במדבר פארן בקדש ברנע אחר מעשה המרגלים:
    והנכון בדרש, שכעס קרח על נשיאות אלצפן כמאמר רבותינו (תנחומא קרח א), וקנא גם באהרן כמו שנאמר ובקשתם גם כהונה (פסוק י). ונמשכו דתן ואבירם עמו, ולא על הבכורה, כי יעקב אביהם הוא אשר נטלה מראובן ונתנה ליוסף, אבל גם הם אמרו טענתם, להמיתנו במדבר (פסוק יג), ולא אל ארץ זבת חלב ודבש הביאתנו (פסוק יד). והנה ישראל בהיותם במדבר סיני לא אירע להם שום רעה, כי גם בדבר העגל שהיה החטא גדול ומפורסם היו המתים מועטים, ונצלו בתפלתו של משה שהתנפל עליהם ארבעים יום וארבעים לילה. והנה היו אוהבים אותו כנפשם ושומעים אליו, ואלו היה אדם מורד על משה בזמן ההוא היה העם סוקלים אותו, ולכן סבל קרח גדולת אהרן וסבלו הבכורים מעלת הלוים וכל מעשיו של משה. אבל בבואם אל מדבר פארן ונשרפו באש תבערה ומתו בקברות התאוה רבים, וכאשר חטאו במרגלים לא התפלל משה עליהם ולא בטלה הגזרה מהם, ומתו נשיאי כל השבטים במגפה לפני ה', ונגזר על כל העם שיתמו במדבר ושם ימותו, אז היתה נפש כל העם מרה והיו אומרים בלבם כי יבואו להם בדברי משה תקלות, ואז מצא קרח מקום לחלוק על מעשיו וחשב כי ישמעו אליו העם. וזה טעם "להמיתנו במדבר", אמרו הנה הבאת אותנו אל המקום הזה ולא קיימת בנו מה שנדרת לתת לנו ארץ זבת חלב ודבש כי לא נתת לנו נחלה כלל, אבל נמות במדבר ונהיה כלים שם, כי גם זרענו לא יצאו מן המדבר לעולם, ויבטל מן הבנים מה שנדרת להם כאשר נתבטל מן האבות. וזה טעם תלונתם הנה במקום הזה אחר גזרת המרגלים מיד. והקרוב, כי היו אלה הנקהלים כולם בכורות כי על כן חרה להם על הכהונה, ולכך אמר להם משה שיקחו מחתות כמנהגם הראשון ויתגלה הדבר אם יבחר השם בהם או בכהנים: 


    [1] Sur la position du Ramban quant au principe « ein moukdam oumou’har baTorah / Il n’y a pas d’ordre chronologique dans la Torah » : http://www.lesitedesetudesjuives.fr/blog/parasha/la-torah-suit-l-ordre-chronologique.html.

  • Les vacances

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Les vacances

     

    Les versets de Bamidbar 10.35 et 10.36, sont encadrés de deux signes, des noun renversés. Ce détail graphique n’a pas manqué d’intriguer le Talmud (Chabbat 116 a) :

    « Ces versets, Dieu les encadra de signes pour indiquer qu’ils ne sont pas à leur place ; ils ont été déplacés à cet endroit, pour faire interruption entre deux crises. La seconde c’est lorsque Dieu sévit parmi le peuple à cause de leurs plaintes (11.1-2). La première est signifiée par le verset 10.33 « et ils quittèrent le mont divin » : en effet Rav Hama y voit que les enfants d’Israël se détournèrent de Dieu ».  

    Texte déplacé pour indiquer la mise en mouvement du camp ! Mais aussi pour interrompre, pour créer un trou dans le flot de l’histoire. De nombreuses questions se posent sur ce texte. Explicitons-les.

    1. Le verset indiquant que les enfants d’Israël quittèrent le mont Sinaï n’indique aucune crise, il est purement factuel, comme on aime à le dire aujourd’hui. Comment comprendre que Rav Hama y décèle une faute du peuple ?

     Rachi commentant ce texte explique que les plaintes ont commencé moins de trois jours après leur départ du mont Sinaï, c’est pourquoi il doit être considéré comme une fuite de devant Dieu. Le deuxième moment de crise (les plaintes) ne serait donc que le dévoilement d’un problème déjà en germe au pied du mont Sinaï. Dans un premier temps Ramban essaye de comprendre Rachi : peut-être que dès leur départ du mont Sinaï les enfants d’Israël avaient l’intention de se plaindre. Mais notre auteur qualifie cette tentative « d’insipide et inodore ». Il rapporte alors un Midrash « les hébreux étaient contents de leur départ du mont Sinaï, comme un enfant qui se sauve de l’école, ils se disaient ‘quittons cet endroit, Dieu pourrait encore ajouter des commandements, ils quittèrent le mont de Dieu, signifie qu’ils le quittèrent parce que c’était le mont de Dieu. C’est donc l’emploi explicite du terme mont de Dieu en lieu et place de son appellation courante de mont Sinaï qui ouvre la voie.

    1. Dans le même chapitre 11 de Bamidbar, il est question de deux crises successives. Pourquoi fallait-il interrompre seulement celles qui sont ici désignées (la fuite du mont divin et les plaintes) ?  Ramban répond qu’il n’existe pas trois crises qui se suivent ; l’existence d’un groupe de trois crises indiquerait une dynamique prégnante, comme si la crise était la norme, comme si le mode de fonctionnement des hébreux était la rébellion. C’est donc pour casser une telle description que le verset s’ingénie à déplacer ces deux versets.

     

    1. La troisième question est l’usage dans ce texte talmudique du terme pouranout traduit jusqu’ici par ‘crise’ ; mais usuellement celui-ci est traduit par ‘punition’, or la fuite du mont divin, ne s’est accompagné d’aucune punition. C’est pourquoi Ramban propose une idée qui n’apparait ni dans le texte talmudique, ni dans le texte midrashique : la punition de cette fuite consista à ne pas rentrer immédiatement en terre sainte, retard qui rendit possible la faute de explorateurs.

    Cette interprétation du texte talmudique est à la rencontre de deux thèmes chers à Ramban : le texte biblique garde une forme chronologique, il ne faut pas chercher la faute dans un texte postérieur ; d’autre part, y est évoqué la centralité de la terre d’Israël ; centralité exigeante puisqu’il faut avoir quitté l’enfance pour pouvoir y séjourner : d’avoir entendu les commandements comme un fardeau dont il faut se délester, nécessite un séjour plus long dans le désert.

    Ce qui est reproché ici au peuple n’est pas tant leur manque d’étude que la façon d’accueillir ses devoirs. Attitude incompatible avec l’habitation en Israël. Les Sages prendront le contrepied de cette attitude « Dieu a multiplié les commandements adressés aux juifs afin qu’ils en bénéficient » (Michna Makot 3.16)

    Reste encore une question formelle sur le Ramban : c’est que le texte talmudique indique la nécessité de séparer entre la première crise et la seconde, sans faire mention d’une prétendue troisième crise. Il semble donc bien que le texte talmudique n’ait pas encore livré tous ses secrets…

    Franck Benhamou.

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : 

     

    קודש (שבת קט"ז א'), לשון רש"י. ולא פירש לנו הרב מה הפורענות הזו שהוצרך להפסיק בה, כי לא נזכר כאן בכתוב פורענות קודם "ויהי בנסוע הארון". ולשון הגמרא שם, פורענות שנייה "ויהי העם כמתאוננים" (להלן י"א א'), פורענות ראשונה דכתיב "ויסעו מהר ה'" (פסוק ל"ג), ואמר רבי חנינא: מלמד שסרו מאחרי ה'. וכתב הרב בפירושיו שם, בתוך שלושת ימים למסעם התאוו תאוה האספסוף להתרעם על הבשר כדי למרוד בה'. ואלו דברי תימה, שהרי פורענות "ויהי העם כמתאוננים" כתובה ראשונה ושל תאוה - שניה, ושתיהן סמוכות. אולי סבר הרב שנכתבו שלא כסדרן, רמז על הראשונה באמרו "מהר ה'", כי שמא מעת נסעם חשבו לעשות כן, והפסיק וכתב את השניה, ואחר כך חזר לראשונה. ואין בזה טעם או ריח. אבל עניין המדרש הזה מצאו אותו באגדה, שנסעו מהר סיני בשמחה כתינוק הבורח מבית הספר, אמרו שמא ירבה ויתן לנו מצות, וזהו "ויסעו מהר ה'", שהיה מחשבתם להסיע עצמן משם, מפני שהוא הר ה', וזהו פורענות ראשונה. והפסיק, שלא יהיו שלוש פורעניות סמוכות זו לזו, ונמצאו מוחזקים בפורענות. וקרא החטא פורענות, אף על פי שלא אירע להם ממנו פורענות. ושמא אלמלא חטאם זה היה מכניסם לארץ מיד.

     

  • La mesure de l'homme. Bamidbar

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    La mesure de l’homme. Bamidbar

     

    Pourquoi tous ces comptes ? Pourquoi ces détails insignifiants à langueur de page ? La lecture de la paracha de Bamidbar est aride, et l’on peine à trouver un oasis.

    Deux attitudes sont alors possibles : soit l’on scrute le texte à la recherche de détails intemporels, d’une leçon cachée et d’autant plus précieuse ; soit l’on affronte de façon brutale notre dépit devant le livre aussi saint que muet.

    Abravanel introduira le livre de Bamidbar en y décelant des leçons de politique, ouvrant ainsi la voie à Spinoza. Nahmanide va assumer une position contraire : le livre de Bamidbar est un livre transitoire, dans tous les sens du terme. « Ce livre est essentiellement dédié à des commandements ponctuels, liés au désert, ainsi qu’aux miracles en faveur [de cette génération] afin de raconter les actes stupéfiants de Dieu, comment il leur livra leurs ennemis, et comment la terre devra être partagée. Dans ce livre, pas de commandement destinés aux générations futures, si ce n’est quelques compléments sur les sacrifices ».

    Ces phrases sont pour nous une énigme. Nahmanide ne se contente pas de dire qu’il ne comprend pas pourquoi tous ces comptes et ces décomptes, pourquoi tous ces noms oubliés par l’histoire, ces généalogies infinies. Il s’affirme ne pas être le destinataire de ce livre. N’y aurait-il que quelques commandements qui touchent le juif moderne, s’il y est inclut, c’est de façon oblique.

    Quel est l’objectif de ce livre pour la génération du désert ?

    C’est de maintenir le chemin ouvert par la voie du Sinaï ; voie puissante parce que fragile, expérience d’autant plus éphémère qu’elle se fonde sur l’extraordinaire. Il faut donc craindre que la voix s’oublie. Tous ces commandements transitoires n’ont qu’un seul but : structurer la vie juive sur le modèle du Sinaï. Lorsque la terre sera conquise, il sera facile de reproduire la structure concentrique de la révélation. Mais entre temps ? « Le Temple sera ceinturé comme le fut le mont Sinaï lorsque la Gloire y séjourna ». Le Temple ne risque-t-il pas de perdre toute son aura lorsqu’on le rangera sous ses tentures ? « Il ne faudra pas y porter le regard lorsqu’on le remettra dans sa caisse ». Le saint risque de tomber à chaque instant dans la matérialité la plus triviale, celle du voyage. La mise en ordre des tribus ne vient pas tant créer un ordre militaire qu’un ordre concentrique autour du Tabernacle ».

    Pourquoi tous ces recensements alors qu’on sait le profond mépris qu’a la Torah pour le dénombrement des vivants : comme si tous pouvaient être jugés identiquement, comme s’ils n’étaient qu’un vote ? Le Ramban y insiste longuement : le peuple a été décimé à l’époque de David pour avoir été compté. C’est qu’ici le compte se double d’une nécessité impérieuse. Pour la comprendre il faut revenir à la façon dont il se produisait selon notre auteur.

    Chacun venait en amenant un demi-shekel : comme s’il fallait racheter sa vie ? Car d’être compté est une forme de mort qu’il faut maintenir à distance. Mais ce compte donnait lieu à une rencontre avec Moïse : « car de venir chez le prophète leur procurait du mérite, et de la vie. (…) il ne fallait pas que Moïse demande ‘combien de personne dans ta famille ?’, mais chacun devait passer devant lui avec crainte ».

    Etre dénombré c’est assumer d’avoir une place, d’exister, et irrésistiblement être questionné sur sa légitimité dans sa personne, son ascendance. Serais-je à la hauteur de l’étendard symbolisant mon ancêtre ?  

     

    Franck Benhamou

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : 

     

     

    אחר שביאר תורת הקרבנות בספר השלישי, התחיל עתה לסדר בספר הזה המצוות שנצטוו בענין אוהל מועד.

    וכבר הזהיר על טומאת מקדש וקדשיו לדורות, ועתה יגביל את המשכן בהיותו במדבר, כאשר הגביל הר סיני בהיות הכבוד שם.

    • צוה: "והזר הקרב יומת" (במדבר א נא), כאשר אמר: "כי סקול יסקל" (שמות יט יג).
    • וצוה: "ולא יבאו לראות כבלע את הקדש ומתו" (במדבר ד כ), כאשר הזהיר שם: "פן יהרסו אל ה' לראות" וגו' (שמות יט כא).
    • וצוה: "ושמרתם את משמרת הקדש, ואת משמרת המזבח" (במדבר יח ה), כאשר אמר שם: "וגם הכהנים הנגשים אל ה' יתקדשו" וגו' (שמות יט כב), "והכהנים והעם" וגו' (שמות יט כד).

    והנה צוה איך תהיה משמרת המשכן וכליו, ואיך יחנו סביב: "ויעמוד העם מרחוק". והכהנים הנגשים אל ה' – איך יתנהגו בו בחנותו, ובשאת אותו, ומה יעשו במשמרתו.

    והכל מעלה למקדש וכבוד לו, כמו שאמרו: אינו דומה פלטרין של מלך שיש לו שומרין, לפלטרין שאין לו שומרין.

    והספר הזה כולו במצוות שעה שנצטוו בהם בעמדם במדבר, ובניסים הנעשים להם, לספר כל מעשה ה' אשר עשה עמהם להפליא. וסיפר כי החל לתת אויביהם לפניהם לחרב, וצוה איך תחלק הארץ להם.

    ואין בספר הזה מצוות נוהגות לדורות, זולתי קצת מצוות בעניני הקרבנות שהתחיל בהן בספר הכהנים, ולא נשלם שם, והשלימן בספר הזה.

    A propos de l’épreuve d’être dénombré :

    כאן נתן רמז למשה " שאו את ראש " שאם יזכו יעלו לגדולה כמה דכתיב ישא פרעה את ראשך והשיבך על כנך ואם לא יזכו ימותו כלם כמה דכתיב (בראשית מ יט) ישא פרעה את ראשך מעליך ותלה אותך על עץ 

    Un décompte ne se fait que s’il est nécessaire (Rachi semble s’opposer à cela)

     וראיתי במדבר סיני רבה (ב יז) ר' אליעזר בשם ר' יוסי בן זמרא אמר כל זמן שנמנו ישראל לצורך לא חסרו שלא לצורך חסרו איזה זמן נמנו לצורך בימי משה ובדגלים ובחלוק הארץ שלא לצורך בימי דוד 

    Sur la façon dont le décompte se faisait :

    והנה הביאו כל העדה איש שקלו ואמרו לפני משה והנשיאים אני פלוני נולדתי לפלוני ממשפחת פלוני שהוא לשבט ראובן וזולתו ומשה נותן שקלי כל שבט ושבט במקום מיוחד וידע מספר הפרט והכלל 

    ועוד כי הבא לפני אב הנביאים ואחיו קדוש ה' והוא נודע אליהם בשמו יהיה לו בדבר הזה זכות וחיים כי בא בסוד העם ובכתב בני ישראל וזכות הרבים במספרם וכן לכולם זכות במספר שימנו לפני משה ואהרן כי ישימו עליהם עינם לטובה יבקשו עליהם רחמים ה' אלהי אבותיכם יוסף עליכם ככם אלף פעמים ולא ימעיט מספרכם והשקלים כופר על נפשותיכם ובמדבר סיני רבה ראיתי כך במספר שמות לגולגלותם אמר לו הקב"ה למנותם בכבוד ובגדולה לכל אחד ואחד לא תהיה אומר לראש המשפחה "כמה במשפחתך" "כמה בנים יש לך" אלא כולהון יהון עוברים לפניך באימה ובכבוד ואתה מונה אותם הדא הוא דכתיב (פסוק יח) במספר שמות מבן עשרים שנה ומעלה לגולגלותם

  • Va, je ne te hais point

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Parashat Behoukotay – « Va, je ne te hais point »

     

     

    Le début de notre parasha présente bénédictions et malédictions à qui accomplit ou transgresse les commandements de la Torah.

    Le verset 11, alors qu’il est encore dans       le passage des bénédictions, présente une promesse quelque peu étrange :

    “Ma présence sera parmi vous et je ne vous rejetterai point”

    Le terme hébreu employé est לא תגעל נפשי אתכם, et présente quelque difficulté à être traduit. Rashi, sensible au problème explique :

    “Je ne me lasserai pas de vous – la racine גע״ל voulant dire rejeter, extraire”

    Le Ramban ne se contente pas de cette explication de Rashi. La Torah serait-elle devenue maître dans l’art de la litote ? « Va, je ne te hais point », semble dire le verset. Pourquoi parler par périphrases ! Mais, plus encore, demande le Ramban - les malédictions dans notre propre parasha (verset 44) comportent la même promesse ! Au sein même de la faute et de sa punition, Dieu nous promet de ne pas nous abandonner ou nous rejeter – « לא מאסתים ולא געלתים” 

    Quelle serait donc cette promesse faite ici ? Ramban ne fait qu’évoquer la réponse, comme à son habitude :

    אמר שיתן משכנו בתוכנו והנפש אשר ממנה יבא המשכן לא תגעל אותנו ככלי שמגעילין אותו ברותחין,

    Dieu nous promet Sa présence parmi nous dans la première moitié du verset. Une présence patente et constante ne comporte-t-elle pas quelque risque ? Cette crainte est mitigée par la seconde moitié du verset “Je ne vous rejetterai pas”. Ma présence sera parmi vous, promet Dieu, sans qu’elle ne vous détruise, ne vous “éjecte”, ou vous « ébouillante » pour reprendre les termes employés par le Ramban. Quels risques représente présence divine ? Le Ramban ne l’explique pas – s’agit-il d’un feu dévorant comme celui qui détruisit Nadav et Avihou, ou encore une annihilation totale de l’effort humain. Nous laissons chacun “décliner” cette idée selon ses propres sensibilités…

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    (יא): ונתתי משכני בתוככם -

    זה בית המקדש. "ולא תגעל נפשי אתכם", אין רוחי קצה בכם. כל געילה לשון פליטת דבר הבלוע בדבר, כגון כי שם נגעל מגן גיבורים (ש"ב א כא), לא קבל המשיחה שמושחין מגן של עור מבושל כדי להחליק מעליו מכות חץ או חנית שלא יקוב העור, לשון רש"י.


    ולא ידעתי מה הטעם בזה שיאמר הקב"ה כי בשמרנו כל המצוות ועשותנו רצונו לא ימאס אותנו בגעול נפשו, וכן בעברנו על בריתו ועשותנו נאצות גדולות אמר (להלן פסוק מד): לא מאסתים ולא געלתים, ואמר הנביא בשעת הקללה (ירמיה יד יט): המאוס מאסת את יהודה אם בציון געלה נפשך.

    אבל העניין סוד מסתרי התורה, אמר שיתן משכנו בתוכנו והנפש אשר ממנה יבא המשכן לא תגעל אותנו ככלי שמגעילין אותו ברותחין, אבל בכל עת יהיו בגדינו לבנים וחדשים, כי הגעילה פליטה כדברי רש"י, מלשון שורו עבר ולא יגעיל תפלט פרתו ולא תשכל (איוב כא י). ואמר "נפשי", כדרך נשבע ה' אלוהים בנפשו (עמוס ו ח). והנביא אמר בתמיה אם בציון עצמה געלה נפשך, שהיא עיר ואם בישראל והשלכת אותה מלפניך להיות כל בניה לבושים בגדים צואים נגאלים.

  • Behar - propriétaire ou illusion

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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     Propriétaire ou illusion

    •  

      Lorsque D. ordonna à Moshe d’effectuer la division de la Terre d’Israel entre les tribus, chaque famille reçut son lopin de terre sur lequel elle allait vivre, travailler, faire paître son bétail.

      Avec le temps et les aléas financiers, une famille pouvait être amenée à vendre son terrain.  Face à cette éventualité, le commerce immobilier est prévu et régulé par la Tora.

      L’homme peut avoir le sentiment qu’il est  l’éternel propriétaire de cette terre, or le verset est très clair, D. nous dit « la terre m’appartient[1] ».

      La terre ne doit donc pas être vendue pour une durée indéfinie.

       

      Rambam[2] tranche la Halacha en disant que la terre revient au propriétaire originel lors du Yovel si la durée de vente est perpétuelle ou non spécifiée.

      Ce retour au propriétaire peut être extrêmement difficile à vivre pour « les locataires ».

      En effet, ceux-ci ont pu exploiter cette terre pendant 50 ans, quasiment 2 générations complètes! Quelle serait la réaction d’un homme pensant posséder une terre, si celle-ci lui était retirée par de parfaits étrangers ?

      Il se peut que le terrain ait changé maintes fois de propriétaire depuis le précédent Yovel.

      D’après le verset « vous êtes des étrangers […] avec moi », on pourrait croire que la Tora veut instaurer un sentiment d’instabilité sans possibilité de s’établir de manière permanente.

      Mais en réalité la notion de Yovel est connue et attendue de tout habitant d’Israel. Il s’agit d’une fin de bail d’habitation pour tous, prévue par la Tora. C’est au contraire une opportunité pour l’homme après 50 ans d’anticiper et de prévoir ce déménagement.

      Ramban[3] dans son exégèse met en relief ce point, la vente[4] ne doit pas être permanente et ceci doit être spécifié et clair pour le propriétaire et le locataire. Dans le cas contraire ,l’effet que cela produirait sur la famille devant se séparer de ce bien serait dévastatrice.

      De cette manière le sentiment que la terre n’appartient pas à l’homme mais à D. est préservé, tout en effectuant un transfert fluide bien que délicat de toutes les propriétés foncières ayant changées de propriétaire.

       

      Une question persiste : Comment pouvons nous entretenir ce sentiment que la terre appartient à D. de nos jours alors que les conditions du Yovel ne sont pas réunies ?

      Koren ASSOULINE

       

       

      * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

      Texte original : Cf. notes


      [1] ויקרא כה,כג וְהָאָרֶץ, לֹא תִמָּכֵר לִצְמִתֻת--כִּי-לִי, הָאָרֶץ:  כִּי-גֵרִים וְתוֹשָׁבִים אַתֶּם, עִמָּדִי

      [2] משנה תורה, הלכות שמיטה יובל, פרק יא הלכה א, ב

      [3] רמב״ן ויקרא כה כג ״והארץ לא תמכר לצמיתות" - ליתן לאו על חזרת שדות לבעלים ביובל שלא יהא לוקח כובשה לשון רש"י ואם כן למה יזהיר במכירה והראוי "לא תקנה לצמיתות" ואולי יאמר לא תמכר לכם לצמיתות וכן לא ימכרו ממכרת עבד (להלן פסוק מב) אזהרה בלוקח שיוציאנו ביובל כפי פשוטו ויתכן שיהיה "לא תמכר לצמיתות" לאו במוכר שלא ימכרנה לחלוטין לומר הריני מוכרה לך לעולמים גם אחרי היובל ואע"פ שהיובל מפקיעה הזהיר הכתוב למוכר או לשניהם שלא יעשו ממכרם לצמיתות ואם אמרו כן יעברו בלאו הזה ולא יועיל להם כי תחזור ביובל וכך פירשו הרב רבי משה (הל' שמיטה ויובל פי"א ה"א) והטעם בזה כי בידוע בדעות בני אדם שאם יעשו ממכרם מתחילה כמספר שנים עד היובל יקל בעיניהם הענין ואם יקנה לחלוטין תקשה בעיניו החזרה מאד ויהיה כענין שאמרו (תמורה ד) מאי דאמר רחמנא לא תעביד אי עבד לא מהני ולקי משום דעבר אהורמנא דמלכא והנכון בעיני שאין זה לאו ללקות עליו אבל הוא טעם יאמר הנהיגו ביניכם היובל ואל יקשה בעיניכם "כי לי הארץ" ואיני רוצה שתמכר לצמיתות כשאר הממכרים וזו היא כונתם בתורת כהנים (פרק ד ח) לצמיתות לחלוטין כי לי הארץ אל תרע עינך בה כי גרים ותושבים אתם אל תעשו עצמכם עיקר אתם עמדי דיו לעבד שיהא כרבו כשהיא שלי הרי היא שלכם וטעם "כי לי הארץ" על דרך האמת כמו ויקחו לי תרומה (שמות כה ב) וזהו שרמזו כאן דיו לעבד שיהא כרבו כי יהיה היובל נוהג בעולם והמשכיל יבין

      [4]ויקרא כה,כג - ראה 1

  • Projet Ramban Emor

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

     

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    Parachat Emor ou quand la Torah écrite et orale ne font  plus qu’une parole

     

     

    La parachat Emor comporte deux sujets majeurs :

     

    • les lois concernant les Cohanim et notamment celles traitant de leur sainteté particulière
    • les lois concernant les différentes  fêtes du calendrier hébraïque

     

    Nous nous pencherons dans cette étude sur ce deuxième aspect de la paracha et plus particulièrement sur la mitsva du korban Omer.

     

    Voici ce que le texte énonce à ce sujet :

    דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם, כִּי-תָבֹאוּ אֶל-הָאָרֶץ אֲשֶׁר אֲנִי נֹתֵן לָכֶם, וּקְצַרְתֶּם אֶת-קְצִירָהּ--וַהֲבֵאתֶם אֶת-עֹמֶר רֵאשִׁית קְצִירְכֶם, אֶל-הַכֹּהֵ

    וְהֵנִיף אֶת-הָעֹמֶר לִפְנֵי יְהוָה לִרְצֹנְכֶם; מִמָּחֳרַת הַשַּׁבָּת יְנִיפֶנּוּ, הַכֹּהֵ

     

    Parle aux enfants d'Israël et dis-leur: quand vous serez arrivés dans le pays que je vous accorde, et que vous y ferez la moisson, vous apporterez un ômer des prémices de votre moisson au pontife,

     Lequel balancera cet ômer devant le Seigneur, pour vous le rendre propice; c'est le lendemain du chabbat que le prêtre (cohen) le balancera. (Vayikrâ chap.23, vers. 10&11)

     

    Voilà que la Torah nous invite à offrir un sacrifice, le ômer, composé des prémices de la moisson ;  nous savons que cette offrande sera apportée le lendemain du shabbat tel que le texte nous indique.

    La question qui s’ensuit alors est de quel shabbat parle-t-on ? Ce jour saint revient chaque semaine durant l’année, l’indication temporelle de cette offrande demeure donc imprécise selon l’écrit de la Torah. Ou alors peut on justement déduire faute de précision supplémentaire que tous les lendemains de shabbat  sont propices, valides pour cette offrande et ce sans exception?

    Voyons tout d’abord l’explication de Rachi sur ce même verset :

    מִמָּחֳרַת יוֹם טוֹב הָרִאשׁוֹן שֶׁל פֶּסַח שֶׁאִם אַתָּה אוֹמֵר שַׁבַּת בְּרֵאשִׁית אִי אַתָּה יוֹדֵעַ אֵיזֶהוּ

    Dès le lendemain du premier jour de fête de Pessa‘h. Car si tu disais qu’il s’agit du lendemain du shabbat de la création (hebdomadaire), tu ne saurais pas duquel (Mena‘hoth 66a)

    Rachi ramène pour nous éclairer la conclusion d’une discussion du Talmud dans laquelle les sages démontrent preuves à l’appui que le shabbat auquel nous faisons ici allusion est le lendemain du premier jour de fête de Pessa’h et non le shabbat hebdomadaire.

     

    Le Ramban va (cette fois-ci) appuyer et développer le commentaire de Rachi.

    Et il va démontrer que cette explication des sages est la seule  qui puisse donner un sens aux textes ;

    • sans elle, nous ne saurions absolument pas à quel instant précis de l’année offrir le sacrifice du ômer.
    • Nous ne connaîtrions pas non plus la date exacte de la fête de chavouot ! en effet la Torah emploie la même expression plus loin verset 15 :

    « Puis vous compterez  chacun depuis le lendemain du shabbat depuis le jour où vous aurez offert le ômer du balancement sept semaines qui seront entières »

    Ce verset qui fixe le compte du ômer et donc la fête de chavouot qui se place à son terme, comporte la même imprécision puisqu’il définit le début des sept semaines après le shabbat du ômer…

    Il faut donc reconnaître que la Torah écrite fait ici corps complètement avec la tradition orale, et sans elle, nous ne saurions comprendre ce passage.

     

    Le Even Ezra (Rabbi Abraham ben Rabbi Mehir ben Ezra) fait remarquer dans son commentaire que la fête de chavouot est donc la seule fête qui n’a pas son jour indiquée de manière précise par la Torah. C’est pourtant un jour central du calendrier juif qui célèbre le don de la Torah au mont Sinaï. Afin de connaître sa date nous sommes donc tenus chaque année de compter le ômer durant sept semaines entières, et ce même compte s’appuie sur la lecture et les indications de la tradition orale comme nous l’avons expliqué et démontré précédemment.

    Il y a donc là aussi un enseignement essentiel pour tout juif :

    L’acceptation du don de la Torah ne peut se faire sans avoir reçu préalablement nos maîtres comme guides et enseignants afin de pouvoir percevoir le sens de la parole du Créateur

    « Moïse reçut la Torah au Sinaï et la transmit à Josué ; Josué la transmit aux Anciens, les Anciens aux Prophètes et les Prophètes la transmirent aux Hommes de la Grande Assemblée. » ( perkei avot Chap I, michna I)

     

     Shmouel Philippe Choucroun

     

      

  • l'art de transgresser en toute impunité

    Parashat Kedoshim – l’art de transgresser en toute impunité

     

    L’injonction qui entame la parashat kedoshim a occupé tous les exégètes. « Soyez saints » nous ordonne le verset ; mais la question immédiate est « en quoi cela consiste-t-il ? »

    La position de Nachmanide sur le sujet fait partie des morceaux d’anthologie de son commentaire sur la Torah.

     

    Si les lois permettent un cadre, nous explique-t-il, elles ne peuvent sauver personne d’être perverti ou immoral dans le cadre même de la loi. Les exemples donnés pour étayer son propos sont nombreux : si la kashrout limite les écarts elle ne vaccine personne contre les excès… Si les lois maritales ou de pureté familiale limitent des débordements, rien n’empêche réellement un homme de vivre dans l’excès et la luxure tout en restant dans les cadres que la alah’a permet…

    La Torah serait-elle impuissante face au problème évoqué ? Les perversions décrites par Nachmanide seraient elles donc autant de failles dans un système qui se veut garant de la moralité ? La Torah proposerait elle un code dans lequel il est facile d’être נבל ברשות התורה, « pervers dans cadre de la loi » ?

     

    Là, nous dit Nachmanide, intervient l’injonction « soyez saints ». Effectivement, nous dit-il, 613 mitsvot ne peuvent garantir de manière absolue une vie saine (ou sainte ?). 613 mitsvot sont presque autant de lois qu’une personne le souhaitant, peut transgresser en toute impunité. Rien de plus simple que de garder la lettre et transgresser l’esprit ! Une mitsva par contre, nous dit Nachmanide, ne peut être transgressée de manière perverse. Celle d’être saint… Y trouver la faille serait de facto sa transgression – point de lettre sans esprit dans cette injonction…

     

    Avant de continuer, nous devons quelque peu « cadrer » ce commentaire. Nachmanide ne parle aucunement ici de problème pénal. Que des gens malhonnêtes deviennent maitres dans l’art de voler ou truander sans risquer de punition est une faille de tous les systèmes. Le Ran dans une de ses celebres drashot a déjà évoqué ce problème en expliquant que le din-meleh’ – la loi du Roi – permettait au Roi ou à l’instance judiciaire de punir « au-delà » de la stricte loi Toranique pour combler ce manque.

    Le sujet du commentaire de Nah’manide est autre – il se situe au niveau de la morale. La Torah définit un système qui semble, de prime abord, ne pas réussir à encadrer de manière parfaite la moralité des mœurs … Cette absence de cadre est en fait, selon Nahmanide, renvoyée à l’homme meme à travers l’injonction de kedoshim-tiyou  - soyez saints-

     

    Il est intéressant de citer à ce propos l’opinion de Maimonide. Dans le Sefer Hamitsvot[1], Maimonide commente le verset de notre parasha. Pour ce dernier, il n’existe aucun commandement spécifique d’être saint ! L’injonction « soyez saints » n’est autre qu’une invitation à … accomplir les 613 mitsvot ! En effet, selon Maimonide, les mitsvot sont en soi un système équilibrant de manière parfaite l’homme. Qu’en est-il des écarts craints par Nahmanide ? Selon le Rambam, ils n’existent pas – il ne peut y avoir d’excès lorsque l’on accomplit à la lettre les commandements ; et la juste mesure que recherche tant Nachmanide n’est autre que la mesure obtenue par l’accomplissement méticuleux des commandements… Cette opinion est largement développée dans le quatrième chapitre de son Shmona-prakim…

     

    Le risque décrit par Nachmanide est patent. Le système tel que décrit par Maimonide est quant à lui, tentant! L’homme n’y risque des excès d’ascèse tant condamnés par Maimonide…

     

    En tout état de cause, une telle mah’loket entre deux « grands parmi les grands » nous force à nous poser à nous même la question : la lettre des mitsvot suffit elle à définir de manière parfaite l’esprit de ces mitsvot, ou l’homme doit il inférer cet esprit et … en prendre acte…

     

     

    Benjamin Sznajder

     

    [1] Hashoresh Harevi’i

  • Aharé Mot : le bouc et le deuil

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    A'haré Mot : Le bouc et le deuil 

     

    Comment comprendre le rituel du bouc-émissaire énoncé au début de Aharé-Mot ?

    C’est-à-dire comment le lire en l’inscrivant au cœur même du texte de la paracha ?

    La lecture de Rambam évoque bien le sens du rituel, mais détaché des versets : le texte y est pré-texte à un hors-texte. Pour lui, « tous ces actes ne sont que des symboles destinés à faire impression sur l’âme, afin que cette impression mène à la pénitence ; on veut dire : nous sommes débarrassés du fardeau de toutes nos actions précédentes, que nous avons jetées derrière nous et lancées à une grande distance.[1] »

    Or, un verset du rituel ne manque pas d’interroger : « Et Aaron jettera les sorts sur les deux boucs : un sort pour Dieu et un sort pour Azazel.[2] » La glose de Rachi n’arrange rien. Reprenant le traité Yoma[3], elle indique qu’Aaron plaçait un bouc à sa droite et un autre à sa gauche. Il mettait ensuite ses deux mains dans une urne dans laquelle se trouvaient deux éléments : sur l’un était écrit « Pour Dieu », sur l’autre, « Pour Azazel ». Le bouc que le sort avait désigné « Pour Dieu » était sacrifié en expiatoire, tandis que celui « Pour Azazel » était envoyé dans le désert. A suivre Rachi, seul le sort a départagé ce qui échoit à Dieu et ce qui est pour Azazel. La part de l’un aurait pu revenir à l’autre, et réciproquement ! 

    Dans le dispositif du verset et de la glose de Rachi, il y a donc une structure qui risque d’identifier la valeur de Dieu à celle d’Azazel : il y a des choses « pour » Dieu – des choses pour son culte – et d’autres choses « pour » Azazel, comme si Azazel recevait un culte à l’égal de Dieu[4].

    Bien que complexe et touffu, le commentaire de Ramban ne fuit pas le problème et décrit le bouc-émissaire d’Azazel sous quatre aspects : l’être d’Azazel, la substance du rituel, la raison d’être du rituel, le milieu d’Azazel.

    Azazel était une falaise escarpée dans une région désolée[5], du haut de laquelle le bouc était précipité. Quand bien même le bouc envoyé à Azazel avait-il été désigné par le sort « pour Azazel », il demeurait néanmoins fondamentalement « pour » Dieu[6].  Dieu ordonnant ce rituel, il n’y a pas de mise en balance possible entre Lui et Azazel : Azazel n’est pas l’autre de Dieu. Non ! Pour Ramban, Azazel est l’autre de l’humain, la force accusatrice qui lui rappelle les fautes commises et que le rituel du bouc-émissaire vient « abuser »[7]. Ces fautes ont façonné un paysage très imagé, explicitement lié par Ramban à la symbolique astronomique de la planète Mars : épée, sang, querelle, plaie, coups, séparation[8] – mots qui disent la mort.

    C’est ce paysage qui rapproche ce rituel du contexte de notre paracha. Aharé mot chené bené Aaron : après la mort des deux fils d’Aaron…

    Pour ceux qui marchent encore parmi les vivants, il faut bien se résoudre à continuer de vivre, quand bien même la perte d’un proche scinde l’histoire personnelle en deux, au point qu’il y aura désormais un avant et un après. Et pour Aaaron, qui vient de perdre ses fils Nadav et Avihou, morts de s’être approchés trop près de Dieu, nous en sommes à l’après… « Aharé Mot Chné Bené Aaron ».

    On répète aux endeuillés que leur consolation ne proviendra que de Dieu. Mais nul n’oserait parler de consolation ou de Dieu à un affligé, c’est-à-dire lorsque son mort est encore devant lui, pas encore enterré. Car, comme le rappelle Ramban dans son commentaire du premier verset de la paracha, nulle inspiration divine n’est possible au sein de la tristesse[9].

    Mais là, les deux fils d’Aaron ont été enterrés. Nous sommes après leur mort et Aaron peut commencer à faire son deuil. La question qui lui est posée est terrible de simplicité : y aura-t-il une vie après cette mort ? Un enfant assure la continuité de l’espèce après la mort de ses parents. Mais lorsqu’e l’enfant meurt avant sans parents et que l’hiver vient, les parents vivent dans un paysage désolé, desséché, comme Azazel. La fosse qui accueilli le corps de son enfant est précipice, comme Azazel, et la mauvaise conscience ronge, comme Samael à Yom Kippour. Une part d’Aaron est ce bouc pour Azazel : il ne peut être sacrifié, mais il doit mourir. En d’autres termes, le deuil a renvoyé Aaron à sa nudité, sa vie nue[10].

    Ainsi, en ordonnant à Aaron d’exécuter ce rituel, Dieu préside à sa consolation. Car ce rituel est la mise en scène de son deuil, sa performance cathartique dans la sainteté. C’est pourquoi le bouc d’Azazel n’est pas égorgé par Aaron mais envoyé loin de lui : pour le renvoyer à son impuissance face à son deuil. Par la chute du bouc, Aaron pourra se relever.

    Ainsi en est-il de tout deuil. La mauvaise conscience est traversée, l’humeur noire dissipée, à condition d’accepter de chuter. C’est pourquoi aussitôt le rituel du bouc-émissaire accompli, il est enfin enjoint à Aaron de se purifier.  

    Jonathan Aleksandrowicz

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : Cf. notes

     

    [1] Maïmonide, Guide des égarés, IIIe partie, chapitre 46, traduction Salomon Munk

    [2] Lévitique, chapitre 16, verset 8.

    [3] מַעֲמִיד אֶחָד לְיָמִין וְאֶחָד לִשְׂמֹאל, וְנוֹתֵן שְׁתֵּי יָדָיו בַּקַּלְפִּי, וְנוֹטֵל גּוֹרָל בְּיָמִין וַחֲבֵרוֹ בִּשְׂמֹאל וְנוֹתֵן עֲלֵיהֶם, אֶת שֶׁכָּתוּב בּוֹ "לַשֵּׁם" הוּא לַשֵּׁם, וְאֶת שֶׁכָּתוּב בּוֹ "לַעֲזָאזֵל" מִשְׁתַּלֵּחַ לַעֲזָאזֵל

    [4] Cette structure ressemble à s’y méprendre à celle du désir mimétique théorisé par René Girard dans La violence et le sacré.

    [5] הר גבוה צוק קשה 

    [6] ור"א כתב אמר רב שמואל אע"פ שכתוב בשעיר החטאת שהוא לשם גם השעיר המשתלח הוא לשם

    [7] Dans le commentaire, Azazel est rapproché de Samael, ange-accusateur d’Israël à Yom Kippour. Porteur des fautes d’Israël, le bouc-émissaire permet d’expier celles-ci, servant littéralement de pot-de-vin pour infléchir l’accusateur : לפיכך היו נותנין לו לסמאל שוחד ביום הכפורים שלא לבטל את קרבנם שנאמר גורל אחד לה' וגורל אחד לעזאזל גורלו של הקב"ה לקרבן עולה וגורלו של עזאזל שעיר החטאת וכל עונותיהם של ישראל 

    [8] כי הוא העילה לכוכבי החרב והדמים והמלחמות והמריבות והפצעים והמכות והפירוד והחרבן והכלל נפש לגלגל מאדים וחלקו מן האומות הוא עשו שהוא עם היורש החרב והמלחמות ומן הבהמות השעירים והעזים ובחלקו עוד השדים הנקראים מזיקין

    [9] כי בו ביום אונן היה ואין רוח הקודש שורה מתוך עצבות

    [10] Sans doute y aurait-il profit à rapprocher le bouc pour Azazel de la théorie de l’Homo sacer développée par Giorgio Agamben.

  • Projet Ramban - Metsora

                    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

                       Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

                    Metsora : une leçon d’ornithologie

     

    La paracha Metsora commence par évoquer la lèpre qui touche les personnes qui ont pratiqué la médisance.

    Le verset 14, 4 décrit le processus de purification de la personne touchée :

    וְצִוָּה֙ הַכֹּהֵ֔ן וְלָקַ֧ח לַמִּטַּהֵ֛ר שְׁתֵּֽי־צִפֳּרִ֥ים חַיּ֖וֹת טְהֹר֑וֹת וְעֵ֣ץ אֶ֔רֶז וּשְׁנִ֥י תוֹלַ֖עַת וְאֵזֹֽב

    "Et sur l'ordre du prêtre, on apportera pour l'homme à purifier, deux oiseaux vivants, purs".

     

    A première lecture, le verset ne semble pas présenter de difficulté.

    Et pourtant, le mot ציפור que l’on traduit par oiseau, même en hébreu moderne, pose un problème.

    Ramban le dit lui-même, il y a une מחלוקת.

    Dans la Torah, on trouve deux mots pour désigner les oiseaux :

    עוף (34 fois dans la Torah) qui désigne, de manière non spécifique, tous les oiseaux, qu’ils soient cacher ou non.

    Et ציפור, (14 fois dans la Torah) qui pour les uns (comme Hizkouni) désigne spécifiquement les oiseaux cacher et, pour les autres, désignent les oiseaux en général (comme Ibn Ezra).

    De quel oiseau s’agit-il donc ici ?

    Rachi explique qu’il s’agit d’un « oiseau pur qui babille ».

    Il cite pour cela une source midrachique :

    « [Le mot "pur" dans le verset signifie] : à l'exclusion d'un oiseau impur. Dans la mesure où les affections proviennent de la médisance, qui constitue du bavardage, [la Torah] exige pour la purification [de la personne atteinte par le lèpre] des oiseaux qui passent leur temps à caqueter en babillant (ציפצוף ) »[1].

     

    L’utilisation de la référence midrachique est expliquée de la manière suivante par le Dr A. Bonchek[2] :

    Pour Rachi, ציפור est forcément un oiseau cacher. Alors, pourquoi préciser que c’est un oiseau (ציפור) pur (cacher), il y a redondance. C’est pourquoi l’introduction de l’explication lié au babillement vient justifier la redondante. Il devrait y avoir écrit עוף suivi de טהור. Mais ici le mot עוף est remplacé par ציפור pour signifier que par son babillement, il rachète un faute liée à la parole.

     

    Curieusement Ramban ne lit pas l’explication de Rachi de la même manière que Dr A. Bonchek. Selon lui, Rachi comprends ציפור comme un mot non spécifique.

    A quoi correspond alors cette idée de babillage se demande-t-il ?

    Dans le mesure où il [Rachi] dit : « [Le mot "pur" dans le verset signifie] : à l'exclusion d'un oiseau impur », cela nous apprend que le terme « oiseau » ne désigne pas une espèce [nécessairement] pure, mais qu'il s'agit plutôt d'un terme général qui inclut tous les oiseaux.

    Si cela est le cas, quelle est la signification du « babillement » auquel il est fait référence ? De fait, il existe de nombreux oiseaux dont « le bec ne s'ouvre pas, ni ne jacassent ». (…)[3]

     

    Selon moi [continue Ramban], [l'interprétation] correcte est celle selon laquelle le terme « ציפור» est un terme générique pour les volatiles de petite taille qui se réveillent tôt le matin afin de piailler et de jacasser. Il est dérivé [du terme] araméen « tsafra ». Ainsi, [l'expression] : « qu'il rebrousse chemin » (Juges 7:3) signifie « qu'il se lève tôt le matin ».

    [L'expression] : « l'oiseau (ציפור) du ciel » (Psaumes 8:9) fait référence [à ces oiseaux] car le plus souvent, ils volent dans les airs à une altitude élevée. (…)[4]

     

    Et le fait de pouvoir voler est important car sur les deux oiseaux un seul est sacrifié et le second est renvoyé au loin.

    Mais alors doit il babiller ? « Oui, dit Ramban, car tous les petits oiseaux qui volent librement babillent ».

     

    Derrière cette discussion « ornithologique » on retiendra la symbolique exprimée aussi bien par Rachi que par Ramban.

    Les oiseaux sont choisis parce qu’ils rappellent exactement la faute qui a été commise.

    Les oiseaux « babillent » rappelant cette parole incessante et médisante

    Les oiseaux « s’envolent » comme la parole médisante qui est colportée. Et, à ce titre, on renvoie l’oiseau au loin dans un geste similaire au bouc expiatoire envoyé à Azazel (Ramban lui-même fait le rapprochement).

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן ויקרא פרק יד פסוק ד
    (ד) חיות - פרט לטרפות. טהורות - פרט לעוף טמא. לפי שהנגעים באים על לשון הרע שהוא מעשה פטיט לפיכך הוצרכו בטהרתו צפרים שמפטפטין תמיד בצפצוף קול, לשון רש"י. ומפני שאמר "טהורות, פרט לעוף טמא", נלמד שאין הצפרים מין טהור ידוע אבל הוא שם כולל כל העופות, אם כן מהו הפטפוט הזה שמצאו להם, כי עופות רבים אין בהם פוצה פה ומצפצף. ועוד כי מדרש "חיות, פרט לטרפות", יבא במחלוקת, ולמאן דאמר טרפה חיה אינו כן. ובתורת כהנים (פרשה א יב) חיות, לא שחוטות, טהורות, לא טמאות, טהורות, לא טרפות:
    ובעלי הפשט אומרים כי כל עוף יקרא צפור, ממה שאמר צפור שמים ודגי הים (תהלים ח ט), כל צפור כל כנף (בראשית ז יד), בן אדם אמור לצפור כל כנף (יחזקאל לט יז), וכן ואת הצפור לא בתר (בראשית טו י) על תורים ובני יונה:
    והנכון בעיני, ששם צפור כלל לעופות הקטנים המשכימים בבקר לצפצף ולשורר, מלשון ארמית צפרא, וכן ישוב ויצפור (שופטים ז ג), ישכים בבקר. אמר "צפור שמים" עליהם, כי הם לרובם יגביהו לעוף בשמים "וכל צפור כל כנף", שני מינין, כל הקטנים וכל הגדולים. כי יקרא קן צפור לפניך (דברים כב ו), הם הקטנים שהן רבים, שאפילו בקטניהם יחוס. וכן אשר שם צפרים יקננו (תהלים קד יז), כי הם השוכנים בענפי ארזי הלבנון. אמור לצפור כל כנף, שיתאספו אפילו הקטנים עליהם, כי הטורפים יבאו מעצמם. וכן התשחק בו כצפור ותקשרנו לנערותיך (איוב מ כט), כי דרך הנערים לשחק בעוף הקטן. ולשון חכמים כך הוא, כל שיש בידו מקל או צפור (עבודה זרה מ ב), האורג משער הנזיר כמלא הסיט בבגד בצפרתא (תמורה לד א), ואמרו צפורת כרמים (שבת צ ב), ואמרו בשר צפרים מחזירין החולה לחליו (ברכות נז ב):
    ואמר בכתוב (דברים יד יא) כל צפור טהורה תאכלו, על המינין הרבים ההם, ונתרבה של מצורע "מכל", ואמר (שם פסוק יב) וזה אשר לא תאכלו מהם, כאומר ואלה אשר לא תאכלו מבשרם. ולכך דרשו "טהורות, לא טמאות". ומכל מקום כלם בעלי פטפוט הם. וכן גם כן גם צפור מצאה בית ודרור קן לה (תהלים פד ד), כך נראה, שאינו שם כולל העופות כולם. וכן אשר שם צפרים יקננו חסידה ברושים ביתה:
    והנראה מדברי רבותינו, שכל עופות טהורים נקראים צפור, אבל מצותו של מצורע בצפרי דרור, דתניא בת"כ (פרק ח יד) ושלח את הצפור החיה אל מחוץ לעיר אל פני השדה (להלן פסוק נג), רבי יוסי הגלילי אומר צפור שחיה חוץ לכל עיר, ואי זו זה דרור. ומן המדרש הזה הזכירו הפטפוט. ויתכן שאינו אלא למצוה, ודיעבד כלם כשרין בו, ולפיכך הוצרכו בת"כ למעט טמאות. וכן שנינו במשנה מסכת נגעים (פי"ד מ"א) ומביא שתי צפרים דרור. ושנו עוד שם (משנה ה) שתי צפרים מצותן שיהיו שוות במראה בקומה ובדמים ולקיחתן כאחת, אף על פי שאינן שוות כשרות, שחט אחת מהן ונמצאת שלא דרור יקח זוג לשניה. והטעם בזה, שאף על פי שבדיעבד כלן כשרות, כשהן שני מינים פסולות:
    ובפרק אלו טרפות (חולין סב א) אמרו עוף המסרט כשר לטהר בו את המצורע, וזו היא סנונית לבנה שנחלקו בה רבי אליעזר וחכמים. ומכאן שאין צפרי המצורע מין אחד בלבד, ושאין מטהרין בכל עוף טהור, אבל מצותו בכל עוף דרור, כלומר שדרה בבית כבשדה, ולפיכך אמרו בסנונית דכיון שהיא טהורה לדעת חכמים כשרה לטהר בה שהיא בכלל דרור. ומכל מקום כל הטהורין כשרים בדיעבד, שכלן בכלל שתי צפרים טהורות:
    ושנו בסיפרי (ראה קג) אמר רבי יאשיה כל מקום שנאמר צפור בטהורה הכתוב מדבר, ואמר רבי יצחק עוף טהור נקרא עוף ונקרא צפור, וטמא לא נקרא אלא עוף, וכך הזכירו בגמרא בפרק שלוח הקן (חולין קלט ב). ושם העלו, כי "חיות" שחיין ראשי אברים שלהם, למעוטי מחוסרות אבר, וכן הטרפות פסולות בהן, ודרשו "טהורות" למעט אסורות, כגון צפרי עיר הנדחת ועוף שהרג את הנפש, והחליפן בע"ז. ומדרשם זה שם מן הלשון עצמו שאין צפור אלא עוף טהור, ומשמע מכאן שכל עוף טהור בכלל צפור:
    וראיתי עוד בירושלמי במסכת נזיר (פ"א ה"א) שאמרו וכי נזיר טמא צפרים הוא מביא תורים ובני יונה הוא מביא, אית תניי תני כל עוף טהור קרוי צפרים, אית תניי תני כל העופות בין טמא ובין טהור קרוי צפרים. והנה נשאר בידינו ממנו מחלוקת. ומכל מקום יתכן שיהיה השם בקטנים בלבד, ובגמרא כך הוא נראה, ממה שאמרו במסכת סוטה (טז ב) הבא מים שדם צפור נכר בהם וכמה הם רביעית, ושאלו, גדולה שדוחה את המים קטנה ונדחת מפני המים מהו, ופירשו, כל שיעורי חכמים כך הם, בצפור דרור שערו חכמים אין לך גדולה שדוחה את המים ואין לך קטנה שנדחית מפני המים. ואלו היה כל עוף טהור כשר בו, היה מהם מי שדמו דוחה כמה לוגין. ואולי אמרו כן בצפור דרור שהוא מצוה לכתחלה ממדרשו של ר' יוסי הגלילי. וכבר הזכירו בגמרא (שבועות כט א), ודילמא צפורא רבא חזא ואסיק שמיה גמל:
    והנכון שיעלה מכל זה הוא, שנאמר שכל צפור שאינו דרור פסול אפילו בדיעבד מן המדרש הזה, שלא שנו במשנתנו מצותן שיהו דרור אף על פי שאינן דרור כשרות, כמו ששנינו בשוות. וכל הדרורים בעלי פטפוט הם. ומה שאמרו בת"כ "לא טמאות", מפני שיש אף בטמאין מינין שהם דרור כגון הסנונית לרבי אליעזר. או יהיה פירושו, למעט טמאות לך, שהן האסורות והטרפות כמו שהעלו בגמרא בפרק שלוח הקן (חולין קמ א), וזהו ההגון בעיני:
    ובהגדה דרבה (ויקרא רבה טז ז) אמר רבי יהודה ברבי סימון אילין צפריא קולנין, זה האומר לשון הרע, אמר הקדוש ברוך הוא יבא קול ויכפר על קול. ור' יהושע בן לוי אמר, צפרים צפרי דרור שאכלה מפתו ושתת מן מימיו, והלא דברים קל וחומר וכו':

     


    [1]טהורות – פרט לעוף טמא, לפי שהנגעים באים על לשון הרע, שהוא מעשה פטיט, פיטפוטי דברים, לפיכך הוזקקו לצפרים לטהרתו, צפרים שמפטפטין תמיד בציפצוף קול.

    [2] DR. A. Bonchek, Ce qui dérange Rachi, édition Gallia, p. 149-152

    [3] ומפני שאמר: טהורות – פרט לעוף טמא, נלמד שאין הצפרים מין טהור ידוע, אבל הוא שם כולל כל העופות. אם כן, מהו הפטפוט הזה שמצאו להם, כי עופות רבים אין בהם פוצה פה ומצפצף. ועוד כי מדרש: חיות – פרט לטרפות, יבא במחלוקת, ולמאן דאמר טרפה חיה אינו כן.

    ובתורת כהנים (ספרא ויקרא י"ד:ד'): חיות – לא שחוטות, טהורות – לא טמאות, טהורות – לא טרפות.

    [4] והנכון בעיני: ששם צפור כלל לעופות הקטנים המשכימים בבקר לצפצף ולשורר, מלשון ארמית: צפרא. וכן: ישוב ויצפור (שופטים ז':ג') – ישכים בבקר. אמר: צפור שמים (תהלים ח':ט') עליהם כי הם לרובם יגביהו לעוף בשמים.

  • Projet Ramban : Tazria

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Ramban continuateur de Rabbi Yéhouda Halévy.

    Sur la tsaraat.

     

    Quant à la nature des plaies –tsaraat­- dont il est question dans la Torah, deux écoles d’interprétation s’affrontent : ces plaies sont-elles ‘naturelles’[i] ou ‘miraculeuses’[ii] ? Les deux écoles semblent admettre que toute maladie est liée à une faute. C’est pourquoi la disparition de ces plaies donne lieu à des sacrifices. Comment alors comprendre ce débat ?

    Comme personne ne sait tout à fait identifier ce que sont ces plaies, la voie interprétative est libre : selon son idéologie on pourra prendre telle option. Ramban[iii] opte pour un caractère miraculeux de ces plaies. Pour cela il se fait l’élève de Rabbi Yéhouda Halévy dont il reprend –presque mot à mot[iv] le commentaire, mais sans le citer-. Il affirme que les plaies sont liées à un retrait[v] de la présence divine. Ce retrait laisse une trace sous forme de tache. Indiquant à la personne qui s’estimerait innocente, la nécessité de faire un bilan personnel.

     Pourtant Ramban va apporter une nuance à cette démarche : en tant qu’au prise avec le texte et s’adressant des lettrés juifs, il ne peut se contenter de généralité sur « la religion méprisée ».  Les ‘plaies des maisons’ sont introduites ainsi : ‘et Je mettrai une plaie dans la terre de votre héritage’[vi] ; le Ramban y voit que les plaies sont dirigées par Quelqu’un pour quelqu’un ; il s’agit donc d’un message adressé. Or c’est seulement en Israël qu’une telle modalité est possible : c’est seulement en Terre sainte que le manque de moralité se traduit par un effet concret. Dans d’autres territoires, une telle plaie n’existe tout simplement pas.  Dans les autres pays, Dieu n’est pas assez présent pour que son absence soit signée d’une marque. Comme le dit le Kouzari les plaies sur « les vêtements et les maisons sont une des manifestations de la présence divine ». Et pour le Ramban, cette manifestation ne peut se produire que dans la terre élue : Rabbi Yéhouda Halévy ne récuserait pas cette interprétation. Ainsi lorsqu’un texte[vii] indique que « les plaies des maisons ne peuvent être considérées comme source d’impureté si elles se produisent durant la phase de conquête de la terre », il ne s’agit pas d’une loi, mais bien d’un fait : « il n’est pas possible que des plaies surgissent à ce moment, car l’esprit des hommes n’est pas disponible au divin pour permettre sa Présence ». Cette langue n’est pas courante, la plupart du temps, les versets sont interprétés d’une façon juridique et non factuelle.

    Fort de cette remarque, Ramban est prêt à dire (malgré l’absence de preuve textuelle directe) qu’il faut étendre cette réflexion aux plaies des vêtements comme l’affirmait le Kouzari. En effet, nul verset ne permet d’affirmer que les plaies des vêtements ne se sont jamais produites qu’en terre d’Israël ; mais le simple fait de passer sous silence la localisation géographique des plaies des vêtements suffit à notre auteur pour prétendre qu’elles n’eurent effectivement lieu qu’en terre sainte ; la langue du verset est factuelle, or le fait est que jamais il ne s’est présenté de plaie des vêtements hors d’Israël, donc pas besoin d’en parler. Pourtant le verset insiste pour les plaies des maisons sur le fait qu’elle ne peut se produire que dans la ‘terre de votre héritage’, alors pourquoi ne pas user du même procédé pour les plaies des vêtements ? Notre auteur remarque une insistance dans la description des plaies des vêtements : « le vêtement, ou la peau qui aurait dans sa trame ou sa chaine une plaie »[viii] est répétée plusieurs fois, comme s’il fallait insister pour bien marquer les esprits d’une telle possibilité. Ainsi le géronais va prêter main forte à Rabbi Yéhouda Halévy avec toutes les ressources possibles du texte.

    La connaissance des lois des plaies s’identifie ainsi à distinguer ce qui relève de la maladie et ce qui relève d’un message adressé. Diagnostiquer une « plaie », c’est renvoyer l’homme à son for intérieur, sans échappatoire. Si l’on suit l’opinion que les plaies peuvent aussi exister en tant que simples maladies, une échappatoire est laissée à l’homme qui peut se dire « ce n’est rien », maintenant ainsi toujours ouvert le choix de ne pas écouter le message. Par contre, si comme Ramban, on admet qu’il s’agit d’un miracle, cela suppose un interventionnisme explicite du divin dans le monde des hommes. Et devant cette conséquence, le géronais ne reculera pas : il dira la même chose concernant la femme ‘sota’. Pour autant cette immixtion du divin dans le monde humain, compris comme un privilège, ne sera pas perçue comme une violation du territoire humain que si l’homme est prédisposé à une telle grandeur : en Israël, une fois réglée la question territoriale.

     

     

    Franck Benhamou

     

    [i] Ibn Ezra, Guersonide, Abravanel.

    [ii] Maïmonide, Rabbi Yéhouda Halévy, et plus tard Sforno.

    [iii] Voir commentaire sur Vayikra 13.47 et 13.52. Nous commentons surtout le premier passage.

    [iv] Voir Le Kuzari 2.62, mais aussi 2.58, p.75 de l’édition Verdier.

    [v] Il emploie le mot ‘contraction’ de la présence, mot qui n’est pas rapporté par Ramban.

    [vi] Vayikra 14.34.

    [vii] Torat Cohanim Métsora 5.3.

    [viii] 13.47 ; 13.51 ;13.53 ; 13.56 et 13.58.

     

    רמב"ן ויקרא פרק יג (מז)

    והבגד כי יהיה בו נגע צרעת - זה איננו בטבע כלל ולא הווה בעולם, וכן נגעי הבתים, אבל בהיות ישראל שלמים לה' יהיה רוח השם עליהם תמיד להעמיד גופם ובגדיהם ובתיהם במראה טוב, וכאשר יקרה באחד מהם חטא ועון יתהוה כיעור בבשרו או בבגדו או בביתו, להראות כי השם סר מעליו. ולכך אמר הכתוב (להלן יד לד) ונתתי נגע צרעת בבית ארץ אחוזתכם, כי היא מכת השם בבית ההוא. והנה איננו נוהג אלא בארץ שהיא נחלת ה', כמו שאמר (שם) כי תבאו אל ארץ כנען אשר אני נותן לכם לאחוזה, ואין הדבר מפני היותו חובת קרקע, אבל מפני שלא יבא הענין ההוא אלא בארץ הנבחרת אשר השם הנכבד שוכן בתוכה:

     

    ובתורת כהנים (מצורע פרשה ה ג) דרשו עוד, שאין הבית מטמא אלא אחר כבוש וחלוק, ושיהא כל אחד ואחד מכיר את שלו. והטעם, כי אז נתישבה דעתם עליהם לדעת את ה' ותשרה שכינה בתוכם. וכן אני חושב בנגעי הבגדים שלא ינהגו אלא בארץ, ולא הוצרך למעט מהן חוצה לארץ כי לא יארעו שם לעולם. ומפני זה עוד אינם נוהגים אלא בבגדים לבנים לא בצבועים, כי אולי הצבע הוציא הכיעור ההוא במקום ההוא כטבעו ולא אצבע אלהים היא, ולפיכך הצבועים בידי שמים מטמאין כדברי רבי שמעון (נגעים פי"א מ"ג):

     

    ועל דרך הפשט, מפני זה יחזירו הכתוב בכל פסוק ופסוק "הבגד או העור או השתי והערב", כי הדבר נס. ולרבותינו בהם מדרשים וכולם בתורת כהנים:

     

    רמב"ן ויקרא פרק יד (לד) אמר הכתוב בנגעי הבתים ונתתי נגע צרעת - לרמוז כי יד ה' תעשה זאת, לא טבע כלל, כמו שפירשתי (לעיל יג מז):

     

  • Tsav : du discret au continu

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

    Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

    Tsav, du discret et du continu.

     

    Nul ne se rappelle le contenu de la Paracha de Tsav. Engloutie dans le flot continu des lois relatives aux sacrifices qui agite le livre de Vayikra.

    Certes on se rappelle du premier Rachi : « Le mot tsav (« ordonne ») implique toujours une idée de zèle, pour maintenant et pour les générations à venir. Rabi Chim‘on a enseigné : Le texte incite à d’autant plus de zèle qu’il y a risque de perte d’argent ». Au moment où le texte y est dit à Moïse, le Temple n’est pas encore érigé : le mot maintenant tombe à plat !  Pourquoi ne pas avoir utilisé ce terme dès le début du livre de Vayikra puisque l’on y parle d’animaux qu’on apporte sur ses propres deniers ? Rachi s’est contenté de recopier un commentaire antérieur sans y ajouter plus de précision.

    Ramban commence son commentaire par une remarque. L’ordre inaugurant le texte est adressé aux cohanim : « Ordonne à Aaron et à ses fils ce qui suit : Ceci est la règle de l'holocauste. C'est le sacrifice qui se consume sur le brasier de l'autel, toute la nuit jusqu'au matin ; le feu de l'autel y doit brûler de même. » Alors que la paracha précédente était un ordre adressé aux enfants d’Israël. Il explique « car on va parler ici des gestes sacrificiels, et ceux sont les cohanim qui devront les exécuter ». Cette lecture oriente ainsi toute la paracha : alors que la section précédente consistait à insister sur la dimension volontaire et généreuse des sacrifices, marqués par des formules décrivant la générosité (« un homme qui apportera… »), ici on va parler technique. Pourtant on y trouve aussi des sacrifices obligatoires comme ceux qui viennent suite à un manquement, qui ne relèvent donc pas de la générosité. De même que dans Vayikra aussi on parle de gestes précis Il faut donc aller plus loin pour distinguer les objectifs de la paracha de Vayikra et de celle de Tsav.

    Et c’est précisément l’objet de la suite du commentaire du Ramban qui questionne l’explication donné par Rachi du terme ‘Tsav’.

    Fort de sa remarque (on s’adresse aux cohanim), il questionne Rachi : puisque le verset s’adresse au cohanim, comment se pourrait-il qu’il y ait un risque de perte d’argent, alors que ceux-ci ne sont que de simples exécutants des sacrifices appartenant aux enfants d’Israël ? Selon lui le texte apporté par Rachi ne vient pas donner une clé de lecture mais des possibilités de lecture : le terme ‘ordre’ est employé soit pour indiquer une injonction immédiate, soit pour indiquer que l’injonction est permanente, soit pour encourager dès lors qu’il y a des dépenses à faire pour l’accomplissement.

    Le Ramban laisse au lecteur le soin de continuer le commentaire en choisissant lui-même la case qui convient. Le commandement en question n’étant pas immédiat, et précisant dans sa question que les cohanim n’ont pas de perte d’argent, ne reste que la troisième option : le commandement est perpétuel. Cette remarque éclaire l’ensemble de la paracha. En effet, si celle-ci s’oppose à celle de Vayikra ce n’est parce que la première serait placée sous le sceau du volontarisme –nous avons vu que c’était faux- mais parce que la paracha de Tsav vise une dimension de continuité du service divin. En effet, que ce soit des sacrifices volontaires ou liés à une faute, ceux-ci restent ponctuels, liés à tel ou tel évènement de la vie. Dans la paracha de Tsav, ce qui est en jeu c’est une présence perpétuelle au Temple. Or c’est exactement le thème du début du texte : un feu doit y demeurer perpétuellement.  Les images se bousculent : que serait-une maison où le feu s’éteindrait la nuit venue ? Que serait un Temple qui ne vivrait qu’au grès des passages aléatoires des fidèles ? Ainsi, les prêtres ont une obligation de mettre suffisamment de bois pour que ce feu soit constamment allumé. L’évacuation des cendres n’est pas –comme le voudrait Rachi- une simple nécessité technique, elle doit se faire dans les habits officiels de prêtrise : c’est que ce travail montre que le Temple fonctionne, qu’une présence y est assurée, on ne le laisse pas à l’abandon. On trouvera de nombreuses autres explications de notre auteur qui roulent sur ce thème. Mais c’est la structure même de la paracha qui y invite, puisque s’y intercale les sacrifices d’intronisation des prêtres qui sont le symbole même de cette présence perpétuelle. Son ordre même participe de ce principe.

    Qu’on me permette ici un écart. Pour nous modernes, pas de sacrifices ou de feu qui brûle constamment. Mais il me semble que l’opposition pointée par Ramban trouve un écho assez simple dans nos vies : on distingue deux types de croyants ceux qui entrent dans la routine de la pratique et ceux qui préfèrent se réserver aux ‘grands moments’. Ces deux façons de vie religieuse sont en principe tout à fait compatibles, mais l’on se rend compte qu’en pratique les deux types de personnes décrites sont souvent différents. Les unes se méfiant des ‘grands moments’ et les autres se méfiant de la routine. Le texte de la Torah me semble-t-il reconnait cette différence, et confie la ‘avoda’ (le service) à une caste, de tel sorte que le Temple semble étranger à celui qui apporte un sacrifice ponctuellement. Mais simultanément, le ‘grand moment’ ne se perdrait-il pas dans une gestuelle sacrificatoire ?

     

    Franck Benhamou.  

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

     

    רמב"ן ויקרא פרק ו

    (ב) אמר הכתוב בפרשת ויקרא (לעיל א ב) דבר אל בני ישראל, כי שם יצוה בהבאת הקרבנות, וישראל מביאים אותם, וכאן אמר "צו את אהרן", כי ידבר במעשה הקרבנות, והכהנים יעשו אותם:

    וכתב רש"י אין צו אלא זרוז מיד ולדורות. אמר רבי שמעון ביותר היה צריך הכתוב לזרז במקום שיש בו חסרון כיס. ומדרשו של רבי שמעון (תורת כהנים ריש הפרשה) אינו על זו הצואה, כי כאן אין בו חסרון כיס לבני אהרן המצווים בה, אבל יש להם ריוח ושכר בכל הקרבנות, גם בעולה. אבל אמר תנא קמא אין צו אלא זירוז מיד ולדורות, לומר שהפרשיות שירצה הכתוב לזרז בהם ולומר שיעשה מיד וינהג הדבר לדורות יאמר בהן צו, ובשאר הפרשיות יאמר דבר אל בני ישראל או אמור להם, ובא רבי שמעון לחלוק ולומר שפעמים יבא הלשון הזה בדבר שאינו מיד ולדורות בעבור שיש בו חסרון כיס, כגון הצואה האמורה בשמן המאור (להלן כד ב), וכגון שאמר הכתוב (במדבר לה ב) צו את בני ישראל ונתנו ללוים ערים לשבת. ויתכן שנאמר שיש בצו זה חסרון כיס לכהנים בעבור "זה קרבן אהרן ובניו" (פסוק יג) הנמשך בצואה זו. אבל בתחלת ספרי (נשא א) בענין מחלוקת היא שנויה שם:

    רמב"ן ויקרא פרק ו

    ואש המזבח תוקד בו - יאמר שתוקד במזבח כל הלילה, כי מצוה שישימו ביום עצים הרבה כדי שלא יתאכלו לגמרי ויכבה האש ממנו. ולפי דעתי, מה שאמר (פסוק ו) אש תמיד תוקד על המזבח לא תכבה, מצוה לכהנים בקיום האש, כמו שאמר (פסוק ה) ובער עליה הכהן עצים, וצוה שיזהרו בזה ויערכו אש ועצים הרבה שתוקד האש תמיד כל היום וכל הלילה, והזהיר בלאו שלא תכבה לעולם. והנה אם נתעצלו הכהנים וכבתה האש עברו בלאו, ומפני זה אמרו רבותינו (יומא מה ב) שהיתה מערכה שניה לקיום האש

    רמב"ן ויקרא פרק ו

    (ג) ולבש הכהן מדו בד - היא הכתונת, ומה תלמוד לומר מדו, שתהא כמדתו. "על בשרו", שלא יהא דבר חוצץ בינתיים. לשון רש"י:

    והנה תרומת הדשן צריכה בגדי כהונה, ואין עבודה בשני הבגדים מהם. אבל הזכיר אלה השנים לדבר שנתחדש בהם כאן. לומר שתהא הכתונת כמדתו, והענין לומר שאם היו מסולקין [או] קצרים ואינן מגיעין עד רגליו, ועבד בהן עבודתו פסולה. ולמד שלא יהא בינו ולא בין המכנסים לבשרו כלום. והוא הדין שצריכה כל בגדי כהונה, כי כיון שהזכיר הכתוב שהיא צריכה בגדים למדנו שהיא צריכה ארבעה להדיוט ושמנה לכהן גדול

  • Pékoudei - projet Ramban

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA 

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    Paracha Pékoudei : Respect et distance

     

       Le Ramban nous spécifie que Moshe ne pouvait accéder au Mishkan. En effet, « l’honneur de D… remplissait tout l’espace du Mishkan, car l’honneur est dans la nuée qui se trouve dans le Mishkan ». De quel honneur parle-t’on et comment une notion peut-elle combler un espace ?

    Le Rambam dans le Guide des égarés chapitre 47, développe la notion suivante : lorsqu’un homme côtoie fréquemment un objet respectable, l’effet produit sur lui se réduit et l’impression reçue perd de sa valeur au fil du temps.

    Il lie cette idée avec le fait qu’il était extrêmement difficile pour un homme de se rendre au Bet Hamikdash. Et pour cause, en tenant compte de la multitude d’impuretés pouvant toucher un homme, et du long processus de purification à effectuer, tous ces éléments permettaient de mettre une importante distance entre les hommes et le Bet Hamikdash. D’y accéder pouvait même relever du défi de toutes une vie.

    D’après le Ramban il est nécessaire d’introduire la notion de respect pour atteindre l’essence d’un lieu tel que le Mishkan. Ce respect ne peut être atteint qu’en imposant des mesures de distances extrêmes. L’accès au Mishkan se fit graduellement : inaccessible à tout homme, puis Moshé uniquement sous réserve d’y être appelé, enfin Aharon et les Cohanim eurent l’autorisation d’entamer la Avoda. Pour conserver le respect de ce lieu, il est nécessaire d’établir un équilibre entre distance et éventuelle proximité. L’érection du Mishkan fut le moment le plus sensible de l’Histoire pour sceller la relation qu’entretiendra le peuple envers le Mishkan, puis plus tard envers le Bet Hamikdash, il était donc indispensable d’y imposer une conduite à tenir.

     

    Koren Assouline

     

     

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes

     

    רמב״ן – פרק מ פסוק לד "ויכס הענן את אהל מועד" -

    אמר כי הענן יכסה את האהל מכל צד והוא מכוסה וטמון בו וכבוד ה' מלא את המשכן כי תוכו מלא הכבוד כי הכבוד שוכן בתוך הענן תוך המשכן כענין שנאמר בהר סיני (לעיל כ כא) אל הערפל אשר שם האלהים ואמר כי לא יכול משה לבא אל אהל מועד (פסוק הבא) אפילו אל הפתח מפני שהיה הענן מכסה אותו ולא היה רשאי לבא בתוך הענן ועוד כי המשכן מלא כבוד ה' ואיך יכנס בו והטעם שלא יבא שם בלא רשות אבל יקרא אותו ויבא בתוך הענן כאשר עשה בהר סיני ויקרא אל משה ביום השביעי מתוך הענן (לעיל כד טז) ואמר ויבא משה בתוך הענן (שם יח) ועל דרך הפשט בעבור שנאמר וידבר ה' אליו מאהל מועד (ויקרא א א) לא נכנס משה למשכן אבל קרא אותו מאהל מועד ועמד פתח אהל מועד וידבר אליו ורבותינו אמרו (ת"כ פתיחתא ח) כתוב אחד אומר ולא יכול משה לבא אל אהל מועד וכתוב אחר אומר ובבוא משה אל אהל מועד (במדבר ז פט) הכריע כי שכן עליו הענן כי לדעתם ובבא משה אל אהל מועד שיבא שם בלא קריאה מדעתו או מפני שאמר שם וישמע את הקול מדבר אליו מעל הכפורת נראה להם שהיה משה עומד בתוך האהל לפני הכפרת וכל עת היות כבוד השם מלא את המשכן לא נכנס משה בתוכו ולכך יאמרו שהיה זה לאחר שנסתלק הענן כלומר שנסתלק מלכסות כל האהל ואין הכבוד מלא את המשכן כי לא היה זה רק ביום השמיני ברדת שם הכבוד והקריאה שאמר ויקרא אל משה וידבר ה' אליו מאהל מועד (ויקרא א א) על דעתם קודם לכן היתה כאשר פירשתי למעלה (בפסוק ב) ויתכן שהכתוב שיאמר פעם אחרת וכבוד ה' מלא את המשכן ירמוז אל הכבוד השוכן בקרבו.

  • La Torah suit l'ordre chronologique

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA  

       Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900         

     La Torah suit -presque toujours- l’ordre chronologique

     

    Dans la paracha ‘Terouma’, la Torah commence à décrire -avec moult détails- l’édification du michkan (tabernacle). La paracha ‘Tetsavé’ continue dans cette lancée en se focalisant sur la conception des vêtements portés par les Cohanim. Les deux premiers chapitres de la paracha ‘Ki-Tissa’ (30 et 31) traitent encore de ce sujet.

    Toutefois, les chapitres 32 et 33 de cette même section passent à une thématique autre : la faute du veau d’or. Le dernier chapitre de ‘Ki-Tissa’ (34) se conclut avec l’alliance et l’énoncé de lois suivant le pardon accordé par HaChem, sur l’insistance de Moshé Rabbénou.

    Une fois la ‘parenthèse’ du veau d’or énoncée, nous arrivons à la paracha ‘Vayakhel’, qui revient complètement sur la construction du michkan,..

    Cette interruption dans le récit de la construction du saint édifice interpelle les commentateurs de la Torah, notamment quant au déroulement exact des évènements. Avant de nous pencher sur l’explication du Ramban, attardons-nous brièvement sur l’interprétation classique de Rachi :

    Selon lui, la faute du veau d’or a précédé totalement l’édification du michkan. Les deux sont d’ailleurs intrinsèquement liés : le michkan, façonné d’or et autres matériaux précieux, constitue une expiation rendue nécessaire après la transgression des bné-Israël[1]

    …Dans ce cas, pourquoi la Torah ne raconte-t-elle pas les évènements dans l’ordre ? Pour Rachi, une telle question n’a pas lieu d’être, car telle est la règle concernant la chronologie des faits dans la Torah : « La Torah ne suit pas l’ordre chronologique »[2].

    La lecture du Ramban est fondamentalement différente. Selon sa vision, il y a eu tout d’abord les premières instructions quant à la construction du michkan, telles qu’énoncées dans les sections ‘Terouma’ et ‘Tetsavé’, ainsi qu’au début de ‘Ki-Tissa’. La faute du veau d’or a provoqué l’interruption de ce projet magnifique consistant à faire résider la présence divine au sein des bné-Israël. Ce n’est qu’avec le pardon finalement accordé (fin de ‘Ki-Tissa’), qu’Hachem a finalement décidé de revenir au plan originel et terminer l’édification du michkan[3].

    Ce débat entre les deux maîtres a deux incidences majeures :

    1/ Sur la conception de l’essence du michkan.

    Rachi a une conception utilitaire de l’édifice : expier la faute du veau d’or. La création du michkan est selon lui une décision à posteriori. Au contraire, le Ramban y voit un absolu faisant partie intégrante du plan divin depuis la Création, au même titre que le don de la Torah ou l’entrée en terre d’Israël[4] : sa création obéit à priori à la volonté d’Hachem[5].

    2/ Sur la portée du principe «la Torah ne suit pas l’ordre chronologique »

    Le Ramban ne s’oppose pas à Rachi quant au principe lui-même, mais uniquement quant à sa portée. Il explique par ailleurs[6] que la Torah suit généralement l’ordre des évènements. Ce n’est qu’en cas de besoin spécifique, et exceptionnellement, que le récit peut s’en éloigner, afin de mettre en avant un rapprochement d’idées ou de concepts. Or tel n’est pas le cas en l’espèce, la Torah n’a aucune raison de modifier l’agencement des évènements.

     

    Certes, la piste suivie par le Ramban est claire, avec l’avantage de présenter une lecture fluide et linéaire des sections de la Torah entre ‘Terouma’ et ‘Vayakhel’. Une question sur sa démarche subsiste néanmoins :

    Alors qu’il annonce explicitement dans son introduction à la Torah qu’il s’opposera aux commentaires de ses prédécesseurs, dont Rachi en premier lieu, il ne fait ici aucunement mention de leur divergence de point de vue dans ces deux concepts : la perception de l’essence du michkan et la portée du principe «la Torah ne suit pas l’ordre chronologique »[7].

    Pourquoi ne s’oppose-t-il pas ici explicitement au maître champenois ? La question reste ouverte.  

     

    Yona GHERTMAN

     

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes


    [1] Commentaires sur Shemote 29, 1 et 31, 18 :

    פר אחד - לכפר על מעשה העגלמ שהוא פר:

    ויתן אל משה וגו' - אין מוקדם ומאוחר בתורה. מעשה העגל קודם לצווי מלאכת המשכןל ימים רבים היה, שהרי בשבעה עשר בתמוז נשתברו הלוחות, וביום הכפורים נתרצה הקדוש ברוך הוא לישראל, ולמחרת התחילו בנדבת המשכן והוקם באחד בניסן:

    [2] Rachi, Ibid. ; cf ; TB Pessa’him 6b.

    [3] רמב"ן שמות פרק לה פסוק א

    (א) ויקהל משה את כל עדת בני ישראל - יכלול "כל עדת בני ישראל" האנשים והנשים, כי כלם התנדבו במלאכת המשכן. והנה משה אחר שצוה לאהרן והנשיאים וכל בני ישראל האנשים כל אשר דבר ה' אתו בהר סיני אחרי שבור הלוחות, ונתן על פניו המסוה, חזר וצוה והקהילו אליו כל העדה אנשים ונשים. ויתכן שהיה זה ביום מחרת רדתו. ואמר לכולם ענין המשכן אשר נצטוה בו מתחלה קודם שבור הלוחות, כי כיון שנתרצה להם הקדוש ברוך הוא ונתן לו הלוחות שניות וכרת עמו ברית חדשה שילך השם בקרבם, הנה חזרו לקדמותם ולאהבת כלולותם, ובידוע שתהיה שכינתו בתוכם כענין שצוהו תחלה, כמו שאמר (לעיל כה ח) ועשו לי מקדש ושכנתי בתוכם, ולכן צוה אותם משה עתה בכל מה שנצטוה מתחלה:

    [4] Ce qui ressort également de son introduction au livre de Shemote :

    רמב"ן שמות הקדמה

     והנה הגלות איננו נשלם עד יום שובם אל מקומם ואל מעלת אבותם ישובו. וכשיצאו ממצרים אף על פי שיצאו מבית עבדים עדיין יחשבו גולים כי היו בארץ לא להם נבוכים במדבר וכשבאו אל הר סיני ועשו המשכן ושב הקדוש ברוך הוא והשרה שכינתו ביניהם אז שבו אל מעלות אבותם שהיה סוד אלוה עלי אהליהם והם הם המרכבה ואז נחשבו גאולים ולכן נשלם הספר הזה בהשלימו ענין המשכן ובהיות כבוד ה' מלא אותו תמיד:

    [5] Le Rav Elie Munk z’l suppose que le point de vue de Rachi se rattache au midrash, alors que celui du Ramban -reconnu pour son mysticisme- se rapproche davantage des vues du Zohar (cf. La Voix de la Torah, l’Exode, pp.305-306).

    [6] Commentaire sur Bamidbar 16, 1. Il s’oppose en l’espèce à Ibn ‘Ezra qui prête une portée beaucoup plus générale au principe :

    רמב"ן במדבר פרק טז פסוק א

    ואמר רבי אברהם כי זה הדבר היה במדבר סיני כאשר נחלפו הבכורים ונבדלו הלוים, כי חשבו ישראל שאדונינו משה עשה זה מדעתו לתת גדולה לאחיו, גם לבני קהת שהם קרובים אליו ולכל בני לוי שהם ממשפחתו, והלוים קשרו עליו בעבור היותם נתונים לאהרן ולבניו, וקשר דתן ואבירם בעבור שהסיר הבכורה מראובן אביהם, גם קרח בכור היה. וזה מדעתו של רבי אברהם שהוא אומר במקומות רבים אין מוקדם ומאוחר בתורה לרצונו. וכבר כתבתי (לעיל ט א) כי על דעתי כל התורה כסדר זולתי במקום אשר יפרש הכתוב ההקדמה והאחור, וגם שם לצורך ענין ולטעם נכון, אבל היה הדבר הזה במדבר פארן בקדש ברנע אחר מעשה המרגלים:

    [7] Alors que sur ce dernier point, il marque ouvertement sa divergence avec le Ibn ‘Ezra (cf. supra).

  • Projet Ramban : Ki-Tissa

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Paracha Ki-Tissa : la langue 'sainte'

     

    Le comptage des bné Israël se fait par l'énumération de demi mesures. Demi mesure de poids d'argent, d'une valeur étalon, nommée le "pesant saint".

    En quoi ce shekel peut-il être Saint? Que signifie qu'un poids ou qu'une monnaie est sainte?

    Traduisons mieux, d'emblée. Qu'est-ce donc que cette sainteté ? Plus précisément cette "distinction", cette "particularité"?

    Le Ramban pose la question au passouk יג du perek ל.

    Il répond que si ce shekel est kodesh, c'est qu'il a affaire avec le domaine "saint". De fait, chez les bné Israël, le domaine clérical brasse de l'argent et beaucoup de mitsvot génèrent un transfert de valeur du privé au clérical, qui servira à l'érection du mishkan, et aux korbanot. La monnaie étalon mesure la valeur de ces transferts, et mesure donc du sacré. Donc toute la monnaie devient liée au sacré. Son usage fait qu'une valeur peut devenir sacrée, et cela impacte la nution même de valeur monétaire, la monnaie courante elle-même.

    Étonnant. Rien d'intrinsequement sacré dans la valeur de ce poids d'argent, qui d'ailleurs ne doit pas être utilisé directement mais uniquement par sa moitié, pour une raison qui ne nous intéressera pas ici. Rien d'intrinsequement sacré donc, sinon par l'usage qu'on peut en faire...

    Et le ramban de surenchérir : il fait le parallèle avec la langue de la Torah, le lashon hakodesh. La langue "distincte". Mais attention, pas "distinguée". Distincte car c'est celle qui, par son histoire, est différente, elle a servie à dieu pour créer le monde, énoncer la Torah, échanger entre dieu ses prophètes, nommer dieu lui-même, nommer des choses distinctes, des mal'ah'im. Son histoire et ce qu'elle nomme fait de cette langue une langue "sacrée".

    Rien d'ésotérique ne la distinguerait. Aucune valeur intrinsèque sinon comment, par qui et pour quoi elle a été utilisée.

     

    Et le Ramban s'oppose ici au Rambam dans le Moré.

    Pour celui-ci, la sainteté de cette langue est dûe à sa caractéristique intrinsèque : elle assume le trou. L'indicible. Ne pas chercher à nommer ce qui ne peut l'être, ou ne doit pas l'être, est ce qui rend une langue sainte. La langue des H'ah'amim est particulière car elle ne nomme ni le rapport sexuel, ni les sexes, ni les excréments. Seuls des allusions seront utilisées.

    Pour le Ramban, ce qui est pointé ici ne caractérise pas une langue mais son usage. Un langage. Qui, du reste, est déjà caractérise ainsi de par ailleurs : on appelle ça un langage châtié, lashon nekia. C'est une façon de parler empreinte de retenue. Mais non une caractéristique de la langue elle-même.

    Essayons de mieux comprendre la thèse du Rambam.

    Ce n'est pas l'usage qu'on en fait, qui la rend particulière. Le langage châtié s'y astreint et tout langage puritain n'est pas kodesh. C'est bien le fait de cette langue de se refuser à avoir des mots pour nommer ce qui pourrait l'être. Accepter des trous du langage, c'est assumer justement de l'indicible, que la langue ne peut pas tout dire, justement comme on ne nomme pas dieu, qu'il y a des choses sans mots, que l'on ne peut "objectivement" pas dire, pas nommer sans les falsifier, les fausser, là se joue la caractéristique de la langue kdosha.

    Le nom de Dieu est un immense sujet pour le Reste et là n'est pas le lieu pour s'y étendre. Car il a malgré tout un nom dans les Textes, même s'il ne se dit pas. Par contre le rapport sexuel n'est pas. Ou ne peut avoir de nom, pas seulement qui ne puisse être exprimé. Il ne peut y avoir de mot qui ne soit autre chose qu'allusion, signe qui pointe, ou plutôt non, il n'y a pas de tel signifiant, rien à pointer vers un trou, vers un non-être. Car c'est bien de cela qu'on s'approche. Non pas qu'il n'y ait pas de rapport sexuel, mais que ce n'est pas quelque chose qui peut être signifié.

    Oui, les mots me manquent. Il faudrait aller beaucoup plus loin pour rendre compte de la kdousha d'une langue.

    Mais le Ramban n'accepte pas cela.

    Pas parce qu'il soutiendrait que cette langue serait magique, plus juste, mieux ou que sais-je encore. Non.

    C'est la langue utilisée par la Torah pour parler de kdousha. Qui nous emmène donc de fait vers la kdousha par son usage et ses usages passés.

    Tout comme la monnaie qui mesure ce qui peut devenir kadosh par une parole ou un acte.

    Nathan Grandjean

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :


    Commentaire du Ramban sur Exode 30, 13


    וכן הטעם אצלי במה שרבותינו קוראין לשון התורה "לשון הקודש", שהוא מפני שדברי התורה והנבואות וכל דברי קדושה כולם בלשון ההוא נאמרו. והנה הוא הלשון שהקב"ה יתעלה שמו מדבר בו עם נביאיו ועם עדתו, אנכי ולא יהיה לך ושאר דברות התורה והנבואה, ובו נקרא בשמותיו הקדושים אל, אלוהים, צבאות, ושדי, ויו"ד ה"א, והשם הגדול המיוחד, ובו ברא עולמו, וקרא שמות שמים וארץ וכל אשר בם, ומלאכיו וכל צבאיו לכולם בשם יקרא מיכאל וגבריאל בלשון ההוא, ובו קרא שמות לקדושים אשר בארץ אברהם יצחק ויעקב ושלמה וזולתם:
    והרב אמר במורה הנבוכים ג ח
    אל תחשוב שנקרא לשוננו לשון הקדש לגאוותינו או לטעותינו, אבל הוא בדין, כי זה הלשון קדוש לא ימצאו בו שמות לאבר הבעילה בזכר או בנקבה, ולא לטפה ולשתן ולצואה רק בכינוי. ואל יטעה אותך "שגל" (תהלים מה י), כי הוא שם אשה המזומנת למשכב, ואמר ישגלה (דברים כח ל): על פי מה שנכתב עליו, ופירושו יקח אשה לפילגש:
    והנה אין צורך לטעם הזה, כי הדבר ברור שהלשון קדש קדשים הוא כמו שפירשתי. 
    והטעם שהזכיר על דעתי איננו אמת, כי מה שיכנו ישגלנה, ישכבנה, יורה כי משגל שם עצם לבעילה, וכן יכנו לאכול את חוריהם (מ"ב יח כז), כי הוא שם מגונה. ואם מפני טעמו של הרב, היו קורים לו "לשון נקיה", כעניין ששנינו (סנהדרין סח ב): עד שיקיף זקן התחתון ולא העליון אלא שדברו חכמים בלשון נקיה, ואמרו כי אם הלחם אשר הוא אוכל לשון נקי (ב"ר פו ז), וכן במקומות רבים:

     

      

  • Projet-Ramban : Tetsavé

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Parashat Tetsave – Commentaire du Ramban

     

    Notre parasha continue les mitsvot relatives au Tabernacle et décrit les habits que devront vêtir le Cohen et le Cohen Gadol.

    La signification de ces habits est évidemment source d’exégèses à toute époque. Le commentaire que nous allons voir cette semaine se caractérise par sa double référence – il s’inscrit dans la lignée des commentaires du pshat pour continuer dans celle des commentaires du sod.

     

    Le verset qui sert de “support” au commentaire est le verset XXVIII,2 :

    “Tu feras à Aaron, ton frère, des vêtements sacrés, pour marquer sa dignité et pour lui servir de parure.” – En Hébreu, « לכבוד ולתפארת »

     

    Ces deux derniers mots permettent de prime abord au Ramban de définir ces vêtements comme étant des vêtements royaux. Et pour étayer son argument, le Ramban va utiliser de manière transversale toute la Bible !

    La Koutonet – la tunique du Cohen -  c’est un vêtement d’apparat, nous dit le Ramban. Preuve en est le cadeau que Yaakov fit à Yossef : (Bereshit XXVII,3) : « Israël aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu'il l'avait eu dans sa vieillesse ; et il lui fit une tunique – koutonet- de plusieurs couleurs. ». Plus encore, c’est un vêtement royal – lors du tragique épisode de Amnon et Tamar, le verset nous précise (Samuel II, XIII,18) : « Elle – Tamar - avait une tunique - Koutonet- de plusieurs couleurs ; car c'était le vêtement que portaient les filles du roi, aussi longtemps qu'elles étaient vierges ».

    La Mitsnefet – le couvre-chef du Cohen : le Ramban nous prouve ici aussi que c’est un habit royal. Ainsi, lorsque le prophète met en garde le Roi d’Israël que son royaume va prendre fin, il lui dit « Ainsi parle Hashem : La tiare – mitsnefet- sera ôtée, le diadème sera enlevé. Les choses vont changer. Ce qui est abaissé sera élevé, et ce qui est élevé sera abaissé. » (Ézéchiel XXI,31). A l’inverse lorsque Ishaya prédit le retour, il s’exprime : « Tu seras une couronne éclatante dans la main de l'Éternel, un turban – tsnif- royal dans la main de ton Dieu » (Isaïe, LXII,3)

    Le Tzitz  est aussi un diadème royal. Le verset des Psaumes sert au Ramban de preuve : « Je revêtirai de honte ses ennemis, et sur lui brillera – yatsits- sa couronne. » (Psaumes CXXXII, 18)

    Le Efod et le Hoshen – le pectoral. Un verset de Daniel sert au Ramban de preuve « J'ai appris que tu peux donner des explications et résoudre des questions difficiles ; maintenant, si tu peux lire cette écriture et m'en donner l'explication, tu seras revêtu de pourpre, tu porteras un collier d'or à ton cou, et tu auras la troisième place dans le gouvernement du royaume. » (Daniel V, 16). Il est notable que le Ramban agit ainsi comme un véritable pashtan. Il superpose aisément le Efod et le Hoshen avec un « collier », bien que la racine du mot employé dans Daniel ne l’indique pas clairement.

    Une deuxième remarque peut être faite ici : voir dans le Efod un habit royal et non pas un habit strictement réservé au Cohen permet peut-être de résoudre un problème d’exégèse du livre de Shmouel. En plusieurs endroits on voit des personnes n’étant pas Cohen ou Cohen Gadol en fonction porter un Efod. Par exemple, Samuel lui-meme porte un Efod au verset II, 18 de Samuel I. Ou encore dans XXII, 18, on nous parle de 85 ( !) hommes portant l’Efod ! Suivant l’explication du Ramban, il est aisé d’expliquer que ce ne sont pas des habits spécifiquement réservés au Cohen, mais au contraire, leur caractère royal a fait que la Torah les a attribués au Cohen…

    Enfin, au-delà des vêtements, les couleurs même que la Torah a exigées sont des couleurs royales : or, pourpre et bleu azur – teh’elet- . Le Ramban cite comme preuves divers versets tirés des Psaumes, de Daniel ou encore du livre d’Esther.

     

    Jusqu’ici, le Ramban s’est placé dans la lignée des commentateurs pashtan. Les vêtements pontificaux ont été définis car ils évoquent de manière claire l’apparat et la noblesse.

    Mais le Ramban ne s’arrête pas là et entame un second paragraphe avec son expression caractéristique « ועל דרך האמת » - “Et selon la vraie explication » introduisant toujours l’exégèse kabbalistique. S’en suit alors une série d’explications allusives et concises que les commentateurs du Ramban décryptent, quand de toute évidence, le mot principal qui tisse le commentaire est « תפארת »   mot du verset qui renvoie, selon le Ramban, à la sefira de Tiferet…

    Nous ne développerons pas cette partie du commentaire, en étant bien incapables…

    Nous nous contenterons d’une remarque. Le Ramban finit ce passage en expliquant que les vêtements devaient être faits par des gens comprenant tous les « secrets » qui les habitent. Et, il cite en preuve, un passage du traité Yoma « son image me guidait lors de mes batailles ».

    Ce passage relate la rencontre extraordinaire entre Shimon Hatsaddik, alors Kohen Gadol, et Alexandre le Grand. Ce dernier, alors qu’il s’approchait de Judée vit Shimon Hatsaddik sortant à sa rencontre. A la vue du Kohen Gadol, Alexandre le Grand descendit de sa monture pour se prosterner. A ses troupes étonnées, il expliqua « lorsque je partais en guerre, son image me guidait lors de mes batailles » 

    La lecture habituelle de ce passage est que le visage de Shimon Hatsaddik apparaissait à Alexandre ; et que lorsque ce dernier reconnut ses traits, il se prosterna. Mais, si le Ramban cite ce passage pour étayer son commentaire sur les vêtements pontificaux, c’est que selon lui, ça n’est pas tant le visage du Cohen qu’Alexandre voyait, mais l’habit du Kohen Gadol. Ainsi, l’habit lui-même était assez évocateur et empreint de mystères pour que celui qui le voyait sentait une inspiration digne d’être suivie…

     

    Ce relativement long commentaire nous a semblé intéressant à partager. Il nous semble caractéristique du Ramban : une école clairement kabbalistique, mais qui sait exceller autant que d’autres dans l’exercice du pshat

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כח פסוק ב
    (ב) לכבוד ולתפארת - שיהיה נכבד ומפואר במלבושים נכבדים ומפוארים, כמו שאמר הכתוב כחתן יכהן פאר (ישעיה סא י), כי אלה הבגדים לבושי מלכות הן, כדמותן ילבשו המלכים בזמן התורה, כמו שמצינו בכתנת ועשה לו כתנת פסים (בראשית לז ג), שפירושו מרוקמת כדמות פסים, והיא כתונת תשבץ כמו שפירשתי, והלבישו כבן מלכי קדם. וכן הדרך במעיל וכתנת, וכתוב ועליה כתנת פסים כי כן תלבשנה בנות המלך הבתולות מעילים (ש"ב יג יח), ופירושו כי עליה כתנת פסים נראית ונגלית, כי המנהג ללבוש בנות המלך הבתולות מעילים שתתעלפנה בהן, ונמצא שכתנת הפסים עליה מלבוש עליון, ולכן אמר וכתנת הפסים אשר עליה קרעה:
    והמצנפת ידועה גם היום למלכים ולשרים הגדולים, ולכן אמר הכתוב בנפול המלכות הסר המצנפת והרם העטרה (יחזקאל כא לא), וכן כתוב וצניף מלוכה (ישעיה סב ג), וכך יקראם הכתוב פארי המגבעות (להלן לט כח), וכתיב פארי פשתים יהיו על ראשם (יחזקאל מד יח), שהם פאר ושבח למכתירים בהם. והאפוד והחשן לבוש מלכות, כענין שכתוב והמניכא די דהבא על צוארך (דניאל ה טז). והציץ נזר המלכים הוא, וכתיב (תהלים קלב יח) יציץ נזרו. והם זהב וארגמן ותכלת, וכתיב (שם מה יד) כל כבודה בת מלך פנימה ממשבצות זהב לבושה, וכתיב (דניאל ה טז) ארגוונא תלבש והמניכא די דהבא על צוארך. והתכלת גם היום לא ירים איש את ידו ללבוש חוץ ממלך גוים, וכתיב (אסתר ח טו) ומרדכי יצא מלפני המלך בלבוש מלכות תכלת וחור ועטרת זהב גדולה ותכריך בוץ וארגמן, והתכריך הוא המעיל שיעטף בו:
    ועל דרך האמת, לכבוד ולתפארת, יאמר שיעשו בגדי קדש לאהרן לשרת בהם לכבוד השם השוכן בתוכם ולתפארת עזם, כדכתיב (תהלים פט יח) כי תפארת עזמו אתה. וכתיב (ישעיה סד י) בית קדשנו ותפארתנו אשר הללוך אבותינו, וקדשנו הוא הכבוד ותפארתנו תפארת ישראל, ועוד נאמר (תהלים צו ו) עוז ותפארת במקדשו, וכן לפאר מקום מקדשי ומקום רגלי אכבד (ישעיה ס יג), שיהיה מקום המקדש מפואר בתפארת, ומקום רגליו, שהוא מקום בית המקדש, מכובד בכבוד השם. וכן ובישראל יתפאר (שם מד כג), שיהיה מראה ומיחד בהם תפארתו, וכן אמר למטה גם בבגדי הבנים כלם לכבוד ולתפארת (להלן פסוק מ), ואמר בקרבנות יעלו על רצון מזבחי ובית תפארתי אפאר (ישעיה ס ז). והנה המזבח רצונו, והכבוד בית תפארתו. והיו הבגדים צריכין עשייה לשמן, ויתכן שיהיו צריכין כוונה, ולכן אמר ואתה תדבר אל כל חכמי לב אשר מלאתיו רוח חכמה, שיבינו מה שיעשו. וכבר אמרו (יומא סט א) דמות דיוקנו מנצח לפני בבית מלחמתי: 

  • Un sanctuaire pour quoi faire ?

    PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Un sanctuaire pour quoi faire ?

     

    Lorsque Maïmonide parle du michkane, le temple portatif du désert, il le décrit comme un lieu de culte[i]. Il défendra que la fabrication du michkane n’a pour but que de détourner les yeux des anciens esclaves égyptiens de leurs idoles. Pour Nahmanide l’érection du temple renvoie à de toutes autres préoccupations : il s’agit de faire perpétuer la gloire qui apparut sur le mont Sinaï. Nulle concession au paganisme, mais la nécessité de continuer la promulgation de la loi.

    Seuls quelques principes de lois ont été donnés sur le mont Sinaï. Après la grande pompe du Sinaï, il faut passer à la présence discrète, démontrant en cela le lien tissé avec le « Dieu d’Israël ». Nahmanide voit dans cette expression le fil qui conduit du Sinaï, au temple portatif, puis au temple de Jérusalem. Voilà le rôle essentiel du michkane, sans doute pourrait-il servir de lieu de culte, mais secondairement. La « gloire » qui résida sur le mont Sinaï se retrouve dans le michkan : l’essentiel de l’accent est mis sur Dieu, et non pas sur l’homme en son rapport à Dieu. La voix qui s’exprima sur le Sinaï au vu et au su de tous, extérieure à tous, presque objective, continuera à s’exprimer mais à partir de l’espace vide situé entre les chérubins placés sur l’arche sainte. La voix divine chemine du Ciel, comme un scintillement, puis vient s’exprimer à partir du lieu vide situé entre les chérubins.

    Mais pourquoi insister sur le trajet de la voix divine ? Si l’on comprend que celle-ci s’exprime à partir d’un mi-lieu qui est vide, pourquoi rappeler que cette voix ‘vient du Ciel’ ? C’est que le vide en question n’est pas un néant, mais vient désigner ce qui transcende toute représentation. C’est une gageure que de donner un lieu au Dieu invisible. Comment maintenir sa transcendance au milieu de l’or et de l’argent ? C’est précisément dans ce renvoi à l’origine céleste de la voix que se rejoue discrètement la scène du Sinaï. Les chérubins abritent le vide - le silencieux secret du monothéisme-, mais un vide fort de tous les potentiels de la loi qui se déploie à partir des principes énoncés sur le Sinaï.

     

    Franck Benhamou

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כה

    וסוד המשכן הוא, שיהיה הכבוד אשר שכן על הר סיני שוכן עליו בנסתר. וכמו שנאמר שם (לעיל כד טז) וישכן כבוד ה' על הר סיני, וכתיב (דברים ה כא) הן הראנו ה' אלהינו את כבודו ואת גדלו, כן כתוב במשכן וכבוד ה' מלא את המשכן (להלן מ לד). והזכיר במשכן שני פעמים וכבוד ה' מלא את המשכן, כנגד "את כבודו ואת גדלו". והיה במשכן תמיד עם ישראל הכבוד שנראה להם בהר סיני. ובבא משה היה אליו הדבור אשר נדבר לו בהר סיני. וכמו שאמר במתן תורה (דברים ד לו) מן השמים השמיעך את קולו ליסרך ועל הארץ הראך את אשו הגדולה, כך במשכן כתיב (במדבר ז פט) וישמע את הקול מדבר אליו מעל הכפרת מבין שני הכרובים וידבר אליו. ונכפל "וידבר אליו" להגיד מה שאמרו בקבלה שהיה הקול בא מן השמים אל משה מעל הכפרת ומשם מדבר עמו, כי כל דבור עם משה היה מן השמים ביום ונשמע מבין שני הכרובים, כדרך ודבריו שמעת מתוך האש (דברים ד לו), ועל כן היו שניהם זהב. וכן אמר הכתוב (להלן כט מב מג) אשר אועד לכם שמה לדבר אליך שם ונקדש בכבודי, כי שם יהיה בית מועד לדבור ונקדש בכבודי:

    והמסתכל יפה בכתובים הנאמרים במתן תורה ומבין מה שכתבנו בהם (עי' להלן פסוק כא) יבין סוד המשכן ובית המקדש, ויוכל להתבונן בו ממה שאמר שלמה בחכמתו בתפלתו בבית המקדש ה' אלהי ישראל (מ"א ח כג), כמו שאמר בהר סיני ויראו את אלהי ישראל (לעיל כד י), והוסיף שם לפרש "ה'" לענין שרמזנו שם למעלה כי אלהי ישראל יושב הכרובים, כמו שאמר וכבוד אלהי ישראל עליהם מלמעלה היא החיה אשר ראיתי תחת אלהי ישראל בנהר כבר ואדע כי כרובים המה (יחזקאל י יט כ). ואמר דוד ולתבנית המרכבה הכרובים זהב לפורשים וסוככים על ארון ברית ה' (דהי"א כח יח), וכן יזכיר תמיד בבית המקדש לשם ה' (מ"א ה יט), לשמך (שם ח מד), ויאמר בכל פעם ופעם ואתה תשמע השמים (שם ח לו), במדת רחמים, וכתיב (שם ח מד מה) והתפללו אל ה' דרך העיר אשר בחרת בה והבית אשר בניתי לשמך ושמעת השמים, ובביאור אמר כי האמנם ישב אלהים את האדם על הארץ הנה שמים ושמי השמים לא יכלכלוך (דהי"ב ו יח). וכתיב על הארון להעלות משם את ארון האלהים אשר נקרא שם שם ה' צבאות יושב הכרובים עליו (ש"ב ו ב). ובדברי הימים (א יג ו) להעלות משם את ארון האלהים ה' יושב הכרובים אשר נקרא שם, כי השם יושב הכרובים:

     

    [i] Voir Séfer Hamitsvot. Commandement positif n°20.

     

  • Michpatim- projet Ramban

      PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    Parachat Michpatim :

    Comment le Ramban nous dévoile la force cachée des faibles et la faiblesse des forts 

     

    La parachat Michpatim fournit essentiellement, comme l’indique son nom, une liste non négligeable de loi et ce, juste après le récit du don de la Torah au mont Sinaï, lu la semaine dernière dans la section de Yitro.

    Parmi les lois énoncées, l’une concerne l’interdit d’oppresser l’étranger vivant parmi nous.

    Ainsi la Torah écrit dans le chapitre 22, verset 21 :

    וְגֵר לֹא-תוֹנֶה וְלֹא תִלְחָצֶנּוּ: כִּי-גֵרִים הֱיִיתֶם בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם

    Tu n’oppresseras pas l’étranger, et tu ne feras point pression sur lui ; car étrangers vous étiez en terre d’Egypte

     

    Puis la Torah précise dans un autre verset plus loin  (23) :

    אִם-עַנֵּה תְעַנֶּה אֹתוֹ--כִּי אִם-צָעֹק יִצְעַק אֵלַי שָׁמֹעַ אֶשְׁמַע צַעֲקָתוֹ

    Et si affliger, tu l’affligeras, alors si crier il criera vers moi, et écouter j’écouterai sa plainte

     

    Ce dernier verset semble intriguant ; en effet que vient-il ajouter à l’injonction de ne pas oppresser l’étranger ? En quoi cela nous intéresse-t-il  de savoir si l’Eternel écoute ou non les prières de l’étranger ?

    Rachi semble soulever cette difficulté dans son commentaire :

    Le texte s’exprime de manière elliptique : il profère une menace sans spécifier la punition encourue par celui qui passera outre comme dans : « c’est pourquoi quiconque tuera Caïn sera puni au septuple ! » (Béréchit4,15) où il menace sans spécifier la punition. De même ici « si affliger, tu l’affligeras » est une simple menace ; tu finiras par recevoir ce qui te revient. Pourquoi. « car si crier il criera vers moi »

    Rachi analyse ce verset comme un texte elliptique, en d’autres termes ces paroles expriment avant tout une menace envers celui qui transgresserait l’injonction de l’Eternel ; cependant l’Ecrit oublie de nous préciser la nature du châtiment du fauteur tout en soulignant que la punition viendra en réponse aux prières de l’Etranger.

     

    Cependant le Ramban va s’opposer farouchement à cette explication de Rachi et nous proposer une lecture différente du texte !

    En effet, le Ramban refuse l’idée qu’il faille comprendre comme Rachi le mot אם qui signifie en hébreu      «  si » (le conditionnel) dans son sens littéral ; ce terme serait dans le contexte du verset selon le Ramban l’équivalent d’un רק c'est-à-dire « seulement » une condition sine qua non et exclusive au châtiment divin qui n’a besoin d’être énoncé par ailleurs !

    Nous pourrions expliquer les deux avis de ces deux grands maîtres de la manière suivante :

     

    - Selon Rachi la Torah vient exprimer avant tout dans ce verset une menace (non explicitée) et ce en réponse aux prières de l’Etranger.

     

    • Selon le Ramban la Torah vient dévoiler un mécanisme, une approche dans la compréhension de la providence divine à savoir que les intentions de l’oppresseur seront celles qui le conduiront à sa perte ! en effet, il nous faut lire le texte de la manière suivante selon Nahmanide :

     

    - « si affliger tu affligeras » pourquoi affliger l’étranger ? Car tu penses en ton fort intérieur qu’il n’a point d’appuis puissants dans la société, point de connaissance parmi les gens influant et hauts placés qui pourront le protéger

     - « alors seulement et seulement si crier il criera vers moi » mais toi tu n’as point penser que dans sa faiblesse et son isolement, il pourrait justement s’appuyer et implorer véritablement l’unique aide et  protection pouvant venir à son secours à savoir celle de l’Eternel et « ce seulement s’il la réclame » *

    - « alors écouter j’écouterai sa plainte ».. Car finalement ce qui te semblait être sa faiblesse se révèlera être sa force principale et redoutable ! Quant aux forts, lorsqu’ils seront à leur tour inquiétés, ils préfèreront se tourner vers leurs connaissances et conseillers plutôt que de se tourner vers le créateur !

     

    Le Ramban révèle que ce principe se retrouve à plusieurs endroits dans les écrits comme dans le livre des Proverbes (chap22, verset 22-23) :

    אַל-תִּגְזָל-דָּל כִּי דַל-הוּא וְאַל-תְּדַכֵּא עָנִי בַשָּׁעַר כִּי-יְהוָה, יָרִיב רִיבָם;

     « Ne profite pas du faible car il est faible; et n’écrase pas le pauvre au tribunal, car l’Eternel plaidera sa cause »

    Nous remarquons une nouvelle fois que le faible, le démuni n’ont justement que l’Eternel pour protecteur, et c’est cela précisément qui devrait nous inspirer la crainte, bien plus que le châtiment divin (non dévoilé là encore..)

     

    En conclusion le Ramban nous révèle ici en travaillant le texte un secret formidable et fondamental dans notre compréhension de la Torah et de la vie en général :

     

    Nous connaissons tous l’adage « Forts avec les faibles et faibles avec les forts » - l’homme à l’instar d’un prédateur, pourrait lui aussi chercher les proies faibles de la société pour pouvoir les oppresser et les exploiter sans être inquiété par d’éventuelles représailles !

    La Torah inverse ce regard sur la société pour nous dévoiler que de la faiblesse présumée de ses victimes peut naître une force insoupçonnée et redoutable : la Téfilah, la prière qui prononcée depuis les abîmes de l’âme peut agir dans le ciel  avec force !

     

    Shmouel Choucroun

             

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק כב פסוק כב


    (כב) אם ענה תענה אותו - הרי זה מקרא קצר, גיזם ולא פירש ענשו, כמו לכן כל הורג קין (בראשית ד טו), ולא פירש העונש. אף כאן, אם ענה תענה אותו, לשון גיזום, סופך ליטול את שלך, למה, כי יצעק אלי אשמענו ואנקמנו. לשון רש"י. ואיננו נכון, וגם העד שהביא לא העיד כן, אבל יתכן שיהיה "כי" במקום הזה כמו "אם", שהוא אחד משמושין שלו, יאמר, אם יצעק אלי שמוע אשמע צעקתו, והכפל לנחוץ הענין וחזוקו, כדרך המבלי אין קברים (לעיל יד יא), הרק אך במשה (במדבר יב ב):
    והנכון בעיני כי יאמר אם ענה תענה אותו רק צעוק יצעק אלי בלבד מיד אשמע צעקתו, איננו צריך לדבר אחר כלל, כי אני אושיענו ואנקום אותו ממך. והטעם, כי אתה לוחץ אותו מפני שאין לו מושיע מידך, והנה הוא נעזר יותר מכל אדם, כי שאר האנשים יטרחו אחרי מושיעים שיושיעום ואחרי עוזרים לנקום נקמתם, ואולי לא יועילו והצל לא יצילו, וזה בצעקתו בלבד נושע בה' וינקם ממך, כי נוקם ה' ובעל חמה (נחום א ב):
    ויבא כענין הזה בכתובים רבים, כגון מה שאמר (משלי כב כב - כג) אל תגזל דל כי דל הוא ואל תדכא עני בשער כי ה' יריב ריבם, יאמר אל תגזול דל בעבור שהוא דל ואין לו עוזרים ואל תדכא העני אשר בשעריך כי ה' יריב בעבורם, וכן אמר (שם כג י - יא) ובשדה יתומים אל תבוא כי גואלם חזק ה' צבאות שמו, שיש להם גואל חזק וקרוב יותר מכל אדם. אף כאן אמר כי בצעקתו בלבד יושע. וכמוהו כי כאשר ירד הגשם והשלג מן השמים ושמה לא ישוב כי אם הרוה את הארץ והולידה והצמיחה ונתן זרע לזורע ולחם לאוכל כן יהיה דברי אשר יצא מפי לא ישוב אלי ריקם כי אם עשה את אשר חפצתי (ישעיה נה י יא), בשניהם יאמר שלא יעשו דבר אחר, כי אם שירוה את הארץ מיד, וכן כי אם שיעשה מה שחפצתי, והנה הוא כטעם אלא, וכן כי אם אל ארצי ואל מולדתי אלך (במדבר י ל): 

       

  • The day after tomorrow

       PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

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    The day after tomorrow (Paracha Yitro)

     

    Le jeune peuple d’Israël, tout juste sorti d’Egypte a reçu un la visite d’un singulier personnage : Yitro, présenté comme étant le prêtre de Midian et beau père de Moshé et qui aurait décidé de voir ce peuple dont les prodiges accomplis par Dieu en font tant parler.

    Par la suite, la Torah nous ramène le précieux conseil dont Yitro va gratifier son gendre, celui de placer des juges selon leur degré de compétence afin de décharger Moshé des questions dont le peuple lui fait part constamment.

    Le Ramban* sur place pose la question du moment de ce prodigieux conseil, était-ce avant ou bien après le don de la Torah ?

    Cette question est amplifiée plus loin : « Ce fut, le lendemain », le lendemain d’un jour durant lequel Moshé s’assit et jugea le peuple (Chemot 18,13), sans aucune autre précision sur l’évènement en question de la veille.

    Rachi explique qu’il s’agit du lendemain de Yom Kippour. En effet, au verset 16 il va déclarer à Yitro qu’il fait savoir au peuple les lois de Dieu et ses enseignements et de plus, il était matériellement impossible qu’il s’affaire à juger le peuple vu qu’il était descendu le 17 tamouz et a brisé les premières Tables, puis est remonté dès le lendemain tôt durant 80 jours et ce, jusqu’au 10 Tichri, le jour de Yom Kippour. Peu importe si le Don des 10 commandements nous est narré par la suite dans notre Sidra, la Torah se faisant fi de l’ordre chronologique des évènements (אין מוקדם ומאוחר בתורה).

    Ramban ramène la même source Midrachique que Rachi, pointant également que ce jour saint ne peut être précisé clairement, étant donné que la Torah n’a pas encore introduit ce jour.

    Toutefois, il émet une hypothèse différente de celle de Rachi : Il ne peut pas s’agir stricto sensu du lendemain de Kippour, du 11 Tichri. En effet, le 10 Tichri suivant la sortie d’Egypte, ils n’avaient pas encore reçu le commandement et les lois régissant ce jour puisque Moshé est redescendu ce jour ci. Et en supposant que ce fut le cas, le verset précédent nous indique qu’ils ont mangé du pain la veille.

    En outre, le verset (Chemot 34,32) nous indique que le lendemain de sa redescente Moshé s’est adressé au peuple et lui a « ordonné tout ce dont Dieu lui avait dit sur le Mont Sinaï ». Il n’a donc pas pu s’assoir et juger le peuple debout devant lui du matin au soir.

    Enfin, il n’est également pas possible que le texte parle du lendemain de Kippour de l’année suivante car Yitro est reparti « dans son pays vers son lieu natal » lors du voyage des drapeaux des camps et c fut le 20 Iyar (Bamidbar 10,30).

    De ce fait, la date indiquée, à savoir le lendemain de Kippour, n’est qu’un moyen de nous apprendre que ces évènements se sont déroulés par la suite, et non précédemment, car entre le moment où les Enfants d’Israël est arrivé au Mont Sinaï et jusqu’au Yom Kippour de la première année, ils furent tellement occupés qu’ils n’ont pas eu ne serait ce qu’un seul jour vacant pour s’occuper de leurs jugements.

    Pour conclure, la différence d’appréciation entre Ramban et Rachi dans l’interprétation à la lettre de notre Baraytha. Comme tout matériel Midrachique, n’est pas forcément à prendre au pied de la lettre, mais peut parfois l’être par les commentateurs. En voici un exemple concret.

     

    Elie DAYAN

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

     

    כבר נחלקו רבותינו (מכילתא דרבי ישמעאל שמות י״ח:א׳, בבלי זבחים קט״ז.) בפרשה הזאת. יש מהם אומרים כי קודם מתן תורה בא יתרו כסדר הפרשיות, ויש מהן שאמרו שאחר מתן תורה בא.

    ויהי ממחרת – ממחרת היום שעשו זה שנזכר, ישב משה לשפוט את העם. ואמרו במכילתא: ממחרת יום הכפורים (מכילתא דרבי ישמעאל שמות י״ח:י״ג). ואין דעתם לומר שיהיה ממחרת רמז ליום הכפורים, כי יום הכפורים לא נזכר בכתוב שיאמר עליו ממחרת. וגם כן אין הכונה שיהיה ממחרתו ממש, כי לא אכלו ביום הכפורים, אם היה להם יום הכפורים בשנה ראשונה קודם שנצטוו בו. ועוד, כי בו ביום הכפורים נתנו לוחות אחרונות וממחרתו ירד משה ודבר עם בני ישראל ויצום את כל אשר דבר השם אתו בהר סיני (שמות ל״ד:ל״ב), ואיננו יום המשפט שיעמוד העם עליו מן הבקר עד ערב. וגם כן אי אפשר שיהיה בשנה שניה ביום הכפורים, כי בנסוע הדגלים אמר: כי אם אל ארצי ואל מולדתי אלך (במדבר י׳:ל׳). אבל הכוונה לברייתא הזו לומר שהיה זה אחר יום הכפורים, כי אין להם יום פנוי למשפט מיום בואם להר סיני עד אחר יום הכפורים של שנה ראשונה הזאת.

     

  • Bechalah : un territoire trop proche

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

    Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

    Bechala’h : un territoire trop proche

     

    150 ans séparent les commentaires de Rachi et de Ramban. Ils ne vivent ni au même endroit, ni dans le même contexte.

    Ils ont chacun leur style de commentaire, ceux de Rachi sont plus courts et concis que ceux de Ramban.

    Et pourtant Ramban se réfère très souvent à Rachi (plus de 150 fois), comme s’il écrivait un commentaire sur le commentaire de Rachi (cf son introduction déjà citée dans billet sur Chemot).  

     

    Le 1e verset de notre Paracha illustre parfaitement cette situation :

    וַיְהִ֗י בְּשַׁלַּ֣ח פַּרְעֹה֮ אֶת־הָעָם֒ וְלֹא־נָחָ֣ם אֱלֹהִ֗ים דֶּ֚רֶךְ אֶ֣רֶץ פְּלִשְׁתִּ֔ים כִּ֥י קָר֖וֹב ה֑וּא כִּ֣י ׀ אָמַ֣ר אֱלֹהִ֗ים פֶּֽן־יִנָּחֵ֥ם הָעָ֛ם בִּרְאֹתָ֥ם מִלְחָמָ֖ה וְשָׁ֥בוּ מִצְרָֽיְמָה׃

    Or lorsque Pharaon eut laissé partir le peuple, Dieu ne les dirigea point par le pays des Philistins, qui est proche parce que Dieu disait : « Le peuple pourrait se raviser à la vue de la guerre et retourner en Egypte ». (Chemot 13, 17).

     

    Avant de donner son commentaire, Ramban cite d’abord ceux de Rachi et d’Ibn Ezra[1].

    Il nous faut donc d’abord regarder ceux de Rachi et d’Ibn Ezra.

     

    Pour Rachi, le territoire que les enfants d’Israël devaient naturellement traverser étaient trop près de l’Egypte. A tel point qu’à la moindre difficulté rencontrée (et en particulier une guerre), ils rebrousseraient chemin. Car rebrousser chemin est plus facile quand la route à parcourir est courte.

    Quelle guerre pourraient-ils rencontrer ? Pour Rachi, celle menée par Amalek[2].

    Ibn Ezra reprend les mêmes arguments[3].

    L’op

    position de Ramban est d’abord syntaxique. Si la raison de ne pas emprunter le chemin par le territoire philistin est qu’il est trop proche de l’Egypte, il aurait fallu inverser l’ordre des propositions :

    « D’après moi, si leur explication était juste, l’expression « car Dieu dit » aurait été mentionnée en premier dans le verset, auquel cas le verset serait formulé ainsi : « et Dieu ne les mena pas par la Terre des Philistins car Dieu dit : parce qu’il est proche, de peur que le peuple ne change d’avis »[4].

    Mais, puisque « trop près » est placé avant ce que Dieu dit, cela ne peut être la cause de la décision (et le mot ִ כִּ֣י ne peut être traduit par « car »).

    Le deuxième argument concerne le risque de rencontrer une guerre. Selon Rachi, il s’agit de la guerre menée par Amalek. Or, dit Ramban, la guerre menée par Amalek n’est pas liée au territoire traversé puisqu’Amalek s’est porté au-devant des enfants d’Israël[5].

    Donc, le risque de guerre est lié au territoire traversé. Ce qui fait dire à Ramban que ce sont les Philistins eux-mêmes qui ne laisseraient pas les enfants d’Israël traverser en paix.

    « Et le sens de « voir la guerre » est qu’ils auraient dû passer par la Terre des Philistins et que ces derniers ne leur auraient pas permis de traverser leur territoire en paix ; ils allaient en conséquence retourner en Egypte. D’un autre côté, en empruntant le chemin du désert, ils ne rencontreraient pas la guerre avant d’avoir atteint leur propre pays, le pays de Si’hon et Og, les rois d’Emor, qui leur sera accordé et à ce moment-là, ils seront éloignés de l’Egypte [avec peu de chance d’y retourner] »[6].

     

    En résumé, Rachi et Ramban s’accordent sur le fait que le territoire initial à traverser est proche de l’Egypte, que les enfants d’Israël risquent de rencontrer la guerre et qu’ils risquent donc de faire marche arrière.

    Pour Rachi, l’accent est mis sur le fait que le territoire est trop proche de l’Egypte et que donc le risque de faire marche arrière est trop grand, car très facile.

    Pour Ramban, l’accent est mis sur le fait que la probabilité de rencontrer la guerre est trop forte, ce qui accentue le risque de rebrousser chemin (d’autant plus facile que le territoire est proche de l’Egypte).

     

    Au final, cela change peu de choses. La conséquence est que les enfants d’Israël ont pris le chemin le plus long évitant ainsi la guerre (au moins au début).

    Ce qui fait conclure le Dr. Bonchek de la manière suivante :

    « Nous voyons à partir de cet exemple que le Ramban sentit la nécessité de réfuter Rachi lorsqu’il pensa que son interprétation du verset n’était pas juste, même s’il se peut qu’il n’y ait pas de différence pratique ou significative entre les deux interprétations. Connaître le sens précis des termes de la torah est une raison suffisante pour clarifier le p’chat »[7].

     

    Noémie LEBEN

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original : cf. notes 

     


    [1] כי קרוב הוא – ונח לשוב באותו הדרך למצרים. ומדרשי אגדה יש הרבה. לשון רש״י.

    וגם הוא דעת ר״א, כי טעם ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים בעבור כי קרוב הוא וינחמו וישובו אל מצרים מיד.

     

    [2] כי קרוב הוא – ונוח לשוב באותו הדרך למצרים. ומדרשי אגדה הרבה יש.

    בראותם – מלחמת וירד העמלקי והכנעני וגו׳ (במדבר י״ד:מ״ה), אם הלכו דרך ישר היו חוזרין. אם כשהקיפו דרך מעוקם, אמרו: נתנה ראש ונשובה מצרימה (במדבר י״ד:ד׳), אם הוליכן בפשוטה, על אחת כמה וכמה.

    פן ינחם – יחשבו מחשבה על שיצאו ויתנו לב לשוב.

     

    [3] וטעם כי קרוב הוא – כי בין ארץ מצרים על הדרך הישרה ובין ארץ כנען עשרה ימים. והנה לא ראו מלחמה, והיו עבדים תחת יד אחרים, והנה כאשר יצא פרעה אחריהם, אין בהם מרים יד. גם עמלק יצא על ישראל במתי מעט, וזינב אחריו, והיה נחלש מפניו לולי משה בחירו.

     

    [4] ועל דעתי: אם היה כדבריהם, היה כי אמר אלהים מוקדם, ויאמר הכתוב: ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים כי אמר אלהים כי קרוב הוא פן ינחם העם.

     

    [5] ולשון רש״י: בראותם מלחמה – כגון מלחמת הכנעני והעמלקי. אם הלכו בדרך ישרה היו חוזרין, מה אם כשהקיפם דרך מעוקם אמרו: נתנה ראש ונשובה מצרימה (במדבר י״ד:ד׳), אם הוליכן בפשוטה על אחת כמה וכמה. מכילתא.

    והענין הזה שאמר ולא נחם אלהים, ויסב אלהים את העם דרך המדבר – כי בנסעם מסכות החל עמוד הענן ללכת לפניהם ולא הלך דרך ארץ פלשתים, אבל הלך דרך מדבר איתם וישראל הלכו אחריו, וישכון הענן באיתם ויחנו שם והוא בקצה המדבר.

     

    [6] אבל הנכון שיאמר ולא נחם אלהים דרך ארץ פלשתים – אשר הוא קרוב וטוב לנחותם בדרך ההוא, כי אמר אלהים פן ינחם העם בראותם מלחמה ושבו מצרימה. וטעם המלחמה, שיהיה להם לעבור דרך ארץ פלשתים, ופלשתים לא יתנום לעבור בשלום וישובו למצרים. אבל בדרך המדבר לא יראו מלחמה עד היותם בארצם, בארץ סיחון ועוג מלכי האמורי שהיא נתונה להם ורחוקים הם ממצרים בעת ההיא. ומלחמת עמלק ברפידים לא היתה ראויה לשוב בעבורה, כי הם לא יעברו עליהם, והוא שבא מארצו ונלחם בהם לשנאתו אותם, ואם יתנו ראש לשוב למצרים לא יועיל כי ילחם בהם בדרך, וגם רחוקים היו ממצרים בדרך העקום אשר הלכו בה ולא ידעו דרך אחרת.

     

    [7] “Ce qui dérange Rachi - Chemot” Dr. Avigdor Bonchek, P. 137

  • De la nature des miracles chez Na'hmanide

     PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

           Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900

    De la nature des miracles – ou les miracles du naturel

    Ramba”n sur la Parashat Bo

     

    La parashat bo se finit sur un des passages peut-être les plus connus[1] de Nachmanide.

     

    Au détour d’un commentaire sur les tefilin, Nachmanide s’étend sur une considération générale quant à raison d’être des différentes mitsvot. Son exposé pourrait se résumer à :

     

    • Considération sur les deux formes principales d’hérésie qui se perpétuent dans l’humanité : olam-kadmon, éternité du monde – refus de l’idée de création divine et, négation de la providence – foi en un monde laissé à lui-même sans intervention divine.
    • Face à ces deux formes d’hérésie, les miracles prennent une place de première importance : ils prouvent l’existence d’un Dieu créateur qui dépasse les lois naturelles, et prouvent l’intervention – et donc la providence- divine au-delà du moment T de la création[2]
    • Si les miracles sont perpétrés ou annoncés par un prophète, ils revêtent une importance supplémentaire, prouvant l’existence de la prophétie[3]
    • Les mitsvot perpétuent la conscience et la mémoire des miracles passés ; et ainsi, nous permettent de nous conforter dans les croyances précédemment citées.

     

    Ce premier exposé mériterait un développement en soi, mais nous nous concentrerons sur la dernière partie du commentaire.

    Dans sa dernière partie, Nahmanide effectue un glissement supplémentaire : si les miracles sont primordiaux, nous faisant prendre conscience de l’existence d’un Dieu créateur et de la Providence, ils nous permettent de plus, de prendre conscience de l’omniprésence des miracles dans notre quotidien :  - Le langage employé est extrême, et en fait une des citations les plus connues :

    « Et les miracles connus permettent à l’homme de prendre conscience des miracles cachés ; cette conscience est un des piliers de la foi au point où l’on peut dire qu’une personne n’ayant pas foi que notre vie entière n’est que miracle, loin d’une causalité naturelle ne peut être considérée comme appartenant à l’alliance de Moïse »

     

    L’affirmation de Nahmanide est ici extrême. Ainsi, tout n’est que miracle, et les évènements naturels ne sont qu’illusion car tous dirigés par Dieu.

    Cette affirmation est reprise dans d’autres écrits comme la Drasha Torat Hashem Temima[4].

               

    Ce court passage pose bien évidemment le problème de nature vs. miracle. Voyons succinctement les principales opinions sur ce sujet[5].

    L’opinion d’Aristote, telle que citée par Maimonide, refuse la possibilité des miracles. On pourrait par exemple citer :

    « Aristote pretend que cet univers entier, tel qu’il est a toujours été et sera toujours ainsi ; que la chose stable n’est point sujette à la naissance et à la corruption, c’est-à-dire que le ciel ne cesse jamais d’être tel qu’il est ; que le temps et les mouvements sont éternels et permanents »[6]

     

    A l’extrême opposé de cette opinion, se trouve celle des Metoukalamin– elle aussi repoussée par Maimonide. Pour ces derniers, il ne saurait exister de lois naturelles et tout n’est que volonté divine :

    « … Selon cette opinion, ils ont été obligés d’admettre que tout mouvement et repos des animaux est prédestiné, et que l’homme n’a absolument aucun pouvoir de faire ou de ne pas faire une chose … »[7]

     

    Où se trouve l’opinion de Nahmanide entre ces deux opinions ? Il semble que ni dans l’une ni dans l’autre. Si Maimonide repousse l’opinion d’Aristote, c’est qu’elle ne pas de place à la Providence, et si il repousse celle des Metoukalamin, c’est qu’elle ne laisse pas de place au libre-arbitre. Ces deux « écueils » ne se retrouvent pas dans l’opinion de Nahmanide.

     

    Qu’en est-il de Maimonide lui-même ? Notons tout d’abord que Nahmanide s’y oppose nommément. Ainsi, dans Drashat Torat Hashem Temima, on peut lire :

    « On ne pourra que s’étonner de l’opinion de Maimonide qui réduit à leur strict minimum les miracles et fait prévaloir la nature. »

    En effet, en plusieurs endroits, on peut voir que Maimonide cherche au maximum à prévaloir le maintien des lois naturelles, cherchant dès qu’il en possible à donner une explication naturelle aux faits relatés. Cette démarche est par exemple, explicitement écrite dans l’epitre sur la résurrection : « Tant que nous pouvons expliquer un fait sans avoir recours au miracle, nous le ferons » [8].

     

    Mais recentrons le sujet. Si le Rambam réduit au maximum les miracles, il ne parle que de ceux qui transcendent les lois de la nature. De plus, à aucun moment, il ne nie la possibilité de miracles. Mieux encore, il en fait lui aussi un fondement de la foi[9].

     

    Le sujet qui nous préoccupe et à partir duquel nous avons commencé est celui des « miracles cachés », ceux qui ne rompent pas les lois de la nature -ceux-là même que Nahmanide voit « partout ». S’il n’y a pas de rupture réelle avec le cheminement naturel, Maimonide s’opposerait il aussi ? Nachmanide met en avant une Providence a l’extrême, et Maimonide combat les opposants à l’idée de Providence. Qu’en est-il ? Où est le point de divergence -s’il y en a un, entre les deux grands maîtres ?

    Divergence, il semble clairement qu’il y en ait :

    • Nachmanide prend une position encore plus extrême dans un autre texte[10] : si la nature est, en quelque sorte, un leurre, alors les maladies ne sont jamais que le fruit des fautes de l’homme. Dès lors, selon ce maitre, il ne fait pas moins sens face à une maladie de se repentir et s’en remettre à Dieu que de consulter un médecin[11].
      Cette opinion semble difficilement acceptable selon Maimonide.
    • Limiter la nature à une succession infinie d’interventions divines en fonction des actions des hommes – comme le fait Nahmanide- revient à prôner une extrême Providence envers tous les hommes. Or, Maimonide réduit cette extrême Providence a une élite, laissant d’ailleurs le reste de l’humanité aux proies des … lois naturelles.

     

    Si l’opinion de Nahmanide semblait difficile acceptable de prime abord, elle apparait après réflexion comme étant plus simple : la nature ne fait que masquer une Providence extrême et systématique. Les miracles tout comme la nature ne sont que l’expression constante du jugement de Dieu.

    Maimonide, par contre, décrit un schéma plus complexe – schéma dans lequel la nature et le maintien de sa régularité sont primordiaux mais qui peuvent être perturbés par des miracles. Schéma dans lequel la Providence peut s’exprimer à travers des miracles comme à travers la nature, mais une Providence qui laisse parfois les hommes aux proies de la loi naturelle.

     

    Benjamin Sznajder

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

    Texte original :

    רמב"ן שמות פרק יג
    ועתה אומר לך כלל בטעם מצות רבות. הנה מעת היות ע"ג בעולם מימי אנוש החלו הדעות להשתבש באמונה, מהם כופרים בעיקר ואומרים כי העולם קדמון, כחשו בה' ויאמרו לא הוא, ומהם מכחישים בידיעתו הפרטית ואמרו איכה ידע אל ויש דעה בעליון (תהלים עג יא), ומהם שיודו בידיעה ומכחישים בהשגחה ויעשו אדם כדגי הים שלא ישגיח האל בהם ואין עמהם עונש או שכר, יאמרו עזב ה' את הארץ. וכאשר ירצה האלהים בעדה או ביחיד ויעשה עמהם מופת בשנוי מנהגו של עולם וטבעו, יתברר לכל בטול הדעות האלה כלם, כי המופת הנפלא מורה שיש לעולם אלוה מחדשו, ויודע ומשגיח ויכול. וכאשר יהיה המופת ההוא נגזר תחלה מפי נביא יתברר ממנו עוד אמתת הנבואה, כי ידבר האלהים את האדם ויגלה סודו אל עבדיו הנביאים, ותתקיים עם זה התורה כלה:
    ולכן יאמר הכתוב במופתים למען תדע כי אני ה' בקרב הארץ (לעיל ח יח), להורות על ההשגחה, כי לא עזב אותה למקרים כדעתם. ואמר (שם ט כט) למען תדע כי לה' הארץ, להורות על החידוש, כי הם שלו שבראם מאין ואמר (שם ט יד) בעבור תדע כי אין כמוני בכל הארץ. להורות על היכולת, שהוא שליט בכל, אין מעכב בידו, כי בכל זה היו המצריים מכחישים או מסתפקים. אם כן האותות והמופתים הגדולים עדים נאמנים באמונת הבורא ובתורה כלה:
    ובעבור כי הקדוש ברוך הוא לא יעשה אות ומופת בכל דור לעיני כל רשע או כופר, יצוה אותנו שנעשה תמיד זכרון ואות לאשר ראו עינינו, ונעתיק הדבר אל בנינו, ובניהם לבניהם, ובניהם לדור אחרון. והחמיר מאד בענין הזה כמו שחייב כרת באכילת חמץ (לעיל יב טו) ובעזיבת הפסח (במדבר ט יג), והצריך שנכתוב כל מה שנראה אלינו באותות ובמופתים על ידינו ועל בין עינינו, ולכתוב אותו עוד על פתחי הבתים במזוזות, ושנזכיר זה בפינו בבקר ובערב, כמו שאמרו (ברכות כא א) אמת ויציב דאורייתא, ממה שכתוב (דברים טז ג) למען תזכור את יום צאתך מארץ מצרים כל ימי חייך, ושנעשה סכה בכל שנה:
    וכן כל כיוצא בהן מצות רבות זכר ליציאת מצרים. והכל להיות לנו בכל הדורות עדות במופתים שלא ישתכחו, ולא יהיה פתחון פה לכופר להכחיש אמונת האלהים. כי הקונה מזוזה בזוז אחד וקבעה בפתחו ונתכוון בענינה כבר הודה בחדוש העולם ובידיעת הבורא והשגחתו, וגם בנבואה, והאמין בכל פנות התורה, מלבד שהודה שחסד הבורא גדול מאד על עושי רצונו, שהוציאנו מאותו עבדות לחירות וכבוד גדול לזכות אבותיהם החפצים ביראת שמו:
    ולפיכך אמרו (אבות פ"ב מ"א) הוי זהיר במצוה קלה כבחמורה שכולן חמודות וחביבות מאד, שבכל שעה אדם מודה בהן לאלהיו, וכוונת כל המצות שנאמין באלהינו ונודה אליו שהוא בראנו, והיא כוונת היצירה, שאין לנו טעם אחר ביצירה הראשונה, ואין אל עליון חפץ בתחתונים מלבד שידע האדם ויודה לאלהיו שבראו, וכוונת רוממות הקול בתפלות וכוונת בתי הכנסיות וזכות תפלת הרבים, זהו שיהיה לבני אדם מקום יתקבצו ויודו לאל שבראם והמציאם ויפרסמו זה ויאמרו לפניו בריותיך אנחנו, וזו כוונתם במה שאמרו ז"ל (ירושלמי תענית פ"ב ה"א) ויקראו אל אלהים בחזקה (יונה ג ח), מכאן אתה למד שתפלה צריכה קול, חציפא נצח לבישה (עי' ערוך ערך חצף):
    ומן הנסים הגדולים המפורסמים אדם מודה בנסים הנסתרים שהם יסוד התורה כלה, שאין לאדם חלק בתורת משה רבינו עד שנאמין בכל דברינו ומקרינו שכלם נסים אין בהם טבע ומנהגו של עולם, בין ברבים בין ביחיד, אלא אם יעשה המצות יצליחנו שכרו, ואם יעבור עליהם יכריתנו ענשו, הכל בגזרת עליון כאשר הזכרתי כבר (בראשית יז א, ולעיל ו ב). ויתפרסמו הנסים הנסתרים בענין הרבים כאשר יבא ביעודי התורה בענין הברכות והקללות, כמו שאמר הכתוב (דברים כט כג כד) ואמרו כל הגוים על מה עשה ה' ככה לארץ הזאת, ואמרו על אשר עזבו את ברית ה' אלהי אבותם, שיתפרסם הדבר לכל האומות שהוא מאת ה' בעונשם. ואמר בקיום וראו כל עמי הארץ כי שם ה' נקרא עליך ויראו ממך. ועוד אפרש זה בעזרת השם (ויקרא כו יא):
     


    [1] Au point d’etre devenu un chant h’assidique… https://www.youtube.com/watch?v=Gu3fF7ROUyU

    [2] Nous noterons que Maimonide ne fait pas des miracles une preuve que le monde est créé mais prend -étonnamment ! – le raisonnement àl’envers : si le monde n’était pas créé, les miracles seraient dès lors impossibles (voir Guide des Egares II,25)

    [3] Nous noterons ici aussi les nuances avec la pensee de Maimonide dans Ilh’ot Yessodey Hatora VIII,1

    [4] Kitvey Haramban I, pages 150 et suivantes

    [5] Les differentes opinions ont ete tres clairement resumees dans l’article d’Alex Klein http://www.daat.ac.il/he-il/mahshevet-israel/dat-umada/ness.htm

    [6] Guide des Egares, II, 13

    [7] Guide des Egares, III, 17

    [8] Page 361 dans l’edition du Rav Shilat

    [9] Voir note 1

    [10] Commentaire sur Vayikra, XXVI,11

    [11] Cet avis est d’ailleurs, repris par le H’azon Ish dans Emouna-Ou-Bitah’on V,5

  • Le danger du Hamets

    Paracha BO

     

    par David SCETBON 

    david-s-photo.jpg

       

    LES DANGERS DU HAMETZ

    Ces quelques lignes se veulent juste une présentation d’un texte qui nous a marqué. La Torah nous dit « car par une main forte Hachem vous a sortis et il ne sera pas mangé de hametz. A lire ce verset on perçoit bien que la Torah pose un lien de causalité entre les deux membres de la phrase. Autrement dit, l’interdiction de hametz est une résultante directe du geste divin. En quoi ?

    Rabenou Behayé répond ainsi : « la Torah vient nous apprendre que le hametz fait allusion à l’[attribut  divin de] rigueur et du fait que les enfants d’Israël ont perçu la Grande main qui est l’attribut de rigueur, c’est la raison pour laquelle Il leur a interdit et a éloigné d’eux le hametz, pour leur faire allusion au fait qu’il doivent s’éloigner de croire en le seul attribut de rigueur pour qu’il ne coupent pas les plantations et ne croient que l’attribut de rigueur seul a fait [tout] cela […] C’est ce qu’il y a écrit dans la création du monde : « Au commencement, Elokim [attribut de rigueur] créa, et ensuite « au jour où l’Eternel  [Tétragramme, attribut de miséricorde] Elokim fit […] »

    C’est la raison pour laquelle la Torah nous dit « car par une main forte Hachem vous a sortis et il ne sera pas mangé de hametz » car c’est l’attribut de miséricorde qui les a sortis, et non la seule main [l’attribut de rigueur]. Et telle est la raison de l’interdiction du hametz selon la voie kabbalistique, et c’est la raison pour laquelle la Torah a sanctionné celui qui consomme du hametz à Pessah, par la peine de retranchement, mesure pour mesure, car quiconque mange du hametz à Pessah coupe les plantations et il est donc retranché ».

    Deux points nécessitent d’être précisés. Tout d’abord, l’expression « couper les plantations » : il s’agit là de la manière du Talmud pour exprimer une hérésie. Rabenou Behayé place donc l’enjeu de cet interdit à un niveau fondamental, consommer le hametz à Pessah c’est se méprendre sur D.ieu lui-même, sur son rapport au monde. Cela explique d’après lui, que la sanction en soit le retranchement.

    Le second point est l’assimilation opérée entre hametz et attribut de rigueur. Si Rabenou behayé n’en dit pas plus, ce point est précisé par le Nahmanide dans son commentaire sur Vayikra 23/17. Le hametz est un processus de dégradation, de dévoiement d’un équilibre. Nahmanide souligne que le terme hametz présente une racine commune avec le vocable de la colère.

     Ces textes parlent d’eux-mêmes et ne nécessitent pas vraiment de commentaires. Contentons-nous juste de quelques explicitations. Il faut d’abord les prendre avec une certaine prudence, du fait des allusions kabbalistiques auxquelles ils font référence, et qui ne sont tout simplement pas à notre portée.

    Ce qui nous est dit ici, c’est que le déchainement des plaies, qui donne lieu à la libération du Peuple d’Israël ne va pas sans une certaine fascination. Or cette fascination est source d’erreur, pousse à ne plus voir tout cela que comme un déchainement brutal de la puissance divine. Cette erreur est tellement grave qu’elle est qualifiée par l’auteur d’hérésie (c’est le sens de l’expression consacrée « couper les plantations »), ne plus pouvoir voir que l’expression de la rigueur. Or comme on le sait, la finalité de la sortie d’Egypte réside dans la manifestation la plus haute de la gloire divine, qui commencera à la traversée de la Mer rouge, pour se finir au Sinaï.

    C’est pour éviter ce dangereux écueil que la Torah nous enjoint de cesser la consommation de hametz, ne pas ingérer, se pénétrer, s’alimenter, pas même posséder ce qui est le symbole de cet attribut de rigueur. Rompre avec cette fascination. Sans cela, on est habité par une erreur qui nous rend indisponible à l’objectif même de cette sortie.

  • De la dureté du cœur

          PROJET RAMBAN* SUR LA PARACHA

       Nahmanides wall painting in acre israel 1599x900    

    De la dureté du cœur.

    Lecture d’un commentaire du Ramban sur Vaéra.

     

    Le sujet que nous voulons aborder est nourri d’une littérature abondante. Il s’agit du thème de l’endurcissement du cœur de Pharaon lors des dix plaies. La plupart des commentateurs y ont vu une injure à la justice divine. En effet, comment comprendre que Dieu demande à Pharaon de renvoyer le peuple élu, alors que dans le même mouvement il l’en empêche en durcissant son cœur. Le problème est d’autant plus crucial que le thème est annoncé dès le début de la mission de Moïse, comme si celui-ci était un passage obligé de la sortie d’Egypte. Ramban hérite de cette très abondante littérature, et va montrer que les versets supportent deux lectures parallèles qui soulèvent chacune d’elles des problématiques différentes. Ce qui nous permettra de voir en quoi une question qui semble de prime abord théologique vise chaque homme dans son rapport éphémère à Dieu.

    Voici le texte traduit, et découpé pour faciliter les repérages par la suite.

    Et moi j’endurcirai le cœur de Pharaon (Chémot 7.3, lorsque Dieu ordonne à Moïse de parler à Pharaon pour annoncer les premières plaies).

    A] Ils ont dit dans le Midrash Rabba (sur Chémot 5.6, lorsque Dieu missionne Moïse pour la première fois) : Dieu dévoile à Moïse qu’il va endurcir le cœur de Pharaon afin qu’il le juge pour avoir asservit excessivement les hébreux.

    B] Un autre Midrash (sur 13.4) explique le verset ‘et moi je vais alourdir son cœur’ : 1) « Rabbi Yohanan affirme qu’il y a là une ouverture pour les renégats pour affirmer que Dieu a empêché Pharaon de revenir sur ses erreurs. 2) Rabbi Chimone dit ‘ que la bouche des renégats soit bouchée, car Dieu « se moque des moqueurs » ; il prévient la personne trois fois, s’il ne se corrige pas, c’est alors seulement qu’il fermer la porte du retour, et lui fait payer ses fautes. C’est ce qui se passa pour Pharaon, puisqu’à cinq reprises Dieu l’avertit, sans qu’il n’y prête attention, Dieu lui dit ‘tu as endurcis ta nuque, tu as alourdi ton cœur, je vais ajouter de l’erreur à ton erreur. ».

    Le Midrash se préoccupe de la question posée par tous : si Dieu a endurcit son cœur, quelle est sa faute ? Il y a deux réponses, également vraies.

    C] La première c’est que Pharaon, par la méchanceté gratuite envers Israël, a limité par lui-même sa capacité à se repentir. Ce phénomène est attesté par de nombreux versets. Et c’est pour ses premières actions (asservir les hébreux) qu’il a été puni.

    D] 1) La seconde raison, c’est que la moitié des plaies étaient dues à son comportement, car pour les [cinq première plaies] il est dit que Pharaon endurcit lui-même son cœur (Chémot 7.13, 7.22, 7.8, 7.15, 8.28 et 9.7). Il n’a pas voulu renvoyer le peuple et respecter Dieu ; mais lorsque les plaies sont devenues trop puissantes et qu’il ne put les supporter, il s’est amollit, et voulu les renvoyer pour arrêter sa souffrance, et non pour accomplir la volonté de son créateur. 2) A ce moment, Dieu endurcit son cœur afin qu’on raconte Son Nom, comme le dit un verset ‘Je grandirai, identifié, et reconnu parmi les nations’.

    3) Quant à ce qui est écrit avant même les plaies (Chémot 4.21) « et moi j’endurcirai son cœur et il n’enverra pas le peuple », il s’agissait de faire savoir à Moïse ce qui se produira lors des [cinq] dernières plaies ;  comme il avait déjà été annoncé (3.19), « et Moi je sais que le roi égyptien ne vous permettra pas de sortir ;  c’est la raison pour laquelle j’endurcirai le cœur de Pharaon, multipliant mes prodiges », c’est-à-dire dans le but de multiplier mes miracles au cœur de l’Egypte. 4) Dans les cinq dernières plaies ainsi que dans l’engloutissement par la mer, il est dit que « Dieu endurcira son cœur » (14.8), car « le cœur du roi est dans la main de Dieu, et il l’incline partout où il veut » (Proverbes 21.1)

    רמב"ן שמות פרק ז פסוק ג

     

    (ג) ואני אקשה את לב פרעה - אמרו במדרש רבה (שמו"ר ה ו) גילה לו שהוא עתיד לחזק את לבו בעבור לעשות בו הדין, תחת שהעבידם בעבודה קשה. ועוד שם (יג ד) כי אני הכבדתי את לבו (להלן י א), אמר רבי יוחנן מכאן פתחון פה למינין לומר לא היתה ממנו שיעשה תשובה. אמר רבי שמעון בן לקיש יסתם פיהם של מינין, אלא אם ללצים הוא יליץ (משלי ג לד), מתרה בו פעם ראשונה ושניה ושלישית ואינו חוזר בו והוא נועל בו דלת מן התשובה כדי לפרוע ממנו מה שחטא. כך פרעה הרשע, כיון ששגר הקדוש ברוך הוא אצלו חמש פעמים ולא השגיח על דבריו, אמר לו הקדוש ברוך הוא אתה הקשית את ערפך והכבדת את לבך, הריני מוסיף לך טומאה על טומאתך:

    והנה פירשו בשאלה אשר ישאלו הכל, אם השם הקשה את לבו מה פשעו, ויש בו שני טעמים ושניהם אמת. האחד, כי פרעה ברשעו אשר עשה לישראל רעות גדולות חנם, נתחייב למנוע ממנו דרכי תשובה, כאשר באו בזה פסוקים רבים בתורה ובכתובים, ולפי מעשיו הראשונים נדון. והטעם השני, כי היו חצי המכות עליו בפשעו, כי לא נאמר בהן רק ויחזק לב פרעה (להלן פסוק יג, כב, ח טו), ויכבד פרעה את לבו (להלן ח כח, ט ז). הנה לא רצה לשלחם לכבוד השם, אבל כאשר גברו המכות עליו ונלאה לסבול אותם, רך לבו והיה נמלך לשלחם מכובד המכות, לא לעשות רצון בוראו. ואז הקשה השם את רוחו ואמץ את לבבו למען ספר שמו, כענין שכתוב והתגדלתי והתקדשתי ונודעתי לעיני גוים רבים וגו' (יחזקאל לח כג):

    ואשר אמר קודם המכות (לעיל ד כא) ואני אחזק את לבו ולא ישלח את העם, יודיע למשה העתיד לעשות בו במכות האחרונות, כענין שאמר (לעיל ג יט) ואני ידעתי כי לא יתן אתכם מלך מצרים להלוך. וזה טעם ואני אקשה את לב פרעה והרבתי את אותותי, כלומר שאקשה לבו למען רבות מופתי בארץ מצרים. כי בחמש מכות האחרונות גם בטביעת הים נאמר ויחזק ה' (להלן יד ח), כי לב מלך ביד ה' על כל אשר יחפוץ יטנו (משלי כא א):

     

    La première réponse (C]) donnée par le Midrash (A]) consiste à dire que Pharaon s’est fermé lui-même les portes de la repentance en assujettissant durement le peuple. Lorsque Dieu frappé par les cris des hébreux s’adresse à Moïse, le sort de l’Egypte et de son roi sont scellés. Ils ne pourront y échapper quitte à endurcir le cœur de Pharaon, afin d’établir la justice. Le texte de la Torah n’est pas explicite, ne justifie pas explicitement l’attitude divine ; c’est la position de Rabbi Yohanan citée dans le second MIdrash (B] 1)) qui assume que le texte puisse laisser penser à des esprits mal intentionnés que Dieu est inique.

    Rabbi Chimone (B]1)  fait remarquer que Dieu n’a endurci le cœur de Pharaon qu’au cours des cinq dernières plaies.  Rabbi Chimone[1] ne fait appel –comme le Midrash A]- à la dureté de l’esclavage imposée par Pharaon ; pour lui ce qui justifie que Dieu empêcha la repentance de Pharaon est la dynamique négative dans laquelle lui-même s’est enfermé. Il n’y a pas véritablement de faute, uniquement une dynamique amplifiée par Dieu. Le Ramban ne s’attarde pas sur cette lecture. Il laisse le lecteur du Midrash faire son travail. De ce Midrash, il retient tout de même une remarque formelle importante : Dieu n’endurcit explicitement le cœur de Pharaon qu’au cours des cinq dernières plaies.

    Ramban va s’emparer de cette remarque pour proposer sa propre réponse. Celle-ci vise à rendre compte de la fin du verset qu’il commente (7.3) : ‘et je multiplierai mes prodiges au sein de la terre [d’Egypte]’. Le commentateur y décèle un message destiné au peuple égyptien à travers l’endurcissement du cœur de son chef. Le schéma est le suivant : Dieu veut que Pharaon libère le peuple non pas pour s’épargner les plaies, mais pour qu’il Le reconnaisse, lui ainsi que son peuple. Si Pharaon n’avait pas endurci son cœur au départ, il aurait libérer le peuple, cette libération témoignerait d’une réelle prise de conscience libre, même si elle a été suscitée par les cinq premières plaies. Or Pharaon n’a pas libéré le peuple ; Dieu poursuit son but par les moyens qu’il possède : il veut une reconnaissance de la part de l’Egypte et de son roi. Il continue à envoyer des plaies, mais donne la force de les supporter, il donne la force à Pharaon de ne pas céder, il contraint Pharaon et le peuple à se maintenir ferme dans leur décision initiale, il maintient –malgré eux – leur libre arbitre[2]. Dieu se montre à travers les plaies qu’il inflige à l’Egypte, mais il se montre en maintenant la force d’opposition du peuple égyptien. Dieu sait dès le départ que le peuple égyptien ne veut pas se séparer du peuple hébreu[3]. C’est pourquoi, de façon nécessaire, Dieu sera amené à endurcir le cœur de Pharaon, pour qu’il puisse se maintenir fermement dans décision initiale. Il ne s’agit pas de torturer les égyptiens mais de les amener à comprendre ma puissance.

    Lorsque Pharaon renvoie le peuple, après la mort des premiers nés, il demande au peuple « de le bénir ». Le Ramban (sur Chémot 14.4) voit un aveu dans cette demande : la reconnaissance des hébreux en tant que peuple ayant une préséance auprès de Dieu.

    Le problème c’est que Ramban finit ce commentaire par une allusion à un dernier endurcissement : celui qui consista à poursuivre les hébreux jusque la mer rouge, après les avoir renvoyé. Ramban lisant l’endurcissement du cœur comme la possibilité offerte aux hommes d’aller à la pointe la plus extrême de leur décision, même si les éléments se déchainent contre une telle possibilité, explique alors cet épisode : Dieu endurcit le cœur de Pharaon jusqu’à l’absurdité qui consiste à entrer dans une mer qui s’ouvre devant les hébreux, la traversant à pied secs, ‘comment se peut-il qu’ils soient arrivés à une telle folie ? si ce n’est que Dieu endurcit leur cœur’.

    Tous les commentateurs voient dans l’endurcissement du cœur de Pharaon une contradiction ou une limite au le libre arbitre qui fonde la responsabilité des hommes vis-à-vis de leur fautes ; Ramban y voit au contraire une possibilité offerte par Dieu à s’affranchir des fausses raisons de la repentance, des demi-mesures qui nous font revenir parce qu’on craint pour soi, parce qu’on n’ose pas aller trop loin. Pour une fois dans l’histoire des hommes, Dieu donne carte blanche à l’homme pour aller au bout de son désir sans s’encombrer des fausses raisons qui le limite. C’est alors seulement que l’homme, arrivé au terme de son désir, à l’extrême pointe de sa liberté, rencontre fugacement Dieu. Sentiment hautement éphémère, puisqu’il ne se maintient que les quelques jours qui permettent au peuple de s’enfuir.

    A plusieurs reprises Ramban[4] fait remarquer que Pharaon avait connaissance du nom de Dieu Elokim, lui faisait défaut la connaissance du tétragramme. Cette connaissance ne peut se faire qu’en dehors du cadre des limites imposées par l’existence, la ‘nature des choses’, qui sont dites dans la Torah à travers le nom Elokim. L’histoire de la rencontre de Pharaon et des égyptiens avec Dieu-tétragramme ne se produit qu’une fois éliminées les couardises et les faux-fuyants de l’existence. L’audace nécessaire à cette rencontre a été prêtée par Dieu lui-même. Cette rencontre s’est traduite par le renvoie des hébreux mais –dans le langage du Ramban- par cette demande de bénédiction.

    Ramban (sur 12.32) commente cette demande ainsi : « lorsque vous sacrifierez à Dieu ainsi que vous l’avez demandé, et que vous prierez pour vous, afin que ne vous atteigne ni la peste ni le glaive, mentionnez-moi aussi ». Le glaive dont il s’agit ici, est celui qui est en jeu dans la hagada : c’est le glaive suspendu sur Jérusalem, c’est le lieu où la puissance divine s’arrête, octroie un sursis ; le lieu entre la vie et la mort, et où finalement on choisit la vie ; dans la langue du Ramban (sur chémot 5.3) : « c’est le secret des sacrifices, qui protègent de l’atteinte ».

    Le moment de la rencontre entre Dieu et Pharaon, est ce moment où il est à découvert, reconnaissant son besoin de protection contre les éléments qui menacent, c’est ce moment qui réclame l’audace d’exister à ce point ultime de fragilité, le plus loin possible de la solidité et de la dureté dont a témoigné Pharaon envers le peuple de migrants qu’il accueilli. C’est ce qu’il est crucial de montrer aussi bien aux égyptiens qu’aux hébreux qui s’apprêtent à recevoir la Torah, par-delà les dessins de l’Histoire.

     

    Franck Benhamou

     

     

     

    * Moché ben Na'hman (Na'hmanide), Gérone 1194- Acre 1270

     

     


    [1] Rabbi Chimone cherche à purger le texte des traces d’iniquités qui pourraient s’y lire. Voir Yoma 38b.

    [2] C’est ainsi que Ramban contourne la très célèbre question par Maïmonide dans ses huit chapitres : Dieu peut-il enlever le libre arbitre aux hommes ?

    [3] Voir commentaire du Ramban sur Chémot 1.10, qui s’oppose à Rachi.

    [4] Voir commentaire sur 5.3.

  • La bénédiction de Yossef

                                        Cycle : la Paracha selon le SFORNO*                                                                         

     

                                               Sforno 1                                        

    Parashat Vayeh’i – La bénédiction de Yossef

     

     

    Notre parasha contient de nombreux (et beaux !) versets relatant les bénédictions que Ya’akov accorde à ses enfants avant de mourir.

    L’interprétation de ces versets est sujet à discussions chez nos commentateurs. Nous nous attacherons à l’explication du Sforno sur la bénédiction accordée à Yossef.

     

    ״בן פורת יוסף – בן פורת עלי עין – בנות צעדה עלי שור״

     

    Le sens -même littéral ! - de ce verset ne fait pas l’unanimité. Il serait trop long de faire l’exposé des différents avis…

    Le Sforno, suivant l’avis d’autres pashtanim – tel que Hizkouni – explique le terme ״בן״ comme désignant une branche.

    Le verset se lirait donc : « Telle une branche, est Yossef, telle une branche au bord d’une source d’eau. Les branches en sortant longent de la muraille »

    On imagine aisément les branches de roseau poussant au bord du ruisseau, faisant d’autres multiples petites branches qui finissent, à terme, à dépasser même le muret de pierres jouxtant la source.


    Sforno ne s’arrête pas à expliquer le sens des mots. Il continue en renvoyant ce verset à la vie de Yossef ; et en cela, il innove par rapport aux autres pashtanim.

    Le roseau est ignoré des hommes vivant de l’autre côté de la muraille. Et, un jour, il dépasse de sa hauteur le mur et on découvre son existence. Pour Sforno, voilà résumée la vie de Yossef et son père Yaakov. Ce dernier ignorait tout de la vie que Yossef menait « caché par la muraille ». Et, un jour, une branche apparait en haut de la muraille ; il y a une végétation cachée, il y a un Yossef en vie…

    Sforno apparait ici encore comme un maître du pshat – s’attachant au sens premier des mots, il arrive à faire vibrer le verset dans son sens simple mais limpide…

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : 

    ספורנו בראשית פרק מט
    (כב) בן פורת יוסף. הנה יוסף הוא בן גפן פורת ענף של גפן פוריה העושה צל לרבים כדרך הגפן כאמרו כסו הרים צלה (תהלים ה, יא) וזה כי בצלו חי יעקב ובניו במצרים:
    בן פרת עלי עין בנות. וענינו היה כענין ענף של גפן פוריה סמוך למעין שהיא פורת ומגדלת בנות שהן ענפים:
    צעדה עלי שור. באופן שאותה הגפן צעדה על החומה או הגדר אשר לפני העין באופן שקודם לכן לא היתה נראית מצד השני לחומה והיתה בלתי נודעת לגמרי ליושבים שם ואחר שצעדה על החומה נודעה היא ובנותיה. וכן קרה ליעקב בענין יוסף ובניו שלא היה יודע מציאות יוסף וכמו רגע נגלו אליו הוא ובניו כענין ראה פניך לא פללתי וכו':

     

  • Un gouvernement national ou universel ?

    בס״ד

     

    Un gouvernement national ou universel ?

    Ou comment Joseph et Yehouda ont débattu de la mondialisation de la Torah..

     

    par Shmouel Choucroun*

     

                                              Schoucroun

    La Parachat Vayeh’i  qui clôt le livre de Bérechit a pour thème central les derniers instants de vie du patriarche Jacob. La famille étant à nouveau réunie et soudée en Egypte, Jacob à l’instar de son père va à priori se livrer au même exercice que ce dernier, à savoir délivrer des bénédictions avant de quitter ce monde.

    Au début de notre paracha, il bénit les deux fils de Joseph, Ephraïm et Ménassé, et va même élever ces derniers au rang de tribu d’Israël.

    Puis vient le tour de ses 12 fils, réunis autour de son lit et suspendus aux lèvres de leur père…

    Pourtant le passage décrivant cette scène et que nous nommons plus communément « les bénédictions des 12 tribus » ne correspond pas tout à  fait à cette appellation là.

    Le Rav Itshak Don Abravanel zatsal, sage espagnol du moyen âge, dans son commentaire sur la torah, nous fait remarquer que Jacob semble à priori se donner à un autre exercice que celui de bénir sa progéniture.

    En effet, si nous examinons le texte de plus près nous nous apercevons que les trois premiers fils de Jacob sont réprimandés et non pas bénis.

    Ainsi, il s’adresse en ces mots à Reouben :

    פּחז כּמים אל תותר כּי עליתה משׁכּבי אביך , אז חללת יצועי עלה

    « Impétueux comme l’eau tu ne prendras pas davantage ; parce que tu es monté sur la couche de ton père alors tu as profané ce qui est monté sur la couche. »

    L’aîné est ainsi sévèrement réprimandé ; impétueux voir irrespectueux envers son père lorsqu’il décida de déplacer la couche de ce dernier dans la tente de sa mère Léa épouse principale de Jacob.

    La sentence tombe : tu ne prendras pas l’avantage, ton droit d’aînesse ne te permettra pas de devenir le chef d’Israël

     

    Les deux frères suivant dans l’ordre d’âge Chimon et Lévi  n’échappent non plus au courroux du père :

     אָרוּר אַפָּם כִּי עָז, וְעֶבְרָתָם כִּי קָשָׁתָה; אֲחַלְּקֵם בְּיַעֲקֹב, וַאֲפִיצֵם בְּיִשְׂרָאֵל

    « Maudite soit leur colère car elle fût violente, leur fureur était dur ; je les diviserai parmi les miens, je les disperserai dans Israël » s’exclame Jacob

    Chimon et Lévi paient ici prix du  massacre des habitants de Schem qui fût perpétré pour venger le déshonneur de leur sœur Dîna.

    Encore une fois, Jacob ne procède absolument pas à des bénédictions. Au contraire nous constatons que les trois premiers fils subissent le courroux de leur père.

    Vient le tour de Yehouda. Il est certainement le fils qui doit le plus redouter la parole de son père, n’a-t-il pas été à l’initiative de  la vente de Joseph son frère ? N’est-il pas celui qui a causé une peine terrible à son père suite à cet épisode ?

    Pourtant, Jacob délivre un tout autre verdict..

    יְהוּדָה, אַתָּה יוֹדוּךָ אַחֶיךָ--יָדְךָ, בְּעֹרֶף אֹיְבֶיךָ; יִשְׁתַּחֲווּ לְךָ, בְּנֵי אָבִיך

    « Yehouda tes frères te reconnaîtront, ta main est sur la nuque de ton ennemi ; se prosterneront devant toi les fils de ton père ».

    Pour résumer : Yehouda mon fils ce sera toi le chef d’Israël.

    Et Jacob surenchérit :

    לֹא-יָסוּר שֵׁבֶט מִיהוּדָה, וּמְחֹקֵק מִבֵּין רַגְלָיו, עַד כִּי-יָבֹא שִׁילֹה, וְלוֹ יִקְּהַת עַמִּים

    ָ « Le sceptre n’échappera pas à Yehouda, ni l’autorité à sa descendance.. »

    Le compte est bon, Jacob vient de nommer le vainqueur par k-o de toutes les disputes fraternelles, Yehouda sera le chef d’Israël car ses frères le reconnaissent comme  le leader de la famille.

    Après cet éclaircissement Jacob se livrera  à une série de bénédiction ou prédiction envers les fils suivant hormis Joseph, dont nous évoquerons le cas par la suite.

    Nous comprenons maintenant la construction de l’élocution de Jacob :

    Il doit nommer un chef de clan. Le prétendant naturel est évidemment l’aîné Reouven. Mais ses actes et son caractère ne plaident pas pour lui.

    Puis vient le tour du deuxième et troisième frère, mais là encore leur colère et fureur ne seraient pas des atouts pour un prétendant au trône qui doit gérer et gouverner avec patience et compassion.

    Yehouda semble avoir les qualités requises et ce, malgré son implication dans la vente de Joseph, ou encore l’épisode douteux avec Tamar sa bru.

    Mais pourquoi un tel choix de Jacob ? Et surtout cela ne vient-il pas contredire les rêves de Joseph ? Ces mêmes rêves qui avaient prédit que toute la famille se prosternerait devant le fils prodigue de Jacob ? Ces mêmes rêves qui avaient conduit Yehouda à envoyer son jeune frère en esclavage en Egypte et qui des années plus tard avaient conduit toute la fratrie à se prosterner devant Joseph devenu principal ministre de Pharaon entre temps ?

    Alors pourquoi se détourner du rêve prophétique de Joseph ? Ne serait-ce pas dans une certaine mesure une rébellion contre la volonté de D.ieu ? Qui a mis tous les éléments en place pour que Joseph accède un jour aux plus hautes fonctions ? Des rêves de pharaon aux camarades de cellule de Joseph ?

    D.ieu a disposé tous les pions de l’échiquier  afin que les prédilections de Joseph se réalisent ! Alors pourquoi Jacob dans ses derniers instants de vie se détourne de ces évidences pour choisir un autre chef, en l’occurrence Yehouda et non son fils prodigue Joseph ?

    Pour répondre à ces questions, revenons sur l’essence même de Joseph, principal prétendant  à priori pour l’attribution de la dynastie royale avec Yehouda.

    Rachi dans son fameux commentaire sur la torah commente dans la parachat Vayetsé et ce sur les versets traitant de la naissance de Joseph la chose suivante :

    משנולד שטנו של עשו דהיינו יוסף (עובדיה א.יח) והיה בית יעקב אש ובית יוסף להבה ובית עשו לקש כו'

    « Lorsque est né celui qui fera chuté Esaü à savoir Joseph, tel qu’il est dit ; « et la maison de Jacob sera semblable au feu, et la demeure de Joseph à la flamme, et la maison d’Esaü semblable à la paille »

    Rachi semble expliquer qu’avec la naissance de Joseph, Jacob possède l’arme absolu contre Esaü, il tient là un être qui réduira en cendre la demeure de son terrible frère jumeau.

    Pourtant si nous examinons les sources midrashiques, nous attribuons la mort d’Esaü soit à Housh le fils de Dan soit selon d’autres sources, à Yehouda en personne. A priori nous avons là une flagrante contradiction entre les sources midrashiques et un mystère à éclaircir !

    Le Maharal de Prague explique dans son commentaire Gour Arié sur la Torah, que Jacob et Esaü étaient deux parties d’une seule entité. A ce titre, Jacob n’étant que l’autre partie d’Esaü, il ne pouvait lutter et vaincre totalement son frère jumeau. Ce n’est que Joseph, qui incarne l’essence profonde de Jacob et qui n’est pas relié à Esaü qui pouvait  anéantir ce dernier.

    Si nous devions vulgariser le concept du Maharal de Prague, nous dirions que Jacob n’avait pas dans son essence les capacités à repousser les arguments de son frère. Esaü pouvait se justifiait de sa mauvaise conduite en arguant: « si je ne suis pas un juste comme toi Jacob, c’est parce que je suis occupé à m’occuper de la construction du monde ; toi tu es tsadik, juste et pieux,  car tu ne vis qu’entre les murs du Beth Hamidrash, la maison d’étude sans les tentations du monde extérieur »

     

    Puis arrive Joseph. Le fils de Jacob va sauver l’économie du pays le plus puissant de son époque l’Egypte, permettre à des dizaines de milliers d’êtres de survivre en période de famine. Mais cela n’est pas le plus remarquable chez ce personnage. La torah vante avant tout ses qualités d’intégrité et  morales. Seul dans un pays aux mœurs déviantes, trahis par ses propres frères, éloignés de son père et de ses enseignements, accusés à tord d’actes qu’il n’a pas commis, soumis aux multiples avances de l’épouse de son maître Potiphar, Joseph reste intègre et ne faute pas.

    Cette foi et conduite exceptionnelle de Joseph feront de lui le seul personnage de la torah à hériter du titre de Tsadik, juste !

    Nous pouvons maintenant saisir la dimension de Joseph : un être face à qui toutes les accusations contre Israël n’auraient pas d’emprise.

    Pourtant ses propres frères se méfiaient de lui, voir même le méprisaient !

    C’est donc là tout le malentendu qui oppose la fratrie !

     

    Le Maharal de Prague explique que Yehouda éprouvait de la haine envers Joseph car il voyait en lui un rival pour son autorité de chef. Hors en réalité, Joseph voulait délivrer un  message et uniquement un message :

    Quel doit être la place de la Torah dans ce monde ?

    Nous juifs, pensons à tord ou à raison pour la plupart d’entre nous que la beauté de la torah ne peut se vivre et se ressentir qu’à travers l’étude des textes sacrés, ou l’ambiance du chabbat et des jours de fête. En d’autres termes, cette beauté là ne s’adresse qu’aux gens qui vivent la torah au quotidien à savoir les juifs eux-mêmes.

    Joseph vient dévoiler une autre dimension dans la torah : sa sagesse, sa grandeur est aussi palpable pour les nations mais à condition que nous sachions l’expliquer dans le langage du monde ! La torah doit être belle, les synagogues splendides, les juifs doivent pouvoir répondre à tout le savoir scientifique et culturel de leur temps pour rester crédibles et inattaquables face aux courants de pensée de l’histoire. Si ces conditions sont remplies alors, et seulement alors, les nations reconnaîtront à travers Israël le D.ieu qui les a fait sorti d’Egypte et qui a partagé de sa sagesse au mont Sinaï.

     

    Joseph s’approche finalement dans une certaine mesure de la culture grecque.. Construire et faire avancer le monde, le souci de l’esthétique, l’attrait pour la politique.

    Mais en réalité, tous ces artifices, ne sont pour Joseph que des outils pour servir la gloire de D.ieu dans ce monde.

    Le beau et l’esthétique ne sont  pas synonymes de vérité mais des canaux pour s’approcher de cette dernière.

     Les frères voyaient en Joseph un rebelle, un égaré qui allait emprunter une voie dangereuse. Lorsqu’ils se prosterneront devant lui en Egypte des années plus tard, ils ne reconnaîtront pas sa domination politique ou patriarcale mais uniquement la véracité de sa torah.

    Joseph a dévoilé au final (et cela n’était que son unique intention) que toutes les sciences et connaissances de ce monde pouvaient aussi conduire vers la gloire de D.ieu et ce à condition que l’on ne s’égare pas en chemin.

    Churchill écrivait dans la langue de Shakespeare les mots suivants :

     “The Greeks rival the Jews in being the most politically minded race in the world … No other two races have set such a mark upon the world … They have survived, in spite of all that the world could do against them … No two cities have counted more with mankind than Athens and Jerusalem..”

     Le premier ministre  de sa majesté ne voyait pas d’autres villes plus influentes dans l’histoire de l’humanité qu’Athènes et Jérusalem.

    Joseph n’a pas réconcilié les deux cités, les grecs et les maccabi, mais il simplement dévoilé que Jérusalem portait en elle une richesse qui, enveloppée dans les codes de la culture de ce monde, pouvaient se dévoiler aux yeux de l’humanité.

    Quant à Yehouda, son charisme auprès de ses frères, sa capacité à être un leader en temps de crise, sa force intérieur qui lui permette de reconnaître ses erreurs, en font de lui le candidat désigné pour être un chef.

     

    Nous avons donc dans notre paracha les deux piliers du projet politique d’Israël :

    • la définition des qualités de tout candidat à la souveraineté
    • l’aspiration et l’espérance du projet que doit porter justement le politique. Une aspiration forte et profonde, juste et noble, un projet universel dans sa finalité sont tant d’horizon qui doivent élever le politique et ne pas le laisser seulement face à des problèmes de gestion et d’économie.
    •  

    Ezechiel (chap37) prophétise dans son livre que les temps messianiques se traduiront par l’union et la fusion de Yehouda et Joseph, en d’autres termes la fin de cette distorsion inhérente à la piété profonde qui nous attache à la Torah et  qui tend à éloigner depuis toujours Israël de son destin universel.

     

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    Shmouel Philippe Choucroun, originaire de Marseille il passe son Bac au début des années 90 et décide de faire son Alyah. Il étudie par la suite au Machon Lev où il obtient un diplôme de Marketing et comptabilté. Il entame après cela des études rabbiniques dans différents collelim de Jerusalem où il passera des smih’ot. Il revient en France en 2005 où il travaille tout d’abord dans un programme de diffusion de la Torah dans la cité phocéenne.Il passe en parallèle des équivalences au Séminaire rabbinique de Paris et occupe depuis 2012 un poste de direction dans l’aumônerie des armées et des prisons. Auditeur de l’IHEDN et IHEMR, il  participe à de nombreux programmes de dialogue interreligieux et de lutte contre la radicalisation. S’étant approché de rabbanim en erets proches de l’école de Brisk, mais aussi de la Hassidout Breslev  et d’autres mouvances, il essaie de concilier et synthétiser  des pensées à priori contraire ou éloignées.

  • les Noms d'une lutte d'ange à homme

    Cycle : la Paracha selon le SFORNO*

    Sforno 1

    Vayichla’h, les noms d’une lutte d’homme à ange

     

    Événement marquant mais obscur de Vayichla’h, que la lutte entre Yaacov et l’ange. On sait qu’au terme du combat, l’ange change le nom du patriarche, de Yaacov en Israël, car dit-il, « tu as lutté avec Dieu et des hommes et tu as pu (vaincre) »[1]. On aime à se dire que ce changement de nom doit être lu comme une sorte de récompense : il a combattu, il a vaincu, voici le butin. Pourtant, cette rapide interprétation ne tient guère sitôt que l’on rappelle que Yaacov-Israël demande ensuite le nom de l’ange, que ce dernier s’étonne de cette question, et n’y répondra pas[2].

    Ce passage ne laisse pas d’étonner. Comment comprendre le lien entre le changement de nom et le combat qui a eu lieu ? Pourquoi Yaacov demande-t-il le nom de l’ange ? Pourquoi l’ange ne répond-il pas mais vient à interroger la possibilité-même de questionner son nom ? Le commentaire de Sforno va éclairer ces trois impensés : la possibilité de changement du nom de l’homme, la possibilité de connaître le nom de l’ange, et la relation entre ces deux possibilités. Son commentaire précise d’abord qu’Israël sera désormais le nom exclusif de Yaacov, car le patriarche a d’ores et déjà affronté Dieu et les hommes[3]. Il explique ensuite que l’interrogation de Yaacov-Israël sur le nom de l’ange doit permettre au patriarche de prendre connaissance de la faute qu’il aurait commise et qui aurait entraîné son agression par l’ange[4]. Enfin, il montre que l’impossibilité de connaître le nom de l’ange relève de la nature humaine et de la nature angélique[5].

    Remarquons déjà que le changement de nom de Yaacov en Israël est un cas unique de toute la Torah. En effet, les changements de prénoms ne concernent d’ordinaire que quelques lettres, ajoutées ou substituées, comme si le changement de signifié induit par le changement de signifiant ne venait corriger qu’une erreur de phonation et/ou révéler quelque chose qui était latent mais prévisible ou devinable. Là, concernant le passage de Yaacov à Israël, la transformation est imprévisible/non-devinable au niveau du signifiant : elle est littéralement radicale. Le changement de nom est une coupure avec les racines de la naissance.

    Habituellement, les noms donnés aux enfants dérivent de la condition émotionnelle ou intellectuelle des parents qu’ils projettent sur l’enfant venant de naître. En d’autres termes, le nom, quand bien même serait-il un projet d’avenir pour l’enfant, est toujours une modalité extérieure à son identité et à son individualité. Il est certes un individu distinct des autres, puisqu’ayant une matière qui lui est propre, il possède également une identité propre puisque se construisant, mais il y a loin entre la singularité et son nom. Sa singularité ne dépend aucunement de son nom : l’être humain a beau porter un nom, il n’est pas son nom, il est séparé de son nom. En un mot : ontologiquement, le nom est un accident[6].

    Bien sûr, on aime à dire que les prénoms donnés dans la Torah à la naissance de l’enfant indiquent quelque chose de son être, mais il est difficile de ne pas limiter ce quelque chose à un projet à remplir ou non, une visée à atteindre ou non. L’impossibilité de réaliser le projet est inclus dans la nomination. Au fond, on ne sait pas ce qui singularise précisément un être d’un autre ; on ne sait pas comment qualifier la ceciité (en anglais on dit, Thisness) d’un être.

    Là, dans la nomination de Yaacov par l’ange, il y a rupture profonde avec le nom comme accident, puisque Sforno précise qu’Israël comme nom vient entériner les actes accomplis par l’homme qui sera désormais connu sous cette appellation. C’est-à-dire qu’Israël est autant un nom qu’un surnom. Dans cette appellation, il y a identité entre la singularité de l’homme et le nom qui le désigne. On a un déplacement de l’être par accident vers le faire, puis du faire vers l’être. La situation peut être résumée comme suit : Yaacov n’a pas poursuivi le nom qui lui a été donné à sa naissance ; sa singularisation prend vie par ses actes qui deviennent son nom mais surtout sa singularité. Qui est cet homme ? C’est celui qui a combattu Dieu et les hommes. Le mot Israël est ainsi le nom d’un processus existentiel réalisé, c’est, si l’on peut dire, un acte-nom, une vérité irréfragable !

    Toutefois, au terme du verset, ce processus n’est pas totalement achevé, voire achevable, car, même après avoir affronté Dieu et les hommes, il reste du possible en Yaacov-Israël. C’est ce que le mot ותוכל à la fin du verset sur le changement de nom vient nous apprendre. Bien que Yaacov se soit singularisé en Israël, il demeure encore en lui du pouvoir de transformation, de lutte. C’est-à-dire que Yaacov-Israël est un homme qui s’est fait et se fait encore[7].

    Si l’on peut envisager cette puissance comme positive, on peut la considérer également comme négative, comme quelque chose résistant à l’acte-nom Israël. Peut-être même est-ce une faute qui refuse de se réaliser dans la singularité de Yaacov-Israël ! Cette possibilité suit à la lettre le commentaire de Sforno selon lequel la demande du nom de l’ange par Yaacov vise à prendre connaissance d’une défaillance qui demeurerait en Yaacov-Israël, une faute commise. En relisant ce commentaire à l’aune des analyses précédentes, la lutte avec l’ange serait en fait le symbole de ce qui résiste en Yaacov au processus Israël. On peut dès lors comprendre l’insistance du patriarche pour connaître le nom de l’ange : le nom de l’ange est le nom de ce qui est encore en porte-à-faux en lui, à savoir ce qui n’est déjà plus Yaacov mais n’est pas encore devenu Israël.

    L’enjeu de la connaissance du nom de l’ange intéresse ainsi sa singularité, ce quoi le distingue d’un autre ange[8]. L’homme s’individue par la matière et se singularise dans le même temps. Mais l’ange n’est pas matière ! Autant dire que la question de Yaacov-Israël vise à saisir la possibilité de singularité d’un ange alors même que rien ne permet de l’individuer ! Le problème n’est pas vain ou limité à l’intérêt restreint de spécialistes en angéologie, car la demande du nom de l’ange par Yaacov sous-entend bien que c’est le nom d’un ange qui singularise un ange ! Toutefois, puisque la demande du nom ne concerne pas l’ange en tant que tel mais la faute du patriarche (c’est-à-dire que le nom de l’ange dans la question n’a de sens que du point de vue de Yaacov, pas de celui de l’ange), force est de construire un parallèle : il y va de cet ange comme de Yaacov-Israël et de cette faut qui résiste en Yaacov au processus Israël.

    Or, si Israël est une singularité essentielle, du domaine du vrai, sa faute (ou ce qui résiste à ce processus) possède-t-elle elle aussi cette singularité ? Autant dire que si cette faute est du domaine du vrai, c’est-à-dire chevillée à Yaacov, alors elle demeurera de toute éternité tout comme Yaacov-Israël demeurera de toute éternité. Cette angoisse rappelle un peu le rêve de l’échelle fait par Yaacov et l’interprétation midrachique de l’ange tutélaire d’Essav montant jusqu’au ciel. La lutte contre l’ange n’aura-t-elle jamais de fin ? La question est d’autant plus grave que l’ange ne répond pas à la question de Yaacov sur son nom, sinon en questionnant sa question.

    Mais voilà que le commentaire de Sforno vient dissiper cette crainte. Il rappelle d’abord que la nature angélique n’est pas à la portée de l’intellection verbale humaine, qu’elle ne se dit pas en mots car l’ange est en premier et dernier ressort une opération divine. Émanation opératoire de la volonté divine, il indique que tout nom d’un ange est purement formel, corrélé à l’acte à accomplir ou accompli par ce messager. Tout comme Israël, le nom d’un ange est un acte-nom. En suivant l’idée que la structure de l’acte-nom Israël est analogue à l’acte-nom d’un ange, nous pouvons conclure que l’acte-nom Israël est lui aussi une émanation opératoire de la volonté divine. De là, on peut dire que la lutte de notre patriarche avec l’ange s’apparente à une lutte contre la faute.

    Est donc Israël toute personne qui lutte contre la faute comme Yaacov-Israël a lutté avec l’ange, c’est-à-dire qui parvient à la dépasser ; est donc Israël toute personne dont les actes nomment sur terre la volonté divine.

     

    à la mémoire de Aziza bat Louna

     

    Jonathan Aleksandrowicz

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : Cf.notes.  


    [1] Genèse, chap. 32, v. 29 : וַיֹּ֗אמֶר לֹ֤א יַעֲקֹב֙ יֵאָמֵ֥ר עוֹד֙ שִׁמְךָ֔ כִּ֖י אִם־יִשְׂרָאֵ֑ל כִּֽי־שָׂרִ֧יתָ עִם־אֱלֹהִ֛ים וְעִם־אֲנָשִׁ֖ים וַתּוּכָֽל

    [2] Ibid., v. 30 : וַיִּשְׁאַ֣ל יַעֲקֹ֗ב וַיֹּ֙אמֶר֙ הַגִּֽידָה־נָּ֣א שְׁמֶ֔ךָ וַיֹּ֕אמֶר לָ֥מָּה זֶּ֖ה תִּשְׁאַ֣ל לִשְׁמִ֑י וַיְבָ֥רֶךְ אֹת֖וֹ שָֽׁם

    [3] כי אם ישראל כי שרית אבל יקראו לך בשם ישראל בלבד להורות שאז כבר שרית עם אלהים כו' כענין יפקוד ה' על צבא המרום במרום

    [4] הגידה נא שמך המורה על צורתך ועל הפעל הנמשך ממנו כדי שאתבונן על מה קמת לשטן ואשוב בתשובה ואתפלל

    [5] למה זה תשאל לשמי כי הצורה האשיית לנו היא מדרגת השכלתנו אשר לא תבואר בשום דבור כאמרו והוא פלא והפעל שלה הוא כפי הרצון האלהי

    [6] Voir Aristote, Métaphysique V, 30, 1025 a 14 : « Accident se dit de ce qui appartient à un être et peut en être affirmé avec vérité, mais n’est pourtant ni nécessaire ni a lieu la plupart du temps ».

    [7] Par boutade, on pourrait presque dire que la proposition « Israël vivra, Israël vaincra » est la conséquence de cette ontologie. Ramenée à sa dimension politique, à sa dimension de slogan, elle perd sa portée existentielle pour se limiter à une persévérance dans l’être qui est commune à tout être vivant, de la bête sauvage à l’homme le plus civilisé.

    [8] À ce sujet, voir Le principe d’individuation de Jean Duns Scot qui s’intéresse spécifiquement à ce qui permet de distinguer les anges entre eux. Il appelle cela eccéité.

  • Le sens de la bénédiction

                         Cycle : la Paracha selon le SFORNO  

                      Sforno 1

                      Les Sens de la bénédiction

     

     

    La Sidra de Toledot traite d’un épisode qui va voir la destinée de deux frères se séparant à jamais, lors de la bénédiction que Its’hak dont voulait faire hériter son fils ainé Essav’.

    Le chapitre 27 nous présente un Its’hak à l’acuité visuelle abaissée lors de sa volonté de bénir Essav’.

    Le Sforno* fait un parallèle avec ‘Eli le grand prêtre qui n’a pas protesté contre la mauvaise conduite de ses fils et dont les yeux « étaient immobiles et il ne pouvait plus voir ». Phénomène qui n’a atteint ni Avraham ni Yaakov dans leurs vieux jours. Sa vue lui a donc fait défaut lors de son contact avec Essav’ l’impie, comme le souligne le Talmud (Meguila 28b) et l’a amené à vouloir confier la bénédiction à ce dernier.

    Plus loin, au 4ème verset, Its’hak demande à son fils de lui préparer un savoureux mets afin qu’il puisse le bénir après sa consommation. Le Sforno relève que cette demande devait servir à lui conférer un mérite considérable ; le goût d’un plat délicieux devait être le vecteur de sa destinée, par l’accomplissement du commandement de Kibbud Av, le respect du au père la bénédiction se serait pleinement déployée autour de Essav’.

    A ce moment, Rivka décide de passer à l’action et pousse Yaakov à se présenter avant son frère devant Its’hak. Pour cela il a disposé des peaux de chevreaux afin d’imiter la pilosité de Essav’. Comme l’a remarqué le Sforno, la villosité de peaux de bêtes n’a rien de comparable avec une pilosité humaine, et même si un soin particulier de disposition a été appliqué par Rivka afin de ressembler le plus possible aux avant-bras de Essav’, il est probable que son toucher ait été atteint, lui aussi par l’âge.

    Afin d’étayer cette dernière hypothèse, le Sforno cite un verset (Samuel II, 19,36) mettant en relief l’âge avancé de Barzilay et la diminution de la clairvoyance des 5 sens. Il est donc possible que Its’hak aurait été dupé par son vieil âge et allait donc commettre une erreur en confiant son héritage et celui de Avraham à Essav’.

    La suite, lors de la confrontation de Yaakov’ avec son père va apparemment dans ce sens. Il est perturbé par la pilosité et par la voix de la personne qui se trouve devant lui « la voix est celle de Yaakov et les mains sont celles de Essav’ ». Son ouïe le perturbe. Qui donc a-t-il face à lui ? Serait-il encore trahi par sa vieillesse ?

    Et pourtant, le Sforno nous révèle que le salut de Yaakov’ est venu de l’odeur de ses habits, en relevant un enseignement du Talmud (Berahot 43b) apprenant que l’âme tire profit de l’odeur, contrairement au corps qui n’en jouit aucunement.

    L’âme de Yaakov’ l’intègre ne saurait mentir ; une délicieuse odeur, comme celle d’un champ dont la fragrance est bénéfique pour l’esprit et pour l’âme comme le souligne le Sforno.

     

    Même si Its’hak a pu être perturbé par Essav’ l’impie et la sénescence de ses sens, l’odeur émanant de son fils a revivifié son âme, réveillé ses sens engourdis et suscité l’inspiration prophétique, telle la musique chez le prophète Elisha (Melahim II, 3,15).

    C’est cette révélation qui a coupé court aux doutes d’Its’hak sur l’identité de la personne devant lui, l’odeur de paradisiaque du véritable héritier de la bénédiction, Yaakov’, qui a pu braver les brumes de l’âge et du turbulent Essav’.

     

    Elie DAYAN

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

     

    Texte original :

     

    וַתִּכְהֶיןָ עֵינָיו כְּמוֹ שֶׁקָּרָה לְעֵלִי שֶׁלֹּא מִחָה בְּבָנָיו, כְּאָמְרוֹ ״וְלֹא כִהָה בָּם(שמואל א ג׳:י״ג), וְנֶאֱמַר בּוֹ ״וְעֵינָיו קָמָה וְלֹא יָכוֹל לִרְאוֹת״ (שם ד׳:ט״ו). וְלֹא קָרָה זֶה לְאַבְרָהָם וּלְיַעֲקֹב שֶׁהָיוּ יוֹתֵר זְקֵנִים מִמַּה שֶּׁהָיָה יִצְחָק אָז וּמִמַּה שֶּׁהָיָה עֵלִי. בְּאַבְרָהָם כְּתִיב ״וַיּסֶף אַבְרָהָם וַיִּקַּח אִשָּׁה״ (בראשית כ״ה:א׳), וּבְיַעֲקֹב עִם כָּל צָרוֹתָיו וְדִמְעוֹת עֵינָיו כְּתִיב ״וַיַּרְא יִשְׂרָאֵל אֶת בְּנֵי יוֹסֵף״ (בראשית מ״ח:ח׳), אַף עַל פִּי שֶׁהָיָה רוֹאֶה בְּכֹבֶד, כְּאָמְרוֹ ״וְעֵינֵי יִשְׂרָאֵל כָּבְדוּ מִזֹּקֶן״ (בראשית מ״ח:י׳), בְּאֹפֶן שֶׁלֹּא הִכִּיר הַתְּמוּנָה הַפְּרָטִית.

    וַעֲשֵׂה לִי מַטְעַמִּים רָצָה בְּמַטְעַמִּים כְּדֵי שֶׁיִּתְעַסֵּק בְּכִבּוּד אָב, וּבָזֶה תָּחוּל עָלָיו הַבְּרָכָה. כִּי גַּם שֶׁלֹּא הִכִּיר בְּגֹדֶל רִשְׁעוֹ שֶׁל עֵשָׂו, מִכָּל מָקוֹם לֹא חָשַׁב אוֹתוֹ לְרָאוּי שֶׁתָּחוּל עָלָיו אוֹתָהּ הַבְּרָכָה שֶׁהָיָה בְּלִבּוֹ לְבָרְכוֹ. וְלָכֵן כְּשֶׁבֵּרֵךְ יַעֲקֹב אַחַר כָּךְ, שֶׁיָּדַע בּוֹ שֶׁהָיָה רָאוּי לַבְּרָכָה, לֹא שָׁאַל מַטְעַמִּים וְלֹא בִּקֵּשׁ דָּבָר וּבֵרְכוֹ תֵּכֶף, בְּאָמְרוֹ ״וְאֵל שַׁדַּי יְבָרֵךְ אתְךָ״ (להלן כ״ח:ג׳).

    וְהַיָּדַיִם יְדֵי עֵשָׂו אֵין סָפֵק שֶׁהָיוּ הָעוֹרוֹת מְתֻקָּנִים בְּאֹפֶן שֶׁיִהְיֶה שְׂעָרָם דּוֹמֶה לִשְׂעַר הָאָדָם, כִּי אָמְנָם רַב הַהֶבְדֵּל בֵּין שְׂעַר הָאָדָם לִשְׂעַר הַגְּדִי אִם לֹא יְתֻקַּן הַרְבֵּה בִּמְלָאכָה. וְהִנֵּה הֵעֵיד כִּי הָיוּ ״יָדָיו כִּידֵי עֵשָׂו אָחִיו שְׂעִירוֹת״, וְעִם זֶה אוּלַי נֶחֱלַשׁ בּוֹ גַּם חוּשׁ הַמִּשּׁוּשׁ, כְּעִנְיַן ״אִם יִטְעַם עַבְדְּךָ אֶת אֲשֶׁר אכַל״ (שמואל ב י״ט:ל״ו).

    וַיָּרַח אֶת רֵיחַ בְּגָדָיו לְהַרְחִיב אֶת נַפְשׁוֹ בְּתַעֲנוּג הָרֵיחַ, כְּאָמְרָם זִכְרוֹנָם לִבְרָכָה: אֵיזֶהוּ דָּבָר שֶׁהַנְּשָׁמָה נֶהֱנֵית מִמֶּנּוּ, וְאֵין הַגּוּף נֶהֱנֶה מִמֶּנּוּ, הֱוֵי אוֹמֵר זֶה הָרֵיחַ (ברכות מ״ג:).

    וַיְבָרֲכֵהוּ כְּעִנְיַן ״וְהָיָה כְּנַגֵּן הַמְּנַגֵּן וַתְּהִי עָלָיו יַד ה׳⁠ ⁠״ (מלכים ב ג׳:ט״ו).

    רְאֵה רֵיחַ בְּנִי אַתָּה ״בְּנִי״, ״רְאֵה״ וְהִתְבּוֹנֵן שֶׁזֶּה הָרֵיחַ הוּא כְּרֵיחַ שָׂדֶה שֶׁמִּלְבַד הַמְּצִיאוּת הַמַּסְפִּיק לוֹ לִהְיוֹתוֹ מָזוֹן לְאֵיזֶה בַּעַל חַיִּים, הוֹסִיף עָלָיו טוֹבַת הָרֵיחַ הַמְּהַנֶּה וּמוֹעִיל לָרוּחַ הַחִיּוּנִי וְהַנַּפְשִׁי, וְזֶה מִדַּרְכֵי טוּבוֹאֲשֶׁר בֵּרֲכוֹ ה׳.

  • 'Hayé Sarah

      Cycle : la Paracha selon le SFORNO   

       Sforno 1

    Parashat Haye Sarah 

     

    L’étude du livre des Chroniques est peu répandue. Surtout ses premiers chapitres qui ne semblent n’être qu’une succession de noms n’ont jamais eu “bonne presse” dans les yeshivot. Pourtant…

    Pourtant, une lecture attentive de ces généalogies d’apparence anodine, révèle parfois des subtilités…

    Au premier chapitre des Chroniques, deux versets peuvent sembler problématiques:

    Verset 28: “Les deux enfants d’Avraham sont Itsh’ak et Yishmael”

    Verset 32: “Et les enfants de Ketoura, la concubine d’Avraham, sont Zimran, Yokshan, Medan, Midian, etc…”

    Pourquoi les enfants du verset 32 sont-ils mis à part des enfants cités dans le verset 28? Est ce parce ce que ce sont les enfants d’une concubine? Dans ce cas, cela nous force à dire que Hagar, la mère de Yishmael cité dans le verset 28 était une épouse à part entière – cette éventualité est tout à fait probable.

    Cette explication, par contre, est mise à mal par le midrash cité par Rashi, identifiant Ketoura à Hagar elle-même… Selon cette lecture, pourquoi le fils de Hagar et Avraham – Yishmael- est cité dans le verset 28 alors que les fils de Ketoura/Hagar et Avraham sont cités dans le verset 32…

    Le Sforno effleure cette question à travers son commentaire sur les versets de la fin de notre parasha :

    « Et Avraham prit une femme du nom de Ketoura. Elle enfanta Zimran, Yokshan, Meda, Midian, Yishbak et Shouak »

    Tout d’abord, le Sforno refuse de citer le midrash comme Rashi : Ketoura n’est pas Hagar, mais bien une troisième femme suivant Sarah et Hagar.

    Mais, là où son commentaire va encore plus innover, est dans la lecture du verbe « enfanta » - pour le Sforno, c’est un passé antérieur ! Ketoura a enfanté les fils cités, mais dans le passé avant de devenir la femme d’Avraham ! Ces enfants ont grandi dans la maison d’Avraham , devenant en quelque sorte des fils adoptifs, mais ce ne sont pas des enfants d’Avraham à proprement parler.

    Cette lecture permet de mieux comprendre les deux versets des Chroniques : le verset 28 énumère les enfants d’Avraham ; et ils ne sont effectivement que deux. Le verset 32 énumère les enfants de Ketoura, concubine d’Avraham, mais ces enfants ne sont pas ceux d’Avraham. Ce sont , tout au plus, des enfants adoptifs, qui ayant grandi  dans la maison d’Avraham ont acquis une certaine proximité avant l’héritage abrahamique, mais ne sauraient en aucun cas, aspirer à un quelconque héritage avec Itsh’ak et Yishmael, enfants véritables d’Avraham…

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו בראשית פרק כה
    (ב) ותלד לו את זמרן. גדלה אותם בביתו. על דרך חמשת בני מיכל אשר ילדה לעדריאל (ש"ב כא, ח) שגדלה אותם שלא היו בניה כלל כי אמנם אברהם לא הוליד כי אם יצחק וישמעאל כמבואר בדברי הימים א':

     

       

  • Le potentiel d'Abraham

    Cycle : la Paracha selon le SFORNO      

              Sforno 1              

    Le potentiel d’Avraham et l’erreur d’Isaac

     

    L’épisode de la ligature d’Isaac est évidemment un des morceaux de bravoure de cette Paracha.

    Abondamment commenté depuis les sages de la tradition jusqu’aux philosophes modernes (Kierkegaard, Derrida,…), cet événement radical ne cesse d’interroger les lecteurs de la Bible. Preuve de la nécessité d’une obéissance absolue au Dieu tout puissant pour certains, cet événement peut aussi se lire comme un éloge de la nuance : la véritable épreuve serait pour Abraham de ne pas se laisser porter par des pulsions radicales et de rester capable d’écouter le mince filet de voix qui le pousserait certes à faire monter son fils sur le Mont Moriah mais également à l’en faire redescendre aussitôt (cf. Rachi). [1]

    Le Sforno tente une approche originale. Si l’on suit le commentaire développé lors de cet épisode[2], il s’agit de savoir si Abraham est capable de développer son potentiel et de le rendre effectif. De la même façon que Dieu a été capable de rendre effectif la bonté qu’il a déversé sur le monde, Abraham doit démontrer qu’il a été créé « à l’image de Dieu » et donc en mesure d’aimer Dieu et de craindre Dieu, non pas seulement à travers de belles déclarations, mais à travers un acte et une épreuve, quel que soit son contenu exact.

    Ce commentaire du Sforno vient implicitement nous dire une chose : l’homme est à l’image de Dieu, ce qui signifie en creux qu’il n’est pas à l’image des anges, qui eux, ne connaissent pas cette notion de « potentiel à développer ». Ce sont des créatures célestes certes, très élevés spirituellement, mais qui connaissent une stabilité permanente. Ils ne peuvent ni chuter, ni s’élever. L’homme lui, dispose de ce trésor, de cette bénédiction qui l’autorise à fluctuer, mais qui surtout lui demande un travail permanent.

    Sforno persiste dans cette idée, lorsque justement, un ange descend pour arrêter Abraham en train de sacrifier son fils. La phrase de la Thora est la suivante :

    « Mais un envoyé du Seigneur l'appela du haut du ciel, en disant: "Abraham! . Abraham!"  II répondit: "Me voici." II reprit: "Ne porte pas la main sur ce jeune homme, ne lui fais aucun mal! Car, désormais, j'ai constaté que tu honores Dieu, toi qui ne m'as pas refusé ton fils, ton fils unique!" [3]

    Il y a un problème de syntaxe dans cette phrase. Et la question saute aux yeux : qui parle ? Est-ce l’ange ? Mais alors pourquoi la phrase glisse-t-elle à la fin vers une sorte d’exclamation de Dieu « Toi qui ne m’a pas refusé ton fils ! »

    Est-ce Dieu ? Mais alors, pourquoi dit-il « J’ai constaté que tu honores Dieu » comme si Dieu se prenait pour Alain Delon en parlant de lui-même à la 3ème personne ?

    Le Sforno apporte une réponse originale : c’est bien l’ange qui parle du début à la fin. Lorsque celui-ci dit « Désormais j’ai constaté (ou j’ai compris) que tu honores Dieu », cela signifie en réalité : j’ai compris pourquoi Dieu porte une telle attention aux hommes et les a d’une certaine façon placés au-dessus de nous les anges. Il y a une grandeur divine dans cette capacité à accomplir vos qualités en puissance.

    Mais alors, comment lire « toi qui ne m’as pas refusé ton fils » qi l’on admet que c’est l’ange qui s’exprime ?
    La réponse du Sforno est innovante. Il faut lire le mot « Mimeni » (de moi) comme s’il se rattachait au fait qu’Abraham honore Dieu et donc traduire la phrase ainsi : « Car, désormais j’ai constaté que tu honores Dieu plus que moi, vu que tu n’as pas refusé ton fils, ton fils unique ! ».

    L’ange admet encore ici sa défaite : cette capacité à sortir d’un déterminisme quel qu’il soit est une dimension de l’homme qui nous sera, à nous les anges, à jamais inaccessible.

    Cette question du potentiel n’est pas anodine, car elle sera à l’origine de problèmes ultérieurs. Un midrach[4] explique que les anges, voyant Abraham triompher de cette épreuve, ont pleuré. Et que les larmes des anges sont tombées dans les yeux d’Isaac qui est devenu aveugle (d’où son incapacité à reconnaître ses enfants par la suite).

    Comment interpréter ce Midrach étrange ? Peut-être de la façon suivante : logiquement, si Isaac devait retenir une leçon de tout cela, c’est que le potentiel de l’homme est une valeur absolue qui autorise toutes les tolérances puisqu’au bout du bout, l’homme aura toujours la capacité de se surpasser et de transformer son potentiel en accomplissement existentiel. Et que l’incroyable geste de son père réussissant à se transcender, à se sublimer, va l’aveugler pour le reste de ses jours.

    C’est en effet précisément cette radicalisation de la notion de potentiel qui va l’induire en erreur : son fils Esaü était probablement celui qui disposait du plus fort potentiel. Et Isaac va le « cajoler » jusqu’à la fin sans comprendre une chose fondamentale : certains hommes ont un potentiel qu’ils n’activeront jamais. Et que l’essentiel n’est pas dans la qualité du potentiel initiale, mais dans la capacité de l’homme à effectuer les efforts nécessaires pour mettre à profit ce qui lui sera offert à la naissance.

    Ca sera le mérite de Rébecca de l’avoir saisi.

     

    FRISON

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו בראשית פרק כב


    (א) נסה את אברהם כיון שיהיה בפעל אוהב וירא כמו שהיה בכח ובזה ידמה יותר לבוראו שהוא טוב לעולם בפועל כי אמנם הכונה במציאות האדם היתה שידמה לבוראו כפי האפשר כאשר העיד באמרו נעשה אדם בצלמנו כדמותנו:


    (יב) עתה ידעתי. ידעתי אני המלאך שבדין יגדילך האל על מלאכיו כאמרם ז"ל גדולים צדיקים יותר ממלאכי השרת (סנהדרין צג א):
    ממני. שאתה ירא אלהים יותר ממני שאני מלאך וראוי למעלה יותר ממני כאמרם ז"ל גדולים צדיקים וכו'. שאתה בפעל ירא אלהים כמו שהיה האל יודע קודם לכן שהיית ירא אלהים בכח ותפול ידיעתו הפועלת על הנמצא בפעל:

     

     

     


    [1] Cette dernière approche peut se lire dans Rachi, mais est également explicitement développée par le Rabbi de Kotzk et reprise par André Fraenkel dans le livre reprenant ses enseignements « L’écho de la Parole » aux éditions Lichma. C’est la lecture la plus convaincante que je connaisse. Elle a été soutenue également par le philosophe Dan Arbib dans un article de la revue Studia Phaenomenologica Vol XII 2012 intitulé « Donner la mort ? Phénoménologie et sacrifice : Note sur une interprétation de Derrida » où il remettait en question la lecture plus « classique » de Derrida sur ce passage biblique.

    [2] Commentaire du Sforno sur 22 :1

    [3] Genèse 22 : 11-12

    [4] Berechit Rabba 56

  • Comment reconnaître sa promise ?

      Cycle : la Paracha selon le SFORNO

       Sforno 1

    Comment reconnaître sa promise ?

     

    La parasha de Lekh Lekha s’ouvre sur les toutes premières paroles que Dieu adresse à Avram – le futur patriarche Avraham.

    Contrairement à Adam ou à Caïn, par exemple, auxquels il avait pris la peine d’adresser quelque question rhétorique afin d’entrer en matière, Dieu – sans autre forme de procès – déclare de but en blanc à Avram : « Quitte ton pays, ta patrie et la maison de ton père, en direction du pays que je te montrerai. Je ferai de toi un grand peuple et te bénirai, je grandirai ton nom et tu sois bénédiction… » (Gn. 12:1-2). Sans sourciller, sans poser aucune interrogation ou objection, Avram prend sa femme, son neveu, ses biens et ses adeptes et se dirige vers la terre de Canaan (v. 5).

    Étonnamment, Avram a pris la route comme s’il savait où aller, alors que Dieu lui avait annoncé qu’il lui « montrerait » l’endroit, ce qui laissait supposer un long voyage, puisque sans but défini, au cours duquel Dieu finirait par indiquer à Avram de s’arrêter étant arrivé à destination. Comment donc Avram a-t-il su où il devait s’arrêter ?

    Sforno répond à cette question en expliquant que pour Avram, aucune exploration ni de voyages à étapes n’était nécessaire, il n’avait qu’à aller droit devant lui : au moment où il aurait une révélation prophétique, c’est qu’il serait arrivé au lieu désiré par Dieu.

    Et c’est ce que nous constatons dans le texte puisque il ne fait que « passer dans le pays » (v. 6), sans s’arrêter jusqu’à ce que Dieu se révèle à lui (v. 7). A ce moment, « il planta sa tente » (v. 8).

    Mais la réponse est incomplète car comment Avram savait qu’il devait se diriger vers la terre de Canaan ? Dieu n’avait mentionné aucun pays dans son ordre initial !

    Réponse étonnante du Sforno : « car cette terre leur était connue comme une terre propice à la contemplation spirituelle et au service de Dieu béni soit-Il ».

    Toutefois, une deuxième anomalie textuelle apparaît peu après dans le verset : « Ils sortirent pour aller en terre de Canaan, et ils vinrent en terre de Canaan ». Pourquoi répéter deux fois « en terre de Canaan » ? Pourquoi préciser qu’ils sont sortis pour partir ? N’est pas évident ?

    En vérité, nous rappelle Sforno, la Tora nous a déjà parlé d’une personne qui est « sorti pour aller en terre de Canaan ». De qui s’agit-il ? De Tera’h bien sûr, le père d’Avraham ! Les mêmes mots très exactement sont énoncés à son propos : « ils sortirent… pour aller en terre de Canaan » (Gn. 11:31).

    Mais la différence essentielle est que Téra’h s’est arrêté à ‘Haran : « Ils arrivèrent jusqu’à ‘Haran et s’installèrent là-bas » tandis qu’Avram lui arriva véritablement en terre de Canaan.

    Oserions-nous lire entre les lignes et comprendre des paroles du Sforno que celui qui arrive vraiment en terre de Canaan est celui qui s’y rend pour sa dimension propice au service Divin ? Probablement.

     

    Emmanuel Ifrah – 10/2018

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו בראשית פרק יב


    (א) אל הארץ אשר אראך. אל המקום מהארץ אשר אראך אותה במראות אלהים, לפיכך עבר בארץ ולא נטע אהלו עד המקום שנראה אליו שם האל יתברך, כאמרו "ויעבור אברם בארץ עד מקום שכם... וירא ה' אל אברם, ויאמר. לזרעך נתתי את הארץ הזאת" (להלן פסוקים ו - ז):

    (ב) והיה ברכה. ברכת ה' היא שישמח ה' במעשיו, כמו שאמרו רז"ל "ישמעאל בני ברכני. אמרתי לו יהי רצון מלפניך... ויגלו רחמיך על מדותיך" (ברכות ז א). אמר אם כן היה לי ברכה במה שתתבונן ותקנה שלמות, ותלמֵד דעת את העם:

    (ה) ויצאו ללכת ארצה כנען. שהיתה מפורסמת אצלם לארץ מוכנת להתבוננות ולעבודת האל יתברך:
    ויבוא ארצה כנען. לא כענין יציאת תרח "ללכת ארצה כנען" (לעיל יא, לא), שלא בא אלא עד חרן:

    (ו) ויעבר אברם בארץ. לא התעכב במקום ממנה עד שנראה אליו האל יתברך כאשר יעדו באמרו "אל הארץ אשר אראך" (פסוק א):

    (ח) בית אל מים והעי מקדם. בין שתי עירות גדולות, למען ירבו הבאים לשמוע בקראו בשם ה':

  • Et D.ieu descendit voir...

    Cycle : la Paracha selon le SFORNO

    Sforno 1

    Et Dieu descendit voir …

     

    Depuis Maimonide, notre lecture est totalement automatisée dès qu’elle rencontre un anthropomorphisme.

    Si Maimonide a permis de désamorcer la bombe de l’anthropomorphisme, il en découle que notre lecture est parfois moins attentive sur l’emploi de tel ou tel mot. En d’autres termes, si la Torah a pris le risque d’employer un verbe à connotation humaine, que veut elle nous apprendre. Cette question est souvent ignorée et au-delà des règles de décodage énumérées dans la première partie du Guide des Égarés, rares sont les exégètes qui se sont adonnés à cet exercice.

    Le verset introduisant le récit de la tour de Babel commence par « Et Dieu descendit » . Pourquoi descendre ? La question a évidemment été traitee dans le Guide des Égarés, mais le Sforno nous propose une exégèse différente ouvrant une possibilité de lecture systématique de ce verbe.

    Pour Sforno, si Dieu descend pour châtier c’est que le châtiment attribué n’est pas encore pleinement justifié! Dieu punit en prévision d’une déchéance future. Le projet de la tour de Babel est difficilement répréhensible per se. Si Dieu intervient c’est pour mettre fin à un projet qui risque d’aboutir à un danger plus grand !

    Cette lecture nous éveille donc sur l’emploi d’un verbe qui ne va pas de soi, mais surtout nous éveille sur la nature d’un châtiment qui parait disproportionné.  

    Nous disions que le Sforno fait de cette grille de lecture une méthode systématique. En effet, il réitère cette explication autour de la destruction de Sodome. Là encore, le verbe employé est “descendre” (XVIII, 21). Pour le Sforno, c’est donc que la punition n’était pas encore pleinement méritée – Dieu est intervenu avant que la déchéance soit totale.

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו בראשית פרק יא פסוק ה
    (ה) וירד ה' לראות. הנה לשון הירידה לראות יאמר על האל יתברך כשאין הענין אז ראוי לעונש אלא מפני הקלקול הנמשך אליו בסוף הענין, כבן סורר ומורה שאמרו "ירדה תורה לסוף דעתו". וכן היה ענין סדום שכתב בו "ארדה נא ואראה" (להלן יח, כא), כי אמנם לא היה רשעם אז יותר משאר האומות כדי לענשם בעולם הזה, זולתי בענין האכזריות נגד עניי עם, שהיה נמשך ממנו קלקול גמור בסוף, כאמרו "הנה זה היה עון סדום אחותך... ויד עני ואביון לא החזיקה" (יחזקאל טז, מט). וכן היה עונש ישראל בהגלותם, כאמרו "אראה מה אחריתם" (דברים לב, כ):

     

  • Vayelekh : vérité et intégrité

         Cycle : la Paracha selon le SFORNO

    Sforno 1

    Vérité et intégrité

     

    La paracha de Vayélé’h oscille entre deux thèmes : la question de l’écriture de l’Alliance et l’annonce que les enfants d’Israël, arrivés en terre sainte, cèderont à l’idolâtrie. La structure courte de ce texte permet d’en donner les articulations…selon le Sforno.

    • Moïse console (par anticipation !) le peuple de sa propre mort. [i] (31.1 à 31.6)
    • Moïse encourage Josué son successeur, et consigne un enseignement (Torah) (31.7 à 31.8). Rachi et Nahmanide soutiennent qu’il s’agit de l’intégralité de la Torah. Ce qui est difficile puisqu’elle n’a pas encore été donnée dans son intégralité. Fort de cette remarque, le Sforno pense qu’il s’agit de l’écriture de la  section relative à l’érection des rois[ii]. Le contexte milite en faveur de cette thèse puisque…
    • Les versets 31.10 à 31.13 édictent l’obligation faite aux rois de réunir le peuple tous les sept ans pour procéder à la lecture d’une partie de la Torah.
    • Les versets 31.14 à 31.24 décrivent la passation de pouvoir entre Moïse et Josué. Elle s’accompagne à nouveau de l’annonce que le peuple pratiquera l’idolâtrie, ainsi que de l’écriture d’un « chant »de mise en garde (Haazinou). Poème qui clôture la Torah, Moïse écrivit donc la Torah « jusqu’à sa fin » (31.24).
    • Les derniers versets de la section décrivent comment une Torah (de référence) devait être cachée dans le saint des saints, car « je connais la dureté de ce peuple (…) et je sais qu’après ma mort il fautera ». (31.25 à 31.30).

    On comprend bien l’entrelacement du thème de l’écriture de l’alliance avec la certitude que le peuple fautera : il faut écrire l’alliance pour qu’au moment où le peuple paiera ses erreurs idolâtriques, il ne se mette pas à penser qu’il n’y a point de Dieu (31.17) ; mais qu’au contraire  c’est le peuple lui-même qui aura suscité cette réaction divine en délaissant son engagement. Mais la véritable innovation du commentaire de Sforno est la ‘découverte’ d’un livre spécifique où était écrite l’obligation de la nomination d’un roi[iii]. Il ne me semble pas que d’autres commentateurs mentionnent un tel livre.

    Il va se servir de cette remarque pour résoudre une énigme biblique.

    Le livre des Rois mentionne une très curieuse histoire : la redécouverte d’un livre par le prêtre Hilkiyahou qui suscita une vive émotion au sein du peuple[iv]. Rachi identifie ce livre comme le livre du Deutéronome. Cette lecture de Rachi pose question. Il est très étonnant que ce livre à lui seul ait été oublié contrairement aux quatre premiers livres de la Torah. L’émotion qu’il suscita est aussi très étonnante : comme si les autres livres de la Torah eux aussi ne mettaient pas en garde contre toutes sortes de transgression ! Selon le Sforno, le livre retrouvé serait précisément celui où était écrite spécifiquement l’obligation de nommer un roi.

    Or celui-ci est inclus lui-même dans le livre du Deutéronome. C’est à ne plus y rien comprendre, puisque selon le Sforno le livre du Deutéronome était en possession de tout Israël !

    Sauf que Sforno va relier l’ensemble de sa problématique à une autre alliance entre Israël et Dieu: celle qui fit Josué peu avant sa mort. Il est précisé dans le texte de Josué « écrit cette alliance dans la Torah de Dieu »[v].  Or nulle part il n’est fait mention d’un ajout dans la Torah de cette alliance, pour la simple raison que Moïse lui-même clôtura l’écriture de la Torah. Sauf à dire que c’est précisément ce texte supplémentaire où était écrit (comme tiré à part) l’obligation de nommer le roi. Si formellement tout est agencé restent de nombreuses questions de fond : pourquoi écrire ce texte à part ? Pourquoi Josué compléta-t-il ce texte ? Pourquoi un texte, connu de part ailleurs, suscita-t-il un tel émoi lorsqu’il était tiré à part ? Et enfin pourquoi Josué scella-t-il  une alliance supplémentaire à celles que fit Moïse ?

    Le Sforno fait une remarque fondamentale qui donne le contenu de l’ensemble de la réflexion. Il s’appuie sur un verset de l’alliance faite par Josué : servez Dieu « avec vérité et intégrité »[vi]. Cet élément n’était pas présent lors des alliances avec Moïse. Le Sforno commente ces mots « avec réflexion et action ». Il ne s’agit pas de servir Dieu mécaniquement mais avec réflexion. On imagine bien un serviteur zélé qui a accompli les commandements de Dieu en espérant accéder au monde futur où enfin l’ensemble d’une loi absurde trouverait son aboutissement qui tout d’un coup se trouve dans l’obligation de réfléchir ! C’est ce drame existentiel qui a amené à toute la relecture de la Torah à l’époque de Hilkiyahou. Le texte de la nomination du roi a été écrit à part pour être complété : la nomination d’un roi laisse penser que toute la Torah n’a comme enjeu qu’une politique[vii] nationale et identitaire. La politique est susceptible de subvertir la globalité du message de la Torah[viii].   C’est pourquoi dans son commentaire le Sforno a à cœur de préciser que jusqu’à l’époque de Samuel, il n’y avait pas de roi en Israël uniquement des ‘dirigeants’ (naguid)[ix].

    Ce que suggère le Sforno c’est que la question politique loin de permettre l’épanouissement d’un monde de Torah, vient le ternir, car il empêche que la Torah en acte ne germe à partir d’une réflexion puisque dans un monde politiquement organisé la Torah elle-même est prise en otage.

    Franck Benhamou

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו דברים פרק לא

    (כו) והיה שם בך לעד. יעיד שידעתי שתעזבו את תורת האל יתברך ושבשביל זה הוצרכתי לשים ספר תורה אחד במקום שלא יכנס שם אדם זולתי כ"ג אחת בשנה ויעיד זה הספר שכל מה שימצא כתוב בספר התורה שימצאו ביד צדיקי הדור הן הן הדברים שנאמר לו למשה מסיני בלי תוספת וחסרון ובזה לא יולד ספק לכם עליהם. אמנם הספר שמצא חלקיהו נראה שהיה הספר שנתן משה אל הכהנים נושאי ארון ברית ה' שהוזכר למעלה שהיה פרשת המלך בלבד ובו כתב יהושע הברית שחדש עם ישראל בשכר שקבלו עליהם בו לעבוד את האל יתעלה באמת ובתמים שהוא בעיון ובמעשה וכשקרא בו יאשיהו וראה שרחקו מכל זה חרד ודרש את ה' על זאת (מלכים - ב כב, יג

     


    [i] Interprétation selon le Sforno.

    [ii] Dvarim 17.14 à 17.20.

    [iii] Le texte de ce livre étant lui-même un morceau du Deutéronôme.

    [iv] Voir Rois II §22. Chronique II 34.15.

    [v] Josué 24.26.

    [vi] Traduction littérale qui ne veut pas dire grand-chose, puisque servir Dieu consiste à faire ce qu’il dit de faire.

    [vii] Le Sforno écrit dans son commentaire sur le verset « car je sais que la pulsion du peuple le conduira à fauter » (31.21) : les juifs n’escomptent pas entrer dans la terre sainte pour révérer Dieu, mais uniquement pour satisfaire leurs besoins, d’où leur inclination à l’idolâtrie ». L’idole est la puissance à laquelle on s’adresse pour se nourrir.

    [viii] Sans doute à ce compte Spinoza ne s’est pas trompé !

    [ix] Reste à comprendre ce qui a modifié ce régime, mais une lecture attentive des versets semble le confirmer.

  • L'injonction à la techouva- Nitsavim

      Cycle : la Paracha selon le SFORNO

    Sforno 1

      L’injonction à la Teshouva

     

    De manière opportune, la parasha de Nistavim contient un nombre important de versets ayant trait à la Teshouva – Moshé rabbénou mettant en garde le peuple d’Israël avant de s’en séparer. C’est l’occasion pour le Sforno d’expliciter sa vision de l’obligation de se repentir – « Mitsvat ha-Teshouva ».

    « Tu reviendras vers ton cœur » (30:1). Comme dans le texte du Shema, le mot cœur est écrit avec deux « Beth » faisant allusion à sa dualité, en tant que siège du bien et du mal. Et comme le souligne Sforno la Teshouva commence par un travail de séparation entre la vérité et mensonge, entre ce que demande vraiment la Tora et la manière erronée de se comporter qui est la nôtre.

    « Tu reviendras vers l’Eternel ton Dieu » (30:2). La seule motivation de la Teshouva doit être Dieu lui-même et l’accomplissement de sa volonté. Il n’est question ni d’amour, ni de crainte, mais uniquement de raison. De logique a-t-on même envie de dire. Mais c’est qu’« une telle Teshouva atteint le Trône céleste » ! Cet accomplissement ne peut donc pas être mécanique, contrairement à l’habitude installée. Dorénavant, tu accompliras les mitsvot de manière réfléchie, sans qu’aucun doute ne t’affaiblisse, sans qu’aucun désir matériel d’émousse ta volonté. Les choses seront intellectuellement si claires que même les enfants les plus jeunes connaîtront cette vérité.

    « Et l’Eternel ton Dieu circoncira ton cœur etc. » (30:6). Le prépuce est la membrane qui entrave, obscurcit. Le Sforno comprend ainsi la circoncision du cœur comme un dévoilement des yeux. Si jusqu’à maintenant tu étais éloigné de Dieu, c’était par « simple » erreur ! Nous avons ici affaire à une Téshouva rationaliste et ipso facto à une lecture de la faute tout aussi rationaliste : la faute c’est l’erreur et rien d’autre ! Tout simplement… Les catégories du Bien et du Mal semblent s’effacer devant celles du Vrai et du Faux. Car quand tu connaîtras la vérité, tu aimeras Dieu « nécessairement » -- adeptes du romantisme religieux, s’abstenir.

     

    Emmanuel Ifrah – 09/2018

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו דברים פרק ל פסוק א
    והשבות אל לבבך. התבונן בחלקי הסותר ותשיבם אל לבבך יחדיו להבחין האמת מן השקר ובזה תכיר כמה רחקת מן האל יתעלה בדעות ובמנהגים אשר לא כתורתו 

    ספורנו דברים פרק ל פסוק ב
    ושבת עד ה' אלהיך. תהיה תשובתך כדי לעשות רצון קונך בלבד. וזו היא התשובה שאמרו ז"ל (יומא פרק יום הכפורים) שמגעת עד כסא הכבוד (יומא פו, א):

    ספורנו דברים פרק ל פסוק ו
    (ו) ומל ה' אלהיך את לבבך ואת לבב זרעך לאהבה. יגלה עיניך לסור מכל טעות מערבב השכל מידיעת האמת כשתשתדל לדבקה בו באופן שתכיר טובו ותאהבהו בהכרח. וזה יעשה למען חייך לעולמי עד:

     

  • Du maintien sur la terre d'Israël

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

     

    Paracha ‘Ekev :

    Du maintien sur la terre d’Israël

     

    Comme à son habitude, le Sforno propose une lecture transversale de la paracha. Dans le commentaire de cette semaine, un regard d’ensemble montre ainsi qu’une ligne directrice se dégage à travers l’étude suivie des versets :

    L’accomplissement des commandements est lié au maintien du peuple sur la terre. « C’est la justice (michpat) qui fait tenir la terre » (Devarim 7, 12)[1]. Or la « bonté » (‘hessed) liée à l’alliance n’est autre que la promesse de cette terre à Abraham (ibid.)[2]. Mais pour que ses descendants bénéficient de la vie en Erets-Israël, une subsistance est indispensable. Telle est la bénédiction promise en contrepartie de « l’écoute » : des moyens matériels permettant de s’y maintenir (7, 13)[3].

    Cependant la réussite dans l’acquisition de la subsistance, et au-delà, de la richesse, peut avoir pour corolaire une croyance aux forces idolâtres, à l’instar des Cananéens bientôt dépossédés de cette même terre (7, 25)[4]. La conquête entraîne un enrichissement (8, 1)[5]. La terre d’Israël elle-même possède une richesse intrinsèque (cf. 8, 7-9). Aussi convient-il de bénir Dieu après avoir profité de ses fruits, afin de toujours se rappeler que l’abondance vient de Lui (8, 10)[6].

    Un autre danger guette les Bné-Israël. En plus du risque de rattacher la réussite aux icones de leurs prédécesseurs, ils risquent de la rattacher à eux-mêmes. Ne pas prononcer de bénédiction sur la nourriture, c’est en fait proclamer implicitement que tout vient de l’homme, que tout est acquis par sa force (8, 19)[7].

    Le risque est grand, car Israël est « un peuple à la nuque raide » (9, 6). C’est-à-dire qu’il suit ses propres idées, même quand le Maître a exprimé explicitement son désaccord pour ses dernières. Ceci, car sa raideur l’empêche de se tourner vers le Maître pour s’enquérir de son opinion[8]. L’opiniâtreté a causé de grands malheurs, se répétant régulièrement, et empêchant souvent la techouva (9, 8)[9].

    En associant sa réussite à sa force et en ne se fiant intellectuellement qu’à soi-même, on en vient aussi à l’ingratitude. Aveuglés par les belles terres bientôt possédées, les Bné-Israël en oublièrent ainsi de pleurer suffisamment sur la mort d’Aharon, et d’offrir la dignité méritée à son fils et successeur, El’azar (10, 6-7)[10]

    Devant ce noir tableau, comment réagir ? Crainte, juste marche et amour de Dieu sont les basiques pour procéder à une introspection indispensable (10,12)[11]. Circoncire le prépuce du cœur consiste à lutter contre les idées erronées [sur l’origine de la réussite notamment]. Et alors « vous ne raidirez plus votre nuque » (10, 16)[12].

    Ce n’est qu’après avoir exposé les risques inhérents à la terre, et l’introspection nécessaire pour ne pas s’y fourvoyer, que notre paracha se termine en répétant la leçon première supposée désormais véritablement intégrée : Seule l’observance des mitsvote permettra de profiter du don de la terre et la travailler sans souffrances (11, 13 et 23)[13]… Mais plus encore, et telle est la conclusion discrète et magistrale du Sforno : Le comportement adéquat sur la terre d’Israël inspirera une crainte référentielle au-delà même des frontières, « même en ‘houts laarets » (11, 25)[14]A contrario

     

     

     

    Yona GHERTMAN

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : cf. notes

     


    [1] ספורנו דברים פרק ז

    את המשפטים. כי במשפט יעמיד ארץ:

    [2] ספורנו דברים פרק ז

    ואת החסד. כאמרו אז ונתתי לך ולזרעך אחריך את ארץ מגריך (בראשית יז, ח).

    [3] ספורנו דברים פרק ז

    וברכך. בממון לחיי שעה ובזה ייטיב את החסד אשר נשבע שתהיו בארץ באופן מאושר:

    [4] ספורנו דברים פרק ז

    (כה) פן תוקש בו. שלפעמים יקרה שתצליח באותו כסף וזהב שעליהם ותחשוב שהיה זה בכח אותה העבודת גלולים שהיו עליה:

    [5]

    ובאתם וירשתם. ושתשיגו עושר וכבוד בירושת הארץ

    [6] ספורנו דברים פרק ח

    (י) וברכת את ה' אלהיך. למען תזכור כי מאתו היו אלה לך:

    [7] ספורנו דברים פרק ח

    (יט) והיה אם שכח תשכח. וזה יקרה כאשר תיחס הצלחתך אל כחך ולא תברכהו עליה:

    [8] ספורנו דברים פרק ט

    (ו) כי עם קשה עורף אתה. שאי אפשר שיהיה צדק ויושר לבב עם קשי העורף כי אמנם קשה העורף הוא ההולך אחרי שרירות לבו ומחשבתו אף על פי שיודיעהו איזה מורה צדק בראיה ברורה שמחשבתו הוא בלתי טובה ומביאה אל ההפסד וזה כי לא יפנה אל המורה כאלו ערפו קשה כגיד ברזל באופן שלא יוכל לפנות אנה ואנה אבל ילך אחרי שרירות לבו כמאז:

    [9] ספורנו דברים פרק ט

    (ח) ובחורב הקצפתם. ויעיד על רוע מדת קשי העורף כי אמנם כשהקצפתם את ה' בחורב לא היה אומר להשמידכם אלא בשביל שאתם עם קשה עורף כאמרו ית' ראיתי את העם הזה והנה עם קשה עורף הוא הרף ממני ואשמידם (להלן ט, יג יד) וזה כי אמנם קושי העורף מסיר את תקות התשובה:

    [10] ספורנו דברים פרק י

    (ו) ובני ישראל נסעו. אף על פי שראו שתפלת הצדיק מגינה על דורו ושראוי להתאונן על מיתתו הנה קצתם או רובם שהיו רועים במדבר נסעו למוסרה למצוא מים ומרעה לצאן ובעודם שם מת אהרן ויקבר ויכהן אלעזר ולא באו להתאונן על המיתה ולא להתאבל על הקבורה ולא חששו לכבד אלעזר שכהן תחתיו אבל משם נסעו הגדגדה לרעות צאן:

    (ז) ומן הגדגדה יטבתה ארץ נחלי מים. שכל אותם המקומות הנזכרים עתה היו ארץ נחלי' נכונים למרעה הצאן ולא שתו לבם להיזק שקרה במות הצדיק ולא לכבודו ולכבוד בנו:

    [11] ספורנו דברים פרק י

    (יב) ועתה ישראל. אם כן אתה ישראל השתדל עתה לתקן מעוותך מכאן והלאה והתבונן מה ה' אלהיך שואל מעמך שאינו שואל דבר לצרכו כי אם ליראה. וזה תעשה בהתבוננך באופן שתדע גדלו:

    [12] ספורנו דברים פרק י

    (טז) ומלתם את ערלת לבבכם. אם כן ראוי שתסירו את ערלת שכלכם והוא שתתבוננו להסיר כל טעות מוליד דעות כוזבות:

    וערפכם לא תקשו עוד. ובסור קשי העורף המונע מלפנות אל הראוי תפנו להכיר את בוראכם ותראו כי רע ומר לעזבו וזה שתתבוננו:

    [13] ספורנו דברים פרק יא

    (יג) אם שמוע תשמעו ונתתי מטר ארצכם בעתו. באופן שתתפרנסו שלא בצער ותוכלו לעבדו ואם לאו לא יתן מטר כלל ולא יהיה לכם מזון לחיות בה:

    ספורנו דברים פרק יא

    (כג) והוריש. יתן לכם מקום להתפרנס בו שלא בצער למען תוכלו לעשות רצונו:

    [14] ספורנו דברים פרק יא

    (כה) לא יתיצב איש בפניכם. אפילו בחוצה לארץ: חסלת פרשת עקב

  • Etre sage aux yeux des nations

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Vaet'hanan : Etre sage aux yeux des Nations

     

    « Observez-les [lois et les décrets de Dieu] et pratiquez-les ! Ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, car lorsqu’ils auront connaissance de toutes ces lois, ils diront : “Elle ne peut être que sage et intelligente, cette grande nation !” En effet, où est le peuple assez grand pour avoir des divinités accessibles, comme l’Éternel, notre Dieu, l’est pour nous toutes les fois que nous l’invoquons ? Et où est le peuple assez grand pour posséder des lois et des statuts aussi bien ordonnés que toute cette doctrine que je vous présente aujourd’hui ? » (Dévarim, 4:6-8).

    A lire ces quelques versets du début de Vaét’hanan, on se dit que la Tora répond par avance à l’obsession qui sera celle du peuple juif à bien des époques, celle de vouloir briller par son intelligence et se distinguer des autres peuples par sa sagesse. Mais nous sommes immédiatement détrompés : les Nations ne nous admireront ni pour nos Prix Nobel, ni pour nos hommes politiques, ni pour nos milliardaires, ni pour nos artistes.

    Le peuple juif brillera dans la mesure où il remplira sa fonction dans l’économie cosmique : combattre l’idolâtrie et proclamer la Royauté divine.

    La Tora est notre sagesse, certes. Mais pourquoi faire ? « Pour pouvoir rétorquer à l’hérétique à l’aide de preuves rationnelles » nous dit Sforno (4:6).

    Et pourquoi poursuivre cette sagesse ? De nombreux peuples possèdent des sciences diverses et variées, mais ils ne sont pas pour autant obsédés par leur diffusion généralisée en leur sein !

    Réponse paradoxale du Sforno : nous devons être vus comme sages [en Tora] par les Nations car nous sommes le peuple de Dieu. La preuve, Dieu nous répond à chaque fois que nous l’appelons. (C’est en tout cas ce qu’affirme le verset.) Et si nous ne possédons pas notre propre sagesse, nous causerons une profanation du Nom divin auquel nous sommes ainsi attachés. Les Nations diraient en quelque sorte que Dieu exauce un peuple qui ne le mérite pas.

    Connaître et mettre en application la Tora divine est donc la première qualité par laquelle nous devons nous distinguer, afin que le Nom de Dieu soit proclamé.

    Mais il y a une deuxième qualité qui vient ipso facto et qui est intrinsèque à la nature de la Tora, une qualité qui elle aussi est une proclamation de l’existence de Dieu.

    D’après le Sforno, la totalité des systèmes juridiques sont conçus pour servir l’intérêt du souverain ou de ceux qui exercent le pouvoir. Tel n’est pas le cas de la Tora : elle n’est conçue que pour établir la justice.

    On voit donc déjà inscrite en filigranes dans ces quelques versets, la vision que développeront avec tant de force et d’inspiration les grands prophètes d’Israël, celle du peuple juif appelé à accomplir son destin à travers la justice, justice qui doit être le ferment de la Délivrance : « Tsion sera sauvé par la justice[1] » (Isaïe 1:27).

     

    Emmanuel Ifrah – 07/2018

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו דברים פרק ד
    (ו) כי היא חכמתכם. בה תשיבו לאפיקורוס במופתים שכליים:

    (ז) כי מי גוי גדול אשר לו אלהים קרובים אליו. והטעם שראוי להקפיד שתהיו נחשבים חכמים ונבונים לעיני העמים הוא שהאל יתברך קרוב אלינו בכל קראנו אליו. וזה יורה שבחר בנו מכל העמים. ואם יחשבו אתכם העמים לסכלים יהיה חלול ה' באמור לכל עם ה' אלה:

    (ח) ומי גוי גדול אשר לו חקים וגו'. והטעם שתחשבו חכמים בעיני האומות בשמרכם את חקי האלהים ואת תורותיו הוא שאין שום גוי במציאות כזה שיהיו לו חקים מורים מציאות האל ודרכיו ומשפטים צדיקים שאין בם ענין לתועלת הדיין ולא לשכר חזניהם וסופריהם אבל כל ענינם משפט וצדק. כענין אמרם ז"ל (סנהדרין ו, ב) משפט לזה וצדקה לזה. משפט לזה שהחזיר לו את שלו. וצדקה לזה שהוציא גזלה מתחת ידו:


    [1] Verset par lequel se clôture la dernière Haftara « de punition » et s’ouvre la perspective vers la délivrance et la consolation.

  • SFORNO - DEVARIM

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Sforno – Parashat Devarim

     

    א אֵלֶּה הַדְּבָרִים, אֲשֶׁר דִּבֶּר מֹשֶׁה אֶל-כָּל-יִשְׂרָאֵל, בְּעֵבֶר, הַיַּרְדֵּן: בַּמִּדְבָּר בָּעֲרָבָה מוֹל סוּף בֵּין-פָּארָן וּבֵין-תֹּפֶל, וְלָבָן וַחֲצֵרֹת--וְדִי זָהָבב אַחַד עָשָׂר יוֹם מֵחֹרֵב, דֶּרֶךְ הַר-שֵׂעִיר, עַד, קָדֵשׁ בַּרְנֵעַג וַיְהִי בְּאַרְבָּעִים שָׁנָה, בְּעַשְׁתֵּי-עָשָׂר חֹדֶשׁ בְּאֶחָד לַחֹדֶשׁ; דִּבֶּר מֹשֶׁה, אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, כְּכֹל אֲשֶׁר צִוָּה יְהוָה אֹתוֹ, אֲלֵהֶםד אַחֲרֵי הַכֹּתוֹ, אֵת סִיחֹן מֶלֶךְ הָאֱמֹרִי, אֲשֶׁר יוֹשֵׁב, בְּחֶשְׁבּוֹן--וְאֵת, עוֹג מֶלֶךְ הַבָּשָׁן, אֲשֶׁר-יוֹשֵׁב בְּעַשְׁתָּרֹת, בְּאֶדְרֶעִיה בְּעֵבֶר הַיַּרְדֵּן, בְּאֶרֶץ מוֹאָב, הוֹאִיל מֹשֶׁה, בֵּאֵר אֶת-הַתּוֹרָה הַזֹּאת לֵאמֹר.

     

    1 Ce sont là les paroles que Moïse adressa à tout Israël en deçà du Jourdain, dans le désert, dans la plaine en face de Souf, entre Pharan et Tofel, Labân, Hacéroth et Di-Zahab. 2 Il y a onze journées depuis le Horeb, en passant par le mont Séir, jusqu'à Kadéch-Barnéa. 3 Or, ce fut dans la quarantième année, le onzième mois, le premier jour du mois, que Moïse redit aux enfants d'Israël tout ce que l'Éternel lui avait ordonné à leur égard. 4 Après avoir défait Sihon, roi des Amorréens, qui résidait à Hesbon, et Og, roi du Basan, qui résidait à Astaroth et à Edréi; 5 en deçà du Jourdain, dans le pays de Moab, Moïse se mit en devoir d'exposer cette doctrine, et il dit: 

     

    Ces premiers versets du livre de Dvarim ont partagé nos exégètes. Plus particulièrement le premier verset qui annonce des paroles dites par Moise mais n’en dit pas la teneur… Rashi, par exemple, relit les versets 3 à 5 de manière allégorique, y voyant donc le contenu des réprimandes émises par Moise. Ramban, quant à lui, ne décèle les paroles de Moise que dans la fin du verset 5, lorsque Moise « expose la doctrine de la Torah ».

    Sforno propose une lecture originale qui répond à cette question. Si le premier verset annonce une parole de Moise, son contenu se trouve dans le verset… deux ! « Il y a onze journées depuis le Horeb, en passant par le mont Séir, jusqu'à Kadéch-Barnéa. ». Quel est le sens d’une telle parole ? Sforno y voit une accusation répétée par Moise pendant les quarante ans du désert. A chaque étape énumérée dans le premier verset, si les Bne-Israel se plaignaient de ces pérégrinations sans but et répétitives, Moise leur repetait sa remontrance « Il y a onze journées depuis le Horeb, en passant par le mont Séir, jusqu'à Kadéch-Barnéa. » : si vous n’aviez fauté, nous aurions atteint la terre d’Israël en onze petites journées…

    Ce court commentaire nous démontre ici encore, la force de pshat qui habitait les Rishonim. Au-delà des considérations philosophiques, il y avait un souci permanent de donner une cohérence littérale au texte …

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו דברים פרק א
    (א) אלה הדברים אשר דבר משה אל כל ישראל וגו'. אמר שבכל אחד מהמקומות שהזכיר פה והם מקומות אשר עותו שם ארחות דרכם בגזרת האל יתעלה להניעם במדבר בעון המרגלים אמר משה לכל ישראל אלה הדברים שיזכיר. והם:

    (ב) אחד עשר יום מחורב כו'. וזה כי כל ל"ח שנה שהניעם במדבר אנה ואנה לא הלכו בדרך ישר מכוון אל מקום נודע וכשהיו מגיעים אל מקום אשר משם היו נעים וחוזרים לאחוריהם או לצדדין ולא בדרך ישר היה משה אומר להם ראו מה גרמתם שהרי מהלך אחד עשר יום יש מחורב עד קדש ברנע דרך הר שעיר שהוא הדרך היותר קצר אצל עוברי דרכים. והאל יתברך הוליך אתכם לקדש ברנע בשלשה ימים דרך המדבר הגדול והנורא ומפני עונכם אתם נעים כל זה הזמן. וכל זה היה אומר למען יזכרו וישובו אל ה':

     

  • L'adolescence : d'une parole en formation à une parole en conflit

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    L’adolescent : d’une parole en formation à une parole en conflit

     

    Le début de la section Matot parle d’un thème peu connu : de l’importance des engagements que prend une personne sur elle-même[1]. Soit une personne s’engageant par exemple à être végan ou embrassant une cause humanitaire. D’un premier abord, ceci a l’air bien inoffensif, et l’on serait enclin à penser que cela ne concerne que la personne elle-même. La Torah donner une portée immense à ces engagements. A tel point qu’une personne qui transgresserait son vœu « profane le nom de Dieu »[i]. « Vous ne jurerez pas en Mon Nom pour mentir, ce serait profaner le nom de Dieu », nous avait averti le livre de Vayikra[ii]. L’interdit en jeu dans le non-respect de ses engagements est le même selon le Sforno. Pourtant le verset stipule : « vous ne profanerez pas votre parole »[iii],  dans un engagement il ne s’agit que d’un rapport ‘entre soi et soi et même’, comme on se plait à le dire. L’étonnement est double : d’une part pourquoi introduire Dieu ? D’autre part pourquoi mettre le non-respect d’un engagement purement verbal en rapport avec du mensonge ? Il me semble que ces questions peuvent être résolues simultanément. La Torah exige de prendre au sérieux ce que l’on se dit avec autant de sérieux et de résolution que ce que l’on dit à Autrui.

    Une fois posé l’importance à accorder à sa propre parole, on peut entrer dans le vif du sujet. La Torah prend comme une évidence qu’un père peut intervenir dans les engagements de ses enfants, jusqu’à l’âge de l’adolescence[iv]. Naturellement se pose immédiatement la question de la double allégeance : allégeance aux parents mais aussi fidélité à sa propre parole. Comment concilier le rôle prépondérant accordé à la parole avec celui de sa négation possible ? Surtout lors de cette période charnière où la personnalité de forme et se fonde, surtout durant cette période si précieuse où l’on va s’engager pour ses idéaux.

    Lorsque le père désavoue son fils (ou sa fille) devant un engagement qu’il aurait pris, la Torah énonce un simple « et Dieu lui pardonnera », la réponse semble un peu courte !

    Reprenons le passage au ras du texte :

    Pour la femme, si elle fait un vœu au Seigneur ou s'impose une abstinence dans la maison de son père, pendant sa jeunesse, et que son père, ayant connaissance de son vœu ou de l'abstinence qu'elle s'est imposée, garde le silence vis-à-vis d'elle, ses vœux, quels qu'ils soient, seront valables; toute abstinence qu'elle a pu s'imposer sera maintenue.  Mais si son père la désavoue le jour où il en a eu connaissance, tous ses vœux et les interdictions qu'elle a pu s'imposer seront nuls. Le Seigneur lui pardonnera, son père l'ayant désavouée[v]

    Rachi –à la suite du Talmud- propose la lecture suivante : si un adolescent a transgressé son vœu alors que son père l’avait désavoué, sans qu’il ne le sache, il sera pardonné par Dieu. Il semble donc que la parole ait été littéralement annulée par le père, quand bien même le jeune n’en sait rien, cette parole n’existe plus ; le pardon divin, signifie que même si l’adolescent pense avoir fauté, son père a annulé sa faute par anticipation. Qu’en est-il de la parole de l’adolescent ? Par autorité ou par inquiétude n’annule-t-on pas toute parole responsable par anticipation ? Ne lui évite-t-on pas toute possibilité de fauter par amour de sa progéniture?

    Sforno propose une autre interprétation : pour lui le pardon divin, ne provient pas d’une décision arbitraire. « Dieu lui pardonnera parce que le jeune ne connaissait pas l’intention de son père au moment où son vœu a été dit ». C’est parce que le jeune ne comprend pas toujours les décisions parentales que le pardon est possible. Contrairement à Rachi qui n’expliquait pas l’arbitraire de ce pardon, laissant penser que tout pardon est arbitraire, pour le Sforno, le pardon est accordé parce que la parole à cet âge ne relève pas exclusivement de soi-même.

    On comprend alors qu’une fois que le père a entendu le vœu du jeune, et ne l’a pas désavoué le jour même, que la parole du jeune prend alors toute sa consistance : il devient responsable de cette parole et doit la porter.

    Mais si le parent, après avoir accepté sans broncher la parole du jeune dans un premier temps, se rebiffe « portera sa faute » affirme le verset. Lorsque le jeune finalement n’a pas porté son projet devant le refus parental, la parole reste mais sous forme de faute.  « Comme toute personne qui contraint une autre à fauter », commente Sforno : de n’avoir pas pris la mesure d’une parole encore fragile, de ne pas avoir saisi la place parentale jusque dans ses silences, c’est l’adulte qui sera responsable.

    Franck Benhamou.

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו במדבר פרק ל

    (ב) זה הדבר אשר צוה ה'. כשאמר בהר סיני ולא תשבעו בשמי לשקר וחללת (ויקרא יט, יב) היתה הכונה האיש הנודר או נשבע לא יחל דברו כי בחללו דברו הוא מחלל את ה' אבל האשה שאינה ברשות עצמה לא תהיה מחללת אם יפר המיפר:

    (ו) וה' יסלח לה. על שנדרה מה שאין בידה לקיים:

    כי הניא אביה אותה. והיא לא ידעה את דעת אביה כשנדרה והיה נדרה על דעת לקיים:

    (טו) ואם החרש יחריש. שהשתיקה במי שיש בידו למחות היא כמו הודאה שהשותק הוא כמסכים במה שנעשה:

     (טז) ואם הפר יפר אותם אחרי שמעו. אחרי יום שמעו שאינו יכול אז להתחרט ולהפר:

    ונשא את עונה. כמשפט כל מכריח את חבירו לעבור עבירה או מורה שקר ומתעה

     

    [1] On pourra consulter avec profit le Michné Torah pour des éléments supplémentaires. Lois sur les vœux chapitre 11.

     

    [i] Voir Sforno sur verset 2.

    [ii] Vayikra 19.12.

    [iii] Bamidbar 30.3.

    [iv] Maïmonide précisera « tant que l’enfant est à la table de ses parents », c’est-à-dire à leur charge.

    [v] Bamidbar 30.4 à 30.6.

  • Pin'has, ce pacifique zélateur

        Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Pinh’as, ce pacifique zélateur

     

    La Paracha de Pinh’as va clore l’épisode mouvementé amorcé la semaine dernière, saluant l’acte héroïque de Pinh’as qui a sauvé le Peuple en tuant aux yeux de tous Zimri fils de Salou le prince de la tribu de Chimon et sa concubine Midianite Kozbi fille de Tsour.

    Le Sforno* appuie sur l’éloge fait par D’ à propos de Pinh’as : ce dernier a vengé l’honneur de Dieu (בְּקַנְא֥וֹ אֶת־קִנְאָתִ֖י) ; il a agi de manière prompte aux yeux de tout le peuple et, développe le Sforno, puisqu’ils n’ont pas protesté en contemplant la mort de leur prince, Dieu leur a pardonné leur manque de protestation envers l’acte infamant de Zimri qui devait être absolument condamné.

    En agissant de la sorte, Pinh’as a réussi un sacré tour de force en apaisant le courroux divin (הֵשִׁ֤יב אֶת־חֲמָתִי) pesant sur les Béné Israël et qui devait les mener à leur annihilation totale. De ce fait, en rétablissant la paix entre Dieu et Son peuple, il a été digne d’un mérite particulier : une alliance de Paix (בְּרִיתִ֖י שָׁלֽוֹם).

    Selon le Sforno*, l’alliance de paix divine dont a été gratifié Pinh’as est avec l’ange de la Mort, ce dernier n’ayant à partir de ce moment plus d’autorité sur Pinh’as, qui a vécu beaucoup plus longtemps que ses contemporains, puisque c’est lui qui assurait le sacerdoce au Tabernacle situé dans la ville de Shiloh, bien après la mort de Josué.

    Et à plus forte raison, continue-t-il, s’il était encore en vie lors de l’épisode de Yifta’h et son serment délictueux de consacrer sa fille après sa victoire contre les ‘Ammonites ; épisode qui a eu cours plus de 300 ans après qu’Israël se soit établi dans Hechbon et ses dépendances et dans lequel Pinh’as n’a pas voulu se rendre auprès de Yifta’h afin de le délier de son serment.

    Et, termine le Sforno*, cette longévité apparait clairement selon l’opinion confondant Pinh’as à Eliahou le prophète, qui a quitté notre histoire sous les yeux de son disciple Elisha, mais qui demeure encore vivant et présent et confortant ainsi la théorie sur l’immortalité de Pinh’as.

    Il en ressort que Pinh’as le zélateur, a montré la voie en réconciliant Israël et son créateur dans un moment particulièrement critique. Il s’est enflammé pour venger l’honneur de Dieu à Sa place ; mais, c’est animé d’un amour incommensurable pour ses semblables, un amour de la paix entre les hommes et avec Leur créateur qu’il a agi exceptionnellement en zélateur.

    En réconciliant ainsi Dieu et Son peuple et en dissipant Sa colère, il va rapprocher deux contraires, l’homme et la mort, signe absolu de la colère divine envers ce dernier.

    Il a donc mérité une longévité exceptionnelle, qu’il a mis à contribution de son peuple en se consacrant pleinement à la recherche de la paix tel son grand-père Aharon et qu’il continuerait, sous l’identité du prophète Elie, à patronner chaque entrée dans l’Alliance de Avraham notre père à la recherche d’un successeur à même de pérenniser son combat pour la paix pour finalement assurer son rôle de précurseur de l’époque Messianique, en rapprochant les cœurs des enfants vers Leur père et ainsi, d’accompagner le Messie à nos portes.

     

    Elie DAYAN

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    בקנאו את קנאתי בתוכם שעשה נקמתי לעיני כולם כדי שבראותם זה ולא ימחו יכופר על אשר לא מיחו בפושעים ובזה השיב את חמתי מעליהם

    את בריתי שלום ממלאך המות כענין עושה שלום במרומיו כי אמנם ההפסד לא יקרה אלא בסבת התנגדות ההפכים וזה אמנם נתקיים בפינחס שהאריך ימים הרבה מאד מכל שאר אנשי דורו עד שהיה הוא משמש במשכן שילה בזמן פלגש בגבעה שהיה בלי ספק אחרי מות יהושע ושאר הזקנים אשר האריכו ימים אחרי יהושע וכל שכן אם היה בזמן יפתח שכתב למלך בני עמון בשבת בני ישראל בחשבון ובבנותיה כו » שלש מאות שנה וכבר ספרו ז''ל שפינחס לא רצה ללכת אז אל יפתח להתיר נדרו וכל שכן לדברי האומר אליהו זה פינחס והוא עדיין חי וקיים

  • Le libre arbitre de Bilaam

      Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Qui sont ces hommes ? Le libre arbitre de Bilaam

     

    Bilaam est sans doute le personnage principal de notre paracha. Prophète des nations, il est présenté, dans la littérature talmudique, de manière extrêmement négative. Il est ainsi écrit dans Pirkei Avot 5, 20 que « tous ceux qui ont un mauvais œil et un esprit orgueilleux sont les disciples de Bilaam le méchant ».

    Et pourtant, dans notre paracha, et tout particulièrement à travers le commentaire de Sforno, se dégage un aspect plus complexe de Bilaam et en particulier de sa relation à Dieu.

    La paracha commence lorsque Balak, roi de Moav, ayant entendu que Sihon roi des Emoréens a été battu par les Hébreux, et ne voulant pas combattre, fait appel à Bilaam pour qu’il maudisse les enfants d’Israel. Les Sages, et Sforno s’accordent pour dire que Bilaam n’a pas le pouvoir de bénir ou maudire mais de rappeler une faute ou de définir précisément le moment où Dieu se met en colère. [1]

       Bilaam demande à Dieu l’autorisation de maudire les enfants d’Israël et c’est le dialogue qui se noue qui va retenir notre attention.

    En ouverture de ce dialogue, Dieu demande à Bilaam, à propos des envoyés de Balak, « Qui sont ces hommes » ?

     

    Question étonnante. Dieu n’est Il pas omniscient ?

    Rachi et Sforno proposent deux explications différentes. Et pourtant, elles mettent toutes les deux en avant le libre arbitre de Bilaam.

    Selon Rachi, c’est pour l’induire en erreur. « C’est donc, a pensé Bilaam, qu’il Lui arrive de ne pas tout savoir et de n’avoir pas toujours parfaitement conscience de la réalité ! Je vais donc faire en sorte de trouver un moment approprié pour maudire sans qu’il s’en rende compte »[2].

    De fait, le but de cette question serait de restaurer le libre arbitre de Bilaam. En lui faisant croire que Dieu ne sait pas qui sont ces hommes, Il lui donne la possibilité de choisir librement, sans contraintes. Cette explication rappelle celle que donne Sforno à propos de l’endurcissement du cœur de Pharaon.  Si Dieu renforce le cœur de Pharaon, c’est pour l’aider à surmonter les impressions écrasantes liées aux plaies et à choisir sans être « impressionné ».

    L’explication de Sforno, à la question « Qui sont ces hommes ?», est différente et, pourtant, elle parle aussi de libre arbitre.

    « Qui sont ces hommes ? » demande Dieu. Pour Sforno, la question est : « Qui sont-ils pour toi (..) ? Les considères tu réellement comme ceux qui veulent connaitre l’avenir que tu cherches donc à connaitre afin de pouvoir le leur divulguer ? Ou les considères tu comme cherchant à atteindre un certain objectif par le biais de ta malédiction et ton intention maintenant est de demander ma permission pour satisfaire leur requête ? » [3]

    Tu n’iras pas avec eux, conclu-t-Il.

    A la demande de Balak, Bilaam demande une nouvelle fois la permission d’aller maudire les enfants d’Israël. Et Dieu lui répond ׃

    « Si ces hommes sont venus t’appeler lève-toi va avec eux (…) mais uniquement la chose que je te déclarerai celle-là tu feras ».

    On a là une réponse très « pédagogique », très expliquée.  Dieu n’a pas changé d’avis, Bilaam ne peut pas aller pour maudire. Par contre, il a la permission d’accompagner ces hommes pour leur donner conseil et les empêcher de maudire[4].

    On comprend mieux la suite. Bilaam part avec les deux envoyés et Dieu se met en colère. Car dit, Sforno, il allait de son propre chef comme quelqu’un un d’intéressé qui défie la volonté de Dieu.  L’explication repose sur le verbe aller. Dieu dit קום לך אתם : va avec eux, accompagne-les, suit les. Mais, ensuite le texte dit de Bilaam ; כי הולך הוא. Il allait de son propre chef animé d’une volonté propre, donc, de maudire. Bilaam n’a pas pris en compte la réponse pourtant très détaillée. Il ne pouvait partir que pour donner des conseils avisés et non maudire[5].

    Et lorsque l’ange l’arrête, c’est encore une fois pour l’empêcher de maudire mais non de faire de la divination. Et si pour l’interpeller, Dieu a recours à un signe extraordinaire : l’ânesse qui parle, tout cela, dit Sforno, c’est pour que Bilaam puisse se ressaisir pour se repentir.

     

    A ce stade, on ne peut être qu’étonné de tant de « prévenances ». On a là Bilaam Haracha. Celui qui ne veut pas entendre la parole divine, qui la déforme. Qui n’en fait « qu’à sa tête ». Dieu aurait tout simplement pu l’empêcher de partir. Or Il lui laisse constamment le choix, la possibilité de se ressaisir.

    La réponse de Sforno, toute en brièveté, donne une ampleur particulière au personnage. « et tout cela [est arrivé] pour qu'un homme [un prophète] comme lui ne disparaisse pas »[6].  Si Dieu a doté l’ânesse de la parole, Il peut la reprendre à sa guise. De même, Il pourrait priver Bilaam de parole (prophétique). 

    Il est bien écrit dans le Sifri [7]que Bilaam est, pour les nations, l’égal de Moche.  Et, explique Sforno, il est traité comme tel. On ne prive pas un tel homme de son libre arbitre. Jusqu’au bout Dieu donne la possibilité à Bilaam de choisir la bonne voie. Il l’avertit. Dieu fait preuve finalement d’une très grande patience.

    Et pourtant, malgré les différents avertissements, Bilaam choisit de maudire les enfants d’Israël. Et c’est alors que Dieu intervient et ne le laisse dire que des bénédictions. Non pas, disent les Sages, de peur que ces malédictions ne s’accomplissent. Mais de peur que, si certaines paroles se réalisaient, on puisse lui en attribuer la cause[8]. Car, encore une fois, Bilaam n’a pas le pouvoir de maudire mais de percevoir les moments où Dieu est en colère contre les enfants d’Israël.

    Bilaam est un personnage négatif. Prophète des nations, capable de percevoir les faiblesses des enfants d’Israël, c’est lui qui, finalement, conseille aux femmes de Moav de séduire les enfants d’Israël, chute dramatique qui clôt cette paracha. On retiendra, tout de même, de l’explication de Sforno, cette leçon : un tel homme a, comme tous, un libre arbitre. A chaque instant, Dieu lui offre la possibilité de choisir la bonne voie. De même que l’endurcissement du cœur de Pharaon ne le prive pas de son libre arbitre. De même, le dialogue entamé a pour but de permettre à Bilaam de prendre la bonne décision.

     

    Noémie LEBEN 

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    [1] (ספורנו במדבר פרק כב, פסוקו ) אשר תברך מבורך ׃ הבה כחו לא היה לברך אבל היה לקלל בהזכיר עון, או בכון שעה כדברי רבותינו ז״ל (ברכות ז,א).

     

    [2] (רש״י במדבר פרק כב֪פסוק ט) מי האנשים האלה עמך׃ להטעותו בא... אמר פעמים שאין הכל גלוי לפניו אין דעתו שוה עליו אף אני אראה עת שאוכל לקלל ולא יבין 

    [3] (ספורנו במדבר פרק כב֪פסוק ט) מי האנשים האלה עמך ׃ מי הם אצלך שהכינות עצמך לנבואה לדעת מה תעשה להם, האמנם הם אצלך כשואלי עתידות ותרצה לדעתא העתיד למען תגיד להם או הם אצלך כמבקשים להשיג איזה מכון בקללתך, ודעתך עתה לשאל רשות אם תעשה חפצם.                                        

    [4]אם לקרוא לך באו האנשים ׃ אם להועץ עמך בלבד((ספורנו במדבר פרק כב֪פסוק כ)

     קום לך אתם׃ להזהירם שלא יחטאו

    [5] (ספורנו במדבר פרק כב֪פסוק כב) כי הולך הוא ׃ שלא היה ענינו בדרך  כמי שיוליכוהו אחרים, כענין ײויקם אחריהײ, אבל היה ײהולך הואי כבעל דבר, וכמשתדל נגד רצון האל יתברך, כי לא באו לקרוא לו לעצה כלל.       

    [6] (ספורנו במדבר פרק כב֪פסוק כח) ויפתח ה׳ את פי האתון ׃ נתן בה כח לדבר, כענין ײה׳ שפתי תפתחײ (תהלים נא,יז), וכל זה היה כדי שיתעורר בלע לשוב בתשובה,בזכרו כי מה׳  מענה לשון גם לבלתי מוכן,כל שיוכל להסירו מן המוכן כרצונו,  וכל  זה כדי שלא יאבד איש כמוהו

    [7] ספרי זאת הברכה 16

    [8] Rabbénou Be’haye, Rav Chlomo Astruk

  • Un peuple uni dans le service de Dieu ?

      Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

      

    Un peuple uni dans le service de Dieu ?

     

    Le Sforno commence son commentaire sur la paracha Béa’alotékha par une explication sur la symbolique de la Ménorah :

     La septième branche du chandelier est la branche intermédiaire et la principale. Vers elle se tournent les six autres branches. Une fois que leurs flammes l’atteignent, alors la lumière peut se répandre sur tout Israël. Les branches de droite représentent les tenants d’une recherche de la vie éternelle. Celles de gauche représentent les partisans d’une vie ‘pour l’instant’. Ce n’est que lorsque ces caractères extrêmes parviennent à se rejoindre que l’harmonie, symbolisée par l’épanchement de la lumière, peut alors exister entre le peuple d’Israël et Dieu.

    Pour comprendre l’idée de cette nécessaire osmose entre les représentants de la vie éternelle et ceux de la vie pour l’instant, un passage du Talmud est cité : « S’il n’y avait les feuilles, les grappes ne tiendraient pas »[1]   Israël est comparé à la vigne. Les érudits en Torah sont comparés aux grappes, qui constituent l’essentiel de vigne ; et les ignorants aux feuilles. Or les feuilles permettent de protéger les grappes de la chaleur du soleil et des vents violents. Les grappes ne pourraient subsister sans elles. Ainsi les érudits en Torah qui s’investissent continuellement dans l’étude ne pourraient subsister sans les ignorants qui travaillent la terre et la font fructifier, permettant ainsi à tous d’en profiter. C’est pourquoi les érudits prient pour les ignorants. Les uns ont donc besoin des autres… bien qu’opposés.

    Certes, l’union est ici de nature utilitaire, pragmatique. Mais dans une société si sujette au renfermement sur soi, la conscience de la nécessité d’autrui n’est-elle pas un idéal à atteindre ? Tel était d’ailleurs l’engagement des Bné-Israël lors du don de la Torah : « Alors tout le peuple répondit : ce qu’Hachem a dit, nous le ferons » (Shémote 19, 8). L’emploi de la première personne du pluriel par tout le peuple indique selon le Sforno l’aveu que l’accomplissement de la volonté divine doit nécessairement passer par une union des forces contraires.

    Dans un second temps, notre auteur va travailler cette idée d’une union-nécessité à propos de la suite des versets, rappelant que la tribu de Lévy remplace désormais les premiers-nés dans le service du Temple. Si les premiers-nés étaient originairement choisis en raison de la place d’honneur dont ils jouissaient au sein du foyer paternel, les Léviim sont désormais privilégiés car ils ont montré leur investissement pour Hachem au moment de punir les auteurs du veau d’or (Shémote 32, 26). Cependant, ils ont été choisis « du sein des bné-Israël », ce qui signifie qu’il appartient au reste du peuple de subvenir à leurs besoins afin qu’ils puissent accomplir leur tâche sacrée.

    Or une fois encore, l’aide fournie à l’autre est de nature pragmatique : Le peuple subvient au besoin de ceux qui s’investissent dans le service de Dieu, car l’accomplissement de ce service divin permet de leur apporter l’expiation de la faute du veau d’or, ayant provoqué le renvoi des premiers-nés de leur tâche initiale. Ainsi chacun a besoin de l’autre.

    Pour résumer, dans ses commentaires sur les deux premiers sujets de notre paracha, le Sforno développe une seule et même idée avec deux exemples différents. Dans le premier exemple, ceux qui étudient la Torah (les tenants d’une recherche de la vie éternelle) sont obligés de composer avec ceux qui préfèrent voir la vie professionnelle comme une fin en soi (les tenants de la vie pour l’instant). Dans le second, les Léviim ont besoin de l’argent (maasser) du peuple pour vivre au service de Dieu, le dit-service consistant à prier pour ses derniers…

    Il est sûrement aussi dur pour l’érudit en Torah de concevoir que l’ignorant puisse avoir une utilité ; que pour le travailleur de concevoir l’intérêt d’un temps complet dans l’étude (koulo kodech)… Mais n’oublions pas que le Sforno décrit avant tout un idéal : celui d’une Ménorah allumée et déversant sa lumière sur tout Israël.

     

    Yona GHERTMAN

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : 

    ספורנו במדבר פרק ח

    אל מול פני המנורה. שהוא הקנה האמצעי וזה כשתפנה שלהבת כל אחד מהששה נרות אל הקנה האמצעי: אז יאירו שבעת הנרות. כל השבעה יאירו וישפיעו אור עליון לישראל שיורו היות אור הימנים ואור השמאלים מכוון ופונה אל אור הקנה האמצעי שהוא עיקר המנורה ושכן ראוי שכונת המימינים העוסקים בחיי עולם והמשמאלים העוסקים בחיי שעה העוזרים למימינים, כאמרם אלמלי עלייא לא מתקיימי אתכליא (חולין צב, א) תהיה להפיק רצון האל יתברך באופן שיושג מכוונו בין כולם וירוממו את שמו יחדו כמו שקבלו עליהם כאשר העיד באמרו ויענו כל העם יחדו ויאמרו כל אשר דבר ה' נעשה (שמות יט, ח) כלומר בין כולנו נשלים כונתו:

    (ד) וזה מעשה המנורה מקשה. וזה התכלית בעצמו המכוון בהדלקת הנרות אל מול פני המנורה הוא בעצמו מכוון בענין חיוב היות המנורה מקשה להורות האחדות המכוון לתכלית אחד בעצמו:

    (יד) והבדלת את הלוים. תבדיל בחנייתם את הלוים אשר הם חיים עדנה:

    והיו לי הלוים. הם וזרעם יהיו נכונים לעבודתי:

    (טו) ואחרי כן יבאו הלוים. ההוים עתה:

    (טז) כי נתונים נתונים המה לי. נתונים מעצמם שנתנו את עצמם לעבודתי כמו שהעיד באמרו מי לה' אלי ויאספו אליו כל בני לוי (שמות לב, כו). ונתונים גם כן:

    מתוך בני ישראל. שיתנו מחית הלוים במעשר ראשון חלף עבודתם למען תהיה עבודתי נעשית בין כולם:

    תחת פטרת כל רחם. שהיתה העבודה מוטלת עליהם:

    (יז) כי לי כל בכור. שהיתה מקדם העבודה בבכורות מפני היותם הנכבדים בביתם ולהם משפט העבודה:

    ביום הכותי כל בכור... הקדשתי. אבל מה שהצרכתי אותם לפדיון היה הטעם בשביל שביום הכותי הקדשתים לי שלא יתעסקו בעבודת הדיוט כלל כמו שאסרתי גיזה ועבודה בבכור בהמה וזה עשיתי כדי להצילם בתורת הקדש שלא היו ראויים להנצל מנגעי משלחת מלאכי רעים בהיות הם הנכבדים בעם וקולר כולם תלוי בהם ואמרתי שיפדו כדי שיצאו לחולין בזה שיהיו מותרים בעבודת הדיוט:

    (יח) ואקח את הלוים תחת כל בכור. באותו הדור בלבד כמבואר למעלה:

    (יט) ואתנה את הלוים. ומאחר שהם נתונים מעצמם לעבודתי נתתים לעבודתי לאהרן ולבניו:

    לעבוד את עבודת בני ישראל באהל מועד. לעבוד אותה העבודה שהיתה ראויה לבכוריהם:

    ולכפר על בני ישראל. בקבלם את המעשרות מישראל כדי שיוכלו לעבוד את האל יתברך יכפרו על ישראל שגרמו כולם בעגל שאמאס את בכוריהם:

    ולא יהיה בבני ישראל נגף. בלויים ובשאר ישראל:

    בגשת בני ישראל אל הקדש. שבזה יחטאו הזרים הנגשים והלוים שיניחו את הזרים לגשת ויתחייבו כולם כענין אמרו ולא ימותו גם הם גם אתם (להלן יח, ג):

     

    [1] TB ‘Houlin 92a. L’explication qui suit reprend essentiellement le texte de la Guemara avec le commentaire de Rachi.

  • La femme Sota, selon le Sforno

    Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

    Parashat Nasso – La femme Sota

     

    Le processus de la femme sota est largement et strictement codifié par nos Sages dans un traité entier du Talmud.

    De manière schématique, nos Sages ont énuméré trois étapes dans le processus :

    • Kinouy : le mari épris de jalousie, interdit à sa femme de s’isoler avec telle ou telle personne.
    • Stira : L’épouse ne tient pas compte de l’interdit de son mari et s’isole avec ladite personne.
    • Toum’at bi’a : le mari soupçonne sa femme d’avoir fauté avec ladite personne.

    Ces trois étapes passées, le mari emmene la femme au Temple afin de procéder au cérémonial de la Sota.

    Si ces trois étapes sont clairement établies dans le Talmud, les versets de notre parasha décrivant le déroulement des évènements ne semblent pas du tout décrire une telle chronologie.

     

    Chapitre V :

    12 "Parle aux enfants d'Israël et dis-leur: Si la femme de quelqu'un, déviant de ses devoirs, lui devient infidèle;

    13 si un homme a eu avec elle un commerce charnel à l'insu de son époux, et qu'elle ait été clandestinement déshonorée, nul cependant ne déposant contre elle, parce qu'elle n'a pas été surprise,

    14 mais qu'un esprit de jalousie se soit emparé de lui et qu'il soupçonne sa femme, effectivement déshonorée; ou qu'un esprit de jalousie se soit emparé de lui et qu'il soupçonne sa femme, bien qu'elle n'ait point subi le déshonneur,

    15 cet homme conduira sa femme devant le pontife, et présentera pour offrande, à cause d'elle, un dixième d'épha de farine d'orge; il n'y versera point d'huile et n'y mettra point d'encens, car c'est une oblation de jalousie, une oblation de ressouvenir, laquelle remémore l'offense.

     

    Commençons par le verset 13. Le verset dit clairement que la femme a trompé son mari ! Or, selon nos Sages, à aucune étape il n’y a eu faute avérée – la parasha de Sota ne parle que de soupçons ! De quelle « commerce charnel » parle le verset ? Rashi, sensible à ce problème, est « obligé » de repousser chronologiquement ces quelques mots : il s’agit selon lui de la troisième et dernière étape : le mari soupçonne sa femme d’avoir fauté lorsque celle-ci a enfreint son interdit de s’isoler avec telle ou telle personne.

    Ainsi Rashi introduit deux éléments : il s’agit de soupçons et ces soupçons sont chronologiquement après le verset 14.

    Sforno propose quant à lui une autre lecture de ces versets ! Cette lecture a en cela d’innovant qu’elle réussit à lier la tradition de nos Sages avec la chronologie apparente des versets.

    12 "Parle aux enfants d'Israël et dis-leur: Si la femme de quelqu'un, déviant de ses devoirs, lui devient infidèle

    Le Sforno explique ici « lui devient infidèle » - « Il ne s’agit pas d’adultère au sens strict du terme, mais caresses et baisers ». Non pas un amour platonique, mais sans sexualité au sens strict du terme non plus.

    La femme dont nous parle la parasha, commence donc, bel et bien à tromper son époux.

    13 si un homme a eu avec elle un commerce charnel à l'insu de son époux, et qu'elle ait été clandestinement déshonorée, nul cependant ne déposant contre elle, parce qu'elle n'a pas été surprise,

    Ce verset qui a posé problème à Rashi est expliqué autrement par le Sforno. Selon lui, il y a bel et bien eu adultère ! Le mari ne le sait pas ! Il soupçonne sa femme, lui interdit par la suite de s’isoler ; mais il ne sait pas qu’il y a déjà bel et bien eu adultère.

    Cela voudrait-il dire que la parasha de Sota ne concerne que des cas de tromperie avérée ? Cela, le Sforno ne peut le soutenir. C’est pour cela qu’au verset 14 :

    …ou qu'un esprit de jalousie se soit emparé de lui et qu'il soupçonne sa femme, bien qu'elle n'ait point subi le déshonneur,

    Il commente en expliquant que ce verset envisage la seconde possibilité : le mari est rongé par la jalousie, mais il n’y a pas eu d’adultère à proprement parler.

    Ce court commentaire du Sforno nous semble innovant à deux niveaux. Tout d’abord, le brio avec lequel le Sforno réussit à lier une lecture des versets avec la tradition orale relève ici de la prouesse !

    Mais surtout, il nous semble qu’il déplace le problème de la femme Sota. Le cas que la Torah decrit en premier lieu est bien un cas d’adultère . Adultère non prouvable mais adultère tout de même ! Nous ne sommes donc pas dans un premier lieu dans le cas d’un mari mangé par la jalousie et la paranoïa rendant la vie impossible à sa femme. Le cas des soupçons infondés est bien entendu envisagé par la Torah (et est aussi couvert par les lois de la Sota), mais il ne s’agit que d’un second scénario qui n’occupe que la moitié d’un troisième verset….

     

    Benjamin Sznajder

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : 


    {יב} כי תשטה אשתו. תסטה מדרכי צניעות: ומעלה בו מעל. חללה את קדש ה' אשר אהב בקדושי האישות כחבוק ונשוק זולת אישה ודומיהם
     

    {יג} ושכב איש אותה. שכן דרכו של יצר הרע לצאת מרעה אל רעה: ונעלם מעיני אישה. אף על פי שקדמו כל אלה יקרה שיהיה הדבר נעלם מעיני אישה כאילו תכהינה עיניו מראות שאם היה יודע ושותק לא היו המים בודקין את האשה כלל כמו שביארו ז''לונסתרה. אחר כל אלה ונודע זה לאישה
     

    {יד} ועבר עליו רוח קנאה. רוח טהרה להתרות בה מאחר שידע ששטתה מדרכי צניעותוקנא את אשתו. התרה בה ואמר אל תסתרי עם איש פלוניאו עבר עליו רוח קנאה. רוח שטות בלתי סבה ראויה שיקנאוהיא לא נטמאה. אבל אם עברה על התראתו ונסתרה אף על פי כן

  • Bamidbar, un abri au cœur du monde

       Cycle : la paracha selon le Sforno* 

            Sforno 1           

    Bamidbar, un abri au cœur du monde

     

    L’expérience de l’existence peut être vécue comme l’expérience première du jeté au monde. Perdus dans un monde hostile, nous sommes en recherche d’un refuge. Le livre de Bamidbar est traversé par cette problématique.

    En effet, dès son premier verset, le premier de la Paracha, on constate une rupture dans l’adresse de la parole divine. « L’Éternel parla à Moshé, dans le désert de Sinaï, dans la Tente d’assignation, le premier jour du deuxième mois de la deuxième année après leur sortie du pays d’Egypte ». Habituellement, nous avons le classique « Dieu parla à Moshé en disant » וידבר ה׳ אל משה לאמר où, entre la parole de Dieu et son dire, il n’y a qu’une circonstance humaine : un homme qui porte le nom qu’on lui a donné – Moshé. Cela indique que l’être humain est déterminé par un autre que lui : il est créature. Mais là, dans Bamidbar, voici qu’il faut ajouter deux circonstances spatiales et une circonstance temporelle. La circonstance temporelle est exclusivement due à l’action divine, puisque pour qu’il y ait un calendrier comptant les jours, les mois et les années après la sortie d’Egypte, il a fallu que Dieu libère d’Egypte les Enfants d’Israël. Autrement dit, le temps échappe intégralement à l’être humain et n’est conditionné et déterminé que par Dieu[1]. Pour ce qui est de la première circonstance spatiale, le désert, elle reçoit, tout comme les êtres humains, son nom d’un autre qu’elle (ce sont les humains qui donnent un nom au désert) et malgré des frontières définies, son territoire demeure inconnu[2]. D’une certaine manière, l’expérience de l’existence humaine est l’expérience du désert : tout lui semble hostile parce qu’inconnu et indéterminé. Il faut alors s’abriter dans une tente, qui est un objet créant au cœur du désert un espace en y découpant un lieu individuel. Ce qui nous amène à la seconde circonstance spatiale : la Tente d’assignation, lieu de rencontre entre Dieu et l’homme, désigné par Dieu et construit par l’homme. Une rencontre au cœur du désert pour échapper à son étrangeté. Littéralement, c’est l’expérience des Enfants d’Israël au début de Bamidbar. Et l’on sait que ce livre est le récit de leur errance tant géographique qu’existentielle. Car ils sont un peuple qui ne s’est pas autodéterminé[3]

    L’enjeu est donc tout autant individuel que collectif car il ne faut pas se perdre dans l’indétermination et devenir un peuple de sable. Sforno y fait allusion dans son commentaire sur le deuxième verset. Ce verset énonce l’injonction de recenser les Enfants d’Israël : « Faites le relevé de toute la communauté des Enfants d’Israël, selon leurs familles et leurs maisons paternelles, en comptant le nom de tous les mâles, par tête.[4] » Et Sforno de préciser que ce compte n’était pas pour préparer la guerre[5]. Ce point laisse entendre que si aucune guerre n’était prévue, il y avait sans doute l’apparence de ce qui serait un recensement pour la conscription. Il y a bien une mobilisation générale, mais la guerre est d’ores et déjà déclarée : le désert est hostile, le peuple ne doit pas s’effacer dans les sables mouvants de l’indétermination.

    À deux reprises, Sforno va montrer à quel point, il y a effort de détermination. D’abord, dans la suite de son commentaire sur ce verset, où il affirme que dans cette génération, les noms étaient corrélés avec le caractère propre de chaque individu, voire donnait à l’individu son caractère[6]. On peut entendre cette idée aussi bien positivement que négativement. Positivement, cela veut dire que l’être humain n’est pas indéterminé, il a un nom qui est une puissance d’exister. Négativement, cela enseigne que le caractère est reçu, subi, et qu’il ne dépendrait alors pas de nous. C’est pourquoi, au terme des versets du recensement, « Tel fut le dénombrement opéré par Moshé et Aharon conjointement […] »[7], il explique que Moshé et Aharon ont compté eux-mêmes chaque membre du peuple[8]. En un mot : chaque membre du peuple a été arraché à la multitude par le dépositaire de la parole divine et par celui qui est le plus proche de la sainteté. Il y a donc un enjeu de visibilité. Pour être vu de Moshé et Aharon, il faut être à portée de regard, à proximité d’eux. Ce sont les deux êtres humains qui ont le plus de rapports avec la Tente d’assignation. Toutefois, il ne s’agit pas de dire que, pour échapper à l’hostilité du monde, il faut se rapprocher des porteurs de lumière ou des individus remarquables, cela serait trop paresseux, et l’on associerait une double-impuissance : celle face à notre caractère et celle qui nous pousserait à déléguer le soin de notre destin à d’autres que nous-mêmes.

    Non, il convient de prendre exemple sur la tribu de Lévi, qui, campant au plus près du Mishkan, est, explique Sforno, séparée du recensement du peuple, parce que leurs fonctions au sanctuaire les mettent du côté du recensement du sacré[9]. En d’autres termes, la tribu de Lévi, n’est pas reconnue par son nom, c’est-à-dire par le caractère qu’elle reçoit d’un autre, mais par les actes qu’elle accomplit au quotidien. C’est précisément parce qu’ils se déterminent par leurs actes qu’ils se situent au plus près de la Tente d’assignation - lieu qui fait échapper à l’hostilité du monde parce qu’il associe Dieu à notre existence. Parce que le commandement divin nous ordonne de nous protéger du désert. De ce point de vue, en accomplissant le commandement divin, on se ménage un abri au cœur du monde.

     

    Jonathan Aleksandrowicz

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : Cf. notes. 


    [1] Le calendrier part également de la création du monde, acte divin. Encore une fois, Dieu est la condition du temps.

    [2] D’un point de vue positif, le rapport au désert peut aussi être cet état ressenti lors de la découverte d’un texte radicalement nouveau. Nous ne traiterons pas ce sujet ici.

    [3] Il faut entendre la référence au droit international.

    [4] שאו את־ראש כל־עדת בני־ישראל למשפחתם לבית אבתם במספר שמות כל־זכר לגלגלתם

    [5] לסדרם שיכנסו לארץ מיד איש על דגלו בלתי מלחמה שאו את ראש 

    [6] במספר שמות כי היה אז כל אחד מאותו הדור נחשב בשמו המורה על צורתו האשיית 

    [7] Chapitre 1, verset 44 : אלה הפקדים אשר פקד משה ואהרן ונשיאי ישראל שנים עשר איש איש־אחד לבית־אבתיו היו

    [8] אלה הפקודים כל אחד מאלו נמנה על ידי משה ואהרן וכו׳

    [9] ואתה הפקד שנית. יהיו נבדלים משאר העם בענין הפקידות כי להם בלבד תהיה פקודת הקודש

  • Et Je marcherai parmi vous

      Cycle : la paracha selon le Sforno* 

    Sforno 1

      

    « Et je marcherai parmi vous »

    « Si vous vous conduisez selon mes lois, si vous gardez mes préceptes et les exécutez,  je vous donnerai les pluies en leur saison, et la terre livrera son produit, et l'arbre du champ donnera son fruit. (…)Je fixerai ma résidence parmi vous, et mon esprit ne se lassera point d'être avec vous; et je marcherai parmi  vous, et je serai votre Divinité, et vous serez mon peuple. »[1]

    Sforno s’étonne de ces expressions ‘fixer ma résidence parmi vous’ et  ‘marcher parmi vous’ attribuées à Dieu, que peuvent-elles dire ?

    A la fin de la Révélation du mont Sinaï[2], Dieu disait « en quelque lieu que je fasse invoquer mon nom, je viendrai à toi pour te bénir.  Si toutefois tu m'ériges un autel de pierres, ne le construis pas en pierres de taille ». Quel est l’intérêt de cette phrase puisque de toute façon lorsque le Temple est érigé, il n’est pas question d’ériger d’autres autels[3] ? C’est que cette injonction avait sa place avant la faute du veau d’or. Le veau d’or signifiait l’atavisme juif pour l’idolâtrie : pour s’opposer à cette tendance, Dieu institutionnalise son culte, prévoit tous les détails en matière de service religieux, verrouillant au maximum les élans spontanés du cœur source des glissades polythéistes. Il ordonne la construction du temple du désert. En quelque sorte Dieu se lit à un lieu. C’est le sens du verset ‘ils feront un Temple afin que je puisse résider parmi eux’[4]. Insistance pour dire que la Parole ne s’adressera qu’en ce lieu : « c’est là-bas que je donnerai rendez-vous aux enfants d’Israël »[5]. ‘Marcher parmi’ signifie une proximité qui ne s’embarrasse pas des conventions ; or la Torah est formelle tant que le Temple est sur pied, il n’est pas question de permettre la présence d’autels particuliers. Comment résoudre ce problème ? Le Sforno ose une lecture : les versets qui indiquent une telle proximité n’ont pas pour objet le séjour régulier des juifs en Israël, ils parlent des temps messianiques !

     Sforno veut montrer qu’en ces temps bénis, plus besoin d’un Temple pour médiatiser la relation entre Dieu et les hommes. A ce moment-là Dieu sera une divinité pour son peuple. Cet état existait avant la rupture du veau d’or, c’est celui atteint par le peuple sur le mont Sinaï.

    A la fin du livre de Dévarim, Dieu établit aussi le peuple juif comme son peuple[6]. Cependant la visée n’y est pas du tout messianique : elle vient encourager l’adhésion du peuple juif aux commandements tels qu’ils s’énoncent dans la Torah après la faute du veau d’or. Régime d’existence du peuple juif avec son Temple, c’est-à-dire dans la langue du Sforno, dans des temps où la pulsion idolâtrique menace. Les lieux d’étude et les synagogues en exil occupent la même fonction, comme le montre le Sforno dans son commentaire[7] du dernier verset de la section de Béhar qui désigne ces lieux sous le nom de ‘petit temple’[8].

    Le Sforno n’attend pas des temps messianiques une suspension des sacrifices comme le voudrait Maïmonide dans son Guide des Egarés ; délivrés de la pulsion idolâtrique, les sacrifices acquièrent leur signification propre : un lien personnel avec le créateur, à l’abri des regards, humble autel fait de pierres ramassées.

    Le Sforno relève la stratégie de détournement de l’idolâtrie par l’institutionnalisation du culte sous forme de sacrifices ou de prières. Reste à comprendre le ressort de ce phénomène. Hasardons-nous à une explication : institutionnaliser le rapport de l’homme à son Dieu, c’est l’estimer trop peu mature pour en éviter les travers. Quels sont-ils ? Le contact avec le divin libère des puissances chez l’homme. Puissances trop fortes, puissances qui ne se domptent que par une forme d’humanisation que constitue l’institution[9].

    Franck Benhamou.

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

     

    ספורנו ויקרא פרק כו פסוק יא

    (יא) ונתתי משכני בתוככם. תשרה שכינתי בתוככם בכל מקום שתהיו כמו שיעד קודם העגל באמרו בכל המקום אשר אזכיר את שמי אבא אליך (שמות כ, כא):

    ספורנו ויקרא פרק כו פסוק יב        

    (יב) והתהלכתי בתוככם. ענין המתהלך הוא ההולך אנה ואנה לא אל מקום אחד בלבד. אמר אם כן אתהלך בתוככם כי לא אל מקום אחד בלבד ירד שפע הכבוד כמו שהיה במשכן ובמקדש כאמרו ועשו לי מקדש ושכנתי בתוכם (שמות כה, ח) כלומר בזה האופן ובאותו המקום בלבד אשכון בתוכם ובאר זה באמרו אשר אועד לך שמה (שם ל, ו) ונועדתי שמה לבני ישראל (שם כט, מג) אבל אתהלך בתוככם ויראה כבודי בכל מקום שתהיו שם כי אמנם בכל מקום שיהיו שם צדיקי הדור הוא קדוש משכני עליון (תהלים מו, ה) שבו תשלם כונתו כאמרו השמים כסאי והארץ הדום רגלי... ואל זה אביט אל עני ונכה רוח וחרד על דברי (ישעיהו סו, א - ב):

    והייתי לכם לאלהים. אהיה לאלהים מיוחד לכם לא יהיה לכם אלהים ומנהיג זולתי ובכן יהיה נצחיות מציאותכם ממני בלתי אמצעי וכמו שהוא לשאר הנבדלים הנצחיים בהיותכם אז בצלמי כדמותי כמו שהיתה הכונה בבריאת האדם ובמתן תורה ולזה אמר ולקחתי אתכם לי לעם והייתי לכם לאלהים (שמות ו, ז) כי אמנם במתן תורה לולי השחיתו היתה הכונה לשום אותם במעלת ימות המשיח ועולם הבא שיעד בזאת הפרשה בלי ספק. אמנם בפרשת אתם נצבים אמר שהכונה שיקים אותם לעם כדי שיהיה הוא לאלהים אבל לא יעד שיהיה כן אז אבל פעולת התמיד של משכן באמרו ושכנתי בתוך בני ישראל והייתי להם לאלהים (שמות כט, מה) יעד בכל ענין זאת הפרשה אבל בשאר המקומות אמר להיות לכם לאלהים ואתם תהיו לי לעם שתהיה כל מגמת פניכם לעשות רצוני ולעבדני שכם אחד בלי ספק כמו שראוי שיעשה כל עם למלכו באמת

     

    [1] Vayikra 20.3-20.12.

    [2] Chémot 20.20-21.

    [3] Voir Vayikra 17.3-9.

    [4] Chémot 25.8.

    [5] Chémot 29.43 ou dans la même veine Chémot 30.6.

    [6] דברים פרק כט

    (יב) לְמַ֣עַן הָקִֽים־אֹתְךָ֩ הַיּ֨וֹם׀ ל֜וֹ לְעָ֗ם וְה֤וּא יִֽהְיֶה־לְּךָ֙ לֵֽאלֹהִ֔ים כַּאֲשֶׁ֖ר דִּבֶּר־לָ֑ךְ וְכַאֲשֶׁ֤ר נִשְׁבַּע֙ לַאֲבֹתֶ֔יךָ לְאַבְרָהָ֥ם לְיִצְחָ֖ק וּֽלְיַעֲקֹֽב:

    [7] Voir commentaire sur Vayikra 26.2.

    [8] En accord avec le Talmud Méguila 29 a.

    [9] Qu’on nous permette une remarque : Nietzsche s’étonnait de trouver le livre de Vayikra si aride, si sec, si ordonné, à côté des autres livres de la Torah. Il n’a pas compris à quel point la pulsion religieuse s’engouffre avec violence vers l’idolâtrie pour donner corps à son désarroi.

  • Mes fêtes ou vos fêtes ?

    Cycle : la paracha selon le Sforno*  

    Sforno 1

    Mes fêtes ou vos fêtes ?

     

    La parasha de Emor réunit un grand nombre de sujets, certains semblant a priori sans lien aucun.

    Après avoir traité de l’interdiction faite aux cohanim de se rendre impurs et de certaines lois ayant trait aux sacrifices, la Tora débute un long passage relatif aux fêtes de l’année.

    On aurait pu penser que le lien entre le service des cohanim et les lois des sacrifices avec les fêtes était précisément que lors des fêtes sont offerts des sacrifices particuliers, les moussafim, se rajoutant aux sacrifices perpétuels du matin et de l’après-midi, mais rien n’est moins sûr. En effet, les seuls sacrifices des fêtes dont il est question ici sont ceux de ‘hol ha-mo’ed. C’est ce qu’explique très clairement le Sforno (23:8) en nous disant « que l’intention n’est pas de décrire les moussafim de ‘hol ha-mo’ed puisque les moussafim des jours de fêtes eux-mêmes ne sont pas abordés, ni celui de Shabbat, ni celui de Shavou’ot [qui n’a pas de ‘hol ha-mo’ed] ni celui de Kippour. »

    Alors dans quelle intention vient la description des moussafim de ‘hol ha-mo’ed ? Pour nous enseigner que ces jours ne sont pas des jours purement profanes et qu’ils font intégralement partie de la fête, même si certains travaux y sont permis.

    C’est donc ailleurs qu’il faut chercher le lien entre les lois du culte et celles des fêtes.

    Pour le Sforno, c’est que la finalité des sacrifices et celle des fêtes est une : il s’agit de faire résider la Shekhina, la présence divine, au sein du peuple d’Israël (23:2).

    L’idée des sacrifices semble claire, celle de faire une offrande à Dieu afin d’obtenir son agrément, son pardon ou tout simplement de le célébrer. Dans le tous les cas, il s’agit de « travailler » sur la relation entre l’homme et Dieu et par là même de rendre concrète la présence de Dieu au sein d’Israël.

    Dans le cas des fêtes, le vecteur de lien entre l’homme et Dieu n’est plus un élément extérieur à lui mais sa personne même. En effet, lors des fêtes, « en s’astreignant au repos total ou partiel, l’homme se sépare des activités profanes afin de se consacrer tout entier à la Tora et aux choses saintes ».

    Et d’ailleurs le texte dit : « Les fêtes de Dieu que vous déclarerez convocation de sainteté, celles-là seront Mes fêtes » (Vayikra 3:2), c’est-à-dire selon les mots du Sforno « les fêtes que je désire ». Et ici, le Sforno met en résonance le verset de la Tora avec celui du prophète : « Mais s’il s’agit seulement de célébrations profanes, de préoccupation passagères, de plaisirs humains, ce ne sera pas “Mes fêtes” mais uniquement “Vos fêtes”, suivant le verset “Vos fêtes, mon âme les tient en horreur” (Isaïe 1:14). »

    Alors, “Mes” fêtes ou “vos” fêtes ? A nous d’en décider.

     

    Emmanuel Ifrah – 05/2018

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו ויקרא פרק כג פסוק ב


    (ב) מועדי ה' אשר תקראו אותם מקראי קדש. אחר שדבר בענין הקרבנות ומקריביהם שהכונה בהם השרות השכינה בישראל כאמרו עולת תמיד לדורותיכם פתח אהל מועד לפני ה' אשר אועד לכם שמה (שמות כט, מב) דבר במועדים אשר בשביתתם יכוין לשבות ממעשה הדיוט בקצתם לגמרי כענין בשבת ויום הכפורים ולעסוק בכולם בתורה ועסקי קדש, כאמרו ששת ימים תעבוד וכו' ויום השביעי שבת לה' אלהיך (שם כ, ט - י) שתשבות ממלאכתך ויהיה עסקך כולו לה' אלהיך ובקצתם תהיה השביתה ממלאכת עבודה בלבד כמו שהוא הענין בשאר המועדים והכונה בהם שעם שמחת היום שישמח ישראל בעושיו יהיה העסק בקצתו בעסקי קדש כאמרם ז"ל יום טוב חציו לה' וחציו לכם (פסחים סח ב) ובזה תשרה שכינה על ישראל בלי ספק כאמרו אלהים נצב בעדת אל אמר אותם מועדים שתקראו אותם מקראי קדש פירוש אסיפות עם לעסקי קדש כי אסיפת העם תקרא מקרא כמו חדש ושבת קרוא מקרא (ישעיהו א, יג) וכן על מכון הר ציון ועל מקראיה (שם ד, ה):
    אלה הם מועדי. הם אותם המועדים שארצה בם אמנם כשלא תקראו אותם מקראי קדש אבל יהיו מקראי חול ועסק בחיי שעה ותענוגות בני האדם בלבד לא יהיו מועדי אבל יהיו מועדיכם שנאה נפשי (שם א, יד):

     

  • Shemini- De la nécessité des mitsvote

      Cycle : la paracha selon le Sforno*  

    Sforno 1

     

    Parashat Shemini – De la nécessité des Mitsvot

     

    L’avant et l’après faute du veau d’or a été un sujet largement réfléchi chez les exégètes depuis les tenants du pshat jusqu’aux kabalistes parmi eux.

    Un des échos les plus connus de ces discussions est sans aucun doute la mah’loket opposant Rashi et Ramban : l’ordre de construire le Tabernacle a-t-il précédé ou non la faute du veau d’or.

    Dans son commentaire sur la Parashat Shemini, le Sforno fait lui aussi écho à cette discussion. Tout d’abord, nous explique-t-il, sans le veau d’or, il n’y aurait point eu de Tabernacle, car tout lieu aurait été propice à la présence divine et a Son culte. Cette première précision est importante : pour le Sforno, le Tabernacle post-veau-d’or n’est pas là pour combler un besoin de représentation tangible qu’aurait mis en relief la faute des enfants d’Israël. Ça n’est pas une “concession” aux besoins ou aux mœurs comme Maimonide semble lire les lois des Sacrifices. Non. Pour le Sforno, dans un monde idéal sans faute du veau d’or, la présence divine aurait été omniprésente et en chacun. Nul besoin d’un lieu spécifique…

    Cette première précision nous semble importante avant d’aborder le second point du commentaire du Sforno:

    Ce dernier continue sur un point qui est, à notre connaissance, assez inédit chez les commentateurs - tout au moins les Rishonim: la nécessité des Mitsvot dans un monde “idéal” – un monde sans la faute du veau d’or.

    La parashat Shemini contient la première liste de règles alimentaires et est suivie dans les parashiot suivantes de lois relatives à la sexualité. Le Sforno innove (sans d’ailleurs justifier son exégèse!) en affirmant que sans la faute du veau d’or, ces Mitsvot n’auraient été données! Ça n’est que dans le but de “purifier” les corps que ces Mitsvot ont été données, afin “de les parfaire en vue de la vie éternelle”.

    L’idée que des Mitsvot ne seraient plus nécessaires à une certaine époque ou un certain niveau est osée ! Le Sforno semble limiter cette audace à ces deux seules familles d’interdits (règles alimentaires et interdits sexuels). Pourquoi ces deux seules catégories apparaissent superflues dans un monde idéal ? Serait-ce parce que l’homme parfait atteindrait “instinctivement” la sagesse dans sa vie sexuelle et dans son alimentation, qu’il jugulerait lui-même des passions trop vives ? Ou bien serait ce que ces deux types d’interdits ne seraient plus nécessaires car les corps seraient déjà “sanctifiés”? Cette seconde hypothèse parait difficile à envisager ! Pourrait-on imaginer un monde dans lequel toute licence alimentaire (ou pire encore sexuelle !) ne serait plus légiférée par la Torah? Pourtant l’analogie que fait le Sforno entre la nécessité – temporaire- du Tabernacle et ces interdits semble nous faire penser que notre auteur penche pour cette seconde éventualité….

    Quoiqu’il en soit, ce commentaire entrouvre une porte sur la portée des Mitsvot qui, tout en étant vertigineuse, nous pousse à réfléchir à nouveau et posément le domaine des ta’amey-hamitsvot – le sens des Mitsvot…

     

    Benjamin Sznajder

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

     

    פסוק ב
    זאת הַחַיָּה אֲשֶׁר תּאכְלוּ. הִנֵּה אַחַר שֶׁהִתְנַצְּלוּ יִשְׂרָאֵל אֶת עֶדְיָם הָרוּחָנִי שֶׁקָּנוּ בְּמַתַּן תּורָה, אֲשֶׁר בּו הָיוּ רְאוּיִם לִשְׁרות שְׁכִינָה עֲלֵיהֶם בִּלְתִּי אֶמְצָעִי, כְּאָמְרו "בְּכָל הַמָּקום אֲשֶׁר אַזְכִּיר אֶת שְׁמִי, אָבא אֵלֶיךָ וּבֵרַכְתִּיךָ" (שמות כ, כא) כְּמו שֶׁיִּהְיֶה הָעִנְיָן לֶעָתִיד לָבא, כְּאָמְרו "וְנָתַתִּי מִשְׁכָּנִי בְּתוכְכֶם, וְלא תִגְעַל נַפְשִׁי אֶתְכֶם" (להלן כו, יא) שׂ מָאַס הָאֵל יִתְבָּרַךְ אַחַר כָּךְ מֵהַשְׁרות עוד שְׁכִינָתו בֵּינֵיהֶם כְּלָל, כְּאָמְרו "כִּי לא אֶעֱלֶה בְּקִרְבְּךָ" (שמות לג, ג). 

    וְהִשִּׂיג משֶׁה רַבֵּינוּ בִּתְפִלָּתו (שמות לג, יב טז) אֵיזֶה תִּקּוּן, שֶׁתִּשְׁרֶה הַשְּׁכִינָה בְּתוכָם בְּאֶמְצָעוּת מִשְׁכָּן וְכֵלָיו וּמְשָׁרְתָיו וּזְבָחָיו, עַד שֶׁהִשִּׂיגוּ וְזָכוּ אֶל "וַיֵּרָא כְבוד ה' אֶל כָּל הָעָם" (לעיל ט, כג), וְאֶל יְרִידַת אֵשׁ מִן הַשָּׁמַיִם (שם כד). וּבְכֵן רָאָה לְתַקֵּן מִזְגָם שֶׁיִּהְיֶה מוּכָן לֵאור בְּאור הַחַיִּים הַנִּצְחִיִּים, וְזֶה בְּתִקּוּן הַמְזונות וְהַתּולָדָה. וְאָסַר אֶת הַמַּאֲכָלִים הַמְטַמְּאִים אֶת הַנֶּפֶשׁ בְּמִדּות וּבְמֻשְׂכָּלות, כְּאָמְרו "וְנִטְמֵתֶם בָּם" (שם), וּכְאָמְרו "אַל תְּשַׁקְּצוּ אֶת נַפְשׁותֵיכֶם" (להלן פסוק מג), וּכְאָמְרו "וְלא תְטַמְּאוּ אֶת נַפְשׁותֵיכֶם בְּכָל הַשֶּׁרֶץ.. כִּי אֲנִי ה' הַמַּעֲלֶה אֶתְכֶם מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם לִהְיות לָכֶם לֵאלהִים, וְהִתְקַדִּשְׁתֶּם וִהְיִיתֶם קְדושִׁים (פסוקים מד מה), פֵּרוּשׁ: נִצְחִיִים, מִתְדַּמִּים לַבּורֵא יִתְבָּרַךְ, כְּאָמְרו "כִּי קָדושׁ אָנִי" (שם). 

    וְאָסַר הַנִּדָּה וְהַזָּבָה וְהַיּולֶת, לְקַדֵּשׁ אֶת הַזֶּרַע וּלְטַהֲרו מִכָּל טֻמְאָה, כְּאָמְרו "וְהִזַּרְתֶּם אֶת בְּנֵי יִשְׂרָאֵל מִטֻּמְאָתָם, וְלא יָמוּתוּ בְּטֻמְאָתָם, בְּטַמְאָם אֶת מִשְׁכָּנִי" (להלן טו, לא), וְהִזְכִּיר לָשׁון טֻמְאָה בְּנִבְלַת בְּהֵמָה וְחַיָּה טְמֵאָה (להלן פסוקים כו כח), וּבִשְׁמונָה שְׁרָצִים (שם כט לד), וּבְנִבְלַת בְּהֵמָה טְהורָה (שם לט), שֶׁבְּכָל אֶחָד מֵאֵלּוּ יֵשׁ טֻמְאַת מַגָּע וּבִקְצָתָם טֻמְאַת מַשָּׂא. אָמְנָם הַמְטַמְּאִים אֶת הַנֶּפֶשׁ בִּלְבָד, וְהֵם דָּגִים וְעופות וַחֲגָבִים וּשְׁאָר שְׁרָצִים שֶׁאֵין בָּהֶם טֻמְאַת מַגָּע כְּלָל יִזְכּר בָּהֶם 'שִׁיקוּץ', כְּאָמְרו "שֶׁקֶץ הֵם לָכֶם", "לא יֵאָכֵלוּ, שֶׁקֶץ הֵם", "שֶׁקֶץ הוּא לא יֵאָכֵל", "לא תאכְלוּם כִּי שֶׁקֶץ הֵם". 

  • Tsav: le levain dans la pâte

                    

       Cycle : la paracha selon le Sforno*  

    Sforno 1

    Tsav : Le levain dans la pâte

     

    La Paracha de Tsav est la suite logique de Vayikra, la précédente paracha ; cette dernière, comme le souligne le Sforno*, ouvrait le 3ème livre de la Torah sur les détails sur la pratique des sacrifices, animaux comme végétaux, pouvant être approchés au Tabernacle de D’.

    Notre Paracha va donc décrire à présent la loi applicable à chacun d’entre eux ainsi que leurs différences, à l’instar des différences au niveau des actions et des intentions de chacun des « enfants du D’ vivant » (Osée, 1,10)

    Intéressons-nous à un type particulier de sacrifices : Le « sacrifice rémunératoire ». Le verset introduit ce type de sacrifices par un pluriel, זֶבַח הַשְּׁלָמִים.

    Selon le Sforno, cette expression au pluriel nous informe que même si tous les sacrifices rémunératoires font partie de la même catégorie des offrandes dite de « moindre sainteté », il y existe néanmoins des différences entre eux.

    Le sacrifice de remerciement, קרבן תודה, est ramené en tant qu’exemple par le Sforno. Ce dernier devra être obligatoirement composé de gâteaux de pain ‘hamets, car le remerciement du quidam au sujet du danger auquel il aura miraculeusement échappé aura forcément pour cause שאור שבעיסה, « le levain qui se trouve dans la pâte » (TB, Berahot, 17a).

    Cette expression talmudique désigne le mauvais penchant qui, à l’instar du levain qui digère et fait gonfler la pâte, provoque chez l’homme un entropique état propice à la faute, à l’inverse du calme et de la sérénité nécessaires à l’accomplissement de la Torah et des Mistvot.

    Le Sforno note toutefois que les sortes de gâteaux de Matsot, gâteaux non levés, seront plus nombreux que ceux de pain et plus les gâteaux de pain seront nombreux, plus le miracle dont a en a bénéficié celui qui en apporte l’offrande se propagera auprès de ceux qui seront, de facto, plus nombreux à en consommer.

    Ainsi, dans l’écho amplifié par le קרבן תודה de reconnaitre l’effet nocif du mauvais penchant, s’esquisse un appel à un chemin harmonieux, loin des extrêmes et de l’agitation qui fermente sournoisement dans l’esprit de l’homme et l’entraine vers la faute.

    Un enseignement subtilement relevé par le Sforno dans cette Paracha de Chabbat Hagadol précédant la fête de Pessah’, la fête de la liberté sur le hamets que nous possédons, aussi bien dans nos maisons que dans nos cœurs.

    Elie DAYAN

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    צַו אֶת אַהֲרֹן – זֹאת תּוֹרַת הָעֹלָה. אַחַר שֶׁהִגִּיד מַעֲשֶׂה הַקָּרְבָּנוֹת אָמַר הַתּוֹרָה הָרְאוּיָה לְכָל אֶחָד וְאֶחָד, אֲשֶׁר בָּהּ רָמַז חֵלֶק עִיּוּנִי בָּהֶם. וְאֵין סָפֵק כִּי יֵשׁ הֶבְדֵּל רַב בֵּין ״בְּנֵי אֵל חַי״ בִּפְעֻלּוֹתֵיהֶם וְכַוָּנוֹתֵיהֶם, דּוֹמֶה לַהֶבְדֵּל אֲשֶׁר בֵּין מִינֵי הַקָּרְבָּנוֹת.

    וְאָמַר, וְזֹאת תּוֹרַת זֶבַח הַשְּׁלָמִים – וְהוֹדִיעַ שֶׁאַף עַל פִּי שֶׁכָּל הַשְּׁלָמִים קָדָשִׁים קַלִּים, מִכָּל מָקוֹם יֵשׁ חִלּוּק בֵּינֵיהֶם: שֶׁאִם הֵם עַל אודות הוֹדָאָה, יִהְיֶה עִמָּהֶם ״לֶחֶם״, בְּתוֹכוֹ מִין ״חָמֵץ״. כִּי אָמְנָם סִבַּת הַסַּכָּנָה אֲשֶׁר עָלֶיהָ הַהוֹדָאָה הוּא ׳שְׂאוֹר שֶׁבְּעִיסָה׳, מִכָּל מָקוֹם מִינֵי הַמַּצּוֹת רָבוֹת עָלָיו, וּבִרְבוֹת הַלֶּחֶם יִתְפַּרְסֵם הַנֵּס לְאוֹכְלִים רַבִּים

  • Mishkan : Venons-en à la conclusion !

    Cycle : la paracha selon le Sforno*  

    Sforno 1

    Vayakel-Pékoudé

    Mishkan : venons-en à la conclusion !

     

    Avec les sections de Vayakhel et Pékoudé, nous en venons à la conclusion d’une quinzaine de chapitres consacrés à la construction du Mishkan – le « Tabernacle », à la réalisation de ses ustensiles et à la confection des vêtements des prêtres.

    Le Sforno nous donne opportunément quelques clés de lecture en clôture de ces passages très techniques qui, d’une certaine manière, constituent une déception par rapport à la promesse initiale du texte. En effet, la section de Terouma avait commencé sur une lancée très élevée et spirituelle : « Ils me feront un sanctuaire et je résiderai en eux » pour ensuite se perdre à notre étonnement dans les méandres d’un cahier des charges de matériaux, de mesures, d’architecture intérieure et extérieure, au point que notre impression était d’avoir complètement perdu de vue la dimension immatérielle et première de l’entreprise.

    « Les plus sages de cœur parmi les réalisateurs de l’ouvrage composèrent les dix tapis de l'enceinte, en lin retors, étoffes d'azur, de pourpre et d'écarlate, artistement damassés de chérubins. » (Shemot 36:8). Le Sforno commence par nous rappeler que le Mishkan a été construit par « les plus Sages d’entre les enfants d’Israël » ; il s’agit d’un ouvrage qui exigeait de l’habileté artisanale ou artistique, mais également de la Sagesse au sens propre du terme, la faisabilité de certains objets paraissant tout bonnement hors de portée dans le monde réel.

    On voit dès lors qu’une dimension spirituelle s’est systématiquement entremêlée avec la dimension matérielle, tout comme les fils d’ors étaient tressés avec ceux de couleurs « naturelles ».

    Mais le Sforno poursuit en répondant à la question classique : pourquoi répéter à nouveau tout ce qui a déjà été énoncé dans Térouma ? « Pour t’enseigner qu’ils firent tout ce qu’ils firent dans la seule intention de répondre à la volonté de l’Ordonnateur et à Sa fin ». On ne parle plus ici d’artisans répondant à un cahier des charges, mais de Sages visant non pas le moyen demandé par Dieu (le Mishkan) mais sa finalité même.

    Et d’ailleurs, « l’arche sainte, qui est l’ustensile le plus unique, le plus particulier, fut réalisé par Betsalel qui était lui-même le plus grand parmi les Sages, comme l’on enseigné nos maîtres : “Betsalel savait associer les lettres par lesquelles furent créés les cieux et la terre” ».

    Tous ces détails minutieux n’étaient donc comme nous le rappelle Sforno que l’expression de l’association entre les Cieux et la terre, entre la présence de Dieu et le monde matériel. Si nous n’avions donc vu que des détails techniques dans les derniers chapitres du livre de Shemot, c’était donc en raison de notre propre superficialité. Repartant de la conclusion, la clé de lecture annoncée en préambule est bien confirmée et donne sens au tout : סופו נעוץ בתחילתו.

    D’où la particularité des éléments du Mishkan qui revêtent une dimension d’éternité et, contrairement au Temple de Salomon ou à celui « de Cyrus », ne tombèrent jamais entre les mains d’ennemis (38:21).

    Mais par quelles vertus ?

    1. Parce que dans le Mishkan reposaient les Tables de la Loi
    2. Parce qu’il fut réalisé sous les ordres de Moshé
    3. Parce qu’Itamar en assurait la garde
    4. Parce qu’il fut construit par Bestalel, l’homme le plus Sage mais également le plus Juste, grâce auquel la présence de Dieu résida dans cette œuvre.

    Aucun des deux Temples ne sut réunir l’ensemble de ces qualités spirituelles.

    En ce sens, le Mishkan continue  pour l’éternité à incarner la présence de Dieu au sein des œuvres de l’homme et donc, d’une certaine manière, la figuration de l’idéal du monde voulu par le Créateur.

     

    Emmanuel Ifrah – 03/2018

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

     

    ספורנו שמות פרק לו פסוק ח
    (ח) ויעשו כל חכם לב בעושי המלאכה. היותר חכמים שבהם עשו את המשכן שהיה מעשה חושב על צורות שונות משני עבריהם, כמו שהזכירו ז"ל, ולא היו היריעות עבות כמו הפרכת. וכפל בפרשה זו כל האמור למעלה בצווי בפרשת תרומה, להודיע שעשו הכל בכיון לעשות כרצון מי שצוה ולתכליתו. והארון שהיה המיוחד שבכלים נעשה על ידי בצלאל שהיה הגדול שבכלם, כאמרם ז"ל יודע היה בצלאל לצרף אותיות שבהם נבראו שמים וארץ (ברכות נה א):

     

    ספורנו שמות פרק לח פסוק כא
    (כא) אלה פקודי המשכן. כל אחד מחלקי המשכן הכתובים למעלה הם אותם הפקודים שנאמר עליהם ובשמות תפקדו את כלי משמרת משאם ביד איתמר (במדבר ד, לב - לג). וזה כי כל אחד מהם היה ראוי להיות נחשב ולהקרא בשם באשר הוא זה הפרטי, לא בלבד באשר הוא מזה המין, וכל שכן שצדק זה על כל אחד מכלי הקדש אשר במשא בני קהת. ולזה לא נפסדו, כאמרם ז"ל שמא תאמר אבד סברם ובטל סכוין, תלמוד לומר עצי שטים עומדים שעומדים לעד ולעולמי עולמים (יומא עב א) וגם כן לא נפל דבר מהם ביד האויבים, על הפך מה שקרה למקדש שלמה וכליו כמבואר בחרבן בית ראשון על ידי נבוזראדן, שלא נזכר שם דבר מעניני משכן משה רבנו ע"ה (דבהי"ב לו, ז, ו - יח):
    משכן העדות. ספר מעלות זה המשכן שבשבילם היה ראוי להיות נצחי ושלא ליפול ביד אויבים. ראשונה, שהיה משכן העדות, שהיו בו לוחות העדות. ב', אשר פקד על פי משה. ג', שהיתה עבודת הלויים ביד איתמר, כי אמנם משמרת כל חלקי המשכן ביד איתמר היתה. ד', ובצלאל בן אורי בן חור למטה יהודה עשה, שהיו ראשי אומני מלאכת המשכן וכליו, מיוחסים וצדיקים שבדור, ובכן שרתה שכינה במעשי ידיהם ולא נפל ביד אויבים. אבל מקדש שלמה שהיו עובדי המלאכה בו מצור, אף על פי ששרתה בו שכינה נפסדו חלקיו, והוצרך לחזק את בדק הבית (מ"ב כב, ה - ו) ונפל בסוף הכל ביד אויבים. אבל בית שני שלא היה בו גם אחד מכל אלה התנאים לא שרתה בו שכינה ונפל ביד אויבים, כי אמנם בית שני לא היה משכן העדות, שלא היו בו לוחות העדות, ולא פוקד כי אם על פי כורש (עזרא א, א - ג) ולא היו שם בני לוי, כמו שהעיד עזרא באמרו ואבינה בעם ובכהנים, ומבני לוי לא מצאתי שם (שם ח, טו) ומן המתעסקים בבנינו היו צידונים וצורים, כמבואר בספר עזרא (ג, ז):

     

  • Peuple à la nuque raide

     Cycle : la paracha selon le Sforno*  

    Sforno 1

     

        Ki-Tissa : "Un peuple à la nuque raide"

     

    C’est dans cette Paracha que nous trouvons la fameuse expression relative au peuple « à la nuque raide ».

    Dans la bouche de l’Eternel, ce n’est pas un compliment. Dit au moment où le peuple commet la faute du veau d’or, Dieu est sur le point de vouloir exterminer son peuple: Alors l'Éternel dit à Moïse: "Va, descends! Car on a perverti ton peuple que tu as tiré du pays d'Égypte!  De bonne heure infidèles à la voie que je leur avais prescrite, ils se sont fait un veau de métal et ils se sont courbés devant lui, ils lui ont sacrifié, ils ont dit: ‘Voilà tes dieux, Israël, qui t'ont fait sortir du pays d'Égypte!’" L'Éternel dit à Moïse: "Je vois que ce peuple est un peuple à la nuque raide. Donc, cesse de me solliciter, laisse s'allumer contre eux ma colère et que je les anéantisse, tandis que je ferai de toi un grand peuple!"

    Caractéristique répétée à plusieurs autres reprises dans le texte de la Thora, ce qui en fait une sorte de marque de fabrique déposée de ce peuple.

    Mais que reproche donc Dieu exactement à ce peuple pour qu’il en vienne à souhaiter son anéantissement total ? Car il s’agit bien d’une phrase terrible, qu’on ne sait plus vraiment comment lire après une tentative presque réussie d’extermination totale du peuple juif.

    Le Sforno sur l’expression « Peuple à la nuque raide » explique : « Leur nuque est comme un tendon de fer qui les empêche d’entendre une quelconque parole en provenance d’un maître de vérité. Considérant cela, il n’y a aucun espoir qu’ils puissent se repentir »

    Dieu aurait bien aimé accepter un repentir mais la « nature profonde » du peuple les empêche de se repentir. Nous ne sommes en vérité pas beaucoup plus avancés.

    Essayons d’avancer avec un commentaire du Ari Zal, quasi-contemporain du Sforno et très marqué également par l’expulsion des Juifs d’Espagne. La nuque, nous dit le Ari Zal est la zone du corps où se rejoignent la tête, le torse où se situe le cœur et les bras. Autrement dit, comme l’exprime bien Henri Infeld, le lieu où se rejoignent l’intellect, l’affect et la capacité d’action. Une nuque raide indiquerait une incapacité chronique à mettre en adéquation la compréhension conceptuelle des sujets ou un élan du cœur avec l’action qui devrait en découler.

    Un maître de vérité, nous dit le Sforno, c’est un maître qui serait capable, par la parole, de changer l’action d’un homme. Mais nous ne sommes pas dans le registre de la magie ou même dans une expérience à dimension charismatique. Le maître de vérité est une personne qui l’a cherchée et a trouvé une forme de trésor véritable qu’il s’efforce de transmettre. Cela passe parfois par l’intellect et la conviction logique et rationnelle. Cela transite aussi (et peut-être est-ce indispensable) par une expérience émotionnelle vécue qui donne la certitude à celui qui la ressent d’être sur le bon chemin. Mais un maître sans élève, est-ce encore un maître ? Un maître avec des élèves qui certes valident la grandeur et la véracité de l’enseignement du Maître, mais qui ne savent pas embrayer sur une activation de leur corps vers un accomplissement concret, n’est-ce pas un échec pour le maître ? Et dans ce cas, le plus logique n’est-il pas de se tourner vers d’autres élèves qui sauront faire ce chemin ?

    C’est peut-être bien ce qui guette le peuple juif tout le long de son histoire : sera-t-il capable de développer son intellect ? A n’en pas douter, c’est même une des caractéristiques les plus courantes que l’on accole aux juifs. Ont-ils un cœur et sont-ils en mesure de ressentir des sentiments ? Depuis le rédacteur des Psaumes jusqu’aux Hassidim, la réponse est positive. Feront- ils de ces expériences de pensée ou de cœur des actes concrets en parfaite adéquation avec la volonté divine ? Voici le défi qui guette les Juifs de tout lieu et de toute époque.

    Il n’est donc pas anodin que ce que verra Moïse (le prophète défenseur du peuple à la nuque raide) de la gloire de Dieu, sera précisément, selon le Midrach, le nœud des Téfilines  de Dieu, autrement dit, la nuque de Dieu et donc, dit le Sforno sur ce passage, la façon qu’a Dieu d’intervenir de l’histoire en fonction de son appréhension du monde.

     

    FRISON

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו שמות פרק לב פסוק ט
    ט) והנה עם קשה עורף הוא. גיד ברזל ערפם ולא יפנו לשמוע דברי שום מורה צדק, באופן שאין תקוה שישובו בתשובה:

     

     

  • Terouma : L'architecture du Ciel

    Cycle : la paracha selon le Sforno*  

    Sforno 1

    Terouma : Architecture du ciel et aventure de la connaissance divine

     

    Au regard de la Genèse et de la première partie de l’Exode se distinguaient par un sens consommé du romanesque, la paracha Terouma pourrait paraître ennuyeuse. Parce qu’elle décrit une partie des objets et ustensiles liés au Tabernacle, sa lecture pourrait sembler fastidieuse. Ce n’est pourtant pas une Paracha destinés aux seuls architectes et entrepreneurs de travaux publics. En interprétant Sforno, on pourra constater qu’elle propose la seule aventure humaine digne d’être vécue. Et comme toute aventure, elle n’est accessible qu’à ceux qui en ont le désir.

    Ainsi, le second verset de la Paracha évoque-t-il cet élan. « Parle aux enfants d’Israël et qu’ils prennent pour moi un prélèvement ; de tout homme porté par son cœur, prenez mon prélèvement »[1]. Sforno explique qu’il ne s’agit pas d’un prélèvement collectif qui ressemblerait à une taxe, mais que seuls les dons des volontaires seront acceptés. Ces dons ont un objectif affiché : « Et ils feront pour Moi un Sanctuaire, et Je résiderai parmi eux/en leur sein »[2].  Pourquoi Dieu résiderait-il parmi eux/dans leur sein alors qu’on fait pour lui un Sanctuaire ?

    Suivons Sforno sur la résidence divine : « Je résiderai entre eux – pour recevoir leur prière et leur culte – de la même manière que Je t’ai montré ma présence sur la montagne : sur le couvercle (de l’arche sainte), entre les chérubins […] »[3] Une lecture hâtive conclurait qu’il est ici question de prier et servir Dieu. Pourtant, Sforno évoque bien plus que le mode de résidence de la divinité sur terre. Comme elle est apparue à Moïse sur le mont Sinaï, comme elle apparaîtra dans le Sanctuaire. En d’autres termes, la présence divine apparaît sur un objet bien précis situé dans une partie spécifique du Sanctuaire.

    Mais alors pourquoi toute cette construction est-elle nécessaire, puisque la résidence de la divinité est indiquée en un seul lieu du Sanctuaire ? Et puis, on comprend mal en quoi dire que la présence divine apparaît dans le Sanctuaire expliquerait le « et Je résiderai parmi eux/en leur sein ».

    Au premier problème, il faut répondre avec Sforno que le Sanctuaire dans son ensemble évoque l’architecture de la divinité. C’est-à-dire que l’édifice et les ustensiles décrivent symboliquement ses manifestations. L’édifice a une fonction symbolique ! En étant excessif, on pourrait dire qu’il ne vaut rien pour lui-même. Sforno maintient cette ligne tout au long de sa description des objets du culte[4]. Que la présence divine apparaisse spécifiquement sur le couvercle de l’Arche, entre les chérubins, n’empêche pas que chaque élément du sanctuaire manifeste quelque chose du divin.

    Cependant, question radicale : comment est-ce que tout cela, nous regarde, nous humains ? Pour répondre à ce problème, appuyons-nous sur le commentaire de Sforno sur l’extrait du verset « Et les chérubins étendront leurs ailes vers le haut »[5]. Il montre que les chérubins suggèrent avant tout l’idée de l’intelligence humaine qui tente de comprendre les mystères du divin. Les ailes étendues vers le haut symbolisent l’être humain qui tente de s’arracher à sa condition matérielle afin de comprendre et de connaître son créateur selon ses possibilités intellectuelles.

    Ici, il y a la mise en place d’une expérience potentiellement accessible à chacun mais toujours singulière. Chaque être humain dispose de moyens intellectuels pour comprendre quelque chose du divin, mais cette compréhension dépendant de l’intelligence de chacun, elle est nécessairement singulière car intime. Ce qui, incidemment, rappelle pourquoi les visions des prophètes, malgré des similitudes conceptuelles, pouvaient tant différer. Peut-être est-ce pour cela que la Merkava ne peut même s’enseigner du tout au tout à une seule personne, cette connaissance est d’abord une expérience singulière. Une aventure à laquelle on choisit de participer lorsque l’on est emporté par un élan intérieur, « porté par son cœur », comme le dit bien le second verset de la Paracha.

    Et en vérité, on comprend que le Sanctuaire ne sert pas la résidence de Dieu : le Sanctuaire est construit pour que Dieu ne réside pas dedans mais en nous !  Il est un symbole montrant que si notre monde peut mériter la présence divine, ce n’est que lorsque, portés par un élan du cœur,  nous partons à sa recherche.

     

    Jonathan Aleksandrowicz

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : Cf. notes.


    [1] Exode, chapitre 25, verset 1

    [2] Exode chapitre 25, verset 8.

    [3] ושכנתי בתוכם ׃ אשכון ביניהם לקבל תפלתם ועבודתם באותו האופן שאני מראה אותך שכינתי בהר על הכפורת בין שני הכרובים...

    [4] Par exemple, l’Arche est le symbole du trône divin, et la Table des pains, le symbole de la justice et de la protection divine. Cf. Sforno sur ועשית שלחן, au verset 23 du chapitre 25

    [5] Exode, chapitre 25, verset 20. Dans Sforno, voir le passage  וזה בעצמו הורה עתה באמרו והיו הכרובים פורשי כנפיהם למעלה כי בהיות השכל האנושי שכל בכח אל השלמות השני אשר יקנהו בעשותו כללים וִיפשיטם מחמר להשכיל ולדעת בוראו כפי שאפשר

  • Œil pour œil, dent pour dent

    Cycle : la paracha selon le Sforno*  

              Sforno 1             

    « Œil pour œil, dent pour dent »

     

    Sans entrer dans les arcanes de l’histoire du droit antique, il semblerait que la loi du talion était appliquée telle quelle par les babyloniens ou en tout cas comprise littéralement (comme il apparaît dans le Code d’Hammourabi)[1].

    Dans les sources juives, le premier texte apparaît dans la parasha de Mishpatim :

    « Si, des hommes ayant une rixe, l’un d’eux heurte une femme enceinte et la fait avorter sans autre malheur, il sera condamné à l’amende que lui fera infliger l’époux de cette femme et il la paiera à dire d’experts. Mais si un malheur s’ensuit, tu feras payer corps pour corps; œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied; brûlure pour brûlure, plaie pour plaie, contusion pour contusion » (Shemot 21 :22-25).

    Dans la parasha de Emor, le principe est encore plus explicite :

    « Et si quelqu’un fait une blessure à son prochain, comme il a agi lui-même on agira à son égard : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent; selon la lésion qu’il aura faite à autrui, ainsi lui sera-t-il fait » (Vayikra 24:19-20).

    Dans le traité Baba Qama aux folios 24 et suivants, le Talmud commente abondamment ces versets répétitifs. Mais comme le note le Tora Temima, il y a unanimité parmi les Sages de la Gemara pour considérer que le verset parle d’une compensation financière et non du droit de d’infliger au responsable du dommage corporel un dommage identique – même si un enseignement de Rabbi Eli’ezer laisse entendre le contraire : « Œil pour œil. Vraiment »[2].

    En revanche, la question de savoir pourquoi la Tora ne prescrit pas le talion littéralement n’est pas claire.

    A nos yeux et de manière probablement anachronique, c’est par moralité que la Tora demande une compensation financière. Il serait immoral de blesser ou d’infliger une infirmité à une personne en guise de punition !

    Rabbi Ovadia Sforno nous rappelle à l’ordre avec une explication totalement différente :

    « Œil pour œil. Car tel aurait-il dû être selon la loi stricte (ha-din ha-gamour) qui est celle de ‘mesure pour mesure’. Vient alors la Tradition pour nous apprendre qu’il s’agit du paiement d’une compensation financière, à cause de l’imperfection de notre évaluation [du dommage ou de l’application de la peine], de peur que nous errions et appliquions une peine démesurée par rapport au dommage. »

    C’est donc bien un impératif moral qui gouverne mais pas celui du rejet de la punition corporelle, celui de l’incapacité à appliquer un talion précis[3]

    Cette même explication est d’ailleurs rapportée par Rabbi Avraham Ibn Ezra (ad loc.) citant lui-même Rav Sa’adia Gaon proposant la même motivation dans un dialogue très vivant avec Ben Zouta, qu’on identifie comme un Karaïte[4].

    Et c’est encore le même raisonnement qui est repris par Rabbi Yehouda Halévi dans le Kouzari (III:47) et amplement commenté par le Kol Yehouda de Rabbi Yehouda Moscato (1530-1593), contemporain du Sforno.

    Rabbi Yehouda Moscato met de côté l’opinion de Rabbi Moshé de Narbonne pour qui l’application littérale du talion serait possible si elle pouvait être précise et exacte.

    Mais deux opinions majeures convergent, celle du Rambam (Guide III:41) et celle du Ramban : l’intention première de la Tora est bien d’infliger un talion au sens littéral du terme – œil pour œil ; mais dans un deuxième temps intervient le principe de « Kofer » ou « Rachat » qui neutralise cette punition physique et lui substitue une compensation financière. Seul le cas du meurtre demeure exclu du Kofer de par sa gravité : « Vous n’accepterez point de Kofer pour la vie d’un meurtrier, s’il est coupable et digne de mort : il faut qu’il meure » (Bamidbar 35:31).

    D’après cette lecture, la peine de mort n’est donc rien d’autre que le seul reliquat valide de la loi du talion.

    Pour finir avec un grand écart historique et un auteur contemporain vivant à Bné Brak, Rav Moshé Preiss relit le commentaire du Sforno d’une manière originale (Mi-Zekenim Etbonan, 2017) : si l’intention de la Tora était de nous prescrire une compensation financière aux blessures infligées, pourquoi passer par une telle formulation d’ « œil pour œil, dent pour dent » ?!

    C’est qu’en théorie, le coupable aurait dû endurer une peine physique équivalente au mal qu’il a causé. En effet celui qui blesse son prochain lui cause certes un dommage « quantifiable », « monnayable », mais lui cause surtout une peine physique incommensurable.

    La Tora vient donc apprendre à l’auteur des faits qu’il ne doit pas se sentir « quitte » vis-à-vis de sa victime simplement parce qu’il lui a versé la compensation financière requise : pour que sa faute lui soit expiée, il doit ressentir la douleur de sa victime, la honte de sa victime et les conséquences sans fin de son acte… sur son propre corps ! Tel serait le sens profond de l’expression « œil pour œil » : « ressens dans ton œil le dommage infligé à l’œil de ton prochain, même si seule une compensation financière t’est demandée ! Soit conscient de ton acte et repentis-toi ».

     

    Emmanuel Ifrah

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו שמות פרק כא פסוק כד
    (כד) עין תחת עין. כך היה ראוי כפי הדין הגמור שהיא מדה כנגד מדה, ובאה הקבלה שישלם ממון (קמא פרק החובל) מפני חסרון השערתנו, פן נסכל ונוסיף על המדה לאשמה בה: 


    [1] Sections 210, 230 par ex. D’autres sections prévoient des compensations financières dans des cas différents.

    [2] D’autres comprennent le texte de la Gemara différemment, notamment Rabbi Moshé de Narbonne tel que cité par le Kol Yehouda sur le Kouzari (III:47). Voir aussi David W. Amram, Retaliation and Compensation, JQR, n.s. Vol. II, 1911.

    [3] Cette approche diffère des deux objections principales apportées dans la Gemara à l’applicabilité du talion : (1) le fait que la même peine corporelle n’a pas le même effet sur deux individus différents (par ex. crever un œil à une personne déjà borgne, c’est le tuer) ; (2) le fait que la sensibilité physique varie en fonction des personnes. La Gemara se positionne donc au niveau du justiciable alors que l’explication du Sforno se positionne du point de vue de l’administrateur de la punition.

    [4] Anan Ben David (l’un des fondateurs du Karaïsme, c. 715 - c. 795, antérieur d’un siècle à Rav Saadia Ga’on) écrit dans son Sefer ha-Mitzvot que, par analogie avec la peine capitale, les lois du talion « ne sont plus appliquées » ce qui montre bien qu’il les comprend littéralement (Leon Nemoy, Karaite Anthology, 1952, p. 13). David W. Amram expose par ailleurs (dans l’article cité) au nom de Rabbi Bernard [Dov] Revel (le célèbre fondateur de Yeshiva College, ou comme il fut connu à l’âge de six ans après que Rav Yitz’hak El’hanan Spektor de Kovno l’eut interrogé : « Der Prenner Illouy »), que l’opinion des Karaïtes sur le talion n’est pas unanime.

     

  • Le trésor de Dieu

       Cycle : la paracha selon le Sforno*

    Sforno 1

     

    Ytro :Le Trésor de Dieu

     

    Après la triomphale sortie d’Egypte accompagnée de la prodigieuse traversée de la Mer Rouge qui a vu enfin naître le peuple juif, celui-ci poursuit sa mue dans notre Sidra en devenant enfin le dépositaire de la volonté Divine, l’acceptation de la Torah.

    Du pied des montagnes du Sinaï, afin de les préparer à recevoir enfin la Torah des mains de Moïse, Dieu se manifeste au tout jeune peuple juif, et les enjoint à accomplir Ses commandements et à honorer fidèlement Son alliance, afin de Lui en devenir un « trésor parmi les autres peuples » (Exode, 19,5).

    Le Sforno* nous révèle que parmi la multitude de créatures présentes sur Terre, l’espèce humaine est celle qui a sa préférence car elle a été créée à Son image (Avot,3,14). Et parmi eux, les Justes parmi les Nations, respectant les 7 lois Noahides et leurs dérivés sont particulièrement chéris par Dieu.

    Le verset suivant nous révèle en quoi le peuple juif sera qualifiable de trésor : « Et vous serez pour Moi un royaume de prêtres et une nation sainte ».

    Selon le Sforno, afin de prétendre à devenir un trésor au regard de Dieu, il faut aspirer à devenir un royaume de prêtres, prêt à montrer la voie aux nations, à apprendre au genre humain comment invoquer, révérer le nom de Dieu d’un cœur unanime, mission qui sera pleinement accomplie lors des temps futurs et une nation sainte, à savoir séparée de la matière et du temps, atemporelle et immortelle, destinée à « se maintenir à jamais » (Sanhedrin 92a).

    Le Sforno nous a décrit précisément comment ce précieux lien qui va unir ad vitam aeternam l’Eternel avec le peuple juif, ne peut s’opérer que en devenant un représentant authentique de Dieu sur Terre, chargé de lui montrer et démontrer Son existence, Son unicité et qu’il n’existe rien en dehors de Lui.

    Cette noble tâche ne pourra être couronnée de succès qu’à la condition d’y accomplir les commandements et préceptes de la Torah qui va être donnée.

    Son respect à la lettre mais également une poursuite incessante de sainteté par l’éloignement du matériel inscrira n’importe quel homme, descendant biologique ou non de ce tout jeune peuple, dans le peuple juif, le peuple trésor.

     

    Elie DAYAN

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

     

    הְיִיתֶם לִי סְגֻלָּה מִכָּל הָעַמִּים – אַף עַל פִּי שֶׁכָּל הַמִּין הָאֱנוֹשִׁי יָקָר אֶצְלִי מִכָּל יֶתֶר הַנִּמְצָאִים הַשְּׁפָלִים, כִּי הוּא לְבַדּוֹ הַמְכֻוָּן בָּהֶם, כְּאָמְרָם זִכְרוֹנָם לִבְרָכָה: חָבִיב אָדָם שֶׁנִּבְרָא בְּצֶלֶם (אבות ג׳:י״ד), מִכָּל מָקוֹם אַתֶּם תִּהְיוּ לִי סְגֻלָּה מִכֻּלָּם.

    כִּי לִי כָּל הָאָרֶץ – וְהַהֶבְדֵּל בֵּינֵיכֶם בְּפָחוֹת וְיָתֵר הוּא, כִּי אָמְנָם ״לִי כָּל הָאָרֶץ״ וַחֲסִידֵי אֻמּוֹת הָעוֹלָם יְקָרִים אֶצְלִי בְּלִי סָפֵק.

    ְאַתֶּם תִּהְיוּ לִי מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים – וּבָזֶה תִּהְיוּ סְגֻלָּה מִכֻּלָּם, כִּי תִּהְיוּ ״מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים״ לְהָבִין וּלְהוֹרוֹת לְכָל הַמִּין הָאֱנוֹשִׁי, לִקְרֹא כֻלָּם בְּשֵׁם ה׳ וּלְעָבְדוֹ שְׁכֶם אֶחָד, כְּמוֹ שֶׁיִּהְיֶה עִנְיַן יִשְׂרָאֵל לֶעָתִיד לָבוֹא, כְּאָמְרוֹ ״וְאַתֶּם כֹּהֲנֵי ה׳ תִּקָּרֵאוּ״ (ישעיהו ס״א:ו׳), וּכְאָמְרוֹ ״כִּי מִצִּיּוֹן תֵּצֵא תוֹרָה״ (שם ב׳:ג׳).

  • De la nature-esclave au devenir-créature

                    Cycle : la paracha selon le Sforno*

                     Sforno 1

    בשלח : de la nature-esclave au devenir-créature

     

    Bechala’h narre une métamorphose. Les Enfants d’Israël abandonnent en effet leur nature-esclave cultivée en Égypte pour s’engager dans un devenir-créature.

    Point de départ, le premier verset[1] qui montre à quel point leur nature-esclave est encore prégnante malgré la sortie d’Égypte. Dieu ne les conduit d’ailleurs pas sur la route des Philistins car, perspective de guerre, elle pourrait induire chez eux la crainte qui les mènerait au retour en Égypte. Cependant, pour Sforno, les belligérants ne seraient pas les Philistins, mais bien les Égyptiens. Et d’expliquer que le choix de cette route doit éviter qu’« entendant que le Pharaon se prépare à le poursuivre avec toute son armée, le peuple puisse sans doute s’émouvoir par crainte de la guerre et rentrer en Égypte »[2]. C’est bien l’aveu qu’aux yeux des Enfants d’Israël, vie et mort dépendent encore entièrement des Égyptiens. L’aliénation est radicale : la condition d’existence et de subsistance des Enfants d’Israël, c’est d’être les esclaves des Égyptiens[3].

    Pour le Sforno, ce n’est qu’après que Dieu eût noyé les Égyptiens que l’aliénation cesse enfin. Son commentaire du premier verset[4] de l’introduction à la Chira est ainsi on-ne-peut-plus clair : « par la mort de ceux qui avaient abusé d’eux en les asservissant, ils sont devenus libres ; car jusqu’au moment de la mort de ceux-ci, Israël ressemblait à des esclaves qui fuient »[5]. Leurs chaînes avaient beau avoir été brisées, jusqu’à ce que leurs maîtres meurent, ils n’en demeuraient pas moins des esclaves ! La contrainte n’était donc pas uniquement physique : Israël avait intériorisé sa condition[6].

    Mais alors, même la mort des Égyptiens devrait s’avérer insuffisante pour les rendre libres !? Et c’est bien le cas. Pour Sforno, ce qui les libère, c’est de voir que les Égyptiens se noient au lieu où, eux, marchent à pieds secs. « Nous avons dit אז ישיר quand le cheval de Pharaon, avec son char et ses cavaliers, est entré dans l’eau ; et le Dieu béni les a submergés alors que les Enfants d’Israël marchaient encore à pieds secs au sein de la mer - ils ont commencé la Chira avant de parvenir au rivage[7] ».

    Sforno décrit ici deux réalités concurrentes : celle des Enfants d’Israël, marchant au sein de la mer, et celle des Égyptiens s’y noyant. Un même lieu est à la fois émergence pour les premiers et submersion pour les seconds ! La différence porte donc sur une rupture dans les natures respectives. Ce qui est ici sur-nature-l, ce n’est pas le miracle de la mer, c’est la révélation que la nature-maître des Égyptiens est une nature-pour-la-mort. Cette révélation entraîne l’arrachement des Enfants d’Israël à leur nature-esclave.

    Que s’est-il donc passé ? Un changement a été proféré dans la bouche même des Enfants d’Israël lorsqu’ils ont proclamé au début de la Chira : « c’est mon Dieu »[8]. Pour Sforno, dire « c’est mon Dieu », c’est dire qu’« Il est l’Éternel et le Principe/l’origine chez moi (i.e. : de mon existence). (C’est-à-dire qu’)Il est la Cause de tous les phénomènes, et que c’est de Lui que provient leur subsistance »[9].

    Les Enfants d’Israël ont à ce moment-là abandonné l’horizontalité dialectique et asymétrique de la relation maître-esclave, pour s’engager dans une relation de verticalité : le devenir-créature. Cette nouvelle relation fait émerger des eaux une individualité (chaque-un dit « Je » dans la Chira) qui n’a de sens que dans une intimité existentielle avec Dieu.

    Plus que de remercier Dieu pour leur liberté, les Enfants d’Israël le reconnaissent comme celui qui assure désormais la surrection (la venue à l’être) et la sustenance (la subsistance) du monde[10].

    Jonathan Hay Aleksandrowicz

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original : Cf. Notes ci-dessous


    [1] Exode 13 ; 17 : וַיְהִי בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת־הָעָם וְלֹא־נָחָם אֱלֹקִים דֶּרֶךְ אֶרֶץ פְּלִשְׁתִּים כִּי קָרוֹב הוּא כִּי אָמַר אֱלֹקִים פֶּן־יִנָּחֵם הָעָם בִּרְאֹתָם מִלְחָמָה וְשָׁבוּ מִצְרָיְמָה

    Lorsque Pharaon laissa aller le peuple, Dieu ne le conduisit point par le chemin du pays des Philistins, quoique le plus proche ; car Dieu dit : « Le peuple pourrait se repentir en voyant la guerre, et retourner en Egypte ». 

    [2] ׃והנה בראותם מלחמה בשמעם שיכין פרעה את עצמו לרדוף אחרהים עם כל חילו ינחם העם בלי ספק מיראת מלחמתם וישובו למצרים 

    [3] Sur cette dialectique maître-esclave, voir évidemment Hegel et sa Phénoménologie de l’esprit ainsi que l’analyse qu’en fait Alexandre Kojève au début de son Introduction à la lecture de Hegel.

    [4] Exode 14 ; 30 : וַיּוֹשַׁע ה׳ בַּיּוֹם הַהוּא אֶת־יִשְׂרָאֵל מִיַּד מִצְרָיִם וַיַּרְא יִשְׂרָאֵל אֶת־מִצְרַיִם מֵת עַל־שְׂפַת הַיָּם

    En ce jour, l'Eternel délivra Israël de la main des Egyptiens; et Israël vit sur le rivage de la mer les Egyptiens qui étaient morts.

    [5] ויושע ה׳ ביום ההוא את ישראל ׃ במיתת המסתוללים בם לשבעדם נשארו הם בני חורין, כי עד עת מותם היו ישראל כעבדים בורחים 

    [6] Pour une lecture philosophique de cette idée, voir par exemple les pages que Michel Foucault consacre au panoptique de Bentham et sa description de la société disciplinaire dans Surveiller et punir : naissance de la prison, ainsi que son analyse du libéralisme dans son cours au Collège de France Naissance de la biopolitique.

    [7] Commentaire sur Exode 15 ; 19 :     כי בא סוס פרעה : וזה שאמרנו אז ישיר היה כאשר בא סוס פרעה ברכבו ובפרשיו בים, והא־ל יתברך הטביעים בעוד שבני ישראל היו הולכים ביבשה בתוך הים, בטרם יצאו התחילו לשיר

    [8] Exode 15 ; 2

    [9]       ׃ זה א־לי 

    הוא הנצחי והקדמון אצלי, אשר בהכרח יעלו כל סבות הנפסדים אליו, וממנו תהיה נצחיות התמדתם

    [10] J’emprunte ces deux mots au regretté Beno Gross qui les utilisait pour traduire respectivement מהוה et מחיה.  

  • Destination finale - Bo

       Cycle : la paracha selon le Sforno*

     Sforno 1

    Paracha Bo : Destination finale

     

     

    Shemote 10, 10

    « Voyez le mal est devant vos faces »

    Commentaire du Sforno :

    « Voyez qu’avec cette occupation vous marchez vers ce qui sera mal pour vous, et vous le trouverez. Ainsi : ‘[Je] marche vers la mort’ (Béréchit 25, 32) ; ‘Ses pieds descendent à la mort’ (Michelé 5, 5) ; et dans les paroles des Sages de mémoire bénie : ‘Ils courent vers le précipice’ (Berakhote 28b) ». 

     

    . Confronté aux plaies provenant de Dieu, le Pharaon accepte avec une grande réticence de laisser partir les Hébreux dans le désert. Il ne consent qu’à renvoyer les hommes, mais refuse dans un premier temps d’en faire de même pour les femmes et les enfants. Ce refus est précédé de cette déclaration énigmatique : « Voyez, le mal est devant vos faces ».

    . Le sens simple du texte (pchat) est que le Pharaon accuse Moché de penser à mal par sa demande : « Vous pensez à faire du mal dans votre cœur » (Rachbam). L’idée serait la suivante : ‘Puisque vous demandez à servir votre Dieu, et que ce service est le fait des hommes, votre demande de laisser également partir femmes et enfants montre que vos propos sont mensongers (mauvais)’.

    L’exégèse du midrash rapporté par Rachi s’éloigne grandement du sens littéral : « Il est une étoile du nom de רעה, le mal; Pharaon leur a dit: je vois à travers mon astrologie que cette étoile monte à votre rencontre, dans le désert (…) »[1].

    . Cette introduction me semble nécessaire pour situer la démarche du Sforno. Son commentaire en l’espèce est représentatif de sa méthode d’interprétation : A l’instar du Rachbam, il propose une lecture du sens simple du texte (pchat). Il lui rajoute néanmoins une dimension éthique en s’appuyant pour cela aussi bien sur des références bibliques que rabbiniques. La mention de ces dernières références s’éloigne toutefois de leur utilisation par Rachi, dont l’objectif est de présenter la lecture rabbinique du texte la plus admise[2]. Aussi les textes du Talmud et du Midrash constituent-ils pour le Sforno un instrument de compréhension du texte biblique comme un autre.

    . Une autre caractéristique de sa méthode se retrouve encore dans ce commentaire : son style lapidaire. Les commentaires du Sforno sont courts. Souvent, cela s’explique car il propose des explications à suite. Chaque commentaire est donc une partie de son commentaire global sur le sujet. Cependant d’autres fois, comme en l’espèce, son explication se suffit à elle-même. Elle ne doit pas nécessairement être liée à d’autres passages de son œuvre. Il est alors difficile de déterminer l’idée maîtresse. Aussi les références rapportées doivent-elles nécessairement être exploitées afin de cerner la pensée du maître.

     

    C’est à cet exercice qu’il convient maintenant de se livrer :

    1/ [Je] marche vers la mort’ (Béréchit 25, 32)

    C’est ici Essav qui s’adresse à Yaakov, alors que celui-ci lui demande d’échanger son droit d’aînesse contre le plat de lentille convoité par son aîné. Essav annonce explicitement qu’il n’a que faire de cette prérogative, car il « marche vers la mort ». Le droit d’aînesse (bekhora) n’étant autre que le service de Dieu, ‘marcher vers la mort’ représente l’antinomie exacte du service divin.

    2/ ‘Ses pieds descendent à la mort’ (Michelé 5, 5)

    Le sujet est ici « l’étrangère » qui détourne le ‘fils’ grâce à ses paroles mielleuses (Michelé 5, 1-3). Il s’agit autant de la tentation physique que de la tentation intellectuelle, les deux détournant l’homme du service divin (Malbim). « Ses pieds descendent à la mort » après avoir détourné l’homme de Dieu.

    3/ ‘Ils courent vers le précipice’ (Berakhote 28b) 

    Ce passage de la Guemara est la fin d’un texte récité à la fin de l’étude. Il oppose ceux qui vaquent à leurs occupations journalières à ceux qui étudient la Torah : « Je reconnais devant toi, Hachem mon Dieu, qui a mis ma part parmi ceux qui s’assoient au Beth HaMidrash, et non parmi ceux qui s’assoient dans les coins [dans leurs commerces ou dans la rue] ; car je me lève le matin et ils se lèvent le matin ; mais je me lève pour parler de Torah, alors qu’ils se lèvent pour parler de choses vaines ; je travaille dur et ils travaillent dur ; mais je travaille et je reçois un salaire, alors qu’ils travaillent et ne reçoivent pas de salaire ; je cours et ils courent ; mais je cours vers le monde à venir ; alors qu’ils courent vers le précipice ».

     On constate qu’ici le ‘précipice’ (béer sha’hat) est opposé au monde futur. Tout est dit : étudier la Torah -dans l’objectif de servir Dieu- mène à la félicité éternelle. Agir différemment mène à la mort terrestre, sans espoir de dépasser ce monde ci et ses préoccupations matérielles.

     

    . Une fois ce regard posé sur les sources rapportées par le Sforno, nous pouvons enfin appréhender le génie de son commentaire : Alors que Moché demande au Pharaon qu’il laisse partir les hébreux pour aller servir Dieu, celui-ci leur répond que ‘servir Dieu’ équivaut à l’inutilité absolue. Pour lui, ‘servir Dieu’, c’est marcher vers la mort. Ce discours montre donc à quel point la ‘philosophie’ de l’Egypte asservissant les hébreux se trouve-t-elle à l’exact opposé de l’idéal prôné par la Torah.

    La ‘destination finale’ diffère en fonction du point de vue. Etre juif nécessite parfois de s’affirmer clairement par le rejet des autres modes de vie. Là où les ‘modernes’ voient d’un œil méprisant le vieux juif barbu tenant sa Guemara dans sa main gauche et son talith dans la main droite, les maîtres du Talmud voient dans un tel regard des hommes destinés à mourir sans espoir de lendemain… Et le Sforno de nous rappeler subtilement que cet œil méprisant n’est autre que celui du Pharaon.

     

    Yona GHERTMAN

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו שמות פרק י

    ראו כי רעה נגד פניכם. ראו כי אתם הולכים בעסקכם זה אל הרע לכם ותמצאוהו, כענין הולך למות (בראשית כה, לב) רגליה יורדות מות (משלי ה, ה) וכדבריהם ז"ל והם רצים לבאר שחת (ברכות כח ב)

     


    [1] La suite du Midrash est connue. Je la reproduis toutefois en entier : « D'après le midrach agada que j'ai entendu, il est une étoile du nom de רעה, le mal ; Pharaon leur a dit : je vois à travers mon astrologie que cette étoile monte à votre rencontre, dans le désert; c'est un signe de sang et de meurtre. Or, quand le peuple d'Israël a commis la faute du Veau d'or, Dieu voulut effectivement les tuer ; Moïse a dit alors dans sa prière : Pourquoi les Egyptiens diraient-ils: il les fit sortir sous ra'a?». On notera que Rachi renvoie toutefois dans un premier temps à la traduction d’Onkelos.

    [2] Lorsque Rachi affirme vouloir expliquer le ‘sens simple du texte’ (pchat), cela doit être compris comme : l’interprétation rabbinique la plus logique du texte. Voir à ce sujet l’explication détaillée de Micho Klein : « Le pchat selon Rachi ».

  • La techouva de Pharo

    Cycle : la paracha selon le Sforno*

    Sforno 1

    Parashat Va’era - La teshouva de Par’o

     

    Nombreux sont les commentateurs qui se sont penchés sur le probleme theologique posé par le verset répété en plusieurs endroits de nos parashiot : « Et j’endurcirai le cœur de Par’o, et il ne laissera pas les enfants d’Israël sortir d’Egypte »[1].

    Comment Dieu peut-il intervenir dans le libre-arbitre de l’homme, comment peut-il fermer les portes du repentir.

    L’avis du Rambam[2] -cité par ailleurs par le Ramban sur notre verset- fait sans doute partie des avis les plus connus sur cette question : « Il peut advenir que l’homme, ayant trop fauté, se voie retirer sa possibilité de repentir ! Ceci, de manière punitive, afin qu’il meure en fauteur »

    Ainsi, d’après Maimonide, Par’o ayant trop fauté se voit de manière punitive, et à titre totalement exceptionnel, retirer sa possibilité de repentir… Cet avis, étonnant de prime abord, a fait couler beaucoup d’encre…

    Le Sforno choisit quant à lui une direction radicalement différente !

    Si Dieu endurcit le cœur de Par’o, cela n’est non pas pour lui retirer toute possibilité de Teshouva ! Bien au contraire, nous dit Sforno ! Dieu endurcit le cœur de Par’o afin que ce dernier et son peuple avec lui fassent teshouva !

    Le Sforno explicite son propos : si Dieu n’avait endurci le cœur de Par’o, celui-ci aurait flanché et aurait renvoyé les enfants d’Israel non pas par reconnaissance de la grandeur divine ou de l’iniquité d’avoir un peuple en esclavage. Il l’aurait fait pour mettre fin à ses souffrances – un peu comme un aveu extorqué à une personne soumise à la question ! « Endurcir le cœur de Par’o » prend donc un autre sens : Dieu permet a Par’o de trouver les forces de résister aux plaies – et ce, afin que « posément » il prenne conscience du devoir moral de libérer les enfants d’Israël de l’esclavage, et la grandeur Divine…

    Ainsi, dans ce court commentaire, succinct comme le sont tous les commentaires des Rishonim , le Sforno retourne totalement la lecture des versets : Dieu ne punit Par’o en endurcissant son cœur ; il lui offre les forces physiques et mentales de résister (faire face, probablement aussi, aux pressions de son peuple exsangue) à la difficulté des plaies, afin qu’en pleine conscience et totale lucidité, il arrive de lui-même aux conclusions s’imposant – qu’il fasse Teshouva !

     

    Benjamin Sznajder

     

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו שמות פרק ז פסוק ג
     ואני אקשה. הנה בהיות האל חפץ בתשובת רשעים ולא במיתתם, כאמרו חי אני נאם ה', אם אחפוץ במות הרשע, כי אם בשוב הרשע מדרכו וחיה (יחזקאל לג, יא), אמר שירבה את אותותיו ואת מופתיו, וזה להשיב את המצרים בתשובה, בהודיע להם גדלו וחסדו באותות ובמופתים, כאמרו בעבור זאת העמדתיך, בעבור הראותך את כחי (להלן ט, טז) ועם זה היתה הכונה שישראל יראו וייראו, כאמרו למען שיתי אותותי אלה בקרבו, ולמען תספר (להלן י, ז), ואין ספק שלולא הכבדת הלב היה פרעה משלח את ישראל בלי ספק, לא על צד תשובה והכנעה לאל יתברך, שיתנחם מהיות מורד, אף על פי שהכיר גדלו וטובו, אלא על צד היותו בלתי יכול לסבול עוד את צרת המכות, כמו שהגידו עבדיו באמרם הטרם תדע כי אבדה מצרים וזאת לא היתה תשובה כלל. אבל אם היה פרעה חפץ להכנע לאל יתברך, ולשוב אליו בתשובה שלמה, לא היה לו מזה שום מונע. והנה אמר האל יתברך ואני אקשה את לב פרעה, שיתאמץ לסבול המכות ולא ישלח מיראת המכות את ישראל, למען שיתי אותותי אלה בקרבו, שמהם יכירו גדלי וטובי וישובו המצרים באיזו תשובה אמתית. ולמען תספר אתה ישראל הרואה בצרתם, באזני בנך להודיע שכל אלה יפעל אל עם גבר להשיבו אליו, וזה כשיפשפשו במעשיהם בבוא עליהם איזה פורענות:

     

     

    [1] Voir par exemple VII, 3 dans notre Parasha.

    [2] Ilh’ot Teshouva – VI,2 

  • Pour une réinterprétation de la sortie d'Egypte

      Cycle : la paracha selon le Sforno*

    Sforno 1

    Chemot : Pour une réinterprétation de la sortie d’Egypte

     

    Quand on commence le livre de Chémot, il convient de questionner avant d’être emporté par la prétendue évidence de l’élection d’Israël: et si l’esclave n’était pas moins coupable que son maitre ? Si les hébreux ne valaient pas la peine d’être sauvés ? L’esclave, l’humilié, possède plus d’humanité que son mentor, le maître perd son humanité par le simple fait d’être le maitre, se dit-on, persuadé qu’on se perd moins en se plaçant du côté du pauvre. Mais une fois l’esclave affranchi ne se retourne-t-il pas en maitre, et se défait de son humanité ?

    A ce rythme-là, nous lisons le livre de Chémot comme notre roman national : nous serions le pauvre peuple, terrassé par un méchant pharaon, et Dieu nous délivre de ses mains iniques. On fait ainsi le lit à tout le christianisme ultérieur et surtout l’on se prive de lire la Bible avec des yeux un peu adultes.

    A rebours de tant d’autres commentateurs romantiques,  le commentaire du Sforno[1] sur la paracha de Chémot s’ancre dans un verset d’Ezechiel 20: « Et Je leur ai dit: "Que chacun de vous rejette au loin les abominations qui sont sous ses yeux! Ne vous souillez pas avec les idoles infâmes de l'Egypte, Je suis l'Eternel votre Dieu. Mais ils se sont mutinés contre Moi, ils n'ont pas consenti à M'écouter; ils n'ont pas rejeté les abjections dont ils étaient témoins, ils n'ont pas abandonné les idoles de l'Egypte, et Je songeais à épancher mon courroux sur eux, à assouvir sur eux ma colère au milieu du pays d'Egypte. »

    Le peuple hébreu n’est pas la douce colombe qu’on se figure, il est durement condamné par le prophète ; en Egypte ils étaient idolâtres, ils avaient perdu le message abrahamique. La question de leur sauvetage se pose. Qu’est-ce qui fait que Dieu consent tout de même à les sauver ? Suffirait-il d’être durement éprouvé par le sort pour mériter une indulgence ?  Chémot est le livre de l’intervention de Dieu dans l’Histoire. Ce qui compte c’est de décrypter l’attitude divine, de la comprendre afin qu’elle serve à chacun pour décrypter sa propre histoire.

    Les juifs en Egypte ne valaient pas mieux que leurs maîtres idolâtres, ils adhéraient aux mêmes valeurs dominantes. Si ce n’est que quelques justes prièrent ; en effet, le Sforno commente les versets relatifs aux cris de souffrance des hébreux, « et Dieu entendit leurs voix : il s’agit de la prière des justes »[2], c’est-à-dire de ceux qui s’inscrivaient encore, et malgré les souffrances, dans la voie d’Abraham. C’est pourquoi leur prière provoqua « le souvenir de l’alliance faite avec les patriarches ».

    L’ascendance biologique des juifs ne leur donnait aucune supériorité[3], l’alliance faite avec Abraham ne consistait pas en la création d’un peuple, d’un état ou d’une nation rattachée ethniquement au totem d’Abraham. L’alliance reposait sur la fidélité de la descendance à son esprit. Et seuls certains y était encore affiliés : c’est grâce à eux que le sauvetage du peuple juif conservait encore quelque sens. L’identité nationale ne plaidait pas en leur faveur.

    La question est alors de savoir pourquoi sauver tout le peuple, même les idolâtres ? La clé se trouve dans la scène du buisson ardent. Pour le Sforno, il s’agit d’une métaphore (ce n’est que plus tard que Moïse se hissera au-dessus de la prophétie métaphorique, lors de l’épisode sinaïtique). Un ange brûle au sein du buisson –ce sont les justes de la génération qui subissent les brimades égyptiennes-, mais le buisson –les égyptiens- ne sont pas consumés –détruits par les plaies qui vont s’abattre sur eux-[4]. Moïse s’approche, pris par le sens de cette vision, et répond « qui suis-je pour aller chez Pharaon ? ». Dieu répond ‘voici le signe, lorsque je renverrai le peuple, ils Me serviront sur ce mont’, ce que notre commentateur comprend comme l’adhésion future au service divin[5].

    Au final, les juifs ne valent pas tellement mieux que leurs maitres, la sortie d’Egypte n’est pas le péplum hollywoodien mettant en scène un Dieu qui veut la liberté contre l’esclavage. La sortie d’Egypte c’est la croyance de Dieu en son peuple qu’il est capable d’aller se recueillir sur le mont Sinaï, alors même qu’il a encore des idoles entre les mains. Cette confiance qui se verra déçue dans une certaine mesure, peut se dire à partir d’une fraction du peuple encore engagé par l’héritage abrahamique.  Le sauvetage de tout le peuple ne trouve sa raison que sur le mont Sinaï, lieu de la première ‘rencontre’ avec Moïse, lieu du buisson ardent.

    Franck Benhamou

     

    *Rav 'Ovadiah Sforno, Italie 1480-1550

    Texte original :

    ספורנו שמות הקדמה 1-

    וסיפר בספרו השני, כי מאז החל זרע ישראל לחלל ברית אבותם במצרים, כאשר העיד יחזקאל באמרו וימרו בי ולא אבו לשמוע אלי, איש שקוצי עיניו לא השליכו, ואת גלולי מצרים לא עזבו, ואומר לשפוך חמתי עליהם, לכלות אפי בהם בתוך ארץ מצרים היו לעבדים בפרך, עד אשר שבו קצתם והתפללו, ומלאך פניו הושיעם.

    2-ספורנו שמות פרק א

    (א) ואלה שמות. אלה הנזכרים בכאן היו ראוים להודע בשם כי כל אחד מהם ראוי להיות נחשב איש על שמו המורה על צורתו האישיית. ואלה כל ימי חייהם היו למאורות, ולא יצא הדור לתרבות רעה. אמנם אחרי מותם לא היו הצדיקים שבבניהם כל כך חשובים בעיני אלהים ואדם:

    (ו) וכל הדור ההוא. כל שבעים נפש, שלא בא הדור לקלקול גמור כל ימיהם:

    (ז) פרו וישרצו. ואחר שמתו כל שבעים נפש נטו לדרכי שרצים, שרצים לבאר שחת, ובכן:

     3- ספורנו שמות פרק ב

    (כד) וישמע אלהים את נאקתם. תפלת קצתם שהתפללו אז מצדיקי הדור, כאמרו ונצעק אל ה', וישמע קולנו (במדבר כ, טז):

    ויזכור אלהים את בריתו. שאמר והקימותי את בריתי ביני ובינך, ובין זרעך אחריך, להיות לך לאלהים ולזרעך אחריך (בראשית יז, ז) וזה יעשה בכל קראנו אליו כמו שהעיד אחר כך באמרו וגם אני שמעתי את נאקת בני ישראל וכו' ואזכור את בריתי (להלן ו, ה):

    ספורנו שמות פרק ג 4-

    (ז) ראה ראיתי את עני עמי. צדיקי הדור הנאנחים והנאנקים על עונות הדור ועל עניים ומתפללים, וכנגדם נגלה מלאך ה' תוך הסנה

    ספורנו שמות פרק ג

     אף על פי שראיתי את עני עמי אשר במצרים, כמו שהורה היות המלאך בתוך הסנה, ואף על פי שעל צריהם אשיב ידי כמו שהורה האש בסנה, מכל מקום לא יסופו המצרים הצרים אותם בכל מכות שאשלח בם, כמו שהורה ענין והסנה איננו אכל, כי אמנם אין הכונה במכות שאביא עליהם להכריתם ולהושיב ישראל במקומם, אבל להציל ישראל מידם ולהושיבם במקום אחר

    5- ספורנו שמות פרק ג

    (יב) כי אהיה עמך וזה לך האות. שתגזור אומר ויקם לך (איוב כב, כח) בכל אשר תפנה שם, ובזה יכירו הכל ששלחתיך ויחשיבו אותך ואת דבריך, כענין גם האיש משה גדול מאד בארץ מצרים:

    בהוציאך את העם ממצרים תעבדון את האלהים על ההר הזה. אף על פי שאינם ראוים, הם מוכנים לעבוד את האלהים על ההר הזה בהוציאך אותם מבין הפושעים:

     

    [1] Voir son introduction sur le livre de Chémot. Texte 1.

    [2] Voir texte 3.

    [3] Voir texte 2

    [4] Texte 4.

    [5] Texte 5.

  • Prière et étude

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Prière et étude, entre terre et ciel

     

    A la mémoire de Michaël Broll z”l

     

    Et Jacob vécut en Egypte etc. Il y a des hommes qui sont vivants pour eux-mêmes [ce qui est bien aussi], des hommes qui sont vivants pour leurs proches, d’autres vivants pour leur ville et d’autres encore vivants pour le monde entier. A ce propos il a été dit (Mishlé 10:25) : « Le juste constitue le fondement du monde ». [Commentaire sur Bereshit 47:28]

    Chaque fois que l’on verse des larmes à la mort d’un homme kasher, le Saint béni Soit-Il les compte et les dépose dans Son trésor (Shabbat 105b).

    Cet enseignement est à comprendre d’après le passage suivant de la Gemara : « Mais comment peut-on parler de pleurs concernant Dieu ?! N’est-il pas pourtant écrit : “Force et joie en Sa demeure” (1 Chroniques 16:27) ?! Il n’y a pas là de contradiction : dans le cas des larmes on parle des pièces intérieures de Sa demeure, dans le cas de la force et de la joie des pièces extérieures de Sa demeure » (‘Hagiga 5b).

    Et l’image est évidente, à savoir qu’il n’y a ni altération ni inflexion dans la nature de Dieu, ce qui est exprimé par l’expression : « il dépose les larmes dans Son trésor ». C’est-à-dire que – si l’on peut s’exprimer ainsi – dans les pièces intérieures de Sa demeure, Dieu pleure. [Commentaire sur Bereshit 50:11]

     

    Le commentaire du Meshekh Hokhma sur la parasha de Vaye’hi est incroyablement riche, tant par la variété des sujets traités et des angles de lectures proposés que par sa profondeur.

    Il revient notamment à plusieurs reprises sur deux « activités » particulièrement essentielles dans la vie religieuse de l’homme juif et dans sa relation à Dieu : d’une part la prière – à laquelle il est astreint trois fois par jour – et, d’autre part, l’étude – à laquelle il est appelé « jour et nuit », presque sans limite de temps ni d’efforts pourrions-nous dire, jusqu’à parvenir à une connaissance totale de la Halakha[1].

     

    §1.

    S’adressant à Yossef afin de le bénir, Ya’akov lui déclare : « Or, je te promets une portion supérieure à celle de tes frères, portion conquise sur l’Amorréen, à l’aide de mon épée et de mon arc » (Béréshit 48:22).

    Le Targoum Onkelos traduit ces deux termes : « à l’aide de mon épée et de mon arc » par « à l’aide de ma prière et de ma supplique ». Ya’akov n’ayant pas été un guerrier, Onkelos se sent contraint de comprendre ces termes comme symboliques.

    Mais pourquoi donc utiliser deux termes différents pour décrire la prière ?

    D’après le Rav de Dvinsk, le premier terme « bi-tsloti / par ma prière » fait référence aux prières obligatoires, tandis que le second terme « be-ba’outi / par ma supplique » fait allusion aux requêtes personnelles que l’on peut intercaler dans la prière instituée.

    Mais quelle différence concrète entre ces deux types de prière ?

    • La prière instituée par les Sages ne dépend pas de la volonté de l’homme et ne le requiert donc que le strict minimum d’intention et de concentration (à savoir dans la première bénédiction, dite des Avot) pour être valable et agréée. Plus encore, la prière institutionnelle récitée en communauté est agréée même sans intention.
    • A l’inverse, les requêtes personnelles formulées par l’homme à sa propre initiative doivent l’être avec une totale concentration et une intention pleine afin d’être acceptées.

    De manière géniale le Meshekh ‘Hokhma relie ces distinctions conceptuelles avec les termes symboliques utilisés dans le verset, sur la base d’un commentaire du Kessef Mishné sur les Lois du meurtrier de Maïmonide :

    • L’épée comme toute arme en métal aiguisé est considérée comme létale quelle que soit sa taille ou son impact (la prière institutionnelle figurée par l’épée est agréée quelle que soit l’intention)
    • L’arc n’est pas dangereux en lui-même, tout dépend de la force investie, de la distance et de l’orientation donnée à la flèche (la prière personnelle ne peut être acceptée que si elle est dite avec intention et concentration).

     

    §2.

    Un peu plus loin dans la parasha (50:10) le Meshekh ‘Hokhma revient sur la notion de prière, mais cette fois en comparaison avec l’étude de la Tora, et cette lecture peut nous sembler particulièrement choquante :

    « Dans le Saint Zohar sur notre parasha au f. 219. Il lui dit [Rabbi Yossi à Rabbi ‘Hiya] : lorsque le Saint béni Soit-Il éveille sa droite, la mort est éliminée du monde. Mais cette droite ne peut s’éveiller que lorsqu’Israël s’éveille lui-même dans la [dimension de la] droite de Dieu. Et quelle est-elle ? La Tora, comme il est écrit : “dans sa droite une loi de feu, pour eux” (Dévarim 33:2). A ce moment-là, “… la droite de l’Eternel procure la victoire. La droite de l’Eternel est sublime : la droite de l’Eternel procure la victoire. Je ne mourrai point…” (Psaumes 118:15-17).

    Cela est à comprendre d’après ce qu’il est dit dans [le traité] Shabbat : “Ils délaissent la vie éternelle pour s’occuper de la vie d’un moment”. [A quoi fait référence la vie d’un moment, la vie passagère ?] Aux prières qui sont fixées en fonction des heures, de même qu’à toutes les bénédictions qui ont été instituées en rapport avec des choses matérielles. […]

    Au contraire, l’obligation [d’étude] de la Tora est permanente, sans interruption et se situe au-dessus du temps et de toutes les créations. […]

    Et c’est ce que signifie l’expression “Ils délaissent la vie éternelle” – la Tora qui constitue le principe vital de tous les mondes, de toutes les créatures, aussi bien matérielles que spirituelles – “pour s’occuper de la vie d’un moment” – c’est-à-dire le principe vital du temps. Et au-delà du temps [dans la dimension de la Tora] il n’y a pas de place pour la prière. […]

    La conduite du monde selon [les lois de] la nature est appelée « gauche » et [la conduite] spirituelle [du monde] est appelée « droite » et c’est ce qui a été expliqué dans le Sifri : “les eaux se dressaient en muraille à leur droite et à leur gauche” (Shemot 14:22) – à leur droite, c’est la Tora, à leur gauche, c’est la prière.

    Si donc Israël se saisit de la Tora, alors la conduite du monde sera spirituelle et divine, et l’homme [lui-même] sera [tout entier] spirituel et une entité simple sans division. Mais au contraire [si Israël se saisit] de la prière, alors la conduite [du monde] sera selon [les lois de] la nature, l’homme sera un élément au sein de la nature, sa composition sera divisée et il sera alors mortel. […] »

     

    §3.

    En synthèse, on retrouve ici une expression très tranchée de l’ethos du judaïsme mitnaged lituanien.

    L’étude de la Tora est au-dessus de tout, au-dessus de la Tora elle-même[2]. La prière qui est pourtant désignée par le Talmud comme « le service du cœur » est ramenée – dans le sillage du passage du Zohar cité en référence – comme une mitsva dont la dimension reste fondamentalement matérielle, non spirituelle !

    D’ailleurs, la prière « obligatoire », « instituée » (c’est-à-dire les 18 bénédictions de la ‘amida) ne requiert qu’une concentration minimale pour être valide. Elle peut donc être quasiment « sans âme » !

    De manière analogue, là où dix hommes en prière sont nécessaires pour faire résider la présence divine, l’étude d’un seul homme isolé suffit (Berakhot 6a[3]).

    Il y a donc bien une disproportion – aussi bien qualitative que quantitative – entre la dimension spirituelle de la prière et celle de l’étude.

    L’homme qui prie reste un homme ancré dans la nature, un homme mortel.

    En revanche, l’homme qui étudie tient entre ses mains « l’arbre de vie », il est inscrit dans une dimension d’éternité, d’immortalité.

     

    Emmanuel Ifrah

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק מח פסוק כב
    (כב) בחרבי ובקשתי. תרגם אונקלוס 'בצלותי ובבעותי'. 'צלותי' - הוא סדר תפילה הקבוע כמו שאמר: השבח והתפילה וההודעה מעכבין (תוספתא מנחות ו, ו). ו'בעותי' - הוא בקשה, אשר אמרו, אם רצה אדם לחדש בתפילתו, מעין כל ברכה שואל אדם צרכיו, יעויין פרק קמא דעבודה זרה בזה. והנה הנפקא מינה, כי סדר תפילה - שזו עבודה קבועה - אין הכוונה מעכב, ואם כיוון לבבו באבות סגי, ובכוונה מועטת סגי. לא כן בחידוש, שמבקש האדם צרכיו מחדש, בעי כוונה יתירה. [ואמרו פרק תפילת השחר (ברכות כט, ב): אמר רב זירא, ובעינא לחדושי מלתא ומיספתא דלמא מטרידנאי, כי החידוש צריך להיות בכוונה יתירה]. ואולי נכלל זה בהא דאמרו פרק קמא דתענית (ח, א): אין תפילתו של אדם נשמעת אלא אם כן משים נפשו בכפו, שנאמר (איכה ג, מא): "נשא לבבנו אל כפיים". איני, והא אוקים שמואל אמורא עליה ודרש (תהלים עח, לו): "ויפתוהו בפיהם ובלשונם יכזבו לו ולבם לא נכון עמו, ולא נאמנו בבריתו", ואף על פי כן (שם שם): "והוא רחום יכפר עון ולא ישחית" וגו'! לא קשיא, כאן ביחיד כאן בצבור. פירוש, שסדר התפילה שהוא בצבור אף שהוא בלא כוונה, מתקבלת. לא כן הבקשה החדשה, היא צריכה להיות בכוונה מופלגת. ואמרו בירושלמי ברכות (פרק ד הלכה ד) שאחיתופל היה מתפלל שלוש תפילות חדשות בכל יום [אולי על זה אמר דוד במזמור שאמר על אחיתופל (תהלים נה, יח) "ערב ובוקר וצהרים אשיחה" - כי אין אני מתפלל יותר מהחיוב - "וישמע קולי"].
    והנה חרב הוא בעצמו מזיק, שברזל שיש לו חדוד ממית בכל שהוא, ואין צריך אומד [רמב"ם פרק ג' מרוצח, הלכה ד]. אבל הקשת בעצמו אינו מזיק, רק כוח המורה, ותלוי לפי כוח ורחוק המורה בקשת. לזה קרא לתפילה בשם "חרבי" - שהיא אף בלא כוונה מרובה; ובעותי בשם "קשתי" - שהיא כמו קשת שהיא עד "שמשים נפשו בכפו". ולכן אמר ברכות דף ה, א: 'כל הקורא קריאת שמע על מטתו כאילו אוחז חרב של שתי פיפיות וכו'', כי על מיטתו איננה בכוונה מרובה. ולכן אמר (תהלים ו, י) "שמע ה' תחינתי" - זה בקשתי, שצריכה כוונה מרובה, כל שכן "ה' תפילתי יקח" - שאין צריך כוונה כל כך, ודו"ק היטב. 

    משך חכמה בראשית פרק נ פסוק י
    בזהר הקדוש בפרשתינו דף ריט, ב: א"ל, כד יתער קב"ה ימינא דיליה אתמנע מותא מן עלמא, ולא יתער האי ימינא אלא כד יתערון ישראל בימינא דקב"ה, ומאי ניהו? תורה, דכתיב בה (דברים לג, ב) "מימינו אש דת למו". בההיא זמנא (תהלים קיח, טז - יז): "ימין ה' עושה חיל - לא אמות כי אחיה ואספר מעשה י - ה". הפירוש על פי מה דאמרינן בשבת (י, א): מניחין חיי עולם ועוסקין בחיי שעה. והפירוש הוא, דעניני תפילה קבועין על הזמנים - ערב ובוקר וצהרים. וכן הברכות כולן - "כד מיתער משנתיה וכו' כד מסיים מסאני וכו'" והמה על ענינים גשמיים. ולא מצאנו בהאישים הרוחניים תפילה רק שירה (חולין צא, ב) - שאין שירה אלא תורה, שנאמר "כתוב השירה הזאת". והנה, הזמן הוא בא מהקפי הגלגלים ותהלוכות השמים. לא כן התורה, שחיובה תמיד בלא הפסק, והיא למעלה מן הזמן וכל הנמצאים כולם. והזמן הוא הדק שבגשמים, כי כמעט אינו מורגש לרוב דקותו. וזה התפילה הוא קיום העולם הגשמי, מקום הנמצא בו בזמן. וזה 'מניחין חיי עולם' - התורה היא חיותה של כל העולמות, וכל הנבראים גשמיים ורוחניים, 'ועוסקים בחיי שעה' - שהתפילה היא חיותה של השעה והזמן. ולמעלה מן הזמן אין מקום לתפילה, ודו"ק 


    [1] Voir l’article de R. Sh. Y. Zevin, « L’étude de la Tora et sa connaissance » dans Le-Or ha-Halakha.

    [2] Voir par exemple à ce sujet Marc Shapiro, The Rogochover and More publié le 15/11/2017 sur le Seforim Blog (http://seforim.blogspot.co.il/2017/11/the-rogochover-and-more.html)

    [3] Merci à Yona Ghertman de m’avoir signalé cette référence.

  • Les paroles futiles et la providence divine

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

     

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    Mikets : Les paroles futiles et la providence Divine

     

    La Sidra de cette semaine, Miketz, continue avec les pérégrinations de Yossef sur la terre d’Egypte, loin de ses proches avec, comme toile de fond relative à l’épisode de Yossef et ses frères, l’expression voilée de la Providence Divine dans le déroulement de l’Histoire.

    La Sidra de Vayechev s’est terminée par une sorte de reproche à Yossef, qui a malheureusement trop compté sur une intervention humaine afin de plaider sa cause au Pharaon.

    Le Mecheh' Hoh'ma* trouve dans la tentative désespérée de Yossef de voir son salut parvenir par le biais du maitre échanson זכרתני והזכרתני, un écho dans Michlé 14-23 ודבר שפתים אך למחסור, que l’on pourrait vaguement traduire par « et les paroles futiles ne mènent qu’à la misère ».

    Cette supplique adressée à son obligé du moment, pouvant être récapitulé en les 2 expressions ci-dessus, ont finalement coûté à Yossef 2 années supplémentaires dans les geôles de Pharaon.

    Et c’est ainsi que s’ouvre notre Sidra, juste après que se soient écoulés les 2 années de captivité, sur la reprise du cours de l’Histoire guidé par la Providence Divine qui était contrainte de se mettre en veille suite à l’excès de confiance de Yossef en l’humain et non en son Créateur.

    Car en effet, continue le Mecheh' Hoh'ma, la Torah vient nous montrer, nous démontrer les voies empruntées par la Providence Céleste, qui ont conduit Yossef à croiser la route de ces maitres échanson et panetier, à partir desquels il a reçu une formation, des conseils et des stratagèmes dans la gouvernance d’un pays comme l’Egypte.

    Cependant, quand ces derniers finirent par sortir de prison, Yossef n’avait de facto plus aucune raison d’y être enfermé aussi. Sa présence n’était pas le fruit d’un triste concours de circonstances, mais bien la continuité de la volonté de Dieu, dont les rouages ont été enclenchés dès les premiers rêves du jeune Yossef avec ses frères.

    Malheureusement, les « paroles futiles » ont finalement mené la Providence Divine à suspendre Yossef à 2 années de misère supplémentaire.

     

    Elie DAYAN

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

     

    Texte original :

    במדרש ודבר שפתים אך למחסור ע"י שאמר לשר המשקים זכרתני והזכרתני ניתוסף לו שתי שנים שנאמר ויהי מקץ כו' כוונתו דהתורה מספרת לנו דרכי ההנהגה העליונה אשר סבבה בהשגחה אשר יהיה אצל שר הטבחים וילמוד דרכי המלכות למען יוכל היות שר ושליט במדינה כזו אשר היתה מושלת בכיפה וברום מעלת החכמה והשכלה חרטומים וקוסמים וכאשר ישב בבית האסורים ישב עם סריסים אשר למלך המשקה והאופה והיה משרת לפניהם וקבל מהם נימוסי וטכסיסי מלוכת מצרים והנהגתה אמנם אחרי יצאו שר המשקים והאופה לא היה עוד תועלת מישיבתו בבית האסורים רק היה על ששם בטחונו בהשר סבבה ההשגחה אשר שכח שר המשקים וכו' ודו"ק.

  • Mechekh 'Hokhma Vayéchev

          Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Parachat Vayechev

    Kislev 5778

     

    Cette paracha introduit un des récits les plus tragiques de l’histoire du peuple juif et met en valeur pour la première fois de l’histoire de l’homme une autre forme de direction Divine dans le monde.

    La Thora dans cette section relate la dispute des frères de Yossef, qui sera vendu à une caravane de nomades arabes qui l’amèneront en Egypte ou il y deviendra vice-roi après plusieurs mésaventures douloureuses. Chaque étape du parcours de Yossef en Egypte est jonchée de difficultés techniques, sociales, morales ou psychologiques mais quelle que soit la situation il finit par triompher.

    Par ailleurs, la Thora relate l’histoire sinueuse et mystérieuse de Yéhouda et Tamar de qui naîtra la lignée des rois d’Israël.

    Il se dessine tout au long de cette section de la thora une nouvelle relation avec D’ieu qui n’interagit plus directement avec l’homme comme avec les patriarches. La Thora   poursuit la narration de la construction de l’être juif à travers les chemins de l’histoire où D’ieu semble se cacher mais en réalité amène le projet de l’histoire selon Son Désir créateur.

    Le vécu de l’histoire selon le regard de l’homme au moment des faits est souvent difficile et douloureux et semble soumis à un certain déterminisme de l’histoire. Ce déterminisme qui s’oppose à la vision juive de la providence Divine.

    L’homme juif sait en théorie que sa vie et le monde sont régit par des lois naturelles déterministes mais que la volonté divine est derrière et en est le moteur. Le vécu dans le concret est tout autre et ce hiatus dans le vécu de la vie donne lieu à y reconnaître des miracles dans la tournure de certains évènements. Nous célébrons ces miracles chaque année car ils portent des messages profonds qui sont actualisables à chaque génération et leurs énergies permettent toujours la maturation de l’histoire et de l’homme.

    Seulement l’histoire, l’exil, la vie font que souvent les messages persistent dans le temps mais sont tronqués et peuvent mettre l’accent sur ce que la majorité des gens pensent être l’essentiel du message alors que l’objet même du miracle célébré est tout autre.

    La berah’a sur un miracle doit porter sur un évènement qui sort du cadre de la nature, qui sort de ce « déterminisme ».  

    Le Mecheh’ Hoh’ma amène l’exemple de Yossef qui en revenant de l’enterrement de son père récite « הזה במקום לי נס שעשה ברוך » (‘bénis celui qui a réalisé en miracle en ma faveur ici’) au moment où il passe devant le puits dans lequel il avait été jeté. D’après le Mecheh’ Hoh’ma qui rapporte Rabbi David Aboudirham (rabbin médiéval du XIVème siècle), cette berah’a est faite à ce moment-là car la libération  de Yossef du puits sain et sauf (car rempli de serpents et scorpions) est contre nature, cela sort du déroulement habituel et naturel d’évènements de ce type « הטבע מדרך שיצא » (hors de la nature) 

    Rabbi Tan’houm dans le Talmud, traité Chabbat 22 explique l’essentiel de ce miracle comme le fait que Yossef fut sauvé de ce puits, passage auquel la Torah n’accorde que quelques versets. Le fait semble extraordinaire mais incomparable à la suite du déroulement des évènements. Pourquoi insister pour faire la berah’a sur un miracle à ce moment-là, qui paraît « banal » par rapport à l’ascension de Yossef ?

    Le Mecheh’ Hoh’ma dit que la  השגחה (la providence) a fait ensuite le travail de l’amener vice-roi d’Egypte. En réalité il serait plus logique de voir la finalité des évènements pour y faire une berah’a.

    Il juxtapose ensuite cette réflexion avec le miracle de Hanoukka.

    La même construction est faite par rapport au miracle de Hanoukka : l’action réalisée, sur laquelle nous faisons la berah’a porte sur le miracle de la fiole qui brula pendant 8 jours.

    Certes, ce miracle est formidable et sort de la voie naturelle mais en quoi est-il si important au regard de l’Histoire ? D’autant plus qu’il n’a concerné qu’une poignée de juifs présents au Beth Hamikdach à ce moment-là. Sa célébration n’a été instaurée qu’un an après les faits et sa portée « médiatique » effective surement quelques années après.

    Alors que l’histoire des Maccabim se déroule sur une période de près de 120 ans, leur victoire met fin à 200 ans de domination grecque et permet à nouveau aux juifs de renouer avec leur héritage profond. Cette victoire aurait dû faire l’objet de la berah’a pourtant les sages de cette époque ont choisi le symbole de ce miracle de la fiole d’huile pure. Là encore, le texte du Mecheh’ Hoh’ma emploi l’expression « מההשגחה הסבות » pour signifier que le déroulement de l’histoire qui paraît si miraculeux à nos yeux n’est que l’expression du schéma divin dans sa réalisation presque « naturelle » finalement. L’histoire devait se diriger comme telle, mais là ou naturellement nous aurions vu un miracle ce n’est pas là que nous devons insister pour célébrer le miracle mais bien sur ce genre d’évènements qui ne paraissent être qu’un détail dans l’histoire. 

    Pour Hanoukka, nous pouvons comprendre le fait d’avoir choisi comme support de la berah’a le miracle de la fiole d’huile comme la meilleure réponse que l’on pouvait donner aux Grecs qui dans l’idéologie hellénisante étaient incapables de voir et comprendre qu’un monde spirituel, caché, métaphysique pouvait interagir de manière concrète avec la matière. Nous allumons donc ces lumières et faisons la berah’a sur ce petit évènement qui représente en fait l’essence même de la divergence entre grecs et juifs. II existe bien une réalité métaphysique dans ce monde et qui marque une différence sur la matière et il faut y croire pour le voir et le vivre.

    Vivre au quotidien en ayant cette conviction profonde qui résiste à toutes épreuves donne un autre sens à l’existence et permet de ressentir la Providence divine dans notre quotidien.

    Le commun des mortels n’est pas capable de vivre à un tel niveau et s’exalte devant ce que nous pensons être un miracle alors que ce n’est que le déroulement normal d’une ‘métahistoire’.

    Pour revenir à Yossef et le miracle du puits, nous pouvons y voir probablement la force de vie de nos fondateurs. Yossef a rêvé à deux reprises qu’il régnera sur ses frères. Yossef a une aspiration naturelle à la royauté et a le nom de D’ieu constamment à la bouche. Il est  conscient de manière vive de l’influence divine dans le monde. Il donnera naissance au concept Machiah’ ben Yossef. La providence divine descendra dans ce monde cette force émanant de Yossef et la traduira au niveau de la réalité par cette histoire incroyable. Le texte de la Torah ne nous fait pas part de l’inquiétude de Yossef dans ce puits. Il sait au fond de lui quel avenir l’histoire lui réservera. C’est à partir du moment où ses frères le jettent dans le puits que l’histoire commence pour lui.

    Le fait de ne pas se faire attaquer par les serpents et scorpions dans ce puits, puis d’être sauvé pour être ensuite vendu relève vraiment du surnaturel comme pour signifier à Yossef, c’est moi D’ieu qui vais te diriger et diriger l’histoire à partir de maintenant de manière visible à tes yeux. Jusque-là, la vie de Yossef était théorique, il n’était pas encore entré de manière active dans l’histoire de l’être juif.

    Ce moment est névralgique de l’expression dans la réalité de la providence divine.

    D’ailleurs, Rachi rapporte que lorsqu’il est avec les bédouins (37,25) une précision superflue de la Torah.  Celle-ci a été donnée pour montrer la faveur faite aux Justes. Ils transportaient des aromates au lieu de l’habituel naphte ou pétrole nauséabond afin de ne pas déranger Yossef par de mauvaises odeurs. Même dans les pires moments de l’histoire, la providence divine prend soin du moindre détail.

    Nous devrions être plus attentif à l’histoire et y voir la providence divine dans son déroulement naturel. Le miracle est surnaturel par essence pour rappeler à l’homme à quel point la volonté créatrice de D’ieu dirige ce monde.

     

      Yaacov MALKA  

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק לז
    (כד) והבור ריק, אין בו מים. הרואה מקום שנעשה לו נס מברך "ברוך שעשה לי נס במקום הזה". הפירוש כדברי אבודרהם, דוקא שיצא מדרך הטבע. והא דמברך על נר חנוכה, משום שנעשה נס בפך השמן, שזה נגד הטבע. והנה עקר הנס לנצחון מלכות אנטיוכוס, וישראל קיבלו מלוכה מאתיים שנה, ולזכרון צריך להאיר נרות, ולזה סגי בחזותא בעלמא. אך להורות על נס פך השמן צריך דוקא דיהא 'שלטא ביה עינא' - תוך עשרים אמה. ורמז לזה שהיה מאיר בתוך ההיכל, ופתחו של היכל גבוה כ' אמה (מדות ד, א).
    והנה ביוסף אמר רבי תנחומא במדרש (בראשית רבה פרשה ק, ח) שבשעה ששב יוסף מקבורת אביו, שהציץ בבור, ולשם שמים נתכון - לברך 'ברוך שעשה לי נס במקום הזה'. ועיקר הנס הוא מה שהעלוהו מהבור, ומסיבות ההשגחה נעשה לשר על כל מצרים. אך הברכה צריך לברך על דבר יוצא חוץ מהטבע. וזה שאמר ר' תנחום (שבת כב, א) 'אבל נחשים ועקרבים יש בו', והיה נס יוצא מטבע העולם, ולזה בירך 'ברוך שעשה לי נס'. ולזה נסמכו שני מאמרי ר' תנחום - הוא רבי תנחומא דבמדרש, כידוע - להורות שבחנוכה וביוסף הנס היה הסבות מההשגחה נצחון ומלוכה, רק שהברכה היתה כאן על הבור שלא הזיקוהו נחשים, וכאן על פך השמן. ויעוין ילקוט שמואל א כ"ג "סלע המחלקות" (שמואל - א, כג, כח), שכשהיו באים דוד ואנשיו, אותם שש מאות ודוד היו מסתכלים ומברכים 'ברוך שעשה לי נס' וכו'. צריך לומר דסבר כמו דאמר קודם, שמלאך בא מן השמים, לכך היה חוץ מהטבע והיו מברכים. ומה שלא היו מברכים השאר על נס של דוד, כמו שצריך לברך על אדם מסויים, משום שרודפו היה שאול, והוא גם כן אדם מסוים, ודו"ק בכל זה.

     

  • La cuisine sacrificielle de Jacob

         Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma

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    La cuisine sacrificielle de Jacob

     

    « Jacob égorgea des animaux sur la montagne et invita ses frères pour manger du pain. Ils mangèrent du pain et dormirent sur la montagne. » (Béréchit 31.54)

    Après la confrontation l’opposant à Laban, à propos des idoles que Rachel (fille de ce dernier)  lui avaient volées, Jacob conclut une alliance avec son beau-père, puis comme il est de coutume dans ce genre de circonstances, invite selon l’expression du verset, « ses frères » à un festin. Rachi précise qu’il ne s’agit pas des frères au sens littéral, mais des amis de Laban qui l’accompagnait.

    On nous raconte donc que Jacob égorge des animaux, puis qu’il invite ses convives à manger du pain. Étonnamment, on dirait que ce n’est pas ce qu’il a préparé (les animaux) qu’il leur offre comme couvert, mais du pain. Rachi expliquera que toute nourriture est appelée pain. Le Méchekh’ H’okh’ma prendra une autre voie. Ce dernier fait également remarquer une nouveauté qui apparaît dans ce texte : l’expression de « zévah » (égorger) employée ici qui désigne ordinairement un abattage rituel n’était jusque-là utilisée uniquement dans des contextes de sacrifices.

    Le rav de Dvinsk déduit de cette remarque que, alors que jusque-là les animaux étaient consommés après un abattage de forme libre, Jacob instaure l’abattage rituel avant la consommation des animaux, abattage qui n’était effectué jusqu’à présent que lors des sacrifices. Ainsi Jacob aurait instauré une pratique supplémentaire quant à la consommation de la viande, en exigeant un abattage identique à celui des sacrifices pour toute consommation de viande. L’abattage rituel serait en effet, une façon de sanctifier la consommation de viande, ce qui sera plus tard un commandement pour les enfants d’Israël[1].

    Dès lors[2], explique le Méchekh’ H’okh’ma, on comprend pourquoi il a d’abord procédé à l’abattage avant d’appeler ses convives à table. En effet, il a craint que leur présence lors de l’abattage, en tant qu’idolâtres, ne rende la viande interdite à la consommation. Pour cette raison, il préfère les inviter une fois que tout est prêt, et c’est ce qui justifie selon le Méchekh’ H’okh’ma le fait que la nourriture soit appelée ici « pain », car on nomme souvent ainsi des aliments qui sont fournis tout prêts à être consommés.

    Il reste à comprendre cette crainte de Jacob de voir sa viande interdite à la consommation. Il semble que le rav de Dvinsk ait en fait poussé ici sa logique jusqu’au bout dans le rapprochement entre l’abattage rituel et les sacrifices. En effet, dans les sacrifices, une  intention inadaptée (d’un des prêtres s’occupant de la bête ou de l’un des propriétaires de celle-ci) lors de l’abattage de la bête ou de sa préparation lui donne le statut de « pigoul »  (réprouvée), ce qui signifie entre autres qu’elle est interdite à la consommation. L’abattage du sacrifice serait un acte qui requerrait un état d’esprit particulier, une maîtrise de la direction que prend l’acte (idolâtrie ou service divin). Pareillement dans ce nouvel abattage profane qui deviendra la pratique juive, imité du rituel des sacrifices, cette exigence se prolonge, et nous oblige à « sanctifier » notre consommation de viande comme s’il s’agissait d’un sacrifice[3].

    Tsvi Elyiahou Lévy

     

     

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

     

    משך חכמה בראשית פרק לא פסוק נד

    (נד) ויזבח יעקב זבח בהר. עד כאן לא מצאנו בתורה "זבח", ורק "מזבח" כתוב בכולם. משום שבני נח היו מקריבים לגבוה שחוטים וטהורים כמו שעשה נח, אבל חולין היו אוכלים בנחירה כמו ישראל במדבר. ושחיטה מן הצואר יליף ממקום שזבחתהו, וזה מלת זבח. רק יעקב שחט וחידש מצות שחיטה.

    ולפי זה, דברי רמב"ן שלא שמרו מצוות רק בארץ ישראל, יתכן להיות כי בהר הגלעד, שצפה יעקב שהמצפה יהא לבניו, שבט מנשה (שופטים יא, כא), שמר שחיטה, ולכן "ויזבח זבח" ושחט בעצמו "ויקרא לאחיו לאכול לחם", - זה דבר המתוקן כל צרכו - לאחר שהיה שחוט ומוכן, אז קרא אותם, שהיה חושש לקרוא אותן בחיי הצאן, שחש מפני שוחט לעבודה זרה, דזה מחשב וזה עובר, כמבואר בחולין דף לח, ב. לכן לא קרא אותם רק לאחר שנשחט והוכנו ונתבשלו ונהיו "לחם" לאכול, וברור. ולכן ביתרו, שהיה שלמים, ורק לאחר זריקת דמים והקטר חלבים כתוב גם הן "ויבא אהרן וכל זקני ישראל לאכל לחם וכו'", דמשולחן גבוה זכו בדבר המתוקן כל צרכו, ודו"ק היטב.

     


    [1] On peut émettre comme hypothèse qu’utiliser un couteau plutôt que d’égorger à la main est une sorte de recul ou de prise de distance à la fois par rapport à l’animal (on ne se bat plus avec lui), et par rapport à la violence de l’acte effectué.

    [2] Je saute ici un extrait du Méchekh’ Hokh’ma traitant de l’opinion de Nahmanide.

    [3] On peut d’ailleurs noter, que selon la tradition, il était interdit aux juifs, dès le don de la Torah, de consommer de la viande sans la sacrifier au préalable. Cette interdiction aurait été levée à l’entrée en Israël uniquement en raison de la difficulté de faire des sacrifices avant chaque repas alors que certains vivraient éloignés du Temple.

     

  • Les recommandations parentales de Rivka et Itz'hak

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma* 

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    Paracha Toldote 

    Les recommandations parentales de Rivka et Itz’hak   

     

     

    « Et Rivka fut informée des paroles d’Essav, son fils aîné. Elle fit appeler Yaakov, son plus jeune fils, et lui dit : ‘Voilà Essav ton frère veut se venger de toi, en te faisant mourir. Et maintenant, mon fils, obéis à ma voix : va te réfugier auprès de Lavan mon frère, à ‘Haran. Tu resteras chez lui quelques jours, jusqu’à ce que s’apaise la fureur de ton frère. Jusqu’à ce que la colère de ton frère s’écarte de toi et qu’il aura oublié ce que tu lui as fait, je t’enverrai ramener de là-bas : pourquoi m’exposer à vous perdre tous les deux à la fois ?’.

    Rivka dit à Itz’hak : ‘Je suis dégoûtée de ma vie, à cause des filles de ‘Heth. Si Yaakov choisit une épouse parmi les filles de ‘Heth, telles que celles-ci, parmi les filles de cette contrée, que m’importe la vie ?’ »

    (Béréchit 27, 42-46)

    Itz’hak appela Yaakov et le bénit, puis il lui ordonna et lui dit : ‘Ne prends pas femme parmi les filles de Kénaan (…). Le Dieu tout puissant te bénira (…). Qu’il te donne la bénédiction d’Avraham à toi et à ta postérité avec toi (…)’

    (Béréchit 28, 1-4)

     

    Rivka et Itz’hak comprennent que Yaakov n’a plus sa place à leurs côtés, en Erets-Kénaan, où il est menacé de mort par son frère, Essav. Malgré leurs divergences de vue, le patriarche et son épouse sont d’accord pour envoyer Yaakov trouver femme dans le lieu natal de Rivka. Ils l’encouragent donc tous deux dans ce sens.

    La lecture de ce passage nous montre à priori un couple assez âgé s’inquiéter du devenir de leur enfant, menacé de mort. Ils agissent donc en parents soucieux du devenir de leur progéniture.

    Cependant, une première question se pose : La préoccupation du mariage est-elle vraiment à propos dans ce contexte ? Yaakov est menacé. La priorité est sa fuite dans un endroit sécurisé. N’est-il pas possible pour Rivka et Itz’hak de se préoccuper plus tard de sa future union, une fois le problème prioritaire réglé ?

    Selon le Mechekh ‘Hokhma, Rivka n’agit pas uniquement ici dans l’intérêt de son fils, comme une mère ‘normale’. Son discours et son insistance traduisent également une aspiration plus élevée : l’accomplissement de la prophétie. Si Yaakov se fait tuer par Essav, les prophéties prononcées avant la naissance des enfants ne se réaliseront pas. Or il a été annoncé : « Un peuple sera plus fort que l’autre, et l’aîné obéira au plus jeune » (Béréchit 25, 23). Ceci ne peut s’accomplir qu’à la seule condition que Yaakov ait une descendance.

    Mais comment peut-il se marier et avoir des enfants en restant auprès d’eux, tout en étant obligé de se cacher constamment à cause de son frère ? Aussi la seule possibilité d’aller dans le sens du message divin est-elle de l’envoyer au loin, et d’insister sur la nécessité de trouver femme une fois sur place.

    Le Rav de Dvinsk remarque encore que cette préoccupation ‘supérieure’ se retrouve aussi chez Itz’hak. Le patriarche n’agit pas uniquement comme un père ‘normal’ motivé par des sentiments paternels, mais également comme un protecteur du message prophétique. C’est pour cela qu’il emploie cette formule à priori étonnante : « Qu’il te donne la bénédiction d’Avraham ». A quelle bénédiction fait-il référence ? C’est que Yaakov prend désormais le chemin déjà écrit et annoncé par Dieu à son grand-père : « Ta descendance sera étrangère » (Béréchit 15, 13). En quittant le domicile paternel, il commence ainsi le futur chemin de l’exil, qui débute précisément chez Lavan.

    Nous pouvons donc supposer, à la suite du Mechekh ‘Hokhma, que la recommandation de se marier chez Lavan a également chez Itz’hak une connotation supérieure. Au-delà des conseils ‘classiques’ d’un père envers son fils, il l’incite pleinement à permettre l’accomplissement de la parole divine.

     

    Yona GHERTMAN

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק כז

    (מב - מו) הנה עשו אחיך מתנחם לך להרגך, ועתה בני שמע בקולי וכו'. אם לוקח יעקב אשה מבנות חת... למה לי חיים. הענין, שנאמר לה בנבואה "ורב יעבד צעיר" (כה, כג), ואיך יהרוג עשו את יעקב?! אולם יכול להתקיים בזרעו כמו "לאום מלאום יאמץ" (שם שם). אך זה דוקא אם ישא אשה ויוליד בנים. לכן עכשיו "הנה עשו מתנחם (לך להרגך)", ואיך תוכל לישא אשה פה?! ברח לך אל לבן אחי אמך וקח אשה משם, ודו"ק.

    משך חכמה בראשית פרק כח

    (ד) ויתן לך את ברכת אברהם. ראה עתה כי הגירות מתקיים ביעקב, והוא פורע השטר, לכן אמר "ברכת אברהם", וזה אשר כרת עמו בברית בין הבתרים שאמר "כי גר יהיה זרעך" (טו, יג), "לזרעך נתתי את הארץ הזאת" (שם יח). וכמו שאמרו זאת הטענה בשלחם מלאכים אל מלך אדום, עיין רש"י ומדרש שם פרשת חוקת, ופשוט

  • L'union entre la droite et la gauche

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma

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    L’alliance de la droite et de la gauche

     

    On raconte que c’est à l’âge de 17 ans que Rabbi Méïr Sim’ha ha-Cohen de Dvinsk acheva la rédaction de son commentaire sur la Tora, Meshekh ‘Hokhma. Son père lui interdit de publier ce livre avant d’avoir auparavant achevé un ouvrage plus prestigieux pour un Talmid ‘Hakham, soit un ouvrage de ‘Hidoushé Halakha. Et c’est ainsi que nous avons eu le mérite de recevoir le recueil exceptionnel que constitue le Or Saméa’h sur le Mishné Tora de Maïmonide. Mais paradoxalement, l’ouvrage achevé dans la prime jeunesse de Rabbi Méïr Sim’ha ne sera publié que de manière posthume (1)

    … On a l’habitude de considérer le Meshekh ‘Hokhma comme l’un des sommets de la littérature rabbinique lituanienne, pétri qu’il est d’érudition et de subtilités talmudiques. Mais on oublie que l’héritage mitnaged comporte également un versant cabalistique exceptionnel, découlant notamment des œuvres du Gaon de Vilna lui-même, à l’instar de son commentaire sur le Sifra di-Tsniouta, puis de celles de ses plus grands élèves, à commencer par Rabbi ‘Hayim de Volozhine. En l’occurrence, aucune erreur n’est possible ici ! Rabbi Méïr Sim’ha ne dissimule pas un instant ses intentions. En effet, le tout premier passage du Meshekh ‘Hokhma est de nature purement ésotérique, citant tout d’abord la figure tutélaire de Na’hamanide, faisant référence au Sefer Yetsira, aux textes des « Anciens », et invoquant les concepts de Ein Sof, de Mo’hin ou le nombre des séfirot et les rapports entre les premières d’entre elles. Même si Meshekh ‘Hokhma n’est donc pas à proprement parler un commentaire ésotérique sur la Tora, la dimension cabalistique y revient de manière régulière, comme un filigrane. C’est le cas dans notre parasha, celle de ‘Hayé Sarah.

    * * *

    Pour rappel, Eli’ezer, serviteur d’Avraham, a été envoyé par son maître chercher femme pour son fils Yits’hak (Genèse 24:1-4). Sur le départ, Eli’ezer tient des propos à mi-chemin entre une prière et un contrat moral passé avec Dieu (24:12- 14) : « Et il dit : Seigneur, Dieu de mon maître Avraham ! Daigne me procurer aujourd’hui une rencontre et fais montre de bonté envers mon maître Abraham. Voici, je me trouve au bord de la fontaine et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l’eau. Eh bien! la jeune fille à qui je dirai : “Veuille pencher ta cruche, que je boive” et qui répondra : ”Bois, puis je ferai boire aussi tes chameaux“, puisses-tu l’avoir destinée à ton serviteur Yits’hak et puissé-je reconnaître par elle que tu as fait montre de bonté envers mon maître ! ».

    A deux reprises, Eli’ezer évoque donc le ‘Hessed, la bonté de Dieu – et c’est à cette bizarrerie textuelle que s’attache Rabbi Méïr Sim’ha :

    « D’après la voie de la Vérité [ésotérique], l’explication en est la suivante : Yits’hak représente la dimension de Rigueur (Guevoura) or c’est par l’adhésion de la Guevoura et du ‘Hessed qu’est constituée la traverse centrale, le Emet (Vérité). C’est pourquoi lorsqu’il ressentit en Rivka la dimension de Bonté il déclara : “Béni soit Dieu qui n’a pas abandonné son ‘Hessed et son Emet” (24:27). C’est-à-dire que du mélange des dimensions de ‘Hessed et Guevoura est né la dimension de Emet, à savoir la dimension de Ya’akov. »

    Entre d’autres termes, selon le principe de correspondance entre les mondes supérieurs et les mondes inférieurs, l’union de Yits’hak et Rivka provoque en quelque sorte la synthèse de leurs dimensions spirituelles respectives et donne naissance matériellement à Ya’akov et spirituellement à la dimension de Emet. C’est une approche originale au sens où l’on considère plus classiquement que Ya’akov constitue la synthèse centrale du Emet en venant introduire l’harmonie entre les opposés que représentent son grand-père Avraham et son père Yits’hak. Il corrige le débordement de l’un et l’excès de l’autre et ouvre la voie à une possible rédemption du monde (2) . Débordement de bonté chez Avraham donnant naissance à Yishma’el, à qui il souhaite à tout prix de « vivre devant Dieu », excès de rigueur chez Yits’hak donnant naissance à Essav, à qui il souhaite délivrer sa bénédiction en qualité d’aîné. Dans les mots du Zohar (Terouma, 175a) :

    « Rabbi Shim’on enseigne : “Et la traverse centrale passera dans l’intérieur des solives, les reliant d’une extrémité à l’autre” (Ex. 26:28), il s’agit de Ya’akov, saint et parfait, comme nous l’avons établi, ainsi qu’il est écrit : “Et Ya’akov était un homme parfait, résidant dans les tentes.” Il n’est pas écrit “résidant dans la tente”, au singulier, mais “dans les tentes”, [les tentes] au nombre de deux, [et] qui unit l’une à l’autre. Ici également il est écrit : “Et la traverse centrale passera dans l’intérieur des solives, les reliant d’une extrémité à l’autre”, c’est-à-dire qui unit les deux [extrémités]. « Rabbi Shim’on enseigne : Je vois que la Sagesse (‘Hokhma) englobe le tout. Et que le ‘Hessed supérieur émane de la Sagesse. La Guevoura qui est le Din implacable, émane de la Bina. Ya’akov complète les deux côtés, les patriarches englobent le tout et Ya’akov englobe les patriarches. »

    Rabbi Shim’on expose clairement qu’Avraham, homme du ‘Hessed émane de la ‘Hokhma tandis que Yits’hak, homme de la Guevoura émane de la Bina. Il y a donc une relation d’émanation verticale entre les deux dernières des trois premières séfirot et les deux premières Midot, sans communication directe entre les côtés opposés. Ya’akov vient unir ‘Hessed et Guevoura, introduit une dimension médiane dans les midot. Et, ipso facto, il réalise la synthèse entre ‘Hokhma et Bina et matérialise en quelque sorte le lien d’émanation entre Da’at et Tif’eret, rattachant sa dimension originale aux séfirot de tête.

     Dans la lecture du Meshekh ‘Hokhma, la synthèse entre la Droite et la Gauche provient donc de l’union matrimoniale entre Yits’hak et Rivka. Et Ya’akov constitue la personnification de cette synthèse en tant qu’engendré par ses deux parents et non en tant que descendant de ses père et grand-père. Ce qui nous fournit une nouvelle lecture du verset suivant : « Yits’hak amena [Rivka] dans la tente de sa mère Sarah, il prit Rivka, elle fut femme pour lui et il l’aima et Yits’hak se consola [de la mort] de sa mère » (24:67), verset sur lequel Rashi commente d’après le Midrash : « Il l’amena dans la tente et voici qu’elle était Sarah, etc. » Dans la conjugalité Yits’hak découvre qu’il y a identité entre sa propre femme, Rivka, et Sarah, qui n’est plus ici sa mère, mais plutôt l’épouse d’Avraham, la dimension féminine du ‘Hessed (en accord avec le Midrash : « Avraham convertissait les hommes et Sarah convertissait les femmes… »). Le Midrash précise d’ailleurs : « Et voici qu’elle était Sarah » et non pas « Et voici qu’elle était sa mère » ou « semblable à sa mère » (ce qui aurait certes eu des résonances incestueuses). De cette union naîtra Ya’akov, qui, comme l’a dit le Zohar, « unit les tentes » – à proprement parler si l’on se réfère à ce commentaire de Rashi. La tente de Yits’hak se mélange avec celle de Sarah et la synthèse est opérée.

    Pour conclure, le Meshekh ‘Hokhma apporte deux nouvelles identifications de Rivka avec le ‘Hessed : - Sa chute du chameau en voyant Yits’hak (24:64) – c’est très littéralement l’effet du Pa’had Yits’hak, de la crainte qu’impose la figure de Yits’hak à la femme de ‘Hessed ; - Son exclamation : « Qui est cet homme-là qui va dans le champ ? » (24:65). Rabbi Méïr Sim’ha explique que le champ désigne « l’intensité du Din », ce pourquoi elle le désigne sous le terme de « halazé » qui marque la séparation et l’opposition entre elle et lui.

    * * *

    On peut enfin renchérir sans grand danger sur les paroles du Meshekh ‘Hokhma en remarquant que ce n’est qu’une fois Rivka identifiée comme l’épouse destinée à Yits’hak, aussi bien dans le premier que dans le second récit, qu’Eli’ezer n’évoque non plus le seul ‘Hessed de Dieu, mais son ‘Hessed et son Emet (24:27, 24:49). Il indique clairement que Dieu l’a mis sur « la voie du Emet » (24:28), sur la voie de la réalisation du Emet-Tif’eret dans le monde, via l’union entre Yits’hak et Rivka. Et déclare-t-il à la famille de Rivka, si vous refusez cette union, « dites-le moi et je me tournerai vers la Droite ou vers la Gauche » (24:49). Si vous vous opposez au mariage de Yits’hak et Rivka, la droite restera droite et la gauche restera gauche, l’harmonie cosmique ne pourra être réalisée. A quoi Lavan et Betouel répondent : « De YHWH la chose est sortie ». De la volonté de quel nom de Dieu émane la décision d’unir ces époux ? De YHWH, le nom de Dieu correspondant à la séfira Tif’eret. QED.

     

    Emmanuel Ifrah

     

    Notes

    1/ En effet, on aurait pu attendre le Meshekh ‘Hokhma soit publié immédiatement à la suite du premier volume du Or Saméa’h (Varsovie, 1902). Mais le Meshekh ‘Hokhma ne parut qu’après la disparition de Rabbi Méïr Sim’ha en 1926.

    2/ « Il est connu qu’Avraham représente la dimension du ‘Hessed le plus grand, sans aucune limite, tous sont bons à ses yeux et il n’y a que bien, ce pourquoi il demande à Dieu : “Si seulement Yishma’el pouvait vivre devant toi” – c’est-à-dire qu’il vive pour l’éternité devant toi, ce qui correspond à la dimension de Ein Sof illimitée, bien qu’Avraham sache ce qu’est Yishma’el, à cause de sa grande bonté, Avraham veut non seulement qu’il vive, mais qu’il vive dans un bien sans limite. C’est ce qui est enseigné [lorsqu’on compare Ya’akov aux autres patriarches] : “Pas comme Avraham dont est sorti Yishma’el”, dont il est sorti à cause de son débordement de bonté.

    « Mais il n’est pas juste qu’il en soit ainsi, car à la venue du Messie, si Dieu la veut, “La mort [devra] être éradiquée pour l’éternité”. “Et j’éliminerai l’esprit d’impureté de la terre.” Et il faut éradiquer tout mal de la terre, or si le monde est dirigé par la grande bonté [d’Avraham] comme il a été expliqué, le monde ne pourrait pas atteindre la dimension du Messie.

    « C’est pourquoi vient ensuite Yits’hak qui représente la dimension du Din, de la rigueur [afin de poser une limite à la bonté débordante d’Avraham]. Mais de Yits’hak également sort Essav en raison de sa rigueur trop implacable, [Essav à propos duquel il est écrit :] “Tu vivras par ton glaive.”

    « Mais “la couche de Ya’akov, [elle] fut parfaite”. [De lui ne sortirent que des enfants dignes de s’appeler “Fils de Ya’akov.” »

    (Tora Or du Admour ha-Zaken, Lekh Lekha, s.v. Anokhi Maguen Lakh) 

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק כד
    (יד) (ובה אדע) כי עשית חסד עם אדוני. פירושו על דרך האמת (כד, יד): כי יצחק מדת גבורה, ומהתדבקות גבורה עם החסד נעשה בריח התיכון - אמת. ולכן כאשר הרגיש ברבקה מדת החסד אמר (פסוק כ"ז) "ברוך ה'... אשר לא עזב חסדו ואמתו" - שנולד מדת אמת מהתמזגות חסד וגבורה, וזה היא מידתו של יעקב. ולכן (פסוק ס"ד): "ותשא רבקה (את עיניה ותרא את יצחק) ותפל (מעל הגמל)"- מידת 'פחד יצחק'. וזה (פסוק סה) "מי האיש הלזה ההולך בשדה - עוצם הדינים - ותתכס", ודו"ק.

     

  • Lekh-Lekha : D'un Dieu qui apparaît

      Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma

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          D’un Dieu qui apparait

     

    C’est avec une certaine appréhension que je me lance dans la retranscription d’un commentaire du Méché’h ‘Ho’hma sur la section de Lé’h Lé’ha.

    « Dieu est apparu à Avraham, et lui dit ‘à ta descendance je donnerai cette terre’, il construisit à cet endroit un autel à Dieu qui lui est apparu ».   Bien sûr Dieu n’est pas visible, c’est pourquoi Onkelos traduit de façon un peu vague ‘Dieu s’est révélé à Avraham’. La plupart des commentateurs qui se sont attaqué aux anthropomorphismes[1] de la Torah s’y sont pris de la même façon : en écrasant le sens littéral pour flouter la signification jugée ‘trop corporelle’ de certains termes.

    Le Rav de Dvinsk va ébaucher à ce sujet dans son commentaire une démarche peu orthodoxe et qu’il ne développera pas de part ailleurs.

    Il part d’un verset de Job[2] « et de ma chair je vais scruter Dieu ». Comment la chair permet-elle de ‘scruter’ Dieu ? Il rappelle tout le discours (la litanie ?) sur la chair comme ce qui fait écran à Dieu. Pourtant, en émaillant son discours, notre auteur donne un sens précis à ces considérations. Il écrit ‘selon moi l’âme elle-même atteint ce qu’est véritablement Dieu, Son existence, la crainte qu’Il inspire, le respect qu’Il requiert’. L’âme n’est pas une entité abstraite, c’est tout simplement l’intelligence[3]. Dans ce langage, ‘le corps’ signifie tout ce qui s’oppose à cette compréhension : la prétention humaine à ‘être’, sa propre existence, et le respect que l’on prétend nous être dû ! Alors comment comprendre qu’on puisse scruter Dieu à partir de « ça » ?

    Le Rav va jouer sur les mots, dans la pure tradition talmudique, un peu moqueuse des étymologies ‘sérieuses’.  En hébreu[4] le verbe ‘scruter’ a donné un nom commun : microscope ! Sans y voir aucune forme de preuve, juste une boutade, le Rav va développer la thèse que c’est à partir du corps que peut être ‘aperçu’ Dieu. Le corps selon lui va permettre d’obtenir une appréhension de Dieu plus précise que la pensée : la matière en effet a la capacité de s’épurer. Dans le texte : « la matière possède la possibilité de s’épurer jusqu’à ne plus former un écran entre la lueur qui filtre à travers la lucarne spirituelle sans que l’intelligence ne l’en empêche, et voir plus que ne pourrait le faire le ‘penseur’ abstrait de toute matière ». Pour éviter un contresens, précisons qu’il ne s’agit pas de ‘se lancer dans le corporel’, mais bien sûr de maintenir la pratique des commandements. C’est d’ailleurs cette tentation d’oublier la capacité à fauter qui conduisit Adam à passer du stade de ‘la vision de Dieu’ (avant la faute) à celle de ‘l’écoute’ (après la faute il est dit ‘ils écoutèrent Sa voix’). En effet précise-t-il, alors que par exemple les animaux ont cette capacité d’écouter Dieu[5], seuls certains hommes peuvent ‘voir Dieu’. En distinguant deux niveaux d’appréhension du divin, le Rav invite à la réflexion. Proposons, une façon de comprendre : la matière c’est ce qui résiste, pour employer un topos contemporain, lorsqu’on traverse cette résistance, chaque avancée est obtenue de haute lutte, et les armes de ce combat sont les mots de l’étude de la Torah, en déployant une langue capable de contourner les difficultés, le sujet s’éclaircit, laissant apparaitre une lucarne de vérité, l’orgueil personnel et la ‘subjectivité’ s’envolent. L’esprit enraciné dans le corps va jouer le rôle d’une lentille grossissante dont l’esprit seul serait incapable[6].

    C’est le sens de la fin du verset « et il fit un autel au Dieu qui lui est apparu » !

     

    Franck Benhamou

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק יב פסוק ז

     

    (ז) ויבן שם מזבח לה' הנראה אליו. הענין הוא על פי מה שכתוב "ומבשרי אחזה א - לקי". הוא לדעתי כי הנפש עצמו משכיל רוחני משיג אמיתת השם יתברך, מציאותו ומוראו וכבודו. רק בשביל שמלובש בחומר גס מסך מבדיל חוצץ בינו לאביו שבשמים, נחוץ לנו התורה שהיא כלי המחזה [מיקראסקאפ] לזכך החומר ולהסיר מלבושיו הצואים, עד כי ישוב כמו טרם היולדו. [וזה מאמרם ז"ל: 'משחרב בית המקדש, מחיצה של ברזל מפסקת בין ישראל לאביהם שבשמים'. והכוונה מחיצת החומריי אשר יפסיק בין זוהר השגחתו באספקלריא המאירה לישראל]. ואם כן, הנראה כי זה ביכולת החומר להזדכך עד אשר לא מפסיק בין זוהר אשנבי הרוחני לבלי לחצוץ בהשכלתו, אבל לראות יותר מאשר יראה המשכיל בהיותו במציאותו בעצמו בלא לבוש הגשמי, זה אינו באפשרי. לכן אמר כי לא כן, כי כאשר יש כלי הבטה וכלי המחזה אשר יגדילו חוש הראות אלף פעמים כפי היותו, כן יש בכח השלם האלקי לזכך את החומר עד כי ישוב למחזה מלוטשה ובהירה מגדלת עיני הנפש אלף פעמים לאין מספר שתראה מראות אלקים. וזה "ומבשרי" - מן הבשר הוא החומר הגס - [ככתוב "לב בשר", "עיני בשר"] "אחזה", כמו על ידי מחזה מגדלת אלקי. ולכן אמר "אחזה" ולא "אראה", והוא ביאור ורעיון יקר.

    וזה נמצא כי דבר אלקים שמענו גם לנחש גם לדג, ומתייחס לקול אלקים, הוא השגת חפץ השם ורצונו בנמצא זה השומע בפרט, אך ראות כבוד אלקים לא מצאנו בנבראים הפחותים. ואדם הראשון קודם החטא, היה חומר זך ובהיר ודק, אשר לא חצץ מאומה בינו למראה כבוד ה', לכן הלך עירום. כי המשכיל הרוחני בל יצטרך לכסות בשר הערוה, ושוה לו למקום הנחת תפילין, כי לא היתה לו שום תאוה וענין רע. אך כאשר אכל מעץ הדעת נתהפך לחומר גס מובדל מאמיתת השגתו והתקרבות אלקים, וחומרו חצץ בכוחות רעים מולידים התאוה והכעס, נקימה דמיונות כוזבים [וזה כוונה שניה במאמרם ז"ל: ק"ל שנה היה מוליד רוחות ושידים]. לכן ידעו כי ערומים הם ויתבוששו, כי עתה היתה המקום לבשר ערוה, ולכן כתיב "וישמעו את קול אלקים" - רק שמעו קולו, ולא ראו כבוד ה'. "ויקרא ה'... איכה" (ג, ט), "ויאמר את קולך שמעתי בגן" (ג, י), היינו "שמעתי" ולא ראיתי כבודך, "ואירא כי עירום אנכי" (שם שם), היינו שחומרי חוצץ ומפסיק ביני לך אבי שבשמים.

    והנה מן אז לא מצאנו רק "ויאמר ה'", אבל לא "וירא ה'". רק כשבא אברהם לארץ ישראל, אז הזדכך חומרו עד כי שב כאדם קודם החטא. וזה הוא "וירא ה' אל אברהם ויאמר" - היינו שמתחילה ראה אותו. וזה כוונת הפסוק פה, "ויבן שם מזבח לה' הנראה אליו", היינו שראה אותו קודם האמירה, שלא חצץ החומר מאומה. וכן כוונת הפסוק "וארא אל אברהם יצחק ויעקב". וכן תמצא אצל כל אחד מהאבות "וירא אליו ה'", ודו"ק היטב.

     

    [1] Tradition dont le phare est Maïmonide mais précédé et succédé par de nombreux autres interprètes.

    [2] 12.7. L’interprétation qu’il en fait ne semble pas être liée au contexte qui voudrait voir dans ce chapitre de Job la magnification de la souffrance comme lieu même de la révélation. On connait l’origine de cette idée, et qu’elle est foncièrement étrangère au judaïsme. 

    [3] Ceci apparait dans le texte hébreu, sa forme et son contenu. Le MH réagit suit en cela Maïmonide qui définit précisément ainsi « l’âme » (Yessodei Hatorah 4.8).

    [4] Il s’agit de l’hébreu savant employé par les commentateurs juifs et non de l’hébreu moderne !

    [5] Le serpent en Béréchit 3.14 ou le poisson en Yona 2.11.

    [6] Même si parfois l’on s’enflamme, et l’on saute par-dessus son propre corps, le rav qualifierait cette démarche d’imaginaire. 

  • Du devoir d'avoir des enfants

               Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma 

                                   

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    Noa'h- Du devoir d’avoir des enfants

     

     

    La parasha de Noah’ voit le commandement de pirya-verivya – l’obligation d’avoir des enfants répétée ( Bereshit, IX, 7)

    Le Mesheh-Hohma profite de cette répétition pour s’interroger sur le fait que cette obligation incombe uniquement à l’homme et non à la femme (Cf Rambam – Ilh’ot Ishout, Chap XV). Cette distinction entre homme et femme quant à cette mitsva peut paraitre totalement artificielle, puisque par définition, l’un comme l’autre sont nécessaires à sa réalisation. Pourtant quelques nuances existent d’un point de vue légal (comme, par exemple, l’autorisation de moyens contraceptifs) et ces nuances sont mises en relief dans son commentaire…

    Le Mesheh-Hohma fait deux propositions pour expliquer cette distinction. L’une comme l’autre partent d’un constat que la Torah n’oblige à aucun moment à des actes extrêmes. L’auteur propose comme exemples pour étayer sa thèse le fait que la chasteté absolue n’est pas prônée par la Torah, ou que les jeûnes ne sont que limités etc… Preuve est, selon lui, que la Torah ne peut pousser à des extrémités.

    Continuant cette idée, le mesheh-hohma propose que puisque la grossesse et l’accouchement sont des moments de potentiels dangers ou, tout au moins, de douleur, il ne peut y avoir de mitsva obligeant de manière absolue a enfanter… Etrange constat que de dire que les femmes ne veulent avoir des enfants. Le Mesheh-Hohma en a conscience et nuance : si les femmes aspirent à enfanter – faisant fi des dangers et des douleurs- , c’est là un phénomène naturel assurant la perpétuité de l’espèce humaine! Réflexion moderne à notre sens ! Un phénomène naturel et non légal ! La loi de la Torah ne peut venir et contraindre ici… Cette explication permet d’expliquer, continue le Mesheh-Hohma, la facilite avec laquelle Rabbi Hiya permet à sa fille de prendre une potion contraceptive… ( Yebamot 66b).

    Se baser sur le fait que la naissance est associée à des douleurs pour la femme ne peut être vrai qu’après la faute de Bereshit… Le mesheh-hohma va donc se servir de ce point pour appuyer son explication. Il nous invite à constater que si avant la faute d’Adam et Hava, l’injonction d’enfanter est dite au pluriel, donc aux deux (Bereshit I, 28), elle est répétée a l’homme seul à la fin du livre (Bereshit, XXXII, 11) ! Et enfin, dans notre parasha, bien que dite au pluriel, elle est précédée du verset “Et Dieu s’adressa à Noah’ et ses fils” (Bereshit IX, 1) – preuve pour le Mesheh-Hohma que la faute d’Adam et Hava (et la malédiction s’en suivant) créent bien un changement dans les sujets concernés par cette mitsva

    Au-delà de la douleur et du potentiel danger associés à la grossesse et a l’accouchement, le Mesheh-Hohma fait le constat d’une seconde “extrémité” à laquelle serait confrontée la femme si elle était contrainte à la mitsva d’enfanter…

    Qu’en serait-il si la femme constatait après des années de mariage que son mari est stérile ? Si la mitsva d’enfanter était contraignante pour elle, elle se verrait dans l’obligation, dit le Mesheh-Hohma de se séparer de son époux et de tenter de se remarier… Voilà, nous dit notre auteur, une autre “violence” que la Torah ne voulait pas imposer…

    Face à cette seconde explication, on peut tout de suite demander si la violence n’est pas la même pour l’homme qui devrait, lui aussi, divorcer. Le Mesheh-h’oh’ma précise ce point : rien n’empêche l’homme, selon la Torah, de prendre une seconde épouse, tout en gardant sa première épouse – la violence s’en trouve, donc, amoindrie…

    Cette dernière précision faite par le mesheh-hohma renvoie immédiatement à son commentaire dans la parasha de Bereshit (III,16) – Commentant le verset énumérant les “malédictions” que subit H’ava après la faute, le Mesheh-Hohma remarque que toutes sont de l’ordre du naturel et non du légal (e.g enfanter dans la douleur). Profitant de ce constat, notre auteur continue en remarquant que le Talmud dans Erouvine 100B, énumère parmi les malédictions post-faute, le fait qu’une femme ne peut avoir deux époux alors que l’inverse est permis…

    Continuant son constat initial, le Mesheh-Hohma en conclut que l’interdiction de la polyandrie relève du naturel et non du religieux ou du légal: la polygamie féminine entrainerait  que les hommes se désintéresseraient de leur progéniture, ayant le doute constant de leur réelle paternité…[1]

    Revenant à notre commentaire sur Noah’, le Mesheh-hohma conclut que la polyandrie ne pouvant être envisagée, il ne pouvait y avoir de contrainte de Mitsva pour une femme d’avoir des enfants…

     

    Benjamin SZNAJDER

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק ט פסוק ז
    (ז) פרו ורבו וכו'. לא רחוק הוא לאמר הא שפטרה התורה נשים מפריה ורביה וחייבה רק אנשים, כי משפטי ה' ודרכיו "דרכי נועם, וכל נתיבותיה שלום", ולא עמסה על הישראלי מה שאין ביכולת הגוף לקבל. ומכל דבר האסור, לא מנעה התורה בסוגה ההיתר, כמו שאמרו פרק כל הבשר. ומשום זה לא מצאנו מצוה להתענות רק יום אחד בשנה, וקודם הזהירה וחייבה לאכול. וכן לא מנעה המשגל מכל בניה לבד ממשה רבינו, לפי שלו היה צריך לגודל מעלתו ולזהירות גופו. ויותר מזה, במלחמה, בעת הנצחון, לגודל החום והרחבת הלב, ידע א - ל דעות כי אז לא יתכן לעצור בעד הרוח בעת חשקו באשה יפת תואר, והתירה התורה יפת תואר אשת איש, וכמאמרם ז"ל: 'לא דיברה תורה אלא כנגד יצר הרע'. וכבר האריך בזה מחבר אחד.
    ומצאנו איך היה זאת לאבן פינה לאבות הקבלה, שפטרו מיבום מי שמתו בניו אח"כ, משום "דרכיה דרכי נועם". ואם כן, נשים שמסתכנות בעיבור ולידה, - ומשום זה אמרו מיתה שכיחא, עיין תוספות פג, ב ד"ה מיתה שכיחה - לא גזרה התורה לצוות לפרות לרבות על האשה. וכן מותרת לשתות כוס עקרין, וכעובדא דיהודית דביתהו דרבי חנינא סוף הבא על יבמתו. רק לקיום המין עשה בטבעה שתשוקתה להוליד עזה משל איש. ומצאנו לרחל שאמרה "הבה לי בנים, ואם אין מתה אנכי". ובזה ניחא הך דאמר רב יוסף פרק הבא על יבמתו (סה, ב), דאין נשים מצוות בפריה ורביה מהכא, "אני א - ל ש - די פרה ורבה" (בראשית לב, יא), ולא קאמר "פרו ורבו". היינו דבאדם וחוה שברך אותם קודם החטא שלא היה לה צער לידה, היה מצות שניהם בפריה וברביה, ואמר להם "פרו ורבו" (שם א, כח). אבל לאחר החטא שהיה לה צער לידה, והיא רוב פעמים מסתכנת מזה, עד כי אמרו (בשעה שכורעת לילד קופצת) אשה ונשבעת שלא תזדקק (לבעלה, לפיכך אמרה תורה תביא קרבן - נדה לא, ב). לכן בנח, אף דכתיב "ויאמר להם פרו ורבו", הלא כתיב קודם (שם) "ויברך את נח ואת בניו", אבל נשיהם לא הזכיר, שאינם בכלל מצוה דפרו ורבו. וביעקב קאמר "פרה ורבה", וזה נכון. ובמהרש"א סנהדרין נט הניח זה ב"ויש ליישב", וכוון לה, ודו"ק.
    עוד יתכן לאמר בטעם שפטרה התורה נשים מפריה ורביה, משום דבאמת הלא הטביעה בטבע התשוקה, ובנקבה עוד יותר, כמו שאמרו (קדושין מא, א): 'טב למיתב טן דו (מלמיתב ארמלו'), ודי במה שהיא מוכרחת בטבע. ועל כן דעיקר המצוה היא כמו דתנן ביבמות (סא, א) לא יבטל אדם מפריה ורביה אלא אם כן יש לו בנים (בית שמאי אומרים שני זכרים, ובית הלל אומרים זכר ונקבה שנאמר, "זכר ונקבה בראם"), דאם נשא אשה ולא ילדה, מחויב ליקח אשה שיש לה בנים. ומדרך התורה לבלי לגדור הטבע, וכיוצא בזה אמרו "דרכיה דרכי נועם" כמו שכתבתי. ולכן לגזור על האשה כי תנשא לאיש ולא יוליד תצא מאהוב נפשה ותקח איש אחר, זה נגד הטבע לאהוב השנוא ולשנוא האהוב. ורק האיש, שיכול לישא עוד אחרת, עליו הטילה התורה מצוה. וזה המשך המאמרים שאמר רבי אליעזר ברבי שמעון סוף פרק הבא על יבמתו, ודו"ק.

     


    [1] Cette explication est très proche des explications du  Rambam dans son Guide des Egarés, III, 49… Il est meme étonnant que ce dernier ne soit pas cité.

  • De la genèse avant toute chose

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma

     

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    De la Genèse avant toute chose

     

    La lecture des commentaires sur la sidra de Béréchit est toujours passionnante : pas seulement à cause de la richesse du texte à commenter, mais parce que chaque commentaire essaie de poser –plus ou moins consciemment- les grands traits de ses problématiques. Le Méché'h ‘Ho’hma n’échappe pas à cette règle.

    A au moins trois reprises dans sa lecture de Béréchit, il montre comment une interprétation erronée de la parole divine est source de problèmes majeurs, à tel point qu’on peut se demander si cette première paracha ne fonctionne pas comme une mise en garde contre les interprétations abusives, projectives ou partisanes. Donnons quelques exemples.

    Lorsque le serpent veut encourager ‘Hava à consommer du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, il lui dit « non, vous ne mourrez pas [en en consommant], car Dieu sait que le jour o vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme Dieu connaissant le Bien et le mal » (3.4-5). La question qui se pose naturellement est de savoir comment ‘Hava a-t-elle pu croire en la parole du serpent, sachant que Dieu avait dit le contraire (2.16-17)? La réponse du Rav de Dvinsk suppose une relecture ingénieuse des paroles du serpent. Il écrit que « l’animal » a usé s’est adressé prioritairement à sa réflexion en réinterprétant la parole divine ; celle-ci dans son sens obvie visait à interdire de consommer du fruit défendu, mais sa ‘véritable’ intention était précisément qu’ils en consomment malgré l’interdit, par cet acte libre ils auraient montré leur désir le plus profond de s’approcher de Dieu, malgré les limites, malgré Dieu. « Non, le jour où vous en mangerez, [effectivement] vous en mourrez », le prix de la proximité avec Dieu serait d’être contre Dieu ! Malheureusement, quand ils en mangèrent, Dieu n’entre pas dans le détail et ne parla que de l’interdit d’en manger, tristement, ils comprirent que c’est leur désir qui parlait à travers le serpent. Lévinas usa d’une très belle expression : la tentation de la tentation pour parler de ce phénomène qui part ailleurs n’est pas récusé dans certains textes talmudiques, [et qui sont dits en filigrane dans le commentaire!, mais pas dans ces conditions].

    Autre passage non moins célèbre, le meurtre d’Abel. Le verset introductif (4.5) semble lacunaire, puisqu’il dit « Caïn dit à Abel son frère ; alors qu’ils étaient dans le champ… » sans dire aucun contenu de parole. Chaque commentaire est confronté à cette difficulté. Notre auteur comprend que Caïn s’est parlé à lui-même. Que se serait-il dit ? Le sacrifice de Caïn a été refusé, devant sa colère, Dieu s’adresse à lui, et conclut ses paroles par « il t’en veut et toi tu le maitriseras » (4.7). Caïn a compris cela comme une autorisation à dominer son frère, alors qu’il s’agissait de dominer la faute ! Sans entrer dans la lecture précise du verset 4.7, qui est très difficile, le mécanisme psychologique de mésinterprétation est assez simple : plutôt  que de comprendre que la parole lui était adressée à lui, Caïn, par une espèce de refoulement, celle-ci est mise sur le dos de celui qui est la source de sa souffrance. Interprétation quasi-psychanalytique, mais qui traduit bien le combat à mener avec soi-même pour qu’un texte délivre son sens.

    A une troisième reprise, mais moins explicitement, le Rav de Dvinsk entre dans cette problématique de la mésinterprétation, non pas de la parole divine, mais de Son geste. Après l’épisode de Caïn et Abel, le texte précise : « c’est alors qu’on cessa d’invoquer le nom de Dieu » (4.26). Quel est le lien avec l’histoire précédente ? C’est que les hommes, ont mal compris la raison de la mort d’Abel, qu’ils ont imputé au sacrifice abélien ! D’où leur détournement des sacrifices.

    Certes, il a fallu des générations de commentateurs pour habituer les hommes à lire le message divin de façon plus intériorisée. Mais l’on conçoit que la Torah, n’hésite pas, lors des premiers chapitres, à mettre en garde son lecteur, car particulièrement la parole divine est mal comprise, parlant à l’homme dans sa plus profonde intimité.

    Franck Benhamou

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

     

    משך חכמה בראשית פרק ג פסוק ד

    (ד - ה) לא מות תמותון, כי יודע אלקים כי ביום אכלכם ממנו וכו'. הענין מבואר כי הנחש בא במושכל, לאמור להם כי אין כוונת הבורא לבלי אכול ממנו, רק רצונו שתאכלו ממנו, ואז תבואו להתקרבות לאלקות בענין נפלא להתגבר על הרע ולבטלו. ואך רצון השם היא, כי מאהבת המושכל והחשק להתקרבות אלקות לדעת טוב אמתי, תעשו זאת במסירת נפש. וחפץ אבדת החיים הזמני והנצחי, רק כדי לעשות להתקרב לאלקות, ואז תצליחו ותשכילו, ולכן ציוה לכם שאם תאכלו תמותו. ואף על פי כן, 'כל מה שיאמר בעל הבית עשה, חוץ מצא' (פסחים פו, ב) - ממחיצתו [כמו שפירשו המחברים], 'ואין אנו משגיחים בבת קול' (ברכות נב, א), ומוסרין עצמם באבידת שני העולמים רק בשביל הנחיל כבוד אלקים והתקרבותו, וזה על דרך עבירה לשמה. והוא באמת חפץ השם האמתי. וזה שאמר "לא מות תמותון", פירוש, "לא" כאשר אתם דוברים, רק "מות תמותון", פירוש שתמיתו עצמכם [כמאמרם ז"ל כל הממית עצמו על דברי תורה], כדי להשיג התקרבות לאלקות האמתית. וזה, "כי יודע אלקים כי ביום אכלכם ממנו (ונפקחו עיניכם והייתם כאלקים יודעי טוב ורע"), שהוא חפץ האמיתי מהשם יתברך [ואפשר "יודע", לשון "אוהב", כמו "כי ידעתי" את אברהם]. ולבסוף, כאשר אכל, התחבא ונתרחק מאלקים. וזה שאמר הבורא אליו "אשר צויתיך לבלתי אכל ממנו", שזה הוא חפצי האמיתי, ושלימות רצוני, לא כאשר הערימך הנחש ודו"ק:

    משך חכמה בראשית פרק ד פסוק ח

    (ח) ויאמר קין אל הבל אחיו, ויהי בהיותם בשדה. יתכן כי קין אמר אל לבו, שכוונת השם יתברך בדברו "ואליך תשוקתו ואתה תמשל בו" שכיוון אל הבל אחיו, שהבל משתוקק אליו לאבדו ולהכחידו מן העולם, אבל "ואתה תמשל בו", היינו שקין ימשול עליו, ולא פירש דברי השם שמכוונים אל החטא וכביאור התרגום. וזה "ויאמר קין אל הבל אחיו" שאמר בלבו שמכוון השם יתברך "אל הבל אחיו". ולכן אמר השם יתברך "קול דמי אחיך צועקים אלי", ירצה שהוא בדבריו כביכול גרם לחרת אפו של קין על הבל. ודו"ק.

    משך חכמה בראשית פרק ד פסוק כו

     והנה אחרי שהבל נהרג עבור הקרבנות, פסקו אנשי הדור להקריב קרבנות, והוחל לקרא כולם בשם ה', רצונו לומר, מה שפירסמו עבודת השם יתברך והשגחתו על ידי הקרבנות, וכמו שכתוב בלך אצל אברהם ובתולדות גבי יצחק "ויבן מזבח ויקרא בשם ה'". ומוסב "אז" על שלמעלה. וכיוצא בזה בפרשת עקב בעת הבדיל ה' את שבט הלוי, יעוין שם. וזה נכון בכוונת אונקלוס ודו"ק

  • L'éloge du converti

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*  

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    Vézot haberakha : L’éloge du converti

     

    La dernière Sidra de la Torah, l’ultime bénédiction de Moshé Rabbenou, אִישׁ הָאֱלֹהִים, l’Homme de Dieu, a dispensé avant sa mort au peuple, tribu par tribu, juste avant sa disparition.

    A Zevouloun, le remarquable mécène de Issah’ar l’étudiant, Moshé Rabbenou promet réjouissance dans ses voyages commerciaux et à Issah’ar dans ses tentes, signe d’une entente prospère et symbiotique entre ces deux frères dans leur noble dessein ; puis il continue avec une bénédiction quelque peu étrange, sans grand rapport avec ce qui a été dit précédemment :

    « Ils convoqueront des nations sur la montagne et ils y offriront de justes sacrifices »

    Selon Rachi, le sens simple qui ressort de ce verset concerne le reste des tribus d’Israël, qui seront convoqués en temps et en heure lors des fêtes, au Mont Moriah, futur siège de Temple de Dieu où se réjouira le peuple autour des sacrifices offerts par les pèlerins ainsi que pour les fêtes.

    Le Mecheh’ ‘Hokhma* nous fait part d’une toute autre lecture, fort audacieuse : les peuples mentionnés par le verset seraient des convertis, qui seront convoqués au même titre que les 12 tribus pour y offrir des sacrifices en l’honneur de Dieu.

    Non seulement ils seront acceptés parmi les enfants d’Israël au sein du service divin, continue le Mecheh’ ‘Hokhma, mais en plus ils sont comparés à Avraham le premier des patriarches, le tout premier homme à avoir abjuré la foi païenne de ses pères et de ses pairs, envers et contre le monde entier. Il est le premier converti de l’Histoire. Il est celui qu’on surnomme « הר », une montagne, imposante et majestueuse, repère et soutien de tout un peuple.

    Ainsi, selon le Mecheh’ ‘Hokhma, chaque authentique converti parmi les nations dans l’Histoire sera digne d’être comparé à Avraham, leur mérite sera tel que le même attribut, « הר », leur sera accordé, avec un niveau de proximité qui ne sera en rien différent d’un descendant biologique des 12 tribus.

    Une subtile allusion peut-être, à ne pas occulter la grandeur et la noblesse de ces « peuples » voulant s’abriter sous les ailes de la présence divine. Ces convertis surpassent même les enfants d’Israël qui ont assisté à la révélation Sinaïque avant d’accepter cette Torah que nous allons à nouveau conclure.

    Des êtres acceptant le joug de cette Torah sans avoir rien vu de tout cela sont donc semblables à Avraham, notre père, la puissante montagne sur laquelle nous reposons, l’homme qui n’a également rien eu besoin de voir pour accepter pleinement le joug du Tout-Puissant.

     

    Elie DAYAN

     

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

     

    Texte original :

    עמים הר יקראו עיין בספרי שהן מתגיירין ולכן אמר עמים הר יקראו כמו אברהם שהיה תחילה לגרים וקראו הר. ויתכן דכוון אל מה שהתפלל שלמה וגם הנכרי כי יבוא מארץ רחוקה כו', וזה הבדל בין ישראל בארץ שבים כי יתפללו שם דרך ארצם הם נענים, אבל הנכרי מוכרח לבוא ואז נענה, לכן אמר עמים הר כי יבואו ויקראו יהיו נענים בתפלתם, לכן אמר עמים הר יקראו משום דמעלות בפ"ק דכלים, הר הבית מקודש כו' החיל מקודש ממנו שאין נכרים וט"מ נכנסים לתוכו, לכן רק בהר יקראו ולא בחיל ומעלות דאורייתא ביומא דף מ"ד ע"ב.

  • La vie en dur

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*  

     

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    La vie, en dur.

    « Mensongère est la grâce, désigne la génération de Moïse et de Josué ». Texte anodin issu du traité Sanhédrine[1] commentant un verset de ‘la femme vaillante’ célèbre chapitre des Paraboles[2]. En même temps qu’un texte sans concession : la Torah décrit la vie des gens dans le désert comme idyllique, pas de souci de pain quotidien, de vêtements, de boisson. Mais les Sages ne sont pas dupes : vivre dans de telles conditions n’est qu’une illusion de vie, grâce mensongère !  La Torah ne serait-elle praticable que pour des gens nantis, et dont les besoins sont assurés de par ailleurs ? Le texte se poursuit en commentant le verset « l’épouse craignant Dieu est seule digne de louange » par une illustration : « il s’agit de la génération de Rabbi Yéhouda qui n’avait qu’une couverture pour six personnes et s’en protégeait pour étudier la Torah ». A contrario ne faudrait-il voir dans la Torah qu’un exercice masochiste ? La question est grave, elle touche toute la pratique des mitsvot.

    Le Méché’h ‘Ho’hma rappelle un élément souvent évoqué par les commentateurs médiévaux : l’épouse, c’est la matière[3]. Aucun antiféminisme ici, juste un rapport duel entre la forme qui a besoin d’une matière pour se poser, et une matière qui n’est qu’un élément volatile sans une forme qui l’habille. Le texte des paraboles, ne vise aucunement ‘la femme’, mais un mode d’être requis aussi pour l’homme. Le coup de génie des Sages, c’est de voir que l’excès de bienfait dont a été l’objet la génération du désert, les a portés à un haut niveau spirituel, mais a biaisé le jeu de l’humanité,  anesthésiant leur libre-arbitre[4]. La Torah doit se vivre à travers les fourches caudines du réel.

    Notre auteur alors précise ‘c’est pourquoi, une telle génération requérait Moïse [comme dirigeant]’. Au passage de cette petite remarque, on voit le pouvoir questionnant du Rav de Dvinsk ; qui aurait questionné sur la pertinence de Moïse comme dirigeant du peuple ? C’est que dans l’esprit de notre auteur, Moïse est un homme de miracles, qui vit au-dessus de la contingence, appelé par le Zohar ‘l’époux de la Présence’[5]. Or cette génération devait avoir un tel dirigeant : recevoir la Torah, demande un tel investissement, un tel chamboulement dans l’existence, qu’il fallait ‘faire une pause’, c’est l’objectif de la manne, du désert…

    Vivre dans le désert n’est pas une fin pour la Torah, juste un moyen. Ce commentaire, il le tisse à partir d’un verset de Haazinou. « Lorsque j’invoque le nom de Dieu, grandissez notre Dieu »[6]. Verset énigmatique qui laisse filtrer une lueur s’il est interrogé : Dieu est désigné dans la première partie du verset par le tétragramme, alors qu’il est appelé Elokim, dans sa seconde partie. Pourquoi ? Car le tétragramme figure le Dieu qui fait des miracles, Elokim renvoie à un comportement plus discret de la divinité, intervenant à travers la nature. Le verset peut se lire ainsi « Alors que moi [Moïse] j’évoque le nom transcendant, vous, grandissez Elokim ». Car c’est la grandeur de Dieu que de montrer que la Torah est une loi divine qui est praticable dans un monde sans illusion, ni miracle. Une telle vie peut seulement être qualifiée de spirituelle, car en tension avec le matériel.

     

    Franck BENHAMOU

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

     

    משך חכמה דברים פרק לב פסוק ג

    (ג) כי שם ה' אקרא הבו גודל לא - להינו. פירוש על דרך מושכל, כי העיקר התכליתי אשר יתנהג האומה באופן טבעי מושגח פרטי. וזה כי יקצרו ויאספו דגנם, וראשית כל אשר לו, יובא בית ה' ולמשרתיו הקדושים. ושלוש פעמים בשנה יעזבו כל אשר להם תחת כנפי הבטחון האלהי ויבואו להיראות פני ה'. וכאשר יישירו לכת תוסיף הארץ לתת פריה, ותהיה חיתת ה' על הגויים סביב, ובכל מפעל ומצעד יזכיר ויברך שם הבורא יתברך. וחיים כזה הוא חיים רוחניים, ויקר שעה אחת מכל חיי העולם הבא לכל מתבונן. לא כן בימי משה אשר נפרצו גבולות הטבע ונהרסו מבצרי ההנהגה התמידית, רק לא פעלו מאומה, והמן יורד, וכל אחד רואה עמוד הענן וכבוד ה', וה' הולך לפניהם - הלזה יקרא תכליתי?! הלא אין זה רק חיי העולם הבא, חיים של מלאכים, וכמאמרם ז"ל (מכילתא בשלח יז): לא ניתנה תורה אלא לאוכלי מן. וכבר חז"ל בעמדם על ענין זה הפליגו לדבר ודרשו (סנהדרין כ, א) ברוח קדשם (משלי לא, כא) "שקר החן" - זה דורו של משה ויהושע, "והבל היופי" - זה דורו של חזקיה, שגם בו היה נס ופלא במפלת סנחריב וכיוצא בזה, בעמידת הצל וכיוצא בזה. "אשה יראת ה' היא תתהלל" - זה דורו של ר' יהודה ברבי אילעי שהיו ששה תלמידים מתכסים בטלית אחת ועוסקים בתורה (עכ"ל הגמרא). וזה "אשה" - היא החומר, שהחומר פעל פועל א - להי. לא כן בדורות הללו, כמעט בטלה הבחירה ונהרסו מפעלי החומר. אך למה נצרכו לזה אם אין זה התכלית האמיתי?! אולם כאשר יסוד התורה "אנכי" ו"לא יהיה לך", כן יסוד האמונה והאומה הוא ארבעים שנה האלו, כי בזמן כזה יכלו לפרש התורה היטב ולזכך נפשותם עד היותם יותר במעלה כאישים הנבדלים, והשרישו האמונה והנפש הא - להי בזרעם אחריהם. וגם זה המופת על האמת לקלי הדעת כמו שכתב רמב"ם. ולכך הוצרכו למשה. וזה באבות לא נראה הקדוש ברוך הוא בהנהגה נסיית, רק אברהם נתן "ארבע מאות (שקל כסף עובר לסוחר") עבור כברת ארץ. וזה (שמות ו, ג) "ושמי ה' לא נודעתי להם". לא כן במשה "איש הא - להים" בעלא דמטרוניתא [זוהר הקדוש (רלו, ב)] שהוא ביטול מוסדות הטבע, אשר היא המטרוניתא המנהגת בתבל [הגר"א]. ולכן אמר להם משה: דעו כי בכם יהיה הנהגה טבעית אשר נקרא בשם "א - להים". רק "כי שם ה' אקרא" - שזה הנהגה נסית - "הבו גודל לאלהינו", שבזמן שישראל עושים רצונו של מקום מוסיפים כוח בפמליא של מעלה, הוא הנהגה טבעית אשר היא הפמליא של מעלה, והבן

     

    [1] 20a.

    [2] Le verset commenté est dans Paraboles 31.21.

    [3] Voir par exemple Guide des Egarés, introduction.

    [4] Sans doute pas tout à fait, en témoigne les révoltes diverses et variées. Mais ce point demande à être discuté.

    [5] 236b

    [6] Dvarim 32.3.

  • Nitsavim-Vayelekh d'après le Mechekh-Hokhma

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*    

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    Nistavim-Vayelekh

           Avant de céder la place à son successeur Yehoshou’a, Moshé réunit tout le peuple pour leur rappeler leur alliance avec Hashem avant qu’ils ne traversent le Jourdain. Moshé met en garde les Bnei Israël et leur conseille de respecter correctement et entièrement ce pacte amorcé au Sinaï. Il précise (Nitsavim 29:17): “Il pourrait se trouver parmi vous un homme ou une femme, une famille, une tribu, dont l'esprit infidèle aujourd'hui déjà à l'Éternel se déterminerait à servir les dieux de ces nations… C'est-à-dire qu'après avoir entendu les termes de cette imprécation, cet homme se donnerait de l'assurance dans le secret de son cœur, en disant: "Je serai en paix - shalom, tout en me livrant à la passion de mon cœur" et alors la passion assouvie entraînerait celle qui a soif. L'Éternel ne consentira jamais à lui pardonner!”.

    De quel raisonnement est-il ici question? Une première lecture laisse entendre que l’on parle ici d’un fils d’Israël qui s’illusionne et pense pouvoir suivre des voies douteuses sans en subir les conséquences, tout en “étant en paix”. Le Meshekh 'Hokhma a une lecture plus profonde. L’homme qui s’illusionne ici n’entend pas dévier purement et simplement de la Torah. Il se convaint ou est convaincu que la grandeur atteinte en étudiant la Torah ou en priant n’est pas ultime car lorsqu’un homme se place dans ce cadre-là, il n’est plus tenté par l’erreur et perd en mérite. C’est plutôt en allant “dans les rues et les marchés, en s’unissant à des femmes interdites” et en gardant malgré tout un profond attachement et une crainte du divin qu’il peut atteindre l’ultime “shalom” – “complétude, perfection” car alors il aura éveillé sa tentation à l’erreur.

    Là, la Torah le met en garde: “L'Éternel ne consentira jamais à lui pardonner!”. Ce raisonnement rappelle celui d’Adam qui, d’après certains commentateurs, voulait manger de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal afin d’intégrer la tentation au Mal qui était alors extérieure à lui. L’acte qui s’en est suivi a été lourd de conséquences, lesquelles durent encore aujourd’hui. L’homme répète apparemment les mêmes erreurs en ajoutant de la complexité à une injonction finalement simple et non équivoque: observer les commandements divins. 

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה דברים פרק כט פסוק יז
    (יז - יח) פן יש בכם שרש וכו' והתברך בלבבו לאמר שלום יהיה לי כי בשרירות לבי אלך למען ספות הרוה את הצמאה. יתכן על דרך דרוש: כי הספרי (פיסקא מו) דורש (לעיל יא, טו) "וסרתם" מן הדרך, ללכת לעבוד "אלהים אחרים", כיון שסרתם מן הדרך, שוב אתם עובדים אלהים אחרים. והנה יש אנשים אשר אומרים: מה זה דרך התקרבות לאלקים, האם זה פלא כי יעצום עיניו ויגדור התאוה וירבה בלימוד ויתמיד בתפילה ובתשבחות, ויהיה דבוק על ידי זה לה'?! אלא יתערב ברחובות ובשווקים, ויתיחד עם נשים האסורות, וילך בשרירות לבו, ובכל זאת יוסיף אומץ ביראת ה' האחוזה עמוק בלבבו כגחלת בשלהבת, אז יעלה מעלה עד אין מספר. לזה אמר הכתוב "פן יש בכם וכו' לאמר שלום יהיה לי" [פירוש, אימתי אשיג רום המעלה ותכלית שלמות] "כי בשרירות לבי אלך" לחמם התאוה ולהגדיל המדורה. ואז יהיה התועליות "למען ספות הרוה את הצמאה", פירוש כמו חזיר וכיו"ב שנפשו של אדם קצה בהם ואין לאדם שכר על הפרישה, אם אוסיף על תאותי ואגרה יצרי בהם, הלא הוא הכל, איפוא, חדא, ואטול שכר כולם. "לא יאבה ה' סלוח לו, כי אז יעשן אף ה' וכו'".

     

  • Petite trahison entre amis...

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma 

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    Petite trahison entre amis

    « Quand tu marcheras en corps d'armée contre tes ennemis, tu devras te garder de toute action mauvaise. » (Dvarim 23.10). Ce verset semble être une simple introduction aux lois relatives à la ‘sainteté’ du camp militaire, car « Dieu marche au centre de ton camp »[1]. Or le Talmud[2] interpellé par l’homophonie entre davar-chose et davar-parole, apprend de ce verset qu’il est interdit de dire ‘une méchante parole’ sur autrui. Les questions suscitées sont multiples, une fois passée la stupéfaction : pourquoi apprendre cet interdit ici ? Pourquoi ne pas se contenter d’un autre verset ‘ne va pas colporter dans ton peuple’[3] ?

    Le Méché’h ‘Ho’hma ne pose pas explicitement ces questions : il y répond. Qu’est-ce qu’une ‘méchante parole’ en période de guerre ? C’est trahir le secret militaire, et c’est de cela que parle le premier verset. Il n’est donc plus superflu : il vise un interdit nouveau qui harmonise l’ensemble du texte. En effet, celui-ci énonce à sa suite deux autres règles : obligation de sortir se tremper pour qui aurait eu une pollution nocturne et obligation de propreté du camp. Dans les deux cas, il s’agit de sortir du camp, avec les risques que cela comporte, notamment être pris par l’ennemi et forcé à ‘parler’.

    Le sages s’empareraient-ils de ce verset et le généralisent abusivement en interdisant tout colportage, même dans un cadre non militaire ? Il n’en n’est rien : en fait notre auteur distingue deux types de colportage qui enserrent l’ensemble de la problématique du lachone ara. Une méchante parole proférée à l’encontre d’autrui, et une parole qui vise à révéler les secrets à l’extérieur de sa communauté. Les enjeux sont fondamentalement différents en ce qu’ils touchent deux couches identitaires distinctes : identité personnelle et appartenance à un peuple. Ainsi ce verset nuance et réoriente l’interdit de colporter : il ne s’agit pas d’interdire toute mauvaise parole mais toute parole de traitrise, que celle-ci vise les relations interpersonnelles ou communautaires. Deux versets qui se complètent et se précisent mutuellement. La lecture de la page talmudique attenant s’en trouve éclairée puisque contrairement à son habitude, après avoir exhibé les deux sources, il ne questionne pas la nécessité de ce duo de versets.

    A partir de là, le Rav de Dvinsk n’a plus qu’à utiliser sa distinction dans plusieurs directions. Il rappelle que parfois l’expiation de fautes au Temple n’est pas liée à un sacrifice, mais à un culte, comme par exemple l’encens[4]. Or il existe deux types d’encensement une quotidienne et une à kipour dans le saint des saints. Le premier type correspond aux mauvaises paroles qui auraient été dites sur son prochain, au sein de la communauté, à son propos le Talmud fait d’ailleurs remarquer « que nul n’est épargné de cette faute »[5], d’où son culte journalier. Par contre la trahison reste exceptionnelle. On l’aura compris notre auteur fait bouger le paradigme de la ‘méchante parole’ pour le déplacer sur le terrain de la trahison, quotidienne, entre amis !

    Franck Benhamou.

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה דברים פרק כג
    ונשמרת מכל דבר רע. לא רחוק לומר שכוונת הפסוק שלא לגלות מסתורין של המלחמה, ושלא לספר ארחם ורבעם לשום איש. ומזה יאות שלא להניח לשום אדם לצאת מן המחנה שמא ישיגוהו שונאיהם וימלטו מפיו תחנותם, וכמו שהגיד המצרי לדוד בסוף שמואל - א, ל, יג - טו. וזה בכלל "דבר רע" שאמרו בספרי: אפילו דיבור רע, וזה לשון הרע, וכיוונו למה שכתבתי. ולזה אמר רק (פסוק יא) "כי יהיה בך איש אשר לא יהיה טהור מקרה לילה ויצא אל מחוץ למחנה וכו'". וכן מצינו בירושלמי פאה (פרק א הלכה א): אזהרה ללשון הרע מנין, "ונשמרת מכל דבר רע". אמר רבי, לא תני ר' ישמעאל "לא תלך רכיל בעמך". הענין דיש שני לאוין להירושלמי על שני סוגי לשון הרע [יעויין כתובות מו, א] - אחד על לשון הרע בתוך בני ישראל עצמם מזה לזה, וזה "לא תלך רכיל בעמך", בעם בני ישראל. והשני, לשון הרע מחוץ למחנה ישראל, וזה פשט המקרא "כי תצא (מחנה על אויביך) ונשמרת מכל דבר רע", שלא לגלות מסתורין, כמו שכתבתי. ועל זה באו שתי כפרות: האחד קטורת על לשון הרע שבסתר, כדמפרש זבחים דף פח, ב. וזה על לשון הרע שבתוך מחנה ישראל, שבזה יש אבק לשון הרע שאין אדם ניצל בכל יום, 'וכולם באבק לשון הרע' (זבחים שם). אמנם קטורת שלפני ולפנים הוא על לשון הרע שמחוץ למחנה ישראל, שלא נודע לישראל, 'בלתי לה' לבדו', ועל שני הבדים, וזה פעם אחת בשנה (ויקרא טז, לד). וזה היה סיבת הגלות של מצרים כמו שאמרו (שמות רבה לשמות ב, יד) "אכן נודע הדבר", וסיבת גלות של בבל בשניה כמו שאמרו: אקמצא ובר קמצא חרב (ירושלים). והוא מביא לידי חלול השם, החמור מעון עבודה זרה כמו שאמרו ירושלמי נדרים פרק ג. ולכן אף מחשבה שקולה כמעשה, ומחשבה אין יודע רק השם לבדו, וזה לפני ולפנים, ש"כל אדם לא יהיה באהל" - אפילו מלאכים שפניהם פני אדם, כדאמר בירושלמי יומא (א, ה), ושם מכפר. והנה גם הגאוה מקור לעבודה זרה, כמו שכתוב (דברים ח, יד) "ורם לבבך ושכחת (את ה' אלקיך המוציאך מארץ מצרים"), ונידון על המחשבה ודנים עליה. לכן אמרו בירושלמי (יומא פרק ז הלכה ג): מפני מה אין כהן גדול משמש בבגדי זהב, משום הגאוה, א"ר סימון על שם (משלי כה, ו) "אל תתהדר לפני מלך". והוא מפני שהשי"ת דן על המחשבה.

     

    [1] Dvarim 23.15.

    [2] Talmud de Jérusalem 1.4.

    [3] Vayikra 19.16.

    [4] Zva’him 88b.

    [5] Baba Batra 164b. 

     

     

     

     


     

  • Paracha Rééh- Mechekh 'Hokhma

                           Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma 

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                      Lois noahides et lois des juifs : des mondes séparés ?

    Le Talmud, (Sanhédrin 59a) se demande pour quelle raison l’interdiction de consommer le אבר מן החי (un animal vivant ou l’un de ses membres) est écrite à deux reprises dans la Torah, une avant le don de la Torah et une après? Ce à quoi le Talmud répond que selon Rabbi Dossa, cela permet que ce commandement s’applique à la fois aux juifs et aux non-juifs (cet interdit fait effectivement partie des sept lois noahides). En effet, Rabbi Dossa a énoncé la règle suivante : Toute règle dans la Torah adressée aux non-juifs puis aux juifs (c.à.d. avant le don de la torah puis après  celui-ci) s’applique aux juifs et aux non-juifs. Si en revanche, celle-ci n’est adressée qu’aux non-juifs (c.à.d. qu’elle est écrite avant le don de la Torah), elle ne s’applique qu’aux juifs. Le Talmud s’étonne alors : Si elle (cette règle) n’est adressée qu’aux non-juifs, elle ne devrait s’appliquait qu’aux non-juifs ? Et le Talmud de répondre : Il n’existe pas une chose qui soit interdite au non-juif et permise au juif. En d’autres termes, si une chose n’a été dite qu’avant le don de la Torah, et donc qu’aux non-juifs, on est contraint de dire qu’elle était d’abord donnée à tous, puis que les juifs se sont spécifiés dans son accomplissement. Il est en effet impossible, selon ce texte, d’imaginer que les non-juifs possèdent un élément dans leur ordre moral qui soit absent des obligations du juif.

    Comparons à présent cela avec la lecture du Sifri sur un verset de notre Paracha (12,23):

    « Mais évite avec soin d'en manger le sang; car le sang c'est la vie, et tu ne dois pas absorber la vie avec la chair ».

    De la fin de ce verset, le Sifri apprend l’interdit précité de אבר מן החי (de consommer un animal vivant ou l’un de ses membres), car ce serait l’expression d’une absorption de la vie avec la chair.

    Ayant rapporté cette interprétation, le Sifri se questionne sur l’utilité de son propre commentaire, car cet interdit pourrait tout simplement être appris par un raisonnement à fortiori : Si les juifs n’ont pas le droit de consommer le lait et la viande cuits ensemble alors que les non-juifs ont le droit, il est évident que les juifs n’ont également pas le droit de consommer la chair d’un animal vivant qui est interdite même aux non juifs ! Ce à quoi le Sifri répond que ce raisonnement n’aurait pu être suffisant, car il existe d’autres choses interdites aux non-juifs et permises ou non-sanctionnées chez le juif (comme le vol d’un bien d’une valeur insignifiante).

    Le Méchékh’ H’okh’ma fait remarquer que l’on ne répond par le principe précité que si l’interdit avait été adressé uniquement aux non-juifs (c.à.d. avant le don de la Torah), il ne se serait appliqué après le don de la Torah qu’aux juifs. En effet, ce principe dépend justement de l’idée selon laquelle il ne peut exister une chose interdite aux non-juif et permise au juif. Mais comme nous l’avons mentionné plus haut le Sifri ne partage manifestement pas ce point de vue. Il nécessite donc un autre raisonnement pour justifier la répétition de ce commandement dans la Torah, alors que selon le Talmud, la répétition est nécessaire de prime à bord pour que les non-juifs restent concernés par le commandement.

    Le Sifri tient donc la position inverse et pense que si le commandement n’avait pas été répété, il aurait effectivement pu ne s’adresser qu’aux non-juifs.

    Nous nous retrouvons donc face à un différend fondamental très intéressant entre le Talmud et le Sifri, sur le sens des lois noahides. En effet, selon le Talmud, elles ne sont qu’une introduction aux lois des juifs qui les incluent dans leur totalité, ce qui est ce que l’on pense à priori. Mais selon la voie nouvelle que nous offrirai le Sifri, il s’agirait d’un ensemble de commandement distinct des lois de juifs ne se recoupant pas forcément. Il y aurait alors peut-être un message différent adressé aux nations qui serait indépendant  du notre. Reste à savoir lequel… 

     

    Tsvi-Elyahou Lévy

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

     

    משך חכמה דברים פרק יב
    (כג) ולא תאכל הנפש עם הבשר. ספרי פסקא סימן עו. "ולא תאכל הנפש עם הבשר" - זה אבר מן החי. והלא דין הוא, ומה בשר בחלב שמותר לבני נח, אסור לישראל, אבר מן החי שאסור לבני נח, אינו דין שיהא אסור לישראל וכו', יעויין שם. קשה לי, לוא יהא דניליף בקל וחומר, אם לא כתב קרא לאו לאבר מן החי, אז יהיה נאמרה לישראל ולא לבני נח, מידי דהוה אכל מצוה שנאמרה לבני נח ולא נשנית בסיני, דלישראל נאמרה ולא לבני נח. אם כן מוכרח הכתוב למיהדר קראי, כדי שיהיה 'נאמרה ונשנית בסיני', ונאמרה לבני נח גם כן. וליכא למימר דהא דידעינן מקל וחומר הוי כנאמרה ונשנית, זה אינו, דהא הגמרא משני בכי האי גוונא בסנהדרין נט, ב דלמילתייהו הוא דנשנית. וצריך עיון. שוב ראיתי כי הוא גמרא ערוכה שם נט, א על אבר מן החי לפרש"י שם, דלכן נשנה אבר מן החי כי היכי דתהא נאמרת ונשנית. ומיפת תואר ליכא יוכיח, דלאו בני כיבוש נינהו. ומהספרי הזה מוכח דאיכא מידי דלישראל שרי ולעו"ג אסור, וכמו יפת תואר, ולא סבר דעו"ג לאו בני כיבוש נינהו, ולכך אם נאמרה ולא נשנית, הוה אמינא דלבני נח נאמרה ולא לישראל, וכמו יפת תואר, כמו דפריך הגמרא שם בסנהדרין, יעויין שם. ולפי זה אתי שפיר פסק רבינו משה שפסק כרב אחא בר יעקב דמפרכסת אסורה לבני נח, כמו שמפורש בהלכות מלכים פרק ט הלכה יב - יג. והוא מן הספרי הנ"ל, ונכון. ואולי דהנך ברייתות דגמרא דסברי מי איכא מידי וכו' אזלו בשיטת איסי בן עקיבא דמכילתא פרשת משפטים גבי (שמות כא, יד) "וכי יזיד איש על רעהו להרגו", "רעהו" - פרט לעו"ג. יעויין שם, ודייק, וצריך עיון עוד.
    שם בספרי: אף אתה אל תתמה על אבר מן החי, שאף על פי שאסור לבני נח שיהא מותר לישראל. צריך עיון לשיטת הריצב"א בשבועות דף כה, דעשה דשאינה זבוחה איכא. אם כן אסור משום עשה דשאינה זבוחה, ותו נילף בקל וחומר דיהיה איסור לאו. ועונשין מן הדין בכי האי גוונא היכא דאיכא עשה, כמו שכתב הרב המגיד בהלכות מאכלות אסורות, יעויין שם. ונראה דקאי למאן דאמר אין שחיטה לעוף מן התורה, ואיסור אבר מן החי איכא אף בעוף, יעויין שם. ולזה ליכא איסור דשאינה זבוחה, ואבר מן החי איכא. [וחכם אחד העיר דלפי זה מוכח דאסור אבר מן החי לבן נח בעוף. ועיין רמב"ם וכסף משנה בזה].

     

  • Les juifs sont-ils des convertis comme les autres ?

           Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma 

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    Les juifs sont-ils des convertis comme les autres ?

     

    Il est des ‘principes talmudiques’ dont la source n’est pas mentionnée directement dans la Guemara. Tel est le cas du principe assez connu sans être nécessairement compris : « Un converti est comme un enfant qui vient de naître »[1]. Plusieurs conséquences pratiques importantes en étant déduites[2], il a paru nécessaire aux commentateurs post-talmudiques de retrouver un fondement à cette assertion dans le Tanakh[3].

    C’est dans ce contexte qu’intervient une ma’hlokete fondamentale entre le Maharal de Prague et le Mechekh ‘Hokhma : Le changement de statut des Bné-Israël lors du don de la Torah est-il totalement assimilable à une ‘conversion’, à l’instar de celles qui seront accomplies plus tard par des non-juifs désireux de s’abriter sous les ailes de la présence divine ? Précisions, afin de mieux cerner cette problématique, que la Guemara apprend la procédure de la conversion du cérémonial précédant le don de la Torah : « De la même manière que vos ancêtres sont rentrés dans l’alliance par l’intermédiaire de la circoncision, de l’immersion rituelle et des sacrifices, eux également y rentreront par l’intermédiaire de la circoncision, de l’immersion rituelle et des sacrifices » (TB Keritoute 9a).

    En réalité, le débat en lui-même est moins sur les idées que sur le texte. Dans la paracha Béha’alotekha, il est ainsi écrit : « Et Moché entendit le peuple pleurer pour ses familles, chacun à l’entrée de sa tente (…) » (Bam. 11, 10). Rachi commente : « ‘Pour ses familles’ signifie ‘à propos des problèmes de famille’ [c’est-à-dire] à cause des relations sexuelles qui avaient été interdites ». Cette explication reprend notamment le Sifré : « Au moment où Moché leur a dit de se séparer des relations [dorénavant] interdites, ils en souffrirent. Cela nous enseigne [qu’en Egypte] les Hébreux épousaient leurs sœurs ou leurs tantes du côté maternel et paternel ».

    En d’autres termes, les Bné-Israël avant le don de la Torah étaient concernés par la législation des Bné-Noa’h en ce qui concerne les mariages intrafamiliaux. Or cette législation diffère de celle qui prévaut à partir du don de la Torah. Aussi certaines unions maritales consacrées légalement en Egypte entre les Hébreux devinrent illégales à partir de la révélation au Sinaï. Par conséquent, de nombreux couples furent obligés de se séparer, ce qui engendra un profond désarroi au sein du peuple.

    Cette lecture semble toutefois s’opposer au principe que nous avons vu plus haut : « Un converti est comme un enfant qui vient de naître ».  En effet, si les convertis entament un nouveau départ lors de leur conversion, et que les Bné-Israël sont considérés comme s’étant convertis lors de la révélation au Sinaï, alors pourquoi ne pas considérer que les liens familiaux ou maritaux antérieurs ont tout simplement disparus ? Il ne serait alors plus question de relations intrafamiliales interdites, et les couples pourraient rester ensemble même après le don de la Torah !

    En réaction à cette question, le Maharal de Prague[4] avance que le principe « un converti est comme un enfant qui vient de naître » - ne s’applique qu’à un converti qui a accompli sa démarche par lui-même. Puisqu’il n’était pas dans l’obligation de se convertir, mais qu’il a choisi de le faire, son choix créé une autre personne. Or les Bné-Israël qui ont été contraints de recevoir la Torah sont dans la continuité de leur existence précédente. Aussi le principe ne s’applique pas à eux, et l’interdit des relations intrafamiliales les concerne donc.

    Telle n’est pas la vision du Rav de Dvinsk, et son argument se fonde sur un passage de notre paracha. Dans la description de la révélation au Sinaï, Dieu rappelle qu’il a ordonné à Moché de transmettre aux Bné-Israël l’injonction suivante : « Va, dis-leur, retournez dans vos tentes » (Devarim 5, 27). Or, dans la symbolique talmudique, la ‘tente’ renvoie à ‘l’épouse[5]. Ce verset vient donc nous enseigner que chacun devait retourner vers son épouse après le don de la Torah, combien même celle-ci était sa proche parente, dorénavant interdite par la nouvelle loi entendue au Sinaï.

    Comment une telle chose est-elle possible ? C’est qu’effectivement, les Bné-Israël étaient alors semblables à des convertis. Ils venaient de re-naître, et cette re-naissance annulait de facto les précédents liens familiaux. Telle est ainsi d’après le Mechekh ‘Hokhma la source du principe : « un converti est comme un enfant qui vient de naître » …

    Dans ce cas, comment faut-il comprendre la tradition selon laquelle ils ont pleuré à cause des relations conjugales nouvellement interdites ? Selon lui, ceci n’est aucunement incompatible avec le principe de la conversion des Bné-Israël. Se fondant sur un autre passage talmudique[6], il explique que les pleurs concernaient l’interdiction des futures relations interdites, mais non l’annulation des unions déjà existantes.

    Ainsi, notre auteur apporte une contribution fondamentale à la question de la ‘conversion’ lors du don de la Torah. Au moment de la révélation, les Bné-Israël sont devenus des créatures nouvelles. Si leur préparation en vue de recevoir la Torah a tracé la voie à la démarche des futurs convertis, c’est tout simplement car eux aussi se sont alors convertis. Les hébreux ont acquis une nouvelle identité. Ils sont devenus des Bné-Torah.

    Yona GHERTMAN

     

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

     

    משך חכמה דברים פרק ה

    (כז) שובו לכם לאהליכם. החתם סופר בחידושיו לעבודה זרה כתב כי נתקשה כל ימיו מהיכן הוציאו חז"ל (יבמות כב, א) הא דגר שנתגייר כקטן שנולד דמי, יעויין שם. ולדעתי פשוט, דיצא להם דמסתמא היה ליוצאי מצרים נשים הרבה שהיו מאותן שאין בני נח מוזהרין עליהן. ועמרם יוכיח שגדול הדור היה ונשא דודתו. וכן אמרו ביומא פרק יום הכיפורים בהנך דאסירי לא פריצי בהו. ועיין רש"י (יומא שם) שבכו על הנוספות, ואם לא היו רגילים לא היו בוכים. ואיך אמר רחמנא אחר מתן תורה "שובו לכם לאהליכם" - ואין אהלו אלא אשתו (מועד קטן ז, ב) - הלא אלו שנשאו קרובותיהם צריכים לפרוש מהם! ועל כרחך דגר שנתגייר כקטן שנולד דמי. והא דמוכיח ריש ביצה מהא דדבר שבמנין צריך מנין אחר להתירו, היינו דאי משום עריות שנשאו קודם, לא היה לו לאמר להם עד שיאמר האיסור על עריות קודם, וזה ברור. ויתכן, דקיימא לן דחרדה - שחרדו כל העם - מסלק הדמים, ולא יראו נשיהם דמים, ויהיו טהורות לבעליהן.

     

    [1] TB Ketoubot 11a

    [2] Voir notre ouvrage Y. Ghertman, Une identité juive en devenir : la conversion au judaïsme, Lichma 2015, p.170 et suivantes.

    [3] Voir Ibid., p.174 note 1.

    [4] Dans son commentaire Gour Arié, sur Béréchit 46, 10.

    [5] TB Moed Katan 7b.

    [6] TB Yoma 75a, d’après la lecture de Rachi.

  • Shabbat 'Hazon selon le Mechekh 'Hokhma

        Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma 

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    Parashat Devarim – Shabbat Hazon

     

    La Haftara de cette semaine annonce le 9 av arrivant. Dans son commentaire sur cette Haftara, le Mesheh-Hohma s’attarde sur une fonction –moins retenue- du Beth-Hamikdash : son aspect fédérateur.

    Le Mesheh-Hohma commence son commentaire par rappeler que si l’individu est (ou peut ne pas être) un rasha, la collectivité, elle ne l’est jamais ! Le groupe d’individus fait que les défauts individuels sont masqués et « neutralisés » les uns les autres.

    Cette idée est déjà présente dans h’azal qui remarquent que l’un des composant de la Ketoret est une plante malodorante : noyée dans la « collectivité » des autres composants, cette plante trouve sa place et participe même au résultat final…

    Le Mesheh-hohma continue, alors, en décrivant le Beth-hamikdash, non comme un lieu du service Divin, mais comme le lieu fédérateur du peuple Juif – le lieu dans lequel tout le monde se retrouve et sert Dieu a l’unisson.

    Le Beth-hamikdash devient donc le lieu dans lequel les écarts individuels sont oubliés, noyés dans la collectivité…

    Dès lors, finit le Mesheh-hohma, lorsqu’à la fin du second Temple, la société s’est disloquée, l’individualité et les conflits ayant repris le dessus, le Temple, n’ayant plus de raison d’être fut détruit…

    Rôle fédérateur du Temple, centralité (pour ne pas dire sainteté) de la collectivité, voilà autant de notions que l’on retrouve dans d’autres auteurs tels que le Maharal, le Kouzari ou le Rav Kook – il est donc d’autant plus notable de les lire sous la plume du Mesheh-hohma !

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה הפטרות פרשת דברים


    ישעיה א, יג) לא תוסיפו הביא מנחת שוא, קטרת תועבה היא לי וכו' לא אוכל און ועצרה.


    הענין, דמצאנו לרז"ל בכריתות (ו, ב): כל תענית שאין בה מפושעי ישראל אינה תענית, שהרי חלבנה ריחה רע, ומנאה הכתוב עם סממני הקטורת. הרי דדבר הפחות בעצמיותו, בכל זאת כשהוא מתערב באגודה כללית, הוא מתבשם ומועיל להוציא ריח נחוח מן הסמנים האחרים. ומצאנו שאמרו (סנהדרין עא, ב במשנה): פיזור לרשעים נאה להם ונאה לעולם. הרי שהאגודה מוסיף חיזוק לעושי רשעה. וכן מצאנו שאמרו (סנהדרין לט, א) כל בי עשרה שכינתא שריא. וכבר עמד על זה הר"ן בדרשתו. והנראה על פי מה שבארו בדין תרתי לריעותא, שאם הם משם אחד, שמורים שניהם על ניקוב הריאה וכיו"ב, אז הוי טריפה. אבל אם זה מורה על נקב, זה על קמט וכיו"ב - כשר. כן הדבר הזה: אם כל אחד בפני עצמו יש לו מדה פחותה, זה כלי וזה בעל לשון הרע, וזה בעל כעס. כשהם באגד אחד, אז יומתק מרירותם ויתבשם כל אחד מחבירו - זה ילמד מזה לפזר הונו, וזה לנוח מרגזו, וזה על שפם יעטה. אבל אם כולם מסכימים על תכונה רעה אחת, הלא אז תחזקנה מוסרותיהם, ומן קורי העכביש יהיו כעבותות עגלה. על זה אמרו: פיזור לרשעים נאה להם וכו', כי היא תרתי לריעותא משם אחד, כל אחד מחזק חבירו, והוי טריפה גמורה, וזה ברור.
    והנה ענין המקדש, לאחד כלליות ישראל ולבביהם אל מקום אחד, כמו שאמרו (ברכות ל, א) היה עומד (בחו"ל יכוון לבו כנגד ארץ ישראל... היה עומד בארץ ישראל, יכוון לבו כנגד ירושלים... היה עומד בירושלים, יכוון לבו כנגד בית המקדש... כנגד בית קדשי קדשים... כפורת...) נמצאו כל ישראל מכוונים את לבם למקום אחד. ולכן תמיד היתה שם ההנהגה הנסית, כמו שמנו (אבות ה, ה) עשרה נסים שנעשו בבית המקדש. ולהראות אף שכל פרטיי בפני עצמו אינו ראוי להיות מושגח פרטי בהנהגה פרטית בלתי טבעית, בכל זאת הקשר הכללי מעם ישראל ראוי הוא להיות מושגח בהשגחה נסיית, ששם אין פגם, שכולם מעלים ריח ניחוח - זה ביראתו, וזה באהבתו לישראל, וזה במסת ידו וזה בתורתו. וכמו שאמרו (בראשית רבה סה, יח) "וירח את ריח בגדיו" (בראשית כז, כז) - ריח בוגדיו - "כריח השדה אשר ברכו ה'". פירוש, שלהריח נגד עשו הרשע, האם יריח ריח רבי עקיבא וחבריו?! לכך הראהו הש"י מי שהוא בסוג אחד, כמו יקום בן צרידיא, ובכל זאת נכנסו בו דברי ר' יוסי בן יועזר כארס והקדימהו לגן עדן. וזה שאמר "כריח השדה אשר ברכו ה'". דבחקל תפוחין כל עלה כל עשב מעלה ריח, כן בצירוף הכללי גם הפושעים מושגחים ומעלים ריח.
    והנה מנחה אינה קריבה בשותפין, רק ביחיד (מנחות קד, ב), ובצבור באה מנחה, לפי שהצבור הוא בכלליותו כמו יחיד שהוא איש אחד, וכל אחד מועיל לחבירו כמו שכל אבר מועיל לחבירו, וכיוצא בזה. לכן כיון שהפסידו מעלת האחדות, וכל אחד רצה לבלוע לחבירו, והיו כקציני סדום ועמורה (ישעיה א, י), אם כן כל אחד נבדל בפני עצמו. אם כן "לא תוסיפו הביא מנחת שוא"! וכן קטורת, שכל אחד מתבשם מחבירו, וגם החלבנה ריח נחוח. אבל כשכל אחד מפוזר בפני עצמו, הלא "קטרת תועבה היא", כמו שהיא בפרטיותה, שחלבנה ריחה רע, ו"הקריבהו נא לפחתך וכו'"! "לי... לא אוכל און ועצרה", שיהיה אסיפה מאון, היינו שיסכימו כולם על תכונה אחת רעה.
    והנה בתוכחה יש שני סוגים, אחד מה שמתפעל אחד מחבירו כמו מאנשים ממי שהוא במדרגתו. מזה לא שייך שיקבלו דבריהם, רק באופן שיראה אם חבירו שמטופל בבנים ועני, ובכל זאת הוא נזהר מאונאה ומשקלות וכיוצא בזה - כל שכן הוא. ועוד אם חבירו מחומם הוא, ובפרקו הוא עומד ואין לו אשה, ובכל זאת הוא נזהר מלהסתכל בנשים - כל שכן הוא, וכיוצא בזה. ויש מה שדבריו נשמעים דברי תוכחה, כמו ששומע מגדול הדור וקדוש ה', אשר בזה לא שייך שהוא יתפעל ממנו, כי הוא אינו מסוגו וערכו, רק שדבריו נשמעים. ולזה אמרו בפרק כל כתבי (שבת קיט, ב): לא חרבה ירושלים אלא בשביל שלא הוכיחו זה את זה, שנאמר (איכה א, ו) "היו שריה כאילים לא מצאו מרעה", מה איל זה ראשו של זה בצד זנבו של זה (אף ישראל שבאותו דור כבשו פניהם בקרקע ולא הוכיחו זה את זה). דייקו "זה את זה", ולא כתבו "זה לזה", ונקיט רק סימן הפעול, היינו שלא נתפעלו זה מזה, כי בכללות האומה, בזה יש מעלה טובה ומדה ניאותה ובזה מידה זו. והמה למדו זה מזה חסרונו של זה, וזה לא למד המדה הטובה, רק הביט אל החסרון שיש בשל זה. וזה "ששמו ראשו של זה בצד זנבו של זה", שהביטו רק אל החסרון שיש בחבירו, והמה לא למדו שלמות זה מזה, אך למדו חסרונות ופחיתות זה מזה. ועל האופן השני אמרו (שבת שם): לא חרבה ירושלים אלא בשביל שביזו בה תלמידי חכמים. היינו אנשים חכמים שאינם מסוגם וערכם, שבזה לא שייך התפעלות, רק שיהיו דבריהם נשמעים לגודל מעלתם וערכם. על זה אמרו (שבת שם על יסוד דברי הימים - ב, לו, טז) "ויהיו מלעיבים במלאכי אלקים", הוא שאמרו שבשביל שהוא מלאך מופרש ומובדל מהליכות תבל ואורחותיו, לכן הוא אומר כן. לו היה לו טורח וטורד בהויות העולם, כי אז היה גרוע ממנו הרבה. ועוזא ועזאל שהיו מלאכי (חבלה שירדו לארץ בימי נעמה אחות תובל קין, ועליהם נאמר "ויראו בני האלהים את בנות האדם"). וכשירדו הרעו מהם. ולכן לא היו דבריהם נשמעים, ולכך לא היו תרופה למכתם מחליים במדות והנהגה - וחרבה ירושלים, תובב"א. 

     

  • Paracha Matot, selon le Mechekh 'Hokhma

      Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma 

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    Le siege de Beyrouth en 1982 –  Matot

     

    Le siège de Beyrouth a eu lieu pendant l'été 1982, dans le cadre de la guerre du Liban de 1982. Il s'est terminé par l'obligation faite à l'OLP de quitter le Liban, et à Israël de restituer le territoire envahi lors du siège, à l'exclusion d'une « zone de sécurité », bande de dix miles de large le long de la frontière israélo-libanaise, qui a été rendue au Liban en 2000.

    A l’issue de la guerre, le G.R Goren, bien que n’ayant plus les fonctions de Grand Rabbin de Tsahal écrit un article sur la légitimité ilh’atique du siège[1]….

    Y aurait il des lois relatives aux sièges? La parasha de cette semaine nous l’apprend au détour d’un verset anodin:

    “Ils firent la guerre à Midian, comme ordonné par Dieu à Moshe” (Bamidbar, XXXI, 7)

    Ce verset donne lieu à la loi suivante (reprise dans le codex de Maimonide):

    “Lorsque l’on assiège une ville, on n’entoure pas la ville des quatre côtés, mais au contraire, on laisse un côté ouvert, afin de laisser à ceux qui le veulent la possibilité de prendre la fuite. Cette loi, nous l’apprenons du verset de la Torah -“Ils firent la guerre à Midian, comme ordonné par Dieu à Moshe” – La tradition orale nous enseigne que tel était l’ordre de Dieu à Moshe” (Lois des Rois et de leurs guerres, VI, 7)

    Quelle est la raison de cette loi ? De prime abord, on serait tentés d’y voir une preuve de l’immense humanité exigée par la Torah, même en temps de guerre... Existeraient ils d’autres motivations ?

    Le Mesheh-h’oh’ma s’attache à cette question et fait remarquer, avant de répondre, que si cette loi a été recensée par le Rambam dans son Mishne Torah, elle est, par contre absente du Sefer Hamitsvot, du compte des 613 mitsvot. Cet “oubli” du Maitre est bien évidemment relevé par Nahmanide qui compte, lui, cette mitsva parmi l’un des 613 commandements.

    Pourquoi le Rambam n’a t-il pas compte cette mitsva dans son décompte des mitsvot? Le mesheh-hohma propose une explication : si, pour Nahmanide, la mitsva est avant tout humanitaire, le Rambam quant à lui, y voit une tactique de guerre (la population acculée , ne pouvant fuir, se battrait avec l’énergie du désespoir, mettant en danger les soldats d’Israel).

    Ainsi, explique le Mesheh-Hohma, le Ramban y voyant une mitsva prônant ce niveau d’humanite la decompte commen une mitsva parmi les 613. Pour le Rambam, par contre, cette alah’a ne saurait être plus qu’une tactique de guerre, et n’est ainsi en rien « absolue »  - les tactiques militaires sont, en fin de compte, laissées à l’appréciation des généraux… Cette loi serait comme les nombreuses loi de diététique énoncées par le Rambam: des conseils que les medecins du moment peuvent remettre en question, sans que l’on crie à l’heresie ou à l’infamie…

    La permission ou l’interdiciton du siège tel qu’il fut pratiqué à Beyrouth dépendrait-il d’une mahloket Rambam/Ramban ? Les lois « humanitaires » -comme les nomme le Mesheh-hohma- sont elles applicables aux « guerres d’obligation » ou uniquement aux « guerres facultatives » ?

    Voila l’unes des nombreuses questions que pose le GR Goren dans son article ; article qui se finit d’ailleurs par une réfutation « en bonne et due forme » de l’explication du Mesheh-Hohma… Mais cela dépasse le format qui nous est attribué.

     

    Benjamin Sznajder

     

    [1] Dans son livre Torath Hamedina

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה במדבר פרק לא פסוק ז
    (ז) ויצבאו על מדין כאשר צוה ה' את משה. הרמב"ן בספר המצוות מנה מצות עשה הך דדריש בספרי "כאשר צוה ה' את משה", שלא הקיפו אותה מד' רוחותיה. וטעם פלוגתתם, דהרמב"ן סובר דכמו דהיה מצוה לבקש לשלום, כן היא מצוה לחוס על נפשם ולהניח להם איזה צד להציל נפשם, ולהניח צד אחד פנוי להיות להם מקום לברוח. אבל הרמב"ם סובר דהוא אופן מאופני המלחמה, היינו למוד בחוקות המלחמה, שאם יקיפו אותם מכל צד, ומהתיאשם בחייהם כי יפלו ביד צר, יעמדו על נפשם בכל שארית כוחם ויוכלו לעשות חיל, כאשר ידוע בקורות העתים, שכמה פעמים בא מגודל היאוש הנצוח הגדול. לא כן אם יהיה להם אופן להציל את נפשם, אז לא ישליכו את נפשותם מרחוק, ויברחו. ואם כן אין זה שייך למצוה. ולעניות דעתי נראה כהרמב"ם, דבזה אתי שפיר בספרי (לפסוק ה) "וימסרו מאלפי ישראל": מגיד הכתוב שהיו בני אדם צדיקים וכשרים, ומסרו נפשם על הדבר. ר' נתן אומר: אחרים מסרום 'איש פלוני כשר - יצא', ('איש פלוני צדיק - יצא למלחמה'). ואח"כ איתא "ויצבאו על מדין" - הקיפוה מד' רוחותיה [פירוש, דלטעמיה אזיל, דמסרו נפשם על הדבר והלכו במסירות נפש, לכן לא חששו לשום תחבולת מלחמה נימוסית]. ר' נתן אמר: נתן להם רוח רביעית כדי שיברחו [פירוש, דלטעמיה אזיל, דהם לא רצו להלך, רק בעל כרחם נמסרו מאחרים, ואם כן לא רצו למסור נפשם ולהקיפם מד' רוחותיה]. וראיתי בספר המצוות להרמב"ן שהגירסא היתה לפניו "תן להם רוח רביעית"! לכן דריש זה למצוה. אבל גירסתנו "נתן" מחוור יותר, יעויין שם. וראה במלכים - ב, טו, טז: "אז יכה מנחם את תפסח ואת כל אשר בה (ואת גבולה מתרצה) כי לא פתח ויך (את כל ההרותיה בקע"). והבן ודייק בכל זה.

     


     

  • L'âne-oncement de la volonté divnie (Balak)

      Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma 

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    L’âne-oncement de la volonté divine

     

    Biléam, grand prophète parmi les nations, maitre en sciences occultes mais surtout l’ennemi acharné du peuple juif, fut érigé en dernier rempart par Balak, roi de Moav.

    Malgré la désapprobation divine, Biléam décide se mettre en chemin afin d’accomplir sa basse besogne.

    C’est sur sa route que se produisit un évènement surprenant, suite à la présence d’un ange, l’ânesse chevauchée par Biléam se mit à interagir avec lui et finalement à lui communiquer.

    Le Mecheh’ ‘Hokhma* s’étonne sur l’utilité de cet extraordinaire miracle ; en effet, est ce que l’Eternel aurait quelque chose à craindre du mouvement des lèvres de Biléam, possèderait-il le pouvoir de maudire à l’endroit où Dieu a décidé de bénir ?

    Non, continue le Mecheh’ ‘Hokhma, en vérité Dieu voulait faire fondre la crainte d’Israël sur les nations peuplant la terre sainte et celles du reste du monde. Or quel serait le meilleur ambassadeur auprès des nations si ce n’est Biléam, craint et respecté par tous les royaumes ? Si ce dernier avait fait part de son admiration ou avait averti de l’invincibilité des enfants d’Israël, quel peuple aurait osé se lever ?

    Son rôle prépondérant au sein des peuples aurait pu instiller la crainte du jeune peuple juif et il aurait ainsi été à l’abri d’une attaque.

    Car en effet, Dieu désirait par ce moyen éviter une escalade qui pourrait finir par coûter des vies humaines. Comme lors du douloureux épisode de l’attaque effrontée des Amalécites ou dans le futur, dans la tentative ratée de la prise la ville d’Aï, l’accusateur d’Israël rôde et profite de chacun des errement des juifs pour réussir à l’atteindre.

    Toutefois, une crainte subsiste : Peut-être les nations pourraient émettre l’hypothèse que le peuple juif a couvert d’or Biléam afin de s’en assurer son soutien, peut être pourrait-il même se pavaner de la peur que le si puissant Dieu des juifs, ressentirait face à Biléam le magicien…

    Ainsi, l’utilité du merveilleux miracle de l’âne se révèle ; devant les importants et respectés ministres de Balak, cette démonstration surnaturelle a prouvé que ce n’est pas l’âne qui s’est mis à parler, mais bien la volonté divine qui s’est exprimée à travers elle, à savoir la désapprobation univoque des noirs desseins de Biléam et l’appel à ce dernier à exécuter cette volonté divine de préserver Israël.

    Car cette volonté divine finira par s’exprimer, l’enjeu est de savoir si Biléam va finir par s’attacher au projet divin par sa repentance ou si l’Histoire va finalement le dépasser…

     

    Elie DAYAN

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

     

    Texte original :

    הקדמונים נתפלאו על נס פתיחת פי האתון, מה תועליות היה בנס גדול כזה שנראה רק לעיני שרי בלק. ועיין ראב"ע. והנראה כי מה שחש השי"ת שלא יקלל בלעם, האם עקימת שפתיו הוה מעשה, אם הוא יתברך יברך מה לנו כי יקלל, והתירוץ האמיתי לדעתי, כי רצה השם להטיל אימתן של ישראל על כל מלכי ארץ ישראל וכל מלכי הגוים, אשר לא יבואו לעורר קרב ברבבות אלפי ישראל, לכן בבלעם שהוא היה נכבד בכל הגוים ומלכותם, והיו שואלים פיו ואחרי עצתו לא שינו, אם איש כמוהו יחזה נשגבות ממעלתן של ישראל, הלא לא יקום רוח באיש, ויהממו כל הגוים מפחדם ושאתם, וכאשר היה כן כאשר אמרה רחב, ויתכן כי כוונה לזה וכי נפלה אימתכם עלינו כו' כי שמענו את כו' ואשר עשיתם כו' ונשמע וימס לבבנו, שהוא מפני ששמענו את אשר עשיתם ונשמע, מפי בלעם, את אשר עוד תעשו לכל הגוים, לכן וימס לבבנו, שאף שהיו אז דבוקים בשם יתברך, בכ"ז לא רצה השם שיערכו קרב, שהשטן מקטרג כו', וכמו שמצאנו בעמלק ובעי, ועוד פן יפלו הנלחמים מבטחונם ויכשלו באמת וזה היה עצה עמוקה מחכמת הבורא יתברך להפיל אימה על הגוים בדברי נביאם בלעם הקוסם, ולכן חשש השם פן יאמרו העמים, כי בני ישראל שחדו מכספם הון רב לבלעם, כי יאמר עליהם חזיונות כאלה, למען יפחדו מהם כל הגוים, ובאמת בדה זה מלבו, והכסף יענה מפיו, לכן הראה השי"ת פליאה עצומה ענין האתון לפני כל שרי בלק רבים ונכבדים מאד, ענין יוצא מגבול הטבעי, להראות כי השם או מלאך השם מדבר עם פיו, ומה שהוא אומר הוא אומר בדבר השי"ת, ויביא מזה התועליות הנרצה, כמו שבארנו. והבן. וזה שאמרו בסוף ואם תגידי כו' והיינו הוא דבר זה שהטמינו ופחדו שלא יודע לאיש, שבזה יחזור רוחם, שרואים שמתפחדים מהם.

  • Quand la Torah et l'idolâtrie se retrouvent

           Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*   

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    Quand la Torah et l’idolâtrie se retrouvent

     

    La première partie du début de H’oukat traite de la vache rousse. Cette vache qui doit répondre à des critères spécifiques subira une longue procédure rituelle : On l’abattra en dehors du camp, puis l’on procédera à l’aspersion de son sang avant de la brûler en compagnie d’autres ingrédients… Ses cendres, une fois recueillies permettront de purifier celui qui s’est rendu impur au contact d’un mort.

    A propos de sa Cheh’ita (abatage rituel), le verset nous détaille :

    « Vous la remettrez au pontife Eléazar; il la fera conduire hors du camp, et on l'abattra en sa présence» (Nombres, 19 ; 3).

    L’abattage est donc fait à l’extérieur du camp, par un juif lambda, alors que les autres étapes du rituel de ce « sacrifice » devront être faites par un Cohen. En effet, l’abattage est en général considéré comme une avoda (service) mineure, et de ce fait, peut être accompli par n’importe quel juif. Par ailleurs, tous les Cohanim (prêtres) ayant participé à ce rituel seront impurs et seront donc interdits d’entrée au Temple jusqu'à leur immersion dans un bain rituel (Nombres, 19 ; 7).

    Cette impureté qui se retrouve dans d’autres sacrifices peut paraître étonnante. En effet, comment se fait-il que celui qui accomplit un commandement de Dieu, qui plus est dans le cadre du service sacré du sanctuaire, se rend en même temps impur ? De plus, la vache rousse permettra de purifier celui qui s’est rendu impur au contact d’un mort. Il est donc d’autant plus étonnant que celui qui participe à cette purification soit frappé d’impureté à cette occasion.     

         Pour comprendre cela, voyons ce qu’avance le Méchekh’ H’okh’ma. Ce dernier fait remarquer que tous les sacrifices faits à l’extérieur rendent ceux qui s’en préoccupent impurs, s’ils ont un lien avec l’intérieur.  Notamment s’ils sont commencés à l’intérieur, comme le bouc d’Azazel que l’on jette du haut d’une falaise le jour de Kippour pour pardonner les fautes et les taureaux et boucs que l’on brûlait à l’extérieur[1]. Ou encore s’ils ont un lien plus imagé avec l’intérieur, comme notre vache rousse dont l’aspersion du sang doit être faite en direction de la partie principale du sanctuaire. En revanche, les sacrifices faits à l’extérieur, sans le moindre lien avec l’intérieur comme les oiseaux du lépreux ou la génisse au cou brisé[2] ne provoqueront aucune impureté pour ceux qui s’en occupent.

    Pour expliquer cela, le Rav de Dvinsk nous dit qu’en effet, il ne peut y avoir d’impureté que lorsque qu’il y a de la sainteté. Comme si l’extérieur perturbait la sainteté de ces sacrifices, et provoquait une impureté. Alors que lorsqu’il n’y a aucun lien avec l’intérieur, cette sainteté n’a pas lieu et ne peut donc être perturbée. Il convient donc d’expliquer pourquoi l’extérieur du camp dérange tellement cette sainteté, et si tel est le cas pourquoi la place de ces sacrifices – comme notre vache rousse – est à l’extérieur ?

    Rav Méir Simh’a Hacohen rajoute alors qu’il y a un interdit de faire des sacrifices à l’extérieur du camp (en dehors des cas particuliers susmentionnés). La raison est explicite dans la Torah : cela se rapproche d’un culte idolâtre (Lévitique 17,7). En d’autres termes, le rituel des sacrifices est tellement complexe quant à son sens, que dès qu’il serait en dehors du contexte du sanctuaire, on se retrouverait dans une situation où ce qui se passe n’est plus très clair, car la pratique n’est alors plus encadrée, et le rite se retrouve vite embarqué vers des représentations ou des valeurs étrangères. Pour cette raison, certains sacrifices faits à l’extérieur devront être réalisés au moins en partie par le grand prêtre, duquel la pensée risquerait moins d’être déviée.

    Il nous reste à comprendre pourquoi certains sacrifices sont pratiqués à l’extérieur, parfois en lien avec l’intérieur, parfois sans aucun lien avec celui-ci. Concernant ceux qui n’ont aucun lien avec l’intérieur, il semblerait qu’il s’agisse simplement de rituels symboliques destinés à nous faire réaliser certaines choses, mais qui ne relèvent pas à proprement parler du culte divin, et qui ne sont donc pas en rapport avec l’espace du sanctuaire. En effet, le rituel du lépreux contient tout une série de symboles ayant pour but de lui faire prendre conscience du mal qui l’a fait. De même, s’agissant de la génisse au cou brisé, son objectif et de faire prendre conscience aux gens de la ville de ce qui s’est passé chez eux.

    En revanche, pour les sacrifices extérieurs en lien avec l’intérieur, l’explication paraît moins évidente. Peut-être pouvons-nous avancer que si ces sacrifices sont des véritables cultes (preuve en est leur lien avec l’intérieur), et que l’extérieur est un lieu qui se rapproche de l’idolâtrie dans un sens large du terme, c’est donc que ces sacrifices contiendraient une dimension qui relèverait quelque part de quelque chose d’occulte. Soit parce qu’il y aurait un lien direct avec des représentations étrangères, soit parce que l’on voudrait montrer que l’on cherche à considérer la chose comme étrangère. Concerant le bouc d’Azazel, l’idée est presque explicite dans le commentaire de Nahmanide, selon qui il s’agirait d’un sacrifice à l’ange Samaël qui obstrue le repentir et empêche de repartir de l’avant. Pour le bouc pardonnant un culte idolâtre, l’explication semble évidente. Enfin, s’agissant du taureau pardonnant une faute collective, nous pouvons également comprendre qu’une faute collective doit être rejetée vers l’extérieur, car on ne peut plus garder la représentation de celle-ci parmi nous. Mais pour la vache rousse, le sens est moins évident.

    Peut-être y aurait-il dans le rapport à la mort quelque chose qui n’est plus maîtrisé par l’homme et qui le rend délirant, au point que sa façon de voir les choses n’est plus maîtrisée, ce qui le pousse parfois à sombrer dans une certaine forme de mysticisme. La vache rousse viendrait alors l’aider à sortir de ce tourbillon. Mais ce tourbillon, nous étant tellement occulte, ressemblerait plus aux cultures païennes, à qui l’on refuserait une place à l’intérieur du sanctuaire. On nous obligerait donc, en sacrifiant la vache rousse à l’extérieur, à prendre conscience de la  distance que l’on a prise avec « l’intérieur », tout en aspergeant le sang de la vache rousse vers le sanctuaire comme en signe de rapprochement possible.        

     

    Tsvi Elyahou Lévy

     

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original:

     

    משך חכמה במדבר פרק יט פסוק ג
    ודע, כי כל עבודות חוץ המה מטמאים בגדים, והעוסק בהן טמא מלבוא למחנה שכינה. אך דוקא הני דתחלתם בפנים, כמו המשלח השעיר (ויקרא טז, כו), והמוציאים פרים הנשרפים (זבחים קד, א), וכן העוסקים בפרה שצריך להזות נגד "פני אהל מועד". אבל צפרי מצורע (ויקרא יד, ז), הכהן אינו מתטמא, שאינו שייך לפנים כלל, וכן בעגלה ערופה (דברים כ, ד). וזה מדרכי התורה, כמו שהעכו"ם אינו מתטמא, וזובו טהור, כי הטומאה הוא במקום שיש קדושה, ואכמ"ל.
    ביומא מב, ב. למאן דאמר לדורות בכהן גדול מנא ליה? גמר "חוקה - חוקה" מיום הכיפורים. זה גופיה הטעם דכתוב קרא על שחוטי חוץ (ויקרא יז, ז) "ולא יזבחו עוד את זבחיהם לשעירים", הוא הנפרדים משכליים הנבדלים, שהשחיטה חוץ למקדש הוי כהקרבה לזולת השי"ת. והנה שעיר המשתלח שהוא בחוץ, והפרה אדומה נקרבת בחוץ, צריך שיהא בכהן גדול, שזה ענין עלול לחשוב מחשבה זרה חלילה, איזה עבודה לכח נפרד, אשר על זה דריש בספרי (פיסקא מא לדברים יא, יג) "ולעבדו בכל לבבכם" - שלא יהרהרו כהנים בשעת עבודה. לכן מצותה בכהן גדול, שהוא איש שרוח הקודש שורה עליו, הוא לא יבא לחשוב זרה. ויעויין רמב"ן קרוב לזה. כן מה שכתב בפרשת אחרי על עזאזל, יעויין שם. והנה מצאנו 'חוקה' בסתרי הטבע, שארס המחלה, בהתהרכבה בדמי החולה, אז יהיה זה מזור, כאשר נתפשט כעת הרפואה נשוכי כלב שוטה ובחולי אסכרה, ועוד מחלות שונות, אשר זה שיטת ר' מתיא בן חרש בסוף יומא. כן בסתרי התורה, כי הפרה האדומה והשעיר המשתלח, כאשר יעשו, זה משתלח מבפנים, וזו נוכח פתח אהל מועד, זה מכפר וזה מטהר. ומי יבא בסוד ה'?!

     

     

    [1] Il peut s’agir du bouc venant pardonner un culte idolâtre par ignorance, ou du taureau pardonnant une faute collective du peuple.

    [2] Lorsque l’auteur d’un meurtre était inconnu, une expiation devait avoir lieu pour prendre conscience de la gravité de ce qui s’était passé. On sacrifiait alors une génisse à proximité du lieu du crime.  

  • Paracha Kora'h selon le Mechekh 'Hokhma

       Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma   

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    Parashat Korah’ : Un rôle transmis génétiquement

     

     

    במדבר פרק יז פסוק יז

    דַּבֵּ֣ר׀ אֶל־בְּנֵ֣י יִשְׂרָאֵ֗ל וְקַ֣ח מֵֽאִתָּ֡ם מַטֶּ֣ה מַטֶּה֩ לְבֵ֨ית אָ֜ב מֵאֵ֤ת כָּל־נְשִֽׂיאֵהֶם֙ לְבֵ֣ית אֲבֹתָ֔ם שְׁנֵ֥ים עָשָׂ֖ר מַטּ֑וֹת אִ֣ישׁ אֶת־שְׁמ֔וֹ תִּכְתֹּ֖ב עַל־מַטֵּֽהוּ:

    Annonce aux enfants d'Israël que tu dois recevoir d'eux un bâton respectivement par famille paternelle, de la part de tous leurs chefs de familles paternelles, ensemble douze bâtons; le nom de chacun, tu l'écriras sur son bâton.

     

    Notre épisode se situe après la fameuse rébellion de Korah’ et de son assemblée, totalement éliminés par Hashem. Trois formes de morts dramatiques ont été utilisées, certains avalés vivants par la terre, d’autres, consumés par un feu intérieur, et enfin d’autres morts d’une épidémie … On pourrait penser que le peuple a enfin compris ! Et bien non, Hashem demande encore à montrer au peuple qui Il a choisi. (Bamidbar 20,17) Pourquoi ce besoin de confirmer de nouveau l’autorité de Moshé et Aharon ? Quelle est exactement l’erreur fondamentale de Korah’ ?

    Le Meshekh ‘Hokhma nous indique que Korah’ et son assemblée avaient mal saisi la nature de la kéhouna, la prêtrise. Ils pensaient que ce rôle avait été donné au plus méritant. Si les réalisations spirituelles d’Aharon lui octroient la possibilité d’être choisi, avec le temps d’autres pourraient l’égaler, et dès lors, le supplanter !

    Hashem n’a pas choisi la tribu de Levi grâce à une spiritualité supérieure, mais grâce à une qualité intrinsèque qui les destine précisément à la ‘Avoda, au Service Divin, une composante forte de leur identité.

    Dans le cas du Roi David, la royauté est promise à ses descendants à condition qu’ils conservent l’Alliance avec Hashem (Tehilim 132,12). Pour Aharon il en est autre, son rôle est définitif et ne dépend pas de l’observance des commandements. Le Sifri (Bamidbar 119) va même affirmer : « Grande est l’alliance contractée avec Aharon, comparée à celle du Roi David »

    Par son signe (le bâton de Aharon / tribu de Levy va être le seul à fleurir), Hashem veut montrer aux yeux de tous quelle est la personne qu’Il a choisi. Chaque bâton étant offert « lebeit av », selon la tribu duquel il vient, c’est l’identité naturelle transmise par filiation qui prévaut ici.

    Cette qualité immuable au travers des générations ne peut être que le signe d’un choix provenant de Dieu. Grâce à cet épisode Hashem vient mettre un terme final aux contestations du peuple.

     

    במדבר פרק טז פסוק ל

    וְאִם־בְּרִיאָ֞ה יִבְרָ֣א יְקֹוָ֗ק וּפָצְתָ֨ה הָאֲדָמָ֤ה אֶת־פִּ֙יהָ֙ וּבָלְעָ֤ה אֹתָם֙ וְאֶת־כָּל־אֲשֶׁ֣ר לָהֶ֔ם וְיָרְד֥וּ חַיִּ֖ים שְׁאֹ֑לָה וִֽידַעְתֶּ֕ם כִּ֧י נִֽאֲצ֛וּ הָאֲנָשִׁ֥ים הָאֵ֖לֶּה אֶת־יְקֹוָֽק:

    Mais si l'Éternel produit un phénomène; si la terre ouvre son sein pour les engloutir avec tout ce qui est à eux, et qu'ils descendent vivants dans la tombe, vous saurez alors que ces hommes ont offensé l'Éternel.

    Le Meshekh ‘Hokhma affirme avec force que Korah’, Datan et Aviram étaient des hommes d’un grand niveau spirituel. Il semble donc évident qu’ils connaissaient pertinemment ce lien entre kehouna et naissance. Mais leurs velléités personnelles les ont aveuglés. Par leurs actions, ils ont voulu nier ce lien naturel entre la kehouna et Aharon.

    C’est donc dans un contexte surnaturel, (rappelons que « la Bouche de la Terre » qui les a englouti vivants a été créée dès l’épisode de la création du Monde), qu’Hashem a voulu réprimer cette révolte. « Bezot ted’oun » (Par cela, vous saurez ! voir Bamidbar 16,28). Il n’y avait qu’un miracle qui pouvait exposer cette profonde vérité aux yeux de tous.

     

    Raphael Abitbol

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original:

     

    משך חכמה במדבר פרק טז פסוק ל

    ואם בריאה יברא וכו' וידעתם כי נאצו האנשים. היה לו לומר "ואם בריאה יברא וכו' אז תדעון כי ה' שלחני". אמנם אמר כי האנשים האלה, קרח דתן ואבירם, אשר היו אנשים גדולים במעלה, אם היה להם בעצמם הדבר בספק כי משה עשה זה מלבו, אז לא היה גדול כל כך חטאתם, כי היו כמוטעים ואנוסים מדמיונם הכוזב. אבל אחרי כי המה לא היה בלבם שום ספק, ורק במרד ובמעל קנאתם עלתה זדון ורשע, לכן אמר אל העדה אשר היו מסופקים בפיתוי קרח: "בזאת תדעו, וכו' ואם בריאה יברא וירדו חיים שאולה וידעתם כי נאצו האנשים האלה את ה'", ורק במרד בלי ספק כלל עשו זה, ופשוט.

  • Paracha Chela'h selon le Mechekh 'Hokhma

       Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma* ​

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    Tricoter le monde : la difficile exigence de la liberté

     

    Certains auteurs ont intégré ce qu’écrivait Maïmonide à propos du religieux qui penserait que les lois de la Torah sont arbitraires et sans raison : c’est un malade ! De temps en temps le Méché’h ‘Ho’hma perce le voile des ‘raisons des commandements’ divins. Même si la Bible explique en général que les franges pendantes qui doivent être mises aux vêtements à quatre coins ont pour but de rappeler « de ne pas se laisser détourner par son cœur et ses yeux », le Rav de Dwinsk veut rentrer plus dans le détail de cette obligation. Rappelons que les tsitsit sont constitués de fils doublés passant par un trou et noués ensembles laissant voir un ensemble de huit fils suspendus. De loin, il semble que l’habit n’est pas fini, que certains fils ont oubliés d’être tissés. Cette opposition entre l’habit et la multiplicité des fils qui le constitue, trouve sa signification à travers un verset qui décrit l’œuvre divine en tant que « lumière étendue comme un manteau ». La création recouvre d’un voile pudique l’unité divine donnant des phénomènes de l’univers l’image d’une multiplicité d’évènements  indépendants et sans liens les uns avec les autres. Notre auteur discerne à travers ce voilement de l’unité divine la chance donnée aux hommes pour exercer leur libre arbitre. « C’est parce que le monde est frappé d’incomplétude qu’il revient à l’homme de le parfaire ». Les tsitsit sont l’image de ce monde en suspens : alors que l’homme païen voit dans la nature le summum du beau voire du bien, le juif est convié à y voir un gigantesque terrain pour exercer sa liberté. L’infini du divin n’est pas une donnée mais c’est l’expérience de la nature dans les potentiels qu’elle recèle pour les êtres vivants qui permet de l’éprouver. Il a fallu que Dieu ordonne à sa création de ne pas être à l’instar de son illimitation pour que parfois apparaisse un homme qui soit à l’image de Dieu. Les huit fils sont reliés au vêtement par l’intermédiaire de files-nœuds : l’homme n’est pas abandonné à sa liberté, la promesse d’une aide est faite à quiconque ose le dépassement de la nature. Et cette aide surgit au milieu des fils blancs sous la forme d’un fil azur, couleur du reflet du Ciel sur la mer. « Et toi, homme, si tu tisses le monde tu deviendras un associé de Dieu dans la création, comme il est dit ‘quiconque exerce la justice avec vérité devient l’allié de Dieu ».

    Franck Benhamou

     

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original:

     

    משך חכמה במדבר פרק טו פסוק מ

    כוונת מצות ציצית לדעתי כך: דזה ידוע, הבורא יתברך בחכמתו המתאחדת עמו, ברא מציאות ראויה לו, היא תעיד על שלמותו וחכמתו, ומציאותו המחויבת והקודמת. אולם העולם השפל ברא ספורי, וזה כי הניח אותה לבעל הבחירה - וכמאמר הכתוב (תהלים קטו, טז) "והארץ נתן לבני אדם" - שהוא ישלים בריאותה, ויפיק אותה לענין נשגב ונעלה. וזהו "בהבראם" (בראשית ד, ה) אל תקרי "בהבראם", אלא "באברהם" (ב"ר יב, יח). ואם האדם מישר דרכו ושומר פקודת הבורא יתברך, אז הטבע כלי חפץ אצל ההשגחה, ותתפשט כוחותיה לאין גבול. וכמו שמצאנו בשני דשמעון בן שטח שהיו עושים כשני כליות וכו'. וכן בריבוי דעובד אדום, ועושר של שלמה וכיוצא בזה. וזה שאמרו (חגיגה יב, א) מאי "שדי"? שאמר לעולמו - "די"! והיינו שדי ורב הכנות הכין ועשה והזמין לעולמו, שהם יוכלו להוציא הבריאה אל שלמותה באופן הטבעי גם כן - אם ישמרו דרכי ה' - לאופן נשגב ואופן יותר נעלה, עד כי יצא מגדר הטבע לענין א - להי. וזה שאמר ר' עקיבא במדרש תמורה על מצות מילה: (שאל טורנוסרופוס הרשע את רבי עקיבא, איזה מעשים נאים) מעשי הקדוש ברוך הוא נאים או מעשי בשר ודם? והשיב: מעשי בשר ודם, כמו גלוסקא יפה יותר או חטים. ולכן גם מצות מילה, רצה הקדוש ברוך הוא להניח לאדם שיהיה לו במה להתגדר גם בגופו, ולכן ברא מותרות בבריאה, והאדם יבא וימול בשר ערלתו, ובזה יחתום להיות עבד לה'. ולכן מצאנו בירושלמי ובמדרש רבה (בראשית רבה מז, יא) על הא דדריש ר' לוי: ("מל אברהם" אין כתיב כאן אלא) "נימול אברהם" - בדק את עצמו נמצא עצמו נימול, שצעק עליו ככרוכיא ר' זעירא - "כזבנא שקרנא את". מפני כי כל ענין מצות מילה הוא מה שכון הבורא יתברך שהניח מותרות בבריאה, כדי לזכות האדם שיזדכך נפשו בקיום מצותה, ויהא מקיים בזה חפץ ורצון הבורא יתברך. אם כן מה אתה אומר שגם זה עשה על ידי פעולת הקדוש ברוך הוא, אם כן שוב בטלה הכוונה האמיתית בברוא הבורא דבר טפל ומותר בבריאה! לכן צעק עליו: "כזבנא שקרנא", שזהו שקר נראה, ומאמר שסותרו מעצמו.

    ומה יאות לפי זה, דבמצות מילה לאברהם אבינו כתוב, מעת שנצטווה והרגיש כי אינו תמים כל זמן שלא מל, כתוב שם "א - להים": - "וידבר אתו א - להים" (בראשית יז, ג), "ויאמר א - להים" (שם יז, ט). וכן בוירא (שם כא, ד) כתוב "וימל וכו' כאשר צוה אותו א - להים", שהוא השלמת הבריאה שהניח השי"ת, להסיר מותרות הבריאה על ידי האדם, והוא יהיה כא - להים להשלים הבריאה, שעל זה נאמר שם "א - להים". וכיון שמל כתוב (שם יח, א) "וירא ה'" - שם מלא עד עולם מלא כמו שביארנו.

    והנה הבריאה בכללה מצאנו להכתוב שמכנה האצילות הראשונה בשם מלבוש, וזה (תהלים קד, ב) "עוטה אור כשלמה". וכן מצאנו במדרש (בראשית רבה ג, ד) (מהיכן נבראת האורה? אמר ליה) נתעטף בה הקדוש ברוך הוא (כשלמה והבהיק זיו הדרו מסוף העולם ועד סופו... מקרא מלא הוא "עוטה אור כשלמה"... לולא שדרשה ר' יצחק ברבים לא היה אפשר לאומרה). והוא, כמו המלבוש חוצץ ומכסה האדם אשר לא ייראה האדם ובשרו, רק לבושו, כן להבדיל כביכול, אם כי באמת אין חוצץ ואין מבדיל, וכדאמר הכתוב (נחמיה ט, ו) "אתה הוא ה' לבדך". ומפרש אימתי אתה לבדך? "אתה עשית את השמים והארץ" וכו', אף לאחר עשייתך שמים וארץ גם כן יאות לומר כי הבורא יתברך לבדו הוא, וכמו שהיה קודם בריאת העולם. וכבר האריכו בזה הרבה לכן אקצר. אבל לעין המוחש, השפל, אשר בל יוכל להשיג שום רוחניי, ומכל שכן כבודו יתברך, הבריאה היא כמו מעטה להמאציל, עד כי "איש בער לא ידע" (תהלים צב, ז) "ונבל יחשוב בלבו אין א - להים" (שם יד, א). ולכן נקרא כללות הבריאה "בגד". ולפי הקדמתנו קודם, כי הבריאה עדיין לא נגמרה, והניח הבורא יתברך להבחירי, שהוא ישלים אותה והוא יוציאנה לשלמותה [אולי כוונה שניה היא במאמרם (בבא בתרא כה, א) "רוח צפונית פתוחה", והבן]. ולכן העיר הבורא אותנו במצות ציצית, ולהורות כי המציאות היא בגד, שמשני צדדיו יש עדיין חוטים שעדיין לא נארגו - ולכן צריך גדיל וענף - והיינו להורות שגם בפעילות שהאדם יעשה בבחירתו בחיים ובטוב ולהלוך בדרכי ה', גם בזה עזר ממרום תסעדהו. וכמאמרם (קידושין ל, ב) (יצרו של אדם מתגבר עליו בכל יום...) אלמלא הקדוש ברוך הוא עוזרו (אין יכול לו). וגם בזה יהא נארג קצת מהשי"ת, ומסיועו הא - להי להמתעורר לבא לטהר. ואתה בן אדם הכן לבבך לבלי לכת אחרי העין והלב, ולתת רסן בעד התאוות החומריות ולדבק בהשי"ת. ובכל דבר מחלקי הבריאה יעשה מצוה מקשרת אותך להשי"ת, וכמאמרם בתורת כהנים (פרשת צו, מכילתא דמילואים פרשתא א, כג): אין לך דבר שאין בו מצוה למקום. ובזה יפיקו ברכה כל מעינות הטבע על פי ההשגחה הא - להית לבלי די, ותצא הבריאה לשלמותה האמיתית כפי כוונת השי"ת. ואתה בן אדם, אם תארוג את הבריאה תיעשה שותף להשי"ת במעשה בראשית, וכמאמרם (שבת י, א) כל הדן דין אמת (לאמתו, אפילו שעה אחת, נעשה שותף להקב"ה במעשה בראשית). וזהו שאמרו סנהדרין צט, ב כל העוסק בתורה לשמה (משים שלום בפמליא של מעלה ובפמליא של מטה. רב אמר) כאילו בנה פלטרין של מעלה ושל מטה, שנאמר (ישעיה נא, טז) "לנטוע שמים וליסד ארץ". ואולי יש לומר על הך (פסוק לט) "ועשיתם אותם - ועשיתם אתם", שהוא כאילו עשאו לעצמו. ויתכן שעל זה בא החוט שבו פותל ומגדל הענף [כדברי רמב"ם שחוט אחד תכלת ובו מגדל הענף, עיין בהלכות ציצית (פרק א הלכה ו)] מראה תכלת, שזהו מראה הקשת אשר עליו אמר יחזקאל (א, כח) "כן מראה הנוגה סביב הוא מראה דמות כבוד ה'", שלדבריו מורה שהשי"ת המאציל כל, הוא הרוקם, הוא העושה גם בפעולת הבחירי, וכמאמר הכתוב (תהלים לז, כג) "מה' מצעדי גבר כוננו ודרכו יחפץ". ובוא אחי וראה מאמרם בחגיגה (יב, א): (אמר רב יהודה אמר רב, בשעה שברא הקדוש ברוך הוא את הים) היה מרחיב והולך כשתי פקעיות של שתי עד שגער בו הקדוש ברוך הוא והעמידו (שנאמר "עמודי שמים ירופפו ויתמהו מגערתו", והיינו דאמר ריש לקיש, מאי דכתיב "אני א - ל ש - די"? אני הוא שאמרתי לעולם - די!). היינו שהניח זה להאדם הבחירי שהוא ישלים אותה והוא יעשה ויבנה פלטרין של מעלה ושל מטה. ולכן בא הרמז במצות ציצית גם כן, באופן זה כשתי פקיעות של שתי. ויש בזה עוד דרושים עמוקים, ואכ"מ.

  • Nasso- le Nazir et son introspection

       

          Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma* ​

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    Le nazir et l’introspection

     

    La parashat Nasso décrit au chapitre VI les lois relatives au nazir.

    Le nazir finit sa période de nezirat en amenant un sacrifice au Temple.

    Le verset décrivant cette ultime étape contient une incongruité grammaticale:

    ״ וזאת תורת הנזיר ביום מלאת ימי נזרו יביא אתו אל פתח אהל מועד ״   

    Ce verset est traduit par le rabbinat : “Voici  la loi du nazir: le jour où s’achèvent les jours de son abstinence, il se présentera à l’endroit  de la Tente d’assignation”.

    La traduction ne rend pas compte de la tournure étonnante “yavi oto” “il l’amènera”. Qu’est ce que le nazir devait amener? Au sens littéral, le Mesheh-hohma fait remarquer que l’objet amené au Temple est vraisemblablement la chevelure du nazir fraîchement tondu. Mais le Mesheh Hohma propose une seconde explication: “le nazir s’amène lui-même”. Il doit agir comme un être  extérieur  à lui-même, se prenant par la main pour s’amener au Temple et mettre fin a son nézirat…

    C’est que, nous rappelle, le Mesheh-hohma, le nézirat n’est pas un simple acte formel que s’imposerait l’individu; il fait réponse à un besoin de l’homme de se sanctifier, tout au moins de s’éloigner de certaines vanités de ce monde (la boisson, l’esthétique etc…).

    Si nous ne sommes pas dans le pur formel, alors l’homme doit se jauger lui-même : en a-t-il fini avec ce contre quoi il se battait en faisant voeu de nezirat? Cette ultime introspection, celle qui permettra à l’homme et à lui seul de décider si son nézirat peut prendre fin – c’est là le sens de cette tournure inattendue : “le Nazir se prend lui-même au Temple” : une dernière introspection doit précéder l’ultime étape.

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original:

    משך חכמה במדבר פרק ו פסוק יג
    (יג) ביום מלאת ימי נזרו יביא אותו (אל פתח אהל מועד). וכי אחרים מביאים אותו, והלא הוא מביא את עצמו - ספרי (פסקא לב). הנה זמן הנזירות לא נזכר בתורה בהדיא, והוא משום שעיקר הנזירות הוא כמו שאמר "נזיר להזיר לה'". וביאר שמעון הצדיק, שהוא כהנזיר מדרום שפחז עליו יצרו וכו'. וזה לגדור עצמו מהתאוות והגאוה והמותרות. ועל זה אין זמן, רק כל אחד ישער בנפשו אם זמן זה יספיק לגדור כחות יצרו, אז די בשלושים או במאה, הכל לפי מה שהוא אדם. והבחינה לדעת אימת נגמר שלמותו ומעלתו, שכחות יצרו לא יוליכוהו שולל, והחמדה לא יתעה להשכל, כשהוא מסתכל על עניני עצמו כמביט על מפעלות אחרים, ולבבו אינו חשוד באהבת עצמו, אז בטוח כי יקח מהנאות העולם במזג הראוי ולא יבא למותרות. ואדרבא ייהנה מהעולם ויהיה דעתו מעורבת בין הבריות, כי אינו מכוונת הבורא שלא ייהנו מהעולם. רק זה בגדר רפואה, וכמו שאמרו נזיר חוטא. ולכן דבר בלשון שהוא מביא עצמו כמביא איש אחר, ובהשקפה שהוא רואה מעלת זולתו ושוקל במאזני צדק, כן ישקיף על עניני עצמו - ודייק היטב! ועל פי הפשט, יתכן לומר שיביא את "נזרו" - והוא נזר שלו, הוא השער שעליו "נזר א - להיו". וזה אמר שיביאנה "פתח אהל מועד". אבל אם גלחוהו לסטים, סותר שלושים יום, כדי שיגדל "פרע שער ראשו". ואין פרע פחות משלושים יום. ולכן אמר שלושים יום מגלח ומביא קרבן, ואין נזירות פחות משלושים יום, דאין "נזר א - להיו" פחות משלושים.

     

  • De la relativité du kavod dû aux hommes

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma

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    De la relativité du kavod dû aux hommes

     

    "Alors s’avancera la Tente d’assignation, le camp des Léviim, au centre des camps. Comme ils camperont, ainsi ils marcheront : chacun à sa place, suivant sa bannière". 

    (Bamidbar 2, 17)

     

    Le début du second chapitre de Bamidbar décrit l’ordre du campement dans le désert. La tribu de Yehouda en tête, les tribus sont placées d’une manière spécifique, selon les quatre points cardinaux. Auprès de Yehouda se tiennent Issakhar et Zévouloun, ces trois tribus ouvrant la marche (v. 3-9). Alors que le texte continue la description de l’ordre de campement, et qu’il arrive au centre des camps, où se trouvent les Léviim, il précise : « Comme ils camperont, ainsi ils marcheront : chacun à sa place, suivant sa bannière ». Nous apprenons ainsi que l’ordre de campement est conservé lors de la marche dans le désert.

    Le Mechekh ‘Hokhma s’interroge sur l’honneur (kavod) accordé par cet ordre. Quand ce kavod doit-il s’appliquer ? Une lecture précise de notre verset l’entraîne à énoncer un principe général : Le kavod des hommes ne s’applique qu’en présence du kavod de Dieu. En effet, l’ordre de préséance présenté dans ce chapitre de Bamidbar est d’actualité alors que la Tente d’assignation se trouve au centre des camps : « Alors s’avancera la Tente d’assignation, le camp des Léviim, au centre des camps ».

    Ce constat est l’occasion pour le Rav de Dvinsk de développer son idée à l’aide de deux exemples talmudiques :

    . Un premier texte[1] apprend que le Cohen a préséance pour monter en premier lors de la lecture de la Torah, ainsi que dans d’autres situations. Or, celles-ci sont liées au fait d’honorer la Torah, et donc Dieu. 

    . Selon un second texte[2], lorsque plusieurs personnes doivent passer par une même porte, il n’est question de laisser le kavod que pour celles qui sont pourvues de Mézouza ou dans les lieux de cultes (Beth haKnesset et Beth haMidrash), mais non pour un trajet dans un chemin quelconque[3].

    Pour conclure, notre auteur rapporte brièvement une dernière discussion talmudique[4] à propos de la validité du pain de proposition (lé’hem hapanim), qui est l’une des offrandes du Tabernacle (michkhan) : lorsque le campement se met en marche, les éléments du Tabernacle sont démontés et portés par les Léviim durant le trajet. Toutefois, le pain de proposition reste posé sur sa table (shoul’han) même pendant le voyage. Or, si ce pain consacré sort du Tabernacle, il est systématiquement invalidé. D’où la question de la Guemara : Considère-t-on que le Tabernacle démonté garde sa sainteté durant le voyage, auquel cas les pains de proposition resteraient valables ? Le Mechekh ‘Hokhma s’arrête sur un argument de la thèse affirmative se fondant sur notre verset : « Alors s’avancera la Tente d’assignation ». Il faut lire : « Même lorsqu’elle avance, elle reste la Tente d’assignation ».

    D’après cette lecture, l’idée initiale est confirmée : le kavod lié à la disposition des camps reste d’actualité même pendant la marche dans le désert, précisément car la Tente d’assignation qui se trouve au centre du campement garde sa sainteté pendant les déplacements.

    Au-delà de l’aspect technique de ce commentaire, nous retiendrons essentiellement l’idée de fond : l’honneur dû aux hommes de Torah est lié précisément à la Torah. Or dans un contexte complètement indépendant de la Torah, tous sont égaux[5].

     

    Yona GHERTMAN

     

     

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original:

     

    משך חכמה במדבר פרק ב פסוק יז

    (יז) ונסע אהל מועד מחנה הלויים בתוך המחנות, כאשר יחנו כן יסעו איש על ידו לדגליהם. הענין, דכבוד לא שייך רק כשהם במקום מלך הכבוד, אז היה יהודה בכור לדגלים וראובן שני לו. וכן מחוקי הנימוס, כשיש נכבד, אז צריכים לישב במשטר וסדר. ולכן בפרק הניזקין הפליגו רז"ל בשמירת הסדר בקריאה לספר תורה - החשוב קודם. ורמז לזה מצאנו בפרק שלושה שאכלו (ברכות מז, א): אין מכבדים אלא בפתח שיש בה מזוזה, וכל שכן בתי כנסיות ובתי מדרשות, לפי שכבוד אינו רק במקום מכובד. ואין מכבדים בדרכים. לכן אמר כאן שסדר הדגלים הוא לסדר חנייתם אצל אוהל מועד, הסדר הזה יהיה בעת המסעות גם כן, שאינו דומה לשאר דרכים שאין כבוד ואין סדר למעלה ולקדימה, משום שאהל מועד נוסע בתוך המחנות, ומלך הכבוד שרוי בתוכם, אם כן צריכים להיות בסדר חנייתם על ידו. ולזה כוונו רז"ל במנחות צה א: "ונסע אהל מועד" - אעפ"י שנסע, אוהל מועד הוא ואינו נפסל לחם הפנים ביוצא. היינו שקדושת אהל מועד ומעלתו לא נסתלקה בנסיעתם. וכוונו לדרוש זה מעומק הכוונה, לא מן הלשון

     


    [1] TB Guittin 59a.

    [2] TB Berakhot 57a.

    [3] Les Tossafistes rapportent un autre texte laissant entendre que le kavod s’applique même en chemin. Selon Rabbénou Tam, il convient en fait de faire une distinction lorsque plusieurs personnes sont en chemin, de manière séparée, ou en groupe. Dans ce dernier cas, si plusieurs marchent ensemble, alors le talmid ‘hakham doit effectivement être placé à une place d’honneur au sein du groupe (voir TB Yoma 57a et Tossfot, rapporté par le Rav Kuperman dans ses notes sur ce commentaire du Mechekh ‘Hokhma).

    [4] TB Mena’hot 95a.

    [5] Bien que ce commentaire n’ait pas une portée halakhique, on notera que de vraies questions de Halakha peuvent se poser à ce sujet. Par exemple : si le Rav cherche une place de parking pour aller au Beth haMidrash doit-on lui laisser la sienne ? Et s’il cherche cette place pour aller faire ses courses ?

  • De Berlin à Jérusalem, une dialectique de l'exil

      Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*  

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    De Jérusalem à Berlin : Une dialectique de l’exil

     

    A ceux qui voulaient « voir en Berlin leur Jérusalem », Rav Méïr Sim’ha HaCohen de Dvinsk promettait, dans son célèbre commentaire sur Parachat Be’houkotaï, « une tempête à la violence redoublée qui les jetterait dans un nouvel exil lointain ». L’auteur du Mechekh ‘Hokhma a quitté le monde durant l’été 1926, laissant celui-ci à sa terrible histoire. La « tempête » n’a pas fait que bousculer par la déferlante le peuple juif d’Europe meurtri par ses multiples fractures idéologiques et identitaires. Elle a emporté dans les cendres jusqu’au pronostic lui-même.

    Demeure cependant ce texte qui dérange. Une grille de lecture de l’Histoire en apparence verrouillée dont le déterminant négatif, celui qui appelle périodiquement toutes les catastrophes, serait la tendance à l’innovation religieuse, le ‘Hidouch. L’héritage traditionnel revisité par les jeunes loups, tout le peuple redeviendrait agneau, remis à nu, ailleurs, par les affres de l’exil. Fallait-il que ce trauma mainte fois ravivé au regard de l’Histoire jetât à jamais la suspicion voire l’anathème sur toute velléité de ‘Hidouch ? Rien ne commande de s’en tenir à cette caricature sauf à abdiquer devant le décryptage d’un grand texte, complexe, subtil.

    La réflexion du Mekhekh ‘Hokhma porte sur le verset de chute prenant le contrepied d’une terrifiante litanie de malédictions : « Et pourtant, même alors, quand ils se trouveront relégués dans le pays de leurs ennemis, je ne les aurai ni dédaignés ni repoussés au point de les anéantir, de dissoudre mon alliance avec eux ; car je suis l'Éternel, leur Dieu ! » (Lévitique XXVI,44)

    Dédain, rejet, anéantissement et reniement de l’Alliance évités de justesse, contenus in extremis par la Providence : tout semble relever d’une intentionnalité et vise à démontrer que « l’Eternel » est bien « leur Dieu », seul capable d’une telle intention et d’une telle dextérité dans l’administration du malheur. Nous serait-il donné de comprendre comment et pourquoi ? Le commentaire relève avec l’humilité et la réserve requises ce défi. Cela suppose un découpage de l’Histoire, une dialectique de l’exil et une élaboration critique des notions de ‘Hidouch et de citoyenneté.

     

    Un découpage de l’histoire

    Tout commence par une double finalité : offrir à l’ère messianique, au terme des siècles, un peuple de l’Alliance, fidèle à lui-même en tant que descendant des patriarches et une Torah transmise non moins fidèlement, exempte des scories et des trahisons, conservée dans sa pureté et dans son authenticité. Tout le reste, dès lors que ce peuple est au contact d’autres que lui, n’est que stratégie en réponse à l’obsédante question : comment contenir les risques d’assimilation et d’altération de l’héritage ?

    C’est déjà la préoccupation des « pères fondateurs » de la nation juive. A l’instar d’Abraham érigeant la précaution en principe, Jacob, au seuil de l’Egypte, consacre en sus les codes spécifiques des enfants d’Israël à travers le nom, la langue et l’habit. En intimant l’ordre testamentaire d’être porté en terre de Canaan, racine digne d’elle, il ajoute à la distinction le sentiment d’étrangeté. Joseph et ses frères feront promettre que l’on agisse de même avec leurs restes au terme de ce séjour définitivement perçu comme un exil. Les égyptiens déverseront leur mépris envers cette famille-nation sans lien organique avec eux, telle « des ronces au milieu des plantes. » « Distincts » et « étrangers » confirmera la Haggada.

    Sur la période des deux Temples, la capacité prophétique - Nevouah - et, pour le deuxième, l’inspiration mystique - Roua’h haKodech - couplés à l’infaillibilité des institutions en charge de la loi, de la justice et de la transmission, sont autant de garanties d’un bon exercice du ‘Hidouch et de l’appréciation des situations nouvelles. En outre, l’œuvre d’Ezra et de la grande Assemblée, notamment les fameux dix-huit décrets visant à régenter les rapports des juifs et des idolâtres, court tant que le Messie n’aura pas aboli « l’asservissement par les nations », n’en déplaise au prophète Elie qui, eschatologie oblige, devra patienter pour voir établir la caducité de ces décrets. L’héritage et le peuple sont, là encore, maintenus dans leur « authenticité », du moins jusqu’au grand exil…La dialectique de l’exil

    En l’absence des garanties d’antan c’est la Providence qui, à partir de la destruction du second Temple, se charge de tout désormais. Comment ? A l’image de La Dialectique du Maître et de l’Esclave d’Hegel, le Mechekh ‘Hokhma décrit une implacable dialectique fondée sur sa connaissance de l’Histoire et autres témoignages d’auteurs illustres.

    A la « tempête » des persécutions laissant un peuple juif exsangue en quête d’un lointain refuge succède une période d’un ou deux siècles de calme relatif. Pour survire, les juifs se rassemblent, se solidarisent à nouveaux, refont peuple. Comme on quitte un habit, ils abandonnent leur ancienne langue d’adoption pour revenir à la langue sacrée. C’est le temps de leur Renaissance : un esprit divin souffle sur ces cœurs éprouvés, suscitant un retour à une pratique délaissée et à une étude ruinée par les malheurs. On renoue avec l’espérance messianique et le message des prophètes. Progressivement, l’art de l’étude poussé au sommet à la faveur d’efforts mutualisés laisse entrevoir l’apogée de leur sagesse. Cette apogée, pourtant, porte déjà la marque du déclin.

    En effet, si l’Histoire universelle de la connaissance obéit, selon le Mechekh ‘Hokhma, au schéma de la disqualification par les nouvelles générations du savoir de ceux qui les ont précédées, c’est moins par l’expérimentation et l’effet d’accumulation de ce savoir que par le désir d’exister à tout prix à la grâce d’une rupture. Il est dans l’ordre des choses et dans la psychologie humaine de vouloir réinventer son temps, innover, découvrir, proposer l’interprétation inédite des phénomènes comme des textes. Ainsi, toute jeunesse a vocation à se dresser si elle ne veut pas mourir de frustration.

    Mais ce qui vaut pour la connaissance universelle, fruit de la raison humaine, ne vaut pas pour l’héritage de la Torah, fruit de la révélation. D’autant que les garde-fous - prophétie et institutions - qui, à l’époque des Temples, permettaient aux Sages d’innover forts de leurs outils d’exégèses, ne sont plus. D’où cette dimension tragique de la fracture générationnelle autour du savoir : que va devenir ce besoin existentiel d’innover devant l’interdit structurel d’innover ?

    C’est là que la dialectique de l’exil se poursuit dans sa phase régressive. Lors que l’étude et l’art du Pilpoul – la bien nommée dialectique talmudique – atteignent des sommets d’excellence, la nouvelle génération se cherche un objet révolutionnaire, attend de lui qu’il lui permette de sublimer son immense frustration. Si la capacité de l’approfondissent ne lui est pas donnée, elle se tourne, pour nourrir un propos novateur, vers des doctrines « fallacieuses », des horizons intellectuels « étrangers », des cultures, des langues « étrangères ». Les crédos sont contestés, la Critique Biblique jette la suspicion sur la sacralité des textes pour toute une jeunesse gagnée par l’hérésie. Pour l’assumer, il lui faudra oublier son histoire, sa misère d’antan, dénoncer l’imposture des anciens, se proclamer fils d’une nouvelle terre promise, faire de « Berlin » sa « Jérusalem ».

    Puis, se lève une « tempête » plus terrible encore. Retour au premier acte de la dialectique de l’exil, perpétuellement jusqu’au terme messianique…

     

    La critique du ‘Hidouch et de la citoyenneté

    Le sens de cette dialectique est inscrit dans sa finalité, double finalité comme évoqué : maintenir le peuple et sa Torah dans leur pureté. Pureté menacée compte tenu de la quiétude des jours heureux en pays d’accueil et du rejet par la génération qui n’a souffert ni lutté du « Grand Ennui » cher à Georges Steiner. A ceci près que le désir d’assimilation découle, dans la description du Mechekh ‘Hokhma, de la lassitude des jeunes esprits interdits de ‘Hidouch

    Au-delà d’une pensée située – l’opposition frontale à la Réfrome -, au-délà de la radicalité de cette pensée - occulter que la surabondance des savoirs est porteuse de non-savoir, conférer à l’histoire un caractère répétitif ou concevoir un futur déductible n’est pas plus aisé que de nier l’enrichissement mutuel des sages, des théologiens et des philosophes perceptibles chez tant d’auteurs trônant dans la bibliothèque juive - deux notions se trouvent ainsi en souffrance dans le discours de Rav Meïr Sim’ha haCohen de Dvinsk : le ’Hidouch, comme capacité de renouvellement, et la citoyenneté, comme mode d’appartenance à une nation « d’accueil ». La facilité serait de ne pas voir que, derrière ces anathèmes, entre le lignes, se profilent une pratique saine du ‘Hidouch, tout comme une juste appartenance patriotique.

    D’une part, la citoyenneté entendue comme appartenance à un ordre politique et social ne contrevient en rien, dans son principe et sous couvert de compatibilité avec les commandements, à l’idée de conserver intactes sa Mémoire, ses valeurs spirituelles, son identité essentielle, sa fidélité aux fameuses « racines ». Au fond, cette citoyenneté-là ne se joue pas sur le terrain de l’exclusivité et ne se nourrit pas de ce qui compose l’identité juive.

    D’autre part, l’art du ‘Hidouch « en exil » auquel il est tragiquement impossible de renoncer, trouve peut-être sa juste mesure dans un sens aigue de la perception de soi et du monde, rapport dynamique qui fait voir à chaque instant une nouvelle combinaison, un nouveau trait du texte infini. A chaque instant, nous sommes autres, animés par une force créatrice nouvelle. Connectés au monde, nous sommes révolutionnaires à perpétuité. On pourra sans doute lire ainsi l’appendice du commentaire du Mechekh ‘Hokhma relisant la métaphore talmudique brodée sur un verset des Psaumes au début du traité Pessa’him. « Telle la lumière du matin dans ce monde-ci, ainsi brillera la lumière pour les justes dans l’autre monde » : les justes en perpétuelle découverte-émotion-élévation, lumineuse dialectique digne de l’aube sautillante, de ces matins de l’ici-bas où un autre monde se fait jour à chaque seconde.

    Une dernière interrogation demeure, et non des moindres. Ici et maintenant, où nous situons-nous selon le « récit » du Mechekh ‘Hokhma : dans l’imminence d’un déracinement salutaire ou à l’aube d’un siècle de renouveau ? Berlin prise naguère pour Jérusalem, Jérusalem prise demain pour Berlin ?

     

    Rabbin Nissim Sultan

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original:

    משך חכמה ויקרא פרק כו פסוק מד
    (מד) ואף גם זאת בהיותם בארץ איביהם לא מאסתים ולא געלתים לכלתם להפר בריתי אתם כי אני ה' א - לקיהם. הענין הוא, שנתבונן קצת בדרכי ההשגחה העליונה קצת מה שיוכל להבין. וזה, כי כאשר גזרה החכמה העליונה אשר ישראל יתנודדו בארצות, שנים רבות מאוד מאוד, עד זמן אשר חקקה המטרה הא - לקית, אשר לבא לפומא לא גליא, חשבה אופנים ותחבולות אשר ישראל יתקיימו לגוי ולא יתבוללו בעמים. והעירה על זה גדולי האומה לעשות בזה גדרים סייגים, אשר האומה תתקיים בשאון גלי הים ולא תטבע במצולות הסער השוטף ברוח אמיץ וכביר. והנה הראשון המורה דרך ומלמד ראשי האומה הוא אבינו הזקן יעקב, אשר ראה את אשר יקרה אותנו באחרית הימים, חשב אשר אם יהיה שבעים איש בגוי חזק ואמיץ כמצרים מלפנים, הלא יתבוללו ויתבטלו אחד ברבבות רבבה. חשב תחבולה ועצה, אשר בניו יהיו מצויינים שם בבגדיהם ובשמותם. ולכן היו ישראל לגוי בפני עצמו. ואם היה יעקב, אבי כל שבטי ישראל, קבור שם, הלא היו מתיאשים מארץ כנען והיו משתקעים במצרים ומחשיבים אותה לארץ מולדתם, והיה בטל יעוד האלקי עליהם, כי לא יהיה זרע אברהם רק חלק אחד מעם מצרים. לכן צוה בכל עוז לקבור אותו בארץ כנען (בראשית מז, כט - לא), וידעון כי אבות האומה ויחוסה הוא בארץ כנען [שכאשר ידעו מעלתו, היו משתוקקים לקוברו וחשבוהו כאשר הוא למזבח, כמו שאמרו מה מזבח מכפר וכו'. ועיין במדרש שלא יעשו אותו עבודה זרה, יעויין שם].
    ובזה נקבע בנפש בניו קישור טבעי להשתוקק אל ארץ אבותיהם ולחשוב עצמם כגרים. וזה (דברים כו, ה) "ויגר שם" - מלמד שלא ירד יעקב אבינו להשתקע אלא לגור שם (ספרי שם). פירוש, מלמד לדורות בכל גלות וגלות ההנהגה, שידעון שלא ירדו להשתקע רק לגור עד בוא קץ הימין, ויהיו נחשבים בעיני עצמם לא כאזרחים. וכן צוה יוסף (בראשית נ, כה) "פקד יפקד (א - להים אתכם, והעליתם את עצמותי מזה"). וכן כל השבטים, שבזה הניחו שורש גדול בלבב ישראל. ולכן (שמות א, יב) "ויקוצו מפני בני ישראל" - שהיו נחשבים בעיניהם כקוצים (סוטה יא, א) - שכמו שהקוץ אינו נסבך ועושה שרשים בשאר נטעים ואילנות, כן היו נחשבים ישראל, שלא דימו את עצמם למצרים והיו נפרדים בתכונותיהם ובהרגשתם, עד כי היו בעיני המצרי כקוץ. ומזה למדו גדולי האומה - ובראשם עזרא ואנשי כנסת הגדולה - שגדרו וסייגו האומה בי"ח דבר, להיבדל מן הגויים בכל דרכיהם, שידעו ישראל כי הוא אכסנאי וגר בארץ נכריה, והוא כשתילי זיתים שאינו מתערב עם הרכבה אחרת. ולכן אמרו בירושלמי שאפילו אליהו אינו יכול לבטל. פירוש, כל זמן שלא בא הגואל ויפסק שעבוד מלכיות, אפילו בא המבשר ואמר כי תיכף יבא, לא יבטלו, שהם הם הדברים המקיימים להאומה בגולה, ומזכירים אותו שהוא ישראל והוא בארץ לא לו.
    והנה מעת היות ישראל בגויים, ברבות השנים, אשר לא האמינו כל יושבי תבל כי יתקיימו באופן נפלא אשר לא ישער מחשבת אדם משכיל, היודע קורות הימים והמצולות אשר שטפו באלפי שנים על עם המעט והרפה כח וחדל אונים [אשר זה לבד גם כן מופת נפלא וגדול על קיום האומה למטרה נשגבה א - לקית, אשר נתנבאו עליה הקדמונים]. הנה דרך ההשגחה כי ינוחו משך שנים קרוב למאה או מאתיים. ואחר זה יקום רוח סערה, ויפוץ המון גליו, וכלה יבלה יהרוס ישטוף לא יחמול, עד כי נפזרים בדודים, ירוצו יברחו למקום רחוק, ושם יתאחדו, יהיו לגוי, יוגדל תורתם, חכמתם יעשו חיל, עד כי ישכח היותו גר בארץ נכריה, יחשוב כי זה מקום מחצבתו, בל יצפה לישועת ה' הרוחניות בזמן המיועד. שם יבא רוח סערה עוד יותר חזק, יזכיר אותו בקול סואן ברעש - "יהודי אתה ומי שמך לאיש, לך לך אל ארץ אשר לא ידעת"!
    ככה יחליף מצב הישראלי וקיומו בעמים, כאשר עין המשכיל יראה בספר דברי הימים. וזה לשתי סיבות: לקיום הדת האמיתי וטהרתו, ולקיום האומה. כי כאשר ינוח ישראל בעמים יפריח ויגדל תורתו ופלפולו, ובניו יעשו חיל, יתגדרו נגד אבותיהם, כי ככה חפץ האדם אשר האחרון יחדש יוסיף אומץ מה שהיה נעלם מדור הישן. וזה בחכמות האנושית, אשר מקורן מחצבת שכל האנושי והנסיון, בזה יתגדרו האחרונים יוסיפו אומץ, כאשר עינינו רואות בכל דור. לא כן הדת הא - לוקי הניתן מן השמים, ומקורו לא על ארץ חוצב. הלא אם היה בארץ ישראל מלפנים, הלא היה להם להתגדר בתיקון האומה כל אחד לפי דורו - בית דין הגדול היה יכול לבטל את דברי בית דין הקודם. ומה שנדרש ב - י"ג מידות, אף בית דין קטן היה יכול להראות אופן הישר בעיניהם. וראה ביום הכיפורים לענין שעורים מה שאמרו, שבדיני נפשות הוא כל אחד כפי הסכם חכמי דורו איזה שעור קצוב, יעויין שם. ומלבד זה היה תמיד הופעה א - לקית רוחנית, מלבד מקדש ראשון, ששרה עליהם הרוח, והיו נביאים ובני נביאים, ואסיפת בעלי חכמה והטהרה המוכשרים לזה, כאשר כתב הרמב"ם בהלכות יסודי התורה, והיה אורים ותומים. אף במקדש שני אמרו ששם שואבים רוח הקודש, והיה גלוי אור א - לקי תמיד חופף, אשר לא ידעו הדור מלפנים. ומההנהגה של האומה בענינים הזמניים, כאשר היה המשפט מסור להם לדון להוראת שעה, שהשעה היה צריכה לכך.
    לא כן בגולה, שנתמעט הקיבוץ והאסיפה בלימוד התורה, שמטעם זה אין רשות לשום בית דין לחדש דבר, כמו שכתב הרמב"ם בהקדמתו לספר משנה תורה, ואין שום חוזה ונביא, ומחיצה של ברזל מפסקת בין ישראל לאביהם שבשמים. כך היה דרכה של האומה, שכאשר יכנסו לארץ נכריה, יהיו אינם בני תורה, כאשר נדלדלו מן הצרות והגזירות והגירוש, ואח"כ יתעורר בהם רוח א - לקי השואף בם להשיבם למקור חוצבו מחצבת קדשם, ילמדו, ירביצו תורה, יעשו נפלאות, עד כי יעמוד קרן התורה על רומו ושיאו. הלא אין ביד הדור להוסיף מה, להתגדר נגד אבותם! מה יעשה חפץ האדם העשוי להתגדר ולחדש? יבקר ברעיון כוזב את אשר הנחילו אבותינו, ישער חדשות בשכוח מה היה לאומתו בהתנודדו בים התלאות, ויהיה מה. עוד מעט ישוב לאמר "שקר נחלו אבותינו", והישראלי בכלל ישכח מחצבתו ויחשב לאזרח רענן. יעזוב לימודי דתו, ללמוד לשונות לא לו, יליף מקלקלתא ולא יליף מתקנא, יחשוב כי ברלין היא ירושלים, וכמקולקלים שבהם עשיתם כמתוקנים לא עשיתם. "ואל תשמח ישראל אל גיל כעמים" (הושע ט, א).
    אז יבוא רוח סועה וסער, יעקור אותו מגזעו יניחהו לגוי מרחוק אשר לא למד לשונו, ידע כי הוא גר, לשונו שפת קדשנו, ולשונות זרים כלבוש יחלוף, ומחצבתו הוא גזע ישראל, ותנחומיו ניחומי נביאי ה', אשר ניבאו על גזע ישי באחרית הימים. ובטלטולו ישכח תורתו, עומקה ופלפולה, ושם ינוח מעט, יתעורר ברגש קודש, ובניו יוסיפו אומץ, ובחוריו יעשו חיל בתורת ה', יתגדרו לפשט תורה בזה הגבול, אשר כבר נשכחה, ובזה יתקיים ויחזק אומץ. כה דרך ישראל מיום היותו מתנודד - פוק חזי אמירות דברים בספר אור זרוע סוף הלכות תפילה בתשובה מר"א מביהם ז"ל מעמד האומה בארצות פר"א, יעויין שם!
    וזה "לא מאסתים" - מיאוס הוא על שפלות האומה בתורה והשכלה הרוחנית המופעת מתורתנו הכתובה והמסורה. "לא געלתים" - הוא על גיעול ופליטה ממקום למקום. "לכלותם" - הוא על הגלות שזה גיעול וכליון חרוץ להאומה. "להפר בריתי אתם" - הוא על שכחות התורה. רק "כי אני ה' א - לקיכם", רצונו לומר, שהגיעול והמיאוס הוא סיבה שאני ה' א - לקיהם. אבל לא מיאוס וגיעול מוחלטת "לכלותם ולהפר בריתי אתם" חלילה. שעל ידי זה יתגדל שמו ויתקיים גוי זרע אברהם, זרע אמונים, ראוי ועומד לקבל המטרה האלקית, אשר יקרא ה' לנו באחרית הימים בהיות ישראל גוי אחד בארץ, והיה ה' אחד ושמו אחד. ויש לנו בזה דברים רבים ואכמ"ל.
    וזה לדעתי ביאור הגמרא ריש פסחים: וכאור בוקר בעולם הזה יזרח שמש לצדיקים לעתיד לבא, אשר רש"י ור"ת נדחקו בה. ולפי זה כך פירושה, דכמו דאילת השחר שהוא קופץ כאיל, ומרגע לרגע יפול אור יותר בהיר ויש הוספה בהאור, כן יזרח שמש לצדיקים לעתיד לבא. שזריחת השמש בעולם הזה על אופן אחד, מה שאין כן לעתיד לבא יהיה תמיד הופעה חדשה והשגות גדולות מרגע לרגע, במה שידעון מה שלא ידעו בידיעת השי"ת. ויתוסף להם הוספה והארה בכבודו יתברך מעת לעת, וכמו שאמר (תהלים פד, ח) "ילכו מחיל אל חיל", שלא יהיה לתלמיד חכם מנוחה בעולם הבא, כך שיהיו רצים בהשגה ובהארת אור א - לקי בלי הפסק. ובזה הפרט יהיה כאור בוקר, שהדמיון הוא בהוספת האור ומרוצתו המתגדלת מרגע לרגע ואינו עומד על תכונה אחת. בינה זה!

     

  • L'éthique dans le culte

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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     L’éthique dans le culte…

     

    La Parashat Emor continue les règles concernant le service du Temple qui étayent le livre de Vayikra : lois concernant les prêtres ou les sacrifices.

    Au milieu des lois des sacrifices, une accumulation de lois interpelle le Mesheh-Hohma. Ainsi, les versets XXII,26-32 interdisent de sacrifier un animal trop jeune, ou encore de sacrifier un agneau et sa mère un même jour, ou encore l’obligation que le sacrifice soit offert du plein gré par son propriétaire. Ces lois qui ne sont pas purement « cultuelles » méritent une attention particulière.

    Alors que l’idolâtrie se caractérisait par une centralité du service de l’idole, la Torah, fait remarquer le Mesheh-Hohma, a annoncé une nouvelle manière d’être religieuse… Ses préceptes ne se confinent plus aux simples détails du service d’un temple, mais (au contraire pourrait-on dire), ils viennent gérer la société, en assurer la rectitude et la morale de ceux qui l’habitent. La Torah se préoccuperait ainsi, principalement, de « l’extérieur du Temple ». Mais c’est là une description bien partielle des livres de la Torah ! C’est occulter tout le livre de Vayika – notre livre – qui lui, comme les cultes idolâtres oserait-on dire, accumule les détails sur le service de Dieu au travers des sacrifices, des libations, des encens etc.…

    Ces lois sont-elles semblables ? Non, affirme le Mesheh-Hohma ! Elles sont même radicalement différentes[1] ! Les versets de notre Parasha en sont la preuve. Au sein même du service du Temple, la préoccupation éthique est présente : pas de cruauté envers les animaux ; pas de violence envers les hommes – leurs sacrifices doivent être pleinement offerts etc…

    Les spécialistes feront peut-être la moue à la lecture de cette exégèse. Résumer les religions idolâtres à un simple culte sans lois de société qui l’accompagneraient est vraisemblablement un raccourci facilement réfutable. Il n’en reste… Il n’en reste qu’il est pour nous intéressant, au-delà de l’exactitude historique du commentaire, que le Mesheh-Hohma soit interpellé sur la place primordiale de l’éthique, au sein même du culte.

    De manière imagée, on pourrait dire que le Mesheh-Hohma nous rappelle ici, que même dans notre relation verticale, la relation horizontale reste omniprésente…

    Benjamin Sznajder

     

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original:

    וידבר ד' אל משה לאמר שור כו' והיה שבעת ימים תחת אמו כו' ושור או שה אותו ואת בנו ל"ת כו' לרצונכם תזבחו כו' ולא תחללו את שם קדשי ונקדשתי בתוך ב"י. הכונה, דידוע שעניני עבו"ז היה לההנות להצורות המשפיעים (לפי דמיונם) במסירות נפשם ובשרפת בניהם ובנותיהם, ובהתגודדות, ובשריטה, הכלל להרבות אכזריות ונקימה בנפש האדם, וכמו שאמר הנביא זובחי אדם עגלים ישקון, עד שהאיר הקב"ה באור תורתו, אשר צוה מצות לישראל לתועליותם ולשלמות המציאות, לא לשלמותו, כי אם צדקת מה תתן לו כו', ולבושו צדקה, הוא נתן ביסודי תורתו חמלה וחנינה על נפש האדם בלי הפוגה ובמחלוקות שונות הכהן מצוה לקדשו, הלוי לשמחו, הישראלי לחוננו בהונו, ובל ימכר לעבד, ואם ימכר באופנים שונים, אז לא תרדה בו בפרך, הגר תושב להחיותו, עבד כנעני שלא לבישו, הבהמה שלא לצערה, ואם נאכל בשרה לא נאכל בלי חמלה, רק באופנים שונים, אשר ממעטים צערה רק כצער המות, אשר מזה לא תנצל, ולא נדוש בחסימה, ושביתה לעבד ובהמה, ופקוח נפש דוחה כל התורה, הקיצור כל התורה ומצותיה מורים חמלה, חנינה, חסד דרכיו של השי"ת. והכפילה התורה אזהרה להקריב קרבנות רק ממינים המצויים ולא הטריח הקב"ה לצוד במדבר (תו"כ) ולהסתכן ע"ז, ושלא להקריב בעודו יונק בתוך ז' תחת אמו, כי הוא חמל גם על נפש הבהמי [כאשר תמצא נשגבות לחכמי הפלסופים], ושלא לשחוט אותו ובנו ביום אחד, וכבר התעוררו ע"ז בעלי המדרש יודע צדיק נפש בהמתו זה הקב"ה, שכתב בתורתו שור או כשב כו' ורחמי רשעים אכזרי זה המן הרשע כו', להורות, כי אין להשם תועליות בזבח ולא חפץ בקרבן, רק עשות חסד ולכת בדרכיו, ולכן לרצונכם תזבחו שיאמר רוצה אני, והשמרו בני, שלא להורות דבר אכזריות בזה, רק ושמרתם מצותי ועשיתם אותם כו' ולא תחללו את שם קדשי, ששמו הטוב מורה על היותו מהוה ומחיה העולמים ורוצה בקיומם ואינו חפץ בהשחתת בריותיו חלילה, לחלל שמו הטוב והקדוש, אולם לא תדמו, כי אם יקרה שיגזרו עליכם לחלל מצותי ולבזות כבודי, כי גם אז תיקר נפשיכם, לא כן ונקדשתי בתוך בנ"י, שאתקדש ותמסרו נפשיכם על כבודי, שזה קדוש השם להבורא, שמצותיו קבועין בנפשותם במסמרות בל ינתקו, שאם המצוה היה באכזריות היה חלילה חלול השם, אבל כיון שאין זה מסבות המצוה, רק מרוע בן אדם הרוצה לבזות שמו הקדוש, אז מצוה לקדש שמו ולהעלות כעולה כליל על אש הדת ולהאיר בזה עיני ישראל הנשארים איך לעבוד לאדון כל היצורים.

     

     

     


    [1] L’approche est ici ressemblante à celle de Maimonide dans le Guide des égarés : le culte ressemble, pour mieux s’en différencier. On offre des sacrifices, certes, mais leurs détails sont autant de renvois en miroir aux cultes avoisinants.

  • La valeur du sang de ton prochain

       Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Mecheh' Hoh'ma, Ah'arei Mot - Kédochim

    La valeur du sang de ton prochain

     

    La sidra de Kédochim tonne un appel solennel à la Kédoucha, la sanctification de notre vie. Sans transition s'ensuit toute une série de commandements sans rapport apparent les uns les autres.

    Le verset 16 nous enjoint de ne pas rester indifférent, ne pas se tenir sur le sang de son prochain, 'לֹא תַעֲמֹד עַל דַּם רֵעֶךָ אֲנִי ה.

    La Torah, en nombreux endroits, nous enseigne le respect de la vie humaine, la plaçant comme valeur cardinale du Judaïsme; sa préservation en toute circonstance doit être recherchée, la plupart des interdits de la Torah peuvent y être trangressés pour cela et une extrême rigueur est exigée aux juges afin de rechercher autant que possible à préserver chaque âme.

    Au niveau du sens simple, ce verset condamne, de manière implicite, celui qui refuse de porter assistance à une personne en danger, comme l'explicite Rachi, voir et laisser mourir son prochain lorsqu'on a une possibilité de l'aider et de le sauver.

    Il existe beaucoup d'autres extensions à cette défense, soulevées par plusieurs exégètes, ainsi que bon nombres d'applications pratiques.

    Le Méchekh’ H’okh’ma y soulève son corollaire judiciaire et va y jalonner les contours de cette injonction divine.

    Lors d'un procès où une vie humaine est en jeu, toute personne possédant un témoignage pouvant potentiellement sauver une vie et qui ne le présente pas devant la cour viole cette mise en garde divine et est appelé "שופך דמים", meurtrier. Et ce, même si le Beth Din ne convoque pas ce témoin.

    Et le Rav Méïr Simh'a haCohen va encore bien plus loin, dans son אור שמח sur le Rambam. Il va d'un certaine manière, "oser" un glissement entre la lamdanout  d'une oeuvre plutôt technique (du אור שמח) vers le monde de la mah'shava, de la pensée, du sentiment.

    Pour lui, la proscription du לא תעמוד va jusqu'à enjoindre le Cohen affairé par son service divin au Temple, à aller porter un témoignage à la condition qu'il puisse permettre d'y apporter des éléments en faveur d'un meurtrier dont la vie pourrait être épargnée. Et ce, quitte à annuler son service.

    Voici donc, selon le Méchekh’ H’okh’ma, le sens de 'לֹא תַעֲמֹד עַל דַּם רֵעֶךָ אֲנִי ה, ne reste pas indifférent au sang de ton prochain, même dans Mon Temple, dans cet endroit où Ma présence est la plus manifeste, où Je suis pleinement, à vos yeux et à ceux du monde, 'ה.

    Telle est la valeur du sang d'un homme au regard de la Torah.

     

    Elie DAYAN

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original:

     

    לא תעמוד על דם רעך אני ד'. בספרא. ומנין שאם אתה יודע לו עדות שאין אתה רשאי לשתוק עליו ת"ל לא תעמוד על דם רעך. פירוש בדיני נפשות שאם יודע עדות לזכותו ונמנע ה"ז שופך דמים וכמו דמוקי הגמ' בסנהדרין דמכאן אף למטרח ולאגורי. ודוקא שיודע לזכותו בדיני נפשות, אבל דיני ממונות הוא רק בשתבעו הבע"ד להעיד ובאם לא יגיד כמבואר ריש הלכות עדות ברמב"ם יעו"ש. ובספר המצות סימן רצ"ז באו כאן דברים אינן מדוקדקין (אולי מסבת ההעתקה). וזה שאמר שבדיני ממונות אינו עובר באם לא יגיד רק כשיתבענו, אבל בדיני נפשות אפילו אין הבע"ד תובעו לא תעמוד על דם רעך שאני ד', אני הוא התובע דמי נפש נקי. ויעוין רש"י. ויתכן יותר, דיעוין בספר אור שמח הל' רוצח, דרבינו מפרש הך דיומא דף כ"ה דאמר ולא מעל מזבחי שעל גג של מזבח אם הוא כהן ועבודה בידו אינו מבטל עבודה דוקא למות, שהעובד יודע עדות להמית הרוצח לא יבטל עבודה, אבל להחיות ללמד זכות להרוצח משום פקוח נפש מבטל העבודה. יעו"ש. ולפ"ז למות דעובר משוס לא תעמוד על דם רעך הוי אפילו כשכהן עומד על גג המזבח ועבודה בידו מבטל עבודה, כדי להעיד עליו להחיותו, לכן אמר כי בסוף מנחות אמר בן עזאי, שלא נאמר בקרבנות לא א"ל ולא שי"ן דל"ת, ולא אלדים רק הוי' שלא ליתן פ"פ למינים, יעו"ש, ולכן לא תעמוד על דם רעך, שמחויב אתה להעיד אפילו במקום שאני ד', הוא בכהן שעבודה בידו על גג המזבח בעוסק בעבודה, ששמה אני ד' הוי' לבדו בלא שאר שמות ג"כ לא תעמוד על דם רעך, דלהחיות אפילו מעל מזבחי. ודו"ק. ויעוין מכות דף כ"א כזה גבי כתובת קעקע. עיי"ש. ועוד יתפרש אני ד' אני הוא שהעדתי זכות תחלה על ישמעאל ועל ישראל בים. יעוין ירושלמי רה"ש פ"א.

  • Paracha Chemini d'après le Mechekh 'Hokhma

      Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Parachah CHEMINI : La communauté sera toujours là

     

     

             La Parachah Chemini nous relate la mort des enfants d'Aaron, Nadav et Avihou. Cet événement est bouleversant : ces deux individus étaient deux justes, et ils sont sanctionnés pour une faute infime, quasi involontaire.

             Selon le Mechekh Hokhma, ils se sont trompés lorsqu'ils ont amené l'encens en offrande à Dieu.  Il y avait un autel extérieur (Mizbeah 'Hitzoni)  et un autel intérieur (Mizbeah Pnimi). Dieu exigeait que les offrandes d'encens soient apportés dans le Saints des Saints, comme cela est enseigné au début de la Parachah Ki Tissa et cela nécessitait un apport du sacrifice sur l'autel intérieur. Mais les enfants d'Aaron  ont vu les nuées  de gloire qui accompagnaient les enfants d'Israel depuis la sortie d’Égypte au dessus de l'autel extérieur, et en on déduit, à tort, que les lois des sacrifices étaient indifférentes pour les deux autels. D'où leur erreur fatale.

             On reste ici étonnés, voire choqués : Dieu serait il aussi impitoyable ?  En réalité, il y a un principe connu, que les justes, comme Nadav et Avihou sont beaucoup plus sévèrement sanctionnés que les gens moyens comme nous tous.

             Reste que ce jugement est très dur. Et la Torah elle même rend compte de cette exigence infinie, et sans doute invivable pour nous, juifs français qui vivent plus de 3000 ans après ces faits.

    Elle nous relate alors le deuil des frères d'Aaron, et leur manière de vivre cette tragédie au sein du peuple.

    « Moïse dit à Aaron ainsi qu'à Eléazar et à Ithamar, ses fils survivants: "Prenez la part d'oblation (Minha) qui reste des combustions des sacrifices, et mangez-la en azymes à côté de l'autel, car elle est éminemment sainte » » 

    Voyons précisément ce qui dit le Mechekh Hokhma sur ce verset :

    « Mangez la en azymes, à coté de l'autel ; et non à côté de l'arche d'alliance, car comme l'ont enseigné les Sages dans Zevahim 63 : l'arche d'alliance est assimilée à la mort, l'autel est assimilé à la vie.Car l'arche d'alliance est la résidence de la Gloire divine dans son essence, et il faut pour s'y approcher une purification totale, ce qui n'est pas le cas de l'autel qui montre l'unité du peuple dans son lien avec Dieu, et dans un coeur unique. Et en cela on dit que puisque la malédiction était grande, seul l'autel était disposé à ce sacrifice.»

    Le Mechekh Hokhma semble distinguer deux modalités du service divin à travers les deux ustensiles que sont l'arche d'alliance et l'autel:

    • un service divin où l'on approcherait la gloire Divine dans son essence est associé à  l'arche d'alliance et est réservé au Cohen Gadol le Jour de Kippour. Une purification totale est absolument nécessaire pour ce service, où la limite entre vie et mort peut être franchie très facilement (et tragiquement).
    • C'est justement ce qui est reproché à Nadav et Avihou : un manque de préparation dans ce service qu'on peut qualifier d'extrême.
    • Un service divin de vie, associé à la communauté d’Israël reliée à ses ancêtres et à son Créateur, et avec un souci constant d'unité. Ce service est associé à l'autel, où l'on amenait les offrandes collectives. C'est grâce à cette dimension de coeur et d'unité que Eleazar et Ithamar, enfants d'Aaron, pourront se consoler de la perte de leur frère.

    On voit donc que le service divin est chose peu évidente, mais que malgré les erreurs inévitables qui y sont inhérentes, et qui peuvent parfois avoir des conséquences tragiques, il sera toujours possible de le vivre en collectivité avec amour, comme le suggère la thématique de l'offrande collective associée à l'autel.

    Nathaniel Benchimol

     

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

    משך חכמה ויקרא פרק י
    (א) ויקחו בני אהרן וכו' וישימו עליה קטרת. פשט המקרא נראה דהם הקטירו הקטורת במזבח החיצון, וכן כתבו בתוספות עירובין דף סג, א ד"ה מאי דרוש, עיין שם. וטעמם היה, דמה שציוה להקטיר במזבח הפנימי משום ששם היה קודש הקדשים, והיא מעצמותה קודש הקדשים, וכן כתוב בראש כי תשא "במקום אשר אועד לך שמה". וכעת שהכל ראו את הכבוד במזבח החיצון, היה עולה על דעתם שדין מזבח החיצון הוא כמזבח הפנימי. וטעו מפני שראו שקרבן חטאת של אהרן נשרף, והיה בדמיונם שקדושת המזבח בשמיני דין היכל יש לו - "וכל חטאת אשר יובא מדמה אל הקודש פנימה באש תישרף" (לעיל ו, כג). שכל חטאת פנימי נשרפת, ולכך נשרף פרו של אהרן, ולכך הקטירו על מזבח החיצון, ונשרפו. לכן על "שעיר החטאת" (להלן י, טז) - כפשוטו, שעל שעיר העם קאי, שחטאת העם נשרף - "דרש (דרש משה) והנה שורף" (שם שם). ולכך "ויקצוף על אלעזר ואתמר בניו הנותרים" - שאף הם היו ראויים לשריפה [סוף יומא (פז, א)]. שלדעתו שטעו שדין חטאת בשמיני - שהכל ראו הכבוד במזבח החיצון - הוי חטאת דין חטאת פנימי יש לו ונשרף. אם כן זה הטעות של נדב ואביהוא שמפני זה הקטירו במזבח החיצון, ואם כן גם הם ראויים לאותו עונש, ודו"ק. אמנם רבותינו פירשו באופן אחר, יעויין בתורת כהנים.

     


     

  • Paracha Tsav, selon le Mechekh 'Hokhma

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Parachat Tsav : le 'Cohen-objet'

     

    La paracha de Vayikra, et avec elle la majorité de celle de Tsav, traite du sujet des korbanot. Quand faut-il les offrir et quand est-ce un choix, qu’offrir, que doit-on faire avec…

    Les derniers 36 versets de notre paracha vont quant à  eux détailler le premier jour de la consécration de Aaron et de ses fils à leur rôle de cohanim dans le Michkan. L’une des actions nécessaire était celle de l’aspersion d’huile d’onction et de sang sur les cohanim et leurs vêtements :

    « Alors Moché prit de l’huile d’onction et du sang qui était sur l’autel et en fit aspersion sur Aaron, sur ses vêtements, puis sur ses fils et sur les vêtements de ses fils aussi ; il consacra ainsi Aaron, ses vêtements, et ses fils et les vêtements de ses fils, avec lui. »  (Vayikra, VIII, 30).

    À la fin du verset le mot אתוavec lui- semble superflu. Il est clair que si Aaron, ses vêtements, ses fils et leurs vêtements ont reçu l’aspersion les consacrant, ils le sont donc tous, « avec lui ».  Le Mechekh Hokhma nous rapporte le Sifri sur la parachat Nasso – commentant l’inauguration du Michkan- la suite (logique) de notre paracha. Là aussi l’action d’oindre afin de consacrer est présente. Le Sifri vient nous expliquer que nous aurions pu croire qu’au fil des onctions se firent les consécrations : que chaque objet oint fut consacré, tour à tour. Les derniers mots du verset  וימשחם ויקדש אתם – il les a oints et consacrés- qui semblent être redondants, viennent au contraire nous expliquer que la sainteté sur les objets ne prit effet que lorsque tout ce qu’il fallait consacrer fut oint.  Il en est de même dans notre cas. Bien qu’Aaron et ses vêtements reçoivent leur aspersion avant ses fils et leurs propres vêtements, tous furent consacrés au travail dans le Michkan en même temps.

    La consécration simultanée d’Aaron et ses vêtements, de ses fils et de leurs vêtements, a une autre répercussion. Non seulement Aaron et ses fils sont dorénavant au service du Michkan et le sont devenus en même temps, mais ils sont aussi égaux à ce qui a été consacré en même temps qu’eux : leurs vêtements. Ou plus précisément à tous les ustensiles nécessaires à leur fonction. L’une des conséquences et qu’il ne sera pas nécessaire de répéter cette consécration[1], même dans le futur.  Le Mechekh Hokhma indique une deuxième halakha[2] qui découle de cette consécration unique : Si l’un des ustensiles du michkan se casse, il suffit de fondre le métal afin de recréer l’ustensile. La kedoucha de l’ustensile cassé reste intacte sur le métal fondu et le nouvel ustensile a donc le même caractère sacré que l’original.

    Au-delà de ces deux conséquences halakhiques s’ajoute à mes yeux une autre dimension. En comparant Aaron et ses fils à leurs vêtements (et aux ustensiles du Michkan), ils perdent une partie de leur identité personnelle, de leur indépendance : ils sont dorénavant dédiés au service de Dieu. Ce n’est qu’en faisait annulation de leur identité personnelle qu’Aaron et ses fils peuvent représenter le Peuple dans leur service[3]. Notre verset, par ses mots « redondants » vient faire allusion à ceci. Dès l’instant où le Cohen, ayant été oint,  ne peut pas se sentir « supérieur » aux autres car par cette même action il a été « rabaissé » au niveau d’un objet, il lui sera possible de se dédier, corps et âme, au service qui est demandé de lui.

     

    Nathalie Loewenberg

     

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

     

    ויקרא פרק ח

    (ל) וַיִּקַּ֨ח מֹשֶׁ֜ה מִשֶּׁ֣מֶן הַמִּשְׁחָ֗ה וּמִן־הַדָּם֘ אֲשֶׁ֣ר עַל־הַמִּזְבֵּחַ֒ וַיַּ֤ז עַֽל־אַהֲרֹן֙ עַל־בְּגָדָ֔יו וְעַל־בָּנָ֛יו וְעַל־בִּגְדֵ֥י בָנָ֖יו אִתּ֑וֹ וַיְקַדֵּ֤שׁ אֶֽת־ אַהֲרֹן֙ אֶת־בְּגָדָ֔יו וְאֶת־בָּנָ֛יו וְאֶת־בִּגְדֵ֥י בָנָ֖יו אִתּֽוֹ:

    משך חכמה ויקרא פרק ח

    (ל) ויקדש את אהרן את בגדיו (ואת בניו) ואת בגדי בניו אתו. יתכן מה שדייק מילת "אתו", כמו דתנן בספרי נשא סימן מ"ד: "וימשח אותו ויקדש אותו ואת כל כליו" (במדבר ז, א), שומע אני ראשון ראשון שנמשח היה קדוש, תלמוד לומר "וימשחם ויקדש אותם" (שם) - מגיד שלא קידש אחד מהם עד שנמשחו כולם. כן באהרן ובניו, לא נתקדש אהרן עד שנמשחו בניו, וזהו "ויקדש את אהרן וכו' ואת בניו ובגדי בניו אתו" - ש"אתו" נתקדשו יחד, שלא נתקדש אהרן קודם הזיה שעל בניו, ונכון. והנה בכל מילי שוים הכהנים לכלי שרת, שאהרן ובניו במשיחה, וכל הכהנים בהלבשה ועבודתם מקדשתם [עיין יומא דף יב, א ודו"ק שם]. וכן בכלים, הראשונים במשיחה והאחרונים בעבודה. וכן אמרו בתורת כהנים צו פרק יח סעיף א: יכול יהא אהרן ובניו טעונים משיחה לעתיד לבא, תלמוד לומר זאת משחת אהרן וכו'. וכן בכלים כתב הרמב"ם פרק א מהלכות כלי המקדש: ואם נשברו מתיך אותן ועושה אותן כלי אחר, ואין קדושתן מסתלקת מהן לעולם. הרי אנו רואים דבהנך מילי שוים הם ודו"ק.

     

     

     

     

     

    [1] Dans le talmud Yerouchalmi , Chviit 1, 1 il est demandé d’où vient la nécessité de décrire cette investiture en détails puisqu’elle ne sera pas répétée à l’avenir. La réponse donnée est que comme pour le Déluge, cette narration est nécessaire à notre connaissance de notre histoire.

    [2] Ramban Klei Hamikdach, 1, 13

    [3] Voir le le Rashar Hirsh, Chemot 29, où il revient sur ce thème à nombreuses reprises.

  • Le livre de Vaykra

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Le livre de Vayikra : une langue pour dire le sacrifice

     

    Ouvrir le livre de Vayikra est toujours une gageure : comment trouver sa place dans des textes si bien codifiés ?  Alors que le reste de la Torah est une longue épopée, historique et un peu lyrique, permettant des interprétations amples. Il pose aussi un second problème : les sacrifices sont très loin de notre horizon et de notre époque. La façon adoptée par tous les commentateurs consiste à noter les toutes petites variations de langage d’un texte au langage très épuré pour les interroger. Le livre commence par un descriptif précis du Ola (holocauste, complètement brûlé sur l’autel après sacrifice). Les versets décrivent d’abord le déroulement pour le gros bétail. Le protocole du sacrifice du petit bétail est identique … à quelques nuances près. On apprend que le gros bétail doit être sacrifié devant Dieu, alors qu’il est précisé pour les petits animaux qu’ils doivent être égorgés au nord (tsafoun) de l’autel. Le verset[1] est pourtant clair : le gros bétail est aussi sacrifiée au nord de l’autel. Pourquoi ne pas l’avoir précisé dans ce premier cas ?

    Le Midrash répond que le nord (tsafoun) renvoie au sacrifice d’Isaac « dont les cendres sont montrées (tsafoun[2]) perpétuellement devant Dieu ». De quoi parle-t-on ? Le Méché’h ‘Ho’hma renvoie à un texte talmudique[3] où il est dit que le « nord est ouvert », il devient l’image de la liberté humaine, et la possibilité de choisir son destin.  Et un homme l’a utilisé, c’est Abraham qui a eu « l’audace de sacrifier le destin de peuple juif à Dieu, de sorte à ce qu’il a presque confisqué la liberté de la nation, en y introduisant une seconde nature : vouer son destin à l’amour de Dieu[4] ». Texte très dense, qu’il faut décrypter. « Les cendres montrées perpétuellement devant Dieu » renvoient à cette seconde nature, celle d’un peuple qui donne sa vie[5] -réelle- à l’amour de Dieu. On peut assumer ce destin ou le refuser, mais le peuple juif se définit par rapport à lui. Isaac a été substitué par une pièce de petit bétail : c’est donc ce type de sacrifice qui est tout désigné pour renvoyer à ce thème. Le gros bétail quant à lui renvoie à l’épisode funeste du veau d’or, d’où l’évitement de mentionner le nord (tsafoun) dans son protocole, les images produites dans l’esprit eurent été contradictoires.

    Avec ce thème notre auteur va aller plus loin justifiant par exemple que les sacrifices d’oiseaux[6] n’ont pas besoin d’être sacrifiés au nord : le modèle de la ligature d’Isaac n’est pas pertinent pour ce type d’animaux. Il justifiera avec ce même argument que les offrandes des chefs de tribus apportés à l’inauguration de la tente du rendez-vous, n’exige pas d’être sacrifiés au nord de l’autel. En effet, l’audace du chef de tribu N’ahchone[7], d’avoir sauté le premier dans la mer rouge, qui donna une légitimité aux chefs de tribu, relève d’un autre enjeu que celui de la ligature d’Isaac : il s’agissait d’une démonstration individuelle et non d’un témoignage de la vocation de tout un peuple[8].

    Le livre de Vayikra n’a pas bonne presse, pour une raison essentielle : il n’est pas de bon ton de parler de sacrifice, sous forme réelle ou métaphorique. Chacun argumentant qu’il n’en fait pas dans sa vie, et qu’il vit une vie libre et sans contrainte : cela est faux, et permet de dissimuler les sacrifices consentis par chacun au quotidien sans les assumer en tant que tels ; le rejet de la question des sacrifices personnels dans le monde moderne est motivé souvent par la crainte de faire peser sur son entourage son propre engagement. Le livre de Vayikra, est une invitation à réfléchir sur ses engagements, il procure en cela une langue pour le dire, à qui veut bien lire.

    Franck Benhamou

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

     

    משך חכמה ויקרא פרק א פסוק י

    הנה כתב צפון בצאן ולא בבן בקר, אף על גב דבכל מקום כתוב "במקום העולה", אלמא דשם עולה הוא נשחט בצפון, ובכל זה נזהרה התורה להזכיר צפון רק בצאן ולא בבקר. ומשום הכי, בפר משיח (ויקרא ד, ד) ובפר העלם דבר (שם פסוק טו) לא נזכר "במקום העולה". ועיין תורת כהנים וריש פרק איזהו מקומן. אמרו במדרש לפי שצפון מורה על עקדתו של יצחק שצפון אפרו לזכרון לפני ה' תמיד. והכוונה שאמרו שרוח צפונית פתוחה, ומורה על הבחירה החופשית שעשה אברהם אבינו, שיהיה מסור נפשו של הישראלי להשם וכמעט ששלל הבחירה מבניו אחריו, וכמעט הוקבע טבע קיים בנפש הישראלי למסור עצמו על אהבת השם יתברך. לכן לא כתיב רק בבן צאן, זכר לאילו של יצחק (בראשית כב, יג) הבא תמורת יצחק. ולכן לא נזכר בבן בקר בהדיא, ד"גם אלה תשכחנה" - זה מעשה העגל, אשר עשו שור אוכל עשב, ואינו צפון לפניו.

    ובזה אתי שפיר מה דדחי בגמרא על קל וחומר דתורת כהנים דבן עוף יהיה טעון צפון מקל וחומר שמליקתו טעונה כהן, ופריך מה לעולה שכן שחיטתו טעון כלי. דעיקר כלי נפקא לן מקרא ד"ויקח המאכלת" כדיליף סוף דם חטאת (זבחים צז, ב). וכיון דבן עוף אינו טעון כלי, הרי דאינו דומה לאילו של אברהם אבינו, שהיה בכלי [והמאכלת דריש שמאכלת לישראל שכל מה שאוכלין בעולם הזה הכל בזכות זה]. ואם כן שפיר לא טעון צפון, מה שאין כן בכולהו, וזה פרכא חזקה. ולכן בקידושין (לו, ב) לא פריך שכן טעון כלי, דאדרבא בעצמו של כהן דמעכב עדיפא טפי וחשיבא, וכמו דחזינא דחטאת הפנימי טעון נתינה בעצמו של כהן. רק לגבי צפון, הכוונה דאינו דומה לאילו של אברהם, דעל זה עיקר הוראת צפון, ודו"ק היטב.

    ובזה אתי שפיר מה דאמרו מנחות דף כו, ב: (בעי חזקיה, אברין שסידרן וסידר עליהן את המערכה, מהו?) "על העצים" (אמר רחמנא), דוקא (על העצים, או דילמא כיון דכתוב קרא אחרינא "אשר תאכל האש את) העולה על המזבח" (להלן ו, ג) - אי בעי הכי עביד (אי בעי הכי עביד, תיקו). פירוש דגבי בן בקר כתב "על העצים" (א, ח), דאי בעי עביד כמו שעשה אברהם לאיל ששחטו והקטיר ממעל לעצים אשר על מזבח. וגבי אשר ירום הדשן דמדבר שם מעולת תמיד שהיא מוכרחת להיות במזבח והיא עולת צאן (שמות כט, לח), לזה אשמע לן דאף אם מקטיר העולה מלמטה לעצים על המזבח גם כן כשר, אף דלא הוי דומיא לאילו של אברהם אבינו.

    ולפי זה אתי שפיר מה דאין שעיר נחשון טעון צפון. משום דאמר בתוספתא ברכות (ד, טז): מפני מה זכה יהודה למלכות, לפי שקפץ נחשון ושבטו לתוך הים, קידש שמו של מקום וכו'. לכן אינו טעון להזכיר עקידתו של יצחק, שכן היה לו מסירת נפש על קדוש השם יתברך בים. לכן לא היה נזקק להצריכו צפון בקרבנות אשר אינן לדורות, רק לשעה, כמו חטאת, דנדבה ליכא ביחיד ודו"ק, ולא היה קרבנו נזכר להזכירו זכות אבות ודו"ק.

     

     

    [1] Vayikra 4.4 ou 4.15.

    [2] Contrairement à ce que l’on peut croire le mot tsafoun ne renvoie pas à ce qui serait caché, pour signifier gardé, comme l’a pensé Kaufman dans son commentaire sur ce texte du Méché’h ‘Ho’hma, perdant ainsi dans la luminosité du texte. Tsafoun vient du verbe Tsofé, voir. Une seconde remarque s’impose sur ce Midrash qui a été malmené par les commentateurs : de quelles cendres parle-t-il puisqu’Isaac n’a pas été sacrifié ? Il ne faut rien comprendre à l’écriture midrashique pour y lire un texte crypto-chrétien ! Notre auteur ne se chauffe pas de ce bois !

    [3] Baba Batra 25a/b. Texte très intéressant qui réclame une étude spécifique.

    [4] Thème déjà évoqué par Benjamin Snajzder dans la paracha de Vayakhél, et très souvent présent chez le Méché’h ‘Ho’hma.

    [5] Toute la densité du texte provenant de ce paradoxe d’un sacrifice qui n’est pas une mort.

    [6] Zva’him 48 b

    [7] Voir ce qu’en dit Benjamin Snajzder dans l’article cité.

    [8] On pourra aussi retrouver ce thème dans le commentaire du Méché’h ‘Ho’hma sur Vayikra 23.24.  

  • Vayakel-Pekoudei : Impulsif ou réfléchi ?

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Parashat Vayakel-Pekoudey – Impulsif ou réfléchi?

     

    Moshé dit aux enfants d’Israel: “Voyez, Hachem a proclamé nommément Betsalel, fils d’Ouri, fils de H’our, de la tribu de Juda. Il l’a rempli d’esprit Divin, de sagesse, d’intelligence et de connaissance, et de tout art …” (Chémot XXXV – 31, 32)

    Ce verset qui fait l’éloge de l’intelligence de Betsalel - l’”architecte” du Tabernacle- frappe par la longueur des détails quant à  sa noble ascendance. C’est cette généalogie rallongée qui sert de porte d’entrée au commentaire du Mesheh-Hohma.

    H’our, le grand-père de Betsalel a été, selon le Midrash, tué par la foule en furie lors de l’épisode précédant le veau d’or, alors qu’il essayait de s’opposer aux dérives idolâtres qui commençaient à pointer…

    Malgré le danger évident, il n’a pas hésité à risquer sa vie pour la cause qui lui était chère. Ce même élan est retrouvé à nouveau dans la tribu de Yéhouda – aussi citée dans le verset- lors de l’épisode de la mer rouge. Les enfants d’Israël partagés quant à l’attitude à adopter face aux égyptiens se rapprochant, étaient inactifs et indécis. Nah’shon, guidé par son courage s’est alors jeté à l’eau, au sens propre du terme, forçant la mer a s’ouvrir…

    Deux épisodes identiques quant à la prise de risque, au sacrifice (messirout nefesh) dont ont fait preuve les parents de Betsalel.

    Etre prêt au sacrifice, explique le Mesheh-Hohma, est une attitude quasi-impulsive. La spontanéité guide plus, en ces moments-là, que la froide réflexion…

    Ainsi, H’our et Nah’shon se sont hissés au-dessus de la réflexion en ces moments cruciaux.

    Mida-keneged-mida : la récompense vient en miroir, continue le Mesheh-Hohma. Par mérite de ces aïeux qui ont dépassé par moments, le froid calcul intellectuel,  Betsalel a été gratifié de “sagesse, intelligence, et tout art”.

    Retournement étonnant que ce commentaire… La spontanéité face à la sagesse posée et réfléchie…

    On peut tenter de le prolonger. La sagesse dont a été gratifié Betsalel n’est peut-etre pas le pur miroir de la spontanéité presque irréfléchie de ses aïeux. Un passage du Talmud dans Berah’ot[1] le laisse entrevoir:

    “Rav Shmouel bar Nahmani disait au nom de Rav Yonathan – Betsalel est nommé en écho à sa sagesse :Lorsque Dieu ordonna a Moshe de construire “un Tabernacle, une arche et des ustensiles”, ce dernier transmis l’injonction a Betsalel en intervertissant l’ordre “construis une arche, des ustensiles et un Tabernacle”.
    Betsalel entendant cela, s’étonna : ”Construit-on une maison après en avoir construit le mobilier ?! Dieu n’aurait-Il pas ordonné de construire Tabernacle, arche puis ustensiles?”
    Moshé s’étonnant de la perspicacité de Betsalel s’écria: “Betsalel, serais tu dans l’ombre de Dieu –betsel-el?!”

    Ce passage du Talmud est étonnant a plus d’un titre. Le Rav Kook dans son Eyn-Aya y décèle la preuve du sens aigu de l’esthétique chez l’artiste qu’est Betsalel : alors que Moshe, en Maitre de la loi, prend soin de préserver l’ordre d’importance, de sainteté, quand il énumère les objets – l’Arche sainte, porteuse des tables de la loi apparait en premier, Betsalel, quant à lui est sensible à une autre dimension.

    Cette aggada nous semble donc pointer du doigt une autre forme d’intelligence qui ne serait pas, elle non plus, une réflexion lentement construite.

    Peut-être pourrait-on, dès lors, poursuivre l’idée du Mesheh-Hohma : la spontanéité de ses aïeux a engendré une intelligence chez Betsalel; mais une intelligence qui ne serait pas un simple midda-keneged-midda, un miroir du caractère impulsif de H’our ou Nah’shon, mais une intelligence qui se hisse elle-aussi au-dessus des calculs posés et clairement définis…

     

    Benjamin Sznajder

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

    משך חכמה שמות פרק לה פסוק לא
    (לא) ראו קרא ה' בשם בצלאל (בן אורי) בן חור למטה יהודה וכו'. הענין דמסירת נפש צריך להיות שלא בחקירה והתחכמות יתירה, ויהודה מסר עצמו בים במסירות נפש, כמו דאיתא בתוספתא דסוטה, וכן חור מסר עצמו בעגל. דהחקירה תעכב [ברצון פנימי] מלמסור נפשו על קדוש השם יתברך כעדות יעב"ץ החסיד. לכן אמר שבעבור זה שלא חקרו ולא נתחכמו יותר מדי, לכן "וימלא אותו בחכמה ובדעת" וכו' והבן.
    ובגמרא פרק הרואה: בצל א - ל היית וכו'. ביאור הענין כך: דפרטיות של ישראל קדוש, אבל שארי קדושות קדושות יותר. אבל כלל ישראל אין דומה להם, וכל הבריאה כולה בשביל ישראל שנקרא "ראשית". ולכן המשכן - הוא ישראל שבחיבור הקרשים והקרסים והיריעות נעשה האוהל אחד. ולכן בפרטיות העשיה בתרומה, נזכר כלים ואח"כ משכן, שהארון מקודש יותר מפרטיות מישראל. אבל בכלליות בפרשת תשא כתוב משכן קודם, שזה עיקר הכוונה, שהמשכן שכלל בני ישראל באים בתוכו מקודש יותר במקום המיועד לשכינתו יתברך - שכללות עדה קדושה אין לה שיעור. ולכן בצלאל שהיה יודע לצרף אותיות (ברכות נה, א) והיה בקי איך מהצירוף יולד ענין גבוה וחדש אשר אינו בפרטים רק בכלל, וכמו שהבריאה הכללית טוב מאוד - וכמו שכתוב (בראשית א, לה) "וירא (אלקים) את כל אשר עשה והנה טוב מאוד" - כן בישראל, לכן הקדים המשכן.
    משה נצטווה בתחילה כלים (שמות כה, י - מ) ולסוף משכן (כו, א - כז), לכן כתוב גבי כלים (שמות כה, מ) "אשר אתה מראה" - בינוני פועל עומד. ובמשכן כתוב (שם כו, ל) "הראית" - לשון עבר, שהנבואה מהמשכן היה מצויר אצלו מקודם כלים. ועיין ברכות נה, א בזה ודו"ק. 


    [1] Berahot 55A

  • Ki-tissa : il n'existe pas de sainteté intrinsèque

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Ki-Tissa – Il n’existe pas de sainteté intrinsèque

     

    Lorsqu’on parcourt les premiers textes rédigés par les membres de ce « projet Mechekh Hokhma », il est frappant de constater qu’il n’hésite pas à remettre en question quelques « vaches sacrées », si j’ose utiliser une expression particulièrement adéquate dans le cadre de cette Paracha qui traite du Veau d’Or.

    On a en effet vu que le Mechekh Hokhma refuse catégoriquement de s’appuyer sur un miracle[i], de penser qu’un statut quelconque (même celui de Cohen) est une garantie de protection contre certains comportements dévoyés[ii], que la sainteté était un chemin que chacun n’empruntait pas à la même vitesse et de la même façon[iii] ou encore que la capacité des hommes à vivre en société dans l’harmonie était plus important qu’un respect scrupuleux des Mitzvot[iv]. Il refuse également la démagogie : si Moché était à ce point considéré, c’est parce que l’élite reconnaissait ses qualités alors que le peuple s’en méfiait.[v]

    De là ressort une extrême lucidité sur la nature humaine, ainsi qu’une distance et une réserve vis-à-vis de toute attitude qu’on pourrait qualifier de mystique.

    Ses traits ressortent de façon encore plus profonde dans un long développement sur un passage de la Paracha Ki-Tissa, péricope tragique s’il en est avec l’érection du Veau d’Or et la réaction invraisemblable de Moché, qui jette à terre les tables qui lui avaient été transmises par Dieu au Sinaï.

    Il n’est pas sûr que l’on perçoive encore aujourd’hui le caractère transgressif du geste de Moché. Imaginez un rabbin qui rentre dans une maison avec un Sefer Thora dans les mains. Ce qu’il voit dans cette maison ne lui plaît pas du tout. Quelle serait une réaction sensée ? Pourquoi pas faire demi-tour pour mettre à l’abri le Sefer Thora, le temps ensuite de réprimander la collectivité comme il se doit ? Ou bien encore brandir le Sefer Thora comme arme et comme rappel de la sainteté que nous demande d’atteindre la Thora ? Mais il ne viendrait à l’esprit de personne de jeter le Sefer Thora à terre. Ce serait porter atteinte à la sainteté de l’objet, mais aussi de véhiculer l’idée que le message de la Thora est caduc du fait d’une déviation ponctuelle d’une partie du peuple. Le rabbin qui ferait cela serait, probablement à juste titre, accusé d’avoir laissé ses pulsions s’emparer de lui au point de réagir de façon disproportionnée et erronée.

    Dans le cas de Moché, il ne s’agit pas d’un « simple » Sefer Thora, il s’agit de l’exemplaire unique des Tables d’Alliance, gravées par Dieu lui-même ! Et lorsqu’il les jette à terre, non seulement Dieu ne le lui reproche pas mais il le félicite ! Comment expliquer le peu de respect finalement que porte Moché aux tables, alors qu’elles sont de provenance proprement divine ?

    Le Mechekh Hokhma donne une réponse tranchante et dénuée de toute ambiguïté. Plutôt que de les interpréter, je préfère vous livrer une partie des paroles du Mechekh Hokhma de façon brute, sachant que le texte original est anormalement long.

    « La Thora et la Foi sont les fondements de la nation d’Israël. Et toutes les saintetés : la Terre d’Israël, Jérusalem, etc… ne sont que des détails et des branches de la Thora et elles ne sont sanctifiées que par la sainteté de la Thora.

    Il n’y a donc aucune différence entre tout ce dont traite la Thora, dans le temps et l’espace, et elle s’applique de la même façon, que ce soit en Israël ou en dehors de la terre. Et c’est le même principe pour les hommes : la Thora ne fait pas différence entre le plus grand des hommes (Moché) et le plus bas d’entre eux.

    (…) Et n’allez pas croire, à Dieu ne plaise (Hallila), que le Michkan et le Temple sont des entités intrinsèquement saintes !

    Dieu réside parmi ses enfants et si « Comme Adam, ils transgressent l’Alliance », il leur retire toute sainteté et rend ces objets complètement profanes. Ce qui a permis d’ailleurs à Titus de rentrer dans le Saint des Saints avec une prostituée[vi], sans subir de dommages, car la sainteté du lieu avait été retirée.

    Encore plus fort : les Tables d’Alliance, « écrites par Dieu », elles non plus ne sont pas saintes intrinsèquement : elles le sont lorsque vous observez les commandements qui y figurent.

    Et quand la mariée s’est prostituée sous le dais nuptial[vii], les tables ne sont alors à considérer que comme de la vulgaire poterie et n’ont plus aucune sainteté en elles-mêmes. Elles n’en possèdent que lorsque vous observez les injonctions qui y figurent(…)

    Pour finir : il n’y a rien dans le monde qui soit saint sans être relié à une dimension de service et de soumission à Dieu. Seul le Saint-Béni-Soit-il est saint dans son essence. (…) Il n’y a rien dans la création qui soit saint intrinsèquement, si ce n’est par l’observance de la Thora, conformément à la volonté de Dieu. (…)
    Toutes les saintetés ne découlent que des commandements du Créateur à Le servir 
    »

    Le texte du commentaire est inhabituellement long, battant en brèche certaines idées reçues et on sent à sa lecture que le Rav Meïr Simha Hacohen de Dwinsk aborde un sujet essentiel.

    Si Moché s’est permis de casser les tables, c’est bien parce qu’elles n’avaient plus une once de sainteté en elles, puisque cette même sainteté dépend étroitement du comportement des enfants d’Israël et que dans ce cas précis, il est inexcusable.

    Aujourd’hui, peut-être plus encore qu’à l’époque du Mechekh Hokhma, ces notions de sainteté sont parfois utilisées à des fins politiques et idéologiques, qui relèguent au second plan la dimension essentielle de l’observance des Mitzvot[viii] et de leur capacité essentielle à sanctifier, dans le cadre d’un processus, le monde qui nous entoure. La sainteté est un chemin, un idéal à atteindre qu’on ne peut jamais considérer comme acquise de façon essentielle, au risque de perdre de vue l’obéissance absolue que nous devons aux injonctions de la Thora

    Penser qu’il existe une sainteté intrinsèque, indépendamment du comportement humain, c’est, d’après certains commentateurs, l’erreur de perspective qu’a commise Korah : « oui le peuple peut fauter, mais il reste saint. Le peuple juif a une sainteté particulière par rapport aux autres peuples ».

    Il faut rappeler que Korah n’était pas un mécréant mais un Grand d’Israël et qu’une mise en garde telle que celle que défend le Mechekh Hokhma touche un point tellement subtil et explosif, qu’un commentaire argumenté s’avérait profondément nécessaire.

    Il n’est pas rare aujourd’hui en effet d’utiliser les concepts de sainteté de la Terre d’Israël, de Jérusalem, du peuple juif ou de certains rabbanim pour justifier certains comportements contraires à la loi de Moché et d’Israël.

    Cette tentation, le Maître de Dwinsk en était parfaitement conscient, d’où son avertissement qui transcende, encore une fois, les générations.

    FRISON

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

    משך חכמה שמות פרק לב
    (יט) ויהי כאשר קרב אל המחנה וירא את העגל ומחולות ויחר אף משה וישלך מידו את הלוחות וישבר אותם תחת ההר. הענין, כי התורה והאמונה המה עיקרי האומה הישראלית, וכל הקדושות, ארץ ישראל וירושלים וכו' המה פרטי וסניפי התורה ונתקדשו בקדושת התורה. ולכן אין חילוק לכל עניני התורה בין במקום בין בזמן, והיא שוה בארץ ישראל ובחו"ל [לבד מצוות התלויים בארץ]. וכן הוא שוה בין לאדם הגבוה שבגבוהים - משה איש האלקים - להשפל שבשפלים. ומשה, לא קראו התורה רק סרסור. אבל אין התיחסות התורה לו, והתורה היא מחוייבת המציאות, כי קוב"ה ואורייתא חד, וכמו שהוא מחוייב המציאות, כן התורה, ומציאותה אינו תלוי רק בעילת העילות יתברך שמו. והנה דל השכל, קצר ידו להשיג מציאות מחויב המציאות בלתי תכלית ובלתי מושג, ולכן חתרו להם מסילות לעשות צורות ודמיונות או כוונים למערכת שמים לאמר: זהו המרכבה לאלקות וזהו המשגיח והמסבב כל הענינים בעולם, ולו עבדו וזבחו והקטירו. ורקודי הנפש ורתיחות הדם נתהוה ממושג מוחשי ונראה. והמה, כאשר ראו כי "בושש משה", נפלו מאמונתם ובקשו לעשות להם עגל ולהוריד על הצורה ההיא רוח ממעל ולשפוט על זה כי הוא מרכבה לאלקות והוא המשגיח בעולם השפל, והוא העלם ממצרים. וזה היה גם חטא עגלי ירבעם, יעוין שם היטב למתבונן.
    ועל זה צווח משה ככרוכיא: האם תדמו כי אני ענין ואיזו קדושה בלתי מצות ה', עד כי בהעדר כבודי עשיתם לכם עגל! חלילה, גם אני איש כמוכם, והתורה אינה תלויה בי, ואף אם לא באתי היתה התורה במציאותה בלי שינוי חלילה. והראיה, כי ל"ח שנה שהיו נזופים במדבר לא היה הדיבור מתיחס למשה. ואל תדמו כי המקדש והמשכן המה ענינים קדושים מעצמם, חלילה! השם יתברך שורה בתוך בניו, ואם "המה כאדם עברו ברית" (הושע ו, ז), הוסר מהם כל קדושה, והמה ככלי חול 'באו פריצים ויחללוה'. וטיטוס נכנס לקודש הקדשים וזונה עמו ולא ניזוק (גיטין נו, ב), כי הוסר קדושתו. ויותר מזה, הלוחות - "מכתב אלקים" - גם המה אינם קדושים בעצם רק בשבילכם, וכאשר זנתה כלה בתוך חופתה המה נחשבים לנבלי חרש ואין בהם קדושה מצד עצמם, רק בשבילכם שאתם שומרים אותם. סוף דבר: אין שום ענין קדוש בעולם מיוחס לו העבודה והכניעה, ורק השי"ת שמו הוא קדוש במציאותו המחוייבת, ולו נאוה תהילה ועבודה. וכל הקדושות המה מצד ציווי שצוה הבורא לבנות משכן לעשות בו זבחים וקרבנות לשם יתברך בלבד. והכרובים, חלילה, אין להם עבודה ושום מחשבה וענין, רק זהו כמו הקברניט רוצה לדעת הרוח לאן נוטה, עושה תורן, כן עשה הבורא יתברך סימנים וציונים להודיע אם ישראל עושים רצונם של מקום בזמן "שפניהם איש אל אחיו" וכו' ודו"ק. ולכן "אין בארון רק (שני) לוחות" (מלכים - א ח, ט) והספר תורה (בבא בתרא יד, א), והכרובים המה מבחוץ על הכפורת, לא בארון, רק שמורים למציאות המלאכים, כמבואר במורה חלק ג פרק מה.
    וזהו "ויהי כאשר קרב אל המחנה וירא את העגל ומחולות" [וראה כי גדל טעותם עד אשר לא חשבוהו לספק כלל, כי לא רצו לעמוד אולי ירד משה ולהביט מרחוק אל ביאתו, רק היו משוקעים בתועבות העגל אשר חשבוהו לאלקי] הבין טעותם, "ויחר אף משה וישלך מידיו את הלוחות", רצונו לומר כי אין שום קדושה וענין אלקי כלל בלעדי מציאות הבורא יתברך שמו. ואם הביא הלוחות, היו כמחליפים עגל בלוח ולא סרו מטעותם. אולם כאשר שבר הלוחות, ראו איך המה לא הגיעו אל מטרת האמונה ב"ה ותורתו הטהורה. וזהו דברי הגמרא בכמה מקומות (תענית כו, א) ומכילתא (יתרו יט, ב) שגם על עת עמידתם בהר נאמר "ובלבם יכזבו לו" - שעדיין לא נחקק בתוכם הציור האמיתי להאמין בנמצא מחוייב המציאות בלתי מושג ובלתי מצוייר, ולכך טעו בעגל. ובלוחות הראה להם לעקור מהם כל דמיון כוזב, והפליא לעשות משה רבינו בשבירת הלוחות. ולכן נתן לו הקדוש ברוך הוא "ישר", שאמר לו הקדוש ברוך הוא (דברים י, א - ב) "פסל לך שני לוחות אבנים וכו' וכתבתי על הלוחות וכו' אשר שברת", היינו גם כן להיות לאות על השורש שלימדת להם בשבירת הלוחות. זה כי לוחות ושברי לוחות מונחין בארון (בבא בתרא יד, ב), ולהורות כי הראשונים אשר "מעשה אלקים המה" - כמשמעו, הוא בכבודו עשאן, רש"י - המה שבורים, ולוחות שפסל משה - המה השלמים! להראות כי אין בנברא קדושה בעצם רק מצד שמירת ישראל התורה מפי רצון הבורא יתברך שמו הקדוש, הנמצא האמיתי, הבורא הכל ית"ש וזכרו. וכמעט על זה נכלל כל ספר דברים להזהירם בזה "כי לא ראיתם כל תמונה" (דברים ד, טו) "השמר לך וכו'" (שם פסוק ט) ודו"ק.
    ולפי זה גם זה מכלל הטעות שאמרו שמשה העלן מארץ מצרים (פסוק א). ולא משה העלן, רק היה השליח לדבר לפרעה, אבל הקדוש ברוך הוא בהשגחתו הפרטית העלן. ולכך אמר הקדוש ברוך הוא "לך רד כי שחת עמך" במה שיחת? שאמרו "אשר העלית מארץ מצרים", שגם אותך חשבו לא - לקי, וכאילו היית מעלה אותן ממצרים מכוח אלקי בלתי השגחתי הפרטית. וזה רעיון יקר. ולכן בחוקת כי אמרו (במדבר כא, ה) "למה העליתונו" - שניהם שוים, באו אז הנחשים ונשכום יעויין שם ברש"י ודו"ק.
    ובזה מבואר דברי התורת כהנים (ויקרא) סוף פרק א (סעיף ב): 'דבר אחר "משה משה", הוא משה עד שלא נדבר עמו, הוא משה משנדבר עמו'. דכוונתו אל הענין שבארתי שלא היה למשה שום ענין או כח להשפיע לאחר שנדבר עמו, לבד מה שרצה הקדוש ברוך הוא בכל פרט כפי הצורך להנהגה הניסית לאותה שעה, אבל התורה היא מציאות זולתו. ועיין קרבן אהרן. ומה שכתבתי נראה נכון ודו"ק.
    וזה מה שכתוב (ויקרא יט, ל) "ואת מקדשי תיראו", לא מן המקדש אתה ירא אלא ממי שהזהיר על המקדש (יבמות ו, ב). וזה (ויקרא שם שם) "אני ה'" - מה' אתה ירא. ולכן אמרו הפלשתים כאשר בא ארון יושב הכרובים: "מי יצילנו (מיד האלהים האדירים האלה - שמואל - א, ד, ה), שלא היו מבינים זה. לכן אמר (תהילים צט): "ה' מלך ירגזו עמים יושב כרובים תנוט הארץ (פסוק א). "ה' בציון גדול (ורם הוא) על כל העמים" (פסוק ב). "יודו שמך גדול ונורא קדוש הוא" (פסוק ג), שיבינו וידעו כי רק שמך קדוש הוא וכו' וכו'. "רוממו ה' אלקינו (והשתחוו להדם רגליו) קדוש הוא" (פסוק ה), שרק ה' קדוש הוא. וראה! "משה ואהרן בכהניו ושמואל בקוראי שמו (קוראים אל ה' והוא יענם", פסוק ו) - שלא היה להם ארון וכרובים ומקדש, שקראו קודם שנבנה המשכן, וכן שמואל במצפה בלא ארון ומקדש וכרובים, רק: "שמרו עדותיו וחוק נתן למו" (פסוק ז) - הוא למשה ואהרן במצוה לבנות משכן, ולשמואל לבנות מקדש, וכמו שמסר לדוד מגילת בית המקדש [ירושלמי מגילה פרק קמא]. לכן: "רוממו ה' אלקינו" (פסוק ט) - שהוא המקדש כל הנקראים בשמו ודו"ק.
    ובאמת שהעיקר שלבורא יתברך ראוי להתפלל ואין ראוי להתפלל לזולתו, עם העיקר שהבורא יתברך בורא ומנהיג לכל הברואים, המה עיקר אחד. כי כל עיקרי הטעותים שלהם היה בחשבם כי הבורא יתברך אינו מנהיג בשפלים, ומשאתו יעצו להדיח כי אי אפשר למשכיל לאמר כי כל הענינים נפלו במקרה כדעת האוילים. ועל כרחך כי יש מנהיגים בנבראים אשר הבורא לגודל זכות בריאתם מסר להם ההנהגה בתבל, ואם יעבדום וימסרו נפשם בפעולות וענינים אשר מראה כי כוסף הנפש להם ודבוק להם בכל כונתו, אז ימשוך להם טוב וכל שמן, וכדברי הנשים הארורות. אבל באמת כל התבל מושגחת כולה בהשגחה פרטית מעתיק יומין, הבורא יתעלה בעצמו. ולו אין חילוק בין תולעת קטן שבים לכל הנבראים ואישים העליונים, מט"ט שר הפנים ומיכאל לבוש הבדים, כי רחוקים המה מאתו בתכלית ההשואה. ומי שיכול להשיג מציאות הבורא יתברך מושגח מאתו שוה עם מט"ט שר הפנים, ולא נופל זה מזה, ולא יכול שום מלאך לעשות לנו דבר בלתי רצון הבורא בפרטיות מאומה. וכמו שלא נופל דג קטן מדג גדול בעצם בריאתו, וכן לא נופל המורכב בד' יסודות מהשמש המורכבת ביסודות מזהירים, ככה לא נופל בן תמותה, איש כמונו בעצם ולא נכנע מאישים העליונים הפשוטים ונבראים מעצם רוחני פשוט, וכולנו כאחד שוים ומושגחים בפרט ונבראים מהנמצא האמיתי בהחלט, הבורא יתברך שמו. אם כן, אין שום תפילה ושום קדושה בעצם מבלי הבורא יתברך ברצונו והשגחתו הפרטית בכל עת בלי הפסק, וכולם בטלים במציאותן אל הבורא יתברך ממלא כל עלמין ומסבב כל עלמין. ואמר בפשוט (חגיגה יא, ב): מה למעלה מה שהוא למטה, מה לפנים מה שהוא לאחור - שהבורא יתברך הוא ראשון והוא אחרון, הוא לפנים ולפני ולפנים. וזה שאמר (דברים ו, ד) "שמע ישראל ה' אלקינו" היינו הבורא יתברך משגיח בפרטיות והוא "אלקינו" בכל פרט ופרט, לכן תדע כי "ה' אחד", ואין אלקים זולתו, כאשר ביארנו. ויש להאריך בזה, ואין כאן מקומו.

     


    [vi] Guittin 56b

    [vii] Expression cruelle rappelant la faute du Veau d’or

    [viii] Yeshayhaou Leibowitz, grand admirateur du Mechekh Hokhma et de ce passage en particulier, rappelait volontiers que l’expression Terre Sainte en hébreu se dit Erets Hakodech, littéralement Terre du Saint, Terre qui permet d’aboutir à la sainteté, et non Terre Sainte (qui se dirait alors Erets Hakedocha) où la Terre disposerait d’une sainteté intrinsèque

  • Tetsavé : les lumières de Moshé

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Les lumières de Moshé

     

    Exode 27 :20 :

    Pour toi, tu ordonneras aux enfants d'Israël de te choisir une huile pure d'olives concassées, pour le luminaire, afin d'alimenter les lampes en permanence.

     

    La parasha précédente, Terouma, avait déjà pour sujet le Mishkan et ses ustensiles. Nous avons parlé de la menorah et du shoulh’an.

    Le mishkan a servi de modèle pour les autres places centrales du service divin ; les deux batei mikdash, les deux temples ; eux deux, aussi, possédaient une Menora et un shoulh’an. Néanmoins, le 1er beit hamikdash, celui de Shlomo, contenait plusieurs menorot et plusieurs shoulh’anot. Si augmenter le nombre était une si bonne idée, pourquoi est-on revenu à une seule menorah au temps du second beit hamikdash ?

    Un début de réponse se dessine peut-etre grâce à notre verset.

    Pourquoi comprenons-nous que la mitsva de l’huile d’olives pour l’allumage de la menorah est spécifique à Moshé ? La mitsva ne lui a pas été donné exclusivement. Quel est son but ? et quel est le lien spécifique qui la relie à Moshé ? Selon le mechekh ‘hokhma, nous trouvons une réponse à cela dans le Ibn Ezra à propos des périodes auxquelles Hashem a parlé à Moshé.

    Hashem ne lui parlait que le jour, jamais la nuit. Ibn Ezra, cependant, ne relie pas cela à l’alternance jour / nuit, mais à la présence, ou non, de lumière. Ainsi, quand la nuit est illuminée grâce aux lampes de la menorah, Hashem peut lui parler, comme Il l’aurait fait en plein jour. Une des conditions nécessaires à toutes sortes de prophéties est la joie, l’esprit de l’Homme est plus clair, moins tourmenté lorsqu’il évolue dans un milieu éclairé. Voilà pourquoi la menorah engage Moshé dans une conversation directe avec Hashem.

    Après le décès de Moshé, la lumière de la menorah ne servait plus directement en tant que source physique de lumière. Ainsi que le mentionnent ‘Hazal (Shabbat 22b) – cette lumière témoigne envers le reste du monde que Hashem accompagne son Peuple et reside parmi lui.

    On peut donc dire facilement qu’après le décès de Moshé la menorah ne servait qu’à représenter le Kavod, l’honneur de la Présence Divine dans le monde ; grâce à cela, on peut comprendre la volonté de Shlomo Hamelekh ; de la même manière que le Temple allait être beaucoup plus grand que le mishkan, on aurait besoin, d’un nombre de menorot proportionnel pour pouvoir représenter cette Présence Divine dans un plus grand endroit.

    Pour le shoulh’an, il est précisé qu’il doit se trouver « à l’opposé » de la menora, ainsi Shlomo a, pour chacune des menorot, rajouté un shoulh’an correspondant.

    Quant au Second Temple, il ne connaitra pas une Présence Divine aussi présente et imposante que le premier. La gloire d’antan étant perdue à jamais. Ainsi, il sera temps de revenir aux spécifications originelles, une seule ménora et un shoulh’an.

    לעילוי נשמת ישראל בן נושה ז”ל

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

    משך חכמה פרשת תצוה

    (כ) ויקחו אליך וכו'. יתכן על פי דברי הראב"ע בפרשה בהעלותך שאף על פי שאמרו (מכילתא דפסחא פרשה א): כל דברות שנדבר הקדוש ברוך הוא עם משה לא היה אלא ביום, שנאמר "ביום דבר ה' אל משה" - (שמות ו, כח; במדבר ג, א), בכל זה כשהיו הנרות דולקים היה כיום ודבר עמו בלילה. לזה אמר "ויקחו אליך", פירוש לצרכך, שהאדם דעתו בהיר בעת האור וכמו "אין אורה אלא שמחה". ולזה הוא לצורך הכנת נפש משה להדיבור שיהיה שורה מתוך שמחה. אבל "חוקת עולם לדורותיכם מאת בני ישראל" - שלדורות הוא חוק בלי טעם, "וגזירה היא מלפני" ש"כלום לאורה אני צריך והלא כל ארבעים שנה לא הלכו אלא לאורו" ודו"ק, ומזה רמז למה שכתב בסמ"ע דכשנרות דולקים מותר לדון בלילה. ובזה יש לפרש מה דעשה שלמה חמשה מנורות, ור"א בן שמוע אמר בפרק שתי הלחם דעל (כולם היו מסדרים שנאמר "את השולחנות ועליהם לחם הפנים") ובכולם היו מדליקין, דכתיב (דברי הימים - ב, ד, כ) "את המנורות ונרותיהם לבערם כמשפט". ופשוטו שהיה מדליק בכולן, ודלא כשפרש"י דפעמים בזו ופעמים בזו. ויעוין בילקוט מלכים דעל כולם היה מסדר, רק בשל משה תחילה.

    ויעיין שם טעם של שולחן וכיור. וכבר נאמר אצל דוד אביו שהניח זהב "למנורות הזהב (ונרותיהם זהב במשקל מנורה ומנורה ונרותיה" - דברי הימים - א, כח, טו). משום דדריש שכיון שבמשכן שהיה רוחב עשר על שלושים אמה היה מנורה אחת, אם כן על כל החשבון הוא עשר פעמים שלושים, הוא שלוש מאה אמה, וקומתו עשר אמה, ולפי זה החשבון ההיכל שבנה שלמה היה ששים על רוחב עשרים, אם כן עשרים פעמים ששים הוא אלף ושני מאות, וקומתו שלושים, אם כן הוא ג' פעמים ככה, הוא שלושת אלפים ושש מאות. אם כן היה מוכרח להיות אחד עשר מנורות, ולבד משה עשרה מנורות, חמש מימין של משה וחמש משמאל של משה. אם כן לפי החשבון היה צריך להיות עוד אחת, רק שלא היה יכול להיות יותר על צד אחד על צד השני. ובפרט לפרש"י דהדביר היה גובה עשרים, אם כן לא היה רק מאה אמה יותר. ולכן עשה גם שולחנות עשרה, כי השלחן צריך להיות נוכח המנורה, וכזו כן זה. וזה רק במקדש שלמה שהיה גילוי שכינה, אבל במקדש שני שאינו רק חוק, סגי באחת, ודו"ק היטב:

     

  • Le crime était-il sexuel ?

      Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

         210px ohr sameach

    Le crime était-il sexuel ?

     

    וְכִי-יָזִד אִישׁ עַל-רֵעֵהוּ, לְהָרְגוֹ בְעָרְמָה--מֵעִם מִזְבְּחִי, תִּקָּחֶנּוּ לָמוּת.


    « Mais si quelqu'un, agissant avec préméditation contre son prochain, le tue avec ruse, du pied même de mon autel tu le conduiras à la mort.»

    (Exode, 21,14)


    A la lecture de ce verset qui énonce la loi du meurtrier, de nombreuses interrogations apparaissent. 


    Tout d’abord, quel est l’apport particulier de ce passage ? En effet, de nombreuses occurrences de la Torah indiquent l’interdit du meurtre et sa sanction, comme le verset qui précède le notre (Exode 21,12), ou encore le sixième des dix commandements, etc… Il faudrait donc trouver un enseignement supplémentaire de ce passage, qui justifierait sa présence dans le texte.


    Puis, au niveau du style du verset, il y a deux termes qui sont plutôt inhabituels : le motיזיד  (yazid) utilisé pour désigner la préméditation, et le mot ערמה (orma) pour désigner la ruse du meurtrier. Leur apparition est d’autant plus étonnante du fait qu’ils n’ont pas de conséquence juridique ! En effet, si l’on ouvre Maïmonide sur les lois du meurtre, on ne trouvera aucun passage qui différenciera le meurtre avec préméditation, ou celui commis avec ruse, du meurtre perpétré en conscience et en connaissance de cause par son auteur. Nous pouvons donc à juste titre nous demander quel est le sens de ces deux expressions.   


       Enfin, la fin du verset est pour le moins stupéfiante ! On nous précise que même un Cohen (prêtre) qui serait en service au temple (« du pied même de mon autel ») serait déchu pour être jugé et condamné s’il a commis un meurtre. Ce rajout est à priori complètement inutile : la Torah ne précise pas en général de règle particulière pour le Cohen, car l’on sait qu’il n’y a pas de raison de le différencier au regard de la loi des autres hommes ! On ne comprend donc pas pourquoi on a vu ici l’utilité de l’inclure expressément dans le verset.


       Pour tenter de répondre à toutes ces interrogations, nous allons rapporter la lecture que fait le Méchekh’ Hokh’ma de ce verset.


    Rav Méir Simh’a haCohen recherche d’abord l’origine du mot orma désignant ici la ruse. Sa première occurrence dans la Torah est en fait dans le récit de la faute du premier homme. On y décrit en effet le serpent comme rusé. Et le Midrach d’expliquer la consistance de cette ruse : le serpent voulait tuer Adam pour avoir une relation intime avec Eve. Ce qui, rajoute le Méchekh’ Hokh’ma, est monnaie courante chez les nations : en effet, Abraham demande constamment à Sarah de se faire passer pour sa sœur lorsqu’ils sont en voyage, de peur qu’il ne soit tué dans le seul but de l’épouser. La ruse évoquée ici est donc celle de celui qui tue un mari avec comme objectif de lui prendre sa femme. Il en est de même pour le terme de préméditation (yazid) employé ici. Cette préméditation ne peut-être que le fait de l’homme qui a ce type de projet scabreux en tête. Le Talmud utilise d’ailleurs cette expression (yazid) pour désigner le fait d’ensemencer, ce qui nous montre la proximité sémantique qu’il y a entre la préméditation dont il est question ici et la sexualité. C’est donc la motivation du meurtre que nous apprend ce verset, peut-être pas de tout meurtre, mais du type de pensées desquelles il faut se méfier en général.
    Qu’en est-il de la mention du Cohen dans ce texte ? Le Méchekh’ Hokh’ma explique qu’il y a lieu de prévenir ces comportements de façon plus insistante auprès des Cohanim pour deux raisons. D’une part, le fait qu’ils ne puissent épouser de femmes divorcées peut les conduire à tuer leur mari, là où un autre homme tenterait de les faire divorcer. De plus, ils sont régulièrement amenés à fréquenter des femmes mariées, étant habilités à recevoir les sacrifices qui concernent ces dernières en particulier.


    Cette explication, au-delà de ce qu’elle justifie des mots du verset, nous permet aussi de prendre du recul vis-à-vis de la place donnée au Cohen dans la Torah. En effet, on pourrait s’imaginer que les restrictions conjugales qui lui sont imposées et sa place dans le service du Temple l’éloignerait de comportements pervers, ou tout au moins n’en seraient pas la cause. Le Méchekh’ Hokh’ma, lui-même Cohen, nous met ici en garde contre cette naïveté, qui consisterait à croire que le Cohen serait protégé par son statut de quelque chose, et il nous dit qu’à l’inverse, certains risques seront à prévenir avec plus d’insistance à son égard.       

     

    Tsvi-Elihaou Lévy

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

    משך חכמה שמות פרק כא פסוק יד
    (יד) וכי יזיד איש על רעהו להרגו בערמה מעם מזבחי תקחנו למות. לא מוזר לומר בכוונת המקרא למה שנהוג אצל העמים וכתוב בתורה "פן יהרגוני אנשי המקום" בפרעה (בראשית יב) ואבימלך (שם כו). ולשון "ערמה" מצאנו אצל נחש (בראשית ג, א) והוא נתן עיניו בחוה כדברי הגמרא בפרק קמא דסוטה (תוספתא פרק ד): הוא אמר אהרוג אדם ואשא את חוה. וזה שאמר "כי יזיד איש על רעהו" - ויחמוד אשת רעו, ויהרגו כדי לישא אותה. לכן אמר "מעם מזבחי תקחנו למות" - כי זה יתכן להיות בכהנים יותר, משום שגרושה אסורה עליהם, ולכך אין להם לפעמים עצה אחרת ומוכרחים רק להמית בעליהם; והכוהנים, הנשים צריכות להם לעסקי קרבנות זבה ויולדת, לכן אמר "מעם מזבחי".
    ולפי זה יתכן מה דדריש בפרק בן סורר ומורה: "איש" מזיד ומזריע, יצא קטן שאינו מזיד ומזריע - פירוש שאינו מוליד - מלשון "ויזד יעקב נזיד". דלפי זה אתי שפיר שאצל הקטן לא נגמרו כלי ההולדה ואינו מתאוה ולא מצוי אצלו אופני רציחה כאלה. וכן קטן אינו מצוי אצל המזבח שאינו עובד ועבודתו פסולה, כמבואר פרק קמא דחולין דף כד, ע"ב ודו"ק:

     

  • Ythro : Délimiter la montagne

      Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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     MECHE'H HO'HMA SUR YITHRO. DELIMITER LA MONTAGNE

     

    Il y a de nombreuses années, Rav Nathan Shulman, disparu il y a quelques semaines, nous a interpellés à propos de la dernière directive donnée à Moché avant d'énoncer les Assereth haDiberoth.


     Relisons ce passage:
    (19/20) Hachem descendit sur le mont Sinaï, au sommet de la montagne. Hachem appela Moché à y venir et Moché monta. (21) Hachem dit à Moché: "Descends avertir le peuple de ne pas se précipiter vers Hachem pour regarder, car un grand nombre parmi eux mourraient. (22) Et que les Cohanim qui s'approchent (davantage) d'Hachem se consacrent aussi, de peur qu'Hachem ne les frappe de mort". (23) Moché rétorque à Hachem: "Le peuple ne pourra pas monter sur le mont Sinaï, puisque Toi même, Tu as témoigné à notre égard en ces termes: "Fixe des limites à la montagne et consacre la. (24) Hachem lui dit: "Vas-y, descends. Tu monteras ensuite en compagnie d'Aaron. Quant aux Cohanim et au peuple, qu'ils ne se précipitent pas pour monter vers Hachem, de peur qu'Il ne les frappe de mort". (25) Moché descendit vers le peuple et lui parla…(Chemoth 19)(Référence n°1).


    Comment interpréter la réponse de Moché à Hachem? Finalement, connaissant la nature humaine, son désir probable de se fondre, de s'approcher, fasciné par le Tout Puissant, Hachem désire logiquement marquer la limite. Toute Ahava doit être contrebalancé, pondéré par une Yrah, une Crainte révérencielle. Devant ce danger si légitime, comment Moché se permet-il de Lui rétorquer: "Mais il y a déjà eu avertissement"! Quelle  déclaration étrange et déplacée !


    Le Méché'h Ho'hma propose une lecture passionnante de ce passage.


    Pour ce dernier, Moché n'a véritablement pas compris la teneur du message divin. Car Moché a perçu la prescription  dont parle ce passage, comme une délimitation physique, spatiale: "Fixe des limites à la montagne "est l’interprétation qu’il donne à la prescription divine (verset 23). En effet, de façon classique, l'on pense que lors du Décalogue, chaque catégorie du peuple avait son espace. Et celui qui était plus proche d'Hachem avait un espace avoisinant le "Point Central". Ainsi, sur cette montagne, il y avait les enfants, les femmes, le peuple, enfin les Anciens, puis Aharon et finalement Moché, tous placés en cercles concentriques. Cela est peut-être vrai. Mais à cette description spatiale, notre Maitre propose un schéma tout autre. La délimitation dont on parle correspond à une délimitation au sein de chacun des membres du peuple. A lui de savoir jusqu'à où aller lors de ce moment prophétique. Comme si cette obligation de devoir entendre la parole divine m'impose, ipso facto, par là même, de savoir jusqu'à où pouvoir entendre ! La délimitation se fait d'abord dans ma tête ! Moché entend: "Fixe des limites à la montagne"(verset 23) alors qu'Hachem avait précisé: "Et tu délimiteras le peuple autour en précisant: Soyez bien attentif à ne pas gravir la montagne…( verset 12). Délimiter le peuple! Selon les termes de notre auteur: C'est Israël lui-même, les membres de cette Eda, de cette Communauté de témoignage, qui sont la Me'hitsa du Kovod divin !


    Cette leçon magistrale se poursuit lors du quotidien du Michkan. Rappelons-nous tout d'abord que pour Ramban, le Michkan était un "Har Sinaï portatif", si l'on peut s'exprimer ainsi (25/1) (Référence n°2). A la nuée du Décalogue répond celle du Tabernacle, à l'interdiction d'aller au delà d'une certaine limite durant le don de la Thora, répond en écho la différence entre le Hé'hal et le Kodech haKodachim au sein duquel le Cohen Gadol ne pénétrait qu'une fois l'an, Yom Kippour, et ce, accompagné par toute une Avoda. Et le Méché'h Ho'hma de  poursuivre son idée: " La Kedoucha du Hé'hal ne s'impose que lorsque l'on pénètre par l'avant du Michkan; tel, sur la montagne du Sinai, où la sainteté n'était exigé, prescrite, que pour celui qui foulait cet espace du Sinai en traversant les rangs du peuple". Comme si la montagne n'était pas sainte, ni le Michkan en tant que tels; le Méché'h Ho'hma le précisera ailleurs: Si une personne impure touche l'arrière du Saint des Saints, elle ne subira aucun dommage! Car leur Kedoucha ne se vit qu'en franchissant naturellement les différentes étapes du Lieu  et en dépassant les limites auxquelles je suis soumis. Et notre auteur précisera, dans son commentaire sur le verset qui suit: "Il semble, comme nous l'avons expliqué plusieurs fois, qu'un lieu n'est pas Kadoch-consacré-, suite à une apparition divine, car dès l'achèvement du Décalogue, tous peuvent gravir la montagne" (référence n° 3).


    Permettez nous de proposer une nouvelle référence qui résume de façon lumineuse cette ambigüité entre la compréhension de Moché et l'ordre d'Hachem. Dans la Sidra de Terouma, à propos de l'élaboration du Michkan, le verset prescrit:" Et tu feras un rideau (paro'heth) bleu, pourpre…en travail de tissage" (maassé 'hochèv) (Chemoth 26/31). La paro'heth est ce rideau qui sépare le Kodech haKodachim -le Saint des Saints- du reste de la Demeure. Cette séparation est l'œuvre de tissage. Par contre, à l'intérieur de ce même lieu, vers la cour, cette  séparation était un travail de broderie (maassé rokem) ! Il faut le génie du Méché'h 'Ho'hma pour s'apercevoir d'une subtilité pareille ! (La différence entre le tissage et la broderie consiste dans le fait que la broderie est un art de décoration des tissus qui consiste à ajouter sur un tissu un motif plat ou en relief fait de fils simples, parfois en intégrant des matériaux tels que paillettes, perles voire pierres précieuses; Le tissage est un procédé de production de textile dans laquelle deux ensembles distincts de filés ou fils sont entrelacés à angle droit pour former un tissu). Comme si dans cette démarcation entre le Kodech haKodachim et le reste, le rideau était façonné d'un seul tissu alors que pour la cour, ce voile était brodée; sur ce dernier tissu, le motif était  "plaqué" artificiellement, superficiellement. Et notre auteur de poursuivre: "Cette différence entre le tissage et la broderie se retrouve au niveau des habits du Cohen. Puisque les habits qui distinguent le Cohen Gadol (Ephod et 'Hochen) sont l'œuvre de tissage alors que pour ses parures identiques à celles des autres Cohanim (Ketoneth, Mitsnefeth et Avneth; 28/39), ce sera l'ouvrage de broderie! (Référence n° 4).


    Enfin, en quelques mots, le Méché'h 'Ho'hma explique le lien entre les différences de démarcations, soulignées par les rideaux au sein du  Michkan et les particularités mis en avant par les habits du Cohen Gadol et ceux de ses frères: c'est parce que le Cohen Gadol ne pénètre pas "simplement" dans le Saints des Saints; mais il est lui-même Kodech haKodachim! (Référence n° 5).

    Comme si la Me'hitsa humaine du Décalogue se retrouvait tout au long des quarante années du désert (Référence du texte de base n° 6).
    Souhaitons à nos lecteurs une flamme identique à celle que nous ressentons souvent devant une lecture si riche et exigeante de cet auteur.

     

    Rabbin Claude SPINGARN

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

    שמות פרק יט

    (כ) וַיֵּרֶד יְקֹוָק עַל הַר סִינַי אֶל רֹאשׁ הָהָר וַיִּקְרָא יְקֹוָק לְמֹשֶׁה אֶל רֹאשׁ הָהָר וַיַּעַל מֹשֶׁה:(כא) וַיֹּאמֶר יְקֹוָק אֶל מֹשֶׁה רֵד הָעֵד בָּעָם פֶּן יֶהֶרְסוּ אֶל יְקֹוָק לִרְאוֹת וְנָפַל מִמֶּנּוּ רָב:(כב) וְגַם הַכֹּהֲנִים הַנִּגָּשִׁים אֶל יְקֹוָק יִתְקַדָּשׁוּ פֶּן יִפְרֹץ בָּהֶם יְקֹוָק:

    (כג) וַיֹּאמֶר מֹשֶׁה אֶל יְקֹוָק לֹא יוּכַל הָעָם לַעֲלֹת אֶל הַר סִינָי כִּי אַתָּה הַעֵדֹתָה בָּנוּ לֵאמֹר הַגְבֵּל אֶת הָהָר וְקִדַּשְׁתּוֹ:

    (כד) וַיֹּאמֶר אֵלָיו יְקֹוָק לֶךְ רֵד וְעָלִיתָ אַתָּה וְאַהֲרֹן עִמָּךְ וְהַכֹּהֲנִים וְהָעָם אַל יֶהֶרְסוּ לַעֲלֹת אֶל יְקֹוָק פֶּן יִפְרָץ בָּם:

    (כה) וַיֵּרֶד מֹשֶׁה אֶל הָעָם וַיֹּאמֶר אֲלֵהֶם:

    רמב"ן שמות פרק כה פסוק ב

    וסוד המשכן הוא, שיהיה הכבוד אשר שכן על הר סיני שוכן עליו בנסתר. וכמו שנאמר שם (לעיל כד טז) וישכן כבוד ה' על הר סיני, וכתיב (דברים ה כא) הן הראנו ה' אלהינו את כבודו ואת גדלו, כן כתוב במשכן וכבוד ה' מלא את המשכן (להלן מ לד). והזכיר במשכן שני פעמים וכבוד ה' מלא את המשכן, כנגד "את כבודו ואת גדלו". והיה במשכן תמיד עם ישראל הכבוד שנראה להם בהר סיני. ובבא משה היה אליו הדבור אשר נדבר לו בהר סיני. וכמו שאמר במתן תורה (דברים ד לו) מן השמים השמיעך את קולו ליסרך ועל הארץ הראך את אשו הגדולה, כך במשכן כתיב (במדבר ז פט) וישמע את הקול מדבר אליו מעל הכפרת מבין שני הכרובים וידבר אליו. ונכפל "וידבר אליו" להגיד מה שאמרו בקבלה שהיה הקול בא מן השמים אל משה מעל הכפרת ומשם מדבר עמו, כי כל דבור עם משה היה מן השמים ביום ונשמע מבין שני הכרובים, כדרך ודבריו שמעת מתוך האש (דברים ד לו), ועל כן היו שניהם זהב. וכן אמר הכתוב (להלן כט מב מג) אשר אועד לכם שמה לדבר אליך שם ונקדש בכבודי, כי שם יהיה בית מועד לדבור ונקדש בכבודי:

    משך חכמה שמות פרק יט פסוק יג

    במשוך היובל המה יעלו בהר. מה שאמר ההיתר תיכף [והיתר ד"לכו לאהליכם" אמר בסוף] משום שלימדה תורה דרך ארץ שלא יסיים בדבר רע שכתוב "לא יחיה". וזה שכיוונו חז"ל - דבאמת כל עיקר הדת היה כדי לעקור מלבות בני ישראל עניני עבודה זרה ולהראות להם כי לא ראו כל תמונה, וכמו שהארכתי לעיל (יב, כא) כי אין קדושה בשום נברא רק להבורא יתברך. וזה שאמרו שלא תדמו כי ההר הוא ענין קדוש ובסיבתו נגלה השם עליו - לא כן בני ישראל. כי "במשוך היובל (המה יעלו בהר"), והוא מעון חיות ובהמות. רק כל זמן שהשכינה עליו הוא קדוש מסיבת קדושת הבורא יתברך שמו. לכן אמר (תענית כא, ב) כי לא המקום מכבד את האדם אלא האדם מכבד את מקומו וכו'. וזה רעיון נכבד. ולכן בבית עולמים שקדושתן לעולם לכן שלא ידמו שיש קדושה בעצם הבנין, לכן מותרים ליגע כל הטמאים אף טמאי מתים מאחוריו, וכמו שדרשו בתורת כהנים פרשת תזריע (פרק א, ד) מ"לא תבא" (ויקרא יב, ד) דמאחורין מותרין ליגע בו כל הטמאים, להראות דרק ממי ששכן שמו בתוך הבית הזה אתה ירא, ובפנים ממנו קודש, לא מאחוריו, שמפנים הלוחות והעדות ומשכן הכבוד:

    ....ועוד נראה כמו שבארנו בכמה מקומות, דעל ידי מעשה גבוה לא נתקדש שום דבר, רק בהקדישו האדם. ולזה מוכרחין אנו לפרש המקרא (פסוק כג) הלא "אתה העידות בנו לאמר הגבל את ההר וקדשתו", לא שהשם ציוה למשה שיקדש ההר, רק שהוא שב אל השי"ת, שהוא יקדש אותו במה שירד לעיני כל העם על ההר. ואינו ציווי רק הוא עתיד [עבר מהופך ע"י הוי"ו לעתיד]. עוד נראה שלכן אמרו ז"ל (סוכה ה, א) מעולם לא ירדה שכינה למטה מעשרה, והלא היה מקום הכבוד למעלה מעשרה, ולא נתקדש קרקע ההר, ודו"ק בכל זה.

     

    שמות פרק כו פסוק לא

    וְעָשִׂיתָ פָרֹכֶת תְּכֵלֶת וְאַרְגָּמָן וְתוֹלַעַת שָׁנִי וְשֵׁשׁ מָשְׁזָר מַעֲשֵׂה חֹשֵׁב יַעֲשֶׂה אֹתָהּ כְּרֻבִים:

     

    משך חכמה שמות פרק כו פסוק לא

    (לא) ועשית פרכת וכו' מעשה חושב יעשה אותה. לפי שאין כאן הפסק בין קדשי קדשים להיכל במחיצה, לכן הפרוכת היה מעשה חושב, לרמז על ההבדל אשר מצד פרוכת זה לצד פרוכת זה, לכן היה ארי מצד זה ונשר מצד זה. לא כן במסך לפתח האהל ולפתח החצר היה "מעשי רוקם" (כו, לו), שהיו המחיצות מבדילות בין הפנים לחוץ. ולכן נסתפקו מקום מחיצות גופייהו אי קדושת חוץ להן או קדושים כמו בפנים, יעויין שם ביומא נא, ב. ולכן הכהן הגדול שנקרא קודש קדשים, ומעלתו היה שנכנס להקטר לפני ולפנים, אשר שם ההפסק במעשה חושב, לא במחיצה, לכן נעשה בגדיו: - האפד וחושן "מעשי חושב". וכתונת ומצנפת ואבנט (כח, לט) - שבהן שוה לכהן הדיוט, אשר זה יורה על ההגשה למזבח אשר עומד בחצר - נעשה "מעשה רוקם" ודו"ק.

     

    שמות פרק כו פסוק לג

    וְנָתַתָּה אֶת הַפָּרֹכֶת תַּחַת הַקְּרָסִים וְהֵבֵאתָ שָׁמָּה מִבֵּית לַפָּרֹכֶת אֵת אֲרוֹן הָעֵדוּת וְהִבְדִּילָה הַפָּרֹכֶת לָכֶם בֵּין הַקֹּדֶשׁ וּבֵין קֹדֶשׁ הַקֳּדָשִׁים:

    משך חכמה שמות פרק כו פסוק לג

    (לג) והבדילה הפרוכת לכם בין הקודש ובין קודש הקדשים. יתכן שכוון על דרך מה שאמר בדברי הימים (- א, כג, יג) "ויבדל אהרן להקדישו קודש קדשים וכו'". וזה שאמר כי הפרוכת הוא יבדיל לכם "בין הקודש ובין קודש הקדשים", שאהרן שמצווה לבוא מפנים הפרוכת, הוא "קודש קדשים". אבל מי שהוא "קדש" לבד אסור לבא מבית הפרוכת. וזה שאמר "והבדילה וכו' לכם" - שמצד הש"י השוכן בין הכרובים אין הבדל כי הוא "מלא כל הארץ כבודו", רק מצדכם הוא הבדל. ודו"ק.

     

    שמות פרק יט פסוק יב

    וְהִגְבַּלְתָּ אֶת הָעָם סָבִיב לֵאמֹר הִשָּׁמְרוּ לָכֶם עֲלוֹת בָּהָר וּנְגֹעַ בְּקָצֵהוּ כָּל הַנֹּגֵעַ בָּהָר מוֹת יוּמָת:

    משך חכמה שמות פרק יט פסוק יב

    (יב) והגבלת את העם סביב לאמר. הענין דהכבוד האלקי והנבואה היה עד מקום שישראל עומדים נגד ההר, וכמו שאמר (דברים ה, ד): "פנים בפנים דיבר ה' עמכם בהר". וכמו שבעזרה אמר בתורת כהנים (ריש תזריע) שמותר בנגיעה ואסור בביאה, משום שהכתלים הם חוצצים בין משכן ה' לחוצה, כן כאן היו ישראל המחיצות החוצצים בין גלוי כבוד אלקים לזולתו. ולכן ההר היה אסור בנגיעה שלא כלתה מקום הכבוד מן ההר. ולכן אמר כי הכבוד יש לו גבול, ומה גבולו? זה "העם סביב". וזה "והגבלת" - במה? "את העם" - עם "העם סביב", שהם יהיו המגבילים. לכן - "השמרו לכם (עלות בהר) ונגוע בקצהו וכו' ויאמר ה' (אל משה: רד) העד בעם פן יהרסו אל ה' לראות" (פסוק כא) - זהו על ההבטה הנבואית יותר מכח אלקי השופע עליהם שיעמיקו להביט אל הדברים שכיסה עתיק יומין. "ויאמר משה (אל ה') לא יוכל העם לעלות" - למעלה נבואה כזו - ("אל הר סיני) כי אתה העדות בנו לאמר הגבל את ההר וקדשתו" (פסוק כג). ("ויאמר ה' אליו) לך רד ועלית" - פירוש שלא תדמה כי הכבוד והגלוי יהיה רחוק ממקום ישראל. לא כן כי "פנים בפנים" ידבר עמהם, והגלוי יהיה סופו עד מקום שעומדים העם, והם יהיו המחיצות למקום הכבוד, וההר הוא כמו ההיכל, ואצל העם הוא כמו עזרה. וכמו שאמרו במנחות (כז, ב) שקדושת ההיכל אינו רק כשנכנס דרך עזרה, כן קדושת ההר אינו רק למי שנכנס דרך מקום שעומדים העם. לכן "לך רד ועלית" וגו' - כי אז תחול הקדושה אליך ביתר שאת - "והכהנים והעם אל יהרסו וכו'". ובמנחות דף כז, ב הוא אצל הנכנס לבית הכפורת, דממעט דרך משופש אפילו בדרך ביאה, כמו שפירשו בתוספות שם יעויין וד"ק.

    ולכן כיון שישראל המה היו מחיצות הכבוד והמה היו משכן לאלקות, כן נשאר קדושתן לעולם, וכמו שאמר (שמות כח, ח) "ושכנתי בתוכם", וכמו שכתוב (ירמיה ז, ד) "היכל ה' המה". ולכן, (מגילה כט, א) 'גלו לבבל שכינה עמהם', וכמו מחיצות וקרשי המשכן. אבל ההר, קדושתו לשעה, וכמו כל מקום שעמד המשכן, לכן בהר כתוב ההיתר תיכף "במשוך היובל המה יעלו בהר" (פסוק יג) שמעיקרא לא נתקדש רק לשעה. אבל ישראל קדושתן לעולם, לכן אחר זמן התיר להם "שובו לכם לאהליכם" (דברים ה, כז).

    וזה ביאור הילקוט (יתרו שא) "ויעמד העם מרחוק" - מבית הבחירה נדבר עמו, דכתיב (בראשית כב, ד) "וירא את המקום מרחוק". שישראל היו הן המחיצות לההר וקדושתן קדושת עולם, לכן היה משפט ההר כמו בית הבחירה. 'ואברהם קראו הר, ויצחק שדה (ויעקב קראו בית' - פסחים פח, א). ולכן "וירא המקום מרחוק", פירוש, בזמן שראה אברהם שלא יהיה "בית" רק בבנין שלישי, "וציון שדה תחרש" (ירמיה כו, יח), ושלטו בו ידי ישמעאל ואליעזר (בראשית שם פסוק ה) "שבו (לכם פה) עם החמור", שלא תלכו לההר, כי עוד רחוק שיאמרו כל הגויים "נקומה ונלכה בית ה'" (ע"פ מיכה ד, ב). או יתכן כי אם לא חטאו בעגל ולא נשתברו הלוחות, היה חירות משעבוד מלכיות, והיה אז בית הבחירה ל"בית".

  • Béchala'h- Courtoisie et mitsvote

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

     

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    Bechalah – La courtoisie, plus importante que les Mitzvot ?

     

    Quel juif pratiquant n’a jamais entendu cette tirade : « c’est bien beau de respecter les Mitzvot, de mettre les Téfilines, de respecter Chabbat, etc…, mais si c’est pour avoir un comportement humain détestable, ça sert à quoi d’être religieux franchement ? »

    L’argumentaire sous-jacent de cette attaque est plutôt simple à identifier. Un des objectifs du judaïsme serait de faire de la vie des êtres humains une vie constructive, apaisée avec ses semblables, créant un environnement pouvant contribuer à rendre l’homme meilleur, en partie en lui inculquant les règles élémentaires de civilité autorisant une vie en commun possible.

    Comme ce ne sont pas les injonctions pratiques qui manquent dans la Thora, il suffirait d’intégrer des règles spécifiques rendant l’homme plus éduqué dans ses relations humaines, au-delà des comportements purement contractuels et au-delà du respect des injonctions « religieuses ».

    Réponse classique : « Mais c’est le cas ! Regardez, la Thora interdit le Lachon Hara (la médisance), elle considère sévèrement toute volonté de créer une scission au sein du peuple, de créer des clans ou même d’humilier son prochain. C’est donc bien dans le projet de la Thora ! »

    Il existe deux objections à cette réponse convenue (mais néanmoins exacte) : d’abord l’expérience montre que certains Juifs très attachés aux Mitzvot dites « Ben Adam Lamakom », qui régissent la relation entre l’homme et Dieu, sont parfois moins regardants sur les Mitzvot « Ben Adam Lahavero », entre un homme et son prochain, sans que cela n’attire de désapprobation spécifique.

    Ensuite, chose étrange, si la Thora prévoit bien des punitions sévères pour les idolâtres, les meurtriers ou les transgresseurs du Chabbat, elle ne prévoit aucune punition formelle pour les auteurs de Lachon Ara, de colporteurs de rumeurs ou même de vol. Pas de coups de bâton, ni mise à mort, rien de spécial si ce n’est une vague amende dans le cas du vol.

    C’est de ce dernier constat que part le Mechekh Hokhma pour introduire un commentaire qui n’a a priori rien à voir avec la Paracha.

    Il n’explique pas cette différence de traitement entre certaines fautes « théologiques » et celles qui impliquent une déficience en matière de qualités morales, de civilités ou même de courtoisie[i]. Mais il tient absolument à nous faire voir, dans son développement, que l’absence de punition individuelle pour des actions de ce type ne saurait équivaloir à une infériorité qualitative de ces commandements, et donc à contrer le reproche si ancien que le judaïsme subit depuis des siècles : appelez-le pharisaïsme, absence d’empathie pour les autres, pointillisme législatif faisant oublier l’importance du vivre ensemble, etc, etc…

    L’axe de réponse du Mechekh Hokhma est le suivant : il n’y a en effet pas de punition prévue pour l’individu passible de contrevenir à ces règles de civilités élémentaires, mais lorsque c’est la collectivité qui est prise en défaut sur ces qualités, la gravité de la situation ne suscite presque aucun espoir quant à la survie du groupe en question, ou en tous cas quant à la possibilité d’échapper à une perception incroyablement négative par Dieu.

    Rav Meïr Simha Hacohen de Dvinsk multiplie les exemples pour soutenir sa démonstration :

    • La génération de David était composée de Justes, mais puisqu’il y avait en son sein des délateurs, elle se faisait battre lors de ses campagnes militaires.[ii] A l’inverse, la génération d’Akhav était pleine d’idolâtres et de gens de débauches, mais puisqu’ils étaient irréprochables du point de vue de l’unité du peuple, de l’absence de médisance entre eux ou de discorde, la Thora dit même que la Shekhina résidait parmi eux ![iii]
    • Le 1er Temple a été détruit à cause des crimes de meurtre, d’idolâtrie et de débauche sexuelle[iv], mais….il a finalement été reconstruit, alors que le 2ème Temple, détruit à cause de la Haine gratuite entre Juifs n’a toujours pas été reconstruit. Ce qui montre bien, dit le Mechekh Hokhma, qu’ « Il est plus grave pour une collectivité de faillir en matière de qualités morales, que de transgresser les Mitzvot »
    • Dieu a pardonné la faute du faute du Veau d’Or, assimilable à de l’idolâtrie. Mais il n’a pas pardonné la faute des Explorateurs, dont la médisance était le cœur de la transgression, preuve encore qu’une faute collective portant sur l’éthique du peuple est plus impardonnable que servir un autre Dieu

    La charge est violente, mais quel rapport avec la Paracha ?

    Il se trouve qu’un Midrach[v] fait référence aux réticences qu’avaient les Anges et la mer à effectuer autant de miracles pour les enfants d’Israël en Egypte et lors de leur sortie. Pourquoi, dit Samaël, faire des miracles pour les enfants d’Israël alors qu’ils étaient idolâtres et donc fautifs ?

    Le Mechekh Hokhma donne une raison extraordinaire et relit le midrach de façon très personnelle. « Si j’ai fait tout cela pour les enfants d’Israël, aurait répondu Dieu, c’est parce que c’était un peuple uni, d’où la discorde était absente. Si j’ai choisi de faire en sorte que la mer s’ouvre et crée des murs de part et d’autre de leur avancée (« VeHamaim lahem Homa »), c’est bien parce que j’ai confiance dans les qualités morales de ce peuple. »

    Mais il y a un problème : l’expression « VeHamaim lahem Homa » (« Et les eaux se dressèrent en muraille ») est dite à deux reprises dans la Paracha[vi], la deuxième fois après que les Egyptiens furent engloutis par la mer. Et le mot Homa n’est pas orthographié de la même façon que la première fois qu’il apparaît. Il l’est de façon défectueuse, avec un Vav manquant, ce qui ne se lit plus « Muraille », mais « Fureur, Colère ».

    Pourquoi la mer serait en colère ? Parce qu’à ce moment-là, ce qui justifiait l’apparition des miracles pour les enfants d’Israël, c’était leur unité collective. Or un épisode fameux, se tenant juste avant l’ouverture de la mer, a fait s’effondrer ces qualités. C’est la complainte des Hébreux lorsqu’ils se rendent compte que la mer est devant eux, que les Egyptiens sont sur le point de les rattraper et qu’ils se trouvent dans une sorte d’impasse existentielle.

    A ce moment-là, dit un autre Midrach, le peuple s’est scindé en 4 groupes concurrents, chacun essayant de proposer une solution différente : retourner en Egypte, se suicider, se battre contre les Egyptiens ou prier. Aucune de ces solutions (y compris la prière !) ne trouve grâce aux yeux de Dieu.[vii] On comprend maintenant pourquoi : ce qui avait fait la force des enfants d’Israël jusqu’à présent s’évanouit du fait de cette dissension fatale. Fatale, finalement pas, probablement pour des raisons supérieures, mais le texte devait en garder la trace, d’où l’absence de ce Vav, d’où la mention de cette colère envers un peuple qui ne méritait plus finalement d’être traité différemment des Egyptiens qui eux, ont été engloutis.

    Cette relecture audacieuse du Midrach par le Mechekh Hokhma nous laisse avec de nouvelles questions : les enfants d’Israël s’en sont finalement sortis malgré la déliquescence de leur civilité et de leur concorde. Est-ce que la punition était censée venir plus tard ? Dans le cadre de l’épisode des explorateurs ?

    Quoiqu’il en soit, le plaidoyer incroyablement puissant du Mechekh Hokhma en faveur d’une société apaisée, sachant cohabiter en harmonie, respectueuse des positions parfois opposées de chacun, même lorsque des situations de transgression flagrante des Mitzvot se font jour, est une position originale pour un sage lituanien du 19ème siècle, mais qui sonne de façon étrangement familière aux oreilles d’un Juif du XXIème siècle.

     

    FRISON

     

    *Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    *Texte original :

    משך חכמה שמות פרק יד
    (כט) והמים להם חומה מימינם ומשמאלם. בהתבונן בדרכי התורה נראה כי במצוות שמעיות כמו עבודה זרה ועריות יש כרת וסקילה ושאר מיתות ומלקות. לא כן בנימסיות ומידות כמו מחלוקת לשון הרע, רכילות, גזל, אין בו מלקות, דהוי לאו הניתן לתשלומין או דהוי לאו שאין בו מעשה (ספרי לדברים כה, ב). אולם זה דוקא ביחיד העושה, אבל אם הצבור נשחתין, בזה מצאנו להיפך בירושלמי דפאה (פרק א משנה א): דורו של דוד כולם צדיקים היו, ועל ידי שהיו בהם דלטורין היו נופלים במלחמה וכו', אבל דורו של אחאב, עובדי עבודה זרה היו, ועל ידי שלא היו בהם דילטורין היו יורדים למלחמה ומנצחים. שאם הצבור נשחתין בעבודה זרה ועריות על זה נאמר (ויקרא טז, טז) "השוכן אתם בתוך טומאתם". אבל בנימוסיות ומידות לשון הרע ומחלוקת, על זה כתוב (תהלים נז, ז) "רומה על השמים" וכו', כביכול סלק שכינתך מהם. וגדולה מזו אמרו (יומא ט, א) שבמקדש ראשון היו עובדי עבודה זרה עריות (ושפיכות דמים) ובמקדש שני היו עוסקים בתורה ובמצוות (וגמילות חסדים, ומפני מה חרב?) מפני שנאת חנם, (ללמדך ששקולה שנאת חנם כנגד שלוש עבירות: - ע"ז גילוי עריות ושפיכות דמים). ושם שאלו, מה הם גדולים? - תנו עיניכם בבירה שחזרה לראשונים (ולא חזרה לאחרונים). הרי דאם הצבור נשחתים במידות, גרוע יותר מאם נשחתין במצוות. ולכן אמר רבי יוחנן (פרק) חלק (סנהדרין) דף קח, א: בא וראה כמה גדול כוחו של חמס, שהרי דור המבול עברו על הכל ולא נחתם גזר דינם אלא על שפשטו ידיהם בגזל, דכתיב (בראשית ו, יג) "הנני משחיתם... כי מלאה הארץ חמס". שעל עריות דין צבור יש להם והיה מרחם עליהם, אבל על נימוסיות לא יתכן - ולכן על חילול שבת בעונותינו הרבים שנתפשט, יאחר להם כי הם צבור. ואף בעבודה זרה אמרו בספרי "והנפש ונכרתה", שאין הצבור נכרתים - אבל כיון שפרצו בנימוסיות, הולכים בחרבות וחצים לחמוס ולגזול, ונשחתו במידות כי המה כחייתו טרף, אז נקום ינקם ה' ולא יאחר. כי איך נחשוב להם? אם כיחידים, הלא על מצוות הן נכרתין; ואם כצבור, הלא על נימוסיות הן יתמו! וכן בדור המבול: - על גזל לבד היה דנן כיחידים, אבל כיון ש"השחית כל בשר את דרכו" (בראשית ו, יב), אם היה דן אותו כל יחיד לעצמו היה נכרת, ועל כרחך דדן אותן בהצטרף כצבור, והיו נכרתין עבור הגזל.
    ולכן מצאנו שעל העגל שהיה החטא בעבודה זרה, מחל הקדוש ברוך הוא להם ונתרצה להם (שמות לב, יד), אבל על מרגלים שהיה לשון הרע וכפיות טובה לא מחל להם, ונגזר "במדבר הזה יתמו" וכו' (במדבר יד, כט - לה). ומזה אתי שפיר המדרש (מכילתא מדרש אבכיר) שהובא בילקוט (רלד) "והמים להם חומה" (שמות יד, כט) - מלמד שעמד סמאל ואמר: רבש"ע לא עבדו עבודה זרה ישראל במצרים ואתה עושה להם נסים?! (והיה משמיע קולו לשר של ים), נתמלא עליהם חמה וביקש לטובעם [לכן כתוב "חמה" - חסר ויו]. היינו דעל הנסים שעשה להם בהוציאם ממצרים לא טען, משום דהגם דהיו נשחתין כמו שעבדו עבודה זרה והפרו ברית מילה, אבל מאושרין היו במידות שלא היה בהן לשון הרע, והיו אוהבין זה את זה, יעויין מכילתא בא פרשה ה, ולכן בצבור הקדוש ברוך הוא עושה להם נסים. אבל במים, כשנחלקו לארבע כתות, ויש שאמרו נשוב מצרימה, הלשין שצריך לדון אותם כיחידים, והן נכרתין על עבודה זרה, ואיך אתה עושה להן נסים?! ודו"ק.
    אמנם המסתכל יראה דבקרא קמא (פסוק כב) כתוב "והמים להם חומה" בוי"ו, רק בכתוב השני (פסוק כט) כתוב בלא וי"ו, ועל זה דרש המדרש שנתמלא חימה. והוא, דבאמת אמר להם 'משכו מעבודה זרה והדבקו במצוות', והם עשו תשובה על עבודה זרה, שהאמינו בה', וכן מלו עצמם ובשר בניהם ועבדיהם (שמות יב, מב - מו). ולכן לא היה לצעוק על שהשם יתברך עשה להם נסים במצרים בהוציאם ביד רמה בעמוד אש וענן. רק כאן שאמרו מצרים (פסוק כה) "אנוסה מפני ישראל כי ה' נלחם להם במצרים", הלא הודו כי ה' נלחם, וחזרו בהם לנוס מפניהם, אם כן גם הם עשו תשובה! [ומפני זה זכו לקבורה - רשב"ם דף קיח], על זה צעק הלא גם ישראל עבדו עבודה זרה במצרים ונמחל להם, אם כן מפני מה הללו ניצולים והללו יהיו נטבעים! על זה השיב הקדוש ברוך הוא (מכילתא שם): שוטה (שבעולם) וכי מפני ישוב עבדוה, הלא לא עבדו אלא מתוך שעבוד ומתוך טרוף הדעת?! אבל התשובה שפירשו מעבודה זרה ושחטו תועבת מצרים לעיניהם היו מתוך יישוב ומתוך ההרווחה, דששה חדשים בטל השעבוד מהם כיון שהחלו המכות. אבל המצרים הוא להיפך, דעבדו עבודה זרה מתוך ההרווחה והשלוה, והתשובה היתה מתוך הטרוף שנהממו בים, ולכן הם נטבעים וישראל עושה להם נסים. יתן השי"ת שבני ישראל ישובו לה' מתוך הרווחה, אמן!


    [i] Le Mechekh Hokhma emploie le mot « Nimousiot » qui signifie en hébreu moderne Politesse, courtoisie, bonnes manières

    [ii] Yerouchalmi Pea, Chapitre 1, Michna 1

    [iii] Yoma 52b

    [iv] Yoma 9a

    [v] Mekhilta, Midrach Avkir, Yalkout Chimoni 234

    [vi] Chemot 24 :22 et Chemot 24 :29

    [vii] J’avais produit un commentaire inspiré du Rabbi de Loubavicth sur ce passage : http://lemondejuif.blogspot.de/2007/01/bechalah-quand-la-route-se.html

     

  • Introduction au livre de Chemot

    *Cycle : la paracha selon le Mechekh 'Hokhma  

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      Le savoir comme identité. Introduction au livre de Chémot

     

    Dans son introduction au livre de chémot, le Méché’h ‘Ho’hma[1] pose un problème dont les enjeux existentiels ne sont pas immédiats. Le livre s’ouvre sur le début de la vie de Moïse et son accès à la prophétie, qui donnera à la révélation de la Torah. On se rappelle que les juifs ne vont pas écouter la Torah directement de Dieu, mais c’est Moïse qui l’apprendra puis la répétera. A priori Moïse possède un libre arbitre comme tout homme, il peut donc à chaque instant choisir de mentir sur le contenu de sa prophétie ; comment Dieu peut-il enjoindre alors à chacun de lui faire confiance ? Question naïve et simple.

    Tout d’abord le rav de Dvinsk répond brutalement « Dieu lui a ôté son libre arbitre ! ». Mais le développement de la réponse va permettre d’invalider cette compréhension première, laissant paraitre une problématique très étrange pour quiconque essaie d’étudier.

    Il commence par rappeler que « sans liberté, l’homme n’a pas de raison d’être ». Avant que la personne ne naisse « elle comprenait la Torah »[2]. Pourquoi ? Tout simplement car avant de naitre la personne ne se trouve pas confrontée à des obligations, pour elle la Torah est purement intellectuelle. Moïse a retrouvé cet état, par ses efforts, de sorte à ce que son corps « ne format plus un écran pour la réception de la Torah ».  

    Il précise que « par contre, l’état de prophétie auquel étaient conviés les hébreux lors de la révélation du Sinaï, n’était pas à cette altitude !  Leur compréhension passait avant tout par leur corps et leur sensibilité. C’est ce que les Sages appellent dans leur langage ‘ils n’avaient pas vaincu leur penchants’.

    Il précise alors un point qui va traverser toute son œuvre « pour un homme sujet à ses passions, la connaissance qu’il a d’une chose ne l’oblige pas ».

    Avouons que le langage est difficile, le maitre n’essaye pas de faire des mots, il utilise le fond de textes qu’il a à sa disposition pour exprimer une idée.

    Retraduisons, simplement, à l’aide d’un exemple.

    Lorsqu’un médecin apprend la médecine, on ne soupçonne pas qu’il ne va pas utiliser son savoir. C’est le principe même d’un diplôme : le savoir contraint celui qui le possède à l’employer. Une fois le diplôme passé, nul ne songe à vérifier si le postulant utilise ce qu’il a appris : on s’appuie sur la connaissance que possède un homme de son métier.

    Moïse est un homme pour qui la réflexion intellectuelle est au-dessus de toute valeur. Ce qui ne veut pas dire qu’il doit servir de modèle en cela, mais un tel homme existe. Pour lui, la question de l’application des lois ne se pose pas : il fait corps avec sa pensée. Pour le commun des hommes, une telle possibilité est mortelle : de ne plus vivre sous le régime des pulsions le tue ; c’est ce qui s’est passé lors de la Révélation su Sinaï, où « les âmes des juifs se sont envolées »[3], la découverte de l’existence d’un mode de vie où les pulsions n’ont plus cours (par exemple, dans l’image qu’on se fait de la vie hors du monde qui est celle d’un fœtus) est un arrêt de mort pour la plupart les hommes.

    Lorsqu’un médecin exerce, il mobilise son savoir sans que ses pulsions interfèrent avec sa pratique (c’est le cas dans la plupart des métiers). Tout se passe comme si le corps pulsionnel s’était tu. La certitude va si loin, que l’on se contente la plupart d’une plaque ou d’une étiquette pour accorder sa confiance[4].

    La problématique ici posée est celle de l’adhésion qu’un homme a à son savoir : son savoir est devenu pour lui une identité. On EST médecin, est un abus de langage : il faudrait dire qu’on connait la médecine ; le langage ne trompe pas ici, même s’il faut encore décrypter le phénomène. Moïse, dans son rapport à la loi divine, a extrémisé ce rapport pour qu’à chaque parole prononcée par Dieu, s’y jouait sa personne… « En toi [Moïse], on aura confiance en en l’éternité »[5].

     

    Franck BENHAMOU


    [1] Rav Méïr Sima’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926. Grand maitre de la génération d’avant-guerre. Auteur fécond et original, il est connu pour son commentaire sur la Torah, le Méché’h ‘Ho’hma ( le premier mot du titre est son acronyme), ainsi que son commentaire sur le Michné Torah de Maïmonide. Homme d’une énorme érudition, chef de communauté. Nous espérons faire part de notre engouement pour lui, avec mes camarades, tout au long des sections de cette année.

    [2] TB Nida 30b. Il s’agit bien évidemment d’une fiction qui n’a pour but que d’exprimer une idée dans un langage imagé.

    [3] Chabbat 88b.

    [4] Cette confiance est de moins en moins accordée, j’en conviens, mais il faudrait faire une réflexion sur la place exorbitante de l’argent dans nos sociétés.

    [5] Chémot 19.9. 

  • "Comme Ephraïm et Ménaché"

         *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

    « Comme Ephraïm et Ménaché »

     

    Il les bénit alors et il dit : « Israël te nommera dans ses bénédictions, en disant : Dieu te fasse devenir comme Éphraïm et Ménaché ! » II plaça ainsi Éphraïm avant Ménaché.    

    (Béréchit 48, 20)

     

    Pourquoi les deux fils de Yossef deviennent-ils le modèle des bénédictions adressées à la postérité d’Israël[1] alors que d’autres petits-enfants de Yaakov étaient alors présents en Egypte, notamment Pérets et Zéra’h, les deux fils de Yéhouda[2] ? Qu’avaient-ils de spécifique pour être ainsi distingués ?

    Pour répondre à cette question, il convient de s’attarder sur une autre interrogation plus classique : pourquoi Yaakov a t-il modifié l’ordre des bénédictions entre ces deux frères, en plaçant sa main droite, habituellement destinée à l’aîné, sur la tête du cadet -Ephraïm- et sa main gauche sur celle de l’aîné, Ménaché[3] ?

    Le Netsiv remarque que si le patriarche avait réellement voulu modifier l’ordre des bénédictions, il aurait changé la place de chaque enfant. Or le fait de changer les mains lui permettait d’avoir Ménaché près de son pied droit et Ephraïm près de son pied gauche. Ce choix n’est pas anodin : la main symbolise la réalisation spirituelle, alors que le pied symbolise la réalisation matérielle. A chaque fois que l’enjeu sera spirituel, Ephraïm sera à la tête, car il est davantage préoccupé par l’étude de la Torah et la proximité avec Dieu[4]. Mais lorsque des enjeux matériels pour la collectivité seront en balance, c’est Ménaché qui prendra alors la tête, car il est davantage porté vers les préoccupations terre-à-terre nécessaires pour le bon déroulement de la vie juive (tsorké tsibour)[5]. Aussi la stratégie du patriarche permet-elle en réalité de développer le potentiel de chacun au moment venu.

    Nous comprenons alors le choix de ces deux petits-enfants en tant que références pour la postérité d’Israël. A eux deux, les fils de Yossef représentent l’alliance entre le monde de la Torah (étude) et l’implication pratique dans la collectivité (tsorké tsibour). N’est-ce pas là la meilleure bénédiction souhaitable pour tout juif souhaitant s’investir dans le service de Dieu ?

     

    Yona Ghertman

     

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

     

    העמק דבר בראשית פרק מח פסוק כ

    יברך ישראל. ולא אמר בני ישראל, דמשמעו כלל האומה, אבל ישראל משמעו אנשי המעלה מי שראוי להיות מכונה בשם ישראל, הוא ראוי לברך:

    כאפרים וכמנשה. באמת היה עוד זרע ברוכי ה' בנכדי יעקב כמו פרץ וזרח ועוד הרבה, אבל אפרים ומנשה היה כל אחד גדולתו משונה מחבירו, אפרים היה גדול בתורה ודבק לאלהיו, ומנשה בהליכות עולם ועוסק בצרכי ישראל כמ"ש לעיל י"ד

    העמק דבר בראשית פרק מח פסוק יד

    שכל את ידיו כי מנשה הבכור. הוא מיותר, שהרי ידענו מענין הפרשה כי מנשה הבכור, אבל יש בזה עומק וכונה, דבאמת לא היה ליעקב לשכל את ידיו, אלא להפוך את מעמד הבנים, אבל באשר מנשה הבכור, מש"ה היה מכוין שיעמוד מנשה לרגל הימיני של יעקב ואפרים לרגל השמאל, ורק את ידיו שכל שיהיה להיפך, וטעמו של דבר שאע"ג שהקדים יעקב את אפרים לפני מנשה, ומש"ה היה במדבר ראש הדגל, מכ"מ בפקודי דפ' פינחס היה להיפך, ולא עוד אלא אפי' בפקודי דפ' במדבר כתוב בכל הדגלים והחונים עליו, משא"כ במנשה כתיב ועליו מטה מנשה, כל זה בא ללמדנו שלא היה אפרים קודם למנשה אלא בענינים רוחנים, מה שלמעלה מהליכות עולם הטבע, אבל בהליכות עולם היה מנשה קודם וגדול מאפרים, מש"ה במנין הראשון בהר חורב שהיה שכינת עולם על ראשם, וכל ההנהגה היתה למעלה מן הטבע היה אפרים קודם, אבל בפקודי דערבות מואב בכניסתם לארץ שהיה כמעט בהליכות הטבע כמבואר להלן ובס' במדבר ודברים, מש"ה היה מנשה קודם, וע' מש"כ בס' במדבר בשנוי ועליו מטה מנשה, וזה הגיע משום דבהליכות הטבע מעלת הבכורה מסוגלת הרבה כמש"כ לעיל כ"ז י"ט. והנה היד משמשת את הראש והדעת, והרגל משמשת הליכות הגוף לפי טבעו, ומש"ה אמרו חז"ל במליצתם עירובין ד"ע ב' יורש כרעא דאבוה, פי' הרגל טבע אביו שמהלך מעצמו בלי מחשבה ושכל, מש"ה רצה יעקב אשר מנשה יעמוד לרגלו הימנית, ושכל את ידיו להיות אפרים אך לידו הימנית, וע"ע בסמוך מקרא כ', וזהו שפי' הכתוב הטעם, כי מנשה הבכור

     

    [1] Contrairement à Rachi qui présente cette bénédiction comme la formule par laquelle tous les parents béniront les enfants, le Netsiv considère que le terme « Israël » désigne dans ce verset uniquement l’élite du peuple, ceux méritant d’être appelés ainsi, et dont la bénédiction aura un réel effet.

    [2] Peut-être le Netsiv nomme-t-il précisément ces deux petits-fils car ils sont mentionnés à part dans le récit biblique (Béréchit 38, 29-30), et également car Pérets a une grande importance dans l’histoire juive, puisqu’il est l’ascendant de la royauté davidique (Ruth 4, 18). Malgré cela, ce n’est pas lui qui aura le privilège d’être distingué des autres petits-enfants par Yaakov.

    [3] Béréchit 48, 14 : « Israël étendit la main droite, l'imposa sur la tête d'Éphraïm, qui était le plus jeune et mit sa main gauche sur la tête de Ménaché; il croisa ses mains, quoique Manassé fut l'aîné ».

    [4] Selon la tradition rabbinique rapportée par Rachi, Ephraïm se consacrait à l’étude de la Torah auprès de son grand-père (com. Sur Béréchit 48, 1).

    [5] Ménaché est présenté par la tradition rabbinique comme participant avec son père aux affaires du palais (voir Rachi sur Béréchit 42, 3). Sur la distinction chez le Netsiv entre ceux qui étudient et ceux qui s’occupent de la collectivité, cf. son commentaire magistral sur Devarim 10, 12.

  • La voie du prophète

       *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

       

    Mikets – La voie du prophète

     

    La thématique majeure de la Sidra de Miketz se situe autour de Yossef et de ses retrouvailles avec ses frères.

    Après plusieurs années en Egypte et de nombreuses péripéties, Yosssef est passé d’esclave emprisonné au titre de vice-roi d’Egypte, régent et coordinateur de la titanesque logistique mise en place afin d’affronter la terrible famine qui s’annonce.

    L’Egypte, devenue ainsi le grenier du monde, voyait affluer de toute part des affamés venant se ravitailler.

    C’est dans ces circonstances que 10 des 11 frères de Yossef se sont retrouvés devant ce dernier, qui les a immédiatement reconnus.

    Yossef, devenu homme respectable et respecté, maitre de l’Egypte, que l’on pourrait deviner impatient de revoir son père et sa famille après cette douloureuse séparation, s’est étonnement comporté en étranger (וַיִּתְנַכֵּ֨ר אֲלֵיהֶ֜ם) et s’est mis à leur parler rudement (קָשׁ֗וֹת). S’ensuit toute une série de mise à l’épreuve des frères, jusqu’au dévoilement final de sa véritable identité.

    Pourquoi un tel jeu de dupes, qui a mentalement nuit à tous les protagonistes de cette malheureuse histoire, de l’innocent Binyamin à son père Yaakov en passant par Yossef lui-même qui a dû plusieurs fois s’isoler pour pleurer et évacuer sa tristesse ? Serait-ce par froide vengeance que Yossef s’est lancé dans une telle folie ?

    Le Netsiv balaye cette hypothèse qui ne sied guère à la trempe d’un homme telle que Yossef.

    Il explique que l’origine du comportement troublant de Yossef provient des deux fameux rêves qu’il a fait au début de la Sidra précédente. Ce dernier s’est aperçu que le premier rêve, celui des gerbes des frères se prosternant devant sa propre gerbe s’est réalisé. Ils venaient en effet de se prosterner devant Yossef dès leur arrivée devant lui.

    Ainsi, les fameux rêves incohérents, d’un adolescent un peu trop choyé par son père, qui ont exacerbé la colère de ses frères et l’incrédulité de son propre père, étaient finalement des prophéties.

    Et donc poursuit le Netsiv, Yossef comprend que l’accomplissement du second rêve ne dépend que de lui.

    L’enjeu est crucial, Yossef ne peut pas annuler ses propres inspirations. Un prophète est un vecteur de la volonté divine et à l’instar de Yona, qui ne voulait prophétiser à Ninive, il ne peut taire la volonté divine.

    Il a donc dû se résigner à provoquer un engrenage qui a été capable d’engendrer l’expression de cette volonté, et pour cela, accepter d’emprunter un chemin si lourd.

    Savoir faire preuve d’abnégation devant la volonté de son Créateur, telle est la voie d’un authentique prophète tel que Yossef le juste.

     

    Elie DAYAN

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר בראשית פרק מב
    את החלומות. שני החלומות, והודיע הכתוב שלא מחמת נקימה ח"ו התהלך עמם בעקשות כזה, אלא משום שנזכר החלומות שהוא כעין נבואה, שהרי החלום הראשון כבר נתקיים, וא"כ עליו לראות שיקוים גם השני, ואם לא יעשה כן יהיה כנביא שמוותר על דברי עצמו, על כן ביקש סיבה שיגיע לזה: 

     

  • Yossef et ses frères

     *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

    Yossef et ses frères : une relation complexe qui prend tout son sens

     

    Le premier grand sujet traité dans notre Paracha est celui bien connu de la crise relationnelle entre Joseph et ses frères, qui, comme nous le savons, conduira à son départ en Egypte et bouleversera le destin du monde entier.

    Difficile d’analyser les liens entre ces onze frères, entre l’amour et la haine fraternels. S’agit-il d’une banale histoire de jalousie entre frères qui s’estiment lésés par un parent qui a son préféré ? Dans quelle mesure l’enjeu du leadership du peuple juif pèse-t-il ? Joseph est-il responsable de l’attitude de ses frères ?

    Le Netsiv nous invite à prêter attention aux détails dans ces versets, et nous offre ainsi une nouvelle grille de lecture de ce conflit qui dépasse le cadre familial.

    En premier lieu, il faut distinguer deux groupes parmi les fils de Jacob, qui en voudront à Joseph pour différentes raisons. Les enfants des servantes reprochent à leur jeune frère d’avoir mal parlé d’eux à leur père (verset 2). Mais lui-même a agi ainsi car il estimait ne pas être correctement traité par ses demi-frères, qui le mettaient sur un pied d’égalité avec eux, alors qu’il aurait attendu plus d’égards. Joseph participe à ce système, mais s’en plaint néanmoins. Premier quiproquo.

    Pour les fils de Léa, le ressentiment est autre. Dans le verset 3, Jacob préfère Joseph à ses autres FILS. Mais dans le verset 4, les enfants ressentent qu’ils le préfèrent à ses FRERES. La différence est de taille : comme l’explique le Netsiv, Joseph est le fils qui ressemble le plus à son père, notamment parce qu’il recherche toujours à éviter les conflits. Il est conscient que ses autres enfants ont d’autres qualités, et il n’estime pas Joseph supérieur à ses frères, mais par nature un homme a toujours plaisir à se reconnaître dans son enfant. Mais les autres fils interprètent mal cette inclination, ils s’imaginent que leur père le croit meilleur qu’eux. D’où la naissance de la jalousie. Second quiproquo.

    A partir de là, toute la suite de la relation sera faussée. Ils croient que Joseph les déteste, et donc ils le détestent en retour. Tout ce qu’il fera ou ne fera pas sera perçu négativement.

    Lorsqu’il viendra leur raconter son premier rêve, ils prennent cela pour de l’hypocrisie. En effet, on sait qu’on ne parle de son rêve qu’à quelqu’un qui nous aime. Il vient donc jouer le jeu du frère affectueux, alors qu’ils sont persuadés de sa duplicité. Et ils le haïssent donc encore plus. On voit cela dans le verset 5, où la simple évocation du rêve, avant même son récit, suffit à augmenter leur ressentiment.

    Le terme « et voici » dans le verset 7 évoque que la prise de pouvoir de Joseph se fera en deux temps : il commencera par se dresser et être puissant, puis ses frères le reconnaitront et se prosterneront devant lui. Cela aussi leur est insupportable : dans le verset 8 ils opposent la royauté et la maîtrise. Ils peuvent imaginer qu’un jour il sera plus puissant qu’eux et deviendra leur maître, mais l’accepter comme roi suppose qu’il leur est supérieur, et cela ils ne pourront jamais le reconnaître.

    Ils interprètent ce rêve comme le fruit de ses fantasmes conscients : être le leader parce qu’il croit être meilleur qu’eux. Alors que Joseph pense être toujours engagé dans une relation sincère d’amour fraternel, et que ce jeune homme de 17 ans raconte en toute bonne foi ce qu’il vit, ses frères sont définitivement dans le registre de la haine. Ils lui reprochent à la fois ses rêves de grandeur, mais aussi son attitude trompeuse (ses rêves et ses paroles dans le verset 8).

    Avec le second rêve, on bascule dans la jalousie (verset 11). En effet, Joseph sait que ses frères ne l’auraient pas écouté, et il profite de la présence de leur père pour raconter son rêve. Et l’interprétation que lui donne Jacob leur fait comprendre que ce n’est pas juste le fruit des pensées secrètes de leur jeune frère, mais bien une réalité qui deviendra concrète. Et c’est définitivement trop pour eux.

    La conséquence de ce malentendu dans les relations entre frères éclatera plus loin dans le récit : au verset 17, un homme informe Joseph que ses frères « sont partis d’ici » et se sont dits « allons à Dothan ». Rachi explique qu’ils ont quitté tout sentiment de fraternité, contrairement à Joseph qui les présente toujours comme ses frères. Ils cherchent des prétextes juridiques (Dath = la loi) pour le mettre à mort. Mais le verset 18 aurait du dire qu’ils complotaient à son sujet. Au lieu de cela, on emploie une forme impropre : « ils le complotaient ». le Sforno explique qu’ils le suspectaient tellement de trahison et de fourberie, qu’ils l’ont eux-mêmes trahi. Au point, dit le Netsiv, de chercher sa mort.

    Toute cette pièce apparait donc comme un drame de la communication, qui amène des frères valeureux à se détester et à se jalouser, jusqu’à faire disparaitre l’un d’entre eux.

    Mais une autre lecture s’impose aussi dans ce passage, qui prouve que tous ces acteurs ne sont que des marionnettes, qui obéissent à une Volonté Supérieure. Le but est clairement affiché : par l’intermédiaire de Joseph, faire descendre tout le peuple d’Israël en Egypte le plus confortablement possible, afin de réaliser la promesse faite à Abraham. Dès lors, le Créateur va tirer les fils et mettre en place tous les éléments du scénario.

    Tout d’abord, le Netsiv remarque qu’on parle toujours du père sous son nom d’Israël (versets 3 et 13), ce qui indique que chaque parole de Jacob lui était inspirée par l’Esprit Saint. Même l’amour qu’il portait à son fils avait une dimension spirituelle.

    De même, lorsqu’il envoie Joseph prendre des nouvelles de ses frères, il lui dit « Lekha », alors que « Va » se dit généralement « Lekh ». D’autre part, Jacob aurait pu envoyer n’importe qui d’autre accomplir cette mission. Le Netsiv rapproche ce « Lekha » de celui qui sera dit à Moïse, et explique que le père a bien compris l’importance de ce qui allait se passer, et que Joseph était le seul à pouvoir réaliser ce vaste projet conçu par le Maître du monde.

    La rencontre avec cet homme mystérieux qui va le mettre sur la piste de ses frères est aussi étrange. « Un homme le trouva » : Joseph étant à la recherche de sa famille, il aurait fallu dire qu’il a rencontré un homme. Et le voilà qui parle de ses frères à un inconnu, comme si celui-ci savait de qui il s’agit. Il est donc évident qu’il s’agit d’un ange, envoyé en mission par le Tout-Puissant, qui trouve Joseph.

    Il déclare « ils sont partis d’ici, car je les ai entendus dire « allons à Dothan », comme si la raison de leur départ était ce qu’il a entendu. Le Netsiv explique grâce à Rachi, ils ont quitté le sentiment de fraternité auquel tu t’identifies encore, car j’ai entendu qu’ils complotent contre toi.

    Joseph avait donc tous les indices pour se méfier, mais la Volonté Divine était qu’il ne soit pas sensible à ces avertissements, afin qu’arrive ce qui devait arriver.

    Cette Volonté immanente s’incarnera dans le verset 20, « nous verrons ce qu’il advient de ses rêves ». Rachi explique au nom du Midrach que c’est l’Esprit Saint qui a dit cela : vous voulez le tuer, nous verrons ce qu’il adviendra à la fin. Le Netsiv accorde ce Midrach avec le sens littéral du verset : cette phrase a bien été dite par les dix frères, mais ils ne savaient pas que c’était le Maître de tout qui plaçait ces mots dans leurs bouches, et qui leur donnait un tout autre sens : faites ce que vous voulez, dites ce que vous voulez, en fin de compte c’est ma Volonté qui se réalisera par votre intermédiaire et à votre insu.

    Il y a donc dans ce récit une dimension dramatiquement humaine, entre les membres d’une même famille qui se prêtent à tort des sentiments et qui agissent aveuglés par leur erreur. Mais il y a au-delà de ça, un grand projet divin, dans lequel chaque acteur joue son rôle sans savoir que la pièce a déjà été écrite.

    Franck DELACHE

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

  • Esaü pervers mais polymorphe ?

     *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

          Esaü pervers mais polymorphe ?

     

    C’est un moment dramatique, plein de suspens, que ménage la Thora dans cette Paracha.

    Alors qu’on avait quitté Esaü à la fin de Toldot, jurant de tuer son frère dès que la mort de son père serait effective[1], on retrouve cet éminent personnage au début de Vaychlah pour des retrouvailles attendues, mais inquiétantes. Jacob prend en effet l’initiative de contacter Esaü, sachant que le moment de vérité ne pourra pas être reporté plus longtemps. Moment où les deux frères devront se retrouver nez à nez pour solder l’épisode tragique du vol par Jacob de la bénédiction paternelle initialement dédiée à son frère.

    Les retrouvailles auront lieu, avec un dénouement inattendu dont nous essaierons d’éclairer les enjeux à l’aide des commentaires de Rachi et du Netziv.

    Mais avant, nous sommes obligés de revenir un peu sur les forces en présence…

    QUI EST VRAIMENT ESAU ?

    Dans l’imaginaire collectif, Esaü est l’ennemi intime du peuple juif, le grand Satan par excellence. Les commentaires traditionnels, Rachi en tête, font d’Esaü une sorte d’hypocrite sans foi ni loi[2], uniquement attaché au monde matériel, peu préoccupé de son héritage spirituel et finalement l’archétype de l’antisémite éternel.

    Pourtant, à s’en tenir au sens littéral du texte, Esaü ne semble pas mériter tant d’infamie. Certes, il aime bien chasser dans les champs, il ne fait pas grand cas du concept d’aînesse et finalement déteste Jacob. Mais enfin, est-ce une raison pour que la Tradition le portraiture en ancêtre d’Amalek et d’Hitler ? La parole est à la défense :

    • Esaü est dans le monde de l’action. Il ne se cantonne pas dans une tente comme son frère en dehors du monde. Il cherche à avoir un impact sur ce monde, à le façonner, quelque part en digne héritier d’un Isaac qui a su persévérer dans son action de créer des puits en terre d’Israël malgré les obstacles
    • Il délaisse le droit d’aînesse en le vendant à son frère. Mais en y regardant bien, n’est-ce pas Jacob qui toute sa vie a cherché à torpiller ce concept d’aînesse pour y substituer un principe méritocratique : « ce n’est pas la naissance qui compte, mais la qualité de ses actions ? »[3]. En effet, Jacob dérobe la bénédiction paternelle à son frère l’aîné, mais il choisit ensuite de se marier avec Rachel alors que Léa n’est pas mariée[4], et enfin inverse ses mains lorsqu’il doit bénir les fils de Joseph, Ephraïm et Ménaché, en refusant de donner à l’aîné la place qu’il est censé occuper. Sans compter le fait qu’il a semblé donner à Joseph un statut d’aîné qui revenait pourtant de droit à Ruben.
    • Enfin, Esaü haït Jacob, mais n’est-ce pas pour une bonne raison ? Celui-ci l’a honteusement dépossédé d’une bénédiction qui avait une importance capitale à ses yeux. C’est Jacob le méchant dans cette histoire, pourquoi diable vouloir charger à tout prix Esaü ?

    Car Esaü est accablé par les commentateurs et même les commentateurs de commentateurs.

     

    RACHI, CONTEMPTEUR D’ESAU

    Un exemple parmi d’autres dans Toldot. A la fin de cette paracha, le texte mentionne que Rébecca était « la mère de Jacob et d’Esaü »[5]. Rachi, dans une glose célèbre, indique : « Je ne sais pas ce que cela vient nous enseigner ».[6]

    Savoir faire la preuve de son ignorance est une preuve d’humilité et si elle n’avait dû servir qu’à ça, cette phrase de Rachi aurait largement suffi à nous administrer une leçon magistrale quant à notre rapport au texte.

    Mais Manitou pense que Rachi cache quelque chose[7]. Qu’il s’agit en réalité d’un indice posé là volontairement par Rachi pour nous amener vers quelque chose de plus profond, sans toutefois masquer une réelle incertitude. Quel est cet indice ? En réalité, le problème posé par cette phrase « Mère de Jacob et d’Esaü » est assez évident. Jacob est cité en premier alors qu’Esaü est l’aîné. Une phrase bien tournée aurait dit « Mère d’Esaü et de Jacob ». Bien entendu, une réponse évidente serait d’affirmer qu’il s’agit ici d’une officialisation textuelle du nouveau statut de « Bekhor » (d’aîné) qu’occupe désormais Jacob. Mais ce n’est pas ce que Rachi choisit de nous dire. Pourquoi ?
    Manitou relève que Rachi a eu un commentaire spécifique à propos d’une inversion similaire concernant Isaac et Ishmaël, où Isaac était cité avant Ishmaël lors de l’enterrement de leur père. Rachi explique que l’inversion signifie que Ishmaël s’est finalement repenti de ses erreurs passées, qu’il a fait Techouva et que son comportement n’est plus sujet à caution.

    Par effet de transposition, Rachi aurait tout à fait pu administrer une explication similaire : un jour Esaü fera Techouva et rejoindra le service divin incarné par Jacob. Or, pour Rachi, il semblerait que l’idée même qu’Esaü fasse Techouva soit complètement invraisemblable, une anomalie ontologique qui ne cadre pas avec ce que la tradition nous enseigne du royaume d’Edom, dernier empire à devoir asservir Israël avant la libération finale. Voilà pourquoi Rachi ne peut pas reprendre son commentaire évoqué sur Ishmaël pour l’appliquer à Esaü. Et voici pourquoi il fait la preuve de son ignorance : Esaü ne peut pas faire Techouva.

    Pourquoi la tradition « charge » Esaü à ce point alors que le simple texte de la Thora ne nous le laisse pas entrevoir ? C’est une question très importante mais à laquelle nous ne répondrons pas ici. Ce qui nous intéresse, c’est ce statut qu’a acquis Esaü auprès des Sages d’Israël et leur approche du comportement finalement surprenant d’Esaü envers Jacob lorsqu’il le retrouve enfin.

    LA RENCONTRE ENTRE JACOB ET ESAU

    Car c’est bien de cette rencontre décisive entre Jacob et Esaü que nous voulons traiter. Après la lutte avec l’ange qui vit le changement de nom de Jacob en Israël, voici ce que dit le texte[8] :

    Jacob, levant les yeux, aperçut Ésaü qui venait, accompagné de quatre cents hommes. II répartit les enfants entre Léa, Rachel et les deux servantes. Il plaça les servantes avec leurs enfants au premier rang, Léa et ses enfants derrière, Rachel et Joseph les derniers. Pour lui, il prit les devants et se prosterna contre terre, sept fois, avant d'aborder son frère. Ésaü courut à sa rencontre, l'étreignit, se jeta à son cou et l’embrassa; et ils pleurèrent. 

    Le texte physique de la Thora marque une spécificité sur le mot « Vaychakehou », « Il l’embrassa ». Ce mot dans le Sefer Thora est accompagné de points au-dessus de chaque lettre de ce mot, ce qui n’a pas manqué de faire réagir les commentateurs, Rachi en tête. Ce commentaire très connu, semble reprendre avec encore plus de vigueur la position définitive que Rachi avait déjà dévoilée dans les Parachiot précédentes.

    Rachi Il l’embrassa : Chacune des lettres du mot wayichaqéhou (« il l’embrassa ») est surmontée d’un point, ce qui donne lieu à une discussion dans la barayetha de Sifri (Beha’alothekha 69). Pour certains, ces points signifient qu’il ne l’a pas embrassé de tout son cœur. Rabi Chim‘on bar Yo‘haï a enseigné : c’est une Halakha connue, que ‘Essaw est l’ennemi de Ya‘aqov, mais à ce moment-là, sa pitié l’a emporté et il l’a embrassé de tout son cœur.

    Selon la dernière explication que donne Rachi, il y eut ici un événement exceptionnel sortant de l’ordinaire, mais qui ne doit pas faire oublier qu’il existe un principe intangible et presque immémorial : Esaü est l’ennemi de Jacob. Rachi emploie un mot fort pour une situation d’ordre plutôt métaphysique : c’est une Halakha, c’est-à-dire, une sorte de loi juridique qui incarne un principe existentiel intangible.

    Traduit en langage moderne, c’est donc clair pour Rachi : l’antisémitisme est un phénomène qui sera malheureusement consubstantiel à l’existence juive et prendra la forme d’une lutte systématique contre le destin d’Israël, d’où l’identification par les Sages d’Israël entre l’ange qui lutte jusqu’au bout de la nuit, avec l’ange protecteur d’Esaü.

    LA SURPRISE DU NETZIV

    A ce stade, il semble que les jeux soient faits. Mais le Netziv arrive ici avec un commentaire détonnant sur le même passage[9]. Attentif au texte, comme toujours, il remarque que l’ensemble des verbes sont au singulier et concernent Esaü (courir, étreindre, se jeter à son cou, embrasser), sauf le dernier qui est au pluriel : Ils pleurèrent.

    Pour le Netziv, c’est la preuve que Jacob a ici embrassé de bon cœur son frère malgré ses griefs. Mais au-delà de la situation particulière de Jacob à ce moment, le Netziv en tire une leçon pour les générations à venir. Il viendra un temps, écrit-il, où la descendance d’Esaü sera prête à reconnaître la grandeur d’Israël. Et à ce moment-là, Israël ne pourra pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Un tel retournement mérite que les Juifs reconnaissent à leur tour qu’Esaü a évolué, qu’il est un interlocuteur digne de foi si l’on peut dire, de la même façon qu’ici Jacob a pleuré de concert avec son frère, reconnaissant un élan du cœur authentique.

    En lisant ce commentaire surprenant du Netziv, on pourrait penser immédiatement qu’il s’applique à l’ère messianique, ère presque utopique où les contraintes boueuses de ce monde n’auront plus cours. Lecture intéressante, mais qui du coup amoindrit fortement la portée pratique de ce commentaire. C’est peut-être pour nous mettre en garde contre cette lecture partielle et eschatologique (partielle car eschatologique) que le Netziv ajoute un exemple à la fin de son commentaire. Un tel retournement a déjà eu lieu dans l’histoire nous dit-il. Le lien d’amitié profonde qui s’est établit entre Rabbi Yehouda Hanassi, le rédacteur de la Michna et l’empereur de Rome Antonin, illustré au travers de nombreuses histoires dans le Talmud[10], démontre parfaitement qu’il n’est pas possible de tracer un destin définitif et intemporel sur le lien entre Esaü et le peuple juif. Mais que surtout, les Juifs ont le devoir d’avoir un geste actif envers ces descendants d’Edom qui choisissent de reconnaître la mission des enfants d’Israël.

    A lire franchement le Netziv, notre première réaction est de penser qu’il se pose en opposition frontale à Rachi, qui lui essentialise Esaü et ne lui donne aucune chance de retour. C’est une lecture possible qui n’a rien d’infâmant, rien ne nous oblige à vouloir concilier à tout prix des positions opposées de commentateurs de la Thora, c’est même une des grandeurs de la tradition juive de savoir maintenir une tension sans y chercher à tout prix une résolution définitive.

    Mais il nous semble modestement que l’on peut tenter une synthèse dont le message serait aussi puissant qu’une indécision.

    LIRE ENSEMBLE LE RACHI ET LE NETZIV

    Esaü est un concept métaphysique qui s’est incarné sous différentes formes dans l’histoire. Deux d’entre elles auront eu un profond impact sur l’histoire du peuple juif : l’empire Romain et la chrétienté. De fait, les Romains ont détruit le Temple et on connaît malheureusement la longue histoire de persécution des Juifs établis par les plus hautes sphères de l’Eglise catholique.

    Si l’on accepte le principe qu’Esaü s’incarne successivement, et de façon presque infinie, dans des formes différentes de pouvoir temporel, la possibilité qu’une de ces formes se transforme dans son rapport au judaïsme pour laisser la place à une autre forme « d’Edomitude » devient audible.

    Et il se trouve que c’est précisément le cas de l’Eglise catholique. Si on avait dû demander à des Juifs espagnols de 1492 (ou même de 1942 !) ce qu’ils demanderaient pour qu’un jour ils puissent reconnaître une fraternité avec les chrétiens, nul doute que les résultats de Vatican II auraient dépassé leurs espérances, sans compter les gestes et déclarations successives des Papes ayant succédé à Jean XXIII. Cette église, qui incarnait le Esaü biblique jusqu’à la caricature, et dont Rachi a évidemment bien connu les turpitudes au temps des Croisades, cette église a parcouru un chemin considérable pour affirmer le destin particulier d’Israël.

    Si l’on prend au sérieux le commentaire du Netziv, il est donc du devoir des Juifs d’aujourd’hui de reconnaître un lien nouveau pouvant s’établir avec les chrétiens, en passant outre des milliers d’années de défiance, théologiquement justifiés par l’image de l’ennemi suprême Edom construit par la Thora orale et pragmatiquement justifiés par les meurtres et humiliations subis par les Juifs tout au long de leur histoire en espace chrétien.

    Cette reconnaissance ne remet pas en cause l’existence d’entités cherchant la disparition du message d’Israël et de ses messagers : c’est en cela que Rachi a aussi raison et qu’il nous alerte aussi fermement : il existera toujours un antisémitisme dont les racines ne plongent pas dans des circonstances historiques mais dans un véritable combat spirituel avec le peuple choisi par Dieu pour conserver sa Thora. Mais l’incarnation que ces forces destructrices pourraient prendre évolue et il en va de l’intelligence du peuple juif de les identifier sans se reposer de façon mécanique et irréfléchie sur des réflexes historiques, fussent-ils millénaires.

    La volée de bois vert qu’a subi le Grand Rabbin Bernheim lors de la parution de son livre avec le Cardinal Barbarin[11], parfois justifiée de façon théologique et agressive, est un exemple parmi d’autres que le Netsiv conserve encore aujourd’hui toute sa pertinence.

     

    FRISON

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

    [1] Genèse 27 :41

    [2] Cf. commentaire de Rachi sur Genèse 25 :27

    [3] Je dois cette idée au Rabbin de Neuilly-sur-Seine Michael Azoulay

    [4] Il est notable de constater que le fait de ne pas marier une cadette avant sa sœur est une Halakha consignée dans le Choulkhan Aroukh. Laban avait donc raison contre Jacob….

    [5] Genèse 28 :5

    [6] Rachi sur Genèse 28 :5

    [8] Genèse 33 : 1-4

    [9] Haemek Davar sur Genèse 33 :4

    [10] Voir par exemple Avoda Zara 10b

    [11] Le Rabbin et le Cardinal – Ed. Stock - 2008

  • Lavan ou l'aveuglement par ses propres valeurs

     *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

    Vayétsé : Lavan ou l’aveuglement par ses propres valeurs

     

    Voici que le temps de présence de Yaakov auprès de Lavan se termine après 20 longues années. Au moment de se quitter, Yaakov a l’opportunité de demander un salaire pour tout le travail accompli. C’est ici que le Netziv va dessiner un portrait de Lavan riche en enseignements.

    Retraçons brièvement quelques échanges entre ces deux protagonistes.

    Lavan : « Fixe-moi ton salaire et je te le donnerai » (chap. 30, v.28)

    Yaakov : « Tu sais combien j’ai travaillé (honnêtement) pour toi » (chap. 30 v.29)

    Yaakov : « Que mon honnêteté témoigne pour moi lorsque tu viendras examiner ce que j’ai pris, les animaux marqués seront à moi et tous les autres, auront été volés s’ils se trouvent en ma possession » (chap. 30 v. 33)

    Lavan : « Puisse-t-il en être selon ta parole » (chap. 30 v.34)

    A la suite de ce passage, Yaakov va faire prospérer ses bêtes et ses biens, attirant très rapidement une jalousie de la part des enfants de Lavan. Lavan rejoignant le camp de Yaakov (probablement alerté par ses enfants) va dès lors l’accuser du vol de ses « térafim ».

    העמק דבר בראשית פרק לא פסוק כו

    (כו) ותגנב את לבבי. עוד לא האשימו על הבריחה עד מקרא הסמוך, אבל מתחלה האשימו על הבנות שהראה בזה שאינו מוקירן כלל, והנהיג אותן כשבויות חרב להפרד מאביהן בלי ברכה, וע"ז האשימו שגנב את לבבו עד כה להראות כי הוא אוהבן ומכבדן, ובאמת אינו כן:

    Le Netziv relève, dès le verset 26, que Lavan commence à adopter l’attitude classique des escrocs, il va tenter de provoquer Yaakov, tout en l’accusant d’avoir enlevé ses filles.

    S’en suit alors un dialogue relevé par le Netziv ; Yaakov excédé par l’attitude de son beau-père va alors exploser : (chap. 31 v. 38 et suivants)

    « Voici vingt ans que je suis avec toi ; tes brebis et tes chèvres n’ont jamais avorté, et les béliers de ton bétail je ne les ai pas mangés. (…) c’est moi qui en supportais la perte (…) j’étais ainsi : le jour, la chaleur torride me consumait, et le gel pendant la nuit ; le sommeil fuyait mes yeux (…) Ce sont pour moi vingt ans dans ta maison »

    Imaginons un instant « l’employé de l’année », celui grâce à qui le portefeuille client s’est développé jusqu’à faire de notre société une multinationale, lui reprocherions-nous (bien que selon la halakha pure la question pourrait se poser) d’utiliser un post-it du bureau pour noter un numéro personnel ?

    C’est exactement ce que fait Lavan ici :

    Bien que Yaakov ait travaillé vingt ans sans relâche, une durée qui ne permet pas de remettre en cause l’honnêteté de Yaacov, Lavan lui tombe dessus pour un pseudo vol de statuettes.

    בראשית פרק לא פסוק מא

    זֶה־לִּ֞י עֶשְׂרִ֣ים שָׁנָה֘ בְּבֵיתֶךָ֒ עֲבַדְתִּ֜יךָ אַרְבַּֽע־עֶשְׂרֵ֤ה שָׁנָה֙ בִּשְׁתֵּ֣י בְנֹתֶ֔יךָ וְשֵׁ֥שׁ שָׁנִ֖ים בְּצֹאנֶ֑ךָ וַתַּחֲלֵ֥ף אֶת־מַשְׂכֻּרְתִּ֖י עֲשֶׂ֥רֶת מֹנִֽים:

    העמק דבר פרשת ויצא

    זה לי. מה שנוגע אלי בביתך הוא להיפך, והזכיר לו זאת להגיד כי החשד בא בשביל שהוא בעצמו איש עול ומרמה, על כן הוא חושד בכשרים, וכדאיתא בפ' בתרא דקידושין [ע' ב'] כל הפוסל במומו פוסל, ובמ"ר פ' אחרי למדו דשמשון היה נזהר הרבה בשבועה ממה שהאמין את אחרים על שבועה, דמי שהוא מיקל בדבר און חושד את הכל שגם הם מקילים בזה:

    Le Netziv va accuser Lavan d’être « Hoshed Biksherim », c’est-à-dire que Lavan soupçonne, à tort, Yaakov dont la vie démontre qu’il est irréprochable (notons simplement, sans rentrer dans les détails, ce statut a des implications halakhiques concrètes). Il va encore plus loin, « Kol haposel, bemoumo posel » ou en termes plus modernes, Lavan est ici accusé de faire ce qui s’appelle en psychanalyse une projection de ses propres valeurs sur Yaakov. (Wikipédia donne la définition suivante de la projection en psychanalyse : C'est un mécanisme de défense du moi qui consiste à rejeter sur autrui des pulsions, des désirs et des pensées qu'un individu ne peut reconnaître pour siens.)

    Il me semble évident que ce Kol Hapossel, beMoumo possel, cette projection, est inconsciente. Pour Lavan, cette manière d’agir a modifié son conscient et lui a donné le sentiment d’être dans une démarche vraie ; ça l’a littéralement aveuglé quant à l’honnêteté évidente de Yaakov. Lavan ne sait plus reconnaître quelqu’un d’honnête !

    Lavan ne sait désormais décrypter le monde qu’au travers de ses propres « valeurs »! *

    Comme le mentionne le midrash à propos de Shimshon, quelqu’un qui ne fait pas attention à une certaine faute pensera que cette faute se retrouve chez beaucoup de monde (jusqu’à ne plus y voir de faute d’ailleurs)

    Ce monde, qualifié par le Zohar de « Alma deShikra », de monde du mensonge, fonctionne selon la grille de lecture de Lavan que le Netziv vient de nous exposer. Tout le travail du juif étant de travailler et de raffiner sa personne pour dépasser ce mode de fonctionnement et pouvoir voir par-delà ses propres limites afin d’investir chacun de ses actes d’une dimension authentique se rapprochant le plus possible d’une « avodat kodesh », un Service Saint.

     

    Raphael Abitbol

     

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

  • Le méchant philanthrope

          *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

      Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 2

    Le méchant philanthrope

     

    Dans Toldot se noue l’opposition avec Essav, où le Netsiv repère un conflit de civilisations, de cultures.[i]

    A la lecture des versets[ii], il est évident pour le Netsiv que Rivka et Its’hak sont conscients autant l’un que l’autre que c’est Yaakov qui est appelé à porter la destinée-responsabilité de l’élection.[iii]

    S’il en est ainsi, se posent d’emblée plusieurs questions: quelle est l’intention de Its’hak lorsqu’il s’apprête à bénir Essav ? A quoi rime le contexte très particulier dans lequel cette bénédiction serait prononcée ? Surtout, quelle peut bien en être la signification ?

    Le rav Berlin se confronte à ces questions dans son commentaire הרחב דבר[iv] (ainsi d’ailleurs qu’à celle, non moins saisissante, de l’utilisation par Yaakov d’un stratagème basé sur le mensonge et de ce qu’une telle conduite peut nous enseigner[v]).

    Its’hak savait, explique le Netsiv, que la bénédiction accordée à Avraham – être placé sous l’intervention particularisée de la Providence, השגחה פרטית – échoira à Yaakov du fait de son rapport au divin (thora et ‘avoda). Plus ou moins manifeste, cette attention particulière est le propre de la nation appelée à conduire l’humanité vers sa pleine réalisation. Laגמילות חסדים , g’milout ‘hassadim (troisième pilier sur lequel tient le monde, que nous traduirons dorénavant par bienfaisance), si elle est accomplie au nom du Ciel, se voit récompensée à la fois dans ce monde, sous le sceau de la השגחה פרטית, et dans celui qui vient.   

    L’accomplissement de la bienfaisance en tant qu’elle est naturelle ou découlant de la raison pratique ne conduit, en revanche, à une récompense que dans ce monde-ci. Dans le cours général des choses, la bienfaisance se traduit en effet en bienfaits sociaux[vi].

    On comprend de la sorte que les vingt-six générations qui ont précédé la Révélation ont pu survivre par la vertu du ‘hessed, comprise (dans la lecture innovante que le Netsiv fait de Pessa’him 118a ) comme régissant les rapports de l’homme à autrui. Dès lors que ce ‘hessed faisait défaut (génération du Déluge, habitants de Sodome), le monde se détruisait. Indépendamment de toute bénédiction ou malédiction de l’homme juste. La bénédiction du Juste a néanmoins un poids. De même que sa malédiction n’a rien d’anodin, les paroles de bénédiction qu’il peut prononcer ont un effet d’amplification pour celui qui est déjà méritant.

    Or Its’hak, poursuit le Netsiv, sachant que Yaakov serait capable de réaliser le bien en tant qu’il s’impose au nom du Ciel, voulut néanmoins qu’Essav puisse jouir dans ce monde-ci de la récompense liée au respect parental. Il lui demanda donc de lui préparer un repas afin de le bénir. Ce faisant, il s’inspirait de la récompense qu’avait reçue Yefet le fils de Noa’h pour avoir fait le bien : à bienfait raisonné, rémunération dans ce monde.

    Rivka, quant à elle, désirait que les רשעים, les hommes ayant choisi de faire le mal, issus de Yaakov, qui feraient par la suite œuvre de bienfaisance, en obtiennent une récompense terrestre.

    On connaît la suite : par des voies détournées, Rivka obtint gain de cause pour Yaakov et sa postérité.

    Et le Netsiv tire les conséquences de cet enjeu, précisant que c’est ce mécanisme qui s’illustrera lorsque par exemple la génération d’A’hav, roi peu recommandable s’il en fut, se verra dans un premier temps récompensée (par des pluies bienfaisantes) pour le lien social qu’elle était parvenu à établir. Le Netsiv actualise son propos : à chaque génération, des « méchants » peuvent être qualifiés de בעלי חסד , faisant du bien à autrui et méritent à ce titre une ample rétribution.

    Valorisation et relativisation du ‘hessed accompli au nom de l’homme : la thèse du Maître de Volozhin[vii], prononcée alors que le socialisme s’imposait comme maître-mot, trouve des prolongements radicaux chez son élève le rav Kook. Elle s’offre comme une alternative tant à l’humanisme anthropocentré dans lequel s’empêtre souvent un certain discours sur le ‘hessed qu’à un regard dépréciatif sur toute activité de justice sociale qui ne se fonderait pas sur la notion de mitsva.

    Quant à savoir ce que cela implique pour les descendants d’Essav, c’est une problématique dont le Netsiv ne laisse que deviner les contours.

    Yoël Hanhart

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     


    [i] העמק דבר sur le verset 25, 23.

    [ii] Comme à son habitude, c’est en s’appuyant sur une analyse textuelle extrêmement rigoureuse jointe à une lecture des textes midrachiques basée sur une grande sensibilité au détail syntaxique que le Netsiv dégage des idées-phares pour répondre aux questions du pchat, du sens littéral.

    [iii] העמק דבר sur les versets 26, 34-35.

    [iv] Sur le verset 27,1.

    [v]הרחב דבר sur le verset 27,9.

    [vi] Voir פרוש הרמב"ם על המשנה פאה א,א.

    [vii] Reprise dans הרחב דבר sur le verset 27,27.

  • Sarah, le bon-vivant, et la méditation

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv
     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 2

    Sarah, le bon-vivant et la méditation

     

    Le premier verset de la paracha 'Hayé Sarah a fait couler beaucoup d’encre, du fait de son apparente lourdeur. L’une d’entre elle est ce qui semble être une répétition inutile (Béréchit 23 :1) :


    וַיִּהְיוּ חַיֵּי שָׂרָה מֵאָה שָׁנָה וְעֶשְׂרִים שָׁנָה וְשֶׁבַע שָׁנִים שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה
    La vie de Sarah fut de cent ans, de vingt ans et de sept ans, [ainsi furent] les années de la vie de Sarah.


    La fin du verset paraît être superflue, « שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה » - « les années de la vie de Sarah » n’apporte rien. Le Netsiv s’arrête sur ce problème et le traite de la manière suivante. Tout d’abord, fait-il remarquer, le terme hébreu « 'hayim » que l’on traduit généralement par « vie » possède deux sens dans la Torah (Netsiv sur Béréchit 23:1):


     והנה כבר פירשנו כ״פ פי׳ חיים בלשה״ק בשתי משמעות. אחת חיים ולא מות. ב׳ שמח ועלז ולא עצבון.  
    Nous avons déjà expliqué cela à plusieurs reprises. La signification du mot hébreu « 'hayim » est double. 1) il s’agit de la vie par opposition à la mort. 2) il s’agit de la joie, l’allégresse par opposition à la tristesse.


    En somme, la fin du verset ne nous parle pas de la vie au sens simple, mais de la vie dans le sens de « bon-vivant ». En fait Sarah était ce qu’on appelle un « bon vivant ». Elle était joyeuse, elle aimait la vie. Et alors ? Qu’est-ce que cela nous apprend de profond à ce sujet ?
    Le Netsiv affirme que cela nous permet de répondre à une autre question. En effet, nos Sages disent que « אברהם היה טפל לשרה בנביאות » - « Avraham avait un niveau inférieur de prophétie par rapport à Sarah ». Or ceci est absolument incompréhensible ! Comme le note le Netsiv, D.ieu a parlé à Avraham à de nombreuses reprises, presque jamais à Sarah ! Ce qui amène le Netsiv à préciser la notion de prophétie. Il existe deux sortes de prophétie. Il y a la prophétie « classique » où D.ieu vient et parle à un individu. Et il y a ce qu’on appelle le « roua’h hakodesh » - « esprit saint ». Si Avraham dépassait Sarah dans la prophétie selon la première définition, Sarah, quant à elle, excellait dans sa seconde acception. Ce serait là le sens de cet enseignement de nos Sages. Le Nestiv définit alors le roua’h hakodesh : 


     רוה״ק הוא מה שאדם מתבודד ומשרה עליו רוה״ק ויודע מה שרואה. אמנם לא דבר עמו ה׳.  ן
    Définition du roua’h hakodesh : Lorsqu’un homme s’isole, médite et fait résider en lui l’esprit saint au point qu’il connaît ce qu’il voit, sans que D.ieu ne se soit adressé à lui. 


    Afin d’arriver à obtenir le roua’h hakodesh, il faut donc méditer au point d’arriver à connaître  ce qu’il voit (1). Cela me fait penser, en termes modernes, à la méditation pleine conscience. Pour y parvenir, affirme le Netsiv, il faut d’une part pouvoir s’isoler de longs moments – or Avraham n’en avait pas le loisir, il était trop occupé à répandre le monothéisme autour de lui – et d’autre part, être joyeux, comme le veut l’adage de nos Sages : « אין רוה״ק חל אלא מתוך שמחה » - « le roua’h hakodesh ne peut se manifester que par la joie ».

    Le Netsiv nous a donc offert deux scoops : 1) Sarah était une bonne vivante, et c’est grâce à cela que 2) elle excellait dans la pratique de la méditation  pleine conscience (2) !

    Cela étant dit, le Netsiv donne une deuxième réponse à sa question de départ. Je tiens à vous en faire part, même si elle n’a rien à voir avec la première réponse car elle montre à quel point on est influencé par nos lectures antérieures. Le terme « שְׁנֵי » - « années » peut aussi se traduire par… « deux ». Il n’y a donc aucune répétition ! La fin du verset nous dit que Sarah a eu deux vies, il y a eu sa vie avant la naissance d’Its’hak à ses quatre-vingt-dix ans. S’en est suivi, pour Sarah, une seconde vie de trente-sept ans.

    A méditer…
    Chabbat Chalom !

    NATY

    Notes :

    (1) Ce lien entre la « connaissance » et le « roua’h hakodesh », on le retrouve chez Rachi, cf. Chémot 35:31.

    (2) Je vous recommande Méditation Juive de Rav Aryeh Kaplan si toutefois si vous aviez des doutes quant au fait que les Juifs, de tout temps, ont pratiqué la méditation.

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

     

    העמק דבר בראשית פרק כג פסוק א
    שני חיי שרה. מיותר, ואין הלשון כן בכל מקום שמודיע הכתוב שני הצדיקים, והנה כבר פירשנו כ"פ פי' חיים בלשון הקדש בשתי משמעות, א' חיים ולא מות, ב' שמח ועלז ולא עצבון, כענין שאמרו ביומא דף ע"א א', שנות חיים ושלום שנים המתהפכות מרעה לטובה, וכן בארצות החיים פי' חז"ל (שם) מקום שוקים, תמן שובעא כו' [ירו' כלאים פ"ט ה"ג], וע' מש"כ בס' דברים פ' ואתחנן עה"פ ואתם הדבקים וגו'. ואחר כל זה יש להתבונן על מה שאמרו חז"ל שאברהם היה טפל לשרה בנביאות, ואין זה אלא תימא, האדם הגדול אשר דבר עמו ה' כ"פ, יהיה טפל לשרה שלא דבר עמה ה' כי אם דבור א' לא כי צחקת, ומפרשים ברבה שהוא דבר ה' לה, אלא הכונה הוא שהיה טפל ברוח הקדש, שהרי שני דברים הם, רוה"ק הוא מה שאדם מתבודד ומשרה עליו רוה"ק, ומכ"מ יודע מה שרואה ומדבר אז מדעת עצמו, אמנם לא דבר עמו ה', ונבואה הוא בחינה גדולה ורבה מזה כמו שביארנו. ודוד המלך ע"ה זכה לשניהם ואמר [ש"ב כ"ג ב'] רוח ה' דבר בי ומלתו על לשוני, היינו רוח ה' הוא רוה"ק המופיע על דבר עצמו, וגם מלתו על לשוני שהוא נבואה ממש. ואברהם היה גדול בנבואה משרה, אבל ברוה"ק היתה שרה מצוינת יותר מאברהם אבינו, והסיבה לזה הוא משני טעמים, א' שאברהם בצדקו היה מנהיג העולם ומדריכם לעבודת ה', וכמו שכתוב לפנינו נשיא אלהים אתה בתוכינו ויבואר בסמוך, ומי שעסקו עם המון רבה אינו יכול להתבודד כל כך, משא"כ שרה היתה יושבת באהלה בקדושה וטהרה, (וע' מש"כ הגאון חתם סופר בהקדמתו בזה דברים ראוים אליו ז"ל), שנית דאין רוה"ק חל אלא מתוך שמחה של מצוה, ושרה זה צדקתה להפלא שהיתה באמונתה בבטחון חזק מאד נעלה, כמו שמבואר ברבה שאמרה שרה לאברהם אבינו את בהבטחה ואני באמונה, ומי שבא מכח הבטחה ידוע מאמרם ז"ל אין הבטחה לצדיקים בעוה"ז שמא יגרום החטא, וע' מש"כ לעיל ט"ו ו', משא"כ שרה שהיתה חזקה באמונתה בלי שום הבטחה, על כן לא נתעצבה בכל ימי חייה והיתה שקועה ברוה"ק. וזהו דבר הכתוב שני חיי שרה, דשנים שלה כולם היו בחיי שמחה ונפש המעלה ונשגב בחיי רוחני, וכ"כ במדרש לקח טוב. וכענין שאמרו בגמ' [יבמות ס"ג ב'] מספר ימיו כפלים, כך אמר הכתוב דשני חייה היו שני פעמים, משום שהיו חייה עליזים וסמוכים בה' מבטחה. ונראה עוד לפרש ע"פ הפשט משמעות שני מספר שני, ובאשר שרה נעשית ילדה אחרי זקנתה וחזרה לספר חליפות השנים, וא"כ היה לה שני פעמים חליפות השנים, בראשונה חיתה תשעים שנה, ובשניה ל"ז שנים, וסך הכל שני חיי שרה היו מאה ועשרים ושבע שנים, וע' בעל הטורים. והא שקצרו שנותיה משך קצר ל"ז שנים, הוא ע"פ הליכות הטבע שחליפות חיי כל בריה הוא לפי ערך שנותיו, ושרה שנחלפה פתאם לחיי בחורים כן אזל ימי זקנה: 

  • Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ?

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

    המכסה אני מאברהם אשר אני עושה

    "Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ?"

     

    . Les responsabilités du Père des Nations

    Dans la lecture de cette semaine, nous trouvons une « réflexion » de D.ieu : « Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ? »[1].  D.ieu prend la décision d’annoncer à Abraham ses projets de destruction de Sodome.  Rachi nous explique qu’il y a deux raisons à cela. D’une part, Abraham a reçu en promesse cette terre. En détruisant Sodome et ses cinq villes avoisinantes, D.ieu détruit donc des terres fertiles[2]  qui ne lui « appartiennent » pas. D’autre part, D.ieu a rajouté à Abram la lettre Heh, [3]transformant son nom en Abraham, Av Hamon Goyim Père d’une multitude de nations. Les habitants de Sodome et ses contrées, bien que provoquant le courroux de D.ieu par leur comportement, n’en demeurent pas moins les « fils » d’Abraham. Il convient d’annoncer à leur « père », aimé de D.ieu,  la décision prise d’effacer de la surface de la terre ces personnes.

    Ces deux raisons avancées par Rachi[4] prennent en compte le bien d’Abraham, le respect de ses (futures) possessions. Les raisons derrière cette nécessité qu’a D.ieu d’annoncer ses projets à Abraham, selon le Netsiv, est différente.

    Pour commencer, ainsi que nous l’avons vu, Abraham va être le Père d’une multitude de nations. Dans le futur, les Peuples se référeront aux prophètes du Peuple d’Israël  plutôt qu’a-leur propre modes de divination afin de savoir comment agir. Abraham étant la source de cette grande Nation parmi les autres que sera Israël,  se doit de savoir ce qui concerne ces autres peuples, qui sont ses contemporains, et ce dès maintenant[5].

    Ensuite, en tant que Père de ce qui sera le Peuple d’Israël, il a aussi le devoir de faire passer les fondations de ce peuple. Celles-ci se divisent en deux : le savoir que l’on acquiert à force d’étude et le moussar, les valeurs que l’on ne peut acquérir par l’étude mais par la transmission[6].

    Enfin, Abraham est Av Hamon Goyim, le Père d’une multitude de nations. Il est donc important de lui annoncer les projets divins non pas parce qu’il est  en « droit » de savoir ce qui va arriver à ses fils, comme l’énonce Rachi,  mais parce que Abraham a une responsabilité envers ces « fils ». Entendant la décision de D.ieu d’effacer Sodome et ses contrées, Abraham doit se sentir directement concerné et prier afin que sa requête d’épargner Sodome soit peut être acceptée[7].

    Ce dernier point rejoint ce que nous voyons après la faute du veau d’or. D.ieu dit à Moïse « hanikha li » -  cesse (de me solliciter) - afin que Je puisse effacer tout ce peuple et le reconstruire à partir de toi, qui m’est resté fidèle. Rachi, que la Netsiv rapporte,  avance le midrach et explique : nous ne voyons pas que Moïse ait déjà commencé à prier pour le peuple, donc que veut dire D.ieu en lui ordonnant de cesser ? Nous apprenons de là qu’Il lui a montré une ouverture, une faille dans le verdict énoncé : tout dépend de toi, si tu pries pour eux il est possible que Je ne mette pas en œuvre ma décision.

    Moïse, berger du Peuple d’Israël, a la même responsabilité qu’Abraham, Père des Nations envers le ou les peuple(s) qui dépend(ent) d’eux. Ainsi, non seulement ils ne peuvent rester indifférent face à un malheur qui est censé arriver, mais D.ieu lui-même les met au courant afin qu’ils puissent réagir.

    Lorsque D.ieu dis « Tairai-je à Abraham ce que je veux faire », il n’est donc pas uniquement question de politesse envers une personne dont les biens vont être détruits. Les trois raisons avancées par le Netsiv ne sont pas les droits qu’Abraham aurait, mais ses devoirs. En passant d’Abram l’hébreu qui a découvert le Maître du Monde et partage cette connaissance avec ses contemporains, à Abraham le Père d’une multitude de nations, en étant le Père de notre Peuple, ses obligations se multiplient et non ses droits.

    Un chef, un dirigeant, se doit de savoir ce qui se passe non seulement parmi les siens mais aussi chez ceux qui les entourent. Il ne peut se dissocier du monde.

    Il est responsable de faire en sorte que les valeurs passent. Qu’il soit question de celles de la famille, du groupe ou du peuple, il y a des messages qui doivent être transmis, des valeurs qui, si nous nous limitons à la connaissance seule, risquent d’être perdues.

    Et enfin, il doit faire preuve de sensibilité, se soucier du bien-être des autres, que ce soit ceux directement sous sa tutelle ou ses contemporains. Il n’est donc pas suffisant d’être au courant de ce qui se passe autour de lui, il lui faut aussi agir en fonction.

    En dévoilant à Abraham Ses projets, au-delà de ceux lui ayant trait directement, D.ieu montre à Abraham sa nouvelle place dans le monde. S’il restait la moindre possibilité qu’Abraham puisse rester dans la sphère privée, elle est effacée par cette phrase : « tairai-je à Abraham ce que je veux faire ». 

     

    Nathalie Loewenberg

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)


    [1] Genèse XVIII, 17

    [2] Genèse XIII,10

    [3] Genèse XVII, 5

    [4] Rachi Genèse XVIII, 17

    (יז) המכסה אני - בתמיה:

    אשר אני עושה - בסדום, לא יפה לי לעשות דבר זה שלא מדעתו, אני נתתי לו את הארץ הזאת, וחמשה כרכין הללו שלו הן, שנאמר (י יט) גבול הכנעני מצידון וגו' בואכה סדומה ועמורה וגו'. קראתי אותו אברהם, אב המון גוים, ואשמיד את הבנים ולא אודיע לאב שהוא אוהבי:

    [5].Haemek Davar, Genèse XVIII, 18

    .. וא"כ יהיו נברכים אוה"ע בו לדעת מה פעל אל, ומשום זה מהראוי שגם אברהם שורש אומה זו ידע ג"כ מה שיגיע לגוי הארץ בזמנו

    [6] Haemek Davar, Genèse XVIII, 19

    מש"ה כתיב ידעתיו שיהיה נכלל שתי כונת (...) באשר הוא יודע הרבה בעמלו כדי שימצא במה ללמד את בניו ואת ביתו, על כן ראוי לגלות לו ענין שיצא ממנו דבר מוסר מה שלא יוכל להגיע לידיעה זו ע"י עמל ויגיעה

    [7]  Haemek Davar, Genèse XVIII, 19

    שיהיה אב המון גוים וראוי לאב לחוש לקיומם, ואולי יועיל בתפליתו עבורם.

    En contraste, Noah lui n’a pas prié pour ses contemporains et s’est suffi du fait que lui et sa famille seraient sauvés. Il est intéressant de noter que le Netsiv dans le Har’hev davar explique le qualificatif « tamim » complet associé au tsadik qui décrit Noah. Le terme « complet » indique que la personne ne fait pas seulement le bien envers D.ieu mais aussi envers les autres. Au moment de lui ordonner de rentrer dans l’arche, D.ieu dit à Noah l’avoir vu comme étant juste, tsadik, parmi sa génération. Le terme « tamim » n’est plus présent. Rachi note que c’est dû au fait qu’on n’énonce pas toutes ses louanges devant une personne. Une autre explication allant dans la direction donnée par le Netsiv pourrait être que Noah savait que D.ieu avait prévu de faire venir le déluge, a préparé l’Arche selon Ses ordres, mais n’a pas prié pour essayer de sauver ses contemporains. En se dissociant du malheur sur le point d’arriver aux autres, même s’ils le méritent, Noah a « perdu » le côté « tamim », complet qu’il avait précédemment.

  • "Quelle image allons-nous donner ?"

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    « Quelle image allons-nous donner de notre religion ? »

    (Paracha Lekh-Lekha)

     

    « Loth aussi, qui accompagnait Abram, avait du menu bétail, du gros bétail et ses tentes. Le terrain ne put se prêter à ce qu’ils demeurassent ensemble ; car leurs possessions étaient considérables, et ils ne pouvaient habiter ensemble. Il s'éleva des différends entre les pasteurs des troupeaux d'Avram et les pasteurs des troupeaux de Loth ; le Cananéen et le Phérezéen occupaient alors le pays.  Avram dit à Loth : Qu'il n'y ait donc point de querelles entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens ; car nous sommes frères. Toute la contrée n'est-elle pas devant toi? De grâce, sépare-toi de moi (…) » (Béréchit 13, 6-9).

     

    Loth est le neveu d’Avraham (alors appelé "Avram"). Il existe manifestement une certaine affection du patriarche à l’égard de son parent, qu’il considère comme « son frère ». Néanmoins, des désaccords persistants rythment leur installation en terre de Canaan.

     Dans le texte, le Netsiv interroge une première redondance sur ce point : à deux reprises dans le même verset, il est fait état de leur impossibilité à vivre ensemble : « Le terrain ne put se prêter à ce qu’ils demeurassent ensemble ; car leurs possessions étaient considérables, et ils ne pouvaient habiter ensemble ». Sur le fond, la suite est difficile à comprendre : si les deux hommes ne parviennent pas à cohabiter, ce sur quoi cette dernière répétition vient insister, pourquoi ne se séparent-ils pas d’emblée ? En effet, ce n’est qu’après la querelle entre les bergers respectifs d’Avraham et de Loth que leur séparation deviendra effective, à l’initiative d’Avraham.  Notre commentateur soulève en outre une autre question : Quel est l’intérêt de mentionner en plein milieu du récit que « le Cananéen et le Phérezéen occupaient alors le pays », puisque nous savons déjà dans quel territoire se trouvent les deux hommes, et quels sont les peuples l’occupant ?[1]

    Selon le Netsiv, l’importance du bétail des deux hommes n’était pas la seule raison de leur séparation. Le texte montre certes dans un premier temps que cette situation est problématique, mais il répète dans un second temps que Loth et Avraham ne pouvaient vivre ensemble, c’est-à-dire, pour une raison autre : leurs natures opposées. Malgré tout, bien qu’Avraham perçoive Loth comme une charge à cause de leurs différences qui provoquent un malaise à chaque rencontre, ce n’est pas une motivation suffisante pour provoquer un éloignement entre eux.

    La dispute entre les bergers va être l’élément déclencheur de la séparation. Ce n’est pas la dispute en elle-même qui est le plus grave, mais que « le Cananéen et le Phérezéen occupaient alors le pays ». Pour Avraham, il est intolérable que les habitants de cette terre promise vivent côte à côte sans se disputer, alors que lui, représentant du Dieu unique au milieu des polythéistes, soit le protagoniste d’une rixe. Ceci constitue un ‘Hiloul Hachem (profanation du nom de Dieu) car ses voisins risquent de penser que c’est précisément sa foi spécifique qui est à l’origine de ses problèmes.

    Plus tard, lorsque Loth sera enlevé, Avraham ira à son secours, entendant que « son frère a été fait captif » (Béréchit 14, 14). L’affection est toujours présente, mais l’éloignement n’est en aucun cas remis en question. Une fois délivré, Loth et Avraham retournent chacun de leur côté. Le patriarche, modèle de bienveillance à l’égard des hommes, sait aussi établir une stricte séparation avec eux, lorsque la perception de sa foi, et donc du Dieu unique, risque d’être altérée. Mais au final, n'est-ce pas un acte de bonté envers ses proches parents de savoir établir une distance avec eux lorsque la proximité devient nocive pour chacun ?

     

    Yona Ghertman

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר בראשית פרק יג פסוק

    ו) ולא יכלו לשבת יחדו. הוא כפל לשון, ובא ללמדנו דלא משום שלא הספיקה מרעה הארץ לצאנם, כמו דכתיב להלן ל"ו ז' ולא יכלה ארץ מגוריהם לשאת אותם מפני מקניהם, אלא משום שהיו הטבעים רחוקים ולא היה לוט לצוותא לאברם כי אם מרחוק, אבל יחדיו לא יכלו לשבת, ובאשר היה רכושם רב היו מוכרחים לפגוע זה בזה, והיתה פגישתם למשא על אברם, ומ"מ לא מצא אברם עדיין לב להגיד לו להפרד עד שהגיע,

     ז) ויהי ריב. אירע מעשה שהיה לחרפה וחלול השם שהיה ריב בין הרועים, ותניא בספרי פ' תצא כי יהיה ריב בין אנשים וגו' אם בן הכות הרשע, אין שלום יוצא מתוך מריבה וכה"א ויהי ריב בין רועי וגו', מי גרם ללוט לפרוש מן הצדיק הוי אומר זו מריבה, וכה"א ועמדו שני האנשים וגו' מי גרם לזה ללקות הוי אומר זו מריבה, פי' חז"ל דבן הכות הרשע הגיע עבור הריב שדבר קשות כל כך עד שהתבוננו השופטים שראוי ללקות, וכך הענין בלוט שיצאו דברים מפי הרועים שאינם כדאי לשומען, [וכונת הספרי אין שלום יוצא מתוך מריבה, שזה אינו כתוכחה דאיתא ברבה פ' וירא שתוכחה מביאה לידי שלום ואהבה, אבל לא כן ריב]:

    והכנעני והפריזי אז ישב בארץ. והיה חילול ה' בדבר שהרי ידעו גדולת וקדושת אברהם וביתו לשם ה', והנה המה הכנעני והפריזי יושבים בלי ריב ומחלוקת, ובין אברם ולוט יש ריב ויהא חילול השם לומר דאמונת אברהם מביא לזה, וזה הגיע שלא יכול אברם לסבול עוד:

     

     

     

     

     


    [1] On pourrait aussi demander pourquoi dans ce verset sont mentionnés « le Canannéen et le Phérézéen », alors qu’au début de la Paracha le texte mentionne exclusivement le Canannéen : «Abram s'avança dans le pays jusqu'au territoire de Sichem, jusqu'à la plaine de Môré; le Cananéen habitait dès lors ce pays » (Béréchit 12, 6). Le Netsiv ne posant pas cette question, nous ne la traiterons pas dans le cadre de ce billet. Nous invitons toutefois le lecteur à apporter sa réponse dans un commentaire sur le blog.

  • La raison, l'observance ou les moteurs du bien agir

        *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

      Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    La raison, l’observance ou les moteurs du bien agir

     

    Shem, ‘Ham, Yafeth: le début de notre parasha ne faisait que citer les trois fils de Noa’h. Ce n’est qu’après un déluge longuement décrit, après la promesse de D.  faite à l’homme de ne plus détruire la terre et suite à Son injonction de ne pas, nous non plus, détruire la vie humaine, que ces trois personnages reviennent sur le devant de la scène.

    Noa’h plante une vigne dont il profite au point de se dénuder. ‘Ham accourt vers ses frères pour diffamer au sujet de son père[1]. Shem, suivi de Yefet, recouvrent leur père sans regarder sa nudité. Suite à quoi Noa’h se réveille et réagit face aux trois différentes intentions de ses fils devant la situation de leur père. Mis à part Rashi qui en s’appuyant sur le Midrash s’arrête sur le verbe “vaya’hel” pour noter le tort de Noa’h[2], notre passage se concentre davantage sur les raisons et les torts de ses fils. D’après le Netsiv, cet épisode marque les distinctions essentielles entre trois types d’hommes qui habitent le monde[3], à savoir celui des hommes qui travaillent la terre, celui des hommes rationnels et intellectuels, et celui des hommes attachés au divin[4]. Aussi ces différences remontent-elles aux origines de la nouvelle humanité et prennent-elles leur source dans un même épisode auquel chacun a réagi différemment. À noter que le Netsiv établit des distinctions typologiques et non raciales.

    Nous aurions du mal à dérouler le raisonnement du Netsiv et le lien ainsi établi entre l’acte des fils et l’essence des trois descendances. Ceci étant, la première typologie d’hommes peu réfléchis et impulsifs tombe assez naturellement dans la descendance Cananéenne de ‘Ham. La différence entre Shem et Yafet vient quant à elle d’une “faute” grammaticale: “Vayika’h Shem va Yefet” – “Shem et Yefet prit [la couverture pour en recouvrir Noa’h][5]. Rashi sur place écrit: “Le verbe prendre est conjugué au singulier car Shem a accompli la Mitsva avec plus d’empressement”. Là-dessus le Netsiv n’est pas tout à fait d’accord: En quoi l’un s’est-il plus empressé que l’autre? Le fait est que les deux ont fini par porter la couverture! La réelle différence réside dans la nature de l’action de chacun: pour l’un il était question d’une Mitsva, pour l’autre il s’agissait d’éthique.

    Dans le cadre de la Mitsva, l’acte prend plus d’importance lorsqu’on l’accomplit nous-même que lorsqu’on nomme un intermédiaire pour le faire. Ce qui n’est pas le cas d’un acte rationnellement moral: du moment que quelqu’un s’occupait de recouvrir Noa’h, Yefet était satisfait. Il suffisait pour lui que l’ordre moral soit rétabli pour que le monde retrouve son cours normal. Shem voulait quant à lui accomplir une Mitsva, un acte d’un autre ordre. Ainsi a-t-il pris seul la couverture, puis, comme il ne parvenait pas à recouvrir seul son père, Yefet a dû l’accompagner (toujours par souci moral).

    Lorsque Noa’h se réveille de son ébriété, c’est la toute première fois qu’il s’exprime dans la Torah. Au Netsiv de noter que toutes ses paroles sont prononcées sous l’esprit divin, et que ses bénédictions à l’égard de Shem et Yefet sont prophétiques.

    Concentrons-nous sur celle de Shem: “Béni soit Hashem, D. de Shem”. Le Netsiv écrit que celui qui accomplit les choses par souci de la Mitsva fait résider le divin dans la nature. En d’autres termes, il s’associe ainsi au projet divin au point d’être relié à son Nom: “D. de Shem”. Comme on dira plus tard “D. d’Avraham, d’Its’hak et de Ya’akov”. Les Patriarches sont les prototypes du succès de cette entreprise, dont le point d’orgue se trouve dans la ligature d’Its’hak: Comment Avraham, alors connu dans le monde entier pour sa grande bonté et son humanisme, peut-il partir sacrifier son fils et accomplir ce qui est rationnellement immoral, pour la seule raison que D. le lui a demandé ? Cet épisode qui soulignera aussi la motivation profonde d’Avraham dans l’accomplissement des Mitsvot marquera une nouvelle fois l’emprunte de Shem, maître et ascendant d’Avraham.

     

    ESTHER

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    http://www.sefaria.org/Haamek_Davar_on_Genesis.9.27?lang=en


    [1] « Vayagued lichnei e’hav » - « Il a raconté à ses deux frères » [9 :22]. Le Netsiv fait remarquer que le verbe « lehaguid » ne signifie pas simplement relater les faits observés. Autrement on aurait vu apparaître le verbe « vayomer » - « Il dit ».

    [2] Rashi sur le verset 9 :20

    [3] Commentaire du Netsiv sur 9:18 et 9:20

    [4] Commentaire du Netsiv sur 9 :19

    [5] Verset 9 :23

  • Deux arbres, la vie, la mort, le bien, le mal...

      *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Deux arbres, la vie, la mort, le bien, le mal...

    La section de Béréchit est pour tout commentateur une gageure : l'histoire qui est racontée est connue de tous, mais elle ne parle plus. On parle d'un Eden disparu, mais à quoi sert-il de disserter sur ce qui n'existe plus ? Le commentaire du Nétsiv sur cette paracha est flamboyant, déployant toutes les ressources de la langue hébraïque ainsi que la richesse de la littérature talmudique, il renouvelle l'interprétation du texte, et n'hésite pas à se mettre en porte à faux avec les commentateurs 'autorisés' ou le Midrash. Ne montrons qu'un fil de ce commentaire.

    Le texte parle de deux arbres plantés dans l'Eden : « l'arbre du bien et du mal » ainsi que « l'arbre de la vie ». Il était interdit de manger ou toucheri au premier, alors que du second il n'est dit que peu de choses. Eve consomme de l'arbre sur les conseils du 'serpent' et Adam suit son épouse. A la fin, on retrouve subrepticement le second arbre : l'homme est chassé de l'Eden de « peur qu'il ne porte sa main aussi sur l'arbre de la vie ». On peut poser de nombreuses questions : d'où viendrait une telle crainte ? Si celle-ci est si importante, pourquoi n'était-il pas interdit dès le début d'en prendre ?... Plutôt que de répondre ponctuellement, il vaut mieux raconter l'histoire telle que l'a comprise le Nétsiv, en filigrane, c'est une réflexion sur la notion de vie, sur le sens de l'existence.

    Adam, création de Dieu, possède une « âme vivante »ii : ce qui signifie " qu'il est en possession de toutes les capacités possibles pour ce type de créatureiii." Cette plénitude consiste à avoir de l'affection pour son Créateur, jouissant de Sa Présence. C'est l'homme d'avant la faute. Cet homme devient un idéal à atteindre, et certains individusiv sont parvenus à cet état : le gan Eden est donc encore possible. Pour un tel homme, l'arbre de vie n'est pas nécessaire : nourri par 'la lumière de la face divine', comme Moïse sur le mont Sinaï, il vit éternellementv, sans soucivi. L'homme n'est évidemment pas privé de son libre arbitre dans un tel état. S'il mange de l'arbre de 'la connaissance du bien et du mal', il change de régime : il accède à un entendement humain et immanent, comprenant et ressentant ce qui est bon ou mauvais pour lui, mais aussi ce qu'il encourt en transgressantvii. Par cela son action est centrée autour de la crainte de Dieu, l'homme craint pour lui-même. « En cela, il ne jouit pas de Dieu, et ne reçoit pas son salaire de son vivant » ; c'est pour cet homme que Dieu a prévu « l'arbre de la vie et de la mort », sa consommation vient combler une forme de ratage dans le service divin. L'homme devient fini par la conscience de soi, il se détache d'un rapport à Dieu trop évident, trop direct, et c'est par le cheminement long et laborieux qu'il pourra à nouveau y accéder. Une question se pose alors : lorsque Dieu ordonna de ne pas consommer de l'arbre du bien et du mal, n'avait-il pas précisé « car le jour où tu en mangeras, tu mourras »viii, comment alors comprendre qu'Adam n'est pas mort, mais a simplement été chassé de l'Eden ? Le Nétsiv montre que la faute d'Adam n'était pas volontaire, en effet le texteix précise qu'il a été puni d'avoir écouté la parole de sa femme, et n'a pas dit 'car tu as mangé du fruit défendu'. Misogynie ? Notre auteur expliquex que son épouse l'a séduit, car après lorsqu'elle consomma le fruit « elle comprit qu'il serait bon qu'Adam soit aussi [dans l'aventure] du savoir humain, et non qu'il ne soit trop accroché à son Dieu, c'est pourquoi elle le séduisit » ! Le régime de l'amour de Dieu est fragile. Entrant dans une démarche plus laborieuse d'approche du divin, Dieu a souci de sa créaturexi, en le chassant, il le contraint à travailler la terre, le régime de la Crainte du Ciel doit être soutenu par le travail, en effet, comme le dit la Michnaxii ' le travail en complément de l'étude fait oublier de fauter'.

    La structure globale de cette histoire est complexe, et fait écho à la difficulté de ce qu'écrit le texte biblique. Pour ne retenir qu'un point : on comprend que notre auteur loin de voir une malédiction de l'espèce humaine dans la faute d'Adam, y voit au contraire la volonté d'accéder à un statut spécifiquement humain de compréhension, voie sans doute lente, mais qui donne sens à l'aventure humaine ainsi qu'à la nécessité du travail dans le sens le plus simple du terme. 

    Franck Benhamou

    .........................................................

    iVoir Emek davar en 2.17 et 3.3 , contre le Midrash rapporté par Rachi en 3.3.

    iiBéréchit 2.7.

    iiiLe Nétsiv fait remarquer que le mot mort peut s'entendre dans deux sens : soit il s'oppose à mort, soit il s'oppose à 'triste' ce qui signifie un état en dessous des capacités d'une créature. Il s'oppose en cela à l'interprétation d'Onkelos qui traduit -de façon un peu arbitraire- 'vivant' par parlant, ce qui brouille les cartes. Le Nétsiv rapporte un exemple de cet usage du mot 'vivant', mais il existe une pléthore de preuves qui limitent en ce second sens.

    ivComme 'Hano'h ou Eliaou selon la tradition.

    vCette assertion peut faire sourire : mais ce n'est pas le lieu de la discuter ici. Pour les sceptiques, rappelons que cela fait fond sur une réflexion ancienne et bien ancrée en philosophie, Spinoza écrira la même chose dans le chapitre 5 de son Ethique (scolie 36).

    viCommentaire sur 2.7.

    viiLe Nétsiv propose plusieurs formulations pour dire cela , notamment certaines particulièrement éclairantes : il parle d'une connaissance immanente ou naturelle (commentaire en 3.6).

    viii 2.16.

    ix3.17. ainsi que son commentaire ad loc.

    xHar'hev Davar sur 3.8.

    xiLe Nétsiv fait remarqué que la terre a été « maudite 'en faveur de l'homme' », le terme baavouré'ha étant exclusivement employé dans un sens positif.

    xiiAvot 2.2.

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

     

     

  • Vezot haberakha- Sim'hat Torah

         *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Vezoth-Haberah’a – Simh’at Torah

     

    Nous voilà arrivés à la fin du cycle de la Torah et, quasiment à la fin du cycle d’étude du Netsiv !

    Le commentaire du Netsiv sur tout le h’oumash se termine par une sorte de coquetterie de style… Coquetterie que nous ne résistons pas de vous faire partager…

    Les derniers versets de la Torah font l’éloge de Moshé qui fut un prophète inégalé tout le long de l’histoire du peuple d’Israël : « Plus jamais ne s’éleva en Israël un prophète comme Moïse, que Hachem a connu face à face, par tous les signes et les prodiges que Hachem l’avait envoyé accomplir dans le pays d’Egypte, contre Pharaon, contre tous ses courtisans et contre tout son pays, et par toute la main puissante et toute la grande terreur que Moise accomplit aux yeux de tout Israël. »

    Les derniers mots « aux yeux de tout Israël » sont explicités par le Netsiv. Si d’autres prophètes ont pu témoigner et faire prendre conscience de la présence divine et de son dévoilement sur terre, cette prise de conscience s’est limitée à leurs proches disciples… Le peuple entendait le message délivré par le prophète mais n’avait pas conscience d’un quelconque dévoilement divin lors de cette expérience… Avec Moshé ce fut diffèrent : au-delà du message prophétique qu’il a délivré, avec lui, les Bné-Israël ont eu, a plusieurs reprises, conscience d par eux-mêmes de la présence divine sur terre – que cela soit à travers l’expérience du Sinaï ou encore de la traversée de la mer rouge…

    Et pour reprendre les mots du Netsiv (et son effet de style…) qui closent son magistral commentaire sur la Torah : « voilà le but de la création : prendre conscience que bereshit bara elokim – qu’au commencement Dieu créa… »

    Benjamin Sznajder

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר דברים פרק לד פסוק יב
    לעיני כל ישראל. דכל הנביאים שגרמו גלוי שכינה לא היה אלא לבני הנביאים תלמידי הנביא, אבל משה גרם גלוי שכינה לעיני כל ישראל בים סוף ובהר סיני ובאהל מועד, ומחמת זה היתה אהבת ה' כל כך אליו, שבזה הראה לכל אשר הוא ית' ברא העולם ומלואו, ומשום הכי בידו לעצור הליכות עולם, והוא ית' מנהיג עולמו, ומש"ה מראה אור פניו כביכול, וזהו תכלית הבריאה לדעת כי בראשית ברא אלהים: 

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La Parasha d'après le Netsiv- Vayelekh

     *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Parashat Vayeleh – Shabbat Shouva 

     

    Notre Parasha commence par la suite du long discours de Moshe à la veille de sa mort. 

    Nous vous proposons de suivre un très court commentaire du Netsiv sur un verset qui semble, de prime abord anodin, mais qui ouvre, à notre avis, sur de vastes considérations… 

    Le verset qui sert de porte d’entrée au Netsiv est le verset XXXI, 6 : « Soyez forts et courageux, n’ayez pas peur et ne soyez pas brisés devant eux, car c’est Hachem ton Dieu Qui va avec toi, Il ne te lâchera pas et ne t’abandonnera pas ; n’aie pas peur et ne sois pas brisé. » 

    Ce « Hachem ton Dieu qui va avec toi », le Netsiv le traduit par ce que nous appelons la ashgah’a, la providence Divine. Mais au-delà de cette première définition, le Netsiv continue à expliquer un autre terme : « avec toi », terme qu’il explique par « dans l’immédiateté ». Ou, en d’autres mots : la conséquence de nos actes nous sera immédiatement perçue. 

    Cette immédiateté n’est pas donnée à tout le monde, précise le Netsiv ; cette perception claire est l’apanage des Justes, des gens droits. Et le Netsiv de continuer sur l’explication d’un verset des psaumes : ה צלך על יד ימינך – « Dieu est l’ombre de ta droite » : l’ombre est la projection immédiate de nos actes ; ainsi, selon le psalmiste, les Justes ont cet avantage que la résultante de leurs actes leur est tout de suite perçue ! Ils vivent dans l’ombre de Dieu... Non, Dieu est leur ombre et la providence est le reflet exact de leurs actions…  

    Mais là, se pose un problème : la providence comme conséquence de nos actes, n’est-ce pas là, le lot commun, justes comme impies ? Bien sûr, précise le Netsiv ! Ce qui change, c’est la perception que nos actes nous rapprochent de Dieu ou nous en éloignent ... L’aveuglement des fauteurs, l’encrassement dans un système ou des habitudes dont ils ne voient plus les failles, voilà leur (ou tout au moins une de leurs) punition. 

    Fort de cette image de Dieu qui est l’ombre de nos actes, le Netsiv peut maintenant expliquer un autre verset des prophètes. Celui-ci est extrait de la prière de Hanna, au début du livre de Shemouel (II,9) : "רגלי חסידיו ישמור ורשעים בחושך ידמו" – “Dieu garde les pas des Justes, tandis que les fauteurs sont figés dans l’obscurité ». L’obscurité, explique le Netsiv, cela a aussi comme conséquence l’absence d’ombre !  Voilà, à nouveau, la même idée : les fauteurs n’ont -même plus- la conscience des conséquences de leurs actes… 

    L’obscurité n’est pas que tâtonnement, elle empêche de voir son reflet ou son ombre… 

     

    Benjamin Sznajder 

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר דברים פרק לא פסוק ו
    הוא ההולך עמך. השגחתו ית' הולך לפי מעשיך אם לטב אם למוטב. ופי' עמך, מיד לפי הנהגתך את ה', וכהבטחת המקרא לצדיק, ה' צלך על יד ימינך, דמשמעו השגחת ה' היא כמו צל שפונה אחר המצל, ואף על גב דזהו ג"כ ברשעים השגחת ה' לרעה עליו לפי מעשיו, מכ"מ אינו דומה השגחתו על הצדיק, שהצל פונה על יד ימינו, דמשמעו מיד אחר מעשיו, וזהו הצלחה גדולה, שעי"ז הוא יודע להזהר, משא"כ ברשעים אין נעשה פתגם הרעה מהרה, ומחמת זה באים לידי עונות יותר. וזהו דבר חנה [ש"א ב'] רגלי חסידיו ישמור, ורשעים בחשך ידמו כי לא בכח יגבר איש, ופי' חז"ל ביומא ספ"ג כל מי שעברו רוב שנותיו ולא חטא שוב אינו חוטא שנא' רגלי חסידיו ישמור, ולא נתפרש היאך תהיה השמירה, והרי הבחירה חפשית, אלא מסיפיה דקרא אנו מבינים, ורשעים בחשך ידמו, דפירושו שהם כמו יושבים בחשך ואינם רואים את הצל כך אינם מבינים העונש המגיע להם, באשר הוא בא לאחר זמן, אבל רגלי חסידיו ישמור בזה שהצל בא על יד ימינו, וזהו הבטחת משה לישראל שהקב"ה הולך עמם, וכן היה במעשה עכן, שנענשו תיכף ומיד כשחטאו: 

  • La Parasha d'après le Netsiv- Nitsavim

       *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Interpréter les épreuves

    Parashat Nitsavim – Rosh Hashana

     

    La parasha que nous lisons cette semaine est généralement lue le shabbat précédant Rosh-Hashana.

    En effet, son contenu, un appel à la Teshouva -au repentir- sied à la période de fin du mois de Eloul !

    Ainsi, le début de la parasha met en garde contre les écueils de l’idolâtrie et décrit l’état de désolation dans lequel peut se retrouver la Terre d’Israël, si ses habitants quittaient les voies de le Torah…

    Ce premier chapitre se termine sur un verset quelque peu obscur…

    הנסתרות לה" אלוקינו והנגלות לנו ולבננו עד עולם לעשות את כל דברי התורה הזאת

    Littéralement, nous traduirions “Les choses cachées sont pour Hachem notre Dieu, mais celles révélées sont pour nous et pour nos enfants pour toujours, pour accomplir toutes les paroles de cette Torah”…

    La difficulté saute aux yeux ! Quelles sont ces « choses » cachées ? Rachi, sensible à ce problème, traduit donc qu’il s’agit des fautes cachées… Le verset se lirait donc « Le fautes cachées sont -connues- d’Hachem notre Dieu, mais les fautes révélées sont -connues- par nous et nos enfants… »

    Le Netsiv, dans son commentaire sur ce verset propose une lecture totalement différente….

    Si la lecture des versets du chapitre XXIX semble décrire un déroulement simple de l’histoire : les Bne-Israel fautent, et Hachem les renvoie de leur terre, tout en la faisant retourner à l’état de ruines[1], il n’en reste, remarque le Netsiv, que ce déroulement est rarement aussi simple…

    Ainsi, fait-il remarquer, on a pu voir des générations telles que celles des rois Ah’av ou Menaché vivre en relative quiétude alors que les rois tels que Tsidkia eurent à pâtir de guerres et conquêtes…

    Mais plus encore, fait remarquer le Netsiv : les desseins divins ne sont pas sondables ! Et, il est communément admis que les évènements sont mus par d’autres motivations, inconnues de nous. Un exemple bien connu nous dit le Netsiv est l’exil : il est, d’un côté, présenté comme une punition, mais il existe une toute autre lecture qui voit dans l’exil, l’occasion pour le Peuple Juif d’être un or-lagoyim, une lumière pour les nations…

    Il en résulte qu’il est difficile, voire impossible, de se cantonner au seul sens obvie des versets de notre parasha….

    Et c’est à partir de ces constatations que le Netsiv va proposer une nouvelle lecture du verset 28… Les נסתרות , les “choses” cachées ne sont plus les fautes, comme la lecture de Rashi, mais les desseins divins…. Ainsi, le verset serait la conclusion de tout notre chapitre ! Si celui-ci présente une économie d’une régularité implacable, le verset vient nous rappeler que l’on ne peut s’y cantonner : les nistarot – les desseins cachés- ne sont connus que de Dieu !

    Mais, dans ce cas, que faire de cette économie somme-toute omniprésente dans toute la Torah – et même le Tanah’ !- , à savoir le sah’ar-ve-onesh, la relation faute-punition ? Arguer que les desseins sont insondables, n’est-ce pas, prendre le risque de nous rendre sourds a toutes les épreuves, à n’y voir aucun message divin ?!

    Mais, le verset continue, dans la lecture du Netsiv, sur ” הנגלות לנו ולבננו”- ”les évènements révélés sont pour nous et nos enfants” : quand bien même, le sens profond des évènements nous échappe, il n’en reste pour nous que nous avons l’obligation de sonder les « choses révélées » : face à une épreuve (à une terre redevenue cendre, souffre et sel, pour reprendre l’expression du verset), l’homme est dans l’obligation de scruter ses actes et d’y déceler ce qui doit être rectifié….

    Etrange équilibre auquel nous invite le Netsiv ! Mais, plus qu’un étrange équilibre, c’est à une double humilité qu’il nous convie…

    Humilité de ne pas se targuer d’être dans les confidences du Divin ! Humilité de ne pas se permettre d’expliquer, avec assurance, le pourquoi des choses. הנסתרות לה" אלוקינו. Les réels desseins ne sont connus que de Dieu…

    Mais, humilité aussi de profiter des évènements pour scruter nos propres actes, et faire des épreuves autant d’occasions de nous rappeler nous-même à l’ordre… הנגלות לנו ולבננו

     

    Benjamin Sznajder

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר דברים פרק כט פסוק כח
    (כח) הנסתרות לה' אלהינו. לא משום ע"ז לבדו בא כל זה, שהרי אנו רואים שבימי אחאב ומנשה עבדו ע"ז יותר מבימי הושע וצדקיהו, ומ"מ לא הגיע העונש עד אז, אלא יש בזה עוד שארי סתרי כוונות הנוגע לתכלית המכוון ממנו ית', ועי' ס' בראשית ט"ו י"ב, וא"כ גם הפזור הרב הוא בכונה ידוע אליו ית', כמו להגיע להיות לאור גוים וכדומה, וכן יש כמה דברים שאין לנו טעם נסיון, מכ"מ יש לנו להאמין שיש בזה טעם נסתר לה'. וע"ז נאמר למשה ופני לא יראו, וע"ז בא ספר איוב, ללמדנו שלא רק משום נסיון בא יסורים אלא עוד יש נסתרות, וביארנו בס' שמות שם (ל"ג כ"ג). אבל מכ"מ כל שיש למצוא טעם ה"ז בכלל מש"כ הנגלות לנו לעשות, ולא לחשוב דא"כ שיש טעמים נסתרים אין לנו מה לעשות לתקן הדבר, חלילה לחשוב כן אלא עלינו לעשות, וכמו שאין אתנו יודע על מה בא בריאת שמים וארץ בזה השיעור המצומצם, כך הוא הפזור ושארי פליאות, והכל לתכלית מלוי כבודו ית' כמש"כ, ואם שאין אנחנו מבינים איך נדרשו להיות כך דוקא:
    והנגלות לנו ולבנינו לעשות את כל דברי התורה הזאת. ואנחנו יש לנו די להבין מכל הנגלה לעינינו במשך הגלות שני דברים שלא כמחשבת אוה"ע, א' כי עוד ידו נטויה עלינו, וא"כ לנו לתקן את המעוות וישוב לרחמינו, והיינו לנו ולבנינו עד עולם לעשות, שנית שלא כדבריהם שהעונש היה הכל רק על ברית ע"ז, ובאמת לא כן הדבר כי הגלות עיקרו היה על ע"ז ג"ע וש"ד, אבל חורבן הארץ שגפרית ומלח שרפה כל ארצה, לא היה כי אם מפני ביטול תורה, כדאיתא בנדרים דף פ"א א' מי האיש החכם ויבן את זאת על מה אבדה הארץ נצתה כמדבר מבלי עובר ויאמר ה' על עזבם את תורתי ולא שמעו בקולי ולא הלכו בה, שאין מברכין בתורה תחלה, וע"ע בפתיחתא דאיכה רבתי, וזהו עסק התורה ודקדוק דבריה, והיינו מש"כ לעשות את כל דברי התורה הזאת. שהוא תקון הדברים ולעמוד על מתכונתם כמש"כ כ"פ ולהלן ל"ב מ"ו: 


    [1]  «… souffre et sel, tout le pays brule, il ne sera pas ensemence et ne fera rien pousser… »

     

  • La paracha d'après le Netsiv - Ki Tavo

        *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    L’antisémitisme le plus cruel

     

    « Et tu répondras et tu diras devant l’Eternel ton Dieu : un Araméen fait périr (oved) mon père, il est descendu en Egypte (…) » (Devarim 26, 5)

     

    Ce verset est bien connu des lecteurs en raison de sa présence dans la Haggada de Pessa’h, et des développements qui y sont liés. Dans la paracha Ki-Tavo, il s’inscrit dans le cadre de la mitsva des bikourim, consistant à apporter les prémices de sa récolte au Beth ha-Mikdash. Avant de remettre le panier entre les mains du Cohen officiant sur place, une courte déclaration devait être prononcée. La mention de « l’Araméen » et de la descente en Egypte en est l’introduction.

    Le commentaire du Netsiv sur ce passage se retrouve à deux endroits différents dans son œuvre, sur place tout d’abord, mais également dans sa lettre sur l’antisémitisme : le ‘Sheer Israël’, qui se situe à la fin de son commentaire sur le Lévitique dans nos éditions contemporaines. Il y rappelle que dans la Haggada, « l’Araméen » n’est autre que Lavan, qui habitait à Aram. Quel rapport y a-t-il donc entre le séjour de Yaakov chez son oncle et la descente en Egypte ? Plusieurs épisodes se sont déroulés entre les autre événements, et rien n’indique une cause à effet entre eux !

    Aussi propose-t-il de lire le texte à la lumière du Talmud : « Israël aurait dû être exilé à Aram, mais quand Dieu vit la cruauté de Aram, il décida de les envoyer à Babel » [1]. Cela signifie, selon le Netsiv, que des relations extrêmement tendues existaient entre le peuple d’Israël et le royaume d’Aram à la fin de la période du premier Temple. Alors qu’ils devaient partir à Aram, Dieu choisit de les exiler en Babylonie, car la « cruauté » des Araméens aurait été telle que le peuple juif y aurait trouvé son tombeau définitif[2]. L’idée est la même dans notre verset : le plan originel de Dieu[3] était d’exiler la famille de Yaakov dans le territoire d’Aram, chez Lavan et ses descendants. Voyant cependant la « cruauté » inégalable de Lavan, Il demanda finalement à Yaakov de partir. Aussi le début du premier exil fut-il remis à plus tard, et se concrétisa par l’arrivée en Egypte.

    Qu’a de particulier la « cruauté » de Lavan ? Et comment se concrétise-t-elle ? Selon le Netsiv, les réponses apparaissent en filigrane dans le texte de la Torah. Déjà dans notre verset, l’emploi du présent interpelle : « Un araméen fait périr (oved) mon père ». C’est que la volonté de Lavan était de faire disparaître progressivement, lentement mais sûrement, l’essence de Yaakov en l’aspirant totalement. Puis en amont, dans le sefer Béréchit (31, 29), lorsque le patriarche s’enfuit et que son oncle le rattrape, ce dernier lui dit : « Il est en mon pouvoir de vous faire du mal ; mais le Dieu de vos pères s’est adressé à moi (…) ». Pourquoi s’exprimer au pluriel, alors que les personnes qui accompagnaient Yaakov n’étaient autres que ses filles et petits-enfants ? C’est qu’il visait alors tous les « frères de Jacob » (31, 46), c’est-à-dire ceux qui avaient décidé de partir avec son neveu, attirés par l’idéologie qu’il représentait, celle de la -future- Torah. De même lorsque Lavan l’accuse d’avoir voulu voler ses dieux, pensait-il vraiment que Yaakov était idolâtre ? L’accusation est plus subtile : Lavan lui reprochait d’avoir imprégné ses filles et son entourage avec le culte monothéiste qu’il pratiquait, faisant passer ses dieux pour de simples reliques.

    Ainsi le Netsiv démontre-t-il subtilement que la colère de Lavan n’était pas tant liée à la perte matérielle subie par le départ de son gendre, qu’à l’impossibilité de le dominer en l’assimilant à sa propre idéologie et en l’empêchant donc de faire éclore son monothéisme qui deviendra par la suite le judaïsme. Lavan est le prototype du pire antisémite, celui qui ‘fait périr’ le juif, lentement mais sûrement, en exigeant qu’il partage son mode de vie, puis en devenant soudainement menaçant lorsque confronté à un refus catégorique.

    On appréciera l’actualité de ce commentaire. Alors que les communautés juives investissent considérablement pour lutter contre le terrorisme islamiste, combien de budgets sont-ils débloqués pour lutter contre l’assimilation au grand vide de la société occidentale ? On pense plus particulièrement au modèle français altérant à souhait les concepts de laïcité et de démocratie pour imposer une égalité dévêtue… Gare à ceux qui ne voudraient pas être égaux !

     

    Yona GHERTMAN

     

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

     

    העמק דבר דברים פרק כו פסוק ה

    ארמי אבד אבי וירד מצרימה ויגר שם וגו'. משמעות הלשון שבשביל שהיה ארמי אובד אבי על כן ירד מצרימה, והוא פלא, אלא כך הפי' עפ"י דאי' בפסחים ר"פ האשה ראוין ישראל להיות גולין לארם, וכשראה הקדוש ברוך הוא אכזריות של ארם עמד והגלן לבבל, [ובגיטין ד' י"ז היה משמע דצ"ל אדום, דקאי על מה שאמר או בטולך או בטולא דבר עשו, אבל באמת עיקר הנוס' ארם, ושם לא מקשה אלא על מה שהתרעם על גלות בבל שהוא רע, והרי בבית ראשון עמד והגלן לבבל], וה"נ היה ביעקב אבינו שראוי היה להיות גולה מגזרת ה' לאברהם אבינו, ובהיות יעקב בארם כ"ב שנים, היה ראוי להיות נשאר שם בגלות, אבל ראה הקדוש ברוך הוא אכזריות של לבן שהיה אובד אבי, על כן הוציאו משם והגלהו למצרים. ובהגדה ידוע הלשון לבן בקש לעקור את הכל, פירוש כל עיקר היהדות, וזהו לשון אובד, שלא ישאר זכר למו, ובס' בראשית ל"א הראנו לדעת מדברי לבן יש בידי לעשות עמכם רע, ומי המה הרבים שיעש עמם רע, הלא בני יעקב המה בניו, אלא אחיו של יעקב שהתגיירו ושמרו עמו דרך היהדות, ואם כי לא היה ללבן עליהם מאומה, אך חשד גניבה שחשד את יעקב הי' מפני היהדות, וזה גרם שחפץ לעקור את היהדות:

     

    שאר ישראל לנצי"ב -פרק א

    כי עיקר הענין, שנאת האנטיסימיטים לעם ישראל, ידוע הוא לכל איש מישראל ושגור הוא בפיו מהגדת ליל שמורים שאנו אומרים: "והיא שעמדה לאבותינו ולנו וכו' צא ולמד מה בקש לבן וכו'".

    והנה הלמוד מלבן הראנו לדעת סבת השנאה בשנים: קנאת העושר וחשד גנבה ועול, בלול עם שנאת האמונה ועבודת אל עליון יתברך, כאשר יבואר. והנה לפי הנראה משטחית הספור שהיה בין יעקב ולבן, לא נזכר ענין אמונה כלל, ורק קנאת העושר וחשד גנבה ועול, רק המה הניעוהו לרדוף אחריו, והנה כי כן לא היה לב לבן רע אלא ליעקב בלבד, בגלל מעשיו הלא - טובים נגדו כפי מחשבתו ולא בשביל שהוא עובד את ה', ואם כן לא היה שייך לשון: בקש לבן לעקור את הכל, דמשמע שבקש לעקור גם את עבודת ה', שהיא היהדות, והרי הוא לא רצה אלא להרוג את יעקב בלבד ולא שאר אחי יעקב, היינו עובדי ה' כמוהו, שהיו עמו? אלא דרבותינו ז"ל הבינו, שלבן רצה לעקור את האמונה ועבודת ה', שלא תהא היהדות בעולם. [באמרנו היהדות, כפי מצבה בעת ההיא, הנה זאת היא כונתנו, אל אותן המדות המשובחות והדעת הטהורה והנשגבה, דעת אל אחד בארץ שנצטיינו בהן בני ישראל מימי אבינו הראשון אברהם עד היום הזה, ואשר הן הנה עצמיות העם הזה, חזוקו וקיומו לעד ולנצח נצחים], ולמדו זאת מדכתיב: ארמי אבד אבי וירד מצרימה וגו', ושטח לשון המקרא משמע דבשביל שהיה ארמי אבד אבי מפני זה ירד מצרימה, והלא אנו יודעים שאין ענין ארמי נוגע לירידת מצרים כלל? אלא מקרא זה מתפרש היטב ע"פ דאיתא במס' פסחים ר"פ האשה: "ראויין היו ישראל להיות גולין לארם וכשראה הקדוש ברוך הוא אכזריות של ארם עמד והגלן לבבל", פירוש מדאנו רואים שהיו מלחמות ישראל תמיד עם ארם, וא"כ מצד הסברא היה ראוי להיות גמר הגלות גם כן בארם, אבל בשביל שראה הקדוש ברוך הוא שאם היו ישראל כבושין בארץ ארם לא היה נשאר ח"ו שארית לישראל מפני אכזריותם, מה עשה, עמד והגלם לבבל, ושמה, יחד עם הכנעת לבבם הערל נמלא גם כן דבר ה' ביד משה עבדו: "ואף גם זאת בהיותם בארץ אויביהם לא מאסתים ולא געלתים לכלותם להפר בריתי אתם", היא ברית היהדות.

    והדבר הזה אירע ליעקב אבינו גם כן, אחרי אשר נגזר עליו להיות גר בארץ נכריה, והיה ראוי אמנם שישאר בארם, אבל ארמי אבד אבי, היינו שרצונו היה לעקור את היהדות, מלבד קנאתו בעשרו של יעקב, ואם היה נשאר יעקב ובניו בארם לא היו יכולין לשמור שם את דת היהדות, ובעל כרחם ונגד רצונם היו נכללין לאט לאט בארמים, והיתה היהדות נאבדת לגמרי, על כן וירד מצרימה, ויהי שם לגוי גדול, וכמאמרם ז"ל "שהיו בני ישראל מצויינים שם", נדגלים במדותיהם הישרות ובדעותיהם הטהורות, מהעם אשר ישב בקרבו; והיא שעמדה להיהדות לעמוד על כן ובסיס נאמן, והתקוה הנעימה השתולה על מעין לא אכזב - הבטחת ה' לאברהם -, עלתה כפרחת!

    ועל פי דברינו אלה מדויק ג"כ הלשון: ארמי אֹבד, לשון הוה, (וכבר ידוע דגם הקל בפעל זה יבא לפעמים - יוצא, כמו: ותאבדו דרך (תהלים ב', לד"ק), דמשמעו שרצונו היה להאביד ולעקור מעט מעט (כאשר בכלל יורה כל בינוני על פעולה נמשכת בענינה). שלא ישאר זכרון אבינו יעקב, הלא היא אמונתו הטהורה והנאמנה!

    ואל תקשה על פרשה זו גופא היאך כתוב: ארמי אבד אבי שהוא היהדות, והלא בספור יעקב עם לבן לא נזכר מאומה שלבן היה בלבו איזה טינא על אמונת יעקב? אבל בדיוק לשון לבן שאמר ליעקב: "יש לאל ידי לעשות עמכם רע ואלהי אביכם" וגו', למדנו מה שהיה בלבבו, שהרי אמר בלשון רבים, ולמי בקש אפוא לעשות רע, והלא הבנות בנותיו והבנים בניו ולא היה לו לאמר אלא: לעשות עמך רע ואלהי אביך? אלא הכוונה של עמכם היא, כל האנשים אחי יעקב שכבר למדם יעקב תורת היהדות, ואשר על זה אמר יעקב: "שים כה נגד אחי", ועליהם אמר לבן שבקש לעשות אתם רע, להרוג את כלם, אם כי לא עשו לו מאומה, אך הוא בחפצו לשפוך את חמתו על היהדות לא מצא לו דרך אחרת כי אם לעקור את הכל; כי אמנם, לאיש עובד גלולים המלא מרמה ותוך כלבן הארמי, היה הנקל לו למצוא בהיהדות כל אלה המחשבות הלא - טהורות אשר חשב על אדות אבינו יעקב: יעקב גנב את אלהיו, ולמה? והלא יודע היה לבן שהוא לא יקחנו למען עבוד אותו? אלא שהיה את לבבו לאמר: שיעקב גנבו למטרה אחרת כדי להבזות את אלהיו, שהוא עון פלילי, ומי אשם בזה אם לא היהדות! חשדו שגנב מביתו, אם שראה וידע שיעקב הוא צדיק ואל עולם אוהבו, אלא בשביל שהוא יהודי - אמר לבן בלבו - מותר לגנוב ממי שאינו יהודי, ובכל אלה יד היהדות באמצע! ואחר כך כאשר ראה לבן וַיֵּוָכַח שלא גנב ממנו מאומה ובחנם חשדו, נתן עיניו בצאנו ובכל אשר לו לאמר: "הצאן צאני וכל אשר אתה רואה לי הוא", אף על גב שראה לא אחת כי רק בעמלו ובחריצותו ובעזר ה' אלהיו עשה יעקב חיל, ולא עוד אלא שאף הוא, לבן, נתברך בגללו, כמו שאמר בעצמו ליעקב: "נחשתי ויברכני ה' בגללך", עם כל זאת מצא לו לבן תואנה לאמר: כי כל הרכוש אשר רכש לו יעקב בגבולו ובארצו, שלו הוא, יען עשה עֹשׁר במרמה - לפי דעתו - ולא במשפט! ובכל אלה רק כח היהדות יפעל את פעולתו, להערים על מי שאינו יהודי! ועל כן היתה עברתו שמורה להיהדות, ובחפצו לעקור אותה לבלתי השאיר לה שׂרשׁ, אמר בלבו לאבד גם את כל ההולכים לדגלה, לולא בא אלהים אליו בחלום הלילה ויאמר לו: "השמר לך פן תדבר עם יעקב מטוב ועד רע"! - ואלה הדברים הנאמרים למעלה נזכרים ונעשים בארצות מאפליה בכל דור ודור

     


    [1] TB Pessa’him 87b. Voir aussi TB Guittin 17a. Nos textes portent la mention « Edom » à la place de « Aram ». Le Netsiv explique que deux versions existent et soutient, arguments à l’appui, que la version correcte est bien « Aram » (cf. son commentaire hébreu à la fin de ce billet).

    [2] Le Netsiv parle de « guerres continues entre Aram et Israël ». Puisque l’exil de substitution est Babel, force est de constater que la période en question est celle de la fin du premier Temple. Je ne sais pas si cela correspond ou non à une réalité historique. Quoi qu’il en soit ni le Talmud ni le Netsiv n’ont ici pour objectif de présenter une description historique des évènements ayant mené à l’exil babylonien, mais d’apporter des idées de fond sur l’antisémitisme et l’exil.

    [3] Si l’on peut s’exprimer ainsi…

  • La Parasha d'après le Netsiv - Ki-Tetsé

     *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Le fils rebelle : intelligibilité et effroi

     

    Avant d’être une question éthérée de philosophie, l’existence sur terre du mal absolu - parce que non réhabilitable - se formule, à l’échelle de la société, comme un problème existentiel. L’actualité des attentats en Occident et ailleurs nous y ramène quotidiennement. Et les beaux discours sur les vertus de l’éducation, la patience et le pardon se fracassent sur la dure réalité des appels aux meurtres, de l’endoctrinement de ceux qui s’en font les instruments. Face à la lâcheté de Chamberlain, la légitimité et la grandeur d’un Maurice Bavaud, ce jeune Suisse qui en 1938, alors qu’il avait vingt-deux ans, tenta d’assassiner Hitler.

    Classiquement, les commentateurs justifient la mise à mort du בן סורר ומורה, le fils rebelle, exposée au début de כי תצא, par son devenir inéluctable : il finira par mettre en danger la vie d’autrui. Le Netsiv le décrit comme « n’allant ni sur la voie de la Thora, ni sur celle du דרך ארץ (que l’on pourrait traduire par conduite civilisée) ». S’étant ainsi interdit tout perfectionnement, ce fils se condamne au mal. Et la réaction est à la mesure de ce mal :

     

    ורגמהו כל אנשי עירו באבנים ומת ובערת הרע מקרבך וכל ישראל ישמעו ויראו. (כא,כא).

    « Tous les hommes de sa ville le lapideront, il mourra, tu feras disparaître le mal d’entre toi et tout Israël entendra et craindra. »

     

    Intéressons-nous avec le Netsiv aux quatre mots qui clôturent le verset et reviennent comme un leitmotiv au début du livre de דברים : le peuple d’Israël entendra et craindra. Qu’y a-t-il qui demande à être perçu?

    Certes pas la matérialisation de la mort sous la forme de la dépouille du criminel, puisque le passage qui suit directement le nôtre interdit précisément de laisser à la vue de tous le cadavre du condamné. La mise à mort doit être publique : mais qu’y a-t-il à entendre et à craindre dans le passage d’autrui à trépas ? N’est-ce pas là justement le seuil du représentable, ce qui pour le vivant ne saurait se figurer ? Est-ce la dissuasion, l’éducation des foules qui motive la publicité faite autour de cette exécution ? La question est peut-être sordide, elle n’en demeure pas moins aiguë à plus d’un titre pour qui se rend attentif à chaque mot. Et c’est là le propre du commentaire que nous offre le Netsiv.

    « Tout Israël entendra et craindra ! »

    Y aurait-il une manière de saisir – d’entendre, de craindre – qui se passe d’objet ? Dans ce verset, en effet, les deux verbes apparaissent comme intransitifs.

    Le sujet de ces verbes demande aussi à être précisé : tout Israël.

    Le Netsiv se livre à une analyse stylistique serrée autour de cet énoncé, dans ses variations.

    Avant de le voir figurer après la sentence du fils rebelle, nous l’avons déjà rencontré à trois reprises.

    La première fois, il s’agissait du מסית, l’incitateur à l’idolâtrie.

    הרג תהרגנו ידך תהיה בו בראשונה להמיתו ויד כל העם באחרונה. וסקלתו באבנים ומת [...] וכל ישראל ישמעו ויראון ולא יוסיפו לעשות כדבר הרע הזה בקרבך. )יג, ז-יב(

    « Et tout Israël entendra et craindra et l’on ne persévérera point à faire une telle mauvaise chose en ton sein. »

    La seconde occurrence concerne le זקן ממרא, le sage qui émettrait une halakha divergente, nonobstant la décision du Sanhedrin.

    והאיש אשר יעשה בזדון לבלתי שמע אל הכהן העמד לשרת שם את ה' אלוקיך או אל השופט ומת האיש ההוא ובערת הרע מישראל. וכל העם ישמעו ויראו ולא יזידון עוד. ) יז, יב-יג(

    Au sujet de sa peine, il est explicité que c’est tout le peuple qui verra et craindra.

     

    Enfin, la formule apparaît une troisième fois au sujet du עד זומם, qui porte un témoignage alors que sa qualité même de témoin est remise en cause :

    ועשיתם לו כאשר זמם לעשות לאחיו ובערת הרע מקרבך והנשארים ישמעו ויראו ולא יוסיפו לעשות עוד כדבר הרע הזה בקרבך. (יט, יט-כ)

    « Et ceux qui restent entendront et craindront et ne persévéreront pas à faire une telle mauvaise chose en ton sein. »

     

    Ce n’est qu’à la suite de ces trois personnages que survient le fils rebelle, au sujet duquel il est précisé que « tout Israël entendra et craindra ».

    Ces nuances, explique le Netsiv, ne sont pas anodines : elles permettent de cerner les enjeux de la faute et la portée de la punition que la Thora lui associe. Surtout, elles laissent entendre, entrevoir pour le lecteur – celui qui, en dernière analyse, entend ce que suggère le verset et peut en éprouver de la crainte – en quoi ces événements dramatiques le concernent.

     La clé exégétique, selon le Netsiv, se trouve dans la distinction à établir entre « tout le peuple » et « tout Israël » : il n’y pas là de stricte équivalence ; la première expression désigne la masse, le vulgus alors que la seconde fait plus spécifiquement référence aux Sages, qui portent l’esprit d’Israël.

    Qu’est-ce à dire ?

    Le pouvoir d’incitation est proportionnel à la force de conviction, à la capacité de subjuguer autrui en lui faisant accroire que l’illicite devient permis. On comprend dès lors que la leçon à retirer du מסית s’adresse en premier lieu aux détenteurs du savoir. « Et tout Israël entendra et craindra !»

    L’interdiction de contredire le Sanhedrin, une fois que la loi a été tranchée, s’étend pour le Netsiv à la gestion de la polis, qui ne relève pas stricto sensu de l’explicitation d’une mitsva donnée. Or, le quidam a forcément son avis sur la politique et ne se gêne pas pour le faire partager, alors même que la plus juste conduite a été exprimée par l’Autorité. Le cas du  זקן ממרא (celui qui continuerait, malgré la décision du Sanhedrin, à professer une opinion rejetée) a ceci d’exemplaire qu’il doit faire comprendre à tous que le dernier mot revient au Sanhedrin. « Tout le peuple craindra et entendra ! »

    Nouvelle expression lorsque la Thora aborde le cas du עד זומם : non plus « tout Israël » ou « tout le peuple », mais « ceux qui restent ». Il s’agit, explique le Netsiv, de la catégorie réduite de ceux dont la parole a une valeur légale. Tous ne peuvent pas prétendre à ce que leurs propos aient du poids face au tribunal, poids d’ailleurs suffisant à les faire condamner pour autant que leur témoignage soit erroné.

    En affirmant ceci, le Netsiv ne fait qu’exciter notre curiosité. Le fils rebelle n’est-il pas à plus forte raison une figure d’exception ? Or, il est explicitement dit dans son contexte que c’est tout Israël qui craindra et entendra.

    Retournement magistral !

    Le fils rebelle, c’est potentiellement le Sage ! Non pas tout un chacun, car il n’est pas écrit ici « tout le peuple », mais bel et bien le détenteur du savoir, ou du moins celui qui en est assoiffé. La punition envisagée par la Thora ne s’applique évidemment qu’au cas extrême qu’elle nous décrit et dont le Talmud nous explique à quel point il est hypothétique. Pourtant, la voie qui mène le fils rebelle à sa perte s’ouvre, pour peu qu’il se vautre dans l’opulence, même devant le Sage. En effet, celui qui refuse la sagesse évitera de se confronter aux raisons qui rendent la Thora si sévère à l’encontre du fils rebelle. Il arguera facilement qu’il s’agit là d’un verdict incompréhensible, le lien entre le comportement somme toute banal du fils qui s’abandonne à ses sens et le danger ultime qu’il fait courir demeurant inintelligible. Du coup, il se sentira bien éloigné du fils rebelle, figure d’exception, et de sa mise à mort, tout aussi incongrue. Le Sage, au contraire, percevra là – entendra et sera saisi d’effroi - que rien ne l’empêche, pas même la sagesse qu’il peut avoir acquise, de glisser sur la même pente que le fils rebelle. Il sait qu’en se prélassant dans le confort il risque fort de se retrouver dans la même posture, celle de la jouissance pure, dont il ne sera jamais définitivement préservé. Il a aussi conscience qu’une fois dans cette attitude, il est déjà sur le chemin qui conduit le fils rebelle à sa mort.

    En se rendant audible la leçon du fils rebelle, que Rachi nous fait en citant le traité Sanhedrin, en éprouvant alors de la crainte, le Sage se confronte à la véritable vertu : celle qui ne se prend jamais pour définitivement acquise. L’homme ne peut jamais se croire à l’abri de la mort, éloignement de la Source de toute vie. Ce faisant, il répond, le Sage, à nos questions sur le sens des verbes entendre et craindre lorsqu’ils n’ont pas besoin d’un complément d’objet explicite. Ce qui se perçoit ici, c’est à la fois le soi, toujours en danger, la sagesse, à poursuivre indéfiniment, et conséquemment la fragilité paradoxale de cette capacité à entendre et à craindre !

     

    Yoël HANHART

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר דברים פרק כא פסוק כא
    וייראו. להרגיל עצמם בזה, דאע"ג שלא יגיע להם זה העונש, מכ"מ ישכילו דממדה זו קרוב להיות עומד בפרשת דרכים וללסטם את הבריות, שהרי מזה הטעם נהרג זה הבן כפרש"י בשם גמ' סנהדרין. וכתיב וכל ישראל, ולא וכל העם, כמו לעיל י"ז י"ג בזקן ממרא, משום דאפילו ת"ח שמכונה בשם ישראל לא יהא בטוח בעצמו שלא יגיע לידי כך, כדכתיב בשירת האזינו וישמן ישורון ויבעט שמנת עבית כשית. ויש להסביר יותר דדוקא ישראל ישמעו וייראו, כי מי שהוא ע"ה אינו יורד לטעמו של זה העונש, וכסבור דכך גזרה תורה בלי טעם שעלול להגיע לידי מעשים רעים, וא"כ אין לו לירא להיות זולל וסובא, שהרי זה אין לו לירא שמא יהרגוהו כמו שהרגו את זה, שהרי יודע דלא הגיע למיתה, אלא ע"י אביו ואמו יחד מה שלא מצוי כ"כ, אבל ת"ח יירא מפני הטעם של מיתת בן סורר: 

    *Pdf de l'article (présentation clarifiée) :

    Netsiv ki tetsenetsiv-ki-tetse.doc

  • La Parasha d'après le Netsiv- Shofetim

      *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

     

    Monarchie ou démocratie?

     

    La question du système politique idéal n’a cesse de préoccuper philosophes et penseurs …

    De Platon à nos jours, de subtiles nuances ont été proposées.

    Lehavdil, la Torah ne semble envisager, quant a elle, qu’une seule et unique possibilité:

    “Lorsque tu arriveras dans le pays qu’Hachem ton Dieu te donne, que tu en prendras  possession et que tu t’y installeras, tu diras: “Je veux mettre un roi au-dessus de moi, comme tous les peuples qui sont autour de moi.” Tu mettras assurément au-dessus de toi un roi que Hachem ton Dieu choisira; c’est de parmi tes frères que tu mettras un roi au-dessus de toi; tu ne pourras pas mettre au-dessus de toi un homme étranger, qui ne soit pas ton frère”[i]

    En est-il vraiment ainsi? Seule la monarchie est acceptable aux yeux de la Torah? D’aucuns pourraient objecter qu’il y a monarchie et monarchie, et que monarchie absolue n’est en rien comparable a une monarchie constitutionnelle, par exemple.

    Il n’en reste que pour un lecteur “moderne”, une question est criante: et qu’en est il de la démocratie? Maimonide dans son Mishne-Torah ne l’envisage même pas… On ne peut pourtant pas soupçonner ce Maitre de n’avoir pas lu la Politique d’Aristote…  

    Ainsi, il écrit :

    “Trois mitzvoth ont été données aux enfants d’Israël a leur entrée en Terre d’Israël: nommer un Roi  -ainsi qu’il est dit “Tu mettras assurément au-dessus de toi un Roi”-, éradiquer la descendance de Amalek… et construire le Temple …”[ii]

    De manière générale, l’on peut affirmer, sans trop d’approximations, que l’avis de Maimonide est repris par tous[iii]: la monarchie, seule, est envisagée et envisageable. C’est la, le sens immédiat du verset et il n’y a pas lieu, pour ces décisionnaires, de s’en éloigner…

    Un Maitre fait pourtant exception de manière notoire – le Rav Isaac Abravanel. En deux endroits de son œuvre[iv], ce Maitre fait un éloge sans précédent de la démocratie… Son texte mériterait d’être traduit in extenso, mais le format de ce billet hebdomadaire ne le permet pas…

    Un des arguments avances par le Rav Abravanel mérite tout de même d’être cite: le verset de notre parasha, ce même verset qui, dans son sens obvie “oblige” les autres maitres a n’envisager que la monarchie, sert le Rav Abravanel! En effet, souligne celui-ci, pourquoi la Torah n’a-t-elle pas exprimé son ordre a l’impératif? Pourquoi avoir fait précédé ce “commandement” d’une requête venant du peuple? C’est que, explique Abravanel, la nomination d’un Roi n’est pas un commandement a proprement parler! Ca n’est pas plus qu’une permission, aucunement un ordre…

    Ainsi, les H2breux, selon lui, sont autorisés, à nommer un Roi… Mais, puisque de nos jours, continue-t-il, la démocratie a fait ses preuves, nous nous devons (!) de la préférer…

    Alors, démocratie ou monarchie? Le Rambam ou le Rav Abravanel?...

    Nous voila, ainsi, arrivés au commentaire du Netsiv sur notre verset… Le Netsiv s’attaque à cette question et y répond avec une saisissante modernité…

    Tout comme le Rav Abravanel, le Netsiv fait remarquer que si la nomination d’un Roi est une obligation absolue, on ne comprend pas le semi dialogue qui précéde dans le verset… Plus encore, le Netsiv relève que les mots “et tu diras “je veux mettre un roi” ne sont pas sans rappeler d’autres versets:

    “Lorsque Hachem, ton Dieu, élargira tes frontières comme Il te l’a dit, et que tu diras: “Je veux manger de la viande”, parce que tu désireras manger de la viande, selon tout le désir de ton cœur, tu pourras manger de la viande”[v]

    Ce verset qui introduit l’obligation de la sh’hita avant de consommer une bête contient lui aussi, l’expression  “et tu diras”. Or, fait remarquer le Netsiv, dans ce contexte, il est clair qu’il n’y a aucune obligation formelle de consommer de la viande! Le verset ne vient qu’énoncer la permission de manger de la viande en dehors des sacrifices…

    Ainsi, la question dans notre parasha, n’en est que plus forte: obligation de la monarchie ou juste permission?

    Le Netsiv va proposer dans son commentaire une opinion intermédiaire… La nomination d’un Roi est une mitzva, un ordre. Par contre, cet ordre n’est d’actualité qu’a partir du moment ou le peuple en a exprimé le souhait… Et, le Netsiv de préciser : si le peuple exprime le souhait d’un autre régime -comme une démocratie-, il n’y a des lors plus d’obligation de nommer un Roi…

    Le Netsiv explique cette position intermédiaire : « un régime politique non adapté mène inéluctablement a une sakanat-nefashot, à des effusions de sang ». Ainsi, la Torah n’impose pas de manière absolue un quelconque régime ; si un Roi reste à préférer dans l’idéal -pour des raisons que le Netsiv ne précise pas-, la demande doit venir avant tout du Peuple…

    Le XX siècle -et jusqu’aujourd’hui encore !- aura été témoin à répétition de ce envers quoi le Netsiv met en garde : des régimes politiques imposés à un peuple peuvent se finir dans l’effusion de sang – « relever de la sakanat nefashot » pour reprendre son expression - . Son commentaire - faisant par ailleurs, la jonction entre les différentes opinions des Rishonim - nous apparaît des lors d’une actualité remarquable….

     

    Benjamin Sznajder

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר דברים פרק יז פסוק יד
    ואמרת וגו'. אין הפי' אמירה כמשמעו בפה, אלא כלשון ואמרת אוכלה בשר וכדומה. אכן לפי לשון זה הי' במשמע שאין זה מצוה במוחלט למנות מלך אלא רשות כמו ואמרת אוכלה בשר וגו', והרי ידוע בדברי חז"ל דמצוה למנות מלך, וא"כ למאי כתיב ואמרת וגו', ונראה דמשום דהנהגת המדינה משתנה אם מתנהג עפ"י דעת מלוכה או עפ"י דעת העם ונבחריהם, ויש מדינה שאינה יכולה לסבול דעת מלוכה, ויש מדינה שבלא מלך הרי היא כספינה בלי קברניט, ודבר זה אי אפשר לעשות עפ"י הכרח מצות עשה, שהרי בענין השייך להנהגת הכלל נוגע לסכנת נפשות שדוחה מצות עשה, מש"ה לא אפשר לצוות בהחלט למנות מלך כל זמן שלא עלה בהסכמת העם לסבול עול מלך, עפ"י שרואים מדינות אשר סביבותיהם מתנהגים בסדר יותר נכון, או אז מצות עשה לסנהדרין למנות מלך, ומש"ה כתיב ואמרת וגו' שיהא העם מבקשים כך, אז שום תשים וגו'. והא ודאי א"א לפרש שאין בו מ"ע כלל כמו ואמרת אוכלה בשר וגו' וזבחת מבקרך וגו', שאינו אלא לאו הבא מכלל עשה שלא לאכול בלי שחיטה, ה"נ נימא דה"פ שום תשים עליך מלך אשר יבחר וגו' לא תוכל וגו' דוקא אשר יבחר, אבל א"א לפרש הכי דאם כן מאי איריא וירשתה וישבת בה ולא קודם, הא אפילו קודם ירושה שרי לעשות מלך, שהרי יהושע היה כמו מלך כמש"כ הרמב"ם הל' מלכים פ"א ה"ג ופ"ג ה"ח יע"ש, וכ"ה בסנהדרין די"ט, אלא ע"כ מצוה הוא, ומ"מ אין סנהדרין מצווין עד שיאמרו העם שרוצים בהנהגת מלך, ומש"ה כל משך שלש מאות שנה שהיה המשכן נבחר בשילה לא היה מלך, והיינו משום שלא היה בזה הסכמת העם: 

     

    [i] Dvarim XVII, 14-15

    [ii] Ilh’ot Melah’im I,1

    [iii] Une littérature quasi-exhaustive est cité par le Tsitz Eliezer dans son Ilh’ot-Medina

    [iv] Dans son commentaire sur notre parasha, et repris, quasiment mot pour mot, dans son commentaire sur le livre de Shmuel

    [v] Dvarim, XII,20

  • Le secret du peuple juif

       *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Le secret du peuple juif

     

    Parmi tous les mythes inventés par la propagande antisémite, il en est un qui est très largement répandu et qui est souvent repris par nos coreligionnaires : c’est la croyance que les juifs seraient intellectuellement plus brillants que les autres nations, élément jamais démontré scientifiquement.

    Notre paracha touche à ce point : à l’occasion du rappel de l’interdiction forte de laisser demeurer sur notre terre toute trace d’idolâtrie, la Thora nous indique pourquoi elle est particulièrement stricte sur ce point avec le peuple juif : « Ce n’est pas parce que vous étiez plus nombreux que tous les peuples, que l’Éternel s’est attaché à vous et vous a choisis; car vous êtes le plus petit de tous les peuples »  (Deut. VII, 7). D’entrée, le Netsiv précise qu’il est impossible de parler d’une supériorité numérique : il est évident que le peuple juif a toujours eu une population faible, et de toute façon, sauf pour des enfants qui comptent leurs billes dans la cour d’école, le nombre ne compte pas. Mais selon son commentaire, la Thora nous met en garde : ne vous imaginez pas bénéficier d’une supériorité qualitative, ne croyez pas que votre nation possède plus de savants, ou des gens plus intelligents.

    Bien au contraire, vous possédez une faiblesse spirituelle « génétique ». Ce verset s’éclaire grâce à la phrase du Talmud Beitsa 25b : la Thora a été donnée à Israël car c’est un peuple « ‘az » : courageux, mais aussi intrépide, turbulent, à la limite de l’impertinence.

    En effet, on constate que toutes les autres sociétés, orientales et même occidentales, manifestent un certain conservatisme. Par nature les nouvelles générations acceptent ce que leur transmettent leurs parents et leurs maîtres. Il a fallu près de deux siècles pour que l’esprit des Lumières fasse disparaître le fait religieux de la sphère publique en France à grands coups d’anticléricalisme acharné, et encore plusieurs années pour que le changement de mentalité touche les couches profondes de la société. Des décennies de révolution communiste n’ont pas éteint les traditions spirituelles en Russie ou en Chine.

    A l’opposé, chez nous, les choses bougent très vite. Héritiers d’un esprit de controverse talmudique, nous remettons tout en question, n’admettons aucun tabou et aucun acquis. Pour s’en convaincre, il suffit de constater les vagues successives d’éloignement et de rapprochement du message de la Thora que notre peuple a vu se succéder d’une génération à l’autre. Si les parents s’étaient éloignés de la pratique religieuse pour diverses raisons (Shoah, émigration vers des pays dits plus modernes), les enfants ont connu un mouvement de téchouva exceptionnel, et on commence à voir certains petits-enfants qui se sentent mal à l’aise dans la néo-orthodoxie de leurs parents, et qui cherchent à définir une nouvelle voie.

    Connaissant cette faiblesse naturelle, ce désir de trouver d’autres pistes, et le risque d’idolâtrie qui l’accompagne, Hachem nous a choisis, afin que la Thora nous tienne particulièrement éloignés de toute déviance.

    Mais on pourrait se dire qu’à notre époque, la avoda zara est loin de nous, et ne nous concerne pas. A cela aussi le Netsiv répond : comme il l’expliquera plus loin (Deut.XXIX, 17), l’idolâtrie et l’apikorsout procèdent du même ressort : celui de se rebeller et de rechercher des moyens étrangers au service divin. Et cela nous interpelle dans notre génération : tout le monde connaît ce désir de trouver « autre chose », quitte à flirter avec les limites du Judaïsme.

    Puisque c’est notre nature « d’aller voir ailleurs », de ne pas se contenter de notre héritage spirituel, que pouvons-nous faire ?

    La réponse nous est apportée par le dernier verset de notre paracha : « Et tu garderas les commandements, et les statuts et les ordonnances que je te commande aujourd’hui, pour les pratiquer. » Il est indispensable de mettre en place une garde, qui ne soit pas simplement passive, mais qui agisse pour permettre la protection. De la même façon que pour être chomer chabbat il ne suffit pas de rester assis sans rien faire, il faut prendre des mesures et s’organiser dès le début de la semaine pour ne pas avoir à transgresser le chabbat, pour se protéger de cette tendance à rechercher ailleurs ce qui est nécessaire à notre épanouissement spirituel, il faut agir. Le Netsiv nous invite à nous renforcer dans l’étude de la Thora, dans la pratique des mitsvot, à choisir une mitsva qu’on va chercher à accomplir à la perfection, car ce sont les meilleures garanties que nous resterons sur le droit chemin, et que nous accomplirons notre destin de "peuple élu".

    Franck DELACHE

     

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר דברים פרק ז פסוק ז
    (ז) לא מרבכם מכל העמים וגו'. הוסיף לבאר טעם השני שלא לחשוב מדוע בחר בישראל משום שהם מרובים, ואין הכונה רבוי בכמות, דמהיכי תיתי נחשוב דבר שכל עין רואה הפכו, וגם מה זה מעלה רבוי עם המוני, אלא משמעות רבוי כ"פ באיכות, שבאומה זו מצוי גדולי הדעת הרבה יותר מבאוה"ע לפי ערך ההמון, וא"כ היתה הדעת נותנת שאין לחוש כל כך על ישראל שיטעו אחר ע"ז, ועל מה זה הרחיקה התורה אותנו ממנה כל כך: 
    (...)
    כי אתם המעט מכל העמים. נהפוך הוא מה שעם ישראל בעלי דעת יתירה המה מעטים המוכשרים לעבוד את ה' בתמימות יותר משאלו נבחרה אומה אחרת להקב"ה, וכדאי' בביצה דף כ"ה ב' תנא משמיה דר' מאיר מפני מה ניתנה תורה לישראל מפני שהן עזין, ואלולא מאור של תורה ועמלה היה הדבר קשה עליהם ביותר להלוך בתום אחר ה', משום שהמה בטבעם נמשכים אחר אמצעים הנראים לעינים, וזה היה עיקר ע"ז אז כמש"כ בפ' שופטים י"ח ט' ובכ"מ, ובביאורי על שה"ש הראינו לדעת כ"ז בפסוק [א' ה'] שחורה אני ונאוה: 
    העמק דבר דברים פרק כט פסוק יז
    פן יש בכם שרש וגו'. או באופן אחר שאינו רוצה לעבוד ע"ז, אלא שאינו רוצה לקבל עול מלכות שמים ג"כ, אלא להיות חפשי מעבודת כל אלוה, והוא באמת רע ומר יותר מעובד עבודת כוכבים כיון שאין עליו שום עול ואינו מאמין בדין ומשפט כלל, או הוא מיפר תורה לומר שלא ניתנה התורה אלא כדי להפריש מאלילים, וזהו הרעיון גרוע מהכל וכמש"כ בס' במדבר ט"ו ל', וכ"ז הוא שורש פורה וגו'. וכתיב פורה ראש ולא כתיב שורש ראש ולענה, ללמדנו דגם בזה הקלקול עוד גרוע מע"ז, דהעובד עבודת כוכבים אינו חושק להשחית ולהתעות את אחרים, באשר הוא אינו עובד עבודת כוכבים אלא לתיאבון כי יקל לפניו עבודתו ומה לו ולאחרים, משא"כ המושחת בדעותיו ונושא דעו כי הכל פתיים מאמינים לכל דבר, הוא להוט להשכילם דעתו הגסה וכמש"כ בס' ויקרא י"ג מ"ד ע"ש, והרי זה פורה ראש ולענה. והנה כאן הקדים הכתוב ראש ללענה, ובקינות אומר זכר עניי ומרודי לענה וראש, והענין דלענה בתחלת אכילה אינו מר כ"כ, שהרי יוצאים בו ידי מרור והוא דתנן במשנה פסחים פרק ב' ובמרור, ופרש"י פופרץ, וכתבו האחרונים שהוא לענה, וא"כ הוא רך בתחלה, משא"כ ראש מראשית אכילתו הוא מר מאד, ומש"ה לפי דרך הכתובים לכתוב הקל תחלה והקשה אחריו, מש"ה כאן כשמדבר במרות הדעות שממררים את חיי הנפש, הוא מקדים דעה הנשחתה ביותר שהוא לחשוב דאדם כבהמה בלי דין ומשפט כלל, שזו הדעה אף על גב שנראית גרועה ביותר, וכמש"כ בס' ויקרא י"ג מ"א, מ"מ איננה פורה ומשחית לאחרים כ"כ, ומי שיש בו דעה ישרה משכיל כי האדם נוצר להיות תחת השגחת אלוה, משא"כ דעה הנשחתה בקיום תורת משה לבד וכדומה, היא עלולה להטעות ולהפרות בוגדים באדם, וזהו לענה שגרוע ביותר בזה הפרט שאין מבינים מראש כמה היא מרה באחרונה, וכיב"ז נתבאר בס' במדבר ט"ו ל', מש"ה כתיב תחלה ראש ואח"כ גרוע ביותר והוא לענה, אבל בקינות דמיירי במרירות הגוף ורוח האדם, הוא להיפך מתחלה לענה שלא היה תחלתו מר כסופו, ואח"כ ראש מהחל ועד כלה מרה. [ושם ראש עיקר שורש התיבה רוש כלשון המקרא להלן ל"ב ל"ב ענבימו ענבי רוש, אלא במקום לענה כתיב ראש לבאר שמהחל הוא מר]. וכתיב כאן שורש פורה ולא עץ פורה, משום דבזמן מתן תורה ודבר ה' לישראל לא היה עוד יצה"ר דאפקורסות ניכר בישראל, רק יצרא דע"ז, אבל לאחר כמה דורות בזמן בית שני החל להתנוצץ יצרא דאפיקורסות והפקרות, מש"ה כתיב כאן שורש שאינו ניכר לעולם 

  • La Parasha d'après le Netsiv - Devarim

     

       *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Exile-toi en un lieu de Torah

     

    Nous entamons cette semaine le cinquième et dernier des livres de la Torah,  Devarim, le Deutéronome, nommé également Michné Torah, la répétition de la Torah.


    Dans cette première lecture hebdomadaire, Moïse commence à relater l’épopée du peuple d’Israël depuis l’ordre de D’ieu de quitter Horeb, et jusqu’à la conquête de l’autre côté du Jourdain, avant l’entrée et la conquête de la Terre d’Israël, qui seront dirigées par Josué.

    Suivant cette conquête de l’autre côté du Jourdain, est déjà relatée en Nombres XXXI, 1-32 la demande des tribus de Ruben et de Gad de s’installer sur ces terres, propices à leurs grands élevages. La colère de Moïse face à cette requête est suivie par son acceptation sous condition que ces derniers laissent leur famille et traversent le Jourdain afin d’être à l’avant de leurs frères pour conquérir la Terre Promise. Une fois ceci accepté par ces deux tribus, arrive le verset 33 indiquant que Moïse partage cette contrée fertile en trois parts. Deux parts pour les tribus de Ruben et de Gad, cela va de soi, mais aussi une troisième partie pour la moitié d’une autre tribu, Manassé.

    Notre portion hebdomadaire reprend les conquêtes et la répartition de cette terre entre les deux tribus et demi (Deut. III, 12-17), ainsi que le rappel de Moïse à leur promesse d’aider leurs frères (III,18). C’est en observant la façon dont la répartition est faite ainsi que le rappel que les questions vont se poser[i].

    Premièrement, l’ordre des versets pour décrire le partage ne paraît pas, de prime abord, logique.

    En effet, dans le verset III,12 les tribus de Ruben et Gad reçoivent une part d’héritage, puis les trois versets suivants décrivent celle de la moitié de Manassé… mais une fois ceci accompli, le texte reprend l’énonciation des terres données à Ruben et Gad. Pourquoi une telle coupure ? N’aurait-il pas été plus logique de compléter un sujet avant de passer à un autre ? Pourquoi amalgamer deux tribus et mettre l’autre demi-tribu à part ?

    Deuxièmement, certes ces tribus avaient des gros élevages, mais il semble que la répartition n’est pas égale, et que, proportionnellement, la demi-tribu de Manassé reçoit bien plus que celle de Ruben ou de Gad.

    Troisièmement Moïse rappelle aux tribus leur devoir de combattre auprès de leurs frères pour conquérir la Terre d’Israël, et Rachi nous précise (III, 18) que l’injonction est, tout comme dans le premier récit, dirigée vers les deux tribus de Ruben et de Gad, mais non vers Manassé bien que dans notre texte celle-ci vienne après la répartition de ce côté du Jourdain entre tous.

    Il convient de se rappeler que le dessein original n’était pas de commencer l’entrée en Terre Sainte par la conquête et l’installation sur cette partie du Jourdain[ii]. Ceci est clairement exprimé par le mécontentement de Moïse à la demande des deux tribus. De fait, note le Netsiv, toute l’histoire relatée ici, depuis le début du chapitre 2, est une remontrance au peuple. Si, suivant la faute des explorateurs, le peuple d’Israël se serait plié à la sanction divine de devoir passer les 40 prochaines années dans le désert, si les ma’apilim n’avaient pas défié l’ordre Divin en voulant monter en Israël après la faute des explorateurs, alors la peur de D’ieu et de Son peuple serait restée intacte et Edom les aurait laissés passer par ses terres. Suivant ce scénario, la terre d’Israël aurait été conquise et répartie, puis les terres de l’autre côté du Jourdain aussi. En allant contre l’ordre Divin, cette peur s’évapora, et le peuple dut sortir en guerre contre Si’hon et Og, conquérant ainsi leurs contrées avant de traverser le Jourdain, conférant ainsi à cette région une sainteté moindre que celle promise à nos pères

    C’est pour cette raison que les tribus de Ruben et de Gad furent exilées en premier.

    Comment donc raffermir une région coupée du reste du peuple par le Jourdain, dont la sainteté est moins grande ?

    La réponse est claire : en y envoyant des personnes qui sauront faire office de dirigeants spirituels, qui pourront guider la population.

    Or les fils de Manassé sont ces personnes[iii]. Et donc, nous explique le Netsiv, Moïse va les convaincre de scinder leur tribu en deux. Une moitié ira s’installer avec le reste des tribus, l’autre restera avec les deux désirant hériter de ce côté-ci du Jourdain.

    C’est donc pour cette raison que Moîse va répartir ainsi les terres. Il faut que leur superficie soit conséquente au sacrifice demandé de cette tribu. Il commence donc par attribuer les terres aux tribus de Ruben et de Gad, qui ont fait la demande d’y vivre, mais ne peut achever cette tâche que lorsqu’il sait combien de terre il reste à partager pour la demi-tribu de Manassé.

    C’est donc pour cette raison aussi qu’il n’est pas nécessaire de faire promettre ou de rappeler la promesse d’aller se battre aux côtés des autres tribus. Non seulement parce que ceci est évident : la moitié d’entre eux vont habiter sur la rive ouest du Jourdain et donc ils ont tout intérêt à participer activement à la conquête, mais aussi car ils n’ont pas demandé à résider sur la rive et font, en quelque sort, une faveur en y laissant la moitié d’entre eux.

    La Torah, en relatant la façon dont Moïse répartit ces terres, nous donne un message de plus. Il aurait été possible de répertorier toutes les terres de Ruben, de Gad et de Manassé dans leur totalité en une fois, au lieu de faire cette pause concernant les terres de Manassé au milieu du décompte de celles de Ruben et Gad. La logique et la fluidité de la lecture le demandent.

    Du fait que Moïse ne peut pas achever cette tâche de répartition sans avoir la certitude que vivront avec ces tribus des dirigeants spirituels, des enseignants, le peuple qui est sur le point d’entrer la terre d’Israël, où les miracles qui étaient le quotidien du désert ne le seront plus, reçoit une leçon importante : Celle de rechercher à vivre à proximité de Sages, dans un lieu de Torah, car de ceci dépend la continuité du peuple d’Israël. Ainsi que Rabbi Nehoraï l’enseigne dans le traité de nos Pères IV, 14 : « Exile-toi vers un lieu de Torah et ne te dis pas qu’elle viendra après toi[iv] ».

     

    Nathalie Loewenberg

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte : cf. note IV

     

     

    [i] Haemek Davar Deut, III,16

    [ii] Haemek Davar, Deut, III, 12

    [iii] Voir Juges V, 14 : « Makhir a produit des législateurs »

    [iv]

    משנה מסכת אבות פרק ד

    משנה יד

    רבי נהוראי אומר הוי גולה למקום תורה ואל תאמר שהיא תבוא אחריך שחביריך יקיימוה בידך ואל בינתך אל תשען:

    ג, י"ב

    ואת הארץ ההיא וגו׳. יש לשום לב לכל הספור מן ונפן ונעל עד סוף הסדרה איזה דבר תוכחה יצוק בזה. אבל ראוי לדעת דאלו לא חלקו ב״ר וב״ג בעה״י לא גלו תחלה ב״ג וב״ר. דעה״י קדושתה קלה מא״י וגם כח התורה מעט בקרבה כדתניא באדר״נ ס״פ כ״ו בראשונה היו אומרים דגן ביהודה ותבן בגליל ומוץ בעה״י. ולענין תורה מיירי שם. וכדאי׳ במדרש פ׳ תולדות ורוב דגן זה תלמוד. וכבר רמז משה להם באמרו ודעו חטאתכם אשר תמצא אתכם כמש״כ בס׳ במדבר ל״ב כ״ג. ואחר שגלו ב״ר וב״ג הוקל גם קדושת א״י כדאי׳ בערכין דל״ב ב׳ כשגלו שבט ב״ג וב״ר כו׳. וכ״ז גרם חטא מרגלים דאלו עלו מקדש ברנע דרך אדום לא״י לא היה אז מלך אדום מסרב מלהרשות את ישראל לעבור בגבולו בעוד שהיה פחד קריעת י״ס על אלופי אדום והיו כובשים תחלה א״י ומחלקים בשוה ובאים אח״כ לעה״י ולא היה הגלות ושארי צרות. אבל עתה כשהעפילו לעלות והוכחו בשעיר עד חרמה הוקל כבוד ומורא ישראל בעיני אדום. וכן במואב עד שהגיעו בע״כ לסיחון. ועלה שנכבשו ארץ סו״ע ונתחלק ארץ עה״י לב״ג וב״ר ויצא מה שיצא. וכ״ז תוכחה מה הגיע עון מרגלים ומה שהעון סיבב. ואת אשר לפניהם לעשות בשמירת התלמוד ופלפולה. וע״ע בסמוך:

     

    ג,ט"ז

    ולראובני ולגדי וגו׳. אין סדר הספור מכוון. במקרא י״ב החל בנחלת ראובני וגדי והפסיק הענין והחל בנחלת שבט מנשה ואח״כ סיים בנחלת ראובני וגדי ולאו דבר ריק הוא. אלא נראה עפ״י שיש להתבונן עוד שהרבה משה רבינו חלקת חצי שבט מנשה הרבה לפי ערך שני שבטים אלו וגם לא התנה עמם תנאי ב״ג וב״ר. הן אמת שהלכו בני מכיר בן מנשה גלעדה וילכדוה מכ״מ אין זה טעם ליתן להם בשביל זה. כמו שלא נתן לשלוחי ישראל לרגל את יעזר ולכדו בנותיה ומכ״מ לא ניתן להם בנות יעזר דבשליחות ישראל נעשה ואמאי ניתן הגלעד למכיר וחבל ארגוב ששים עיר ליאיר. וע״כ היה בזה כונה פנימית שנוגע לכלל ישראל שישבו בעה״י. ונראה דבשביל שראה משה רבינו דבעה״י כח התורה מעט כמש״כ לעיל בשם אדר״נ. ע״כ השתדל להשתיל בקרבם גדולי תורה שיאירו מחשכי הארץ באור כח שלהם. וכתיב מני מכיר ירדו מחוקקים. היינו גדולי תורה ראשי ישיבות כמו שמפורש בסנהדרין ד״ה על הא דכתיב לא יסור שבט מיהודה ומחוקק מבין רגליו. אלו בני בניו של הלל שמלמדים תורה ברבים. וכן היה בכל דור. וכבר פירשו ביבמות דס״ב ב׳ דמני מכיר ג״כ היה משבט יהודה היינו זרע יאיר בן מנשה היו מבני יהודה כמבואר בדה״א ב׳ שהיה בן שגוב בן חצרון בן פרץ. ועי׳ להלן ל״ג כ״ג והשתדל משה שיתרצו המה לשבת בעה״י. ומשום זה הרבה להם נחלה עד שנתרצו. והכי אי׳ בירושל׳ ביכורים פ״א שאין מביאין ביכורים מעה״י משום דכתיב ארץ זבת חו״ד ולא עה״י. תני אשר נתת לי ה׳ ולא שנטלתי לי לעצמי מאי ביניהון א׳ ר׳ אבין חצי שבט מנשה ביניהון מ״ד אשר נתת לי ולא שנטלתי לי מעצמי חצי שבט מנשה לא נטלו מעצמן כו׳. פי׳ שלא נטלו כ״א ע״י בקשת משה ומסתמא עשה ע״פ ה׳. וזהו סדר הפ׳ שהוכיח משה לישראל שהחל לחלוק נחלת ב״ג וב״ר ולא יכול לגמור עד שדבר עם חצי שבט מנשה וגמר עמם ונתרצו בחלקם. אז ידע משה לגמור חילוק נחלת ב״ג וב״ר. ודבר זה היה ידוע לכל ישראל באותה שעה. ואח״כ סיפר להם הענין כמה השתדל להשתיל בקרבם גדולי תורה. ומזה ילמדו לדורות להשתדל לדור במקום תורה דוקא כי בזה תלוי חיי ישראל וכדאי׳ בכתובות דקי״א א׳ כשם שאסור לצאת מא״י לבבל כך אסור לצאת מבבל לחו״ל ופרש״י לפי שיש שם ישיבות המרביצות תורה תמיד. ואפי׳ לענין קבורה אמרו חז״ל שם שטוב להקבר במקום תורה כמו במעלת א״י. כ״ז הראה משה רבינו לדורות מה שעשה בזמנו:

     

  • La Parasha d'après le Netsiv - Matot-Maassé

       *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    La loi des interférences

     

    A la fin de son commentaire sur Bamidbar, le Natsiv fait une remarque qui laisserait sans voix de nombreux commentateurs : il constate que le dernier verset de Bamidbar finit presque de la même façon que celui de Vayikra . « Voici les commandements que Dieu a ordonné à Moïse aux enfants d'Israël sur le mont Sinaï »[1] clôt le livre de Vayikra. A la fin de Bamidbar, le peuple a migré et se trouve sur les plaines de Moav, le verset dit alors « voici les commandements et les lois que Dieu a ordonné par la main de Moïse aux enfants d'Israël dans les plaines de Moav, sur le Jourdain »[2]. Les différences sont minces, et le lecteur pressé se dit qu'il faut bien conclure. C'est très mal connaître le Netsiv qui va tirer partie des deux différences qu'il a exhibées pour les éclairer mutuellement.

    Le terme employé en plus dans Bamidbar est le terme de  michpatim (lois). « Mais le livre de Vayikra n'est-il lui même pas rempli de lois ? » questionne l'auteur. Pour comprendre la question à un second degré, il faut se rappeler que traditionnellement les lois (michpatim) s'opposent à décrets ('houkim) : ces derniers visant plutôt les lois qui semblent étrangères à l'entendement, telles que la purification des gens en contact avec les morts, ou les mélanges interdits de laine et de lin, les michpatim visant les interdits de vol, de meurtre, ou généralement tout interdit avec lequel l'intelligence se trouve en terrain conquis. Or, fait remarquer notre auteur, il existe aussi des michpatim  dans Vayikra ! Comment justifier alors ce mot en plus, laissant  penser qu'il n'y a de michpatim que dans le livre de Bamidbar ?

    Le deuxième terme employé en plus c'est la mention de Moïse comme médiateur, en l'usage du mot « par la main de Moïse ». On aimerait retrouver chez les modernes un tel souci du détail interprétatif, mais c'est en vain qu'on essaierait : on préfère interpréter le texte à la lueur de son idée centrale, c'est la moindre des choses pour les textes non révélés. Pour un texte donné par Dieu, toutes les ruses interprétatives sont possibles et même requises. Comme on va le voir.

    En effet, le Netsiv va mettre ces deux remarques en rapport avec un texte talmudique très énigmatique[3] : « La Torah n'a été donnée qu'à Moïse et sa descendance, mais celui-ci s'est comporté avec générosité, et la céda à l'ensemble d'Israël ». Le talmud s'étonne, pose des questions et conclut : « en réalité ce qu'il céda à Israël c'est la faculté de raisonner pour produire les lois de la Torah ». De quoi s'agit-il ?  La Torah pourrait très bien être un recueil de lois, fini, dont rien ne pourrait s'échapper, nous serions alors contraints devant toutes les questions qui se posent soit à demander au prophète, soit rester dans l'inconnu. C'est la Torah du mont Sinaï. Elle n'est pas exactement celle qui fut donné à Moïse et ses descendants : eux ont eu, en plus de la Torah telle qu'elle est écrite, la capacité de raisonner à partir d'elle et d'utiliser des règles herméneutiques[4].  Lorsqu'une question nouvelle se présente au Sanhédrine, celui-ci a la latitude de les utiliser pour déduire des nouvelles lois de la Torah, ou plutôt de répondre aux nouvelles questions qui ne manquent pas de surgir à chaque génération.

    L'audace du Netsiv est d'appeler l'ensemble de ces nouvelles possibilités ouvertes par le nom de michpatim. Ainsi la transition du mont Sinaï aux plaines de Moav est une véritable révolution herméneutique : celle de faire comprendre à un peuple que la Torah est à élaborer à chaque génération[5].  Quarante ans se sont écoulés entre le début de Bamidbar et la fin : quarante pour le comprendre[6].

    Si l'on peut parler d'audace herméneutique de la part du Netsiv, c'est qu'il utilise un terme des plus courants pour en redessiner sereinement le contour : ce qui différencie un commandement d'un michpat,  ce n'est pas que l'entendement se sente plus à l'aise avec certaines lois qui lui paraissent plus « logiques ». Il n'existe pas de loi logique, et les systèmes de lois essayés par les hommes montrent bien qu'il existe de nombreuses possibilités. Mais plutôt quand on met en tension, qu'on fait interférer et qu'on confronte des lois et des versets,  on découvre que chacun éclaire et s'éclaire là où au départ il n'y avait qu'obscurité sur obscurité. C'est un peu ce que fait ici le Netsiv.

    Franck BENHAMOU

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר במדבר פרק לו פסוק יג
    יג) והמשפטים. בסוף ספר ויקרא לא כתיב אלא אלה המצות, ולא כתיב והמשפטים, אף על גב שגם בספר ויקרא כתיב הרבה דיני ממונות, אלא משפטים משמע כאן חקירות היוצא מי"ג מדות כדאיתא בסנהדרין דף פ"ז בבאור הכתוב כי יפלא ממך דבר למשפט, ובהר סיני עוד לא ניתן דרך החקירות אלא למשה ולזרעו כדאיתא בנדרים דף ל"ח, ורק בערבות מואב הואיל משה באר התורה כולה על פי דרך הפלפול והחקירות כאשר יבואר ריש ספר דברים, משום הכי כאן שנאמרו בערבות מואב כתיב והמשפטים, דכבר צוה ה' גם על המצות וגם על המשפטים, והיינו דכתיב כאן ביד משה אל בני ישראל. דלשון ביד משה משמעו דברי קבלה שלא נדבר עמו פא"פ אלא בשפע סיעתא דשמיא, כמש"כ כמה פעמים, וע"ע מש"כ בספר ויקרא סוף התוכחה אלה החקים והמשפטים וגו' ביד משה:

     

     


    [1]Vayikra 27.34.

    [2]Bamidbar 36.13.

    [3]Nédarim 38. Citation partielle, comme l'usage talmudique le veut, de nombreux versets sont cités pour être interrogés, mais ce n'est pas le propos ici.

    [4]Elles sont au nombre de treize, codifiées par Hillel.

    [5]Entendons-nous par les maîtres de chaque génération, et non quelques rabbins en manque d'audience.

    [6]Certains y mettraient plusieurs vies.

  • La Parasha d'après le Netsiv - Pin'has

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Le traumatisme de la paix

     

    La Paracha précédente, celle de Balak, nous laisse sur un « cliffhanger », un suspens particulièrement intense, suite au coup d’éclat d’un individu jusqu’ici inconnu, Pinh’as, fils de Eleazar, fils du Grand-Prêtre Aharon.

    Cet homme, avec une audace et un courage surprenant, a décidé, sans procès ni jugement, d’exécuter un homme - non des moindres - Zimri ben Salou, prince de la tribu de Shimon ainsi que sa concubine Moabite, et a ainsi sauvé de l’épidémie menaçant les Enfants d’Israël après leur fourvoiement avec les filles de Moav.

    Après son acte héroïque, l’Eternel gratifia entre autres Pinh’as d’une « alliance de paix ».

    Le Netsiv explique qu’il s’agit d’une récompense pour avoir apaisé le courroux divin prêt à balayer le peuple d’Israël, et pour avoir rétabli la paix dans ce moment si critique entre Israël et son Dieu. Pas n’importe quel type de paix, mais une véritable paix intérieure, loin de la colère et de la rigueur.

    Qu’est-ce donc cette « alliance de paix » ? Car l’acte de Pinh’as n’est en rien anodin. Pinh’as a tué un homme et une femme de manière passionnée, avec violence, sans concertation, sans procès et sans ordre quelconque. Il a bravé l’opinion générale pour se mettre à dos le peuple, qui a raillé ses origines idolâtres (d’où le rappel par le premier verset de sa glorieuse ascendance).

    Un épisode dégageant une tension si extrême ne peut laisser indemne aucun être humain. Tout zélateur qu’il est, jaloux devant l’Eternel son Dieu et agissant en son âme et conscience, devrait finir par développer un « Réguech Az », une sorte de stress post traumatique, un trouble anxieux sévère qui se manifeste suite à une expérience hautement traumatisante, une confrontation intense à la mort, comme c’était le cas pour Pinh’as.

    Mais son acte était entièrement tourné vers son Créateur, « au nom du Ciel », l’Eternel lui a donc accordé une bénédiction spéciale, qui a permis à Pinh’as de devenir un homme en paix avec lui-même et avec son environnement. Une force tranquille en quelque sorte. Un homme nouveau, qui va désormais résoudre ses conflits par la méthode pacifique.

    A plusieurs reprises par la suite cette nouvelle personnalité lui a permis de réconcilier les tribus entre elles, par exemple lors de l’épisode de l’idole de Micah, entre la tribu de Benjamin et le restant du peuple.

    Telle est, selon le Netsiv, la récompense du véritable défenseur de la paix, Pinh’as, qui a compris dans ce moment critique qu’elle ne peut être bâtie sur des compromis et des faiblesses.

    L’expérience tragique que nous vivons de nos jours nous en démontre le prix exorbitant.

     

    ELIE DAYAN

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר במדבר פרק כה פסוק יב
    את בריתי שלום. בשכר שהניח כעסו וחמתו של הקדוש ברוך הוא ברכו במדת השלום, שלא יקפיד ולא ירגיז, ובשביל כי טבע המעשה שעשה פינחס להרוג נפש בידו, היה נותן להשאיר בלב הרגש עז גם אחר כך, אבל באשר היה לשם שמים משום הכי באה הברכה שיהא תמיד בנחת ובמדת השלום, ולא יהא זה הענין לפוקת לב, ועי' כיב"ז בס' דברים י"ג י"ח ברוצחי עיר הנדחת. וכתיב שלום קטיעה, דבמה שהיה במדת השלום יותר מהראוי, שלא קנא בימי השופטים על פסל מיכה ועוד, כמבואר בתנא דבי אליהו ובילקוט שמעוני שופטים, משום הכי כתיב קטיעא נענש, ונמצא דמדת השלום נהפך לו לרועץ: 

     

     

     

     

  • La Parasha d'après le Netsiv - Balak

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Bil’am et le Sefer Hayashar – Le livre de la droiture

     

    Les bénédictions de Bil’am qui auraient dû être autant de malédictions sont connues de tous. Un demi-verset, peut-être moins connu, au milieu de ces bénédictions mérite notre attention : “ תמות נפשי מות ישרים “ (XXIII, 10)– Bil’am ici, ne bénit ni ne maudit, mais prie pour lui-même : « Que je meure en homme droit ». Cette prière et cette expression inattendue ont fait l’objet d’un commentaire du Netsiv…

    Ce dernier interroge d’abord la définition du mot « yashar » - droit ; n’aurait-il pas mieux fallu espérer la mort en « tzaddik », en « juste ». Etre Tzaddik, explique le Netisv, nécessite l’accomplissement de la Torah et de ses mitzvot ; être droit – Yashar- par contre est accessible a tout à chacun, Juif comme non-Juif, car la droiture n’est autre que la droiture dans les relations humaines ! Au summum de sa vision prophétique, voilà ce à quoi Bil’am aspire : à la rectitude, à la moralité dans les relations humaines !!

    Le Netsiv continue en citant un passage du traite Avoda-zara, commentant notre verset : « Que je meure en homme droit - commente le Talmud- que je meure comme Avraham, Itsh’ak ou Yaakov ».

    Ainsi, nous dit le Netsiv, selon le Talmud, les patriarches sont l’archétype de l’homme droit. Cette spécificité de la rectitude chez nos patriarches a été longuement commentée par le Netsiv. Il y a consacré, l’un de ses textes, peut-être l’un des plus connus : son introduction au livre de Bereshit.

    Dans cette introduction, le Netsiv s’interroge sur l’appellation du livre de Bereshit, le « sefer haYashar », le « livre de la rectitude », en hommage à nos trois patriarches[1].

    Les Patriarches, nous explique-t-on dans cette introduction ne se sont pas contentés d’être des Tzaddikim, d’exceller dans la pratique de la Torah et des Mitzvot (dans le contexte pre-sinaique, on dira l’accomplissement du commandement Divin…), mais ils ont aussi -et peut-être avant tout- exceller dans leurs relations avec autrui. Le Netsiv explique de manière on ne peut plus explicite : « avec autrui, Juif comme idolâtre, pieux comme impie ». Les exemples abondent pour étayer son propos : Avraham qui a prié jusqu’au dernier moment pour sauver les impies de Sodome, sa fidélité envers Loth, Itsh’ak et sa promptitude à mettre fin aux conflits avec Avimele’h, Yaakov et son empathie envers Lavan cherchant ses idoles etc…

    Voilà ce que le Talmud retient -selon le Netsiv- des Patriarches : leur yashrout, leur rectitude envers les autres humains. Voilà pourquoi, continue-t-il, le livre de Bereshit, le livre de la création est appelé le « livre de la rectitude » : sans cette rectitude, point de création, point de maintien du monde…

    Le Netsiv ne s’arrête pas là : après avoir fait l’éloge des Patriarches, il éclaire, fort de ce commentaire, une période moins heureuse – la fin du second Temple.

    Voilà une société, nous explique-t-il, qui comporte sans aucun doute des Tzaddikim, des gens très pieux, qui excellent dans la pratique des moindres détails… Mais voilà surtout une société où la Yashrout n’est plus au rendez-vous ; plus de droiture, de moralité dans les relations humaines : la suspicion est omniprésente ! Et pire, nous dit le Netsiv, la suspicion est omniprésente du fait même de leur piété : « la haine gratuite ayant envahi leur cœur, ils soupçonnaient quiconque n’était pas assez pieux à leurs yeux... ».

    Si le livre de la Création s’appelle le « livre de la rectitude », la fin néfaste du second Temple était ainsi inéluctable : sans droiture dans les relations humaines (qu’elle que soit le niveau de piété de « l’autre »), point de monde ; et le h’ourban, la destruction n’est qu’histoire de temps…

    “ תמות נפשי מות ישרים “, « Que je meure en homme droit », espérait Bil’am….

    Benjamin Sznajder

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

     

    העמק דבר במדבר פרק כג פסוק י
    תמות נפשי מות ישרים. כיון שהגיע למדה זו של חסד הנפלא ביעקב ובישראל, הצטער על עצמו הלואי שהגיע בסוף ימיו למות מות ישרים. ומשמעות מעלת ישר, הוא הנהגה ישרה בהליכות עולם בין אדם לחבירו כמש"כ בספר דברים בשירת האזינו על הפסוק צדיק וישר הוא, ובגמרא על הפסוק ועשית הישר והטוב, ולא מצא בלעם לב להתפלל שימות מות צדיקים וחסידים, שזהו ענין הנוגע בתורה ומצות ה' השייך רק לישראל ולא לאומות העולם, אבל על זה התפלל שיהיה כיעקב שנפלא במדת ישרים, שהרי מרבין חסד גם לאומות העולם ומפרנסין עניי עובדי כוכבים עם עניי ישראל, וידוע כמה נצטערו נביאי ישראל בשעה שראו חרבן אוה"ע, ולא כן עשה בלעם שביקש לעקור את ישראל, ואינה מדה ישרה אפילו למי ששונא אותם, על זה התפלל על עצמו שיגיע במותו מות ישרים. וחז"ל במסכת ע"ז דף כ"ה פירשו מות ישרים אברהם יצחק ויעקב, וכבר ביארנו בפתיחתא דספר בראשית שהולך על כונה זו דיקא יע"ש, וביארנו שם מאמרם ז"ל בסנהדרין דף ק"ה, אם תמות נפשי מות ישרים תהי אחריתי כמהו, וא"ל ועתה הנני הולך לעמי, אחר שאיעצך לאבד את ישראל על ידי זנות שוב הנני הולך: 

    העמק דבר בראשית פתיחה
    זה הספר הנקרא ספר בראשית. נקרא בפי הנביאים ספר הישר. כדאיתא במ' עבודת כוכבים (כ"ה ע"א) על שני מקראות בס' יהושע (י' י"ג) הלא היא כתובה על ספר הישר. ובס' שמואל ב' (א' י"ח) ויאמר ללמד בני יהודה קשת הנה כתובה על ספר הישר. ומפרש ר' יוחנן זה ספר אברהם יצחק ויעקב שנקראו ישרים שנאמר תמות נפשי מות ישרים. ויש להבין הטעם למה קרא בלעם את אבותינו בשם ישרים ביחוד ולא צדיקים או חסידים וכדומה. וגם למה מכונה זה הספר ביחוד בכנוי ישרים. ובלעם התפלל על עצמו שיהא אחריתו כמו בעלי זה הכנוי. והענין דנתבאר בשירת האזינו עה"פ הצור תמים פעלו וגו' צדיק וישר הוא. דשבח ישר הוא נאמר להצדיק דין הקדוש ברוך הוא בחרבן בית שני שהיה דור עקש ופתלתל. ופירשנו שהיו צדיקים וחסידים ועמלי תורה. אך לא היו ישרים בהליכות עולמם. ע"כ מפני שנאת חנם שבלבם זה את זה חשדו את מי שראו שנוהג שלא כדעתם ביראת ה' שהוא צדוקי ואפיקורס. ובא עי"ז לידי שפיכות דמים בדרך הפלגה ולכל הרעות שבעולם עד שחרב הבית. וע"ז היה צדוק הדין. שהקב"ה ישר הוא ואינו סובל צדיקים כאלו אלא באופן שהולכים בדרך הישר גם בהליכות עולם ולא בעקמימות אף על גב שהוא לשם שמים דזה גורם חרבן הבריאה והריסות ישוב הארץ. וזה היה שבח האבות שמלבד שהיו צדיקים וחסידים ואוהבי ה' באופן היותר אפשר. עוד היו ישרים. היינו שהתנהגו עם אוה"ע אפי' עובדי אלילים מכוערים. מכל מקום היו עמם באהבה וחשו לטובתם באשר היא קיום הבריאה. כמו שאנו רואים כמה השתטח אברהם אבינו להתפלל על סדום. אף על גב שהיה שנא אותם ואת מלכם תכלית שנאה עבור רשעתם כמבואר במאמרו למלך סדום. מכל מקום חפץ בקיומם. וברבה פ' וירא (פמ"ט) איתא ע"ז שאמר הקדוש ברוך הוא לאברהם אבינו אהבת צדק ותשנא רשע. אהבת להצדיק את בריותי ותשנא להרשיען ע"כ וכו'. והיינו ממש כאב המון גוים שאע"ג שאין הבן הולך במישרים מכל מקום שוחר שלומו וטובו. וכן הוצק חן ודרך ארץ נפלא על דבר אברם את לוט כמו שנתבאר פ' לך. וכן ראינו כמה נח היה יצחק אבינו להתפייס ממשנאיו ובמעט דברי פיוס מאבימלך ומרעיו נתפייס באופן היותר ממה שבקשו ממנו כמבואר במקומו. ויעקב אבינו אחר שהיטב חרה לו על לבן שידע שביקש לעקרו לולי ה'. מ"מ דבר עמו דברים רכים עד שאמרו ע"ז בב"ר (פע"ד) קפדותן של אבות ולא ענותנותן של בנים ע"ש. ונתפייס עמו מהר. וכן הרבה למדנו מהליכות האבות בדרך ארץ. מה ששייך לקיום העולם המיוחד לזה הספר שהוא ספר הבריאה. ומש"ה נקרא כמ"כ ספר הישר על מעשה אבות בזה הפרט. ובלעם בשעה שהיה רוה"ק עליו לא היה יכול להתפלא על רוע מעשיו שאינו צדיק וחסיד כאברהם יצחק ויעקב אחרי שהוא נביא אוה"ע. וראשו במקור הטומאה. אכן התפלא על רוע הילוכו בדרך ארץ שאם שראוי היה לו לשנוא את ישראל תכלית שנאה באשר שהמה בני אברהם יצחק ויעקב וראשם במקור הקדושה. אבל מכל מקום לא היה ראוי לפניו לבקש לעקר אומה שלימה. ואינו דרך ישרה בקיום העולם. וע"ז צעק תמות נפשי מות ישרים. היינו מקיימי הבריאה. ובזה יבואר הא דאיתא בסנהדרין ד' ק"ה א' אם תמות נפשי מות ישרים תהא אחריתי כמוהו ואם לאו הנני הולך לעמי. ופירש"י מיתת עצמי. ולא נתבאר איך מרומז זה במות ישרים. וגם מה שמסיים ואם לאו הנני הולך לעמי. אינו מרומז בזה המקרא כלל. אלא כמש"כ וה"ק אם תמות נפשי מות ישרים היינו שלא ארצה באבדן אנשים אז תהי אחריתי כמוהו. ואם לאו היינו אחר שארצה לאבד את ישראל כמו דכתיב לכה איעצך וגו'. אז הנני הולך לעמי באבדן כמו כל עמי. ובדברינו נתיישב יפה על מה נקרא זה הספר ספר הישר שהוא ספר הבריאה: 

     

     

     

    [1] Traite Avoda-Zara 25

  • La Parasha d'après le Netsiv - Shela'h

     

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Inventer une mitsva ?

     

    La paracha Shelah Lekha nous relate l’épisode bien connu des explorateurs. Après avoir visité le pays de Canaan, ils ont médit sur la Terre Promise. La faute des explorateurs est tellement grave que leur punition est sans appel ; ils doivent périr dans le désert, eux, et toute leur génération.

    Comme le rapporte le Netziv sur le verset 15 :32, du moment que la punition d’exil de quarante années dans le désert est décrétée, le peuple a un statut d’exilés, ainsi, ils ne peuvent plus faire de sacrifices publics.

    Le Netziv poursuit ; ils se sont mis à penser qu’ils devenaient exempts de toutes les mitsvot jusqu’au moment où ils pourront rentrer en Erets Israël !

    Cela nous permet d’introduire un passage de la parasha venant de manière impromptue. Le récit du mekoshesh etzim, littéralement celui qui « casse » ou bien « ramasse » du bois pendant shabbat en public (ces deux travaux étant interdits de la Torah et donc passibles de mort)

    La Torah dit en 15:32 :

    « Pendant leur séjour dans le désert, les enfants d’Israël trouvèrent un homme ramassant du bois le jour du Shabbat »

    Le Netziv relève sur place que les mots « dans le désert » semblent superflus, bien évidemment que le peuple se trouve dans le désert ! Il répond à cela en mentionnant le midrash cité par la guemara baba batra page 119b. Le « mekoshesh etzim » avait une intention toute entière dédiée à la gloire du Ciel. En sachant pertinemment qu’il allait se faire tuer pour cette transgression, il voulait ainsi prouver de manière éclatante, que les mitsvot doivent aussi être accomplies en dehors d’Erets Israel. C’est le fait qu’ils soient « dans le désert » (ie : en exil) qui provoque la transgression du mekoshesh etzim.

    Au-delà de la transgression halakhique sanctionnée par la peine de mort, c’est le biais intellectuel de ce comportement que la torah condamne ici en juxtaposant ce récit, à la parachat tsitsit :

    Plus loin, la Torah dit : (en 15:39) « […]Ne vous égarez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux […] »

    Ne vous égarez pas, c'est-à-dire, faîtes les mitsvot, pour quelle raison ? « car Je suis l’Eternel votre Dieu », qui apparait dans les versets suivants, pas une, mais deux fois !

    Le Netziv explique cela en mentionnant que cette répétition se rapporte à deux types de juifs ; ceux qui en Egypte pratiquaient déjà les mitsvot (des Hommes de Valeur, attachés à Hashem) et d’autres qui faisaient ce qu’ils pouvaient, chacun selon son niveau. Il y a une opposition entre le comportement avant la sortie d’Egypte, et celui d’après la sortie d’Egypte (et le don de la Torah) ; les mitsvot ont été données et fixées, on ne peut plus les inventer !

    Autre explication, on constate qu’il n’y a pas deux juifs qui servent Hashem de la même manière. Certains s’approprient une mitsva et la pratique de la manière la plus poussée qu’il soit, d’autres ont des facilités pour faire telle ou telle mitsva.

    Bien qu’extrêmement importants, ces comportements peuvent laisser libre cours à une initiative personnelle qui pourrait totalement sortir du droit chemin.

    Le Netziv voit ici une mise en garde contre une pratique malheureusement assez courante ; une envie d’inventer une nouvelle mitsva, ou pire vouloir commettre une faute « lishma », tout cela pour se rapprocher d’Hashem !

    Bien que la gmara (Nazir 23b) dise qu’une aveira lishma soit préférable à une mitsva lo lishma, le netziv poursuit en disant que c’est valable uniquement en cas de force majeure.

    Bien entendu, personne ne doit se mettre volontairement dans cette situation !

     

    Raphaël ABITBOL

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    *Textes du Netsiv :

    העמק דבר במדבר פרק טו פסוק לב
    (לב) ויהיו בני ישראל במדבר. הוא מיותר, והלא ידענו זה, אלא כמו שכתבו התוס' בב"ב דף קי"ט ב' בשם מדרש, שהמקושש נתכוין לשם שמים, דישראל סברו דאין התורה נוהגת אלא בארץ ישראל, וכמש"כ בספר ויקרא כ"ו ל"ו ובכ"מ, ומשעה שנגזר עליהם להיות ארבעים שנה במדבר ולהיות גולים ממקום למקום, היה להם דין גלות, ומשום הכי לא הקריבו קרבנות צבור, להכי כסבורים שפטורים ממצוות עד שיבואו לארץ ישראל, ולזה בא המקושש להראות שימיתו אותו על חלול שבת, משום הכי כתיב ויהיו בני ישראל במדבר, שזה גרם מעשה דמקושש: 
    העמק דבר במדבר פרק טו פסוק מא
    (מא) אני ה' אלהיכם אשר וגו' אני ה' אלהיכם. שתי פעמים והדרש במנחות (מ"ד א') ידוע. ולפי הפשט מבואר לפי דברינו, דמיירי בשני אופני עבודת ה', והנה בהיות ישראל במצרים היו גם כן אנשי מעלה ודבקים בה', והקב"ה היה משגיח עליהם בהנהגה נסית כפי ערכם, אבל המון ישראל עוד שלא יצאו ממצרים לא ידעו מאומה מתורה ומצות, וכמו כן לא באה עליהם השגחה פרטית לפי המעשה עד שיצאו ממצרים וקבלו תורה ומצות, אז נשתנה הנהגה עליונה להשגיח לפי המעשה בדרך נסתר כמש"כ בספר דברים בפרשת שמע ישראל ובכ"מ, וזהו דכתיב שתי פעמים, נגד אופן הראשון כתיב אני ה' אלהיכם אשר הוצאתי וגו' על מנת כן הוצאתי מארץ מצרים כדי להשגיח עליכם לפי מעשה המצות, ונגד אופן השני כתיב אני ה' אלהיכם סתם, דמשמעו מכבר גם לפני יציאת מצרים, והכל לפי מעשה המצות, והשגחה פרטית גם כן משונה באנשי מעלה משארי עובדי ה' כמש"כ בספר דברים במקרא פנים בפנים וגו' ובכ"מ. ועוד לאלוה מלין במשמעות מקראות הללו ולא תתורו אחרי לבבכם וגו', ועל זה כתיב אני ה' אלהיכם אשר הוצאתי אתכם מארץ מצרים וגו', ותניא בספרי ר' ישמעאל אומר למה נאמר ולא תתורו אחרי לבבכם, לפי שהוא אומר שמח בחור בילדותך וגו' (פירוש וסיפיה דקרא והלך בדרכי לבך) בדרך ישר או בדרך שתרצה תלמוד לומר ולא תתורו אחרי לבבכם, והמאמר הזה פלא, מה קשה להתנא למה נאמר, ומה זה הישוב שלא נטעה בדברי קהלת לומר שכשר הדבר לילך בכל דרך שתרצה אפילו לעשות דבר עבירה ח"ו. אלא כך הענין דקשה לשון ולא תתורו דמשמעו מלשון מתור הארץ, חיפוש ענין חדש, ויותר נוח היה אי כתיב ולא תלכו אחרי לבבכם, והיה משמעו יפה זו מינות, שהלב נמשך אחריו, ולמה נאמר ולא תתורו, על זה יישב ר' ישמעאל עוד כונה באזהרה זו, והיינו דשלמה אמר והלך בדרכי לבך, והתנא מפרש כל אותו מקרא שמח בחור וגו' לשם מצוה והכי פירשו במדרש קהלת, וזהו דעת ר"ל בגמרא שבת דף ס"ג ב' עד כאן לדברי תורה, ופירש רש"י שמח בתלמודך למוד משמחה וטוב לב, ונמצא פירוש והלך בדרכי לבך, לפי שאין הילוך עבודת ה' בתמידות של כל בני אדם שוין, זה עוסק בתורה ועמלה כל היום, וזה פורש עצמו לעבודה, וזה לגמילות חסדים, והכל לשם שמים, וגם בתורה עצמה אין כל דרך לימוד שוה, וגם במעשה המצות איתא בפרק כל כתבי [שבת קי"ח ב'] אבוך במאי זהיר טפי, והיה מר זהיר במצות שבת ומר במצות ציצית, והרי זה כדאיתא בירושלמי סוף פרק א' דקידושין כל העושה מצוה אחת מטיבין לו ומאריכין לו ימיו ונוחל את הארץ, אר"י ב"ר בון מי שייחד לו מצוה ולא עבר עליה מעולם, ובמכילתא פרשת בשלח תניא כל העושה מצוה אחת באמנה כו', וע' מש"כ בספר דברים ו' א' ב' ג', וכן בגמ"ח אין כל העוסקים שוין בהליכות עולמם, ואם בא אדם לשאול איזהו דרך ישרה שיבור לו בדרך לימודו או במה להיות זהיר טפי, על זה אמר קהלת והלך בדרכי לבך, מה שלבו נמשך אחריו, ברור שמזלו חזי כי זה ענין טוב לפי כח נפשו, ועל זה קאמר או בדרך שתרצה, אפילו מה שאינו בכלל מצות התורה כלל, רק שהוא עושה לשם שמים ובדביקות באלהיו הרי זה טוב, על זה כתיב ולא תתורו אחרי לבבכם, שלא תחפשו מצות חדשות מה שאינו על פי התורה, ולא נכלל במצות ציצית, שבו נכלל תרי"ג מצות ה' ולא יותר מהמה. ועל זה סיים המקרא אני ה' אלהיכם אשר הוצאתי אתכם מארץ מצרים להיות לכם לאלהים, דבארץ מצרים עוד לא קבלו תורה ומצות, ולא ידעו באמת מה המה כי אם איזה גדולי הדור שהיו מקובלים מאברהם יצחק ויעקב שעשה אברהם אבינו את כל התורה, אבל בדרך כלל נשתכחה תורה זו מדעת המון רבה, ומי שהיה ירא ה' וחפץ בעבודתו היה עובד ה' בדרך שראה בשכלו טוב ויפה, אבל מעת שיצאו ממצרים הנחיל הקדוש ברוך הוא תורה ומצות ודוקא מצות אלו ולא יותר. והנה התוס' בב"ב דף קי"ט ב' הביא בשם מדרש דהמקושש לשם שמים נתכוין שחילל שבת כדי שיהרג וידעו הדור שאף על פי שנגזר עליהם שלא יכנסו לארץ מכל מקום חייבין במצות התורה, ויש להתבונן מאין הוציאו חז"ל רמז דכך היה המעשה שנתכוין לשם שמים. ולפי דברינו למדו מסמיכת פרשת ציצית לאותה פרשה של המקושש, דנזהרו אחר כך גם על זה האופן, שאין לאיש לתור אחר מצות חדשות ולעשות עבירה לשמה ח"ו, דאף על גב דאיתא בנזיר דף כ"ג ב' גדולה עבירה לשמה כמצוה שלא לשמה, מכל מקום זה אינו אלא שבאה שעה לידו שמוכרח לעשות עבירה לשם שמים, כהא דתמר ויהודה שלא היה לה עצה אחרת, או מעשה דיעל, אבל להמציא נפשו לכך לעשות עבירה לשם שמים אין זה דרך הישר שיבור לו האדם, ועל זה נאמר ולא תתורו אחרי לבבכם כמו שביארנו, ובפרשת קרח יבואר עוד שמשום הכי נסמכה מעשה דקרח אחרי פרשת ציצית, שבזה נכשלו ר"ן איש גדולי ישראל, עברו עלה ונענשו כאשר יבואר

  • Introduction du Netsiv à Bémidbar

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 2

    L'introduction du He'meq Davar

    au Livre de Bemidbar, Les Nombres

     

    En hommage à Henri Ackermann

    qui m'a fait découvrir le He'meq Davar

    Au début du commentaire de chaque Livre de la Torah, le Rav Naphtali Tsvi Yehouda Berlin (Nétsiv) écrit une introduction dans laquelle il présente les grandes lignes du Livre, observé comme une entité littéraire propre. Ces introductions font ressortir la méthodologie générale de son commentaire, le He'meq Davar. C'est ce que nous nous proposons de présenter au travers de l'introduction du Netsiv au quatrième Livre de la Torah.

    פתיחה לספר במדבר

    זה הספר נקרא בפי המשנה יומא פרק ז' ועוד, ורבי חנינא בן גמליאל סוטה דף ל"ו חומש הפקודים. וכן כתב בעל הלכות גדולות. ונרשם בדעת רבותינו עניין שני הפקודים שבזה הספר, יותר משארי דברים שמיוחדים בזה הספר, כמו המרגלים וברכת בלעם ועוד הרבה, משום דעיקר זה הספר הוא מחליף ומשנה הליכות עם ה' בחיי העולם מאז שהגיעו לארץ ישראל מן הדרך שהלכו במדבר: שבמדבר היו מתנהגים במדת תפארת שהלך לימין משה, שהוא לגמרי למעלה מהליכות הטבע, ובארץ ישראל הלכו בדרך הטבע, בסתרי השגחת מלכות שמים ברוך הוא. וזה השנוי התחיל עודם במדבר בשנת הארבעים כמו שביארנו בפרשת חקת. על פי זה השינוי נעשו מלחמות ישראל עם הכנעני ועם סיחון בדרך הטבע, וגם המטה לא היה עוד ביד משה תמיד אלא לעת הצורך לפי ההכרח, כמו שביארנו שם.

    ועל זה השינוי המצויין בזה הספר אמרו חז"ל בבראשית רבה פרשה ג': "(בראשית א ד): "ויבדל אלהים בין האור ובין החשך" - זה ספר במדבר, שהוא מבדיל בין יוצאי מצרים ובין באי הארץ", דבהליכות יוצאי מצרים היה אור השגחת ה' מופיע לעין כל, שהוא כבוד ה' ותכלית הבריאה משא"כ בהליכות באי הארץ היתה ההשגחה מכוסה ורק המביט בעין יפה היה מרגיש בה כמו ההולך בחשכת לילה, או רק לפרקים היה נרגש ההשגחה לעין כל, כמו אור הברק המאיר חשכת הלילה.

    אכן עיקר ההפרש הזה היה ניכר בשני הפקודים שהיו שני עניינים שוים בחומר המעשה, ונשתנו בצורת המעשה לפי הליכות ישראל, משום הכי בפעם הראשונה היו על פי סדר הדגלים מארבע רוחות כמרכבה לשכינה, והיה אפרים ראש הדגל וקודם למנשה, ולא כן בפקודי פרשת פינחס בשנת הארבעים, כמו שכתבתי בפנים ב' כ'.

    ועוד בפקודי פרשת במדבר היו הראשים מוכרחים להיות מאותו השבט, ולא כן היה בפקודי פרשת פינחס בשנת הארבעים, כמו שכתבתי בפנים א' מקרא ב', משום הכי רשום זה הענין מאד, עד שראו חז"ל לקרוא שם להספר חומש הפקודים.

    והנראה דעל פי זה הכוונה אמרו חז"ל ד"ויהי בנסוע הארון" (במדבר י לה-לו) הוא ספר בפני עצמו, ללמדנו באשר כי התחלת השינוי היה מן (במדבר יא א): "ויהי העם כמתאוננים" וגו', כי בשביל שהתנהגו במדת תפארת נענשו מיד אחר שחטאו, כי היה צל ההשגחה על יד ימינם, ודבר זה היה קשה עליהם לסבול עד שגרם לשלוח מרגלים כאשר יבואר ראש פרשת שלח, ומזה נשתלשל והלך עד שהגיע לזה השינוי, כאשר יבואר שם. ואם כן, פרשה זו קטנה היא המחלקת בין שני אופני הליכות ישראל, עד שכל חלק אחד מן הספר הוא ספר בפני עצמו, כמו זה ההילוך הוא ספר בפני עצמו, וזה ההילוך הוא ספר בפני עצמו, וכמו שכתבתי בפרשת בראשית על הפסוק (בראשית ה א): "זה ספר", שספור עניין גדול נקרא ספר.

     

     

    La méthodologie du Nétsiv dans son He'meq Davar.

    Les commentaires de la Torah du Nétsiv de Volozhin suivent généralement le plan suivant :

    1. L'attention à chaque détail de la Torah :

    Le Netsiv s'interroge sur la nécessité d'une seule lettre, de tout un paragraphe ou d'un livre entier qui peuvent apparaître superflus. Il compare à chaque fois des versets qui se ressemblent pour faire apparaître leurs différences, aussi minimes soient-elles et purement formelles. Des questions se posent alors afin de comprendre avant tout le sens pshat, obvie, du texte.

    2. La référence aux écrits des Sages :

    C'est en étudiant les enseignements de l'époque talmudique que le Netsiv tente de répondre aux questions soulevées précédemment. Le Zohar et les enseignements du Ari Zal font partie du corpus de référence du Nétsiv. Mais, à la différence des textes de la guémara ou des midrashim qu'il cite précisément, les apports de la qabbala sont peu ou pas référencés ; seules les idées sont rapportées dans un langage volontairement éloigné du lexique spécifique du Zohar ou de la pensée Louriannique. Le commentateur use d'allusions qui permettent au lecteur initié aux idées de la qabbala de faire le lien avec le commentaire étudié.

    Le Nétsiv fait appel aux commentaires des rishonim, Ramban en particulier. Il s'en inspire pour trouver des réponses à certaines questions, sans qu'ils fassent autorité[1].

    3. L'interprétation des enseignements rabbiniques :

    Les écrits des Sages apportent rarement une explication directe à une question soulevée par l'étude des versets. Il est indispensable de déchiffrer le langage des hakhamim et de les interpréter. Ils apparaissent alors comme des clefs de lecture de la Torah.

    4. L'élaboration d'un système cohérent :

    Les interprétations des Sages et les commentaires des mots et des versets spécifiques contribuent à former un système général de concepts qui éclaire l'ensemble des versets de la Torah. On peut alors,  en faisant ressortir les lignes directrices de ce système et ses principes, découvrir une pensée du Nétsiv sur l'humain, la nature, la société ou la politique par exemple.

    Évidemment, le Netsiv ne respecte pas nécessairement cet ordre méthodologique. La lecture première d'un midrash ou les idées maîtresses développées en un endroit peuvent initier le travail de commentaire en faisant apparaître certaines particularités du texte de la Torah.

    On peut donc dire que le commentaire du Netsiv sur la Torah est un commentaire classique au monde des yeshivot, dans le sillage du Gaon de Vilna, se référant à l'autorité absolue de la tradition orale des Sages pour comprendre la torah écrite. Le regard personnel du Netsiv, son « hiddoush », s'exprime surtout sous deux aspects :

    - dans l'attention portée à certains détails du texte

    - par l'interprétation quasi-systématique des enseignements des hakhamim qui peuvent apparaître alors tout à fait nouveaux et parfois très modernes pour un lecteur contemporain.

    Le plan du quatrième Livre de la Torah

    Le Livre de Bemidbar est composé de plusieurs récits séparés les uns des autres par des commandements. Ces récits relatent des épisodes de la traversée du désert qui se sont produits soit la deuxième année de la traversée, soit la quarantième. La transition entre la deuxième et la quarantième année n'est pas explicite dans le texte de la Torah, elle ressort toutefois de l'étude attentive du texte.

    Il paraît alors logique de partager le livre en deux parties :

    • La première partie est celle de traversée du désert depuis le Mont Sinaï jusqu'à l'étape de Qadesh par la génération des enfants d'Israël sortis d'Egypte. Cette génération se prépare à l'entrée dans le Pays de Kéna'an mais, en raison de sa peur, n'y entre pas et est condamnée à mourir dans le désert.
    • La deuxième partie est celle de l'histoire de la génération suivante, 38 ans plus tard, depuis Qadesh jusqu'aux plaines de Moav, face à la ville de Yériho. Cette deuxième génération se prépare à son tour à entrer dans le pays de Kéna'an et est sur le point d'y entrer à la fin du Livre.

    Chacune de ces deux parties de la traversée du désert est ponctuée d'épisodes de plaintes, de révoltes et de fautes du peuple d'Israël, comme cela s'était déjà produit lors du premier trajet depuis l'Egypte jusqu'au Sinaï.

    Ce partage du Livre en deux parties correspondant aux deux générations peut expliquer, à première vue, le nom donné par les Sages au Livre de Bemidbar : Happeqoudim, Les Recensements, qui a donné par le détour de la traduction grecque : Les Nombres.

    Deux recensements sont décrits dans le Livre de Bemidbar, celui de la deuxième année de la traversée du désert et celui de quarantième. Le premier est celui des hommes de plus de vingt ans sortis d'Egypte, le second est celui de la génération suivante qui entrera dans le Pays de Kénaan. Hormis Kalev et Yéhoshoua', pas un homme du premier recensement n'est compté dans le second.

    Le Livre, ainsi partagé, et les deux recensements, très ressemblants dans leurs formes, donnerait l'impression d'une histoire finalement continue, dans laquelle une génération remplace la précédente et poursuit le chemin que les pères ont entamé mais n'ont pas eu le mérite de voir aboutir. Une fois les hommes remplacés, l'histoire ne changerait pas, elle ne serait que retardée.

    A l'opposé de cette conclusion, le Nétsiv apporte un enseignement du Midrash Rabba :

     "ויבדל אלהים בין האור ובין החשך" (בראשית א ד) - זה ספר במדבר, שהוא מבדיל בין יוצאי מצרים ובין באי הארץ"

    בראשית רבה פרשה ג

    « Et E-lohim sépara entre la lumière et l'obscurité » (Gen. I, 4) [Ce verset est une allusion à un Livre de la Torah.] C'est le Livre de Bemidbar, qui sépare ceux qui sortent d'Egypte et ceux qui entrent dans le Pays.

    Béreshit Rabba, III

    La différence entre une génération et la suivante est comparable à la différence essentielle qui sépare la lumière de l'obscurité. Le Livre de Bemidbar exerce cette « séparation » fondamentale. Le changement de génération ne constitue donc pas un simple remplacement de génération.

    Il reste à déterminer en quoi les deux générations sont si différentes et pourquoi.

    Un autre enseignement des Sages s'oppose à la division du Livre à l'endroit de la nouvelle génération. Les Sages partagent le Livre de Bemidbar de manière toute différente. Les versets 35 et 36 du chapitre X sont encadrés par deux signes particuliers : des lettres noun renversées. A ce sujet les Sages nous enseignent que les deux versets encadrés constituent un « Livre » à eux seuls, portant à trois le nombre de Livres dans Bemidbar et à sept le nombre de Livres de la Torah. Ces deux versets se situent précisément après tous les préparatifs nécessaires à la traversée du désert et à l'entrée en Kéna'an. Ils précèdent le moment du départ du peuple d'Israël du Mont Sinaï, juste avant les premières étapes et les nouvelles plaintes de la génération sortie d'Egypte. Il y a bien deux grandes parties dans le Livre de Bemidbar mais elles ne correspondent pas aux deux parties de la traversée du désert. Un changement radical se produit à l'intérieur du Livre durant la première génération ; Il est à l'origine du remplacement de générations ainsi que d'un très grands nombre d'autres détails du Livre de Bemidbar.

    Une midda et l'autre

    Pour comprendre ce qui se joue d'essentiel à l'intérieur du Livre de Bemidbar, le Nétsiv fait appel à des concepts de la qabbala, sans apporter cette fois de texte à l'appui. Le peuple d'Israël passe graduellement d'une relation au divin de type « Tiferet », « Gloire » à une relation de type « Malkhout », « Royauté »[2]. Le Nétsiv fait allusion à un verset du prophète Yisha'ya, sans le citer :

    מוליך לימין משה זרוע תפארתו, בוקע מים מפניהם לעשות לו שם עולם.[3]

    ישעיהו סג יב

    Il fait cheminer le bras de Sa Gloire à la droite de Moshé ; Il fend la mer de devant eux pour se faire un nom éternel.

    Isaïe LXIII, 12

    La conduite du peuple d'Israël selon la middat tiferet est appelée par le Nétsiv : hanhaga nissit, la conduite miraculeuse. Elle est comparable à la présence d'un sujet à l'intérieur du Palais du Roi. Elle implique une exigence considérable et perpétuelle dans la façon de se tenir devant D. car la faute est sévèrement punie. La relation au divin est alors plus forte. Il pourvoit à tous les besoins du peuple d'Israël sans qu'aucune contrainte naturelle ou humaine ne puisse limiter l'émanation divine. Cette midda correspond parfaitement à Moshé, elle l'accompagne « à sa droite » pour l'aider à tout moment, sans même la nécessité d'une demande, d'une prière. Elle s'illustre par le bâton de Moshé qui représente les ottot, les signes divins ainsi que par la manne qui tombe du ciel en quantité et au moment nécessaires.

    La conduite du peuple selon la middat malkhout est la hanhaga nisteret, la conduite cachée, dérekh hateva', selon le chemin de la Nature. Le Roi est invité. Le peuple devient le lieu d'une présence divine, la shékhina. La faute est toujours sanctionnée mais, avec la possibilité de réparation. La relation au divin est moins forte. Israël se doit de tenir compte des contraintes imposées par la nature et par l'humain. Le peuple peut cependant, par le moyen de la tephila, demander l'intervention du divin. Moshé ne correspond pas à cette midda, lui qui accède à une aspaqlaria méïra, une spéculation claire. Cette midda s'illustre par le désir de viande ou la nécessité de conquérir Israël par la guerre, par exemple.[4]

    D'une midda à l'autre

    Tout au long de son commentaire, le Nétsiv va apporter des explications extrêmement détaillées qui renvoient aux deux middot Tiferet et Malkhout. Pour qui s'arrête là, cela ne semble qu'une façon plus précise et plus érudite pour décrire la différence entre la conduite miraculeuse d'Israël dans le désert d'une part et celle en partie naturelle dans le Pays d'Israël. L'idée qui en ressort généralement est la nécessité pour Israël d'apprendre à vivre avec les contraintes de la nature sans abandonner le divin. Dans cette optique, l'erreur de la première génération, comme celle de Moshé d'ailleurs devant le rocher, serait de ne pas être capable d'effectuer ce passage indispensable d'une midda à l'autre, comme un enfant qui doit apprendre à manger seul et se détacher du sein de sa mère. Israël n'est pas voué à vivre dans le désert au pied du Sinaï, il doit conquérir une terre, bâtir des villes, travailler dans les champs et défendre ses frontières.

    Or, telle n'est pas la compréhension du Nétsiv des multiples épisodes qui jalonnent la traversée du désert. La hanhaga nissit n'est pas un préalable nécessaire à l'avènement d'une ère de hanhaga tiv'it programmée dès la sortie d'Egypte ou l'alliance avec Avraham. Le Nétsiv montre que le passage d'une midda à l'autre résulte d'un choix du peuple d'Israël, un choix mu par la peur du « feu qui consume ». Des tensions fortes opposent à ce sujet différents groupes et individus à l'intérieur du peuple. Les trois premières étapes du peuple qui quitte le Sinaï ont montré combien une grande partie du peuple éprouve le sentiment (ou la volonté) de ne pas être capable d'assumer les implications de la présence d'Israël dans le palais de D.. Le peuple a donc choisi un autre mode de corrélation avec le divin.

    Pour le Nétsiv, la Terre d'Israël peut très bien être le lieu d'une hanahaga nissit, le Palais du Roi. C'est au peuple de choisir. Si le peuple avait préféré que la middat tiféret se réalise complètement, il serait entré dans le pays de Kéna'an de manière complètement miraculeuse. Il y aurait alors établi une société, extrêmement exigeante mais qui par sa seule existence au-delà des lois de la Nature, aurait constitué un absolu qiddoush hashem, sanctification du Nom Divin pour l'Humanité, appelée à servir D. également.

    En choisissant de suivre la voie d'une hanhaga tiv'it, le peuple ne se détache pas du divin. Il reçoit sa Présence et se laisse la possibilité de l'erreur et de la réparation. De fait, c'est l'exil d'Israël qui se trouve alors programmé. L'exil, inévitable, devient le moyen de faire connaître l'honneur d'Hashem parmi les Nations, par le mystère de la pérennité d'Israël.[5]

    Il est à remarquer que le Nétsiv, pas plus que Moshé ou D. d'après lui, ne portent de jugement sur le choix d'Israël, à la condition que ce soit un choix sincère. Il faut choisir le chemin qui paraît convenable, leshem shamayim, au nom du Ciel.[6]

    Nous touchons là un point important dans la pensée du Nétsiv. La relation du divin au peuple d'Israël est « panim el panim », selon l'interprétation qu'il donne à cette expression de la Torah. Le divin réagit en accord avec les choix de hanhaga du peuple d'Israël, ses choix dans l'Histoire[7]. Mais chaque choix implique des contraintes et des objectifs.

    La nouvelle hanhaga a débuté graduellement dès le départ du Sinaï, comme un enfant qu'il faut sevrer. Ce changement mis en œuvre est radical pour l'avenir du peuple d'Israël. C'est la raison pour laquelle débute un nouveau « Livre » à l'intérieur du Livre de Bemidbar.[8]

    Houmash happéqoudim

    Il nous est apparu dans une première lecture que le nom « Les Recensements » était justifié par la division du Livre en deux histoires de traversée, chacune avec ses préparatifs et ses mésaventures à 38 ans d'intervalle. Le Nétsiv a montré que le découpage est différent. Alors pourquoi nommer le Livre Happéqoudim ?

    Le Nétsiv est très attentif au titre donné par les Sages. Donner un titre à un Livre revient à en résumer la quintessence et constitue nécessairement une clef de compréhension du Livre entier. C'est par la comparaison minutieuse des deux recensements qu'il voit apparaître une différence entre un recensement tiferet et un recensement malkhout.

    Les deux recensements sont très ressemblants dans leur forme : le compte des hommes de plus de vingt ans par famille et maison paternelle. Le Nétsiv remarque deux différences formelles :

     

    Premier recensement

    Second recensement

    Choix des chefs

    Les chefs de tribu doivent appartenir à la tribu

    Les chefs de tribu ne doivent pas appartenir nécessairement à la tribu

    Organisation du campement

    La tribu d'Ephraïm est citée avant celle de son frère

    La tribu de Ménashé est citée avant celle d'Ephraïm

    La disposition des tribus et leur représentation doivent permettre l'expression de la Gloire divine. Mais les considérations politiques, économiques et militaires justifient de choisir un chef de tribu qui n'appartienne pas à sa tribu. De même, selon l'explication du Nétsiv sur le croisement des mains de Ya'aqov ainsi que du Sepher Shophetim et du Sepher Mélakhim, Ménashé est plus à même de conduire les affaires de la Nation.

    Les deux recensements résument à eux seuls ce qui change dans le Livre de Bemidbar, d'une histoire miraculeuse à une histoire naturelle, et ce qui ne change pas : La mission d'Israël est encore de devenir un véhicule de la Présence, merkava lashekhina.

     

    R. Ariel REBIBO

    Texte en PDF : Introduction du netsiv a bemidbarintroduction-du-netsiv-a-bemidbar.pdf


    [1]     Le commentaire de Rashy est différent des autres du fait que son commentaire consiste surtout à effectuer un choix parmi les enseignements des Sages et les réécrire afin de répondre aux questions posées par le peshat des versets.

    [2]     Le Nétsiv n'utilise pas le terme de « séphira », mais celui de « midda », attribut, caractère. Bien qu'il revienne très souvent sur ce changement de midda, il ne nomme pas la midda de malkhout, ni dans l'introduction ni dans son commentaire, à de rares exceptions près (sur Nombres  XIV, 21). On trouve des sources à ce commentaire du Nétsiv à partir du verset de Yisha'ya dans le תיקוני זהר et surtout dans le commentaire de Rabbénou Behayé.

          ובגאותו - בזמן שהקב"ה מנהיג במדת תפארת הוא כנוי על השפעה נסית שאין צריך לעזר תפלה... (דברים לג כו)

    [3]     Rashy : מוליך לימין משה זרוע תפארתו" - הקב"ה היה מוליך לימין משה את זרוע גבורתו בכל עת שהיה צריך לעזרתו של הקב"ה היה זרועו מוכן לימינו

    [4]     Pour l'essentiel des différences entre les deux hanhagot dans le désert voir H. D. sur  XII,   et XX, 8

    [5]     Pour la différence entre les deux hanhagot en Erets Yisraël, voir H. D. sur XIV, 21

    [6]     Id. sur XVI, 14

    [7]     On voit la proximité avec le Nephesh Hahayim, fondateur de la yeshiva de Volozhin et grand-père de la première épouse du Nétsiv.

    [8]    ויהי בנסוע הארון" (במדבר י לה-לו) הוא ספר בפני עצמו, ללמדנו באשר כי התחלת השינוי היה מן (במדבר יא א): "ויהי העם   כמתאוננים (…) שספור עניין גדול נקרא ספר"

  • Juifs, encore un petit effort !

    "Juifs, encore un effort !"

    Effort

     

    Qu’est-ce que la Torah ? Rachi, dès le premier verset nous l’affirme : un ensemble de commandements[1]. Il est donc étonnant de lire sous la plume de ce même auteur qu’il faut « faire des efforts » pour étudier la Torah[2]. Sans doute pour accomplir les commandements il faut les connaitre, mais ne suffirait-il pas d’accomplir ? Dieu réclamerait-il Son quota d’efforts, de temps passé, ou de sueur ?  Toute idéologie doit être ingurgitée à haute dose pour qu’elle se maintienne, en est-il pareil pour la Torah ? L’effort est-il le dernier tour le Moïse pour s’assurer de la pérennité de sa loi ?

    Une autre question peut-être demandée : n’est-t-il pas écrit que la « Torah est proche de toi »[3] ? Quel est le sens de ces efforts[4] puisque la Torah est si proche ?

    L’effort physique ou intellectuel est requis dès lors qu’une résistance apparaît. Avant même d’enjoindre à pratiquer les commandements, un effort est demandé : celui de surmonter le texte ; face à la spontanéité du « nous allons faire puis nous comprendrons », clamé par les juifs au pied du Sinaï, Dieu répond : faite des efforts pour comprendre !

    Ainsi le lecteur est invité à substituer le douillet rapport d’allégeance à la Loi –imposé par la sémantique du devoir- par un rapport d’élaboration de la loi, jusqu’à ce qu’elle lui devienne proche. Cheminer avec la Loi, c’est être auprès d’elle, et de converser avec elle, le modèle n’est donc pas celui de la règle bien comprise parce que bien admise, mais celui de la lettre qui se dérobe. Le modèle n’est pas celui d’une compréhension immédiate qui ne serait qu’obtempération aux ordres, mais d’une incompréhension d’un sujet vivant et mesurant la gravité loi.

    Les Sages n’accordent que peu de crédit à celui qui dit « je fais puis je comprendrai », comme l’Histoire enseigne à se méfier du soldat docile : taxant la fière proclamation nos pères au pied du mont Sinaï, comme la pire des formes de dérobade, celle qui consiste à se jouer de Dieu[5].

    On est alors à peine étonné de lire[6] que Rav Cahana ayant fini d’étudier  l’ensemble du Talmud, s’exclame « jusqu’à ce jour je ne savais pas que le texte biblique n’échappait pas à son sens littéral ». Encore fallait-il finir l’ensemble de toutes les gloses imaginables pour s’apercevoir que le sens littéral était là n’attendant qu’à être déterré.  Sans doute qu’il fallait beaucoup étudier pour lire à travers l’expression simple qui caractérise la Torah.

    Ainsi  le talmudiste ne peut qu’être étonné devant l’inutilité de toutes les histoires qui conduisent de la création du monde  pour enfin arriver à la  révélation des commandements : ils semblent ne porter qu’un sens littéral. Rachi affirme donc qu’il est avant tout destiné –dans un souci d’universalisme (sic)- aux Nations qui semblent y trouver leurs réponses : le texte de la Genèse  ne résiste pas assez pour piquer la curiosité.

    Que peut-on alors souhaiter de mieux que d’organiser la résistance ?  L’homme est né pour l’effort, pour se dépasser –nous dit le Talmud[7]-, encore a-t-il le choix entre le travail physique et l’effort psychique, « heureux celui qui parvient à s’illustrer sur ce dernier »[8]. Tout ce que l’on peut lui souhaiter c’est d’étudier la Torah jour et nuit, tel est le sens de l’invective adressée à Josué alors qu’il prend sur lui l’immense tache qui consiste à conquérir la Terre d’Israël au nom de Dieu : étudier la Torah jour et nuit est à comprendre comme une bénédiction, car la tache religieuse menace à chaque instant d’engloutir l’homme dans sa besogne, fut-elle réclamée par Dieu.

    Pour revenir aux questions initiales, les efforts n’ont pas pour but de faire rentrer dans la boite crânienne le petit rouleau blanc, mais plutôt de mettre en crise les mots de la Torah, comme le Maharal le fait remarquer[9],  la Torah n’est pas appelée ‘commandement’, mais enseignement ; indiquant le sens d’une trajectoire qui va de l’abstrait au concret, de l’acquiescement béat au cheminement. Peut-être est-ce la seule stratégie pour assurer effectivement la pérennité de la Torah ?

    Franck BENHAMOU

     


    [1] Il suit en cela le Talmud qui précise que’ horaa’, signifie « il vous est permis de faire cette chose ». montrant que la Torah vise principalement à instaurer des actions. TB, Horayot 2a.

    [2] Rachi sur le début de la paracha de Béhar, Vayikra 26.3.

    [3] Dvarim 30.14.

    [4] Mise à part la paresse intellectuelle qui consisterait à répondre que le plus proche est le plus loin et vice versa !

    [5] מכילתא דרבי ישמעאל משפטים - מסכתא דנזיקין פרשה יג

     וכן מצינו באבותינו כשעמדו על הר סיני בקשו לגנוב דעת העליונה, שנאמר +שמות כד ז+ כל אשר דבר יי נעשה ונשמע, כביכול, ונגנב לב בית דין בידן, שנאמר +דברים ה כו+ מי יתן והיה לבבם זה להם; ואם תאמר שאין הכל גלוי וידוע לפניו, תלמוד לומר +תה' /תהלים/ עח לו - לח+ ויפתוהו בפיהם - ולבם לא נכון עמו ואף על פי כן והוא רחום יכפר עון, ואומר +משלי כו כג+ כסף סיגים מצופה על חרש שפתים דולקים ולב רע;

    [6] תלמוד בבלי מסכת שבת דף סג עמוד א

     אמר רב כהנא כד הוינא בר תמני סרי שנין והוה גמירנא ליה לכוליה תלמודא, ולא הוה ידענא דאין מקרא יוצא מידי פשוטו עד השתא מאי קא משמע לן - דליגמר איניש, והדר ליסבר. Aussi curieux que cela puisse parraître à un pédagogue, la méthode consistait alors à cultiver un rapport au texte comme sans raison.

    [7] Sanhédrine 99a.

    [8] On remarquera « manger à la sueur de son front » n’est qu’une difficulté à surmonter, et non pas une malédiction ou un destin. Je le disais la Genèse ne les interpelle que pour être dépassée.

    [9] Drouch al Hatorah.

  • L'habit ne fait pas le Cohen

     Cycle : La parasha d’après le Netsiv*  

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 2

     

    L'habit ne fait pas le Cohen !

     

    La Paracha de la semaine commence ainsi : ' D.ieu dit à Moïse : Dis (Emor) aux Cohanim…. '

    Contrairement à la Paracha de la semaine dernière où Moïse s’adressait à l’ensemble du peuple sans exception (hommes, femmes, enfants, séfarades, ashkénazes,…), cette fois-ci il ne s’adresse qu’à une partie spécifique du peuple : les Cohanim, c’est-à-dire les descendants d’Aaron.

    Et ceux-ci ont un rôle particulier : ce sont des 'véhicules' de sainteté. En étant de manière régulière dans l’enceinte du temple, et ressentant une proximité particulière avec la présence divine, les Cohen se doivent de respecter certains commandements qui leur sont propres.

    Un certain nombre d’injonctions leur sont destinés, mais attachons-nous à ce verset spécifique de notre Paracha (21;6) : ' Ils seront saints pour leur D.ieu et ne devront pas profaner le nom de leur Dieu '.
    Le Netziv de Volojhine, un des très grands penseurs du judaïsme contemporain et notamment maître du Rav Kook, a un commentaire très...polémique sur ce verset.
    Il dit en effet dans son commentaire sur la Thora (Haemek Davar), que cette sainteté, qui s’apparente à une séparation du reste du peuple, doit se manifester par des qualités morales exceptionnelles dans le cadre du service de D.ieu.

    OK, qu’y a-t-il de nouveau là-dedans ? Attendez la suite : …et si le Cohen se met à se prendre pour un saint homme dans sa vie de tous les jours alors qu’il n’est pas en situation de servir D.ieu, ce n’est rien d’autre que de l’arrogance et de la prétention (Gahava ve Hitrabarvout).

    Le Cohen est effectivement familier du concept de sainteté. Il a une place à part au sein de peuple d’Israël. Mais attention ! Cette place n’existe que parce qu’il voue sa vie à servir dans le temple et à sanctifier D.ieu.
    Le Cohen n’est pas saint en lui-même ! Qu’il n’en profite pas pour se faire mousser à l’extérieur et obtenir des places de ciné gratos !

    Mais comment concrètement pourrait-il faire preuve d’arrogance et de prétention dans la vie de tous les jours ? Autant certains pensent pouvoir reconnaître un Juif dans la rue (Elie Kakou par exemple), autant reconnaître un Cohen n’est absolument pas simple et faire usage de ce statut n’a rien d’évident.  

    Et c’est là que le Netziv insiste sur un commandement particulier aux Cohanim, qu’on retrouve dans de nombreuses autres « professions » : l’uniforme. Comme les pompiers ou les militaires qui sont au service d’une cause, les Cohanim sont tenus de porter des vêtements spécifiques lorsqu’ils se trouvent en service dans l’enceinte du Temple.
     

    Dans le commentaire cité ci-dessus, le Netziv nous renvoie à une autre de ses œuvres : le A'hrev Davar, qui appuie son premier commentaire sur des sources issues des livres des prophètes par exemple.
    Et il vient apporter la preuve que l’uniforme peut être ce vecteur d’orgueil que le Cohen doit éviter. Il s’agit d’un passage du prophète Ezechiel. Le prophète Ezechiel prophétise les lois applicables aux vêtements sacerdotaux déjà définis dans la Parach'a Tétzavé.
    Mais il rajoute quelque chose de nouveau, qui ne se trouve pas dans Tetzavé et dont on peut penser qu’il s’agit d’une injonction pour le futur : ' Et quand les prêtres ayant achevé leur service dans la cour intérieure du temple passeront dans le parvis extérieur où se tient le peuple, ils ôteront les vêtements dans lesquels ils ont officié, les déposeront dans les salles consacrées, et en mettront d’autres pour ne pas sanctifier le peuple par leurs vêtements '.

    Commentaire du Netziv : les vêtements du Cohen ne doivent pas servir au Cohen de signe extérieur de grandeur ou de statut social. Le statut du Cohen ne doit pas être détaché de son service au temple. S’il profite de son ' outil de travail ' pour faire croire au peuple, qu’il dégage une sainteté intrinsèque, eh bien voilà où se niche ' l’arrogance et la prétention '.

    Mine de rien, ce petit commentaire à propos du Cohen est en fait valable pour toutes les générations. Beaucoup (Yeshayahou Leibowitz, par exemple) ont d’ailleurs relevé que ce commentaire du Netziv (qui a vécu au 19ème siècle et qui était ce qu’on peut appeler un Lituanien pur sucre) s’adressait surtout aux Rabbis Hassidiques avec leurs habits, leurs rituels et leur cour de fidèles qui les prenaient pour des saints.
    Attention prévient le Netziv ! Ces Rabbis ne sont dignes de respect que si leur enseignement et leur service de la Thora sont à la hauteur ! Une adoration aveugle pour une personne avec une longue barbe blanche, un chapeau, des pseudo-formules kabbalistiques ou des amulettes sacrées est condamnée par la Thora !
    Le respect dû à un Rav est un respect dû à sa connaissance, à sa capacité d'enseignement et à sa maîtrise de la Thora, pas du tout à une sorte d’aura intrinsèque que lui confèrerait son lignage, sa position sociale au sein de la communauté ou même évidemment à des pouvoirs surnaturels présumés.

    Ce qui est dit ici est formulé, comme à son habitude, de façon beaucoup plus tranchante par Yeshayahou Leibowitz, dont la profonde attention pour l’avenir du judaïsme dont il faisait preuve ne s’est jamais démentie :

    « Il faut dire ces choses pour lutter contre cette plaie spirituelle, ce fléau de la loi religieuse et de la morale qui domine et continue de dominer certains cercles, dans cette partie du peuple juif décidée à respecter la Thora et ses commandements. Cette plaie consiste à considérer certaines personnes comme saintes par elles-mêmes et non en raison de ce qu’elles remplissent au service de la Thora. Disons-le sans ambiguïté : il ne s’agit là que d’une variante de l’idolâtrie ayant pénétré le judaïsme et elle est le signe d’une dégénérescence de la foi en Dieu.

    La foi juive ne reconnaît le concept de sainteté qu’en rapport avec le service de Dieu. Elle ne saurait conférer de sainteté à quoique ce soit d’autre, qui se rattacherait aussi bien à l’homme, à la nature, à la réalité matérielle, à la terre ou à un édifice.»

    Comment les disciples du Netziv, et notamment les élèves du Rav Kook, ont-ils fini par sanctifier le peuple juif et la terre d’Israël pour eux-même et non en rapport avec le service de Dieu, ce n’est pas le moindre des paradoxes, mais qui mériterait un autre développement. 

    FRISON

  • Kédochim : Une "sainteté" toute subjective

     

     Cycle : La parasha d’après le Netsiv*  

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

     

    Paracha Kédochim : Une « sainteté » toute subjective

     

    « Parle à toute l’assemblée des enfants d'Israël et dis-leur : Soyez saints ! Car Je suis saint, moi l'Éternel, votre Dieu » (Vayikra 19, 2)

     

    Le début de la Parasha Kédochim est le théâtre d’une controverse importante entre Rachi et Ramban au sujet du contenu de l’injonction : « soyez saints ». Si tous deux sont d’accord pour définir la « sainteté » comme un concept de « séparation » spécifique, ils divergent en revanche sur l’objet de cette séparation. Selon Rachi, il s’agit de s’éloigner des interdits déjà énoncés par la Torah, essentiellement sexuels. En revanche selon le Ramban, il s’agit de se séparer de l’abondance des plaisirs matériels, non-interdits explicitement dans la Torah, donc de se dissocier des habitudes de « la multitude des gens qui se salissent et s’enlaidissent dans ce qui leur est autorisé ». L’exemple à suivre est alors celui de l’homme pieux, qui assume son devoir conjugal sans en abuser, se limite dans la consommation de vin ou de nourriture, et évite toute parole futile. Entre autres[1].

    Le Netsiv fait sienne cette dernière thèse, qu’il résume ainsi : « le commandement exige de toute l’assemblée d’Israël d’ériger une frontière avec l’abondance de plaisir (taava), même vis-à-vis de ce qui est simplement contre le bon sens humain (sekhel enoshi) ». Il rajoute toutefois une remarque liée à la nature du réceptionnaire de cette stricte injonction : « toute l’assemblée des enfants d’Israël ». La même piété peut-elle être exigée de chaque membre de la communauté ? Peut-on vraiment mettre sur le même plan les grands érudits et les gens du peuple, pourtant sommés de connaître eux-aussi la loi et de l’appliquer ? Certes non. Aussi le Netsiv précise-t-il :

    « [Parle] à toute l’assemblée des enfants d’Israël », car la séparation [exigée] n’est pas la même pour tous, chacun est soumis à une loi spécifique en fonction de sa nature physique, de sa vie familiale, et d’autres paramètres. C’est aussi ce qu’a écrit le Maguid Michné[2] à la fin des lois sur le voisinage. Aussi est-il écrit que malgré tout, chacun est concerné [par cette mitsva d’être « saint »] en fonction de sa valeur, ce qui n’est pas le cas dans les autres commandements, vis-à-vis desquels tous sont égaux.

    Cette précision du Netsiv est salutaire, dans le sens qu’elle donne un visage plus « humain » à la notion de « sainteté » défendue par le Ramban. Enoncé de manière brute, le commandement parait quasiment irréalisable, notamment car il peut être ressenti comme une exigence d’ascétisme absolu. Or l’accession à la piété dépend des caractères et des possibilités de chacun. Elle dépend également de l’époque[3] et de l’endroit. La Torah ne demande pas nécessairement à un juif européen du 21ème siècle de se plier aux règles sociales de l’époque talmudique[4]… mais elle exige de lui de s’élever vers Dieu en réfléchissant à la manière adéquate de se séparer des fioritures de son existence, selon sa propre subjectivité.

     

    Yona GHERTMAN

     

     

    Texte du Netsiv :

     אל כל עדת בני ישראל באשר אין פרישת כל אדם שוה ותורת כל אחד לבדו בידו לפי טבע גופו והליכות ביתו וכדומה וכ״כ הה״מ שלהי הל׳ שכנים יע״ש מש״ה כתיב דמכל מקום הכל מוזהרים איש לפי ערכו. משא״כ כל המצות הדבר ידוע שהכל שוים:

     

     

    Texte du Maguid Michné :

    מגיד משנה הלכות שכנים פרק יד הלכה ה

     ועניין דין בן המצר הוא שתורתנו התמימה נתנה בתקון מדות האדם ובהנהגתו בעולם כללים באמירת קדושים תהיו והכוונה כמו שאמרו ז"ל קדש עצמך במותר לך שלא יהא שטוף אחר התאוות וכן אמרה ועשית הישר והטוב והכוונה שיתנהג בהנהגה טובה וישרה עם בני אדם ולא היה מן הראוי בכל זה לצוות פרטים לפי שמצות התורה הם בכל עת ובכל זמן ובכל ענין ובהכרח חייב לעשות כן ומדות האדם והנהגתו מתחלפת לפי הזמן והאישים והחכמים ז"ל כתבו קצת פרטים מועילים נופלים תחת כללים אלו ומהם שעשו אותם בדין גמור ומהם לכתחילה ודרך חסידות והכל מדבריהם ז"ל ולזה אמרו חביבין דברי דודים יותר מיינה של תורה שנאמר כי טובים דודיך מיין:

     

    [1] Quant à cette différence d’interprétation entre Rachi et Ramban, nous invitons le lecteur à lire le billet de Franck Benhamou, soulevant une question commune aux deux théories : « Kédoucha : deux approches, une question ».

    [2] R. Vidal de Toulouse (1300-1370). Le « Maguid Michné » est un des commentaires les plus étudiés du Michné-Torah de Maïmonide.  Voir infra.

    [3] Dans son texte, le Maguid Michné  souligne que le commandement d’être « saint » ne dépend pas seulement des différentes natures humaines, mais également de l’époque.

    [4] Un exemple me vient à l’esprit : le Talmud considère qu’un homme ne doit pas marcher derrière une femme  (TB Berakhot 61a). Qu’en est-il alors lorsqu’un homme attend de monter dans un bus et qu’une femme le précède ? Ou encore, puisque la politesse exige de laisser passer une femme lorsqu’un homme ouvre la porte, faut-il prendre le texte talmudique à la lettre et la devancer, quitte à paraitre malpoli ? Voir à ce sujet les techouvote de R. ‘HaïmDavid HaLévy et R. ‘Ovadia Yossef, qui expliquent que ce passage talmudique est à prendre dans son contexte spécifique, mais ne doit pas être transposé tel quel à notre époque, à laquelle les codes sont différents (Maïm ‘Haïm 2, 45 ; Yabia ‘Omer Ora’h ‘Haïm 6, 13, 5). 

  • La Parasha d'après le Netsiv- A'haré Mot

     Cycle : La parasha d’après le Netsiv*  

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Paracaha A'haré Mot : Se séparer de sa famille pour arriver à la créer

    A la fin de la Parashat A’harei Moth, est traité le sujet des עריות, les incestes. C’est-à-dire, l’interdit de se marier ou d’avoir des relations sexuelles avec un proche parent. Ce sujet parait tout à fait inactuel puisque ces interdits sont socialement acceptés. L’inceste dans notre société est considéré comme un crime moral. Des organisations cherchent même à introduire dans le code pénal des lois punissant l’inceste[1]. Mais est-ce si évident que ça. Pourtant, le premier commentaire du Netsiv[2] sur ce sujet est surprenant.

    Dans la Torah, les interdits sont cités sous formes d’avertissements. Habituellement, Dieu les termine en déclarant qu’il est notre Dieu. Singulièrement, dans le cas des incestes, Dieu précède toute la liste des avertissements interdisant les différents cas d’incestes par cette déclaration :

    "דבר אל בני ישראל ואמרת אלהם אני השם אליכם"

    ‘’Parle aux enfants d’Israël et tu leur diras je suis Dieu tout puissant[3]’’

    Pourquoi dans ce cas a-t-on besoin qu’il soit aussi précédé par une telle déclaration ?

    Le Netsiv commente ce cas particulier en expliquant que contrairement à toutes les lois de la Torah, les commandements interdisant l’inceste n’ont été acceptés qu’à contrecœur par les enfants d’Israël. En effet, l’habitude était de se marier uniquement en famille, entre frères et sœurs. Les enfants d’Israël ne vivaient que dans l’inceste ! Incroyable! Mais où va la morale[4] ?! L’inceste est-il vraiment une question morale ou relève-t-il d’autre chose ? Le Peuple Juif s’est construit par l’inceste[5] !

    Interdire l’inceste ne relève pas de la moralité. Le Netsiv l’analyse à partir du langage utilisé dans le verset un peu plus loin dans le passage[6].

    "איש איש אל כל שאר בשרו לא תקרבו לגלות ערוה אני השם"

    ‘’ Que nul de vous n'approche d'aucune proche parente, pour en découvrir la nudité: je suis l'Éternel[7]’’

    Les mots utilisés dans ce verset sont ambiguës. Que veut dire ''כל שאר בשרו'' ? Nous avons pris une traduction neutre ‘’proche parente’’, mais les commentateurs sont partagés sur l’explication de ces termes. L’enjeu de tout le sujet des incestes repose pourtant sur ces mots-là[8]. Serait-ce une allusion aux relations sexuelles et l’objectif de ces interdits serait d’en limiter la permission[9] ? Ou plutôt l’objet de l’interdit serait la proximité de certaines personnes qui rendrait incompatible ces relations ?

    Le Netsiv se réfère à d’autres passages[10] où ces termes ont été utilisés. Il juxtapose la différence d’interprétation des commentateurs avec une discussion talmudique[11] autour des engagements qu’un mari prend envers son épouse. Un de ces engagements est justement l’obligation de שאר qui est interprété soit comme étant l’obligation de choyer soit celle de vêtir. Le problème est que ce passage n’est pas adapté avec les interdits d’inceste qui sont valables que la femme soit juste fiancée ou qu’elle soit mariée ; contrairement aux obligations maritales qui ne concernent que la femme mariée.

    Il finit par conclure que le mot ‘’ בשרו sa chair’’ fait allusion à l’épouse comme il est écrit ‘’ ודבק באשתו והיו לבשר אחד il s'unit à sa femme, et ils deviennent une seule chair[12]’’ C’est donc le lien de proximité causé par le mariage.

    Etant donné qu’il est précédé du terme ‘’שאר proche’’, on peut donc ajouter les proches de l’épouse.

    Sont inclus dans ‘’ בשרו sa chair’’ les proches d’un lien familial de naissance qui sont la propre chair de l’homme. Comme il est écrit ‘’כי אחינו בשרנו הוא car il est notre frère, notre chair[13]’’

    Il ressort du développement du Netsiv qu’on se focalise sur la seconde option. C’est-à-dire que le but de ces interdits est d’empêcher les mariages au sein de la famille proche pour la raison qu’ils sont justement de la famille proche. L’enjeu n’est pas de limiter les relations sexuelles mais qu’il y a ici une volonté de s’éloigner de sa propre famille.

    Ceux qui sont définis comme étant la famille proche sont les personnes pour qui l’attachement est tel qu’on ressent être la même chair. Comme Onekelos traduit par ‘’ לכל קריב בסריה pour toute personne dont la chair est proche’’.

    Pour synthétiser et conclure, nous aurions pu penser que l’interdit d’inceste est basé sur la morale sans qu’il n’y ait besoin d’explication. En réalité il relève plutôt de technicité pour arriver à un but précis. L’injonction de nous marier dans le verset de Béréchit : ‘’ על כן יעזבו איש את אביו ואת אמו ודבק באשתו C’est pourquoi l’homme abandonnera son père et sa mère et il s’unit à sa femme[14]’’ nous souligne qu’il est nécessaire d’abandonner son père et sa mère. Il y a un besoin de sortir de ses habitudes, de son éducation, de ses conventions et d’aller à la rencontre d’une personne différente qui a une mentalité autre que celle dans laquelle on a pu baigner jusqu’alors. Cela n’est pas compatible avec sa famille proche avec qui on partage le même cadre de vie.

     

    Akiva ZYZEK

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

     

    [2] Commentaire du Emek Davar Vayikra chapitre 18 verset 2

    [3] Vayikra chapitre 18 verset 2

    [4] Les commandements n’ont pas à vrai dire de visée morale mais tendent à parfaire l’individu en le faisant sortir de ses prérequis et lui permettent de dépasser ses dispositions premières.

    [5] Voir le commentaire de Rachi dans Béréchit Chapitre 46 verset 26. Il mentionne la naissance pour chaque enfant de Jacob d’une sœur jumelle avec qui ils se sont mariés. Jacob s’était lui-même marié avec deux sœurs.

    [6] Commentaire du Emek Davar Vayikra chapitre 18 verset 6

    [7] Vayikra chapitre 18 verset 6

    [8] Voir Ibn Ezra sur place.

    [9] Maïmonide dans le Guide des Égarés.

    [10] Le cas du grand prêtre qui peut devenir impur pour son ‘’שאר proche’’ en l’occurrence son épouse Vayikra Chapitre 21 verset 2, ou le cas de la servante juive Chemot Chapitre 21 verset 9.

    [11] Traité Ketoubot 47b

    [12] Béréchit Chapitre 2 verset 24.

    [13] Béréchit Chapitre 37 verset 27.

    [14] Béréchit Chapitre 2 verset 24.

  • La tsaraat, coup ou caresse ?

     Cycle : La parasha d’après le Netsiv*  

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

    La tsara’at: coup ou caresse ?

     

    Après avoir détaillé les critères d’impureté liés à la tsara’at, la parashat Metsora décrit les procédures de purification propres à deux types d’affection: corps et vêtements. Faisons un petit retour en arrière, dans Tazria. Les formules employées par le texte pour décrire la tsara’at du corps et de l’habit sont: “Lorsque un homme aura sur sa peau…” (Vayikra 13:2), “Lorsqu’un vêtement sera atteint de tsara’at” (ibid. 13:47). Pour la première fois, notre Parasha évoque la tsara’at de la maison: “Je donnerai une affection de tsara’at dans une maison du pays de votre héritage” (ibid. 14:34). 

    Le Netsiv s’interroge sur cette formulation selon laquelle D. Se présente comme Sujet explicite de l’affection: “Pourquoi ce même langage n’est-il pas aussi utilisé dans le cas du vêtement qui fait également figure de miracle incroyable ?” (1). En s’appuyant sur le Midrash (Torat Cohanim 5:4), Rashi écrit: “Ceci est une annonce… car durant les 40 ans que les Bnei Israël avaient passé dans le désert, les Émoréens enfouissaient de l’or dans les murs de leurs maisons. Or quand la tsara’at se déclarait, on allait détruire les maisons et découvrir ces trésors”. Autrement dit, la tsara’at de la maison est un cadeau, d’après Rashi. Le Netsiv cite le Zohar qui va aussi dans ce sens: Les Cananéens avaient des pensées idolâtres lorsqu’ils ont construit leurs maisons sur le territoire d’Israël. La tsara’at permettait de palier à cette faille et de reconstruire les maisons d’Israël sur de bonnes bases. 

    Cependant, cette interprétation positive présente un bémol. Le Netsiv note que plus tard, dans Be’houkotay, l’expression “Je donnerai” est aussi utilisée pour annoncer des malédictions qui atteindront Israël dans sa globalité (2) (alors qu’ici on parle d’une Providence individuelle – hashga’ha pratit). Le Netsiv de conclure: “Celui qui en arrive à cette affection de la maison est voué à la destruction [au même titre que l’on détruisait les pierres affectées]. Ce qui ne s’applique pas à celui atteint par les vêtements”.  Ce qui est curieux dans cette interprétation du Netsiv, c’est que l’expression “Je donnerai” est aussi bien employée pour annoncer des bénédictions merveilleuses dans Be’houkotay. Pourquoi avoir opté pour la négative ? D’autant que Nahmanide précise dans son commentaire [Vayikra 13:47 et 26:11], que la tsara’at (et toute maladie) correspond à une époque où la perfection du peuple est telle que la maladie physique reflète l’interiorité, si bien que la personne atteinte consulte le prophète au lieu du médecin… Et Nahmanide d’ajouter que l’on parle ici du Olam Haba. 

    Une analogie assez naturelle découle de la tsara’at des maisons. D’après les Sages, la survenue de cette maladie (elle surnaturelle) était causée par le Lashon Hara (3). Traduisons Lashon hara dans son sens large: Une barrière à la relation humaine, ou un empiètement sur ce que pense, ressent ou véhicule mon prochain (4). Suite à l’affection d’une maison par la tsara’at, celle-ci devait être détruite. D’après le Netsiv, cette affection est de mauvaise augure. D’après le Zohar, elle permet de déraciner l’idolâtrie. Ceci fait penser à la destruction des Temples. La destruction du premier était causée par l’idolâtrie. Celle du second par la haine gratuite. Reste à découvrir les trésors que cache notre exil. Peut-être pourrions-nous dire que ces trésors représentent le dépassement et les forces insoupçonnées que nous déployons en milieu hostile. Au delà de l’actualité, notre vie, nos angoisses et nos doutes engagent des ressources que la facilité et la simplicité ne pourraient dévoiler. Ce sont ces pierres mal taillées qui recèlent des mines d’or. Notre perception n’en reste pas moins ambivalente, et il nous est difficile de penser les coups comme des caresses.

     

    ESTHER

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Lire le texte en hébreu.

    (1) Vayikra 13 :47 : “Lorsqu’un vêtement sera atteint de tsara’at”. Ramban écrit sur place que la tsara’at des habits, tout comme celles des maisons, constituent un miracle explicite. Le Netsiv réagit à cette explication.

    (2) Le Netsiv cite le Ramban pour établir le distinguo entre Providence globale et individuelle. C’est assez fabuleux de remarquer qu’il l’utilise comme preuve à son propos, alors que quelques lignes avant il marquait son désaccord avec Ramban !

    (3) Talmud de Babylone, Traité Arachin 15b: “Ceci est la loi du metsora’: Ceci est la loi de celui qui sort un mauvais renom” [jeu de mot entre metsora’ et motsi chem ra qui signifie “sortir un mauvais renom”]. Cette expression n’introduisant que la purification de la tsara’at du corps et des vêtements, le Talmud précise un peu plus loin (16a) que la tsara’at des maisons venait en réponse à tsarat ‘ayin – un œil malveillant.

    (4)   Il existe deux épisodes dans la Torah où l’on parle de personnes atteintes de tsara’at : Au buisson ardent, lorsque Moshé dit à Hashem « Les Bnei Israël ne m’écouteront pas », et dans le livre de Bamidbar, où Myriam est atteinte après avoir parlé à son frère de la femme que Moshé avait épousée. Le texte de la Torah ne précise pas le contenu de son discours. D’après certains commentateurs, Myriam plaignait la femme de Moshé dont il s’était séparé pour se consacrer aux besoins du peuple. Dans ces deux épisodes, le metsora’ est atteint après avoir parlé à la place de l’autre et anticipé son ressenti sans que celui-ci ne l’ait exprimé. 

  • Sentiment religieux et narcissisme

    Cycle : La parasha d’après le Netsiv*

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Sentiment religieux et narcissisme

     

    La paracha de Chémini s’articule en deux thèmes : d’une part l’intronisation du petit temple portatif[1] (le Michkane)  et d’autre part les lois relatives aux animaux purs et impurs[2] (la cacherout). Ces deux parties sont reliées par l’histoire de la mort des enfants d’Aaron, morts d’avoir apporté un « feu étranger qui n’a pas été commandé par Dieu »[3]. Cette note dramatique qui a marqué le point culminant du stationnement des Bné Israël au pied du mont Sinaï semble être anecdotique, une erreur certes fatale mais liée à la personne des deux jeunes hommes.

    Pour le Nétsiv, le feu étranger est une image de l’embrasement du cœur des deux hommes, la  métaphore de leur amour de Dieu[4]. Il fait aussi remarquer[5] que les sages ne se sont pas contentés de la faute explicite de Nadav et Aviou, mais qu’ils en ont rajouté[6] d’autres: certains disent qu’ils étaient en état d’ébriété, d’autres encore qu’ils n’avaient pas les vêtements requis par les prêtres pour le service. Pourquoi faire porter une culpabilité supplémentaire aux  deux hommes ?  Le Nétsiv répond ainsi : les deux hommes n’ont pas voulu agir en tant que prêtres mais en tant qu’hommes, ils n’étaient donc pas tenus –selon eux- par les règles du service des prêtres[7]. Par cette remarque, le Rav Berlin montre qu’il ne faut pas lire ce texte comme voulant jeter l’opprobre sur les fautifs : il s’agit d’exprimer que cette faute n’est pas qu’une question de prêtres, et chacun peut être amené à ce type de comportement. Il n’y a pas eu d’erreur, mais une volonté délibérée d’aller « plus loin, plus haut, plus près » de Dieu. Erreur qui n’est pas uniquement l’apanage de prêtres trop zélés. Mais une question reste en suspens : certes Dieu a montré qu’il ne voulait pas qu’on le serve ainsi, mais pourquoi ? Pourquoi finalement cet acte qui s’origine dans un sentiment élevé se trouve être sanctionné ?

    Pour le comprendre il faut lire le début du commentaire du Nétsiv sur cette paracha. Alors que le peuple se tient devant le Michkane, Moché s’adresse à eux : « voici la chose que Dieu ordonne afin qu’apparaisse la Gloire »[8]. Le commentateur introduit son propos par une question : « ce verset réclame son explication, car tout a été fait [en vue de ce jour d’inauguration], que devait-on encore faire ? ». Pour répondre à cette question il cite un commentaire fort ancien[9] : « Moché dit au peuple : enlevez cette inclination vers le mal, afin d’être tous dans la même crainte, le même effort pour servir le Souverain. De même qu’il est unique, ainsi devra être votre service devant Lui ». Le Nétsiv s’étonne de ce texte, et c’est à partir de cet étonnement que l’ensemble du thème va prendre sens. Il fait remarquer que cette glose ancienne ne semble s’appuyer sur aucun élément textuel du verset qu’il prétend commenter. Là où d’autres verraient « les discours apologétiques de docteurs du Talmud », le Rav va prendre ce texte au sérieux. Il montre qu’à d’autres moments les juifs étaient emplis d’un amour pour Dieu, celui-ci était contenu jusqu’à présent, mais en ce jour si décisif, celui où la Gloire divine devait se dévoiler au peuple, il paraissait naturel d’exprimer ce sentiment. Or Moché précise qu’il n’y avait rien de plus à faire, tout était là, et ce qu’il fallait assumer c’était une barrière, une limite à la proximité avec le divin : il n’y avait plus rien à faire, à un moment il n’y a plus rien à faire ! Le désir de s’approcher plus se mute en une inclination vers le mal.

    La loi ne viendrait-elle que castrer le sentiment religieux ? Voilà la question qui se pose spontanément. Et le Nétsiv, sans la poser dans des termes modernes, répond : « et quoi, chacun pourrait s’approprier la Torah ? La volonté divine serait-elle de créer des clans et des castes ? ». Ce qui pourrait se comprendre ainsi : une paroi fine sépare le sentiment religieux du narcissisme. Ce fait est largement reconnu en psychologie[10].  Le basculement est rapide. La question qui se pose est donc celle du critère : comment savoir si je suis en face d’un sentiment qu’il faut développer et encourager, ou suis-je en face d’un miroir dans lequel la religion n’est qu’un objet pour me permettre de me valoriser ? La réponse est simple : est-on encore dans la loi ? C’est une réponse, malgré sa forme interrogative : c’est à répondre à cette question que l’on peut discriminer le sentiment religieux d’un miroir valorisant.

    Qu’on nous permette une remarque à partir de ces quelques réflexions : en effet, le Rav Berlin brandit la loi comme limite au narcissisme, mais en quoi est-elle une limite ? Ne peut-on être pratiquant et rempli de soi même?  La fin du chapitre 10 de Vayikra se termine par une histoire si curieuse que les exégètes non talmudistes se gardent bien de commenter : on y voit Moïse faire une remontrance quant au déroulement des évènements de ce jour saint bousculé par la mort des deux jeunes hommes ; et s’installe un dialogue entre Moïse et Aaron, « Certes, aujourd'hui même ils ont offert leur expiatoire et leur holocauste devant le Seigneur, et pareille chose m'est advenue; or, si j'eusse mangé un expiatoire aujourd'hui, est-ce là ce qui plairait à l'Éternel? »[11] Sans entrer dans le détail de l’argumentaire qui prend une bonne page de petits caractères dans le Har’hev Davar, il est à noter que le prophète, qui semble être lui-même le garant de la loi, s’est trompé ! Car la conduite à tenir en un tel cas n’avait pas été proférée par Dieu, il fallait donc raisonner, et sur ce plan Moïse ou Aaron sont égaux. « Moïse entendit  », l’argument d’Aaron conclut le verset. Peut-être faut-il voir dans la relation de cet épisode, qui vient clore les chapitres de l’érection du Michkane, une allusion: ce n’est pas tant la loi qui vient garantir la frontière entre narcissisme et sentiment religieux, mais son élaboration rationnelle et dialectique[12]. « Moïse entendit, et la chose lui parut bonne ! »

     

    Franck Benhamou

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte en hébreu :

    וישימו עליה קטרת. עליהן מיבעי וכמו שכתוב בעדת קרח ותנו בהן אש ושימו עליהן קטרת. וע׳ רמב״ן. ונראה דבאמת לא נכנסו שניהם בישוב הדעת זה עם זה. וכדתניא בת״כ איש מחתתו. איש מעצמו ולא נטלו עצה זה מזה. ומש״ה כשבאו לפנים ומצאו זה את זה הוחלט בדעתם שלא יקטירו שניהם כאחת אלא אחד מהם יקטיר והשני היה מסייע לו מש״ה כתיב עליה. וע׳ במדבר ג׳ ד׳ רמז עוד לזה:

    אש זרה אשר לא צוה אותם. אין הלשון מדויק שהרי אסור היה להביא אש זרה ואיך שייך לומר אשר לא צוה דמשמע שלא נזהרו ע״ז ג״כ. וע׳ מש״כ בעה״ט. ובדרך דרש הנזכר בהר״ד. שנכנסו מאש התלהבות של אהבת ה׳ ואמרה תורה דאע״ג דאהבת ה׳ יקרה היא בעיני ה׳ אבל לא בזה הדרך אשר לא צוה וכמש״כ לעיל בשם הת״כ עה״פ ויאמר משה זה הדבר וגו׳:


    [1] Vayikra §9 et 10.

    [2] Vayikra §11.

    [3] Vayikra 10.1-2

    [4] Commentaire sur Vayikra 10.1

    [5] Dans le Ar’hev Davar, super-commentaire de ce même verset.

    [6] Voir Rachi Ibid.

    [7] C’est pourquoi ils n’ont pas porté volontairement les vêtements requis par le service, et tout aussi volontairement ils n’ont pas fait attention à ne pas consommer de boisson alcoolisée en entrant au Temple.

    [8] Vayikra 9.6.

    [9] Torat Cohanim http://www.hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=35352&st=&pgnum=202&hilite=

    [10] Voir entre autres Malaise dans la civilisation de Freud.  

    [11] Vayikra 10.19.

    [12] Les éditions courantes signalent que les mots « daroch darach » (interprète) situés au début de cette curieuse méprise de la part de Moché, forment l’exact milieu de la Torah en termes de mots ! Peut-être est-ce là son point d’équilibre ! 

  • Moché : entre transmission et innovation

    Cycle : La parasha d’après le Netsiv*

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

    Moché : entre transmission et innovation

     

    Au début du huitième chapitre de Vayikra, Moché reçoit les ordres divins relatifs à la cérémonie d’intronisation des cohanim. Mais étrangement, juste à la suite de ces instructions, le verset 5 enseigne : " Et Moché dit à l'assemblée: telle est la chose qu'a ordonné Hachem  de faire". Le Netsiv relève l'incongruité de cette phrase.  Moché vient d'être destinataire de ces ordres, comme en témoigne la Torah. Pourquoi faut-il alors préciser à nouveau que leur mise en œuvre se fait en conformité avec la volonté divine ? Cela parait évident !
     Le Rav Berlin explique ainsi : Moché insiste sur la conformité de ses actes à  la volonté divine au moment même où il les réalise, parce qu'à ce moment-là les Bnei Israel pourront constater des différences entre le sens obvie des versets et leur mise en pratique, chose qu'ils pourraient avoir du mal à comprendre. C’est pour cette raison que Moché insiste: mes actes sont conformes aux prescriptions d'Hachem ! Tel est ce que Dieu m'a ordonné oralement.  C’est la raison pour laquelle l'expression : "comme Hachem l'a ordonné" est récurrente dans ces passages. Moché fait ici œuvre de pédagogie, montrant eux enfants d’Israël la place qu'occupe la Torah orale dans la réalisation des commandements. Là où ils auraient pu croire à une distanciation du sens des commandements, tels qu'ils ont été énoncés dans la Torah écrite, Moché leur montre que seule la concrétisation de ces commandements telle que l'enseigne la Torah orale, est à même de permettre de réaliser la volonté divine.
    Au dernier verset de cette même paracha,  nous retrouvons la même thématique : "Aharon et ses fils firent toutes les choses ordonnées par l'Eternel par la main de Moché". Le Netsiv indique que les termes "ordonnées par l'Eternel" font allusion à une transmission orale. Mais cela va plus loin, en effet les termes "par la main de Moché" ajoutent une autre dimension. La Guemara, dans le traité Kritout (13) nous indique (à propos de Vayikra 10/10) : "par la main de Moché" : il s'agit de la Guemara". D'après le Netsiv, il faut entendre ici le terme "Guemara"  comme : ce qui est innové par la force de la déduction et du raisonnement  (pilpoul), force possédée par  Moché. C'est le sens des termes " par la main de Moché", ce que Moché dévoile de lui-même. C'est ici aussi le sens de ces mots. C'est à dire que les modalités des commandements détaillés dans notre paracha  n'étaient pas explicitées dans la tradition orale qui les accompagnaient,  mais que leurs détails ont été précisés par Moché, qui a su les a déduire par la force de son étude. Il y a donc ici trois axes de la révélation ; ce qui est explicite, c'est à dire le verbe divin tel qu'il se révèle à nous, la Torah écrite. En second lieu, la tradition orale, qui accompagne cette Torah écrite. Mais cela ne s'arrête pas là. Fait intégralement partie de cette révélation, ce que l'homme va faire de celle-ci, ce que son étude acérée, acharnée, va lui permettre d'y déceler, comme Moché lui-même nous en donne l'exemple. L'homme n'est pas un simple récipiendaire mais il est celui qui la fait fructifier et qui lui permet de se renouveler chaque jour.  C'est le sens de cet enseignement du Netsiv.

     

    David Scetbon

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

  • La parasha selon le Netsiv, Vaykra

    Cycle : La parasha d’après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Vayikra, nouveau livre, nouvel arc

     

     

    Le Tabernacle est enfin érigé, inauguré. L’appel de Moshé Rabbénou par D., qui marque le début de cette Paracha et de ce nouveau livre sonne comme une invitation à Le servir, par le biais de cet édifice reliant le peuple juif à Son créateur.

    L’une des sections de notre Paracha, 4ème chapitre, verset 13, parle du Sacrifice expiatoire de la communauté. Si toute la communauté d’Israël commet une transgression involontaire sur l’un des commandements négatifs de la Torah, alors « elle portera une culpabilité ».

    Rachi nous précise que nous faisons ici allusion aux « Yeux du peuple », à savoir le Sanhédrin.

    Le terme employé par le verset pour nous parler de la culpabilité du peuple est « ואשמו ».

    Le Netsiv, dans son commentaire sur place, nous enseigne que le sens du mot אשם, coupable, dans ce contexte, implique une certaine compréhension et un discernement de la culpabilité - comme le langage usité dans Zacharie 11-5 « qu’ils ont acheté pour les tuer et ils ne seront pas lavés de leur culpabilité ».

    Idée soulevée également par Rachi plus bas, sur le verset 5-23 « Ce sera lorsqu’il fautera et sera coupable », à savoir lorsqu’il va reconnaitre sa faute, pour se repentir, qu’il a l’intention de confesser sa faute et d’assumer sa culpabilité.

    Donc, quand l’instance suprême de la communauté d’Israël émet un jugement erroné, le terme ואשמו renvoie à un devoir de compréhension de leur faute inintentionnelle de leur enseignement, cette reconnaissance pouvant également l’être par l’intermédiaire d’un tiers qui pourrait leur faire comprendre où se situe leur erreur.

    Cependant, relève le Nestiv, quelques versets plus loin, la Paracha parle également de la faute involontaire du Nassi (c’est-à-dire, selon Rachi, le roi) et ensuite de celle de l’individu. Pour ces deux cas, la Torah a marqué clairement ואשם או הודע, « et devient coupable, s’il est porté à sa connaissance sa faute », alors que pour la transgression collective ואשמו est suivi de ונודעה, « quand la faute sera connue », le « si » exprimant une condition restrictive ayant été remplacée par la correspondance temporelle « quand », à un moment où elle sera inéluctable.

    La différence, continue le Netsiv, est que la faute d’un enseignant peut-être clarifiée seulement à l’aide d’une preuve ferme. Et encore, cela peut être insuffisant, s’il décide de s’entêter et de ne pas reconnaitre la vérité, alors aucune preuve ne suffira. Alors qu’a contrario pour le Nassi ou le quidam, le mot הודע est employé à la forme passive, afin de bien signifier que la prise de conscience de la faute par lui-même, subitement, sans l’impératif d’une démonstration ferme, demeure possible.

    Ainsi, conclut le Netsiv, même la prise de conscience par l’autre passe tout d’abord par soi-même. Même le Grand Sanhédrin, Moré Horaa par excellence, peut faillir et se tromper. Et là se situe un piège dans lequel il ne faut pas tomber, le piège de l’orgueil amplifié par le rang social.

    Malgré les apparences, l’enseignement du Nestiv demeure actuel chez chaque personne amenée à se trouver dans la position d’enseignant. Il résonne comme un appel à ne pas se laisser emporter par ses sentiments et par sa position, et à accepter ses propres failles, afin de pouvoir reconnaitre sereinement ses torts et ne pas céder aux sirènes de l’orgueil et du pouvoir.

     

    Elie DAYAN

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

     

    Le texte dans son intégralité :

    ואשמו. ונודעה וגו' – משמעות ואשמו בכל הענין שיבינו וישכילו שהמה אשמים בדבר כמו לשון הנביא זכרי' י"א ה' אשר קוניהן יהרגון ולא יאשמו. פי' שלא יראו עצמם אשמים כלל. והכי פרש"י להלן ה' כ"ג על המקרא והיה כי יחטא ואשם כשיכיר בעצמו כו' והכי הפי' כאן. ואמר המקרא או ואשמו. שיבינו מעצמם ששגו בהוראה. או ונודעה ע"י אחרים שיבינו וישכילו להם כמה שגו ברואה פקו פליליה. ובנשיא והדיו' כתיב כפירוש ואשם או הודע וגו' וכאן לא כתיב בפירוש או משום דואשמו נמשך גם להא ונודעה. שהרי שגגת הוראה לא יכול אדם להראות בירור גמור על פי בחינה שטעו אלא עפ"י הוכחה שכן הוא ואם לא יהיו רוצים להודות על האמת לא תועיל שום הוכחה דעל כל הוכחה אפשר להתעקש ולא יעמדו על המכשלה אם לא שיודו על האמת ויראו שאשמו. נמצא דגם ידיעתם על ידי אחרים בא לבסוף ע"י עצמם משא"כ בשגגת מעשה א"א להכחיש את הרואה ויודע שחטא.

  • Commentaire du Netsiv- Terouma

    Cycle : la Parasha d'après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Quand le don est dédié par un tiers

     

    Notre paracha débute avec l’ordre de D. de prendre un prélèvement, une offrande, afin de pouvoir construire un sanctuaire- le michkan- où la chekhina pourra résider.

    Les commentateurs mettent en relief la juxtaposition des termes « veyik’hou » - ils prendront- qui indique une prise de biens même contre le gré de l’individu et « teroumah » - une offrande, clairement un acte volontaire.

    Différentes explications sont avancées afin de concilier ce paradoxe : par exemple, en expliquant que puisque de prime abord tout appartient à D. , Il ne fait que « reprendre son bien » ou encore que le don est de fait volontaire, mais qu’une fois qu’une personne s’y est engagée, on la force à respecter sa promesse.

    Le Netsiv a une approche différente qui met en relief un aspect particulier de notre identité et individualité au sein de notre Peuple.

    Le Netsiv s’attarde d’abord sur le pronom « pour moi » Veyik’hou LI teroumah- Ils prendront une offrande POUR MOI- et nous rapporte l’explication de Rachi- que nous retrouvons dans la Me’hilta  et le Sifri: Pour moi- pour Mon nom, en l’honneur de D. donc.

    Ceci implique qu’il est nécessaire que la chose offerte à D. lui soit consacrée dès le départ. Il n’est pas possible de prendre un objet ou un matériau quelconque dédié au mondain et en faire du sacré. Plutôt, le fait même de volontairement décider de s’engager à donner une offrande lui acquiert un caractère saint, élevé.

    Il en découle donc que si l’objet en question n’a pas été offert mais pris de force, celui-ci ne pourrait donc devenir saint et deviendrait donc inapte à être utilisé pour la construction du michkan qui est pour et en l’honneur de D. . Comment donc réconcilier les termes utilisés dans l’ordre donné ?

    Chaque juif a une liberté individuelle  grâce à laquelle il décide de ses actions. Il peut effectuer-ou  pas- une mitsva. Par contre, dès lors que cet individu se trouve face à la collectivité, à une mitsva collective, entre en scène le concept de Kol Israel Arevim Zé la Zé –tous se partagent la responsabilité commune.

    La construction du michkan, tout comme celle d’une synagogue dans une localité n’en étant pas encore munie, est une obligation donnée à la communauté en son entièreté. La liberté individuelle de choisir si nous désirons ou pas nous joindre à l’effort commun se voit donc effacée. Nous y sommes astreints, et nous pouvons être forcés à donner.

    Il nous reste à résoudre le problème de consécration d’un objet pour le michkan si ceci ne peut être effectué que par le généreux donateur et que sans cette condition il devient inutilisable.

    C’est ici que le Netsiv rétabli la logique des mots du passouk : dès l’instant ou la liberté individuelle est « perdue » afin que la personne puisse faire partie intégrale du klal Israel, ce klal peut à son tour consacrer, au nom de l’individu, l’objet pris de force.

    Veyik’hou li teroumah- ils prendront, même de force, pour Moi,  une offrande d’un particulier. Et comme celui-ci fait partie de l’entité qu’est le Am Israel, uni par le commandement ayant trait à la communauté, elle pourra de par cette responsabilité commune consacrer au nom du particulier l’offrande afin qu’elle ait le caractère saint nécessaire. Le michkan pourra donc être construit, que ce soit par les offrandes données volontairement et donc consacrées par l’individu, ou prises de force et consacrées par son appartenance à la communauté.

     

    Nathalie LOEWENBERG

     

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    Netsiv terouma hebreunetsiv-terouma-hebreu.docx

  • Le corps contre l'âme

    Cycle : la parasha d'après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Le corps contre l’âme 

    Revenir vers Dieu (se « radicaliser ») semble souvent être pris pour une partie de plaisir : il s’agirait de renouer avec ses racines, couper quelques ponts, se glisser dans le lit douillé préparé par le gourou. Cette analyse doit être largement réexaminée, pour une raison à laquelle le Netsiv va nous sensibiliser.

    La fin de la Sidra de Michpatim montre la conclusion de la révélation sinaïtique, et,  en tant que telle peut servir de modèle et de miroir à quiconque avance dans un chemin moral ou spirituel. Celle-ci se conclut sur un verset curieux : « Mais Dieu n’envoya pas son bras sur ses élus des enfants d'Israël et après avoir joui de la vision divine, ils mangèrent et burent.»[1] Dieu retient son bras momentanément, alors qu’il aurait du sévir puisque ‘les élus’ des enfants d’Israël se sont mis à manger après la grande révélation. Une lecture rapide semble montrer que Dieu se courrouce devant le manque de respect qui lui est dû : on ne devrait pas manger après la révélation ! (On se demande bien ce qu’on devrait faire d’ailleurs, les lendemains de fêtes ne sont pas toujours très heureux !)  Rien de très nouveau, ni de très glorieux. Le Netsiv va au contraire profiter de ce verset pour analyser la psychologie de la révélation, de toute révélation.

    Littéralement le verset donne l’expression « Dieu n’envoya pas son bras », c'est-à-dire sa puissance, il ne les aida pas. Toute révélation implique une forme d’écrasement devant ce qui est révélé, à la limite, cette révélation se trouve être dommageable pour la personne. Dieu aide la personne à supporter cette révélation,  en l’absence d’une telle aide, l’homme s’évanouit devant le contenu de la révélation, renoncement à sa personne. Ici, Dieu n’envoya pas son aide, l’indice de cet abandon, c’est qu’ils se mirent à manger. Pourquoi ? Ils ont trop vu, ils ont vu au-delà de leurs moyens, et ceci sans qu’une aide ne leur soit apportée pour supporter cet excès de clarté. Le résultat : leur corps s’est rebellé, cherchant à émerger devant cet excès de spiritualité.

    Avancer sur le chemin de la Torah implique de ménager un certain équilibre;à vouloir trop voir, on se perd ! Un déséquilibre des mœurs ou des habitudes en est le signe qui ne trompe pas : tout d’un coup le corps réclame son dû. 

    Cette même idée servira à expliquer la mort des premiers nés égyptiens qui ne supportèrent pas la présence divine[2] : n’étant pas disponibles à la révélation, celle-ci loin d’être indifférente s’est soldée par leur mort.

    Rachi affirme que les personnes concernées étaient les fils d’Aaron et les anciens d’Israël ceux qui a priori étaient les mieux préparés : peut-être étaient-ils ceux qui avaient le plus « soif » car les plus conscients de ce qui se déroulait sous leurs yeux et qui allait retentir pour des millénaires dans l’histoire de l’humanité. Ce jour là, Dieu les empêcha de mourir : un délai leur fut accordé. Nadav et Avihou[3], réitérèrent leur erreur lors de l’intronisation du Tabernacle, offrant un feu qui n’avait pas été ordonné. À ce moment, leur corps les lâcha.

    Paradoxalement ce sont parfois les plus grands des hommes et parfois des hommes moyens –comme les premiers nés égyptiens- qui furent foudroyés : tout est affaire de décalage entre la préparation et la révélation.

    Le cheminement de l’homme à travers son parcours moral et spirituel n’est pas un long fleuve tranquille et il convient à chaque moment de faire attention à ce que l’âme ne déborde pas le corps.

    Chabbat Chalom.

    Franck Benhamou.

    (Merci à Benjamin pour la référence et les discussions)

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    Netsiv mishpatim hebreunetsiv-mishpatim-hebreu.docx.

     


    [1]Chémot 24.11.

    [2] Voir le Netsivsur Chémot11.4 .

    [3]Vayikra 10.1 et 10.2.

  • Paracha Bo : Qui sort vraiment d'Egypte ?

    Cycle : la parasha d'après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a
     

    Bo : Qui sort vraiment d’Egypte ?

     

    Après la description de la plaie des ténèbres frappant l’Egypte, le verset précise : « Et pour tout Israël il y eut de la lumière dans leurs demeures » (Shemot 11, 23). Sur place le Netsiv s’interroge : était-il nécessaire de préciser que les Hébreux furent épargnés, alors que ce fut le cas pour d’autres plaies telles la peste et les bêtes sauvages, sans que cela ne soit mentionné ?[1]

    Selon lui, cette formulation insistante est une allusion à la mort des mécréants de la génération, car selon le Midrash, Dieu profita de cette plaie pour faire mourir les Bné-Israël qui ne voulaient pas sortir d’Egypte[2]. La « lumière » a une double signification : Tout d’abord, la mort des impies est une source de réjouissance pour les justes[3]. Mais aussi, la lumière symbolise le soulagement que les Egyptiens ne virent pas ce règlement de comptes interne[4].

    Ce Midrash selon lequel Dieu empêcha les impies de sortir d’Egypte lors de la plaie des ténèbres interpelle. À la suite de la Parasha, Dieu demande aux Hébreux de placer le sang de l’agneau sacrifié à l’entrée de leurs maisons, ce qui constitue une preuve de leur volonté de partir. Pourquoi ne pas frapper alors les récalcitrants, en même temps que les premiers-nés égyptiens ? Par ailleurs, si les mécréants sont morts, comment expliquer la survie de Datan et Aviram, représentants déjà en Egypte –selon le Midrash- les mécréants par excellence[5] ?

    Selon le Netsiv, il faut distinguer entre deux types d’impies : ceux qui refusaient de  quitter l’Egypte, et ceux qui acceptaient le principe de la sortie d’Egypte malgré leur impiété[6]. Seuls les premiers furent frappés durant la plaie des ténèbres. Assurément d’après cette explication, Datan et Aviram faisaient partie de ceux qui désiraient tout-de-même quitter l’Egypte. Néanmoins, l’ange destructeur qui s’attaquait aux premiers-nés de l’Egypte était également susceptible de s’en prendre aux impies Hébreux. Parmi ces derniers, beaucoup furent sauvés car ils appartenaient à une famille dont le patriarche avait pris la décision de mettre le sang  à l’entrée de la maison familiale. Aussi le mérite des anciens permit de protéger ceux qui ne méritaient pas tant de poursuivre l’aventure[7]

    On peut supposer que la distinction établie par le Netsiv entre les impies refusant de quitter l’Egypte et les autres est liée au rapport à la nation, du moins à ses prémices. Un « peuple parfait » composé uniquement de justes est une utopie. L’impiété n’est pas une raison suffisante pour exclure totalement le membre de l’ensemble du corps. Cependant celui qui refuse de prendre part à la constitution de la nation ne mérite pas d’être libéré, car la libération concerne précisément une collectivité dont il nie l’existence.  

    Faut-il voir dans cette théorie une réhabilitation des juifs laïcs désireux de raviver la flamme d’une nation juive à la fin du 19ème siècle ? Le Netsiv semble voir un mérite chez les Hébreux impies acceptant le principe de la sortie d’Egypte, simplement car ils manifestent un sentiment national. Faut-il y voir un lien avec son soutien du mouvement des « amants de Sion » à la même époque? Cela est probable. La libération de ces Hébreux impies apporta-t-elle quelque-chose de positif aux Bné-Israël dans le Désert ? La suite du déroulement de l’Exode peut nous en faire douter[8]… Mais cela est une autre question, dépassant le cadre des commentaires du Netsiv sur la Parasha Bo que nous entendons présenter dans ces lignes.

     

    Yona GHERTMAN

     

     

    * R. Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Annexe : Lettre du Netsiv aux "amants de Sion" : hovevey-tsion.pdf

     


    [1] Par ailleurs, s’il s’agissait simplement de montrer que la plaie des ténèbres n’a pas atteint les hébreux, pourquoi insister sur « la lumière », qui dénote un aspect positif, n’aurait-il pas été plus neutre de mentionner simplement « l’absence d’obscurité » dans les demeures des Bné-Israël ?

    [2] Rapporté par Rachi sur ce verset.

    [3] Le Netsiv défend cette idée en renvoyant à Devarim 11, 6 où il est question des réjouissances au moment de la mort de Datan et Aviram. On peut toutefois comparer ce postulat à l’histoire de la femme de R. Meïr apprenant à son mari qu’il vaut mieux prier pour le repentir de l’impie que pour sa mort (Berakhot 10a). Dans ce cas, faut-il vraiment se réjouir de la mort alors que celle-ci apparaît comme l’échec du repentir ?

    [4] Voir la Mekhilta au début de Béchala’h et Rachi sur notre verset.

    [5] Voir le Netsiv sur Shemot 2, 13-14.

    [6] Commentaires du Netsiv sur Shemot 12, 3 et 23.

    [7] Commentaire du Netsiv sur Chemot 12, 27. Voir également le commentaire sur le verset 23.

    [8]Le parcours de Datan et Aviram est d’ailleurs l’illustration du contraire.

  • Chemote : De la religion tribale à la religion d'un peuple

    Chémot :

    de la religion tribale à la religion d’un peuple

     

    Star wars 7 disney le reveil de la force

     

    La paracha de Chémot montre l’enfance d’un libérateur et sa « vocation ». Alors que Moïse est interpellé par un buisson ardent et miraculeux, Dieu se « révèle » en lui expliquant qu’Il est « le Dieu de son père, le dieu d’Abraham, le dieu d’Isaac et le dieu de Jacob ». Les commentateurs se montrent peu loquaces sur ce verset : quoi de plus naturel !  La jeune Rey n’est-elle pas appelée par la voie du sabre laser qui sera son instrument de justice, comme tant d’autres vocations prophétiques que décrira la Bible ?  Dieu pour ne pas choquer son prophète se présenterait à travers la figure bienveillante du Dieu de son père et de ses ancêtres, mais Moïse ne l’aurait pas vu venir, il se cache le visage, pour ne pas voir le visage divin ! Le scénario est bien ficelé, mais bien naïf : comme si Moïse était un novice, comme si Dieu avait sorti de sa boîte à miracles un gadget pour attirer l’attention d’un adolescent trop effrayé, mais curieux.

    Laissons plutôt parler la voix du Natsiv[1] qui va questionner l’opportunité de se présenter ainsi à Moïse âgé alors de quatre vingt ans.

    Pourquoi parler d’un dieu paternel alors qu’on va délivrer un peuple ? Voilà peu ou prou ce qui anime le commentaire du Nétsiv : Dieu s’est comporté de façon providentielle, de façon miraculeuse envers chaque patriarche suivant une voie : il a protégé Abraham de ses ennemis, car celui-ci a usé ses nuits pour l’étude ; Dieu a gratifié  Isaac de richesses, parce qu’il a été généreux en s’offrant en holocauste ; alors que Dieu a permis à Jacob de vivre en paix, miraculeusement, en contrepartie de la paix qu’il a voulu établir autour de lui. ‘Dieu d’Abraham, d’Isaac ou de Jacob’ signifie que Dieu s’est attaché à chaque patriarche de façon miraculeuse et spécifique. Et c’est par ces évocations que Dieu vient expliquer pourquoi le buisson ne s’embrase pas »[2].

    Le Natsiv en collant au plus près du texte, a montré[3] que ce qui est mis en avant dans la scène du buisson ardent, ce n’est pas qu’il ne se consume pas, mais que le buisson n’étouffe pas la faible flamme qui gît en son cœur. Certains ancêtres étaient sous l’aile providentielle, la chose était sue, mais ce qui allait se jouer ici, c’est le passage d’une providence attachée à des individus à une providence attachée à un peuple. L’évocation des pères a pour but  de montrer ce qui fait résistance à l’avancement de l’histoire mais en constitue en même temps le germe : la providence individuelle.

    En fait, le miracle du buisson crée la rencontre avec Moïse à partir  de son propre questionnement: comment se fait-il que la collectivité venue de Canaan résiste au feu nourri des attaques qu’elle suscite ? Ce qu’il fallait comprendre c’est que l’on passe d’une providence personnelle et locale, à une providence collective et à plusieurs dimensions. Le changement est radical : une providence attachée aux individus est dépendante de la fragilité des mérites de chacun, une providence associée à une collectivité n’est possible qu’à condition de fermer les yeux sur les travers communautaires. C’est ce passage qui accroche Moïse[4]. Une fois celui-ci compris, « il se voile la face ». Le Talmud[5] semble fustiger Moïse d’avoir fermé les yeux au moment où Dieu s’apprêtait à lui révéler le « comment » de son action, indiquant que plus tard, dans l’épisode du veau d’or lorsque le prophète  se montrera plus curieux, Dieu lui refusera la « vision face », c'est-à-dire les modalités de son intervention dans le monde. C’est que là-bas la nécessité de défendre le peuple impliquait une connaissance plus spécifique…Nanti de ce changement de direction indiqué par la vision du buisson ardent qui entre en résonance avec le dépassement de la thématique des patriarches, Moïse peut commencer à  être le prophète pour un peuple.

     

    Franck BENHAMOU

     

    [1] R. Tsvi Yéhouda Berlin (1813-1893)

    [2] Emek davar sur Chémot 3.6.

    [3] Emek Davar sur Chémot 3.3.

    [4] Et qui d’ailleurs sera le chemin qui l’engagera contre vents et marées à défendre le peuple coûte que coûte.

    [5] Cité en filigrane par le Emek Davar, d'après TB Berakhot 7a.

  • Dieu a-t-Il une place dans la société civile ?

    Dieu a-t-Il une place dans la société civile ?

     

    par Franck BENHAMOU

     

    Il faut être religieux pour affirmer que Dieu a une place quelconque dans la société civile, religieux encore pour assumer de porter l’étendard du Saint là où tout n’est que cupidité, intérêt vers soi. La mythologie inculquée à l’école fixe même une date pour la séparation en droit du civil et du religieux, le roman national est écrit dans tous les cerveaux : cet acquis de droit est à chercher dans la période des « Lumières ». Et, pour mieux maintenir à distance la religion qui ne cesse de rentrer par la fenêtre, on se paye de quelques messes nationales pour réaffirmer cet acquis de la république.

    Ce court billet, a pour but de montrer que la réflexion politique sur la séparation du civil et du religieux est au cœur de la réflexion biblique. Sans doute serait-il loisible de montrer comment les maîtres de la Torah orale ont si bien intégré cette leçon, qu’ils la passent sous silence.

    Rappelons que Bamidbar –livre des pérégrinations des enfants d’Israël dans le désert- fait suite au « Lévitique » -où l’on explique à longueur de pages comment le Dieu d’Israël veut qu’on Le serve dans son Temple-. Ce dernier livre porte à juste titre le nom de « Torah des prêtres », car  il s’adresse presque exclusivement aux clercs. Pourtant, certains éléments du service divin ont été inscrits dans le livre de Bamidbar,  comme par exemple les sacrifices amenés par les chefs de tribus. Quelle est la raison de ce déplacement ? D’autant que le texte affirme clairement que cet évènement n’est pas à sa place du point de vue chronologique, ayant eu lieu  avant le début des pérégrinations des hébreu dans le Sinaï.

    C’est que l’on se trompe en pensant que le thème de ce quatrième livre est celui des errements des juifs dans le désert, tout comme on se trompe lorsqu’on pense que l’ordre d’exposition de la Bible est chronologique ou analogique. Alors que le Lévitique s’intéressait au rapport entre l’homme et le sacré, le livre du Désert, cherche à encourager la réflexion autour de l’intégration de Dieu dans la société. Si par exemple les sacrifices des chefs de tribus ont été déportés vers le quatrième livre de la Torah, c’est qu’ils montrent une forme de respect de la société civile envers le sacré. Pour autant la totalité de camp est ordonné autour du Temple, pourrait-on rétorquer. Mais le centre du cercle n’est pas sur le cercle, il en est même exclu par construction ; de même, c’est la distance à son centre qui marque l’organisation du camp hébreu. Ce qui est préconisé, c’est le maintien à distance, à bonne distance, du sacré. Il ne faut pas toucher le saint, autant de longs chapitres où sont exposés comment les juifs sont mis à l’abri des ustensiles réservés au Sacré.

    La fonction même du Temple vise à recueillir la totalité de l’expérience religieuse du peuple : aucun sacrifice n’est autorisé ailleurs qu’en son sein. A l’époque pas de prières quotidiennes, mais des sacrifices réalisés au nom du peuple, par le Grand prêtre, à l’abri des regards, caché derrière les longues tentures.

    Pourtant Dieu n’est pas exclu du camp des hébreux, puisque ceux-ci sont encouragés à vivre sous le régime des commandements. Il faut lire le livre de Bamidbar comme le livre d’une rencontre qui n’a pas eu lieu, celle qui aurait permit de métaboliser le sacré, de le faire pénétrer dans le camp. En effet, ce livre montre une hésitation, une oscillation entre deux pôles : d’un côté une demande d’absolu, « toute l’assemblée est sainte » dira Kora’h, et d’un autre côté un refus de Dieu. C’est entre ces deux pôles, comme deux destins, que l’engeance humaine oscille quant à son rapport à Dieu : entre excès et défaut.

    C’est ainsi qu’il faut relire l’ensemble des histoires de ce livre par exemple c’est la crainte devant l’ « Etat de Dieu » qui guide les hébreux dans un refus d’aller en terre sacrée. Mais comme par un étrange retour de balancier, lorsque ce refus est acté par Dieu, les juifs veulent percer l’écran divin et conquérir la terre, mais c’est précisément parce que Dieu leur a affirmé que Dieu ne les aidera pas dans leur conquête, qu’ils tentent l’aventure, une aventure sans Dieu.

    Le bilan de ce livre est net : c’est la mort. Le livre entier est jonché de ces morts qui pour certains ont voulu trop de Dieu et pour d’autres en ont voulu moins.

    C’est entre « trop de Dieu » et « moins de Dieu »  que les peuples s’ordonnent, jusqu’à aujourd’hui, dans toutes les questions de politique internationale. Cette oscillation peut se résoudre à l’échelle individuelle, même s’il faut du temps pour que chaque individu arrive à un équilibre en matière de religion. D’autres préféreront le déséquilibre. 

     

    Paysage milieu

  • Kédoucha : Deux approches, une question.

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    « Parle à toute la communauté des enfants d'Israël et dis-leur: Soyez saints! Car Je suis saint, moi l'Éternel, votre Dieu » (Vayikra 19.2)

    Il y a deux types de lectures du premier verset de la paracha "Kédochim" :

    Rachi[1] n’y voit en fait que la conclusion de la fin de la section précédente. Pour lui, pas de nouveau contenu dans ce premier verset, juste un abord un peu plus ‘moral’ des interdits sexuels. Maïmonide[2] aussi, ne voit rien d’autre dans ce verset qu’une vague invective à la pratique des commandements. Ces deux commentateurs ne lisent pas plus dans ce verset que les contenus légaux de la Torah, c'est-à-dire, ceux qui s’imposent avec égalité à tous.

    Pourtant Nahmanide[3] va trouver dans ce verset un écho à l’injonction des sages « Sanctifie-toi, par ce qui t’es permis »[4]. Pour lui, la sainteté est d’un autre registre que celui des commandements : plus précisément « être saint » excède la pratique des commandements. Il s’en suit alors une injonction à se tenir loin de l’interdit, l'impératif d'un comportement supplémentaire à celui imposé par la loi.

    Deux voies se distinguent : pour les uns la loi est le contenu pratique de la sainteté, pour l’autre, la loi ne produit pas de sainteté particulière, mais la sainteté est autre chose que la pratique des commandements, comme une branche autonome, c'est-à-dire non commandée.

    Le mot kédoucha qu’on traduit pompeusement pas ‘sainteté’, signifie ‘séparé’.  De quelle séparation s’agit-il dans ce verset ?

    Pour Maïmonide ou Rachi, cette séparation est acquise par l’accomplissement des commandements. Cela peut concerner toutes les mitsvot (Maïmonide) ou seulement celles relatives aux interdits sexuels (Rachi). Mais inutile de chercher une autre séparation pour ces auteurs.

    Pour Na’hmanide, cette séparation ne concerne pas du tout les commandements déjà ordonnés par la Torah. Elle vise à encourager l’homme  à ‘en faire plus’ : chaque homme est convié à prendre des dispositions supplémentaires dans un but religieux, à s’investir personnellement dans les commandements qui lui semblent importants ou qui lui parlent. 

    Mais selon ces deux optiques, c’est la fin du verset qui pose problème : « car Moi, Je suis saint », c'est-à-dire distingué. Quelle est l’utilité de la fin de ce verset ? Que l’on comprenne comme Maïmonide, Rachi ou Na’hmanide, la ‘sainteté’ divine est-elle comparable à celle des hommes ? Dieu se distingue des hommes de façon radicale, mais en quoi cette distinction nous apprend-t-elle à nous distinguer ? En quoi cette distinction oriente-t-elle la compréhension du verset ? Si l’on comprend que cette distinction est le fait même de l’accomplissement des commandements, Dieu n’y est pourtant pas soumis  pour qu’on puisse s’en inspirer ? À plus forte raison la question se pose-t-elle, si cette la distinction ici pointée est relative au comportement sexuel ! Si l’on suit la démarche de Na’hmanide, «en faire plus » crée de la distinction entre les hommes, mais en quoi Dieu « pourrait-Il en faire » plus ? Il n’est pas soumis à la loi ! De qui se distinguerait-Il, de quoi se distingue-t-Il, et comment le fait-il ? Autant de questions laissées en suspens par les commentateurs classiques.

    Franck Benhamou


    [1] Sur Vayikra 19.2 

    [2] Introduction au Séfer Hamitsvot, principe 4.

    [3] Commentaire sur Vayikra 19.2

    [4]  Yévamot 20a 

  • les vêtements du Cohen Gadol: tisser du lien.

    Les vêtements du grand prêtre : tisser du lien 

    (Tétsavé chapitre 28)

    Par Franck Benhamou

    «Mais d'où vient qu'il [le sacrifiant] ne s'en rapproche [du divin] qu'en en restant à distance ? D'où vient qu'il ne communique avec le sacré qu'à travers un intermédiaire ? »
    Marcel Mauss. Essai sur la nature et la fonction du sacrifice.


    On croit avoir raté la nouvelle collection en voyant les vêtements que devait porter le grand prêtre : tout n’est que luxe de détails, de couleurs, de gemmes et d’or. Qu’"on" se rassure, même il y 3000 ans ils n’étaient pas à la mode : les égyptiens sacrifiaient en simples habits de lin, affublés d’une peau de léopard alors que les grecs portaient du blanc ou du noir suivant qu’ils sacrifiaient aux dieux « d’en haut » ou « d’en bas ».

    EgyptienGrec

    Là où la sobriété et l’humilité semblaient requises pour approcher le divin, on ne trouve que grelots sonnant! Certes les simples prêtres officiaient en lin blanc, le grand prêtre lui-même abandonne son apparat le jour de Kippour pour se revêtir de lin blanc, comme un simple prêtre. Mais pourquoi une telle profusion dans les habits du grand prêtre ?

    1. Les vêtements des prêtres.
    Les simples prêtres officient avec quatre vêtements de lin blanc : une tunique, un pantalon, une ceinture et un turban.

    Habit
    Le blanc est la couleur de la cour du temple, là où se trouvait l’autel.

    Beth
    Quant aux huit vêtements du grand prêtre, ils sont à la couleur du Saint des saints : pourpre et azur.

    Cohen

    La couleur des habits semble donc indiquer les lieux où les prêtres étaient  en droit de se promener. Dans la scène du Sinaï, chacun devait rester à sa place, même si la révélation était collective :  « Et les prêtres, qui s’approchent de Dieu, se tiendront séparés [du mont Sinaï], de peur que Dieu ne les décime » (Chemot 19.22). Les vêtements sont la trace de cette séparation entre ceux qui font le culte, d’une part, et ceux qui ne le font pas. Et, même à l’intérieur du groupe de ceux qui officient, il y a lieu de distinguer ceux qui restent dans la cour et celui qui peut séjourner dans le Saint des saint. Lorsque le grand prêtre entre dans le saint des saints le jour de kippour, il y officie avec les vêtements en lin blanc : la séparation n’est plus à marquer, puisqu’il est seul dans le saint des saints.


    2. Comment Aaron, le grand prêtre, a-t-il obtenu le privlège de porter le pectoral?

    Pectoral
    Lorsque Moïse refuse de parler à Pharaon afin de libérer les hébreux, Dieu s’insurge : il sait qu’Aaron, lui, ne refusera pas. Le verset « Aaron, ton frère, le Lévy, Je sais que lui parlera, de plus il viendra à ta rencontre, et se réjouira en son coeur » (Chémot 4.14) est commenté par Rachi : « C’est pour cela qu’Aaron a eu l’honneur de porter les bijoux du pectoral ». Il s’agit de l’ensemble des douze pierres sur lesquelles étaient marqués les noms des tribus d’Israël. Le verset qui conclut la description du pectoral indique : « Et Aaron portera les noms des Bné israël sur le pectoral, sur son coeur lorsqu’il entrera dans le saint, en souvenir perpétuel devant Dieu. Tu mettras dans le pectoral les Ourim et Toumim, qui seront sur le coeur d’Aaron en venant devant Dieu. Aaron portera le ‘jugement’ des bné Israël sur son coeur devant Dieu perpétuellement. » (28.29-30). Le pectoral est le signe et le lieu de l’échange avec Dieu : Maïmonide décrit (Hil’hot Kli hamikdach 10.11) comment le pectoral permettait de s’entretenir avec Dieu, de présenter son ’jugement’, c'est à dire son cas, devant Dieu. Le pectoral représente la possibilité de s’adresser à Dieu, cette possibilité est portée par le grand prêtre dans son coeur, référence à cette générosité d’Aaron envers son frère et ses frères, qu’il défendit devant Pharaon, et même Dieu peut en témoigner ! Aaron représente ses frères auprès de Dieu, porte leurs demandes. Le pectoral vient signifier cette fonction du grand prêtre.


    3. L’éphod.

    Ephod

    La description de l’éphod (un tablier dont les bretelles portent deux pierres précieuses sur lesquelles sont aussi indiquées les noms des tribus) se conclut par : « Aaron portera leurs noms devant Dieu sur ses deux épaules comme souvenir » (28.12). Cette fois-ci le souvenir est destiné à Dieu. L’éphod est le signifiant d’Israël pour Dieu ! Si l’éphod et le pectoral ne sont pas portés lorsque le grand prêtre officie dans le saint des saints le jour de kippour, ce n’est pas qu’une marque d’humilité, mais aussi parce que personne n'a le droit d'être présent en ce lieu, il est alors vêtu d’un simple lin blanc.

    La double signification des vêtements du Cohen : à la fois marque pour Israël de la présence de son Dieu, ainsi que la marque pour Dieu de la présence de son peuple, n’a rien à voir avec les sacrifices. Leur signification est essentiellement autre.

    4. Pourquoi signifier ?
    Une question peut alors se poser : pourquoi signifier tout cela, pourquoi le marquer ? C’est qu’en réalité cette communication entre Dieu et les hommes ne se suffit pas en elle-même, elle est un lien fragile qu’il faut encourager à exister, à laquelle il faut donner une représentation. C’est le rôle des vêtements du grand prêtre…dans toute leur exubérance.
    Pour répondre à la question que Mauss soulevait on peut dire : que le lien entre les hommes et Dieu existe indépendamment du lieu des sacrifices, le Temple n’est là que pour relever un lien qui sans une mise en scène reste fragile, éternellement en construction : l'interdit de désolidariser le « pectoral » de « l’éphod » (chémot 28.28) vient marquer la brisure toujours possible du lien entre Dieu et son peuple.

  • De Naassé à Nichma, de Ytro à Michpatim

    De Naasei à Nichma. De Ytro à Michpatim

     

    Mont

    La Révélation de la Torah occupe une grande partie de la paracha Ytro. Rappelons les faits. Dans le chapitre 19 [1], Dieu dit : « Vous avez vu ce que j'ai fait aux Égyptiens; Je vous ai portés sur l'aile des aigles, je vous ai rapprochés de moi.  Désormais, si vous êtes dociles à ma voix, si vous gardez mon alliance, vous serez mon trésor entre tous les peuples! » (…)  Le peuple entier répondit d'une voix unanime: Tout ce qu'a dit l'Éternel, nous le ferons! » La suite du chapitre décrit les recommandations en vue de la Révélation, comme par exemple une séparation entre les époux de trois jours. Le chapitre 20 est consacré  en partie à l’énonciation des dix commandements, ainsi qu’à la demande des  hébreux : « Que ce soit toi qui nous parles et nous pourrons entendre, mais que Dieu ne nous parle point, nous pourrions mourir ». Curieuse certitude : la parole de Dieu est-elle si écrasante qu’elle appelle la mort ? Les juifs ne viennent-ils pas précisément de vivre le contraire au Sinaï ? Dans la suite de ce chapitre, Dieu donne quelques commandements relatifs à son culte. Puis c’est la paracha de michpatim, là ce sont toutes sortes de lois sociétales : règles relatives à l’esclave, aux dégâts causés, au vol, aux emprunts…viennent ensuite quelques lois sociales (relatives à l’étranger, au pauvre) puis les lois relatives aux jugements, les fêtes de pèlerinage suivent les lois sur la jachère (chapitres 21 à 23). La fin du chapitre 23 (vs 20 à 32) parle d’un ‘ange’ qu’il faudra écouter, condition nécessaire à l’entrée en terre d’Israël, ce qui introduit quelques lois liées à la résidence en Israël. Il serait intéressant d’étudier l’ordre avec lequel elles sont dictées, mais ce n’est pas mon propos.

    Le chapitre 24 va nous intéresser directement. Contre toute attente, c’est lui qui contient le verset « nous ferons et nous entendrons », celui-ci n’est pas dit dans le chapitre précédent les dix commandements, mais à la fin de michpatim ! Rappelons le contexte : Dieu dit à Moïse de monter « vers » Lui, c'est-à-dire sur le mont Sinaï : « Moïse, de retour, transmit au peuple toutes les paroles de l'Éternel et tous les statuts; et le peuple entier s'écria d'une seule voix: Tout ce qu'a prononcé l'Éternel, nous l'exécuterons». Puis le lendemain, il fit un autel et des sacrifices, une partie du sang fut aspergé sur l’autel. Puis «  (…) il prit le livre de l'Alliance, dont il fit entendre la lecture au peuple et ils dirent: Tout ce qu'a prononcé l'Éternel, nous l'exécuterons docilement » [2]. Une autre partie du sang fut aspergé sur les juifs, avec l’explication suivante : « Ceci est le sang de l'alliance que l'Éternel a conclue avec vous touchant toutes ces paroles ».

    La place du chapitre 24 a été très controversée chez les commentateurs classiques. Pour Rachi, tout ce chapitre a eu lieu avant  la révélation, durant les trois jours de préparation. Le Maharal propose une explication pour justifier le déplacement de ce chapitre : car l’alliance n’a été scellée qu’une fois le contenu de la révélation effectivement énoncé, auparavant, il n’était qu’un engagement sans contenu. De nombreux commentateurs, comme le Ramban, ne suivent pas l’opinion de Rachi : selon lui, le texte est écrit dans l’ordre de son déroulement réel.

    Ramban fait remarquer que le débat qui l’oppose à Rachi s’est déjà produit à l’époque des  tanaïm, s’est poursuivi longtemps après les richonim (on pourra consulter à ce sujet les commentateurs classiques sur Rachi). Notre objectif n’est pas de trancher dans une discussion vieille de deux millénaires, mais d’entendre les deux positions, et de les mettre en regard, non pas du point de vue textuel, mais du point de vue des idées qu’elles défendent. Une clé de lecture est offerte par les Sages [3] qui ont donné une place extraordinaire à ces deux mots « nous ferons et nous comprendrons », puisqu’ils on taxé cette inversion de « secret des anges » : ces deux mots –faire/entendre- permettent de s’orienter dans ces cinq chapitres.  

    Commençons par Ramban (commentaire sur 24.1) : pour lui le texte a été écrit dans son ordre ‘historique’ ; immédiatement après le don de la Torah, le jour même, a eu lieu la demande des hébreux de communiquer avec Dieu par l’entremise d’un intermédiaire, puis ensuite viennent les interdictions de l’idolâtrie, les lois (de michpatim), qui se finissent par une nouvelle mention de l’interdit de l’idolâtrie et quelques règles de l’habitation en Israël,  les juifs dirent alors : « Tout ce que Dieu a dit, nous le ferons ». Moïse mit par écrit toutes ces lois, puis le lendemain eut lieu ‘l’alliance’ : « Alors Moïse prit la moitié du sang, la mit dans des bassins et répandit l'autre moitié sur l'autel.  Et il prit le livre de l'Alliance, dont il fit entendre la lecture au peuple et ils dirent: Tout ce qu'a prononcé l'Éternel, nous l'exécuterons et l’entendront [4] »  (24.6-7).

    Haut

     Le passage du « faire » ce que Dieu dicte (24.3) à « faire et entendre » (24.7) est entrecoupé par le sacrifice, plus précisément par le verset 6, où la partition du sang est la symbolisation de l’alliance. Le passage du « faire » à « faire et entendre » est identique au changement de position des juifs vis-à-vis de Dieu : dans un premier temps ils veulent « faire ». Que faire ? Telle était leur question. Dieu leur demande d’écouter Sa voix, et ils rétorquent par « que faire » ! N’est-ce pas là une façon de se débarrasser de Dieu, de ne pas avoir à écouter Sa voix en accomplissant quelques rites évitant cette confrontation trop difficile ? La demande d’intermédiaire s’interprète alors comme une astuce pour ne pas entendre la voix divine. Puis viennent les michpatim. Que viennent-ils faire ici ? Pour le comprendre, il faut sauter au chapitre 24, la fin de la paracha. Le « naasei vénichma » vient après la séparation des sangs ainsi que la lecture du livre de l’alliance : les juifs ont compris qu’ils sont partie prenante de l’alliance, du brit. Alors que dans un premier temps ils voyaient Dieu comme un être terrifiant, mortel, à qui il faudrait rendre un culte pour s’en débarrasser au plus vite, progressivement –par l’intermédiaire des michpatim- l’image change : on passe de la violence de la Révélation à une alliance. Comment la lecture du ‘livre de l’alliance’ change-t-elle ceux qui l’écoutent ? Le « nichma », est en réalité la réponse à sa lecture. Selon Ramban, il s’agit du livre qui vient d’être écrit la veille, soit tout le contenu de 20.19 à la fin du chapitre 23. Ces versets sont encadrés par l’interdit de l’idolâtrie, mais leur cœur consiste en des lois de gouvernement de la cité. De telles lois impliquent nécessairement la coopération des hommes, entre eux et avec Dieu, il ne s’agit pas uniquement de donner un culte à l’Etre suprême, mais de participer à l’élaboration d’une société juste. Peut-être est-ce là ce qui a permis aux hébreux d’entendre quelque chose à la parole divine ? Mais le Sforno nous permet –me semble-t-il – une lecture moins naïve.

     

    ספורנו שמות פרק כד

    (נעשה לתכלית שנשמע בקולו כעבדים המשמשים את הרב שלא על מנת לקבל פרס כענין עושי דברו לשמוע בקול דברו (תהלים קג, כ

    « Nous ferons afin d’entendre sa voix, comme des esclaves qui servent leur maître sans en attendre une récompense, comme le verset (psaumes 103.20) l’énonce : [Vous] qui exécutez ses ordres, attentifs au son de sa parole».  

    L'intérêt de faire appel à ce verset des psaumes réside dans la juxtaposition de l’ensemble des thèmes qui sont ici abordés : le faire, l’entendre, mais surtout la différence entre « son » קול  et « voix » דבור . On peut obéir à son maitre comme un chien qui attend son festin, entendre la voix, au-delà du son, au-delà de l’ordre, voilà ce qui fut difficile à la génération esclave en Egypte. Pourquoi précisément ces lois nous guident-elles sur le chemin de la différence entre « ordre » et « voix » ? Là encore le Sforno nous oriente ; en effet, il commente (en 21.1) : « les lois de michpatim  ne sont pas des ordres, comme plus haut, mais lorsque se présentera la nécessité c’est ainsi qu’il faudra juger ». De nombreux versets de cette paracha sont introduits par « lorsque » : il ne s’agit que d’exemples visant à former l’esprit, c’est à travers ces exemples que la différence entre voix et son se marque. Parler d’exemples, signifie que la loi ne consiste pas uniquement à appliquer, que son accomplissement ne garantit pas contre l’injustice, mais qu’il faut l’élaborer suivant les cas qui se présentent. C’est en cela que les hommes participent à son élaboration.

    Pour Rachi, tout le chapitre 23 a été accompli avant le don de la Torah, pour lui, la Torah ne pouvait être entendue qu’une fois compris qu’il ne s’agit pas d’ordres ici. Dans les termes du Sforno : il ne pouvait y avoir de Révélation que si l’on s’était auparavant défait de sa mentalité d’esclave. Ce chapitre 23 ne vient pas conclure l’alliance, mais en donner la condition. C’est pourquoi le livre de l’alliance pour Rachi, c’est Béréchit jusqu’à la sortie d’Egypte ! C’est parce qu’un livre a pu montrer que ce que Dieu vise, à travers ses commandements, ce ne sont pas que des actes, mais que les actes ne sont là que pour former la base à l’écoute de la parole de Dieu.



    [1] De Chémot, toutes les citations bibliques sont celles de la traduction du rabbinat, sauf mention explicite.

    [2] Loin de nous l’idée de critiquer la traduction du Rabbinat, cependant elle trahit ici un contournement de la difficulté tout à fait dommageable.

    [3] On pourra consulter Chabbat 88, ainsi que l’incontournable commentaire qu’en fait Lévinas dans Quatre lectures talmudiques. Ed de minuit. 2010.

    [4] Pour le coup nous ne suivons pas la traduction du rabbinat qui traduit « entendront » par « docilement », ce qui masque volontairement le problème. 

  • Ytro : le miroir du juif

    Ytro : le miroir du juif

     

    Lorsque Moïse s’enfuit temporairement d’Egypte pour s’installer à Midyan, il y rencontre le prêtre de l’endroit et y épouse sa fille, Tsipora (Exode 2). Après la révélation du buisson ardent, Moïse fait part à Ytro de sa volonté de retourner en Egypte pour rejoindre son peuple. Ce dernier accepte volontiers sa requête, le laissant repartir avec sa fille et ses petits-enfants (Exode 4, 18-20).

    Selon le Midrash, le beau-père de Moïse avait abandonné ses prérogatives sacerdotales avant l’arrivée de Moïse à Midyan, car il avait reconnu de lui-même la vanité de l’idolâtrie (Shemote rabba 1, 32). Cette affirmation va bien dans le sens du texte. Ytro accepte que sa fille quitte son pays natal en compagnie de Moïse, et donc qu’elle s’accorde avec ses idéaux et qu’elle rejoigne son peuple. On pense ici naturellement au comportement inverse de Lavan qui tentait de retenir Jacob, en revendiquant des droits sur sa famille (Genèse 36), désireux selon les Sages d’anéantir tout avenir spirituel chez les descendants du Patriarche. Si Ytro n’agit pas de la sorte, c’est que lui-même accepte la destinée de Moïse et de son peuple, voire qu’il la partage, ou du moins, qu’il réfléchit à le faire.

    Alors que les Hébreux sont dans le Désert, après la sortie d’Egypte, Ytro les rejoint temporairement, accompagnant la famille de Moïse qui était restée à Midyan dans un premier temps (Exode 18). Les Sages voient dans cette venue d’Ytro un pas franchi dans sa reconnaissance de Dieu. Si auparavant il s’était convertit au monothéisme, il décide de venir précisément après le don de la Torah car il désire maintenant se convertir au judaïsme. Selon Rabbi Eliézer, cet épisode est tout simplement le modèle de la conversion, un enseignement à l’adresse des responsables rabbiniques postérieurs : « [Dieu dit à Moïse] : J’ai rapproché Ytro [en acceptant sa conversion] et je ne l’ai pas éloigné. De même pour toi, lorsque viendra te voir un homme afin de se convertir avec une intention pure (léchem Shamaïm), rapproche-le, et ne l’éloigne pas »  (Mekhilta shemote 18, 6).

    Malgré cela, et bien que le texte laisse apparaître des apports positifs d’Ytro, vis-à-vis de Moïse et de tout le peuple, d’autres sources rabbiniques vont mettre en avant un aspect moins reluisant. Il n’est pas question de diminuer le mérite d’Ytro, mais de souligner la suspicion pouvant être engendrée suite à la conversion.

    Ceci se retrouve par exemple au sujet de l’histoire de « Pin’has ». Pin’has, petit-fils d’Aharon haCohen, le frère de Moïse, se fait connaître en tuant Zimri Ben Salou, un prince d’Israël. Loin d’être condamnée, cette action est louée par Dieu, car la victime était un transgresseur public et volontaire, que personne n’osait réprimander. Etablis à Chittim, les hommes s’étaient laissés aller à la débauche avec des filles de Moav et Midyan. Non seulement les gens du peuple, mais également les dirigeants des tribus s’étaient mêlés à cette rébellion contre Dieu. Zimri ben Salou défia l’autorité de Moïse explicitement (Nombres 24, 6) mais celui-ci ne réagit pas. C’est alors qu’intervint Pin’has, agissant en zélateur, permettant de calmer la colère divine qui avait déjà décimé vingt-quatre mille personnes (Ibid. 24, 8-9).

    Pourquoi Moïse ne réagit il pas lui-même ?

     Le Talmud propose d’imaginer un dialogue préalable entre Moïse et Zimri. Confronté à l’accusation du chef d’Israël et de son tribunal, le prince aurait toisé Moïse de la sorte : « Fils d’Amram, m’est-elle défendue ou permise ? Et si tu dis qu’elle m’est défendue, qui t’a permis d’épouser la fille d’Ytro ? [Moïse] oublia alors la loi à appliquer, et toutes les personnes présentes fondirent en larmes » (TB Sanhédrin 82a).

    En réalité, la loi était évidente, le mariage entre Moïse et Tsippora avait eu lieu avant la promulgation de la Torah, il n’était pas comparable à cette union interdite légalement. Le silence de Moïse s’explique donc par la suspicion dont il est la victime. Il se trouve déstabilisé et ne sait que répondre. Bien que Tsippora fasse désormais légalement partie des Bné-Israël, elle n’est pas née au sein de ce peuple. Cela ne dérange ni Moïse, ni même Dieu ; seul un mécréant notoire souligne la chose. Cependant cette suspicion, aussi infondée soit-elle, suffit à établir un fossé entre l’épouse de Moïse et le reste du peuple. Aux yeux de certains, celle-ci n’est pas complètement juive. Ce regard est erroné, certes, mais il existe et pèse sur le converti et son entourage.

    À la suite de ce passage, Dieu intervient pour montrer aux yeux de tout le peuple que l’acte de Pin’ahs est justifié. Le verset introduisant l’alliance établie alors entre Dieu et Pin’has commence ainsi : « Pin’has, fils d’Eléazar, fils d’Aharon haCohen, a détourné ma colère de dessus les enfants d’Israël (…) » (Nombres 25, 11). Pourquoi l’ascendance de Pin’has est-elle alors rappelée, alors qu’elle avait déjà été mentionnée au verset 7 du même chapitre, à peine quatre versets en arrière ?

    C’est pour répondre à cette question que Rachi commente en se fondant sur le Talmud : « Puisque les tribus le méprisaient en disant : « Regardez ce descendant de Pouti ! Son grand-père maternel [Ytro] engraissait les veaux pour les sacrifices aux idoles ; aurait-il le droit de tuer un chef de nos tribus ? » C’est pourquoi l’écriture nous rappelle ses nobles origines».

    L’ascendance paternelle de Pin’has est noble, elle est glorieuse et lui sert donc d’étendard, ou plutôt de protection contre ceux tentant de le disqualifier. Il n’est pas question d’une seule personne, comme cela était le cas dans l’accusation de Zimri ben Zalou contre Moïse. Le texte fait mention des « tribus », indiquant par-là que cette suspicion était généralisée à tout le peuple.

    Ne serait-ce le lien le rattachant à Aharon haCohen, Pin’has aurait été en mauvaise posture malgré la justesse de son acte. Bien que la Torah accepte que le converti et sa descendance intègrent le peuple d’Israël et ses lois, les membres du peuple voient en lui un étranger au moindre comportement atypique. Cet à priori négatif n’est pas encouragé, au contraire. Il s’agit juste d’une constatation : le même Ytro dont le comportement est loué par la Torah et par les Sages était perçu avec une certaine ambiguïté par le peuple.

    Est-ce vraiment étonnant ? La réponse nous semble négative. Ytro est un modèle de zèle, il conseille Moïse et prend en premier l’initiative de faire une bénédiction pour remercier Dieu. Il vient d’ailleurs et s’impose comme un modèle de croyance en Dieu… Il est l’autre, celui qui dérange car il joue le rôle d’un miroir, reflétant nos tâches et nos carences. Or, nous avons tous une relation ambigüe avec notre miroir : on le recherche lorsqu’on se sent bien dans sa peau, et on le rejette lorsqu’on ne veut pas se regarder en face… Ytro est donc en quelque-sorte le miroir du juif…

     

    Yona GHERTMAN

    Retrouvez un plus ample développement sur ce sujet de la conversion dans notre ouvrage : "Une identité juive en devenir : la conversion au judaïsme"